20 janvier 2013

Opération "SERVAL", contrecoup de l'épisode libyen

En déclenchant soudainement l'opération "SERVAL" comme coup d'arrêt à l'offensive des islamistes tenant le nord du Mali depuis le printemps dernier, la France a réagi au contrecoup le plus évident de la campagne de Libye : le vide sécuritaire provoqué par l'effondrement du régime Kadhafi, la libre disposition de troupes stipendiées et la mise en circulation de nombreuses armes de guerre, qui ont été exploités par les islamistes - en s'appuyant commodément sur les Touaregs - pour établir un sanctuaire, une zone territoriale servant à la fois de base d'opération et de refuge. La perspective de voir le Sahel se transformer en un nouvel Afghanistan n'était pas acceptable pour la communauté internationale, qui préparait une intervention militaire par le biais de contingents africains. L'attaque préemptive des islamistes a contraint la France à intervenir directement, dans les airs comme au sol.

Quel acteur a piégé l'autre, ou plus généralement lequel a en mains les meilleures cartes ? Les opinions et avis d'experts divergent. Une analyse très pertinente me semble celle d'Eric Denécé, qui rappelle qu'une force irrégulière abandonnant les tactiques de guérilla et menant des actions conventionnelles devient très vulnérable, en particulier lorsqu'elle opère en-dehors des territoires où elle dispose d'appuis solides au sein de la population. Il montre également l'inconséquence des choix politiques faits ces dernières années, qui aboutissent à simultanément combattre et appuyer les islamistes selon les pays concernés. On peut déduire de ces propos que si la France dispose de grands avantages au Mali et devrait infliger des pertes sensibles aux islamistes, cela n'aura pas d'effet sur l'insurrection globale que mènent ceux-ci de par le monde.

Pour sa part, dans une autre analyse à lire, le colonel Michel Goya rappelle que ce type d'intervention, dirigée contre un ennemi identifié, marque le retour de la France à des pratiques de guerre qui ont fait leurs preuves, tout spécialement sur le continent africain, à l'opposé d'opérations multinationales de maintien ou d'imposition de la paix qui constituent des « modes d'action stériles » en renonçant à identifier l'ennemi et à orienter l'action à son encontre. Les inquiétudes émises quant à une France « seule sur le terrain » sont donc doublement fausses : d'une part, l'armée malienne est engagée dans le conflit et joue un rôle important, notamment dans une perspective locale ; d'autre part, un cadre fourni par l'ONU ou l'UE réduirait nécessairement l'efficacité de l'action en raison de cette tendance à ne retenir que le plus petit dénominateur commun pour déterminer le mode opératoire.

Pour ma part, je souhaite apporter un éclairage sur deux aspects.

Premièrement, les critiques que l'on pouvait entendre au milieu de la décennie précédente sur une militarisation du Sahel sous couvert de lutte fictive contre le terrorisme, et adressées aux États-Unis, montrent aujourd'hui l'aveuglement qui a longtemps abouti à ignorer la lutte engagée par l'islamisme au niveau planétaire. En réalité, le Sahel n'est qu'une case de l'échiquier mondial, une région de combat potentielle parmi d'autres à partir de l'instant où un vide sécuritaire permet l'arrivée de djihadistes en nombre important. C'est parce que les islamistes ont subi une déroute en Irak et encaissé des pertes importantes en Afghanistan que d'autres cases de l'échiquier, c'est-à-dire d'autres théâtres d'opération, ont gagné en importance - comme le Yémen, la Somalie, et donc le Sahel.

L'approche indirecte retenue par les États-Unis, passant par le développement des forces armées nationales, a montré ses limites avec l'effondrement de l'armée malienne sous les coups de boutoir des islamistes et de leurs alliés touaregs. La France, qui a également mis à profit de la discrétion et de la polyvalence de ses forces spéciales, a eu plus de succès en allant davantage dans le sens d'un engagement commun, par exemple en Mauritanie. L'opération "SERVAL" est aujourd'hui la concrétisation de cette démarche. Dans la perspective d'une interdiction stratégique, c'est-à-dire en vue d'empêcher le maintien d'un sanctuaire islamiste au Sahel, l'engagement des quelque 2500 militaires annoncés par Paris semble un bien meilleur investissement que celui fait depuis plus de 10 ans en Afghanistan, en essayant de transformer ce pays en un État moderne et démocratique au lieu simplement d'en déloger les djihadistes et d'en contenir les taliban les plus extrêmes.

Deuxièmement, l'escalade des hostilités au Mali rappelle que la montée en puissance des organisations non étatiques est immensément facilitée par le démantèlement des organisations étatiques. Personne ne regrettera le régime du colonel Kadhafi, qui a été longtemps un acteur important du terrorisme international et s'est investi dans le domaine des armes de destruction massive ; pas plus que le régime de Saddam Hussein ou, le cas échéant, celui du clan Assad. Mais ces régimes autocratiques exercent un contrôle de leur population comme de leur espace tellement orientée vers leur propre survie que leur chute rend particulièrement difficile la transition vers un autre gouvernement, et offre ainsi des opportunités aux mouvances idéologiques, aux réseaux criminels ou encore aux structures claniques pour prendre ou reprendre une portion du pouvoir.

En d'autres termes, les opérations militaires visant à renverser un régime établi doivent être conçues dans la perspective de l'établissement d'un gouvernement raisonnablement légitime aux yeux de ses administrés, au service d'un État raisonnablement uni, et disposant des moyens de garantir la sécurité et la stabilité sur son territoire. Il est dès lors frappant de constater que les erreurs commises par les États-Unis en Irak, après avoir sous-estimé l'ampleur et la difficulté de la phase succédant au conflit conventionnel, ont été largement reproduites par la France et par le reste de la communauté internationale dans le cas de la Libye. Les proportions ne sont pas les mêmes, et le Sahel n'est pas un objectif comparable à Bagdad dans l'imaginaire islamiste, mais les espaces sont gigantesques et les États qui les partagent sont d'une fragilité avérée.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h04

11 septembre 2011

11 septembre : une perspective

Les attentats terroristes qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 ne sont à l'évidence pas assez lointains pour qu'un recul suffisant puisse être pris ; au vu des nombreux commentaires prononcés ou écrits ces jours dans les médias, la lecture de cet événement reste profondément marquée par le prisme de l'opposition à la guerre en Irak, au point que le contexte de l'époque tend à disparaître sous les arguments, les condamnations et les arguties. La clarté qui prévalait au lendemain des attaques - perçues comme un acte de guerre s'inscrivant dans le djihad déclaré par Al-Qaïda - a largement disparu. La transformation même de la guerre, comme cette journée l'a illustrée avec fracas, n'a pas pénétré les esprits.

Pourtant, comme on pouvait déjà le mesurer à l'époque, le détournement de 4 avions de ligne par 19 djihadistes afin d'en faire des missiles guidés reste un événement charnière, le révélateur d'un basculement : l'État-nation contemporain n'est plus le maître de la guerre, et des organisations non étatiques sont désormais capables de lui porter des coups très durs, au cœur même de sa puissance politique, économique et militaire. Le fait que l'attaque la plus meurtrière menée sur sol américain depuis le 11 septembre 2001 ait été une fusillade sur une base militaire montre certes le fruit du resserrement des mesures de sécurité, mais plus encore l'effet de l'exportation du conflit vers d'autres régions.

Ce vacillement de l'État par l'épée, à l'exemple de la superpuissance américaine, s'est dans l'intervalle notablement élargi. L'État-providence à l'européenne est aujourd'hui à bout de souffle, et doit s'imposer des coupes budgétaires qui, loin d'opposer le beurre aux canons, vont réduire l'un comme les autres. L'autocratie arabo-musulmane est ébranlée par la colère des peuples, révoltés par le manque à la fois de prospérité et de justice, et seules les pétromonarchies semblent pour l'heure juguler la révolution qui les menace. La légitimité des États, à travers la sécurité qu'ils peuvent garantir, les services qu'ils peuvent offrir, les revendications qu'ils peuvent intégrer, les conditions-cadres qu'ils peuvent préserver, est toujours plus menacée.

A propos du 11 septembre et de ses suites, c'est donc la lutte entre États et non États pour la conquête et/ou la maîtrise des esprits, des marchés et des espaces - faisant partie des enjeux du conflit - qui devrait constituer la principale grille de lecture. A cet égard, pour la coalition d'États occidentaux en lutte face aux réseaux djihadistes, il faut relever que la campagne d'Afghanistan - qui ne permet pas de parvenir à des résultats majeurs - constitue un investissement disproportionné de ressources, alors que la campagne d'Irak - qui a occasionné une immense attrition des djihadistes dans leur légitimité comme dans leur capacité - s'est avérée nettement plus rentable. L'endurance des États reste cependant leur principale faiblesse.

A cet égard, il est évident que les aspects financiers et économiques ont fortement gagné en importance ces dernières années. Contrairement à ce que l'on peut souvent lire, les dépenses liées à ces campagnes n'ont pas d'effet déterminant sur l'évolution des finances publiques, puisque même aux États-Unis la part de la défense dans le budget ne dépasse pas 20%, ce qui est historiquement bas en temps de guerre. En revanche, dès lors que les dépenses sociales propulsent un État dans la spirale du surendettement, et que viennent se greffer sur ce déséquilibre une balance commerciale fortement déficitaire, une croissance économique en panne et des établissements bancaires sous-capitalisés, il ne faut pas compter sur une capacité sérieuse de maîtriser quoi que ce soit.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h15

20 mars 2011

Libye : une odyssée sans fin ?

Ainsi donc, la communauté internationale - sous l'impulsion notable de la France, tant politiquement que militairement, mais sous la conduite des États-Unis - a décidé s'opposer par la force au colonel Kadhafi. Ce n'est évidemment pas une nouveauté : non seulement Paris a déjà mis en échec l'irrédentisme du maître de Tripoli lorsque ce dernier jetait ses colonnes vers le Tchad, mais Washington a mené à réitérées reprises des opérations de combat dans l'espace aérien libyen entre 1981 et 1989. On peut du reste relire avec intérêt ces épisodes (cf Joseph Stanik, El Dorado Canyon, Naval Institute Press, 2003) pour mesurer l'évolution des forces en présence depuis trois décennies.

Les activités militaires des premières heures de l'opération « Aube de l'odyssée », pour reprendre la désignation américaine, l'ont démontré : les forces armées loyales au colonel Kadhafi n'ont pu empêcher la prise de contrôle de l'espace aérien libyen et son utilisation pour des frappes qui semblent avoir pris par surprise plusieurs formations mécanisées impliquées dans la poussée vers Benghazi. Le déploiement en cours de forces supplémentaires, du côté de la coalition, ne laisse aucun doute sur sa capacité à maintenir cette zone d'interdiction aérienne qui couvre une grande partie de la Libye. Et à l'exploiter pour d'autres frappes air-sol.

Si les objectifs de l'opération - imposer cette zone de non-survol et empêcher l'écrasement des rebelles - semblent donc à portée de main, il n'en demeure pas moins que cette action limitée, pour reprendre la précision de l'administration Obama, est semblable à toutes les autres actions limitées, réactives et proportionnelles : en visant à contenir un adversaire, elles lui cèdent par avance toute initiative et s'inscrivent nécessairement dans une dimension temporelle particulièrement extensible. Il suffit à Kadhafi d'être patient, de mener sa guerre de l'information, d'exploiter les frappes pour consolider son pouvoir, et ainsi d'user la résolution comme la patience des capitales occidentales.

Certes, celles-ci ont de toute évidence des moyens d'action au sol, destinés à renforcer et à multiplier les capacités de rebelles : des agents des services de renseignement (le Canard Enchaîné révélait ce mercredi que la DGSE livrait des armes lourdes aux insurgés) et probablement quelques détachements de forces spéciales (comme semblent l'indiquer la précision et l'effet des bombardements). Mais procéder à un changement de régime à Tripoli ne fait pas partie des résolutions 1970 et 1973 de l'ONU, même si les Libyens peuvent y parvenir, et utiliser l'insurrection libyenne comme l'Alliance du Nord fin 2001 en Afghanistan ne semble pas exactement l'intention de la coalition.

Est-ce que les forces armées occidentales se sont engagées dans une odyssée sans fin ? Faute de rechercher une victoire militaire, et non de simples succès, c'est déjà la recherche d'une solution politique négociée qui semble la seule manière de l'éviter.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h05

18 avril 2010

Les fondamentaux de la défense

Il n'est jamais agréable d'être accusé de « dire n'importe quoi », mais il n'est pas grave de l'être sur la base de propos tronqués et mal interprétés. C'est la situation devant laquelle je me trouve : Philippe Barraud, sur www.commentaires.com, a en effet proprement éreinté une brève colonne publiée par le soussigné dans l'édition d'hier de 24 Heures, à la demande de son rédacteur en chef, sur le thème de la politique de sécurité. Ce texte était cependant une version élaguée et mise à jour d'un article bien plus long écrit pour la Revue Militaire Suisse, et posant quelques fondamentaux en matière de politique de sécurité et donc de défense. Il n'est pas disponible en ligne, à la différence de l'original dans la RMS, mais voici les passages incriminés :

« Il faut le constater: l'Etat-nation helvétique comme entité clairement délimitée, reposant sur une large unité à la fois géographique, populaire et décisionnelle, disparaît peu à peu. La Suisse du XXIe siècle a de moins en moins à voir avec les 41 285 km² de son territoire dit national. Se concentrer sur celui-ci est aussi logique qu'évaluer une partie d'échecs à l'aune d'une fraction de l'échiquier.
Un Etat moderne comme le nôtre se transforme et voit son existence s'inscrire toujours plus dans des espaces inédits, éloignés des montagnes et des lacs qui pourtant l'incarnent. Pour en tracer les frontières et les reliefs véritables, il nous faut des cartes nouvelles, décrivant le terrain sémantique et l'espace cybernétique, les transversales financières et les nœuds énergétiques, les terrains-clefs identitaires, les vulnérabilités juridiques, ou encore les points d'appui diplomatiques. »

Le commentaire de Philippe Barraud ne fait pas dans la dentelle :

« Ces propos sont effarants. On est entre le délire psychédélique et le pacifisme sans frontières - sans oublier une furieuse contradiction: puisque, nous dit M. Monnerat, la Suisse n'existe plus (Ben Vautier est dépassé !), à quoi bon réfléchir aux missions de son armée, ou mieux, à quoi bon une armée, à quoi bon une Confédération, puisqu'on va se fusionner dans le Grand Tout? »

Il va de soi que cette interprétation de mes propos ne correspond en rien à mes réflexions. Accoutumé par nécessité à redresser les torts, et critique hautement estimé des errements de notre classe politique comme médiatique, Philippe Barraud aura sans doute péché par précipitation en associant immédiatement mes réflexions au credo des globalistes militants, pour lesquels la Suisse et ses valeurs traditionnelles sont un frein vers l'accomplissement de l'Histoire.

Il suffit de lire l'article de la RMS pour voir quels sont, à mon sens, les fondamentaux en matière de défense :

Voici pour préciser certains aspects. Du reste, on ne peut que suivre à 100% Philippe Barraud lorsqu'il affirme que, entre États, c'est « chacun pour soi » : l'histoire est là pour démontrer la constance de cette vérité. Il n'y a donc pas lieu de voir dans la brève colonne publiée dans 24 Heures une autre perspective.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h31

17 janvier 2010

Une affaire à approfondir

L'affaire Sudaro n'est pas faite pour renforcer la confiance dans les procédures de sélection des cadres supérieurs de l'armée comme de l'administration fédérale : le fait qu'un homme ayant semble-t-il fabriqué tous ses diplômes académiques ait pu pendant des années occuper des postes à hautes responsabilités constitue en effet un risque majeur sur le plan de la sécurité, par les possibilités de chantage que cela a créé, ainsi que pour la crédibilité du système tout entier, notamment pour ceux qui ont été confrontés au personnage. Les hiérarchies concernées vont procéder à une étude approfondie des raisons pour lesquelles une telle falsification a pu durer si longtemps, et donc ne feront pas de commentaire dans l'intervalle. Ce n'est pas une raison pour passer sous silence un tel sujet.

En premier lieu, il ne faut pas croire que les informations relatées voici 10 jours par la télévision suisse-alémanique, déclencheur de la tourmente médiatique comme de la chute du suspect, ont été une révélation au sein de l'armée. Depuis plusieurs années déjà, il pesait sur le « docteur » Sudaro des soupçons précis, des rumeurs faisant état d'un titre de doctorat factice ; le fait qu'il soit impossible de dénicher toute trace d'une thèse à son nom en est probablement la cause. En revanche, on ignorait que l'ensemble des titres dont il se prévalait était d'une nature similaire : l'idée qu'un personnage puisse falsifier à ce point son parcours, alors qu'au demeurant il était officier d'état-major général avec le grade de colonel, était apparemment trop extravagante pour être sérieusement considérée.

Au contraire, la hiérarchie militaire n'a pas hésité au printemps 2009 à mettre sur le devant de la scène le projet nommé « strategy check » conduit par Sudaro, notamment via la publication officielle de l'armée ; ce projet a consisté à examiner l'ensemble des composantes militaires pour en tirer des sources d'économie potentielles, et a été largement approuvé par le commandement de l'armée. Quelques semaines plus tard, cependant, le faux docteur quittait - apparemment de façon précipitée - ses fonctions, et son organisation de planification de la Défense était dissoute. Il faudra sans doute des recherches approfondies pour démêler le faux du vrai dans toutes les activités du faussaire, qui un temps a joui d'une confiance immense, au point d'être promis à un rôle-clef au sein de l'armée.

En théorie, les services de sécurité au plus haut échelon sont bien protégés contre l'intrusion de personnages présentant, pour des raisons diverses, des risques majeurs ; en Suisse, les contrôles personnels de sécurité peuvent être très approfondis et examiner toutes les facettes d'un candidat à une fonction sensible. L'affaire Sudaro montre cependant que ces protections ne suffisent pas, et que les mécanismes peuvent être biaisés par un individu particulièrement habile à gagner le respect des principaux dirigeants, et prêt à aller très loin pour satisfaire une ambition sans doute dévorante. Il serait donc erroné aujourd'hui de se focaliser sur le faux docteur : il est plus important, sans chasse aux sorcières, de reconstituer les décisions, les appréciations et les influences qui lui ont permis de faire une telle carrière.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h51 | TrackBack

26 octobre 2009

Combiner hautes et basses technologies

Une société privée américaine a développé l'an dernier une plateforme air-sol pour les forces aériennes irakiennes plutôt originale : un avion monomoteur Cessna équipé de senseurs infrarouges, de désignateurs lasers et de missiles air-sol Hellfire, tout comme les drones Predator armés, avec un système de protection contre les missiles sol-air. C'est un exemple parmi d'autres de combinaison de hautes et (relativement) basses technologies, qui indique une manière intéressante de développer pour un coût modeste des capacités adaptées à des besoins opérationnels bien définis.

Pourquoi une telle combinaison ? Un appareil à hélice de ce type a bien entendu une basse vitesse (150 à 200 km/h), mais aussi une endurance d'environ 10 heures : idéal pour observer à basse altitude une zone donnée, identifier une menace de jour comme de nuit (domaine visible comme infrarouge), et pour la combattre avec une arme à la fois précise (grâce au guidage laser) et d'une puissance destructrice limitée (charge explosive de 8 kg), ce qui permet de limiter les dommages collatéraux. Et on peut supposer que le prix de l'ensemble, malgré la modernité des senseurs, doit être plutôt réduit, en termes d'acquisition comme d'exploitation.

Cette approche n'est bien entendu pas très nouvelle : les chasseurs-bombardiers de la Seconde guerre mondiale avaient un profil similaire, quoique moins performants au niveau de la précision et de la détection (mais mieux à même de se défendre). Plus tard, lors de la guerre du Vietnam, les États-Unis ont également employé un avion à hélice pour les frappes air-sol, à l'aide de ses armes embarquées, mais également en tant que contrôleur aérien avancé, avec donc du personnel spécialisé dans la détection de cibles au sol et dans leur traitement. Le même rôle a été repris par un avion à réaction, certes lent, très endurant et puissamment armé, mais qui reste unique en son genre - et régulièrement contesté.

Il n'y a pas à douter aujourd'hui de l'importance de frappes aériennes précises et mesurées, en particulier dans les opérations de basse intensité ; mais les chasseurs-bombardiers modernes sont trop perfectionnés et trop rapides pour offrir une solution efficace et abordable dans ce type de conflit. Ils sont très coûteux ; ils doivent donc voler très haut pour minimiser les risques, ce qui diminue d'autant leur capacité de frappe aérienne précise (à moins d'avoir une équipe au sol pour désigner la cible et sélectionner l'arme nécessaire), et ne peuvent être acquis en grande quantité et ont de toute manière une autonomie modeste, ce qui réduit les possibilités d'employer cette capacité.

Dans la mesure où la société Pilatus a bien malgré elle - ou peu s'en faut - une certaine expérience dans la fabrication d'avions à hélice capables d'exécuter des frappes aériennes, on se demande si l'armée suisse - compte tenu des réalités budgétaires actuelles - ne devrait pas s'intéresser à des solutions similaires pour développer ses capacités...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h12

18 octobre 2009

Afghanistan : l'imbroglio politico-militaire

L'administration américaine actuelle, on le sait, est divisée sur la conduite des opérations de combat et de stabilisation en Afghanistan. Lors de sa campagne électorale, le candidat Obama avait promis de renforcer les troupes déployées dans la région, à la faveur d'un retrait d'Irak ; l'évolution positive - et prudemment tue dans les médias - de l'opération "Iraqi Freedom" lui donne cette possibilité sans grave conséquence. Mais le président Obama doit à présent choisir entre ceux qui - tel son vice-président - préconisent un allègement des troupes en Afghanistan et le recours à une approche sur les frappes à distance, avec des forces spéciales et des plateformes aériennes, et ceux qui - tel son conseiller à la sécurité nationale et sa secrétaire d'État - plaidant pour une campagne de contre-insurrection dopée par des renforts nombreux.

L'un des dangers qui guettent Obama, comme du reste ses prédécesseurs avant lui, n'est autre que la confusion entre les différents niveaux de la guerre, et tout particulièrement pour un conflit qui demeure malgré tout de basse intensité. Sans aller jusqu'aux égarements de Lyndon Johnson et Robert McNamara, qui validaient et sélectionnaient chaque cible terrestre bombardée par l'aviation américaine au Vietnam, les dirigeants de l'administration Obama semblent passer davantage de temps à considérer la mécanique de la campagne d'Afghanistan et les forces impliquées que les facteurs stratégiques dont, finalement, le succès ou l'échec des formations déployées vont dépendre.

La priorité de Washington devrait ainsi consister à équilibrer les ressources engagées dans l'opération avec les enjeux, réels comme perçus, qui la sous-tendent. Paradoxalement (en apparence), les tentatives des Talibans de déstabiliser l'État pakistanais et de prendre le pouvoir sur des portions de son territoire aboutissent à une élévation des enjeux facilitant les choses pour la communauté internationale. Il va de soi que l'évolution de l'opinion publique aux Etats-Unis, et plus encore en Afghanistan, sont les facteurs déterminants sur le plan stratégique ; les opérations sur place ne sont pas assez coûteuses en dollars, ni même en hommes, pour affecter vraiment les capacités nationales en la matière. Mais la patience des dirigeants ?

Les généraux actuellement en charge de l'Afghanistan, McChrystal et Petraeus, semblent de toute évidence avoir tiré les bonnes leçons du Vietnam - pas celles de la génération Powell / Schwarzkopf - et ont fait leurs preuves en Irak. On peut donc présumer qu'ils ont analysé la situation actuelle de l'Afghanistan et établi une approche opérative valable. Mais si leurs maîtres politiques se mêlent de la mécanique militaire au lieu d'apprécier son impact et ses besoins, et donc d'assurer une vraie cohérence entre l'action des troupes et leur perception au sein des populations concernées ; s'ils se focalisent sur la mise en œuvre des directives stratégiques au lieu de les donner à propos ; s'ils confondent les fins avec les moyens, et le sens de la campagne avec ses effets ; alors on ne peut guère être optimiste sur cette opération.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h17

13 octobre 2009

Le dilemme de la puissance militaire

Les décisions prises récemment sur la répartition du budget au sein des forces armées britanniques révèle un dilemme que connaissent tous les planificateurs militaires en-dehors des périodes de conflit majeur : faut-il privilégier les forces engagées au quotidien dans des opérations de basse intensité ou au contraire conserver la priorité traditionnellement accordée aux forces vouées aux hypothétiques combats de haute intensité ?

Les dirigeants britanniques, confrontés à une pression considérable de la presse et du public en raison des déficiences de l'équipement octroyé aux troupes engagées en Afghanistan, ont donc choisi d'accorder la priorité à leurs forces terrestres (sans parler des forces spéciales) au détriment des forces navales et aériennes. Si l'on considère l'histoire de la Grande-Bretagne, c'est évidemment une décision plutôt inédite ; la Royal Navy a façonné le monde moderne, et la Royal Air Force a rapidement acquis son indépendance comme composante à part entière. Tout cela appartient-il au passé ?

Le dénominateur commun des deux approches reste bien entendu les limites budgétaires : il est rare qu'une nation soit suffisamment riche pour avoir des moyens capables de faire face simultanément à des menaces de basse comme de haute intensité, à moins d'y consacrer une part démesurée de ses ressources. A contrario, le fait de diminuer constamment les budgets militaires finit par réduire en-dessous du seuil critique l'aptitude à protéger ses intérêts et ceux d'autrui, et donc se traduit tôt ou tard par un déclin commercial et économique. Il n'étonnera personne d'apprendre qu'un État-providence (mieux décrit en anglais par l'expression "nanny state") entraîne une forme d'émasculation stratégique.

Trouver l'équilibre n'est pas chose aisée. Les capacités de stabilisation sont coûteuses, parce qu'elles impliquent un volume important de troupes au sol et une durée prolongée des opérations ; de plus, lorsque le contexte opérationnel rend nécessaire l'indépendance logistique du contingent, à peu près inévitable pour une armée moderne, les conséquences pécuniaires sont tout bonnement exorbitantes. Mais les capacités d'intervention sont encore plus coûteuses, car elles impliquent des systèmes d'armes d'une complexité exponentielle, et pourtant seuls à même de permettre une supériorité dans un espace donné - qu'il soit terrestre (formations blindées), naval (flottes combinées) ou aérien ("strike packages"). Sans parler des éléments d'appui nécessaires à leur emploi.

Comment résoudre le dilemme ? Une menace actuelle mais modérée appelle une réponse caractérisée par l'économie des forces, une réponse à la fois rapide et durable ; une menace potentielle mais décisive appelle une réponse caractérisée par la concentration des effets, avec un réservoir de forces mobilisable et disponible à temps. Or, économiser les forces implique une multiplication de celles dont on dispose au contact du secteur d'engagement, comme le font les forces spéciales, le renseignement de source humaine, les activités civilo-militaires, bref toutes les approches conventionnelles qui visent à développer un impact sur la société en crise ou en conflit.

Évidemment, il serait faux d'opposer l'approche non conventionnelle à l'approche conventionnelle : elles se complètent au contraire à merveille, et passer de l'une à l'autre offre même une flexibilité opérative du meilleur aloi. L'erreur fondamentale consiste plutôt à opposer le présent à l'avenir.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h26

6 octobre 2009

Entre la discorde et le doute

Le désaccord rendu public entre l'administration Obama et le commandant des forces coalisées en Afghanistan sur la stratégie à adopter dans le pays, afin d'éviter de perdre le conflit ouvert avec succès voici 8 ans, est intéressant à plus d'un titre. Visiblement, les maîtres politiques du général McChrystal auraient nettement préféré que celui-ci exprime ses doutes sur certaines hypothèses opérationnelles via sa voie hiérarchique, non à l'invitation d'un "think tank" appartenant à l'allié britannique, et alors même que les pertes américaines sur place sont plus élevées que jamais. Quand le franc-parler dérange, c'est rarement bon signe.

Les disputes entre chefs des armées et généraux en charge d'opérations de combat ou de stabilisation ne sont pas chose nouvelle, loin s'en faut. Mais McChrystal, qui a certainement l'appui de son chef direct (Petraeus), n'est pas un vieux faucon à la MacArthur, et Obama n'est pas un Truman en train d'éviter une escalade incontrôlable. C'est plutôt l'inverse : alors que la communauté internationale s'essouffle de plus en plus à tenter de transformer l'Afghanistan en aire de civilisation et de prospérité, il s'agit plutôt de songer à changer de cap pour éviter la défaite, c'est-à-dire l'épuisement moral et donc l'abandon. Même si les préoccupations politiques de Washington sont plutôt domestiques.

Ce débat rappelle aussi que l'Afghanistan, jadis présenté comme la "bonne guerre" par opposition à la "mauvaise guerre" d'Irak, n'est pas près d'être un succès. A la différence de l'Irak, dont les villes et la population n'ont finalement offert aucun sanctuaire aux combattants islamistes du coup massacrés par dizaines de milliers, l'Afghanistan offre des refuges montagneux à la pelle qui permettent aux talibans et à leurs alliés de se soustraire aux coups de la coalition, au besoin en traversant une frontière éminemment virtuelle, et donc de durer, tout en maintenant une présence à la fois menaçante et influente sur les populations civiles. Ce qui constitue en général la manière pour le faible de vaincre le fort.

Enfin, le désaveu de ses généraux souligne toujours plus crûment l'absence de succès tangible remporté par Barack Obama sur la scène internationale. Des voix toujours plus nombreuses s'élèvent pour dire que le Président acclamé par l'humanité entière - à en croire ses supporters - ressemble davantage à Carter qu'à Kennedy. Alors que le premier anniversaire de son élection approche, il est bien sûr un peu tôt pour juger un homme qui a effectivement suscité des espoirs au-delà du possible. Du reste, les élections qui se profilent et le recul démocrate qui s'annonce forment un jugement autrement pertinent. Mais un air amène et de beaux discours ne peuvent tenir lieu d'action stratégique.

Ceci étant, la discorde et le doute forment un mélange particulièrement corrosif pour les équipes dirigeantes.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h10

5 octobre 2009

La projection d'une puissance multiforme

Les activités d'aide humanitaire d'urgence, illustrées par l'engagement actuel de la Chaîne suisse de sauvetage, bénéficient presque universellement d'une image flatteuse qui rejaillit sur le pays qui en est à l'origine. Sauver les vies d'autrui, ou à tout le moins tenter de le faire dans des conditions difficiles et risquées, est un narratif très efficace. Les fonds promptement rassemblés et distribués suite à une catastrophe, même s'ils s'inscrivent dans une autre dimension temporelle, n'ont pas le même impact. Oserais-je cependant avancer une expression quasi blasphématoire en affirmant qu'on assiste ici à une projection de puissance particulièrement bien adaptée à la situation ?

Bien entendu, je ne prête aucune visée sordidement intéressée aux Confédérés qui œuvrent en ce moment à Sumatra, dont certains ont d'ailleurs leur bureau bernois à quelques mètres du mien. Je dis simplement que déployer en quelque 48 heures un détachement de 120 spécialistes en recherche et sauvetage en milieu urbain à 10'000 km de la Suisse est une performance appréciable et appréciée. Et que la bonne volonté suscitée par de telles actions, produit typique de la puissance douce tant vantée ces dernières années, ne saurait être naïvement détachée de ses retombées potentielles sur le plan économique et diplomatique. L'augmentation des échanges commerciaux avec l'Indonésie depuis 2004 semble le souligner.

Le terme de puissance suscite toujours un réflexe de rejet dans bien des sphères, comme si les rapports de forces entre nations - ou entre individus - étaient une chose néfaste, à bannir au plus vite. Pourtant, la Suisse est bien une puissance économique et financière, de tout premier ordre sur le plan qualitatif, et c'est de la sorte qu'elle est perçue et parfois combattue au-delà de nos frontières ; les assauts répétés sur le secret bancaire et sur la concurrence fiscale le montrent clairement. Dans la mesure où un franc sur deux gagné dans ce pays est issu de l'exportation, notre intérêt est de bien comprendre les rapports de forces qui expliquent cette réalité satisfaisante et exploiter au mieux nos vecteurs de puissance.

Nous n'en sommes sans doute pas encore là dans notre compréhension des outils en mains de la Confédération, qui pourtant joue au-delà des frontières un rôle totalement différent de celui, judicieusement équilibré par le fédéralisme, qu'elle assure dans le pays. Les lâches capitulations devant la Libye du colonel Kadhafi ne s'expliquent-elles pas avant tout par une vision sectorielle, à court terme et marquée par le dilettantisme ? La Suisse a suffisamment de ressort et d'opportunités dans le monde pour ne pas devoir s'agenouiller devant un dictateur illuminé et vautré sur les réserves pétrolières de son pays. A condition bien entendu d'accepter d'entrer dans le jeu que jouent toutes les nations, toutes les sociétés et tous les individus.

Un jeu dans lequel nos cartes sont plutôt bonnes...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h25

30 septembre 2009

Le syndrome du cockpit

La conduite militaire à l'ère numérique compte pour principal écueil la tentation de l'omniscience. Parce que l'informatique facilite immensément la génération, la transmission, le stockage et la visualisation des données, il est tentant de confondre quantité et qualité de l'information, de penser que l'on sait l'essentiel parce que l'on sait beaucoup. J'irais même plus loin en nommant cela le syndrome du cockpit : de la même manière qu'un pilote dispose sous ses yeux de tous les indicateurs nécessaires à sa fonction, qu'il s'agisse uniquement de voler ou en plus d'engager des systèmes d'armes, on se donne aujourd'hui l'impression de disposer d'un tableau de bord permettant de conduire un corps de troupe, une Grande Unité, voire même l'armée tout entière.

Le principe du cockpit est simple et attractif : toutes les informations essentielles sont amenées dans le champ de vision du pilote, qui peut donc immédiatement les exploiter pour agir ou réagir. Du moins est-ce ainsi que cela devrait en théorie fonctionner ; dans la pratique, les informations concernant un éventuel adversaire - comme la mission centrale des armées reste le combat, il vaut mieux s'en soucier - peuvent être insuffisantes (camouflage) ou fausses (déception). Il peut être satisfaisant de recevoir l'information censée répondre à nos besoins, et pratiquer une sorte de culture télévisuelle, mais l'information-clef ne se laisse que rarement appréhender de la sorte. Il faut s'investir, voire se battre, pour l'avoir.

Bien entendu, les systèmes informatiques sont parfaitement adaptés à la logique mathématique des domaines essentiellement linéaires, comme la logistique et l'aide au commandement. En revanche, ils se révèlent particulièrement inadaptés à la logique paradoxale de la stratégie, à l'affrontement des volontés qui caractérise le combat sous toutes ses formes. Il est donc inutile, et souvent même contre-productif, de maximiser l'efficience de sa propre mécanique interne sans avoir l'appréhension de l'enchaînement des mesures et contre-mesures que suppose un affrontement entre deux acteurs - ou davantage. Savoir n'est pas encore comprendre, et comprendre n'est pas encore décider.

Il faut parfois faire preuve de discipline pour éteindre la télévision. Il en faut peut-être autant pour éteindre son ordinateur, couper les smartboards, renoncer aux e-mails, bref pour se couper du flux des données. On peut accepter un cockpit pour commander à une machine, dont il constitue dès lors l'interface, mais pas pour conduire des hommes, et ceci même en l'absence de toute situation conflictuelle. Et si de telles affirmations résonnent comme des évidences, il faut avoir expérimenté le fonctionnement quotidien de grands états-majors répartis entre plusieurs emplacements, reliés par vidéoconférence et vivant au rythme des SOP pour savoir la valeur d'un fonctionnement analogique.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h12

23 septembre 2009

Les retombées toxiques des pressions budgétaires

Quelles sont les conséquences pour l'armée de la transformation accélérée qu'elle subit depuis 10 ans, et qui désormais doivent bien davantage aux réductions budgétaires qu'à la transformation du contexte stratégique ? Bientôt 6 ans après l'introduction de l'Armée XXI, dont le modèle est toujours plus éloigné des conditions-cadres actuelles, certains éléments de réponse apparaissent clairement, en particulier ceux qui ont trait au fonctionnement interne de l'institution.

Premièrement, il existe aujourd'hui au sein de l'armée une sorte de lutte permanente, de concurrence exacerbée, voire même de course à la survie. La nécessité de réduire fortement et constamment le volume du personnel remet en question toutes les structures existantes, et la crainte de disparaître, de sacrifier le produit de tant d'efforts, amène presque immanquablement chaque organisation à contester l'ampleur, sinon l'existence, d'autres organisations comparables ou convergentes. Au lieu de l'union sacrée qu'exigerait la gravité de la situation, nous assistons à une lutte de tous contre tous qui régulièrement sort du cadre de l'armée pour atterrir dans la classe politique ou dans les médias.

Deuxièmement, les décisions prises même au niveau le plus élevé sont systématiquement remises en question. Parce que les ressources disponibles ne permettent plus de tout faire, chacun a la tentation de choisir entre les missions reçues, c'est-à-dire de fixer ses propres priorités, et donc somme toute de faire ce qu'il veut. A raison ou à tort, la faisabilité est souvent opposée à l'autorité. Du coup, les ordres sont considérés comme provisoires à l'instant même d'être émis, parce que l'on subodore un contrordre prochain, justifié par l'insuffisance des ressources, un changement de chef ou une nouvelle restructuration.

Troisièmement, la gestion prend le pas sur la conduite, et la centralisation accrue force encore le trait. Parce que l'armée est confrontée à des problèmes généraux, on élargit les solutions à toutes ses composantes, et donc on surcharge les grands chefs de dossiers par dizaines. A force de ne jurer que par les processus et le "top down", on multiplie la complexité du système, on sature les échelons supérieurs et on s'éloigne de ceux qui forment effectivement les capacités de l'armée. On en vient même à donner des ordres à toutes les unités de l'armée, directement depuis Berne, comme dans une administration, comme si les commandements n'existaient pas.

Quatrièmement, corollaire logique, on multiplie les gestionnaires au détriment des militaires. On a fait croire au commandement de l'armée que les nouvelles technologies de l'information et des processus à la mode tels que "controlling", "portfolio management" ou encore "masterplan" lui permettraient de tout voir, de tout savoir et donc de décider mieux que quiconque. En conséquence, on compte de plus en plus de gens qui ne font que traiter et transmettre des données, et de moins en moins de gens qui se chargent de générer, d'entraîner et d'engager les formations. Surtout lorsque ces données prouvent à quel point sa propre organisation est indispensable, ce qui nous ramène au premier point.

Je pourrais naturellement émailler mon propos de maints exemples précis, mais je préfère conclure par une question : dans ces conditions, peut-on s'imaginer que l'armée soit en mesure de remplir sa mission en cas de crise ?

Posted by Ludovic Monnerat at 18h21

1 décembre 2007

L'arme et les munitions

En avril dernier, lorsque le Parlement débattait du maintien à domicile de l'arme de service et de la munition de poche, j'avais écrit - en toute logique - les lignes suivantes :

"D'un point de vue strictement sécuritaire, en revanche, l'absence des munitions militaires promet d'avoir un impact tout aussi limité, puisqu'il est très facile de se procurer en toute légalité des munitions du même calibre. J'aimerais bien avoir accès à des statistiques précises montrant combien d'actes violents commis avec des armes de service ont également impliqué les munitions de poche dans leur boîte close, et combien ont au contraire utilisé des munitions privées. De toute manière, il n'est pas rare que des citoyens-soldats - et notamment des cadres - conservent par devers eux un petit stock de cartouches "issues" d'une période de service, en parfaite violation des prescriptions sur l'emploi des munitions militaires. Et allez distinguer une GP 90 achetée dans le commerce d'une GP 90 reçue du chef mun..."

L'affaire du tueur de Höngg vient de confirmer la chose : ce jeune homme qui a tiré une unique balle de 5,6 mm sur une victime choisie au hasard, après avoir volé la GP 90 à l'armée, n'a pas eu recours à sa munition de poche pour commettre son crime. Du coup, l'apparence de solution trouvée au Parlement vole en éclats et le débat reprend de plus belle, motivé par un fait divers aussi spectaculaire qu'isolé, et qui, en fait, pose avant tout la question de l'aptitude à faire service avec un casier judiciaire étoffé. Mais puisque les adversaires de l'armée ne peuvent plus s'attaquer de front à celle-ci sans se couvrir de ridicule, les armes personnelles des soldats-miliciens offrent un angle d'attaque favorable dans ce que l'on nommerait une approche indirecte de l'objectif recherché.

Ce dont je peux témoigner à titre personnel, c'est que les munitions de poche sont actuellement retirées définitivement aux militaires en service, avec une célérité d'ailleurs surprenante, vu que les ordres en la matière ont été émis avant même que le mécanisme nécessaire à un tel retrait, avec un contrôle individuel performant, ne soit prêt. Maintenant, dans la même logique, comme après l'affaire de Marly l'an dernier pour le service de garde, on s'attend à ce que l'armée prenne des mesures draconiennes en réponse à une pression politique hors de la filière de commandement et impose un contrôle détaillé de toutes les munitions militaires. A quand le contrôle des détonations, appliqué aujourd'hui aux grenades à main, pour les petits calibres ? A quand de nouvelles restrictions appliquées à tous faute d'avoir le courage de filtrer les individus avant leur entrée dans l'armée ?

Posted by Ludovic Monnerat at 18h50 | Comments (5) | TrackBack

17 novembre 2007

Une articulation cellulaire

Rapidement en passant, un article qui souligne assez bien la structure et le fonctionnement d'adversaires non étatiques aujourd'hui :

"C'est un petit groupe islamiste bien organisé qu'a démantelé la police en plein milieu du Doubs. Mardi, sept islamistes présumés qui s'entraînaient pour partir combattre en Irak ont été interpellés à Pontarlier et Besançon. A leurs domiciles, la police a saisi un véritable arsenal : des tenues de camouflages, des armes de poing, des fusils à pompes, des répliques de Kalachnikov sans oublier des munitions. Des documents sur l'islam radical ont également été découverts."

Une manière supplémentaire de montrer le découplage entre l'espace et les forces...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h48 | Comments (197) | TrackBack

2 octobre 2007

Du mode majeur au mode mineur

Une manière de situer les opérations militaires le long de leur spectre consiste à fixer deux pôles : l'emploi des forces en mode majeur ou en mode mineur.

Le mode majeur correspond à l'emploi conventionnel des formations militaires, c'est-à -dire à la recherche ou à l'application ouvertes d'une supériorité durable sur un espace donné. Il s'exprime avant tout à travers les actions de combat symétriques (attaque, combat retardateur et défense), susceptibles d'occasionner un déchaînement destructeur de la force, mais recouvre également les actions de nettoyage, de contrôle, de protection ou de surveillance qui leur succèdent en cas de succès, et qui sont menées indépendamment dès lors qu'il s'agit de préserver le statu quo. En bref, c'est le métier traditionnel des armées, celui que l'on apprend à tous les officiers, celui qui forge le mode de pensée des états-majors.

Le mode majeur amène les formations engagées à se préoccuper essentiellement des effets militaires ou sécuritaires. Il suppose pour ce faire une assise politique des plus solides, due à l'ampleur des enjeux fondant l'action, ou à tout le moins un très large consensus, obtenu par la proportionnalité - voire la passivité - de l'action. On y recourt quand on le peut, soit quand on a les capacités, la volonté, la légitimité et l'opportunité pour revendiquer ou exercer la supériorité nécessaire. La conquête ou le contrôle de l'espace en est la finalité logique.

Le mode mineur correspond au contraire à l'emploi non conventionnel des formations militaires, c'est-à -dire à la recherche ou à l'application discrètes d'une supériorité ponctuelle dans une situation donnée. Il s'exprime avant tout à travers des actions dépassant le cadre strict du combat (contre-insurrection, guérilla, opérations psychologiques, opérations cybernétiques), reposant sur un effet multiplicateur de la force utilisée, mais recouvre également les actions entrant dans le cadre des opérations spéciales - reconnaissance spéciale, assistance militaire et action directe, voire évacuation de non combattants et libération d'otages. En bref, c'est le métier qui se développe (difficilement) au sein des armées, celui que l'on devrait également apprendre aux officiers, celui qui devrait compléter le mode de pensée des états-majors.

Le mode mineur amène les formations engagées à se préoccuper essentiellement des effets politiques, économiques ou informationnels. Il suppose en règle générale des risques politiques et militaires élevés, avec des conséquences graves en cas d'échec, mais que l'ampleur des enjeux justifie. On y recourt quand on le doit, soit quand on n'a pas les capacités, la volonté, la légitimité ou l'opportunité d'agir en mode majeur. La domination et l'influence des situations en est la finalité logique.

Le drame des armées contemporaines, c'est qu'elles n'ont pas encore mesuré le glissement du mode majeur au mode mineur qui, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliciter ici, s'est opéré ces dernières décennies. Du coup, elles ont une nette tendance à patauger et à commettre toutes les balourdises possibles dès qu'elles sortent de leur pré carré tactique et strictement militaire, et les coûts galopants des équipements conçus pour le combat symétrique engendrent sur le plan financier un cercle vicieux, par lequel la qualité, la quantité et la diversité deviennent mutuellement incompatibles. Avec pour conséquence le risque de rater toute modernisation des esprits et des machines, seule à même de permettre une action efficace dans les deux modes!

Le feedback est encore plus bienvenu que d'habitude sur ces réflexions !

Posted by Ludovic Monnerat at 11h31 | Comments (22) | TrackBack

22 septembre 2007

Le point faible des "contractors"

Intéressante évolution de la situation en Irak : les entreprises privées de sécurité, qui bien souvent déploient des formations militaires stipendiées, montrent leurs limites et leurs vulnérabilités stratégiques. La polémique entoure une société telle que Blackwater depuis plusieurs années, et les récents remous dus à une fusillade moins discrète que d'autres ne changent pas fondamentalement l'aspect du problème. D'ailleurs, le fait que les équipes de Blackwater ont repris leur mission au profit des diplomates américains montre bien la dépendance de la première puissance mondiale envers les sociétés que ses contrats ont rendu florissantes. Pourtant, une nouvelle réalité pénètre désormais les esprits : le fait que l'emploi durable de telles sociétés devienne en soi contre-productif.

Le type d'adversaire décentralisé et chaotique que les États-Unis notamment affrontent en Irak est intrinsèquement voué à une méthode de combat génétique, subissant la sélection : toutes les actions possibles, même les plus absurdes (tentative d'attentat suicide à pied face à un char de combat, par exemple), sont nécessairement tentées au moins une fois, et les plus efficaces - comme celles offrant les meilleures chances de survie - sont identifiées, retenues et perfectionnées. C'est d'ailleurs ainsi que les pertes terribles subies face aux Forces armées américaines et à leurs auxiliaires ne sont pas en soi un indice d'insuccès (à la différence de leurs effets sociétaux) : elles indiquent également des pratiques empiriques en cours à une vaste échelle, dont peut fort bien émerger une approche payante. Comme celle consistant à combattre des sociétés privées honnies de la population locale.

Après 4 ans de conflit non conventionnel, il est en effet clair que l'approche directe face aux militaires américains ne mène pas au succès (même si les médias occidentaux ne cesse depuis le début de gloser sur la prétendue "défaite" de ceux-ci) : l'apprentissage progressif de la contre-insurrection a permis aux Forces armées U. S. de préserver et de développer les effets multiplicateurs, dans la société irakienne, dont dépend le succès de leur action. Par ailleurs, le fait de combattre les alliés des Américains - c'est-à -dire avant tout des Irakiens n'ayant guère d'autre choix rationnel - s'est rapidement retourné contre ceux qui ont usé et abusé de cette méthode, et notamment les islamistes irakiens et étrangers. Les évolutions positives annoncées récemment par le commandement américain sont en partie la conséquence de cet échec. Toutefois, certains alliés des Américains sont des cibles rentables et acceptables : les soldats stipendiés de Blackwater et consorts.

La mentalité du "contractor" venu faire une rotation en Irak ou ailleurs est en effet le plus souvent à l'opposé de la contre-insurrection : il vient pour faire du profit, considère tous les locaux comme des menaces potentielles, ne se fie qu'à ses propres collègues (et encore, d'abord ceux issus de son ancienne tribu militaire ou civile), et donc se fout éperdument de l'impact qu'il aura au-delà du court terme. Derrière les prestations sécuritaires vantées par les privés se cache une vision au microscope de la sécurité, perçue dans le simple rapport de force tactique découlant de l'emploi de petites unités. Autrement dit, une grande part des sociétés de sécurité ont une approche contraire aux intérêts à moyen et à long terme de leurs clients, et leur incapacité à se fondre dans leur environnement de travail en fait un symbole contre-productif. Les attaquer est donc l'assurance d'en tirer parti : leur infliger des pertes est tout aussi positif que les forcer à combattre et à outrepasser leur rôle.

Cette soudaine révélation d'une vulnérabilité stratégique ne signifie pas la fin des armées privées en gestation, mais elle annonce déjà leur mutation, la nécessité d'évoluer au rythme des mesures et contre-mesures propre à n'importe quel conflit. Quitte à laisser au rebut des perceptions trop ternies, comme Executive Outcomes hier et peut-être Blackwater demain, pour renaître sous une autre forme, au gré des transferts toujours rapides de personnel et de savoir-faire...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h19 | Comments (21) | TrackBack

17 septembre 2007

Une escalade "prudemment calibrée"

Que préparent les États-Unis face à l'Iran ? Faute d'avoir le temps d'offrir ici une analyse détaillée, je trouve intéressant de lire cet article paru hier dans le Jerusalem Post :

According to senior US defense and intelligence officials that spoke with the Telegraph, the Pentagon has gathered a list of up to 2,000 targets including a major base run by the Iranian Revolutionary Guard Quds Force in the south.
Pentagon and CIA officers said that such a war would come to pass as a result of a "carefully calibrated program of escalation" that would lead to a "military showdown with Iran," the officials told the newspaper.
This scenario could arise once it was apparent that diplomatic efforts with the country were hopeless. When Iran would be internationally denounced for its interference in Iraq, the US could conduct cross border raids on Iranian training camps and bomb factories.
The report said that the raids would provoke a "major Iranian response" that could result in a halt to Gulf oil supplies; this in turn, said experts, would provide legitimacy to strike Iran's nuclear facilities and armed forces.

Un programme d'escalade "prudemment calibré", axé sur une suite prévue de réactions adverses, est à peu près un non sens stratégique, et j'espère pour eux que les Américains ont d'autres approches en réserve. De même, une liste priorisée de cibles interarmées comptant quelques 2000 items suggère une réédition des cercles de Warden, une théorie mise en oeuvre en 1991 face à l'Irak de Saddam Hussein et qui pêche par une considération bien trop limitée pour les phases "post attrition". Quant à rechercher en cours de route la légitimité nécessaire pour accomplir les actions décisives sans lesquelles toute la démarche reste vaine, elle me fait penser à ces formations blindées allemandes parties à l'assaut des Alliés dans les Ardennes, en 1944, en comptant leur dérober du carburant pour atteindre leur objectif final...

N'en doutons pas : les États-Unis sont aujourd'hui déjà en guerre contre l'Iran, à la fois en Irak et en Afghanistan, sur les marchés du globe ou encore sur nombre d'ondes. Depuis 2 ans au moins, ils procèdent à un isolement progressif du régime iranien qui multiplie l'effet de ses propres carences, notamment économiques, et qui illustre une approche indirecte sans doute la mieux à même de faire face à cette situation. Il est donc difficile de croire que l'administration Bush puisse sans raison apparente rompre avec cette stratégie et, alors qu'elle court sur son erre, se lancer dans une opération militaire autre que ponctuelle et limitée. Ce qui est bien différent d'une escalade par définition difficile à contrôler et à abréger.

Bien entendu, les renseignements disponibles en source ouverte ne suffisent pas pour appréhender les positions ainsi dévoilées dans cet article, et qui font davantage penser à la composante psychologique de cette campagne indirecte...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h15 | Comments (269) | TrackBack

14 septembre 2007

La dissimulation avant l'action

La dissimulation avant l'action est une constante dans l'art de la guerre ; fondée sur le camouflage, la diversion ou la déception, elle permet de préserver la surprise et d'empêcher, ou de retarder, la réaction de la cible. Les animaux l'emploient pour chasser depuis des millions d'années ; les hommes l'emploient pour combattre depuis des millénaires. Toutefois, l'évolution drastique du milieu au fil de l'urbanisation galopante fait que la dissimulation repose toujours plus sur une imitation de la normalité citadine et post-industrielle, comme le montre fréquemment la pratique du terrorisme, où la voiture piégée reste l'arme matériellement la plus efficace. Mais la méthode est accessible à tout un chacun, même si les forces armées restent étroitement liées à l'uniforme.

Prenez par exemple cet engin équipé d'un minigun, c'est-à -dire d'une mitrailleuse rotative au calibre 7,62 mm et capable de tirer 3000 coups à la minute : rien ne le distingue a priori des autres SUV dans lesquels circulent les citadins aisés, les convois gouvernementaux ou encore les équipes de sécurité privées. Pourtant, c'est bien une arme de guerre qui est ainsi disponible en quelques secondes sur un véhicule d'aspect commun, au lieu de la trouver sur un hélicoptère ou un avion d'appui aérien rapproché. Et l'utilité d'un tel montage est évidente : une rafale de minigun permet de neutraliser presque instantanément, par la densité de la gerbe, toute menace croyant avoir affaire à une cible facile. Le risque de dommage collatéral est évidemment énorme, mais il en va de même pour toute arme puissante.

Trimbaler une puissance de feu équivalente à celle d'une section d'infanterie (sans ses armes antichar, certes) dans un véhicule banalisé témoigne naturellement de la transformation de la guerre, de l'éclatement de l'espace face à la circulation des personnes et des idées, de l'absence de profondeur stratégique caractérisant notre ère de menaces immanentes et diffuses. Cela montre également que la décentralisation des capacités et des volontés d'agir est une réponse stratégique contemporaine, et qu'elle peut aussi bien s'exprimer par la prolifération des sociétés militaires privées, aptes à s'engouffrer dans les vides sécuritaires et dans les aires chaotiques, que par la responsabilisation accrue de l'individu, appelé à jouer un rôle croissant dans la sécurité locale sous des dehors des plus communs. Désarmer contre leur gré les citoyens-soldats serait d'ailleurs un contresens historique, à une époque où la guerre est plus que jamais l'affaire d'amateurs plus ou moins éclairés - pour ne pas dire illuminés.

Maintenant, il est clair qu'un véhicule ainsi transformé peut être très utile pour ouvrir la voie à l'heure des embouteillages... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h01 | Comments (15) | TrackBack

10 septembre 2007

Cocorico pour la Suisse !

C'est en cas ce que l'on peut en conclure en lisant le dernier billet de Jean-Pierre Chevallier sur son nouveau blog (le précédent ayant été supprimé pour des raisons pour le moins obscures) :

"La Banque Nationale Suisse mène une politique monétaire a priori normale depuis que la crise du subprime s'est manifestée, ce qui montre que le système bancaire suisse est fondamentalement sain, contrairement à ce qui se passe dans le reste de l'Europe et en Amérique du Nord."
"L'Helvétie bancaire reste propre en ordre : c'est encore le meilleur refuge du monde pour les capitaux. Comment font les petits Suisses, cernés de toutes parts, pour ne pas sombrer dans les turpitudes européennes ?"

Comment ? Probablement en s'inspirant du passé, en capitalisant (c'est le cas de le dire) sur une solide tradition en la matière, mais aussi en évitant les changements trop rapides, en s'adaptant progressivement à la nouveauté sans pour autant trahir les principes qui ont fait l'efficacité de leur place financière. Le Suisse est naturellement conservateur, méfiant, prudent, peu émotif, économe, calculateur, même s'il est capable de grands élans d'ouverture, de changement, d'innovation et de générosité face à des situations qui l'exigent. C'est donc, à moins que je ne m'abuse complètement, l'identité nationale suisse qui fonde en premier lieu ce meilleur refuge du monde, grâce à la stabilité qu'elle suppose. Ou comment ces caractéristiques à première vue ternes, voire risibles, sont une source de succès.

Cette valeur ajoutée à la constance et à la mesure révèle en fait une stratégie. On dit souvent que la Suisse n'a pas de stratégie, qu'elle n'a pas lieu d'en avoir ; on répète d'un air entendu certaines maximes à propos de l'Helvétie ("petits pays, petits soucis"), sans se rendre compte qu'il y a bien une approche générale relevant de la pensée stratégique, même si l'on s'y est tellement habitué qu'on ne l'identifie plus comme telle. Comment un pays dépourvu de presque toute ressource naturelle et outrageusement dépendant de l'extérieur (important aujourd'hui 100% de son énergie fossile et 40% de sa nourriture) pouvait-il atteindre une quelconque prospérité sans se rendre attractif aux yeux d'autrui, et donc sans se différencier par des atouts gagnants à long terme ? Une île au sein de l'Europe ne peut être isolée si elle offre des avantages uniques.

La stratégie suisse est plus éloquente pour qui s'intéresse à l'histoire militaire et aux dispositifs de défense préparés et adoptés depuis l'époque du général Dufour, tant la dimension économique y est étroitement intégrée. Mais c'est surtout la recherche de l'indépendance et la conviction en notre différence qui restent la marque d'une visée stratégique à part entière, et (encore) couronnée de succès. De quoi en revenir au cocorico... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h10 | Comments (13) | TrackBack

23 août 2007

L'action dans la profondeur

Dans les armées occidentales, la notion d'action dans la profondeur a été entérinée par la doctrine AirLand Battle, développée pour faire face à la menace soviétique en Europe ; jusqu'à nos jours, on tend encore ainsi à délimiter l'espace entre zone profonde, zone de contact et zone arrière (deep, close, rear), et de nombreuses notions en découlent, comme l'exploration dans la profondeur (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de kilomètres), le feu opératif (à des distances similaires) ou les commandements de zone arrière. En soi, cette délimitation de l'espace ne s'éloigne pas vraiment de celle élaborée au XIXe siècle par Jomini, et dont certaines expressions sont toujours utilisées (base d'opération, ligne de communication, etc.), à la différence près que la troisième dimension et la portée des armes modernes a été intégrée.

On mesure donc la mutation doctrinale que provoque l'interconnexion des champs de bataille, encore illustrée récemment par des incidents montrant la vulnérabilité des zones arrières et l'absence de profondeur stratégique : des familles de soldats britanniques et danois déployés en Afghanistan et en Irak ont reçu des coups de téléphone menaçants ou insultants, après avoir probablement intercepté des appels passés à partir de téléphones portables. Avec un effet sur les familles, déstabilisées par ces intrusions vocales et redoutant des actions violentes (par exemple venant de minorités étrangères présentes dans leur pays), mais aussi sur le moral des troupes, notamment par les restrictions afférentes dans l'emploi des communications.

De telles méthodes sont naturellement à double tranchant, et elles peuvent fort bien se retourner contre leurs auteurs ; nombre de combattants irréguliers ont été piégés, ces dernières années, par l'emploi inconséquent de technologies modernes. Mais ces méthodes montrent également que penser en réseau doit devenir la règle dans tous les domaines des opérations militaires, que le soldat individuel doit être intégré avec tous ses liens affectifs, et qu'un éventail complet d'actions adverses possibles, indépendamment de l'espace, doit impérativement être intégré dans toute planification d'emploi. Ainsi, pour revenir aux exemples cités, chaque contingent projeté dans une mission même de maintien de la paix doit faire l'objet dans le pays d'origine non seulement de mesures de sécurité opérationnelle, mais également de planifications prévisionnelles fondées sur la possibilité d'actions psychologiques menées sur leur entourage.

De ce fait, la structuration de l'espace ne peut plus être celle que nous a léguée la doctrine militaire du XXe siècle, mais doit tenir compte des capacités, de la volonté, de la légitimité et de l'opportunité d'agir des acteurs belligérants (ou potentiellement actifs dans un conflit). Par conséquent, la véritable action dans la profondeur - sans nier les difficultés tactiques et techniques liées à l'emploi de troupes loin de leur base d'opération - consiste non pas à pénétrer les espaces, mais bien à pénétrer les esprits ; non pas à influencer la disposition des forces adverses, mais bien à affecter la circulation des idées et émotions opposées ; non pas à porter la guerre sur le sol de l'ennemi (elle y fait déjà rage, pour peu que ce lieu soit accessible aux biens, aux personnes et aux informations), mais bien à mener celle qui inévitablement se déroule autour de nous.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h10 | Comments (9) | TrackBack

18 août 2007

Le retour du char de combat

Les chars de combat ont été introduits durant la Première guerre mondiale, ont largement décidé des premières campagnes de la Seconde et ont constitué l'un des piliers des forces armées conventionnelles durant la guerre froide. Pendant les 15 dernières années, leur nombre toutefois a connu une réduction massive, de l'ordre de 60% à 80% selon les armées, et de nombreux arguments étaient avancés pour expliquer leur obsolescence : poids excessif, difficultés de projection, profil inadapté, etc. Aux États-Unis, les Abrams - conçus pour défaire les blindés de type soviétique en Europe centrale ou en Corée - étaient même promis à une extinction assez rapide, en faveur de blindés plus légers et plus flexibles. Jusqu'à ce que les campagnes d'Irak et d'Afghanistan rappellent que l'équilibre entre puissance de feu, mobilité et protection dépend aussi de l'adversaire.

Alors que les Canadiens déploient par avion de transport géant leurs chars Leopard 2 d'occasion prêtés par l'Allemagne, symbolisant ainsi la course au blindage que provoquent également les conflits de basse intensité, les Américains ont décidé de prolonger la durée de vie de leurs Abrams et de transformer le modèle pour le maintenir en service jusqu'en 2050. La nécessité de mener des opérations de longue durée avec des pertes minimes a relativisé les problèmes de projection et renforcé les mesures de protection. Dans ce contexte, le char de combat perd sa fonction antichar pour devenir un élément lourd, utilisable en milieu urbain comme ouvert, pour assurer une liberté de mouvement face à toute arme légère ou presque susceptible d'être engagée par des combattants irréguliers.

Maintenant, si le char de combat est un outil performant sur le plan matériel, ses effets secondaires sur le plan immatériel ne doivent pas être sous-estimés ; de plus, accorder une priorité absolue à la protection des propres forces amène automatiquement à se couper de son environnement opérationnel, et donc à abandonner à l'adversaire toute initiative pour conquérir les coeurs et les esprits. Autrement dit, la persistance des chars de combat dans les forces armées ne signifie pas pour autant qu'ils vont en redevenir les pierres angulaires, mais simplement qu'ils vont mettre leurs capacités uniques au service de campagnes visant à convaincre autant qu'à vaincre, à stabiliser autant qu'à neutraliser.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h22 | Comments (21) | TrackBack

14 août 2007

Armées sans guerrier et guerriers sans armée

Les armées ont la réputation d'être des institutions attachées aux traditions, respectueuses de l'histoire, voire même tournées vers le passé. Pourtant, il est un domaine dans lequel elles ont connu une évolution aussi rapide qu'inquiétante : leurs mœurs, leur mentalité, leurs coutumes - bref, leur culture. J'ai l'impression que les formations militaires aujourd'hui ont l'air de rassemblements scouts par rapport à ce qu'elles étaient voici 20 ou 30 ans. Tout est plus calme, plus ordré, plus mesuré, plus tempéré qu'avant ; plus précis et plus technique aussi, voire plus complexe. Mais ces armées de l'ère numérique, dopées à l'électronique et aux présentations PowerPoint, ne paraissent guère avoir beaucoup de guerriers.

Il faut dire qu'une pression extérieure considérable s'exerce sur la moindre aspérité. Aimer les armes à feu est mal vu, car les armes sont dangereuses, on le sait ; s'afficher avec des armes confine à la provocation. Aimer la fusillade, les exercices de combat, les tirs bien nourris, est vite suspect : on ne veut pas de Rambos dans les rangs (et le dire est un refrain incontournable). Aimer la confrontation ou la bagarre est interdit : on veut des soldats présentables et dociles, pas des brutes ou des violents. Quant à aimer le combat, autant l'exprimer par wargame ou jeu vidéo interposé, sous peine d'être considéré comme trop dangereux pour les armées démilitarisées et émasculées de notre temps (toute ressemblance avec un assessment pour candidats instructeurs est purement intentionnelle).

Les lignes ci-dessus forcent le trait et ne tiennent pas compte de différences importantes d'un pays à l'autre ou d'une arme à l'autre. Elles témoignent toutefois d'une telle tendance à aseptiser et à édulcorer les rangs, à nier la nature violente et antagoniste de la fonction militaire, que la capacité même des armées à faire la guerre doit être mise en doute. Il est vrai que toutes les missions subsidiaires, auxiliaires et humanitaires qu'on leur impose, et qu'elles en viennent à accepter avec reconnaissance puisqu'elles se croient un mal nécessaire, ont pour effet de décevoir ou de dégoûter tous ceux qui ont à cœur de pratiquer le métier des armes. Surtout dans une société qui dévalorise systématiquement les traits de caractère masculins, tels que l'agressivité ou la compétition.

Mais l'économie globale de la sécurité recherche avidement ces guerriers, qui sont de plus en plus nombreux à pratiquer leur métier dans des sociétés militaires privées, et qui retrouvent l'environnement rude, martial et machiste dans lequel ils prospèrent. La demande galopante que génèrent les conflits déstructurés de notre ère exige en effet des réponses rapides et efficaces, voire brutales, et non les apparences dont peuvent se satisfaire les armées des pays réputés en paix. Cette sous-traitance des prestations combattantes a d'ailleurs des avantages politiques certains, puisqu'elle permet d'obtenir des prestations sécuritaires sans se salir les mains ; mais à force de privilégier les armées sans guerrier, on risque surtout de dépendre des guerriers sans armée au point d'en être otage.

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12 août 2007

Money changes everything

L'argent, dit-on, est le nerf de la guerre ; il est surtout l'expression monétaire d'une puissance qui peut se matérialiser par la capacité de la faire, voire d'en choisir le lieu et le jour. C'est une réalité sous-jacente des guerres de décolonisation que la faiblesse économique des nations européennes terrassées par la Seconde guerre mondiale : l'infériorité numérique des corps expéditionnaires n'avait rien de nouveau, puisque les conquêtes coloniales se sont faites par la force dans de telles conditions, mais la réduction ou l'absence de supériorité matérielle a suffi à faire pencher la balance. Rien de plus difficile que de constater la caducité des vers de Belloc ("Whatever happens we have got / the Maxim Gun and they have not") ; à Dien Bien Phu, les 17 bataillons français alignaient ainsi 9 batteries d'artillerie contre 15 - sans compter un régiment de lance-mines de 81 - pour les 5 divisions Viet Minh qui les assiégeaient. Le courage individuel ne compense jamais, à terme, un tel déséquilibre.

Une économie durablement forte est ainsi la condition pour produire une puissance militaire à même non seulement de protéger le sol national, mais également d'être projetée loin au-delà . Un exemple illustre actuellement cette réalité, celui de la Russie. Enrichie par ses ventes d'une énergie fossile aux prix très élevés, la Russie a remboursé ses dettes et stabilisé sa situation financière ; mais elle a aussi retrouvé une posture expansionniste digne de la guerre froide, envoyant ses bombardiers taquiner les forces de l'OTAN ou des Etats-Unis, ambitionnant le retour de sa flotte en Mediterrannée ou annonçant son intention de construire les porte-avions dont rêvaient les amiraux soviétiques. Pourtant, la chute des années 90 mettra du temps pour être digérée, et les éclats actuels ne sont jamais que l'arbre qui cache la forêt. La puissance militaire se réduit bien plus vite et facilement qu'elle ne se construit.

Toutefois, les grands systèmes d'armes ne sont pas toujours décisifs, notamment dans les conflits de basse intensité ; l'équipement individuel du soldat, et l'instruction qui fonde son emploi, l'ont été bien plus souvent. Or cet équipement n'a jamais cessé de voir son coût comme son efficacité augmenter dans des proportions ayant un impact stratégique. Durant la guerre froide, le combattant irrégulier équipé d'une Kalachnikov ou d'un RPG produits en quantités astronomiques par l'économie communiste avait une parité avec le soldat occidental ; désormais, les appareils de vision nocturne, les positionneurs GPS, les radios miniaturisées, avec bientôt l'interconnexion des senseurs, les vecteurs robotisés ou encore les blindages liquides, donnent et donneront - à condition d'en avoir les moyens - un avantage considérable. A volonté de combattre égale, on retrouve un déséquilibre similaire à celui de l'ère coloniale.

La question se pose de savoir si un État peut s'offrir le luxe d'équiper l'ensemble de son armée - et pas uniquement quelques unités spéciales transformées en vitrines - avec un tel niveau qualitatif. Les Etats-Unis, dont l'économie a connu une décennie florissante, investissent à présent 4,5% de leur PIB pour leurs armées, contre 6% du temps de la guerre froide ; encore faut-il déduire les 0,5% que coûtent les opérations de combat actuelles, ainsi que l'énorme coulage dont souffre le budget du Pentagone. En revanche, les États européens, et malgré la réduction des effectifs due à la professionnalisation des armées, n'arrivent guère à suivre. Le cas de la Suisse n'est pas différent : les derniers grands investissements dans l'équipement individuel datant de la première moitié des années 90, le soldat suisse est aujourd'hui singulièrement moins bien équipé que ses homologues occidentaux. Et l'acquisition d'un nouveau couteau ne va guère améliorer les choses !

La faiblesse militaire est un risque qui, avec le temps, a généralement des conséquences funestes sur le sort des nations. On peut me rétorquer qu'il suffit d'augmenter les budgets de la défense pour corriger le tir, même si plusieurs années sont nécessaires pour cela ; mais il reste à démontrer la capacité des États européens à augmenter leurs dépenses militaires alors que leurs économies n'ont qu'une croissance modeste, et que leurs charges sociales ne cessent d'augmenter. Maintenir des dépenses militaires élevées sans l'économie qui les autorise n'est pas non plus une solution, comme l'a montré l'effondrement du bloc soviétique. Une nation stable, homogène, prospère, recherchant une croissance marquée, avec une démographie saine et un niveau technologique élevé, semble donc la fondation la plus solide pour développer des capacités militaires lui permettant de maîtriser son avenir. Dans le cas contraire, la dépendance peut être longtemps dissimulée sous des considérations plus larges, mais les apparences ne durent pas éternellement.

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10 août 2007

Le temps perdu... peut-être

La lecture des mémoires du colonel Trinquier, intitulées Le temps perdu, et qui attendaient depuis des mois dans ma bibliothèque que je veuille bien leur porter l'attention qu'elles méritent, est particulièrement édifiante sur les rapports entre militaires et politiques dans les conflits contemporains. Au terme de son ouvrage et concluant sur l'abandon de l'Algérie, l'auteur écrit notamment ces lignes :

Il fallait d'abord ne pas mentir. On ne peut pas construire une politique sur l'équivoque et le mensonge permanents. On ne ment pas à des officiers engagés corps et âme dans une oeuvre pacificatrice qui les avait passionnés. La vérité finit toujours par sortir du puits et sa lumière crée alors des catastrophes.
Un pouvoir honnête aurait dû dès le départ éclairer son armée sur la finalité de sa politique, pour qu'elle oriente dans le sens voulu son action psychologique.

L'expérience des officiers français en Indochine et en Algérie, au contact des populations locales et visant à les associer à un projet stratégique, est aujourd'hui rejetée sans équivoque, voire condamnée pour sa dérive putschiste ; les dirigeants civils se gargarisent du primat de la politique sur les armées, alors que les chefs militaires se distancent du monde politique avec parfois de la crainte mêlée de mépris. La focalisation sur le combat symétrique de haute intensité, préparé et entraîné pendant des décennies en Europe durant la guerre froide, a facilité cette séparation et cette spécialisation. Jusqu'à ce que les armées soient entraînées dans des missions dites autres que la guerre, c'est-à -dire souvent des conflits de basse intensité, et se rendent compte que la politique en est toujours le terrain d'action déterminant.

L'action psychologique de l'armée française mentionnée par Trinquier relevait d'une conception globale, sociétale ; les opérations psychologiques des armées contemporaines sont pour l'essentiel des actions tactiques se limitant à une communication, voire à une propagande, considérée comme un élément d'appui pour les tâches sécuritaires. Il faut une situation inédite pour donner à des officiers une latitude d'agir comparable à celle dont jouissait les coloniaux, comme en Afghanistan à la fin de 2001, lorsque les forces spéciales américaines menaient une action à la fois militaire et politique pour renverser les Taliban, éliminer le plus de combattants islamistes, mais également préparer le pouvoir politique qu'il s'agirait d'installer au terme de l'invasion. Et encore : la structure mentale rigide des armées conventionnelles, largement imperméable à la nature sociétale du conflit, n'a pas tardé à reprendre ses droits et son emprise.

Pourtant, l'éclatement de l'espace et du sens, à travers le flux des personnes et des informations, fait que le temps perdu de Trinquier et consorts ne l'est pas nécessairement : la forme des conflits dans lesquels l'armée française - avant d'autres - s'est empêtrée reste en effet celle qui prédomine aujourd'hui, à la différence près qu'elle n'est plus réservée à des théâtres d'opérations lointains ou séparés de la métropole. En d'autres termes, face à l'apparition et à la multiplication de zones de non droit dans les villes européennes, face également à l'hétérogénéité croissante des populations sur le plan ethnique et religieux, on voit apparaître chez nous des conditions sociétales où prospèrent naturellement de telles méthodes conflictuelles. Méthodes que des armées barricadées dans leurs places d'armes, obnubilées par l'emploi de leurs armements et surtout indifférentes à la politique ne pourront guère davantage maîtriser.

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9 août 2007

La dissonnance des enjeux

Un billet de Stéphane Montabert sur le site de la Revue Militaire Suisse pose une problématique aussi difficile à aborder qu'elle est importante, suite au cas de soldats israéliens refusant les ordres de leurs chefs militaires pour suivre ceux de chefs religieux :

On peut penser que ces défis sont circonscrits à Tsahal, l'armée nationale d'un Etat imprégné du parfum de la théocratie. Mais on peut aussi estimer que ces problèmes sont exacerbés, non par la piété des soldats, mais par les missions de combat auxquelles il font face. Dans d'autres pays du monde, combien de conscrits ou de volontaires accepteraient d'accomplir une mission frappée d'un interdit religieux? Tant que l'armée se cantonne à des exercices et des simulations, nul ne peut y répondre.

Il s'agit donc ici de l'obéissance des militaires dans des missions coercitives autres que le conflit symétrique de haute intensité dans un cas de défense nationale, c'est-à -dire de l'usage de la force alors que les enjeux des donneurs d'ordres entrent en dissonnance avec d'autres enjeux pour tout ou partie des soldats. Le thème n'est pas nouveau ; Napoléon savait à merveille jouer du nationalisme et de l'honneur pour entraîner ses soldats dans des campagnes dont les enjeux les dépassaient entièrement. Mais l'avènement de la guerre totale, qui culminera avec les deux conflits mondiaux du siècle dernier, a justement abouti à mélanger dans les esprits la capacité, la volonté, la légitimité et l'opportunité d'employer la force - alors que ces quatre éléments sont précisément distincts.

C'est devenu un lieu commun que de voir les armées comme des institutions tournées vers le passé, repliées sur un précarré tactique et technique, largement indifférentes à l'évolution de la société qu'ils ont pour mission de défendre, de protéger et d'aider ; dans une large mesure, c'est pourtant tout à fait exact. De nos jours, la plupart d'entre elles s'efforcent d'exploiter au maximum les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour augmenter leur propre efficience matérielle, et des sommes phénoménales sont investies dans l'acquisition de réseaux sur lesquels seront centrées les opérations. Mais les armées n'ont toujours pas intégré le fait que les guerres modernes se gagnent dans l'esprit des populations, comme le disait déjà le colonel Roger Trinquier voici longtemps. Et encore davantage lorsque ces populations alimentent les armées en effectifs.

Ce qui nous ramène à l'obéissance de soldats confrontés à des enjeux dissonnants. En partant du principe que la volonté de défense assurait le fonctionnement des armées, on a oublié que la menace militaire classique n'est qu'une forme possible de la guerre, voire qu'une singularité, et que l'adhésion des soldats doit être obtenue autrement que par l'excitation nationaliste ou par l'esprit de corps exacerbé (lesquels aboutissent au rejet et à la haine de l'autre). En d'autres termes, une armée engagée dans des opérations coercitives autres que la guerre conventionnelle, et qu'elle seule peut effectuer, doit assurer une consonnance entre les enjeux perçus au niveau des dirigeants politiques et ceux perçus par ses soldats, développer la loyauté envers l'intérêt général du souverain (c'est-à -dire du peuple, car nous parlons ici de démocratie) et non envers les intérêts particuliers, et donc faire un effort tout particulier dans l'aptitude psychologique et éthique à servir, au lieu de se concentrer sur l'aptitude physique et cognitive.

Il existe des troupes qui intègrent cette dimension humaine, qui visent à développer l'indépendance et la maturité de l'individu ; dans l'armée suisse, c'est en particulier le cas des grenadiers, où sont inculquées des valeurs qui renforcent l'instruction militaire et permettent de former des citoyens-soldats qui, ensuite, seront les sentinelles et les gardiens d'un pays, d'un peuple, d'une histoire, et qui sauront les servir en toute circonstance. Du moins le conçoit-on ainsi, car effectivement seule la réalité du conflit et de l'opposition permet de vérifier ces facteurs psychologiques autrement impossibles ou presque à quantifier...

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7 août 2007

La question des ventes d'armes

L'actualité de ces derniers jours a été marquée par l'annonce d'importantes ventes d'armes à destination de pays tout sauf anodins : les 20 milliards de dollars d'armement offerts sur 10 ans par les États-Unis aux pays du Golfe, complétés par l'aide militaire accrue au profit d'Israël, les projets avancés de vente d'armes concurrentes de la Russie auprès de l'Iran, et les contrats pour 405 millions de dollars que la Libye affirme avoir signés afin d'acquérir des armements et des équipements français. Si ces accords ne doivent au moins en partie qu'au hasard d'être rendus publics simultanément, les démarches qui les fondent ont suffisamment de points communs pour être considérées dans une même perspective.

Ce qui n'exclut pas d'emblée de souligner leurs différences : on ne peut pas comparer la vente de missiles antichars et de radios digitales à la Libye, c'est-à -dire de matériels complémentaires, à la vente prévue de 250 avions de combat modernes avec 20 avions ravitailleurs à l'Iran ou à celle de navires de guerre, d'armes intelligentes et de mises à jour pour avions de combat à l'Arabie Saoudite. Les produits de pointe que l'industrie française de l'armement se destine à livrer au colonel Kadhafi et à ses successeurs ont avant tout une vocation défensive sur la base d'opérations terrestres, alors que la manne américaine et russe se concrétise par des capacités à la fois défensives et offensives, par une aptitude à la projection de puissance comme à un contrôle accrue de l'espace aérien, naval et terrestre. Même si les négociations avec Tripoli ne sont pas closes.

Il n'en demeure pas moins que les ventes d'armes de haute technologie, sous la forme de contrats rentables ou de subventions, génèrent un lien à la fois d'influence et de dépendance du fournisseur à l'acquéreur. La dépendance est évidente : non seulement la maîtrise de l'enveloppe opérationnelle est extrêmement difficile pour le client (on se demande toujours si les F/A-18 suisses seraient en mesure de tirer un missile sur leurs homologues américains...), mais les fonctions transversales nécessaires à la disponibilité opérationnelle de ces engins (logistique, télématique, électronique, informatique, etc.) ne sont à la portée que des armées les plus modernes. En d'autres termes, c'est bien joli d'avoir des F-15 modernisés équipés de bombes guidées par GPS, mais sans les compétences pour programmer les systèmes d'armes ou de vol, ces engins sont à peu près aussi utiles à la guerre aéroterrestre qu'un aspirateur asthmatique.

En ce qui concerne l'influence, je me permets de citer ce que j'écrivais en début d'année dans la Revue Militaire Suisse :

En partageant les outils d'une puissance que seuls les Etats peuvent brandir et employer durablement, cette prolifération favorise la reproduction d'une structure politique et d'une doctrine combattante analogue à celle des fournisseurs. En d'autres termes, donner de quoi faire la guerre à l'occidentale réduit l'intérêt de faire la guerre autrement, et mène au développement de forces armées plus faciles à mesurer et à contrôler. Acheter le Rafale revient à acheter la culture stratégique qui l'a produite et à en adopter, même partiellement, les valeurs cardinales. Une manière de lutter contre la déstructuration et la privatisation de la guerre, et donc de préserver la puissance étatique traditionnelle.

A condition, encore une fois, que les États ainsi armés par des puissances exportatrices ne se livrent pas à des conflits symétriques de haute intensité qui provoqueraient une ruine sans équivalent.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h05 | Comments (6) | TrackBack

2 août 2007

La théorie et la pratique

Le Département fédéral de la Défense a annoncé aujourd'hui la révision des règlements de conduite de l'armée sur le thème de la sûreté sectorielle : après la Conduite opérative XXI au début de l'année, c'est la Conduite tactique XXI qui a reçu un complément (apparemment disponible pour l'heure uniquement en allemand) à ce sujet. Derrière cette non information, qui bien entendu ne sera pas reprise dans les médias traditionnels (à part si quelques spécialistes viennent à les commenter), se cache en fait une grande avancée dans la coopération en matière de sécurité intérieure, un grand pas vers une bien meilleure compréhension entre organisations civiles et militaires. Même s'il reste nécessaire de faire la différence entre la théorie et la pratique.

En fait, tout a commencé lorsque les militaires suisses, appliquant les directives du Conseil fédéral exprimées dans son Rapport sur la politique de sécurité 2000 et dans le Plan directeur de l'Armée XXI, ont élaboré le concept de sûreté sectorielle pour désigner des missions en-dessous du seuil traditionnel de la guerre, visant à protéger des secteurs, des axes ou encore des objets. Dans un premier temps (je m'en souviens, je faisais partie des premiers "cobayes" à l'automne 2002 lorsque le premier SFEMG de l'Armée XXI testait les premières versions de ces règlements), on a parlé simplement de sûreté sectorielle, puis on a ajouté les adjectifs préventifs et dynamiques pour désigner une menace respectivement avant tout asymétrique et symétrique. Mais l'élément-clef, issu de la pensée fédérale, c'est que les militaires pensaient avoir la responsabilité de l'engagement.

Dans les cantons et les communes, les civils ne l'ont pas entendu de cette oreille : lors du premier exercice d'état-major visant à appliquer la Conduite opérative XXI, les autorités civiles ont clairement fait comprendre à l'état-major de la région territoriale concernée qu'elles étaient responsables de la sécurité sur leur territoire, et qu'elles ne demandaient l'appui de l'armée qu'à titre subsidiaire ; autrement dit, qu'elles conservaient pleinement la responsabilité de l'engagement. Stupeur chez les militaires : la sécurité intérieure, même en cas de menace grave, ne peut pas se traiter comme la défense du territoire, avec une conduite centralisée au niveau fédéral et déléguée au commandement de l'armée. Etant par nature pragmatiques, ils ont donc adapté leur doctrine et tenté de l'harmoniser avec celle des forces civiles. Tout en laissant les politiques, au niveau fédéral et cantonal, maintenir le statu quo sur la question des responsabilités par rapport à une situation normale.

La théorie militaire s'est donc heurtée à la pratique civile. Mais la théorie civile ne risque-t-elle pas de se heurter à la pratique militaire ? C'est qu'en cas de crise aiguë et prolongée, la capacité des communes et des cantons à conduire les actions menées par les forces de l'ordre, quelles qu'elles soient, est pour le moins douteuse ; les organisations militaires, qui sont conçues pour précisément faire face à ce genre de situation, se rendent bien compte que leurs homologues civils adoptent des solutions "de beau temps" et ont tendance à limiter les scénarios considérés en fonction de leurs capacités actuelles. Question de vocation et de priorité, bien entendu, le pessimisme méthodologique des uns s'opposant à l'immédiateté optimiste des autres. Pour l'heure, cela ne mange pas de foin, et de toute manière les militaires ont la responsabilité de l'espace aérien, alors on peut bien faire des compromis que l'on sait bancals.

Il n'en demeure pas moins que l'importance croissante des missions de stabilisation, voire de protection de nation (pour introduire une expression à mon sens nécessaire), et ce indépendamment des frontières, est très largement due à la perte de capacité, de volonté et de légitimité des autorités politiques. Dans ces conditions, considérer les armées comme de simples fournisseurs de prestations sécuritaires revient à loucher sur le bout de son arme au lieu de pointer la cible...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h02 | Comments (7) | TrackBack

30 juillet 2007

Le dilemme de Guantanamo

Le camp de prisonniers de Guantanamo Bay, ouvert dans la foulée de l'opération "Enduring Freedom" et alimenté par la suite en individus capturés de par le monde, a depuis 5 ans été érigé en symbole de tout ce qu'il y a de néfaste et de répréhensible dans la guerre menée par l'Amérique de George Bush. Au-delà des comparaisons délirantes avec les goulags de l'ère soviétique, force est de rappeler que les obligations liées au droit des gens en temps de guerre n'ont pas été remplies par les Forces Armées américaines, puisque les tribunaux militaires prévus pour accorder ou non le statut de prisonnier de guerre (il vaut la peine de souligner que celui-ci est lié à des conditions précises...) n'ont jamais comblé leur retard initial. L'amélioration substantielle des conditions de détention n'y change rien.

Pourtant, lorsqu'une étude montre qu'au moins 30 anciens détenus de Guantanamo ont été tués ou capturés lors de combats en Afghanistan et au Pakistan, et que 95% d'entre eux constituaient une menace claire pour les intérêts américains en raison de leur affiliation à la mouvance islamiste, la question se pose en des termes différents : que faire des hommes faits prisonniers sur les champs de bataille du djihad si l'on ne dispose pas d'un camp comme Guantanamo ? Les opposants les plus radicaux à cette prison militaire doivent en effet trouver une solution à la neutralisation d'individus se revendiquant comme des combattants et affirmant leur volonté de reprendre la lutte s'ils en ont la possibilité. Et avec des bases légales solides.

Dans les conflits classiques qui ont fondé les Conventions de Genève, le prisonnier de guerre reste détenu jusqu'à la fin officielle des hostilités et la signature des armistices ou accords de paix afférents. Mais dans les conflits déstructurés de notre ère, ce principe équivaut soit à détenir indéfiniment des individus en l'absence d'une autorité susceptible de négocier la paix, soit à ne pas pouvoir les mettre hors d'état de nuire en-dehors d'une élimination sur le champ de bataille. L'approche généralement préconisée par les opposants aux tribunaux militaires, basée sur le droit commun, est en effet contredite par la motivation guerrière des prisonniers et par leur refus systématique de reconnaître la moindre faute, le moindre crime. Ce qui nous ramène à la case départ...

Les forces armées confrontées à ce dilemme ont certes développé leur capacité à éliminer les combattants individuels, grâce notamment à l'interconnexion des senseurs/décideurs/effecteurs et à la précision accrue des systèmes d'armes ; mais cela n'offre pas de solution globale. C'est tout le principe des relations internationales comme base du droit de la guerre qui doit être remis en question, et des notions de capitulation ou de réparation individuelle doivent être explorées pour tenter d'esquisser cette solution. L'avènement de l'individu comme acteur stratégique a en effet pour corollaire l'avènement d'un droit de la guerre considérant cet individu comme un être responsable, à même de répondre de ses actes. Il faudra bien des déboires et des drames avant d'y parvenir, mais je ne vois pas d'autre perspective.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h20 | Comments (42) | TrackBack

24 juillet 2007

La Belgique, non-État ?

Suite à l'affaire du nouveau Premier ministre belge méconnaissant l'hymne national belge au point d'entamer la Marseillaise lorsqu'on lui demande de le chanter, il est pertinent de se demander si la décrépitude de l'État belge ne va pas devenir le premier non-État européen. Je vous invite ainsi à lire les réflexions de Joseph Henrotin à ce sujet sur son blog Athéna et moi, en l'occurrence ici et ici :

En gros, le principe est que passé un certain stade de technocratisation de l'Etat, la rationalité animant ce dernier vise la pérénisation des statuts des communautés le composant, l'Etat lui-même étant devenu une modalité de régulation de la vie entre ces communautés.
J'avais eu l'occasion d'en toucher quelques mots à des collègues, cette fois en Bosnie (vous savez, la zone géopolitiquement déterminée où l'empilement de niveaux de pouvoirs a fini par absorber en salaires de fonctionnaires 65% de son budget - tiens, le même chiffre que l'armée belge !).
Le problème avec un non-Etat est que la relation entre "Etat" et "nation", pourtant centrale pour la viabilité du contrat social, tout comme elle hante l'esprit des politologues depuis le traité de Westphalie est non précisée, les communautés évoluant sans guère communiquer. Toute forme de "sens de l'Etat" est donc à proscrire.

[...]

Une nouvelle étape décisive, donc, dans la vie conceptuelle de la théorie du non-Etat (l'ironie est là pour aider à surpasser un certain nombre de déceptions) et une belle preuve d'une vision ultra-technocratique des choses. Pas nécessairement une étape décisive pour le vivre-ensemble...

Si tel est l'avenir dessiné par l'Union européenne pour ses États membres, il est évident que cette voie suicidaire doit être traitée comme telle...

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23 juillet 2007

Une armée à bout de souffle

Les révélations faites ces derniers jours par le Daily Telegraph sur l'état de l'armée britannique vu par son commandant, le général Richard Dannatt, sont riches d'enseignements. L'incapacité de fournir le moindre renfort aux contingents actuellement déployés, le maintien d'une maigre réserve de 500 hommes pour toute urgence à domicile ou au-delà , comme la disponibilité opérationnelle réduite des parachutistes faute d'avions pour les parachuter, témoignent d'un épuisement avéré. Il suffit d'ailleurs de consulter ce communiqué du Ministère britannique de la Défense pour mesurer l'ampleur de la crise : pour engager une brigade renforcée, centrée autour de 11 bataillons de mêlée et d'appui, il a fallu prendre des généralistes et des spécialistes dans pas moins de 34 autres corps de troupes terrestres !

L'effort actuellement fourni par l'armée britannique, avec notamment 13'000 soldats déployés en Irak et en Afghanistan, ne semble pourtant pas insurmontable sous l'angle du seul volume. Dans les faits, ces opérations de contre-insurrection impliquant des déploiements longs et risqués dans un climat éprouvant posent aux militaires britanniques des problèmes de rétention qui aboutissent à un sous-effectif de 3500 soldats d'active, soit environ 3% des quelque 101'000 militaires déployables. Il est assez frappant de constater que l'armée britannique perd à peu près 30 fois plus de soldats par les démissions que sur le champ de bataille ! Alors que pendant longtemps les pertes étaient dues bien davantage à la maladie qu'au combat, nous vivons désormais une époque où elles s'expliquent à la fois par la concurrence économique et par la déliquescence du service militaire.

Un autre aspect du problème, vécu dans nombre d'armées professionnelles occidentales (entre autres), est le fait que les opérations extérieures tendent de plus en plus à être accomplies par une minorité de militaires, et non par leur grande majorité au gré des rotations. Qu'un opérateur d'une force spéciale britannique comme le SAS soit engagé hors du pays 8 mois sur 12, passe encore : les unités non conventionnelles ont une telle plus-value qu'elles n'ont jamais suffisamment d'effectifs. En revanche, il n'est pas normal que des bataillons conventionnels doivent "cannibaliser" d'autres unités pour atteindre leur disponibilité opérationnelle, au niveau qualitatif comme quantitatif. La proportion non déployable d'une armée est généralement un chiffre dérangeant au sein des états-majors, mais se reposer systématiquement sur le même noyau d'idéalistes n'est pas une solution viable à moyen terme déjà .

C'est donc bien le modèle de l'armée britannique, et par extension des armées professionnelles axées sur la projection et la rotation de forces, qui semble au moins partiellement en cause (les dérives sociétales et identitaires étant un autre chapitre). En fait, le gouvernement britannique demande aujourd'hui à son armée terrestre de mener des opérations de pacification largement similaires à celles de l'ère coloniale sans aller au bout de sa pensée, c'est-à -dire sans en faire une armée sédentaire, occupante, crainte car impitoyable, mais aussi énergique, créative, pour tout dire colonisatrice. Les officiers britanniques en garnison au XIXe siècle en Inde ou ailleurs n'avaient pas peur d'user de la force, de revendiquer leur supériorité civilisationnelle, et donc de conduire les populations locales ; à l'ère post-coloniale, tout cela est honni et haïssable. A proscrire sans plus y penser.

Du coup, les soldats vont et viennent sans mesurer le sens de leur action. Et hésitent de moins en moins à le faire pour plus d'argent auprès d'une société privée, puisque c'est leur principal intérêt. On pourra me rétorquer que les armées à bout de souffle émanent généralement de sociétés qui le sont aussi, et que les modèles des unes sont étroitement liés à ceux des autres. Je ne vois guère d'argument contraire, et donc je conclus en ouvrant le débat...

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22 juillet 2007

Le rôle des mosquées

Le principe de protection des biens culturels et la présentation de l'islam comme "religion de paix" correspondent de moins en moins à la réalité en ce qui concerne les mosquées. Il ne s'agit pas ici de dévoiement ou de détournement, chose assez commune dans les conflits, puisque les bâtiments religieux offrent généralement des points de vues avantageux qui en font des postes d'observation prises, mais bien d'une utilisation combattante délibérée, qui viole directement le droit des conflits armés et qui montre le lien, voire la consubstantialité, entre les appels au djihad et sa mise en oeuvre.

Voici des années que des mosquées sont utilisées en Irak pour appeler à la violence (y compris terroriste), pour stocker des armes et des munitions, pour abriter des combattants et leur offrir une protection supplémentaire : durant la bataille de Falloujah en novembre 2004, la moitié des 100 mosquées que compte la ville ont ainsi été utilisées. De même, la récente prise de la mosquée rouge à Islamabad a montré que les forces pakistanaises ont dû affronter des combattants équipés de fusils d'assaut, de mitrailleuses, d'armes antichars ou encore d'explosifs, et qu'ils été retranchés dans des lieux fortifiés, ceci sous la direction de l'imam islamiste abattu au terme de l'opération.

Ces exemples tirés du monde arabo-musulman sont un augure inquiétant au lendemain de l'arrestation en Italie d'un imam et de ses adjoints dans une mosquée transformée en lieu de recrutement et d'entraînement au djihad :

Italian anti-terror police said they found barrels of chemicals and instructions on how to pilot a Boeing 747 in the Ponte Felcino mosque on the outskirts of Perugia, a city known for its Renaissance architecture and idyllic countryside. A fourth suspect was being sought.
"The investigation has shown that, in the Ponte Felcino mosque, there was a continued training for terrorist activity," anti-terror police head Carlo De Stefano said. "We have discovered and neutralized a real 'terror school,' which was part of a widespread terrorism system made up of small cells that act on their own."
Police identified the imam as 41-year-old Korchi El Mostapha, and his two aides as Mohamed El Jari, 47, and Driss Safika, 46. A fourth Moroccan suspect was believed to be abroad. All four were suspected of conducting training with the aim of international terrorism.

Bien entendu, cet événement a une dimension nettement moindre, et fait plutôt penser à une petite cellule d'exaltés et d'amateurs ultraminoritaires ; il reste d'ailleurs à démontrer leur capacité matérielle à exécuter une attaque terroriste, car il y a loin du téléchargement de vidéos sur Internet au passage réussi à l'acte combattant. En même temps, cette utilisation délibérée d'une mosquée comme outil de guerre et les liens entretenus avec la mouvance islamiste en général montrent que l'on ne peut prévenir ou remporter une guerre sociétale sans accepter de prendre en compte toutes ses dimensions et toutes ses manifestations, sans renoncer à ses propres conceptions pour intégrer celle nos ennemis déclarés.

Une manière également de souligner que les minarets ne sont qu'un aspect presque incongru d'un problème bien réel...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h57 | Comments (15) | TrackBack

21 juillet 2007

Un autre blog à découvrir

J'ai découvert aujourd'hui un blog que je vous conseille de lire, Théâtre des opérations, créé par François Duran et consacré à des réflexions à la fois stratégiques et tactiques.particulièrement longues et détaillées. Le nombre de blogs francophones consacrés à la stratégie militaire serait-il en marche vers une certaine masse critique ?

Posted by Ludovic Monnerat at 22h32 | Comments (8) | TrackBack

11 juillet 2007

Le début de la grande lutte (2)

Les événements récents au Pakistan, avec la prise d'assaut d'une mosquée transformée en redoute islamiste, ainsi que d'autres actions faisant ponctuellement l'actualité comme la poursuite du conflit en Algérie et l'augmentation des tensions au Liban, semblent confirmer le début de cette grande lutte dont je parlais le mois dernier. Les attaques verbales des islamistes contre l'armée libanaise, toujours aux prises avec le Fatah Al Islam, sont désormais aussi régulières que les attaques contre les Occidentaux et les appels à les combattre. Et les armées nationales, en dépit de leurs divisions et des incertitudes sur leur avenir, jouent un rôle croissant dans cette lutte impitoyable.

Cette évolution de la situation montre par la bande la leçon qui a été tirée des changements de régime opérés en Afghanistan et en Irak : dans la mesure où combattre un État revient toujours à favoriser les non-États, à ouvrir des espaces où le chaos prolifère, le renforcement des États fragilisés et fréquentables est une priorité stratégique. Il pemet d'avoir des partenaires et des alliés susceptible de mener en leur nom propre et sur leur sol la lutte nécessaire au niveau planétaire. Par opposition, les États infréquentables doivent être fragilisés jusqu'au point d'être contraints à la négociation aussi longtemps qu'un changement de régime implique largement plus de risques que d'opportunités ; ce qui est probablement la position retenue face à l'Iran, avec le caractère dilatoire et incertain d'une telle démarche, mais avec l'avantage de prouver en grande partie l'insanité des conceptions islamistes.

Une question intéressante mérite à ce stade d'être posée : combien de combattants islamistes ont été tués ou blessés depuis septembre 2001 ? Une estimation grossière de ma part porte sur environ 100'000 morts et le double de blessés, avec pour théâtre d'attrition principal l'Irak et l'Afghanistan, mais également des pertes sensibles dans le Maghreb, dans les territoires palestiniens, au Liban, en Tchétchénie, au Pakistan, en Inde, aux Philippines ou encore en Somalie. Sans compter les campagnes de répression menées dans nombre de régimes autoritaires du monde arabo-musulman, des campagnes qui souvent sont d'ailleurs contraires à l'opinion publique. Avec une telle estimation, il faut ensuite se demander si cette hécatombe en cours est significative, ou si le djihad global imposera une attrition d'une autre magnitude avant d'être vaincu. Je pense que nous sommes quelque part entre les deux, mais il est bien difficile de juger...

Quoi qu'il en soit, on ne peut plus aujourd'hui douter du fait que cette grande lutte oppose en premier lieu, dans les faits, des musulmans à d'autres musulmans. Cela ne veut pas dire que le facteur religieux soit le seul à être déterminant, bien entendu, mais cela permettre de mieux comprendre, à mon sens, la dimension du conflit.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h58 | Comments (39) | TrackBack

8 juillet 2007

L'inertie de la haine (2)

Un article publié hier dans Le Figaro et écrit par deux spécialistes en matière de terrorisme, permet de remonter le fil des attentats terroristes tentés ces dernières semaines à Londres et à Glasgow. Il est en particulier intéressant de voir comment les auteurs fournissent l'arrière-plan temporel de ces nouvelles attaques contre la Grande-Bretagne :

On sait aujourd'hui, grâce aux indices relevés sur les dispositifs de mise à feu qui n'ont pas fonctionné dans les voitures piégées de Londres et de Glasgow, que huit djihadistes dont sept sont médecins, dirigés par un Irakien, Abdallah Bilel, et un chirurgien jordano-palestinien natif d'Arabie Saoudite, Mohammed Jamil al-Icha, ont mené l'opération. Ce groupe venu d'Irak avait été infiltré en Grande-Bretagne depuis un peu plus de deux ans. Exécutants, ils étaient connectés à un, ou plutôt deux «cerveaux». [...]
Ces deux «cerveaux» font partie d'un réseau démantelé en 2004. Son leader, Dhiren Baret, britannique d'origine pakistano-indienne, a été condamné à la prison à vie en novembre 2006. Il est l'auteur d'un manuel djihadiste de 40 pages, que le médecin irakien Abdallah Bilel a utilisé pour piéger la voiture à Glasgow.
Dhiren Baret, alias Reza al-Hindi, a été recruté, en 1995, dans un camp cachemiri, par l'activiste jamaïcain, Abdullah al-Faiçal, lieutenant de Khalid Cheikh Mohammad. Outre Khalid Cheikh, Dhiren Barent a aussi côtoyé Hambali, le chef d'al-Qaida en Asie du Sud-Est.

En d'autres termes, les attentats manqués de Londres et de Glasgow, qui auraient pu coûter la vie à des centaines de personnes et exercer une pression majeure sur le nouveau gouvernement britannique, sont encore la conséquence de la politique laxiste menée par les autorités britanniques et de leur tolérance incompréhensible envers les idéologues islamistes. Mais ils découlent encore de la liberté d'action considérable accordée dans les années 90 à la mouvance islamiste, à ses activités de recrutement et de formation, qui ont créé des capacités et des affinités très difficile à réduire substantiellement. L'inertie de la haine n'est donc pas une vaine expression, et la durée des préparatifs opérationnels (2 ans) est largement inférieure à celle de l'élan qui les ont motivés.

L'insouciance et l'aveuglement de la décennie précédente, certes faciles à condamner avec le recul, n'ont pas fini de nous poursuivre...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h45 | Comments (1) | TrackBack

2 juillet 2007

Le terrorisme au quotidien

Or donc, j'étais la semaine dernière à Londres, en pleine passation de pouvoir entre Tony Blair et Gordon Brown, et donc aux premières loges pour assister aux affres d'une nation en proie à une menace terroriste pleinement concrétisée. D'ailleurs, les titres de « peur face au terrorisme » que j'ai pu lire dans la presse continentale avaient bien de la peine à se vérifier au gré de l'humeur égale des Londoniens que j'ai croisés dans le métro et à l'aéroport. Les mesures de sécurité draconiennes prises pour déjouer des attentats, comme les innombrables caméras de surveillance ou les appels constants à la vigilance des passagers, semblent pleinement entrées dans les mœurs.

En fait, pour la petite histoire, je suis passé à l'emplacement exact de la première tentative d'attentat quelques heures avant ce dernier : le logo du club « Tiger Tiger » avait attiré mon regard, et je me suis attardé quelques secondes pour l'observer. Loin de moi l'idée qu'il pouvait s'agir d'une cible potentielle pour des terroristes islamistes, et que l'attaque préparée par ces derniers aurait pu tuer une bonne centaine de personnes, puisqu'une ville regorge de telles cibles. En revanche, il est clair qu'une attaque à la voiture piégée, avec des sous-munitions sous la forme de clous, est presque impossible à déjouer dans un tel environnement dès lors que l'action est déclenchée sans information préalable.

L'échec des attentats de Londres et de Glasgow ne peut cependant guère procurer de soulagement, car les lacunes ainsi soulignées au niveau des préparatifs ne sont pas destinés à durer : les réseaux terroristes islamistes sont des organisations aptes à l'apprentissage malgré leur décentralisation - les attaques du 11 septembre 2001 montrant par exemple les leçons des échecs enregistrés lors du premier attentat du World Trade Center en 1993 (incapacité à produire des dégâts majeurs par manque de puissance explosive) ou lors du détournement raté de l'Airbus d'Air France en 1994 (incapacité à utiliser l'avion comme missile guidé par manque de pilote parmi les terroristes).

Parmi les mesures prises par les services de sécurité britanniques ces derniers jours, les plus importantes sont donc l'acquisition et l'analyse des renseignements afin de pouvoir adapter au plus vite les évaluations en cours sur les capacités d'agir, la volonté d'agir ne faisant hélas guère de doute. Ces attentats manqués de justesse auraient pu faire un carnage aussi bien dans les rues de Londres qu'à l'aéroport de Glasgow, et ainsi avoir des conséquences importantes sur la crédibilité des autorités britanniques comme sur celle de leurs ennemis. Prévoir les prochains modes d'action et se préparer en conséquence devient déjà la réponse à ce nouveau pic d'activité offensive.

En revanche, les terroristes islamistes ne mesurent de toute évidence pas à quel point les attaques de ce type, même manquées, sont contre-productives pour leur cause globale : alors que le nouveau premier ministre Gordon Brown se faisait directement interpeller sur les pertes britanniques en Irak par des médias désireux de faire immédiatement pression, ceux-ci ont été contraints du jour au lendemain de consacrer leurs couvertures à la menace terroriste et donc de relativiser ou même de contredire leur perception des opérations en Irak. Rendre compte de la globalité d'un conflit aboutit en effet à affaiblir toute démarche déconnectée de l'ensemble, comme l'exigence d'un retrait immédiat des troupes d'Irak.

Le terrorisme permet parfois d'éviter la défaite, mais il gagne à être manié de façon ciblée et limitée!

Posted by Ludovic Monnerat at 20h27 | Comments (76) | TrackBack

27 juin 2007

L'approche indirecte face à l'Iran (2)

Les récits de violences et de protestations en Iran, suite à l'instauration d'un rationnement de l'essence et à la diminution de son subventionnement, constituent l'une des premières preuves de l'efficacité de l'approche indirecte choisie par les États-Unis pour faire face au régime des mollahs, et notamment de leur étranglement économique. Extrait :

Hard-line President Mahmoud Ahmadinejad came to power in the 2005 election based largely on his promises to improve the faltering economy. But his failure to do so has sparked widespread criticism.
"This man Ahmadinejad has damaged all things. The timing of the rationing is just one case," said Reza Khorrami, a 27-year-old teacher who was among those lined up at one Tehran gas station before midnight.
Iran is the second-biggest exporter in the Organization of Petroleum Exporting Countries. But because it has low refining capability, it has to import more than 50 percent of its gasoline needs. To keep prices low, the government subsidized gas sales, saddling it with enormous costs.
Under the rationing plan, owners of private cars can buy only 26 gallons of fuel per month at the subsidized price of 38 cents per gallon. Taxis can get 211 gallons a month at the subsidized price.

Bien entendu, quelques protestations et quelques critiques ne forment pas une lame de fond. Mais c'est bien l'une des principales vulnérabilités économiques iraniennes qui est ainsi mise en évidence dans sa dimenson stratégique, et l'incapacité du gouvernement actuel à sortir du cercle vicieux actuel (pénurie - importation - subvention - pas d'investissement - pénurie croissante) est une menace majeure pour la pérennité du régime politique à Téhéran. Surtout si les fonds énormes investis dans le programme nucléaire ne parviennent pas suffisamment vite à porter leurs fruits, sous la forme d'une capacité nucléaire à même de capitaliser le nationalisme iranien (ou perse) et de figer les rapports de force militaires.

Dans ce contexte désespérant pour les mollahs, on comprend mieux la présence militaire américaine dans le Golfe, c'est-à -dire l'effet psychologique qu'elle vise à exercer : l'économie use et détruit, l'armée protège et dissuade.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h10 | Comments (32) | TrackBack

25 juin 2007

Une nouvelle éruption au Liban ?

L'attaque à la voiture piégée qui a tué hier 6 soldats de la FINUL, dont 3 Espagnols et 3 Colombiens servant dans l'armée espagnole, n'est bien entendu pas une surprise : ce n'était qu'une question de temps, puisque cette force multinationale sans capacité de s'interposer est pourtant gênante. Le mode opératoire, lui non plus, n'est pas étonnant : c'était déjà la voituré piégée qui avait été employée en 1983 contre les soldats français et américains, avant que cette méthode se généralise. Enfin, le fait des militaires espagnols soient tués au Moyen-Orient rappelle simplement que le retrait d'Irak n'a pas servi à grand chose, bien au contraire, et que toute présence militaire dans cette région est automatiquement un risque important.

La question qui se pose aujourd'hui est celle des raisons d'une telle attaque. S'agissait-il d'intimider la FINUL pour l'empêcher de signaler le renforcement constant des préparatifs militaires et des transferts d'armes au Sud Liban, ou plutôt de provoquer une réaction qui légitimerait une campagne d'attentats à son encontre ? Alors que les possibilités de guerre ouverte entre Isräel, le Hezbollah, la Syrie (et donc l'Iran) sont plus hautes que jamais, alors que l'armée libanaise a pris son parti en neutralisant une milice islamiste et ainsi signalé l'évolution des esprits au pays des cèdres, le pari de l'Europe reste bien dangereux. Et le risque d'une répétition des événements de l'été dernier pour la communauté internationale, avec une évacuation massive de ressortissants menacés (lesquels sont pour la plupart revenus), est particulièrement élevé. Sans doute les planifications prévisionnelles vont-elles bon train dans les états-majors occidentaux...

En tout état de cause, une nouvelle éruption au Liban ne devra pas grand chose à la FINUL, ce contingent militaire placé d'emblée dans l'impossibilité de remplir sa tâche principale, et tout aux oppositions fondamentales qui continuent de caractériser le Proche-Orient. Essayer d'en réduire les conséquences pour ses intérêts nationaux est une démarche logique et responsable.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h31 | Comments (12) | TrackBack

20 juin 2007

Les arcanes de la chose militaire

Ces derniers jours, mes fonctions professionnelles m'ont amené à certaines réflexions sur le devenir d'une armée, quelle qu'elle soit, aux prises avec les décisions de la classe politique. Je ne peux bien entendu citer d'élément précis, puisque le tout est classifié, mais le pilotage d'une entité aussi massive que l'armée s'accompagne mal de décisions prises d'une année à l'autre sans continuité. Le refus l'an dernier de l'étape de développement 08/11, et son acceptation toute récente avec des changements en apparence minimes, peuvent donner l'impression d'un simple ralentissement ; dans les faits, les négociations sur le nombre de bataillons de chars, en parallèle à la redéfinition de l'engagement militaire dans la sécurité intérieure, font que les militaires doivent profondément revoir leur planification pour la période 2008-2011. Et parfois s'interroger quant à la faisabilité des "solutions" qu'on leur impose depuis le Palais fédéral...

C'est une chose assez fascinante que de voir les décisions des parlementaires être décortiquées dans leurs moindres implications par les chevilles ouvrières des grandes subdivisions de l'armée, et de constater que des problèmes majeurs sont posés ne serait-ce que par l'inadéquation fondamentale entre moyens et missions. Il est également éclairant de voir que certaines conséquences, en raison de l'inertie propre à l'institution militaire, débordent très largement sur la période 2012-2015, alors que l'actuelle législature est polarisée par la proximité des élections fédérales. Sans doute un jour serait-il bon que les décideurs politiques prennent le temps d'être informés dans le détail des dossiers sur lesquels ils sont appelés à se prononcer ; j'imagine d'ailleurs qu'il doit en être de même dans la plupart des autres domaines. On peut toujours rêver...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h12 | Comments (1) | TrackBack

15 juin 2007

La grande défaite des Palestiniens

Qui se souvient encore de ceux qui célébraient les "accords" de la Mecque conclu par le "Gouvernement d'union" palestinien, qui y voyaient un "immense progrès" vers la paix ? A l'heure où la victoire du Hamas dans le bande de Gaza a fait éclater toute apparence d'union, les discours pro-palestiniens des commentateurs européens illustrent un décalage non seulement avec la réalité, mais également avec la perception de celle-ci. Car c'est bien une grande défaite que les Palestiniens viennent de subir ces derniers jours : avec les massacres, les pillages et les vengeances du groupe terroriste Hamas, avec également l'imposition du régime islamiste à l'ensemble des habitants, il n'y a désormais plus de "cause palestinienne" digne de ce nom. Mis à part dans l'esprit de ses tenants les plus forcenés de par chez nous.

Cette image d'un combattant piétinant le portrait de Yasser Arafat est symbolique de la scission désormais brûlante entre les islamistes du Hamas et les nationalistes du Fatah, entre la légitimité spirituelle et temporelle, entre des élans identitaires globaux ou locaux. La conquête de la bande de Gaza, présentée comme une seconde libération, fait entièrement exploser le cadre d'une lutte vendue depuis des années comme une résistante légitime à l'occupation israélienne ; et c'est désormais la bannière de l'islam conquérant qui symbolise en grande partie les Palestiniens, au lieu du keffieh tellement séduisant aux yeux des révoltés en mal de cause. Autant dire une déclaration de guerre à tous ceux qui ne jurent pas par la charia, et donc une intégration directe dans le conflit entre le fondamentalisme musulman et les démocraties libérales.

Ce retournement de situation s'explique naturellement par la brillante décision stratégique d'Ariel Sharon, par le sacrifice des implantations sur le bande de Gaza ayant abouti à une soustraction aux coups directs de l'adversaire, condamné dès lors à retourner sa propre violence contre les siens. Mais cette autodestruction est également la conséquence de l'instrumentalisation de la population palestinienne dans la lutte contre l'État juif, de l'idéalisation de la lutte armée, de l'endoctrinement permanent au service d'une cause guerrière. A force d'avoir fait de l'action armée un but en soi et non un moyen pour parvenir à un but donné, celle-ci est devenue un mode de vie, une partie de l'identité populaire, et donc un chancre mortel. Il faudrait probablement procéder à un délavage généralisé des cerveaux pour contrebalancer la propagande créée sous l'égide de Yasser Arafat et donner à la population palestinienne une chance d'accepter la paix !

Dans l'immédiat, cette défaite palestinienne est également un succès israélien, puisque la bande de Gaza n'est plus désormais qu'un espace supplémentaire où s'est manifesté le jihad planétaire, et où le combattre est une nécessité pour tout État de droit. Il revient dès lors aux dirigeants israéliens de faire preuve de subtilité et d'exploiter cet avantage immense en recherchant une normalisation à même de désamorcer bien des hostilités à leur endroit. Sans pour autant perdre de vue qu'il leur est bien plus utile d'avoir un ennemi implacable et bouillonnant à leur porte qu'un ennemi non moins implacable mais patient à la table des négociations...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h39 | Comments (23) | TrackBack

13 juin 2007

Le début de la grande lutte

Si diviser pour régner était une approche stratégique valable à l'ère coloniale, son application moderne semble tout aussi prometteuse. Les événements majeurs des dernières semaines dans le monde arabo-musulman, source ou lieu de la majorité des conflits armés au monde, sont à cet égard instructif : la guerre civile palestinienne, précipitée par le piège de la liberté, prend des proportions qui ne permettent plus de l'ignorer ; les opérations offensives de l'armée libanaise contre une milice islamiste palestinienne, qui bénéficient d'un large soutien, ont illustré l'évolution des esprits dans la population ; le soulèvement croissant des sunnites irakiens contre les combattants islamistes, convoité par le gouvernement national, impose une autre lecture du conflit irakien. On pourrait citer d'autres exemples d'hostilités ouvertes ou résurgentes, du Pakistan à l'Algérie en passant par la Corne de l'Afrique.

Ces développements me font penser que la grande lutte a bel et bien débuté ; non seulement le combat entre les démocraties libérales et le fondamentalisme musulman, que l'interpénétration des cultures avive inévitablement, mais aussi et surtout le combat entre modernes et archaïques au sein même du monde arabo-musulman. C'est le cauchemar d'Oussama ben Laden, la hantise suprême d'Al-Qaïda : alors que le déclenchement des hostilités contre le monde occidental devait leur permettre de conquérir les coeurs et les esprits de leurs coreligionnaires, et donc de prendre le pouvoir temporel, ces derniers réagissent au contraire face à la pratique du terrorisme et à l'imposition de la loi islamique. Il est assez intéressant de constater que là où les commentateurs prédisaient des millions de terroristes suite aux opérations offensives déclenchées dès l'automne 2001 par les États-Unis, nous voyons aujourd'hui des millions de démocrates se précipiter aux urnes lorsque des élections légitimes sont proposées, et des millions de gens s'opposer aux terroristes.

Si cette analyse est correcte, elle éclaire d'un jour différent les actions des différentes nations occidentales durant cette décennie. Et elle montre surtout que l'heure n'est pas au retrait et au repli sur soi, pour les pays engagés dans cette offensive, mais bien à la capacité de durer et de poursuivre la lutte en dépit d'un soutien politique pour le moins incertain.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h37 | Comments (54) | TrackBack

11 juin 2007

Armée : la fin d'une absurdité

Le Conseil fédéral a annoncé aujourd'hui sa volonté de réduire les engagements de l'armée en service d'appui au profit des autorités civiles, c'est-à -dire les engagements AMBA CENTRO (protection des ambassades), LITHOS (renforcement du Corps des gardes-frontières) et TIGER/FOX (mesures de sécurité du trafic aérien). Cette décision doit encore être approuvée par le Parlement, mais elle provoquera certainement de nombreux soulagements dans les rangs de l'armée, où l'absurdité de la garde statique des ambassades en remplacement des services d'instruction a provoqué un ressentiment croissant, voire parfois des écarts de conduite frappants. Le sentiment de servir de main d'oeuvre bon marché pour compenser les heures supplémentaires des corps de police devrait ainsi disparaître, puisqu'aux 800 soldats actuellement engagés devraient succéder 125 professionnels de la sécurité militaire.

Cette décision annonce également un revirement concernant l'emploi de l'armée dans la sécurité intérieure. Alors que celui-ci était voici encore 10 ans une chose très rare, ce sont aujourd'hui plus d'un millier de soldats qui sont chaque jour déployés pour appuyer les autorités civiles à remplir leurs tâches régulières, dans une situation normale. Ce contre-emploi des moyens militaires a même provoqué des dérives, comme la tendance à spécialiser l'infanterie dans des missions autres que le combat, l'engagement de moyens aériens au bénéfice d'abord des civils et ensuite des militaires, ou encore le bricolage d'équipes recherchant des missions analogues à celles des corps de police sans aucune demande ou décision politique allant dans ce sens. En remettant ainsi l'église au milieu du village, le Conseil fédéral signale que les tâches subsidiaires ne sauraient devenir principales.

Cela ne signifie pas que les militaires n'ont aucun rôle à jouer dans la sécurité intérieure, comme l'affirment régulièrement des syndicats de police inquiets d'une absurde concurrence ; c'est simplement que les militaires doivent venir en complément et non en remplacement des policiers et autres gardes-frontière, en fournissant ponctuellement des compétences qui ne sont tout simplement pas disponibles au sein des corps constitués civils. La distinction toujours plus ténue entre sécurité intérieure et extérieure ne permet certes plus des séparations tranchées, mais cela doit précisément aboutir à une complémentarité des moyens dans le cadre d'une conception globale. Et la vocation des militaires reste inévitablement la dissuasion, la prévention, la mitigation et la neutralisation des menaces stratégiques de haute intensité, fût-ce par des missions de longue durée au-delà des frontières pour éviter l'apparition même de telles menaces.

Bien entendu, les soldats de milice n'en ont pas fini dans l'immédiat avec les cours de répétition lénifiants, passés à protéger des bâtiments déjà fortement sécurisés, puisqu'il faudra une période de transition d'au moins 3 ans. Il faudra cependant un jour s'interroger sur le coût réel d'une telle mission, menée pendant plus d'une décennie, sur la disponibilité de l'armée, sur son niveau d'instruction et sur la motivation de la troupe.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h20 | Comments (19) | TrackBack

10 juin 2007

Le nouveau Chef de l'Armée et ses nombreux défis

La désignation de l'homme qui succèdera au commandant de corps Christophe Keckeis met fin à des mois de suspense, mais suscite également la surprise : en choisissant le brigadier Roland Nef comme futur Chef de l'Armée, Samuel Schmid a trompé tous les pronostics et choisi un officier général peu connu du grand public.

L'actuel commandant de la formation d'application des blindés et de l'artillerie, âgé de 47 ans, va ainsi prendre la tête de l'armée à l'instant où celle-ci doit appliquer la première optimisation de la réforme Armée XXI. Et les défis qui l'attendent ne seront pas uniquement ceux générés par la tâche qui lui incombera.

...

La suite ici !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h10 | Comments (3) | TrackBack

4 juin 2007

L'approche indirecte face à l'Iran

Au début de 2006 a eu lieu sur ce site une tentative de planification militaire participative en ligne visant à appréhender les contours d'une opération armée contre les projets d'arme nucléaire en Iran ; le temps m'a manqué pour mener cette expérience à son terme, mais il est rapidement apparu qu'une opération coercitive et ouverte multipliait les complications, alors qu'une approche indirecte, utilisant d'autres lignes d'action stratégique que le seul recours à la force armée, semblait davantage adaptée. Si l'on en croit ces informations, c'est bien une telle approche qui a été retenue par les États-Unis, notamment par le biais de sabotages industriels rappelant certains épisodes de la guerre froide :

In January 2007, the head of Iran's Atomic Energy Agency, Vice-President Gholamreza Aghazadeh, said after an explosion at the Natanz nuclear facility (the first Iranian plant to attempt enrichment) that some of the equipment had been "manipulated." The explosion destroyed 50 of the plant's centrifuges.
Other evidence has indicated that sabotage was the reason for some of the technical problems Iran has encountered in its enrichment enterprise. Sources told CBS intelligence agencies have altered technical data, making it "useless."

Dans la pensée stratégique, on recourt à l'approche indirecte lorsqu'une approche directe est trop risquée ou trop coûteuse ; dans ma propre conception stratégique, une action telle que le sabotage industriel s'effectue en mode distant dans le domaine matériel et vise à provoquer un engagement contre-productif des ressources iraniennes. Bien entendu, elle est complétée par d'autres mesures, dont notamment les sanctions économiques et la communication subversive, ainsi que par un recours flagrant aux capacités militaires à des fins dissuasives, mais aussi protectrices (aussi bien envers les alliés des États-Unis qu'envers leur propre stratégie). Ceci dit, l'avantage de l'approche indirecte, pour peu qu'on lui en laisse le temps, est de fournir des résultats probants avec un minimum de risque et de ressources.

Le temps reste donc le facteur déterminant de la lutte en cours.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h29 | Comments (11) | TrackBack

2 juin 2007

La violence comme but en soi

Voici quelques années, je me suis intéressé à l'organisation et à l'exécution de la violence militaire à l'occasion des grandes rencontres internationales. Ce qui se produit aujourd'hui relève apparemment de la même logique, mais avec une application encore plus polarisée : selon les informations disponibles, les combats de rue qui se sont déroulés à Rostock, en préambule au sommet du G8, ont ainsi fait 150 blessés parmi les policiers, dont 25 graves. La scénario habituel s'est répété, avec des bandes de criminels entourés de manifestants "sinon pacifiques" qui se déchaînent contre les forces de l'ordre et les portions de ville subissant leur présence. Ou quand la violence comme but en soi engloutit dans son sillage enflammé tous les autres buts des masses rassemblées.

Il est assez amusant de constater que l'estimation des effectifs diffère dans un sens : alors que les leaders altermondialistes annoncent 80'000 manifestants contre 25'000 pour la police, celle-ci chiffre à 2000 le nombre de criminels camouflés contre 300 à 600 pour les altermondialistes. Quoi qu'il en soit, si l'on accepte les chiffres de la police (laquelle dispose d'hélicoptères pour observer les foules), un affrontement entre d'une part 2000 combattants équipés de cocktails molotov et d'autres projectiles, et d'autre part 5000 policiers utilisant des lances à eau et des grenades lacrymogènes, tourne invariablement à l'avantage des premiers dès lors que ceux-ci peuvent s'appuyer sur la coopération passive des manifestants. Si les altermondialistes croient qu'un autre monde est possible, ils ne parviennent guère à en présenter une image attirante, sinon pour ceux qui ne cherchent que le chaos...

COMPLEMENT (3.6 0830) : Les derniers chiffres parlent maintenant de 304 policiers blessés hier, dont 30 grièvement, avec 78 personnes interpellées sur quelque 3000 criminels. A ce niveau-là , on se situe certainement au-delà des émeutes focalisées sur les dégâts matériels, et on entre déjà dans le domaine des conflits armés...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h58 | Comments (97) | TrackBack

29 mai 2007

Le danger de la suprématie

Ces derniers jours, j'ai fini par prendre le temps de lire un ouvrage qui restait depuis longtemps sur la pile des livres en attente : Not A Good Day To Die, de Sean Naylor. Ce n'est pas que ce récit de l'opération "Anaconda", début mars 2002 en Afghanistan, ne m'intéressait pas ; c'est que le récit d'une bataille essentiellement conventionnelle ne me paraissait pas prioritaire, au vu des formes prises par les conflits armés actuels. Cette lecture s'est pourtant révélée fort instructive.

Pour des raisons multiples, allant de l'incompétence individuelle au dysfonctionnement technique en passant par la concurrence institutionnelle et l'esprit de clocher, les militaires américains ont en effet commis un nombre invraisemblable d'erreurs dans cette opération destinée à anéantir une concentration de combattants islamistes :

Une telle accumulation d'erreurs, conjuguée à une presque parité numérique, aurait logiquement dû aboutir à un désastre. Dans les faits, les Américains ont supprimé entre 75 et 100 combattants ennemis pour chacun de leurs soldats tués. Les yeux posés au préalable sur l'objectif par les forces spéciales, les moyens de protection individuels des soldats, la précision des fantassins en tir direct, la capacité des hélicoptères de combat à encaisser le feu adverse, l'efficacité des frappes aériennes guidées à partir du sol, les qualités de conduite démontrées par les chefs subalternes, notamment, ont permis de remporter une victoire presque inespérée.

Ce qui n'a pas échappé aux perdants de cette bataille. Si même un combat pied à pied mené dans des conditions favorables, avec un terrain renforcé, des armes nombreuses, des munitions abondantes, ainsi que des combattants bien entraînés et suprêmement motivés, mène finalement à une défaite, c'est bien que tout affrontement direct et durable doit être évité par-dessus tout. Et que le recours à la guérilla, au terrorisme ou à la désinformation sont les meilleures armes susceptibles de mettre en échec la suprématie militaire. Dans ces conditions, on se demande pourquoi la recherche de celle-ci reste le but principal des armées dans leur instruction comme dans leur équipement!

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28 mai 2007

Renseignement et culture

La France vient de doper ses capacités de renseignement par la mise en service d'un nouveau système d'interception des connexions, nous apprend aujourd'hui Le Figaro ; placé dans les locaux de la police nationale, ce centre technique constitue une réponse à l'emploi toujours plus fréquent des nouvelles technologies de l'information et de la communication à des fins terroristes ou combattantes. Avec 300 requêtes par semaine de la DST et des RG depuis le 2 ans, il répond donc à un besoin évident. Même si les limites de la méthodes sont soulignées :

Pour l'heure, la France n'est pas encore le pays de Big Brother. Le nombre des interceptions judiciaires dans l'Hexagone est 15 fois moins important qu'en Italie, 12 fois moins élevé qu'au Pays-Bas et 3 fois inférieur à celui de l'Allemagne. Le criminologue Alain Bauer met toutefois en garde: « Il faut se méfier de la tentation de la ligne Maginot électronique. Trop d'écoutes tue les écoutes. Nos amis Américains en ont fait la triste expérience en 2001 et depuis. »

Lorsque l'on confronte les méthodes élaborées qu'emploient les États pour lutter contre le terrorisme et les méthodes en évolution rapide des réseaux terroristes islamistes, on constate en effet que l'importance du renseignement ne doit pas dissimuler celle, décisive, de tous les éléments identitaires et cognitifs que l'on peut rassembler sous le terme flou de culture. Les interceptions électroniques sont des actions essentiellement défensives au niveau tactique (prévention d'actes ponctuels) et opératif (prévention de campagnes d'attentats), alors que ce sont bien des actions offensives au niveau stratégiques (altération des causes du conflit, neutralisation des belligérants) qui permettent la décision. Ce ne sont pas seulement des organisations combattantes qu'il s'agit d'affecter, mais bien le substrat culturel qui leur permet de prospérer.

Les services de sécurité européens en général et français en particulier mènent une lutte efficace contre le terrorisme ; le nombre d'attentats déjoués depuis des années en est l'une des preuves les plus éloquentes. En revanche, les sociétés européennes en général hésitent encore à accepter la guerre menée contre elles, même si les perceptions évoluent dans ce sens. Et seule une telle perspective permet d'exploiter les outils techniques tels que le nouveau centre d'interception français, dans la mesure où un conflit de dimension sociétale ne peut en aucun cas être mené uniquement avec des moyens policiers ou militaires. Une affirmation certes banale, répétée maintes fois ces dernières années, mais qui tarde toujours à trouver une application au niveau politique - même si le nouveau Gouvernement français semble en tenir compte...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h22 | Comments (24) | TrackBack

26 mai 2007

Le décalage permanent

Commander une formation de combat dans une armée en temps de paix est l'assurance d'un décalage permanent. D'un côté, assurer la disponibilité de base d'une troupe passe par la définition d'un programme d'instruction exploitant au mieux le temps limité des services, en faisant des efforts principaux sur certaines matières, avec pour conséquence des besoins importants en infrastructure et en biens logistique. D'un autre côté, l'importance négligeable de l'armée dans la vie quotidienne, en-dehors de ses prestations permanentes au profit des autorités civiles, fait que ces besoins s'opposent à des limites sévères sur le plan financier, avec pour conséquence des installations en liquidation, du matériel en nombre insuffisant, des partenaires débordés, etc. On a presque l'impression d'être parfois "de trop", de gêner cette société obsédée par le profit, par le court terme, par le prévisible.

La vie des Forces armées est nécessairement faite d'expansion et de régression, selon l'évolution de la situation stratégique et de sa perception au sein des classes dirigeantes comme de la population. Dans la Suisse d'aujourd'hui, on maintient tant bien que mal la capacité opérationnelle d'une armée avant tout par inertie, par habitude ou par tradition, et non sur la base d'une démarche consensuelle, d'une analyse des risques et menaces, d'une vision globale des prestations militaires dans des sociétés en mutation rapide. L'importance de l'instruction, la volonté de servir, le développement des effets se font largement de bas en haut, dans une institution militaire dépourvue de soutien comme de direction politique. En tout cas dans la perspective d'un commandant de bataillon, c'est-à -dire du niveau tactique intermédiaire entre la troupe et les grands états-majors.

Ce qui compte, c'est donc de sauver les meubles, de construire l'avenir tant bien que mal, de préparer dans sa sphère de responsabilité cet outil qui, un jour, immanquablement, comme toujours, sera mis à contribution dans une situation de crise avec un personnel, une instruction et un équipement inadaptés.

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14 mai 2007

Le piège de la liberté (3)

Le fameux piège de la liberté annoncé ici au début 2006 n'en finit pas de se refermer sur les Palestiniens, et malgré le prisme inégal des médias, la guerre intra-palestinienne commence à être couverte par les médias. Et si la loi des armes qui règne dans la bande de Gaza est désormais décrite dans ses détails sordides, la forte poussée islamiste ne peut plus être dissimulée :

En l'absence de toute autorité crédible, quelques mois auront suffi pour que Gaza se transforme en une jungle.
La relative accalmie dans les combats entre les militants islamistes du Hamas et ceux du Fatah, ainsi que la formation d'un gouvernement de coalition regroupant les deux partis n'y ont rien changé. L'obscuran­tisme religieux, mêlé aux pratiques mafieuses et au chaos des armes gagne chaque jour du terrain. « Les Gaziotes vivent avec la peur au ventre, explique Samir Zaqout de l'association de défense des droits de l'homme Al Mezan. Les meurtres et les enlèvements se multiplient depuis le début de l'année. Et tous les indicateurs montrent que cela ira de pire en pire. »
Al Mezan a recensé 178 enlèvements et 147 assassinats, dont 21 meurtres commis sans raison apparente, pour le premier trimestre de 2007. Les institutions palestiniennes et les établissements accusés de diffuser une culture « pro-occidentale », notamment les cybercafés, sont victimes d'attaques de type djihadiste.

Ce n'est plus seulement l'islamisme teinté de nationalisme qui a cours dans les territoires palestiniens : c'est bien l'islamisme conquérant, celui qui ensanglante une bonne partie du monde arabo-musulman, qui aujourd'hui s'exprime dans ce chancre de Gaza. Et les démissions politiques, succédant à l'impuissance des dirigeants comme à la vacuité des cessez-le-feu, soulignent à quel point l'instrumentalisation guerrière de la population palestinienne, cette gigantesque fabrique à monstres, cet endoctrinement dès le plus jeune âge, s'est retournée contre leurs auteurs et leurs ambitions. Dans le chaos et la pauvreté, ceux qui ont été soudain privés d'ennemi lorsque ce dernier s'est retiré derrière sa barrière de sécurité en sont réduits à se battre entre eux.

En Israël, l'amputation stratégique qu'a constitué le retrait de Gaza - après celui du Sud-Liban - continue de nourrir la discorde ; il est vrai que les Forces de défense israéliennes y ont perdu des bases d'attaque remarquablement positionnées. Mais cette soustraction est aujourd'hui en train de réaliser l'impossible : anéantir le soutien international massif dont jouissait depuis très longtemps la lutte palestinienne. Bien entendu, on trouve encore dans les médias sympathisant ces récits biaisés, ces images toujours efficaces d'enfants palestiniens lançant des pierres sur des chars israéliens, cette perception émouvante et choquante du tout petit face au tout grand. Mais la victoire israélienne dans la deuxième Intifada a disqualifié cette approche axée sur la légitimité, et le retrait de Gaza a exploité l'avantage acquis jusqu'au but ultime : normaliser le conflit israélo-palestinien.

La poussée islamiste dans les territoires palestiniens, les pressions exercées de l'extérieur sur le Hamas au moindre relâchement dans ses actions combattantes, les attentats frappant les symboles occidentaux dans la bande de Gaza, tout cela fait que l'Israël ne sera bientôt plus qu'un État parmi d'autres confrontés à une menace islamiste prenant la forme du terrorisme et de la guérilla. Et les Israëliens, au fur et à mesure qu'augmente la légitimité de leurs mesures de sécurité, retrouvent une marge de manoeuvre sur la scène internationale qui autorise ponctuellement des actions coercitives de grande envergure, telles qu'ils n'ont plus l'habitude de les mener. Une symétrisation du conflit qui gagnerait donc, en toute logique, à un retrait définitif de Cisjordanie et de l'imposition de frontières défendables. En d'autres termes, échanger la terre non pas contre la paix, mais contre un chaos qui dilue la guerre.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h25 | Comments (70) | TrackBack

12 mai 2007

Le prix sanglant des otages (4)

La prise d'otage reste une arme stratégique efficace, et fort rentable : si l'on en croit cet article du Monde, c'est par le versement de fortes sommes d'argent - non citées - que la France a pu obtenir la libération des deux employés de l'ONG Terre d'enfance. Et le CICR a joué un rôle dans cette libération :

Remis, comme Céline Cordelier, à des chefs tribaux de Maywand (province de Kandahar), M. Damfreville a ensuite été confié au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), avant de gagner Kaboul et Paris. Sollicité par les autorités françaises dès le début de cette prise d'otages, le CICR, une organisation engagée depuis longtemps en Afghanistan et qui y est respectée, a joué, semble-t-il, un rôle non négligeable dans les négociations.
Le CICR est, depuis 2001 et l'ouverture du camp de Guantanamo et de la prison de la base américaine de Bagram, le seul lien qui existe entre les nombreux détenus afghans, en majorité pachtouns, et leurs familles. Rien que les trois premiers mois de cette année, il a collecté et distribué, en collaboration avec le Croissant- Rouge, 6 000 messages.
Le gouvernement français, qui a multiplié les canaux de négociations, a dû payer aux ravisseurs, pour Céline Cordelier comme pour Eric Damfreville, une très forte somme d'argent. Les Italiens avaient versé 2 millions de dollars (1,5 million d'euros) pour la libération en novembre 2006 du photographe Gabriele Torsello. Les talibans, qui cherchent à se poser en alternative au régime du président Hamid Karzaï, ont, semble-t-il, libéré les deux Français afin de ménager les relations avec Paris.

La libération des 2 Français, comme dans les autres cas, se paiera donc par le sang des futures victimes des ravisseurs. Mais il est intéressant de voir comment le CICR mène en parallèle une activité d'aide aux prisonniers de guerre, ce que les Afghans détenus à Guantanamo ne sont pourtant pas, et une activité d'intermédiaire avec des preneurs d'otage qui aboutit au versement de rançons contribuant substantiellement au maintien de leurs activités combattantes. Il faudra bientôt se demander si certaines organisations (je n'ose pas penser au CICR) ne trouvent pas un bénéfice à de telles interfaces...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h37 | Comments (63) | TrackBack

11 mai 2007

Immigrés islamistes contre bases militaires

L'arrestation récente d'individus préparant des attaques contre des installations militaires, aux États-Unis comme en France, illustre le caractère décentralisé et sociétal des conflits modernes.

Le 8 mai dernier, le FBI a arrêté 6 ressortissants étrangers préparant une attaque armée sur la base toute proche de Fort Dix, dans le New Jersey, après une longue surveillance. Six jours plus tôt, c'est la DST qui a arrêté à Nancy un franco-algérien préparant une attaque armée entre autres sur la base de Dieuze, après l'avoir surveillé pendant deux ans.

...

La suite ici !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h06 | Comments (49) | TrackBack

7 mai 2007

Au bord des brasiers oubliés

S'il fallait souligner la gravité de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la France, les violences urbaines des dernières 24 heures y contribuent largement : avec 730 voitures incendiées, 592 personnes interpellées et 78 policiers blessés, au cours de manifestations ayant vite dégénéré ou de razzias aveugles, c'est bien un pays vivant en permanence un conflit de basse intensité* qui a révélé hier ses fractures et ses déchirements, dans les urnes, sur les plateaux de télévision comme dans la rue. Les couplets d'usage sur la "victoire de la démocratie" ne font guère illusion face à ces actes de violence mus essentiellement par la haine de l'autorité, une autorité dont Nicolas Sarkozy est devenu le symbole. Et je suis persuadé qu'une grande part des Français ayant voté pour lui ont plébiscité le retour d'une autorité qui depuis trop longtemps fait défaut.

Les brasiers de la France contemporaine sont en général oubliés : les médias ne les signalent guère, jugeant normale et donc indigne de tout intérêt soutenu la centaine de voitures qui brûle en moyenne chaque soir, et les dirigeants politiques ne se bousculent pas pour traiter ouvertement ce conflit dont le développement, d'une alternance à l'autre, les rend tous co-responsables. On peine même à croire, au vu de l'image généralement donnée de la France, qu'il a fallu instaurer l'état d'urgence à l'automne 2005 pour mettre un terme à l'escalade des violences urbaines et ramener celles-ci au-dessous du seuil d'attention médiatique, et donc du seuil d'action politique. Il est vrai que nier un problème exigeant des solutions drastiques est intellectuellement plus confortable qu'appeler les choses par leur nom, et parler ouvertement de zones de non droit, de milieu non permissif, d'embuscades contre les forces de l'ordre, de lutte ouverte et systématique contre l'autorité étatique.

L'État français est malade, la plupart des observateurs s'accordent sur ce point. Les flammes dispersées et haineuses de la nuit passée rappellent que le traitement sera long et douloureux, et que l'on se rapproche toujours plus du point de non retour, de l'abandon territorial, voire même de l'amputation stratégique. A chaque époque, le ciel a toujours semblé sur le point de nous tomber sur la tête (même si s'exprimer de Suisse place dans des conditions particulières), mais il y a toujours des menaces à conjurer, des dangers à maîtriser, des défis à relever. Ceux qui attendent le nouveau Président de la République ne sont pas pires que ceux de ses prédecesseurs, mais ils n'ont pas encore le caractère tangible et linéaire, vaguement rassurant, des faits historiques...


*Ou très basse intensité, l'expression Low Intensity Conflict étant aujourd'hui devenue synonyme de guerre pure et simple.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h50 | Comments (24) | TrackBack

20 avril 2007

Les mégapoles du chaos

Les grandes villes de notre ère forment le milieu le plus complexe et le plus exigeant pour toute force chargée d'y maintenir la sécurité ou d'y imposer leur supériorité. Cela n'a rien de nouveau, mais la croissance démesurée des cités et leur transformation en mégapoles tentaculaires multiplient les difficultés. La ville d'Alger en 1957, lors de la bataille remportée par les troupes françaises au prix de méthodes contre-productives, comptait environ 884'000 habitants (lu dans le livre de Pierre Pellissier). C'est 5 fois moins qu'aujourd'hui, et 6 fois moins que Bagdad, sans que la densité des troupes américaines et des forces irakiennes n'égale celle des forces françaises. Un autre exemple de mégapole chaotique est celui de la ville de Rio de Janeiro, où la violence a pris de telles proportions que le déploiement de l'armée y est demandé. Extrait d'un article de RFI :

Le regain de violence soulève à nouveau la question de la militarisation de Rio de Janeiro. Au mois de juillet prochain, la ville doit accueillir les Jeux panaméricains. Entre la sécurité des athlètes et celle des spectateurs, les policiers seront sur les dents. Le président Luiz Inacio Lula da Silva pourrait décider de déployer l'armée d'ici cette date.
[...]
Ce n'est pas la première fois que le pouvoir central est appelé à la rescousse. Mais les opérations précédentes menées par les militaires consistaient à envahir en force les favelas (bidonvilles). Ces opérations provoquent souvent de violents affrontements avec les bandits et les trafiquants, semant la terreur dans la population. L'attitude des soldats entraîne aussi des réflexes d'autodéfense de la part des habitants des favelas et les opérations dégénèrent en bataille rangée.
[...]
Rio de Janeiro, avec son agglomération de 11,3 millions d'habitants et ses 752 favelas, est considérée comme l'une des villes les plus violentes d'Amérique du Sud. En 2005, le Brésil a enregistré 55 312 homicides, dont 6 438 dans l'État de Rio. La mort violente est la principale cause de décès des hommes âgés de 15 à 44 ans.
Amnesty International comptabilise une moyenne de 50 homicides pour 100 000 habitants, tout en signalant que 7% sont dus à des «hommes en uniforme».

Les causes de la violence sont une chose ; les dimensions de la ville en sont une autre. La concentration d'une population aussi nombreuse dans un espace multidimensionnel s'oppose obligatoirement au maintien d'une autorité publique et crée des conditions dans lesquelles celle-ci se trouve contestée et combattue comme lors d'un conflit armé. Lorsqu'il est nécessaire d'engager des formations militaires pour reconquérir des quartiers entiers et que celles-ci font face à une ripose acharnée, on se situe en effet dans une logique de guerre et de non droit, dans un milieu non permissif où d'autres formes d'autorités se sont substituées à l'État affaibli. Et la croissance anarchique qui caractérise la plupart des mégapoles renforce cette tendance forte, de Lagos à Karachi, de Bombay à Bogota.

Que la nature chaotique des mégapoles affecte puissamment le devenir des États-nations et favorise l'avènement d'autres légitimités n'est pas une conclusion originale...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h34 | Comments (12) | TrackBack

19 avril 2007

La vertu de la fermeté

Après les preuves répétées de détermination inexistante données par les Européens depuis presque 4 ans face à l'Iran, à son programme nucléaire, à son ambition conquérante et à ses velléités génocidaires, il est assez intéressant de lire ce texte d'Amir Taheri, qui rappelle les causes, le déroulement et les effets de la seule confrontation armée à ce jour entre l'Iran khomeiniste et les États-Unis. Extrait :

Within hours, President Ronald Reagan ordered the US task force to retaliate. The IRCG responded by firing missiles at US vessels without inflicting any harm.
[...]
The IRCG lost 87 men and over 300 wounded. Later, the Islamic Republic filed a suit against the US at the International Court at The Hague claiming losses amounting to several billion dollars. (The court rejected Tehran's suit in November 2003.)
[...]
The battle, nicknamed by the US "Operation Praying Mantis", was followed in July by a tragic accident when the USS Vincennes shot down an Iran Air jetliner by mistake, killing all 290 passengers and crew.
Khomeini interpreted the accident as a deliberate escalation by the US and feared that his regime was in danger. Rafsanjani and other advisers used that fear to persuade the ayatollah to end the war with Iraq, something he had adamantly refused for eight years.
A broken Khomeini appeared on TV to announce that he was "drinking the chalice of poison" by accepting a UN-ordered ceasefire. He was no longer going to Karbala on his way to Jerusalem.

La conclusion de l'analyste iranien est intéressante : un régime jusqu'auboutiste poursuit nécessairement sa route jusqu'à ce qu'il rencontre un obstacle suffisamment solide pour le forcer à stopper et à changer de cap. La vertu de la fermeté est une chose qui semble bien absente des cercles politiques en Europe, généralement inconscients de l'image faible qu'ils donnent d'eux-mêmes en prônant la modération, mais elle n'est pas perdue de vue pour tout le monde...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h51 | Comments (10) | TrackBack

15 avril 2007

A l'assaut de la forteresse Europe

Les flux migratoires constants en direction de l'Europe ont connu un développement saisissant la semaine dernière : un navire chargé d'immigrants africains cherchant à atteindre les Canaries a été intercepté par la Garde civile espagnole dans les eaux mauritaniennes, en vertu d'un accord visant à réduire l'immigration illégale et permettant le prépositionnement des moyens ; mais au lieu de se laisser faire, les immigrants ont attaqué les Espagnols à coup de cocktails Molotov et d'autres projectiles, refusant de se laisser accoster et d'interrompre leur périple :

The wooden boat was carrying 57 people, including two children, when a Spanish patrol boat intercepted it April 4 off the coast of Mauritania, police in the islands said Tuesday. Spanish vessels are stationed in Mauritania as part of a European effort to keep Africans from setting out on dangerous journeys to the Canary Islands.
When the patrol boat got close, some of those aboard the smaller vessel threw Molotov cocktails and other projectiles at the Spanish boat, police said. No one was injured.
Spanish Civil Guard police dropped an inflatable raft into the water and used it to try again to get close to the Africans and calm them down, but people on the boat tried to slash the raft with sharp objects, police said.

Du coup, le navire a réussi à atteindre les Canaries, et même si les assaillants suspectés ont été renvoyés illico en Mauritanie, les autres passagers ont été autorisés à rester en Espagne, c'est-à -dire dans l'Union européenne. Ce qui devait très probablement être l'objectif des immigrants lorsqu'ils ont préparé leur tentative, dont le caractère offensif la fait toujours plus ressembler à une action de force tendant à l'invasion. Les tentatives d'assaut sont certes connues de l'Espagne via ses enclaves de Ceuta et Melilla au Maroc, mais cette esquisse de combat naval est une première.

Naturellement, il serait faux d'en déduire que cela indique inévitablement un développement futur dans ce sens, et donc une transformation progressive des flux migratoires illégaux vers l'Europe en une activité ouvertement violente et conflictuelle (elle l'est déjà sur le plan sociologique et identitaire). En revanche, cet incident rappelle encore une fois aux dirigeants politiques européens que l'immigration est l'un des grands défis de notre époque, que l'avenir de l'Europe telle que nous la connaissons est en jeu, et que déléguer aux seules forces de sécurité le règlement du problème est une manière inacceptable d'éviter des décisions difficiles sur la place publique.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h09 | Comments (86) | TrackBack

12 avril 2007

Un chapelet de bombes

Même si une bombe a explosé aujourd'hui dans le Parlement irakien à Bagdad, censé être puissamment protégé, le double attentat terroriste commis hier à Alger et les fanatiques qui se sont fait exploser à Casablanca ont provisoirement contraint la communauté internationale à porter son intention au-delà de la fournaise irakienne et de l'interprétation convenue qui prévaut dans les médias. Les terroristes suicidaires (c'est un honneur immérité que de les nommer kamikazes) qui se font sauter chaque jour ou presque en Irak ou en Afghanistan sont en effet mus par le même élan, par la même démarche que ceux qui ont attaqué les symboles du pouvoir en Algérie ou qui ont refusé d'être capturés vivants au Maroc. Un but unique les rassemble : l'avènement d'un État islamique.

Cette lutte à outrance est menée par les fous d'Allah dans chaque État comptant au moins une forte minorité musulmane, et c'est la raison pour laquelle le Pakistan, l'Indonésie, les Philippines et la Thaïlande, pour ne citer que des États sis au-delà du Proche-Orient, abritent des conflits armés. L'Occident s'est accommodé d'un tel bellicisme lorsqu'il suivait ses intérêts, et lui a même accordé son soutien dans certains cas comme en Afghanistan ; cela pouvait sans doute se justifier dès qu'il s'agissait d'abattre l'empire soviétique, mais il fallait bien que l'hydre ainsi soignée et soutenue poursuive son développement. Et maintenant que les différents États occidentaux abritent sur leur sol une minorité musulmane en croissance rapide, dont une partie soutient sans ambages la barbarie islamiste, on se rend compte que la lutte en question se déroule également chez nous. Et que le chapelet de bombes qui s'égrène jour après jour développe un écho à la fois global et local, planétaire et personnalisé.

COMPLEMENT (13.4 0930) : Cet éditorial de Claude Moniquet sur le site de l'ESISC est une lecture recommandée (fichier PDF).

COMPLEMENT II (13.4 1130) : D'après ces informations, les 3 voitures piégées qui ont été mis à feu à Alger contenaient 2 fois 700 kg et 1 fois 500 kg d'explosifs. Des chiffres qui semblent très élevés au vu de certaines images, et qui indiquent peut-être des explosifs de faible rendement...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h46 | Comments (85) | TrackBack

11 avril 2007

Le prix sanglant des otages (3)

C'est un sujet que j'ai déjà abordé par deux fois, de façon assez générale d'abord, puis avec un complément plus récent. La problématique a été rappelée par la libération du journaliste italo-suisse Daniele Mastrogiacomo en échange de 5 chefs taliban, ce d'autant plus que la polémique déclenchée par cet arrangement a révélé que le reporter Gabrielle Torsello avait également été libéré en novembre grâce au versement d'une rançon de 2 millions de dollars, après 3 semaines de détention aux mains des Taliban. Une libération que les collaborateurs et auxiliaires locaux ne peuvent guère espérer, puisque le chauffeur et l'interprète de Mastrogiacomo ont été assassinés par leurs ravisseurs.

Il vaut la peine de s'interroger plus en détail sur l'impact que peuvent avoir 2 millions de dollars pour une mouvance belligérante telle que les Taliban. Une partie de cette somme doit forcément servir à graisser quelques pattes, voire à enrichir les intermédiaires qui se proposent "spontanément" au Gouvernement vers lequel se tournent les proches de l'otage, mais une partie également doit bien être réinvestie dans la capacité de combattre. Avec l'évolution actuelle des prix des armes légères en Afghanistan, soit 600 dollars pour une Kalachnikov et 100 dollars pour un lance-roquettes antichar, la moitié de la rançon devrait probablement permettre d'armer et de munitionner entièrement un millier d'hommes environ (base de mon estimation : 1000 dollars pour un fusil d'assaut avec 30 magasins, compte tenu des économies d'échelle et des pratiques du belligérant en question). Les Taliban vivant largement sur le dos des populations, les autres frais doivent être très limités...

Combien d'attaques, combien d'assassinats, combien d'exécutions peuvent commettre un millier de fanatiques ? Voilà une question que certains dirigeants politiques devraient se poser avant de dépenser l'argent de leurs contribuables pour des otages individuels. Sans même parler des risques encourus par leurs propres soldats, déployés en Afghanistan pour combattre les même fanatiques et contrecarrer leurs effets désastreux sur la société afghane.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h24 | Comments (12) | TrackBack

8 avril 2007

L'haleine fétide du défaitisme

La semaine écoulée n'entrera peut-être pas dans les annales comme un tournant stratégique, mais elle aura révélé tout un pan de futurs possibles, à l'aune d'un défaitisme omniprésent. Trois événements peuvent à cet égard être cités.

Premièrement, les 15 militaires britanniques capturés par les Forces armées iraniennes sans la moindre velléité de résistance ont été paradés devant la presse et incités à vendre aux médias le récit de leur captivité. Sans que leur refus de combattre ne soit condamné par leur hiérarchie, bien au contraire. Les options militaires imaginables, ou même proposées par l'allié américain, ont promptement été repoussées. Alors que 4 soldats de l'Army étaient tués dans le sud de l'Irak, là où l'Iran mène une guerre par procuration contre la Grande-Bretagne.

Deuxièmement, la présidente de la chambre des représentants américaine (traduction maison de US House Speaker) a effectué une tournée au Moyen-Orient entièrement contraire à la politique du pouvoir exécutif légitime, parfois en foulard, et fournissant une légitimité politique stupéfiante aux ennemis de son pays, n'hésitant pas à aller en Syrie à l'encontre des positions de la communauté internationale pour donner l'apparence d'un dialogue. Alors que le leader démocrate de la même chambre allait s'entretenir en Egypte avec le leader des Frères Musulmans, l'une des organisations majeures de la nébuleuse islamiste, et qu'à domicile la notion de "guerre contre le terrorisme" était bannie.

Troisièmement, même Israël suit la ligne des Gouvernements occidentaux consistant à négocier et à payer lors de prises d'otages, puisqu'une liste de prisonniers du Hamas paraît avoir été acceptée pour obtenir la libération du caporal Shalit, dont la capture a déclenché les hostilités accrues de l'été dernier. Sans apparemment comprendre que la récompense donnée au preneur d'otage se paie par davantage de captures par la suite, comme les événements en Afghanistan le montrent.

Bien entendu, ces événements ne sauraient fournir un résumé de l'actualité. On peut même citer des exemples contraires, comme la tournée tout autre d'Angela Merkel au Proche-Orient et son refus de se laisser manipuler par les Palestiniens. Malgré cela, on voit clairement poindre dans les pays du bloc occidental jusqu'ici les plus déterminés dans la lutte contre le fondamentalisme musulman le désir impérieux de mettre un terme aux hostilités, de revenir à l'avant-11 septembre, de rejeter comme un cauchemar toutes ces guerres, ces attentats, ces violences. Ou comment le défaitisme a suffisamment rongé les coeurs et les esprits pour oser s'exprimer ouvertement, malgré son haleine fétide issue de la peur et de la fatigue...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h54 | Comments (44) | TrackBack

2 avril 2007

Les foyers de la haine

Un article publié aujourd'hui dans Le Figaro se penche sur les écoles coraniques surveillées dans le monde par les services de renseignements extérieurs français, et qui sont évaluées comme des foyers d'islamisme radical. Les filières du djihad sont une préoccupation de longue date des États occidentaux, notamment parce que les combattants islamiques ainsi formés sont susceptible de revenir au pays d'origine, porteurs d'une expérience de combat acquise en Irak ou en Afghanistan qui les rend dangereux. Mais les chiffres et les méthodes décrits par la DGSE montrent la vraie dimension du phénomène :

Le centre de Damaj, où étudiait Patrick Francoeur-Ravoavy, est « l'institut phare de Dar el-Hadith ». Situé au nord-ouest du pays, dans un village isolé auquel on accède par une piste sablonneuse, il « accueillerait jusqu'à 5 000 étudiants l'été, dont 1 000 étrangers ».
Les non-Yéménites y vivent en communauté selon leur origine nationale ou linguistique. « Parmi les trois communautés étrangères les plus représentées figurent les communautés britannique, indonésienne et francophone. » La communauté francophone compterait plus de 150 étudiants, dont plusieurs dizaines de Français.
À Damaj, la journée « commence à l'aube et s'organise entièrement autour des cinq prières obligatoires et des trois prêches du cheikh, retransmis par haut-parleur dans tout le village. Entre ces temps de prière, les étudiants suivent des cours d'arabe ou de rédaction du Coran de manière collective ou individuelle. » Le tout baignant dans une « surenchère religieuse, accompagnée de prêches quotidiens virulents ». Un facteur « dangereux pouvant conduire les étudiants les plus zélés à intégrer des réseaux djihadistes ».
[...]
Au Yémen, les Français constituent « la communauté étrangère la plus vindicative à l'égard de leur pays d'origine ». Formulant « des critiques acerbes contre la France et notamment contre la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux à l'école », ils témoignent « une extrême intransigeance vis-à -vis de leurs concitoyens et des musulmans n'adoptant pas un comportement en accord avec les rites salafistes les plus stricts ».
Ces véritables foyers de la haine attirent donc à eux des milliers de jeunes hommes tenaillés par le fanatisme et en rupture complète avec la culture, l'identité et les lois du pays occidental dont ils émanent. Ce processus de radicalisation prend au minimum des mois, et en général plusieurs années, mais la continuité de ces filières aboutit tout de même à produire des combattants et des sympathisants de la cause islamiste en nombre suffisant pour être un facteur stratégique. Bien entendu, une bonne partie de ceux qui franchissent la ligne et partent en guerre finissent par être tués par les troupes de la coalition, en Irak ou en Afghanistan, mais le travail d'endoctrinement prolonge ses effets au-delà de l'action violente à court terme. Et le rejet définitif des valeurs occidentales en est une composante essentielle.

Je ne vois guère dans l'histoire de parallèle avec cette sorte de production nomade de combattants irréguliers, et c'est bien le progrès technologique, notamment dans le domaine des transports et des télécommunications, qui a rendu possible cette gestation planétaire. Il faut se demander jusqu'à quand l'Occident pris pour cible renoncera à s'opposer, sur le plan matériel comme immatériel, à ces foyers délibérément contagieux.

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31 mars 2007

Le contrecoup de l'insurrection

Comme prévu, les Forces armées éthiopiennes sont confrontées en Somalie à une insurrection qui leur inflige des pertes régulières et leur pose des problèmes majeurs :

L'insurrection, qui contrôle presque tout le sud de Mogadiscio, apparaît de plus en plus déterminée et redoutablement bien armée. Selon le GFT, le mouvement ne serait qu'une lutte d'arrière-garde d'anciens miliciens islamistes tentant de reconquérir le pouvoir perdu. De fait, l'ossature du mouvement est composée de Chebabs, l'aile la plus extrémistes des Tribunaux. Mais ces miliciens ont été rejoints par certains chefs de clans Hayiwe, le principal groupe de Mogadiscio hostile au gouvernement perçu comme dominé par le clan rival des Darods.
Au fil des semaines, cette insurrection a gagné du terrain. Les attaques contre les soldats éthiopiens et les hommes du GFT sont plus régulières. Conscients des risques, les Éthiopiens ont lancé jeudi une vaste offensive destinée à « vider » la capitale des miliciens. À l'aube, les troupes d'Addis-Abeba ont envahi les quartiers sud de la ville, bastion des insurgés. Ces derniers, repartis en petits groupes, ont réagi, ouvrant le feu à l'aide d'armes légères mais aussi de lance-roquettes, bloquant l'avancée des Éthiopiens. Dès lors, les Éthiopiens ont déployé toutes leurs forces, engageants chars et hélicoptères sans parvenir pour autant à se rendre maître du quartier. Et les pertes de part et d'autre s'accumulent.

Alors que les milices islamistes avaient payé cher leur conquête progressive du pays, en décembre dernier, ce sont maintenant les militaires éthiopiens qui sont sur la défensive, malgré leurs actions offensives au sol, et qui subissent les coups de leurs ennemis, soudés par l'identité et les croyances. Les premières étaient vulnérables sous l'angle des capacités, qui les empêchaient des contrôler les espaces, alors que les seconds sont vulnérables sous l'angle des volontés et de la légitimité, qui les empêchent de contrôler les esprits. Pour l'Ethiopie, un retrait des troupes derrière les éléments gouvernementaux et les forces multinationales apparaît rapidement comme la seule option valable. Quitte à retourner en force sur terre somalienne si la situation en venant à nouveau à menacer ses intérêts.

Le cas d'école somalien montre ainsi assez bien les forces et les faiblesses des forces régulières et irrégulières, des organisations ordonnées et chaotiques, dans un contexte africain qui limite les contrastes que produisent les interventions occidentales. Et le contrecoup de l'insurrection, après le succès conventionnel des militaires, montre la nécessité pour ceux-ci de maîtriser également cette partition stratégique. Là comme ailleurs...

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29 mars 2007

Le chantage des otages

Difficile position que celle dans laquelle se trouve le gouvernement britannique : ses 15 marins capturés par les forces armées iraniennes sont exploités comme outil de propagande, la communauté internationale ne lui fournit guère de soutien, même en face d'une violation flagrante des Conventions de Genève, et Téhéran tente de lui imposer une capitulation sémantique qui ne ferait qu'affaiblir encore davantage un Tony Blair déjà en fin de règne. En toute logique, un casus belli de ce type appellerait des mesures coercitives à la fois ciblées, déterminées et proportionnelles (c'est-à -dire réversibles), de la part de n'importe quel État ayant encore la volonté et la capacité de défendre ses intérêts sur la scène internationale. Au risque de provoquer une escalade militaire qui pourrait bien être l'objectif poursuivi par le régime des mollahs...

Les prises d'otages restent une arme particulièrement puissante contre les autorités faibles, comme le montrent les exigences des Taliban suite à la libération du journaliste Daniele Mastrogiacomo. Le développement de capacités spécifiques pour les déjouer contribue donc directement à renforcer ces autorités, dans les faits comme dans les esprits, comme l'ont montré de nombreux exemples (Mogadiscio, Entebbe, etc.). Toutefois, ces capacités ne peuvent rien sans des dirigeants aptes à assumer les rapports de force, à imposer leur volonté au lieu de subir celle d'autrui, et donc parfois à employer pour ce faire l'outil militaire que leurs prédécesseurs leur ont légué, dans un état plus ou moins bon. Même si, comme dans le cas de l'Iran, des mesures coercitives non violentes pourraient tout aussi bien faire l'affaire pour rompre le chantage exercé par un État voyou...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h43 | Comments (38) | TrackBack

25 mars 2007

La milice peut conserver ses armes

Malgré une pression médiatique intense et l'exploitation émotionnelle de faits divers, le Conseil national a décidé jeudi de maintenir l'un des principes-clefs de l'armée de milice : la conservation de l'arme personnelle à domicile en-dehors des périodes de service.

L'écrasante majorité des médias s'est lamentée, vendredi matin, sur le maintien d'une « tradition éculée » et sur une classe politique rigide, incapable d'accepter l'évidence. Le meurtre 2 jours plus tôt d'une jeune femme par son ex-compagnon à l'aide d'un fusil d'assaut militaire ne montrait-il pas la voie à suivre ?

...

La suite ici, sur la Revue Militaire Suisse !

Posted by Ludovic Monnerat at 23h48 | Comments (70) | TrackBack

22 mars 2007

La politique étrangère et de défense britannique

Ce soir a eu lieu à Verte Rive l'assemblée générale annuelle du Centre d'Histoire et de Prospective Militaire, sous la présidence du brigadier Michel Chabloz. L'assemblée proprement dite a été suivie par un exposé sur la politique étrangère et de défense britannique, présentée par Pierre Razoux, connu du public suisse et renommé pour ses travaux d'histoire militaire. En voici un résumé.

Les principes fondamentaux de cette politique peuvent être énumérés ainsi :

Pour concrétiser cette recherche de l'équilibre, les Britanniques utilisent une boîte à outil bien fournie et combinent politique, industrie, économie, institutions ou encore armée. Ils cherchent ainsi à donner constamment des gages à la fois aux États-Unis et à l'Europe : engagement dans la mission européenne "ARTEMIS" au Congo parallèlement au déclenchement de "IRAQI FREEDOM", annonce du maintien des troupes en Irak fin 2003 parallèlement au soutien d'un centre de planification autonome en Europe, engagement dans les programmes JSF et Eurofighter, Apache et A400M, Amraam + Tomahawk et Meteor + Storm Shadow, dans le consortium GPS et dans le programme Skynet.

Certes, ce grand écart peut parfois s'avérer très difficile, et donc douloureux. Il en va systématiquement ainsi pour trois domaines dans lesquels les Britanniques sont totalement dépendants des Américains, et donc des domaines qui sont des tabous (For UK-US Eyes Only) pour leurs partenaires européens : la dissuasion nucléaire, le renseignement et l'espace. Toutefois, la Grande-Bretagne a également les moyens de faire comprendre à son allié américain que les divergences peuvent amener des réactions, comme l'ont montré les accords de St-Malo fin 1998 : afin de mettre en garde les États-Unis à propos de leurs errements dans les Balkans, mais aussi de renforcer l'Europe dans l'hypothèse où les États-Unis se recentrent sur le Pacifique, un rapprochement plus spectaculaire que significatif avec la France a été opéré à cette occasion. Ceci bénéficiant aussi d'intérêts communs entre la France et la Grande-Bretagne, comme entre un Chirac affaibli et un Blair fraîchement arrivé au pouvoir.

Ce dernier étant aujourd'hui sur le départ, les conséquences de son remplacement par Gordon Brown ont été esquissées. En vue des élections de 2009 et compte tenu de sa légitimité réduite, le nouveau premier ministre britannique devrait ainsi mener une politique étrangère et de défense populiste, avec un retrait presque complet d'Irak (ce qui implique des gages envers les États-Unis, comme le renforcement des moyens en Afghanistan, qui est de toute manière un enjeu majeur pour Londres vu que la crédibilité de l'OTAN, et donc la force du lien transtlantique sont en jeu), une démarcation vis-à -vis des États-Unis, ainsi que globalement "moins d'Europe" (ralentissement dans la PESC et la défense européenne, mais renforcement de la coopération dans la sécurité intérieure, la sécurité énergétique, la protection de l'environnement et la poursuite de l'élargissement).

La Grande-Bretagne conserve donc une position particulière a bien des égards, même si elle a fortement évolué vis-à -vis du continent depuis les années 60.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h40 | Comments (7) | TrackBack

20 mars 2007

La grande peur du vide

Si la nature a horreur du vide, la stratégie du siècle lui ressemble toujours plus. Pendant longtemps, les zones échappant au contrôle des États reconnus ne suscitaient guère d'inquiétude : elles étaient si lointaines qu'on les ignorait largement, et leurs effets restaient le plus souvent locaux ou régionaux. La structure archaïque des sociétés pré-nationales, articulées autour de la famille ou du clan, était une source de curiosité ou de condescendance ; la corruption endémique, le commerce illégal ou la virulence religieuse n'y étaient perçus que comme un exotisme voué à l'extinction. Jusqu'à ce que le rapetissement de la planète, dû à l'essor des transports et télécommunications intercontinentaux, nous y confronte directement ; jusqu'à ce que nous en soyons inexorablement les voisins.

La suite ici, sur Mondes Francophones !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h15 | TrackBack

13 mars 2007

Les homosexuels et l'armée

Une polémique a éclaté hier aux Etats-Unis sur la question de l'homosexualité dans les armées : le président des chefs d'états-majors interarmées, le général des Marines Peter Pace, a en effet déclaré que les homosexuels sont immoraux, qu'ils ne devaient pas être autorisés à servir s'ils déclarent leur homosexualité (la politique "Don't ask, don't tell") et que celle-ci est comparable à l'adultère dans l'immoralité. Des propos pour le moins carrés et inhabituels, que le militaire américain du plus haut rang a d'ailleurs dû corriger aujourd'hui par le biais d'un communiqué. Sans qu'il n'aborde, comme l'indique l'article mis en lien ci-dessus, le problème des licenciements pour cause d'homosexualité (plus de 10'000 soldats, dont des spécialistes de première valeur) alors que les forces armées américaines cherchent à augmenter en personnel.

Cette condamnation très puritaine des homosexuels est assez exceptionnelle au sein des armées occidentales, et reste une particularité américaine : généralement, l'orientation sexuelle des soldats est une affaire privée, et à l'exception des unités chargées des missions les plus difficiles, il est rare qu'elle soit un critère déterminant. C'est à plus forte raison le cas dans les armées de conscription, où les unités reflètent l'évolution des sociétés et manifestent dans leurs rangs - là encore, à quelques exceptions près - les tendances qui caractérisent les citoyens lambda. Il n'y a guère que dans des unités imposant une sélection drastique que l'homosexualité est officieusement bannie et officiellement déconseillée, en expliquant que l'on ne mélange pas "les serviettes et les torchons" ; la Légion étrangère française en est un exemple. La mixité des sexes n'y est d'ailleurs pas bienvenue.

Une telle réalité éclaire mieux la problématique. A l'origine, dans les armées masculines dévolues à la guerre classique, l'homosexualité était en contradiction avec les valeurs et la camaraderie viriles qui participaient à la cohésion des groupes. L'homosexuel introduit nécessairement des interrogations, des doutes, qui nuisent à celle-ci. Mais avec la féminisation des armées et l'évolution des opérations militaires, dans lesquelles les combats de haute intensité sont le plus souvent de brève durée, par opposition à des stabilisations presque interminables, les choses ont bien changé. La présence des femmes introduit à une tout autre dimension ces interrogations et ces doutes, qui peuvent effectivement nuire à la cohésion. En même temps, la place croissante accordée à la sphère privée et la sédentarisation des unités ont diminué les tensions potentielles.

Il en découle que la discrimination par l'orientation sexuelle est une chose périmée, et que les remarques fondées sur la morale individuelle sont contre-productives dès lors qu'elles réduisent l'efficacité de l'institution militaire. A l'exception des unités les plus performantes, où le succès repose sur un petit nombre d'hommes - et d'hommes seulement - soudés comme les doigts d'une main, les hommes et les femmes, homos et hétéros, ont leur place dans les rangs. A condition naturellement de ne pas perturber la marche du service par leur orientation sexuelle, quelle qu'elle soit, de pleinement s'intégrer aux groupes dans lesquels ils sont engagés, et d'avoir une conduite personnelle basée sur une éthique militaire irréprochable. De toute manière, même les armées de métier sont condamnées à une telle ouverture par leurs besoins qualitatifs...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h18 | Comments (17) | TrackBack

12 mars 2007

L'indépendance et la défense

En Suisse comme dans nombre de pays européens, les budgets militaires ont été nettement comprimés depuis 15 ans, malgré une stabilisation généralisée depuis le 11 septembre 2001. Souvent, les économies faites sur le dos des armées ont servi à compenser des dépenses croissantes dans des domaines sociaux ou financiers (remboursement de la dette). De plus, comme l'a dit par exemple la Ministre française de la défense en visant son collègue des finances, les dépenses de défense ont tendance à être considérées comme des investissements inutiles, et sont régulièrement mis en opposition à des activités proches des populations (Education nationale contre Défense nationale selon Ségolène Royal). On notera d'ailleurs que le maintien des investissements militaires en France constitue largement une exception sur le continent.

Dans le monde, toutefois, les puissances majeures ont un comportement différent vis-à -vis des dépenses militaires. Avec bien sûr en premier lieu les Etats-Unis, dont le budget des armées connaît une croissance constante et augmentera de 62% entre 2001 et 2008, sans même prendre en compte les dépenses liées aux guerres en cours. Il faut également citer la Chine, dont le budget 2007 annonce encore une fois une augmentation substantielle (17.8%) et qui désormais est le deuxième au monde (malgré les incertitudes à son sujet), l'Inde, qui prévoit une augmentation de 7% cette année (d'après l'édition du 5 mars de Defense News) après une croissance rapide, mais aussi la Russie, qui compte augmenter de 27% ses dépenses militaires cette année et qui a multiplié par 4 son budget - certes anémique - depuis 2001.

Comment expliquer une approche pareillement opposée ? L'objet de ce billet n'est pas d'aborder le pourcentage des budgets des armées nationales par rapport au PIB, même si un tel indice est révélateur, mais bien de se pencher sur les perceptions très différentes des investissements militaires. Il faut d'abord relever que l'augmentation de ces investissements est souvent le signe d'une politique volontariste, d'un pouvoir exécutif fort, d'une volonté de puissance. D'un autre côté, la perception des risques et dangers joue bien entendu un rôle considérable dans l'évolution des budgets, dans la décision de réarmer ou de désarmer. Enfin, la présence d'une industrie de défense capable d'influencer les décisions politiques a également un impact important. Et comme l'Europe ne répond pas à ces 3 critères, à quelques exceptions près (volontarisme et lobbying en France, menace perçue en Grèce, etc.), ceci explique mieux de telles différences.

Mais par dessus tout, c'est la notion d'indépendance et l'importance qu'on lui accorde qui jouent un rôle essentiel. Les Etats qui savent ne pouvoir compter sur personne d'autre en cas de menace grave ont naturellement tendance à considérer différemment leur défense ; à l'inverse, les Etats faisant partie d'une alliance censée garantir celle-ci seront toujours davantage tentés de limiter leurs investissements en comptant sur la coopération internationale. C'est d'ailleurs ainsi que la stratégie tentaculaire des Etats-Unis, illustrée par l'Alliance atlantique comme par une myriade d'accords de défense bilatéraux, vise à s'assurer la dépendance d'Etats partenaires en leur autorisant des économies en matière de défense. De toute manière, les Etats désireux de s'affranchir d'une telle tutelle doivent encore avoir les moyens d'investir fortement dans la défense, ce qu'une politique non libérale - et marquée par l'anti-américanisme - ne permet guère. Du coup, leurs outils militaires restent incapables de fonctionner sans appui extérieur...

L'indépendance nationale est donc le fruit principal des investissements militaires. Une vérité ancienne à méditer en Suisse, où l'on a tendance à croire que le fait d'être entouré par l'UE et par l'OTAN contribue très largement à notre sécurité.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h15 | Comments (9) | TrackBack

10 mars 2007

Afghanistan : sur la corde raide

L'Europe poursuit le renforcement de ses moyens militaires en Afghanistan : la décision controversée du Bundestag d'envoyer 6 avions dits de reconnaissance - mais également d'attaque au sol - Tornado fera passer cet été le contingent allemand de l'ISAF à 3500 soldats. D'après une analyse faite par mes soins pour la Revue Militaire Suisse et à paraître bientôt, le volume des troupes étrangères en Afghanistan va dépasser 55'000 soldats cet été, dont 27'000 Américains et 23'000 Européens. Outre l'Allemagne, ce sont également la Grande-Bretagne, la Bulgarie, le Danemark, la Norvège et la Pologne qui vont procéder à des déploiements significatifs. Tous ces contingents ne seront pas affectés à des tâches combattantes, mais tous partageront le sort de la communauté internationale quant au résultat de ses efforts en Afghanistan.

Les enquêtes d'opinion effectuées en Afghanistan montrent une population remarquablement positive à son endroit : d'après ces chiffres, 80% des Afghans soutiennent la présence militaire de l'OTAN et des troupes sous commandement américain (la distinction étant toujours plus artificielle, et probablement pas faite par les gens sur place). Mais la population européenne a une opinion largement inverse : 69% des Allemands sont opposés à la participation à l'ISAF, 62% des Italiens, 80% des Polonais ou encore 47% des Espagnols (je n'ai pas trouvé de chiffres en ligne pour la France et la Grande-Bretagne, mais je suis preneur ; parallèlement, 49% des Canadiens veulent un retrait immédiat). Augmenter les déploiements militaires en l'absence d'un véritable soutien politique revient vraiment à marcher sur la corde raide.

L'Afghanistan, je l'ai écrit ici, a été souvent présenté comme une opération militaire juste et logique, par opposition à l'Irak. Que les populations s'en détournent montrent peut-être l'effet pervers d'une argumentation fausse, à laquelle les ennemis de l'Europe d'ailleurs n'ont jamais souscrit.

COMPLEMENT (20.3 2215) : Un sondage fait spécifiquement au sud du pays montre des chiffres très différents concernant le soutien du public, qui a considérablement diminué. Une information inquiétante pour l'OTAN...

Posted by Ludovic Monnerat at 15h29 | Comments (12) | TrackBack

8 mars 2007

L'étape de développement 08/11 franchit une étape

L'optimisation de l'Armée XXI reprend sa marche en avant : après le vote positif du Conseil des Etats, c'est une version légèrement revue de l'étape de développement 08/11 qui est discutée au Parlement. Une victoire pour Samuel Schmid, mais obtenue au prix d'un marchandage politique dont l'armée de demain fait les frais.

La suite peut être lue ici, sur le site de la Revue Militaire Suisse !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h50 | Comments (3) | TrackBack

7 mars 2007

Une stabilisation façon tiers-monde

Le contingent ougandais qui se déploie actuellement à Mogadiscio a vu sa mission commencer sous d'inquiétants d'augures, puisque son échelon avancé a été accueilli à sa descente d'avion, hier, par des tirs de mortiers - 8 obus dont seuls 2 ont touché l'aéroport, mais qui ont suffi à troubler l'ordonnancement de la cérémonie prévue pour l'occasion. Par ailleurs, les appels à la lutte armée contre les forces censées stabiliser la capitale somalienne, voire le pays tout entier, n'ont guère tardé à être lancés. Comme toujours, il ne faut guère d'efforts immenses pour entraver l'ordre visible, alors qu'empêcher le chaos est à peu près impossible en l'absence d'un consensus solide. Mais cela ne suffit pas à condamner par avance à l'échec les tentatives de stabilisation menées par l'Union Africaine, dans un pays où les Nations Unies comme les Etats-Unis ont subi un échec magistral.

L'engagement militaire de la communauté internationale en Somalie, entre 1992 et 1994, a laissé des traces. On se rappelle qu'il a été précipité par les images dramatiques d'une population menacée par la famine et par les bandes armées ; après l'intervention massive des Marines, le transfert d'autorité au profit d'un contingent onusien s'est fait parallèlement à l'essor d'une insurrection sans cesse plus meurtrière, culminant avec le massacre de 24 soldats pakistanais. Le déploiement subséquent d'une task force de forces spéciales sous commandement américain, visant à l'élimination du « général » Aïdid, aboutira à l'opération décrite par Mark Bowden dans son livre « Black Hawk Down » (et sommairement portée au cinéma), au choc produit par l'image de cadavres américains traînés dans les rues suite à une action « humanitaire », et au retrait de toutes les forces étrangères.

L'intervention éthiopienne a précipité leur retour sur sol somalien. Est-ce que cette nouvelle intervention s'achèvera comme la première, malgré l'évolution des enjeux au niveau planétaire ? Il est clair que les contingents africains ont une efficacité opérationnelle nettement inférieure à celle de contingents occidentaux, et que leurs penchants connus pour la corruption, pour le chantage ou pour l'usage abusif de la force n'inspirent guère confiance. Pourtant, si la troupe conserve sa cohésion face aux attaques et aux attentats, ses capacités militaires inférieures compteront bien moins qu'une volonté politique supérieure, c'est-à -dire qu'une aptitude à supporter les pertes et à autoriser le niveau de force nécessaire à la réussite de la mission. Et un appui extérieur limité (forces spéciales, renseignement) ou ponctuel (frappes aériennes) pourrait doper cette cohésion.

Les armées du Tiers-Monde ont en Somalie une véritable chance de prouver leur utilité : à la différence de leurs échecs passés, notamment en Afrique subsaharienne, elles ne seront pas confrontées à l'indifférence vaguement méprisante de la communauté internationale, mais agiront au contraire dans l'intérêt de celle-ci - et notamment dans l'intérêt évident des Etats-Unis, satisfaits de voir des troupes supplémentaires se frotter aux djihadistes tout en poursuivant leurs propres objectifs. Il faut juste espérer que des exigences morales insurmontables ne leur seront pas imposées comme une entrave, et qu'elles ne seront pas aussi prédatrices que les bandes armées s'opposant à leur présence. Ainsi pourra se renforcer cette future coalition des Etats luttant conjointement pour leur survie en tant qu'entités politiques et expressions sociétales, et pour lesquels la légitimité est la devise du succès.

COMPLEMENT (8.3 1000) : Le soutien américain public prendra la forme d'un appui logistique fourni par une société militaire privée. Une manière de réduire drastiquement les risques politiques tout en s'engageant dans la campagne...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h23 | Comments (9) | TrackBack

1 mars 2007

Bosnie : 11 ans de stabilisation

Les pays membres de l'Union européenne ont donc décidé cette semaine de réduire le volume de la force multinationale en Bosnie de 6000 à 2500 soldats, en raison de l'amélioration des conditions sur place. Certains pays, comme la Grande-Bretagne, ont naturellement un besoin impérieux de troupes pour d'autres missions de stabilisation. Il n'en demeure pas moins que 11 ans après le déploiement complet de la Peace Implementation Force (IFOR) et ses 60'000 militaires sous commandement de l'OTAN, dont 10'000 issus de pays non membres, la mission en Bosnie semble près de son terme. Elle représente certainement un succès sur le plan militaire.

Néanmoins, le temps nécessaire pour stabiliser un pays déjà épuisé par une guerre qui a fait environ 100'000 morts selon les recherches les plus récentes est un indicateur instructif. Surtout pour des missions de stabilisation déclenchées dans la foulée d'une intervention militaire accomplie sans l'accord du pays hôte. Le cas du Kosovo est à cet égard éclairant : l'expulsion des forces militaires, paramilitaires et policières serbes consécutive aux 78 jours de bombardements alliés a permis un nettoyage ethnique au ralenti qui, malgré le caractère immoral d'une telle action, réduit fortement les probabilités d'une nouveau conflit. Raison pour laquelle la KFOR, n'était-ce son incapacité à pleinement remplir sa mission, risquerait de maintenir la crise en croyant maintenir la paix - à force de confondre cessation des hostilités ouvertes et règlement des divergences d'intérêt.

Pourtant, le fait que les principaux criminels de guerres bosno-serbes soient toujours en liberté (alors que Slobodan Milosevic a fini ses jours en prison) et la persistance de mouvements ultranationalistes montre que rien n'est entièrement acquis, et que le succès militaire attend encore d'être transformé en succès politique, économique et sociétal. Ainsi, à ces 11 années de présence militaire visible et dissuasive vont s'ajouter des années de pressions diplomatiques, d'aides financières et d'initiatives éducatives pour gérer la phase post-conflit et empêche un basculement vers une situation pré-conflit. Le retrait des contingents de l'EUFOR annonce la fin du début et non le début de la fin, de sorte qu'il n'est pas faux de considérer qu'un effort soutenu pendant une génération est et sera nécessaire pour franchir les 3 étapes de l'action internationale : intervention, stabilisation et normalisation.

De nos jours, les souvenirs du conflit bosniaque, entre les massacres à la chaîne et les snipers terrorisant Sarajevo, commencent à perdre en force. Un clou chasse l'autre, et les guerres avivées ou révélées par les attentats du 11 septembre 2001 ont largement changé le référentiel. Toutefois, cette perspective générationnelle et transversale est bien celle qu'il faut adopter en considérant les points chauds du globe, les conflits qui s'y déroulent, ainsi que les raisons qui nous poussent à agir ou à ne rien faire.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h50 | Comments (27) | TrackBack

28 février 2007

Le programme d'armement 2007

Le Conseil fédéral a approuvé aujourd'hui le programme d'armement 2007, qui porte sur des crédits d'engagement de 581 millions de francs. Axé avant tout sur des éléments de conduite, il ne devrait pas susciter de résistance particulière. La faute à une année électorale ?

La suite à lire ici, sur le site de la Revue Militaire Suisse !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h42 | Comments (26) | TrackBack

26 février 2007

Une défense à réinventer

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Tel était le titre de ma conclusion, lors de l'exposé sur la guerre moderne que j'ai donné cet après-midi à l'Ecole d'Etat-major général, devant les 32 officiers ayant franchi les différents obstacles du second stage et appelés à être promus ce vendredi. L'un de mes anciens camarades de classe de l'école d'officiers (le 3e sur 12 à arborer tout bientôt les bandes noires et le 4e à devenir officier supérieur!) n'a manqué de m'interroger sur cette réinvention de la défense, et notamment sur sa dimension offensive. Je n'aborderai pas ici la question des bases juridiques, puisqu'une telle décision relève avant tout de la politique, mais plutôt le profil opérationnel d'une nouvelle compréhension de la défense nationale. Etant entendu que les effets recherchés doivent aboutir à défendre et à protéger le territoire, les esprits et les marchés.

La défense du territoire en conflit symétrique, avec le combat dès la zone frontière et la recherche de la décision militaire, voit son importance se réduire proportionnellement à l'amenuisement des capacités offensives au sein des armées européennes. En revanche, la défense du territoire en conflit asymétrique suppose la capacité à préserver et à restaurer le contrôle qu'exercent les autorités civiles sur des objets, des axes, des quartiers ou des secteurs. Dans la mesure où le renseignement ne permet que rarement d'effectuer au bon endroit et au bon moment des missions de protection, et comme les effectifs ne permettent pas d'assurer une protection généralisée (notamment en milieu urbain), cela signifie doit développer son aptitude à agir en milieu semi-permissif ou non permissif pour prendre le contrôle d'un périmètre donné, stabiliser la situation et assurer le retour de la normalité.

La défense des esprits ne peut cependant se satisfaire de telles actions contre-offensives : laisser volontairement l'initiative dans le domaine sémantique revient à abandonner par avance les éléments constitutifs des perceptions publiques, les points de repère et les références des jugements futurs. L'armée doit résolument prendre l'offensive dans ce domaine pour préserver le sentiment national, pour développer la volonté de servir, pour montrer les menaces contemporaines. Les représentations en matière de défense étant encore ancrées dans les conflits interétatiques, l'armée doit également rendre publiques les modalités belligérantes de notre ère, les méthodes de guerre susceptibles d'être utilisées contre nous - et celles qui l'ont déjà été. En plaçant la Suisse et ses intérêts au centre de sa perspective, l'armée doit lutter à son niveau contre la subversion du communautarisme et de l'incivisme.

La défense des marchés est la résultante des actions s'inscrivant dans le domaine matériel comme immatériel. En contribuant à la stabilité et à l'intégrité du pays, l'armée en préserve également l'attrait économique ; en contribuant à la protection des citoyens suisses et de nos intérêts hors des frontières, elle soutient aussi le dynamisme économique qui les caractérise. Enfin, l'armée doit rester en mesure d'appuyer l'approvisionnement économique du pays dans ses tâches régulières, en cas de crise menaçant ce dernier, pour éviter les pénuries dont nous aurions le plus à souffrir. Tout ceci suppose naturellement des intérêts communs avec d'autres nations européennes, et donc des engagements s'effectuant ponctuellement mais systématiquement en coopération multinationale.

Il reste à préciser que toutes les actions de l'armée, dans le cadre de cette défense rénovée du pays et de sa population, ne peuvent être limitées a priori par des frontières géographiques. Comme être suisse et vivre en Suisse sont de moins en moins synonymes, dans un sens comme dans l'autre, le critère déterminant pour un engagement de moyens militaires doit être l'intérêt national, et non l'emplacement géographique. Ce qui me paraît la condition pour qu'un Etat moderne conserve sa crédibilité et donc sa légitimité au cours des prochaines décennies.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h06 | Comments (34) | TrackBack

24 février 2007

Entre l'Irak et l'Afghanistan

Ces derniers jours, la Grande-Bretagne, le Danemark et la Norvège ont annoncé leur intention de renforcer leurs effectifs militaires en Afghanistan ; conjuguées à la réduction des troupes en Irak, ces décisions ont confirmé le mouvement de bascule qui s'opère depuis presque 3 ans entre ces 2 campagnes. D'autres pays, dont l'Australie, considèrent également l'envoi de contingents supplémentaires en Asie centrale ou le renforcement de leurs capacités, alors que les appels aux membres de l'OTAN pour accompagner ce mouvement sont fréquents. Ceci malgré des contestations en hausse face à ces déploiements sans terme visible, comme la chute du gouvernement Prodi l'a montré en Italie.

La perception originelle de ces deux campagnes explique naturellement cet engagement très différent. Lancée en réaction immédiate aux attentats du 11 septembre, la campagne d'Afghanistan a d'abord été une opération coercitive exclusivement américaine avant d'intégrer une opération de maintien de la paix commandée par l'OTAN ; la différence entre les deux a aujourd'hui presque disparu, mais l'action de la communauté internationale conserve une légitimité élevée. Au contraire, lancée de façon délibérée par les Etats-Unis sans lien direct avec des attaques terroristes, la campagne d'Irak est fréquemment présentée comme la mauvaise guerre, au mauvais endroit et au mauvais moment - en opposition à l'Afghanistan. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certaines nations, comme la France ou l'Allemagne, ont refusé toute implication militaire en Irak et combattent aux côtés des Etats-Unis en Afghanistan depuis presque 5 ans.

Toutefois, dès lors que ces deux campagnes initialement très différentes ont connu un rapprochement notable, au niveau des pertes subies comme dans l'absence de succès immédiat, ce mouvement de bascule est intriguant. Hormis les raisonnements axés sur la politique intérieure, il n'existe en effet pas de raison évidente pour laquelle un engagement croissant en Afghanistan et un engagement décroissant - ou inexistant - en Irak doivent être préconisés. Le développement très inégal des forces de sécurité locales (60'000 en Afghanistan après 5 ans contre 343'000 en Irak après 3 ans, malgré une population de taille grosso modo comparable - 30 millions d'habitants contre 27 millions) trace même des perspectives plus sombres pour l'Afghanistan, notamment quand on considère en plus le caractère moins central de ce pays, le relief tourmenté et rigoureux ainsi que la proximité d'un sanctuaire (Waziristan). La lenteur des nations engagées à accepter la nature conflictuelle de l'opération y concourt aussi.

Une démarche rationnelle consisterait donc à se demander quels sont les objectifs atteignables pour chacune des deux campagnes, les effets potentiellements déclenchés, et donc laquelle devrait faire l'objet d'un effort plus fourni. En allant au-delà de la fonction stratégique d'interdiction, l'Afghanistan reste un théâtre secondaire : la naissance d'un Etat-nation moderne dans ce pays perclus de tribalisme et de criminalité serait un succès sensationnel, mais sans grand effet. En revanche, si parvenir au même résultat en Irak serait tout aussi sensationnel, l'effet symbolique et sémantique obtenu serait immense ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les islamistes sont prêts à tout pour empêcher une telle défaite. Mais si une victoire aussi complète était inaccessible, à moyen terme du moins, ce qui semble bien être le cas, alors la campagne permettant d'infliger le plus de pertes à l'adversaire est celle qui devrait être privilégiée. Les chiffres avancés ici semblent une indication assez claire, du moins cohérente avec l'intensité des opérations...

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21 février 2007

Le dévoiement de la milice

Une critique que l'on entend de façon répétée à l'endroit de l'armée de milice est le faible niveau d'instruction des troupes engagées, interprétée le plus souvent comme la preuve qu'une armée de métier est nécessaire. C'est notamment la rhétorique du parti socialiste ; je me rappelle en particulier que l'an dernier, durant la soirée célébrant le 150e anniversaire de la Revue Militaire Suisse, la conseillère nationale Barbara Haering avait ainsi fermement reproché aux écoles de recrues actuelles de produire des soldats insuffisamment formés (une critique un brin surprenante dans la bouche d'une parlementaire socialiste, n'était-ce le besoin de marteler une stratégie bien définie). Ça et là , après chaque opération majeure de l'armée ou dans le cortège des troupes défilant à l'enseigne de « AMBA CENTRO », on peut lire ou écouter des témoignages de soldats allant dans le même sens. Les uns comme les autres sont pourtant dans l'erreur complète.

Premièrement, les écoles de recrues n'ont pas pour but de fournir des soldats aptes à l'engagement dès leur mise sur pied ou presque ; elles visent à alimenter des corps de troupe qui, lors de leur entrée en service, doivent d'abord s'assurer qu'ils ont atteint leur disponibilité de base (« fit for mission », en matière de personnel, d'instruction, d'équipement, etc.), puis ensuite entreprendre une instruction axée sur l'engagement (IAE) pour atteindre leur disponibilité opérationnelle (« fit for the mission »). En d'autres termes, on ne peut pas reprocher à la milice d'avoir un niveau de disponibilité inférieur à celui de formations professionnelles alors que c'est précisément le principe sur lequel est construit l'armée suisse. Il faut environ 6 mois à des unités de la National Guard pour se préparer à un déploiement en opération extérieure ; et on demanderait à nos miliciens d'être prêts en 3 jours ?

Deuxièmement, et c'est encore pire, les formations engagées dans des opérations actuelles, telles que l'appui à la sécurisation du World Economic Forum, le font durant leurs services de perfectionnement de la troupe, c'est-à -dire durant ce que l'on appelait auparavant des cours de répétition. Autrement dit, non seulement on ne laisse pas à la milice le temps nécessaire pour l'IAE, mais en plus on consume son temps d'instruction régulier, essentiel pour le maintien de son savoir-faire comme de son pouvoir-faire, dans des engagements subsidiaires. Comment ose-t-on dans ces conditions faire le reproche à la milice de ne pas avoir un niveau professionnel, alors que nul dans ce pays n'a le courage politique d'appeler à la mise sur pied - hors service d'instruction - des troupes engagées, et donc de présenter le véritable coût de ces missions au lieu de ronger l'aptitude à l'engagement dans des missions principales ?

A force d'engager des soldats non préparés au lieu de les préparer à de vrais engagements, il est logique que l'on donne l'impression d'une armée incapable de tâches autres qu'auxiliaires et limitées. Et au lieu d'être un pilier de la sécurité collective, une sentinelle sur laquelle compte la société, le soldat de milice sert de main d'œuvre bon marché à des autorités cantonales et communales économisant sur la sécurité. En tant que commandant de corps de troupe, et même si mon bataillon est avant tout composé de volontaires dont l'emploi est différent, je trouve que ce dévoiement de la milice est un scandale dont notre classe politique porte l'essentiel de la responsabilité. Quant à la généralisation de la subsidiarité, si elle renforce le principe du fédéralisme et constitue un appui essentiel au niveau local, elle éloigne l'armée de menaces stratégiques qui n'ont pas disparu, mais simplement changé de forme et de nature.

Le principe de la milice est aujourd'hui en perte de vitesse, alors même que l'utilité de la milice ne cesse de croître. Et le contre-emploi de l'armée y contribue fortement.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h25 | Comments (17) | TrackBack

20 février 2007

Un porte-avions pour la Suisse ?

Ce titre évidemment trompeur est inspiré par les commentaires ci-dessous, à la question de savoir si un porte-avions européen, contribuant à la protection des intérêts européens, ne devrait pas recevoir une contribution financière helvétique. Cette approche n'est pas si invraisemblable qu'on pourrait le croire de prime abord : les négociations entre grandes communes, abritant des infrastructures coûteuses, et petites communes dont les habitants en bénéficient sans les payer, relèvent en partie du même raisonnement. Par ailleurs, la Suisse a bien financé la construction de centrales nucléaires en France pour assurer son approvisionnement énergétique face au refus de la population helvétique de construire des centrales supplémentaires. Alors, faut-il contribuer aux dépenses de sécurité dont le monde entier profite ?

La sécurisation des voies de navigation mondiales n'est bien entendu pas indifférente à notre pays : la flotte suisse de haute mer, moderne et performante, reste un outil important en cas de crise et de frictions dans le fret planétaire. La dépendance constante de la Suisse face aux importations (40% de la nourriture, 100% des carburants fossiles, etc.) reste d'ailleurs une faiblesse stratégique, et donc une incitation à une politique de sécurité axée sur la coopération. Sans aller jusqu'à la suggestion de participer au financement d'un porte-avions européen (et accessoirement d'avoir un droit de regard sur son emploi ainsi qu'un quota de son équipage), une intégration plus avancée à des prestations sécuritaires contre des espères sonnantes et trébuchantes est une démarche qui semble logique.

A ceci près que la menace prioritaire de notre ère ne prend pas la forme d'une interruption du commerce planétaire, qui au contraire se libéralise chaque année davantage, mais consiste bien en cette lente et douloureuse décadence des Etats-nations. Que vaut la projection durable de puissance qu'autorise un porte-avions lorsque le territoire national, émanation théorique d'une telle puissance, est rongé par le chancre du non droit et du communautarisme ? A quoi bon défendre les marches de l'empire, si j'ose prendre une métaphore romaine pourtant rabâchée, si les barbares sont parmi nous ? Bien sûr, la projection de puissance contribue à une certaine fierté nationale et consolide l'identité qui la sous-tend. Mais aucun édifice ne supporte longtemps des flèches ambitieuses si ses fondations sont vermoulues et vacillantes. Elles accélèrent même son effondrement, comme le montre l'exemple de l'Union soviétique.

Je ne crois pas à un porte-avions européen, gadget politique privé de sens militaire (a-t-on déjà vu un bâtiment de guerre multinational apte au combat ?), pas plus qu'à une armée européenne sans le sens national qui en souderait les rangs. La mise en commun des moyens militaires n'est depuis longtemps qu'une manière déguisée de réduire les dépenses en la matière, et les capacités opérationnelles restantes n'ont jamais été testées par une véritable guerre. Le rôle stratégique des armées dans la préservation de la cohésion des Etats-nations vaut infiniment plus que le développement de niches "exportables" ou la multinationalisation des forces. Et la priorisation des investissements matériels par rapport aux investissements personnels, caractéristique des armées conventionnelles qui se piquent de chimères high tech, est un aveuglement pour le moins risqué.

Contribuer aux dépenses de sécurité des pays voisins n'a donc de sens que si ceux-ci sont davantage des producteurs que des consommateurs de sécurité. L'exportation de la criminalité et de l'incivisme français à Genève fournit une partie de la réponse à la question posée ci-dessus...

Posted by Ludovic Monnerat at 23h35 | Comments (16) | TrackBack

16 février 2007

Commander un bataillon

Dans la carrière d'un officier de milice, le commandement d'un bataillon est souvent réputé pour être la fonction la plus gratifiante : on est suffisamment élevé dans la hiérarchie militaire pour avoir de l'influence, et on est suffisamment proche des hommes pour rester concret et réaliste. Mes premiers mois à la tête du bataillon de grenadiers 30 confirment cette affirmation, car un tel commandement est le compromis idéal entre d'une part le contact humain et l'activité dans le terrain, et d'autre part la planification des services et la transformation des capacités ; entre la poignée de mains et la décision militaire, pour prendre un raccourci.

Ainsi, un commandant d'unité est ancré dans sa troupe et possède une influence déterminante sur son comportement, mais il n'a pas la latitude de choisir les efforts principaux de l'instruction ; un commandant de régiment (par le passé) ou de brigade peut orienter fortement l'activité des formations subordonnées, mais il n'a pas - à mon avis ! - la proximité nécessaire pour en sentir le pouls et il perd l'unité d'espace et de temps des niveaux inférieurs. La taille des états-majors respectifs reflète d'ailleurs aussi la distance entre un commandant et l'homme du rang, qui peut donner lieu à bien des malentendus (et NON, je tairai toute anecdote à ce sujet !).

En septembre dernier, avec mon bataillon, j'ai mené un entretien individuel avec chaque officier ayant effectué la totalité du cours (à une exception près, nul n'est parfait!) afin d'avoir de vive voix son avis sur le cours, d'entendre ses idées pour améliorer les services d'instruction, ainsi que son intérêt pour l'avancement. Il n'y a rien d'exceptionnel à cela, et cela n'empêche pas de parler avec les sous-officiers et les soldats, mais c'est un tel contact - 2 échelons en-dessous pour ce qui est des chefs de section - qui permet d'avoir la connaissance des détails humains, matériels, techniques ou tactiques sur lesquels doivent être fondées les décisions d'ensemble.

Cette position fait des commandants de bataillon des pivots essentiels dans l'armée de milice actuelle ; encore plus que par le passé, suite à la suppression de plusieurs échelons (régiment, division, corps d'armée). Pour ma part, avec le statut spécifique des bataillons de grenadiers et leur vocation à mener des opérations particulières, je commande environ 1300 hommes (sur le papier!), avec au-dessus de moi un commandement tactique de niveau brigade, puis directement le commandement de l'armée pour tous les éléments liés à l'engagement. Une subordination qui raccourcit immensément la chaîne de commandement, et qui renforce ce rôle de pivot.

Sinon, je me réjouis du prochain service! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h07 | Comments (7) | TrackBack

12 février 2007

Des armées sur étagère

Un article très pertinent publié la semaine dernière par Tech Central Station fournit une perspective originale sur l'accession des fortunes privées aux vecteurs militaires. L'auteur, Robert Haddick, montre qu'un combattant moderne, déployé au sein d'une formation tactique aéromécanisée, coûte environ 2000 dollars par jour, et que ceci met à la disposition des non Etats un ensemble de capacités à même de vaincre des Etats :

Still, $2,000 per man per day adds up quickly. A 500-man mercenary force composed of 350 shooters and 150 aviation and other support personnel would run $1 million per day, or $365 million per year. What private activist could afford such an expense?
Quite a few. A glance at the bottom of the Forbes 400 list of richest people in the world finds numerous people with a net worth of $2 billion. Assuming a modest investment return of 5% per annum, such a person could employ the 500-man air and ground-mobile mercenary force described above for over three months, spending only his annual investment earnings and without ever touching his investment principal.
This list of the 50 largest private foundations in the United States shows a similar finding. Number 50 on this list has the financial capacity to employ, using only the foundation's annual investment income, the 500-man force for almost two months. On the other end of the spectrum, the $60 billion Bill Gates/Warren Buffett foundation could, in theory, employ a 4,100-man air and ground-mobile brigade for a year, using only the foundation's annual investment income. Such a brigade of former special forces men would have the capability of removing just about any government in Africa, many in Asia, and more than a few in Latin America. When Mr. and Mrs. Gates and Mr. Buffett seethe with frustration over the corruption, incompetence, and tribalism that interfere with their public health efforts in Africa, one wonders whether the thought of more direct measures ever enters their minds.

Cette analyse me paraît cohérente. On peut relever que la disponibilité de 4100 hommes n'est pas assurée pour n'importe quel client (les sociétés militaires privées ont des préférences, voire même des servitudes héritées de leurs contrats avec les Etats), et que la cohésion comme l'interopérabilité d'une brigade ainsi achetée sur étagère ne peut résulter que d'un long entraînement commun. Cependant, en prenant en compte les bénéfices des plus grandes entreprises et les budgets qu'elles consacrent déjà à la sécurité, avec donc le personnel employé à cette fin, on se rend compte que la formation d'armées privées projetables est désormais dans le domaine du possible. Sans les restrictions politiques et juridiques qui entravent les armées nationales et les empêchent (heureusement, dans bien des cas) d'obtenir la décision sur le champ de bataille.

Une telle réalité est un spectaculaire retour en arrière, au temps des condottieri, du moins en apparence. A cette époque, un chef de guerre suffisamment talentueux pouvait en effet lever et administrer une armée comme une entreprise, vendre des prestations sécuritaires au plus offrant, et ainsi jouer sur la faiblesse des Etats pour se tailler une part bien juteuse du marché de la violence armée. C'est l'avènement de l'artillerie et la transformation subséquente des fortifications qui ont placé la guerre hors de portée des non Etats, en rendant nécessaire pour prendre l'offensive des investissements tels que seuls les Etats stables en étaient capables; ils préféraient d'ailleurs souvent recourir à la petite guerre pour éviter de telles dépenses. Le monopole de la guerre de haute intensité existe encore aujourd'hui, comme le montrent les armements lourds de haute technologie.

Mais la technologie confère désormais à la précision, à la flexibilité et à la synchronisation une force plus efficace que la puissance brute d'origine mécanique. Ce n'est pas seulement qu'une patrouille de forces spéciales dispose aujourd'hui d'une capacité offensive supérieure à celle d'une section d'infanterie 6 fois plus nombreuse de la Seconde guerre mondiale, grâce en particulier à un feu plus précis et plus dense ; c'est que la mise en réseau de petites unités indépendantes, capables de se fondre dans l'environnement jusqu'à l'exécution d'une action concentrée dans le temps et non dans l'espace, offre des capacités militaires d'une tout autre dimension. Une division d'infanterie classique, telle que les armées occidentales alignaient par dizaines voici encore 20 ans, serait tout simplement mise en pièces par une brigade de forces spéciales numérisée et disposant de ses propres appuis aériens, telle qu'elle est décrite dans l'article mis en lien.

Il est donc exact que nombre d'armées nationales ne pourraient faire le poids face à une telle force, qu'elle soit en mains privées ou non. Toutefois, il faut relever que la supériorité militaire exprimée de façon conventionnelle sur le plan matériel a toujours été contrée par des actions non conventionnelles recherchant indirectement le succès sur d'autres plans. Une armée sur étagère permettrait ainsi d'user, de neutraliser, de détruire ou d'anéantir un acteur militaire classique, mais certainement pas d'obtenir à elle seule un succès décisif auprès d'une société. Seul le chaos peut lui permettre un temps de prospérer...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h44 | Comments (13) | TrackBack

8 février 2007

Jeu de dupes au Liban

Voici presque 6 mois, j'ai esquissé 3 scénarii pour l'évolution de la situation au Liban Sud. Le scénario le plus probable était décrit de la manière suivante :

La force multinationale préside à un gel précaire de la situation. Les apparences prévalent : le Hezbollah dissimule ses armes et annonce son respect de la FINUL, sans rien entreprendre de concret dans son sens ; Israël s'abstient d'user de la force et négocie la libération de ses soldats, tout en laissant une petite partie de ses troupes sur territoire libanais, ou prête à y entrer à tout instant ; l'armée libanaise s'installe au Sud Liban, assure ouvertement des tâches de sécurité, sans exercer le moindre contrôle effectif. Les emplacements, les moyens, les procédures, les règles d'engagement de la force multinationale sont consciencieusement étudiés ; ses installations, ses services sont infiltrés par des informateurs. Et si les unités de la FINUL décident de mener une action coercitive, elles sont neutralisées par des foules "spontanées", leurs chefs menacés personnellement sur leur lieu de travail et dissuadés par leurs "contacts", leurs soldats soudain confrontés à un environnement non permissif. Bref, le scénario d'une prise d'otages géante, ou de l'instrumentalisation de la FINUL dans les rapports de force internationaux.

Que vaut aujourd'hui cette perspective ? Cette information sur le Hezbollah, qui demande la restitution d'un camion d'armes saisies par les autorités libanaises, cet article du Figaro, qui explique que la FINUL ralentit le réarmement du Hezbollah, et d'autres informations non confirmées sur les pressions dont la force multinationale ferait l'objet, montre que l'on assiste très probablement à un déroulement de ce type. Sans surprise, le Hezbollah s'abrite derrière la FINUL pour retrouver ses capacités militaires, durement entamées par les forces armées israéliennes, et la communauté internationale (dont la France) ne veut ou ne peut l'en empêcher. Puisque cela signifierait la guerre.

L'élément essentiel de la situation libanaise est bien entendu la lutte pour le pouvoir qui se joue aujourd'hui à Beyrouth. Avec la FINUL comme bouclier, le Hezbollah tente d'utiliser tout son levier politique pour accomplir ses objectifs, faire du Liban un Etat islamique et s'en servir pour attaquer Israël. Mais bien des énergies sont aujourd'hui déployées pour faire échec à cette tentative, de la part du bloc occidental en général et des Etats-Unis en particulier, mais aussi de la part des régimes arabes sunnites alarmés par la stratégie conquérante de l'Iran khomeiniste. En d'autres termes, après avoir été un autre domino bousculé par l'invasion américaine en Irak et l'implantation au forceps de libertés démocratiques, le Liban est devenu un terrain d'application supplémentaire et par procuration de l'affrontement entre fondamentalisme musulman et démocratie à l'occidentale.

Espérons que le jeu de dupes auquel concourt la FINUL ne tourne pas au désavantage de l'Europe et de ses soldats, otages potentiels et en première ligne.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (3) | TrackBack

6 février 2007

Les Assises de la Sécurité

Ce matin, j'étais donc à Genève pour les premières Assises de la Sécurité, invité pour donner une appréciation générale de la menace en 10 minutes comme premier exposé de la journée. Le temps me manque pour en dire plus, mais je mettrai bientôt une version PDF de ma présentation. En tout cas, la partie des Assises à laquelle j'ai assisté était fort intéressante...

COMPLEMENT (7.2 0715) : Voilà , mon bref exposé a été mis en ligne et peut être téléchargé provisoirement ici. Un extrait est visible ci-dessous.

COMPLEMENT II (7.2 1110) : Un autre serveur abrite désormais le fichier, ici.

COMPLEMENT III (7.2 2230): Puisque je suis de retour à domicile, j'ai téléchargé le fichier ici, sur mon bon vieux site CheckPoint - que j'espère bien relancer prochainement... Merci quand même à ajm pour le coup de main !

Exposé.jpg

Posted by Ludovic Monnerat at 18h54 | Comments (16) | TrackBack

1 février 2007

L'interconnexion des champs de bataille

Les informations diffusées par les services de sécurité britanniques sur le complot terroriste déjoué hier, par lequel des islamistes auraient préparé le kidnapping et la décapitation filmée d'un soldat britannique et musulman revenu d'Afghanistan, sont une illustration exemplaire de l'interconnexion des champs de bataille à laquelle aboutit l'éclatement de l'espace. Considéré ainsi, cet événement est en effet surprenant : un soldat déployé à des milliers de km de son pays pour protéger la police afghane de combattants islamistes doit être protégé chez lui par sa propre police contre des combattants islamistes d'origine pakistanaise. Ou comment la circulation des hommes, des idées et des informations bouleverse la notion même d'espace opérationnel.

Toujours d'après les informations rendues publiques, les terroristes auraient eu l'intention de faire pression sur le Gouvernement britannique pour qu'il retire ses troupes d'Irak, en diffusant l'exécution de la vidéo pour obtenir l'effet psychologique recherché, et probablement en comptant sur les idiots utiles habituels pour dire que la présence britannique en Irak, et non les assassins en question, est la cause d'une telle horreur. Il y a donc la recherche d'une triangulation entre deux secteurs d'opérations extérieurs et un secteur d'opération intérieur, avec une action directe sur l'opinion publique pour affecter les décisions politiques, et donc indirectement les déploiements militaires. Une possibilité que la technologie et la globalisation offrent presque librement.

Cette action déjouée n'est certes pas nouvelle, et la protection des identités est depuis longtemps la règle pour toutes les unités susceptibles de mener des missions risquées et décisives, dont en particulier les forces spéciales. Mais cette suppression définitive de toute zone arrière, de tout abri sûr en l'absence d'une bulle sécuritaire personnalisée, augure une généralisation des risques pour l'ensemble du personnel étatique déployé dans des missions de stabilisation ou de construction de nation. Parce que l'ordre, la prospérité et la liberté sont désormais les ennemis des armées informes du chaos, les opérations de maintien de la paix relèvent toujours plus de la conquête des esprits et donc peuvent susciter des réactions violentes. Là où des combattants sont disponibles.

Pour les armées, cette perspective pourrait amener une évolution marquante des priorités opérationnelles, au moins en théorie. Si la mission donnée consiste à combattre des islamistes, à les empêcher de prendre le pouvoir et donc aussi à les envoyer aussi nombreux que possible dans l'au-delà , pourquoi ne pas le faire dans les conditions les plus favorables, là où l'on peut obtenir une efficience maximale ? Évidemment, un tel raisonnement se focalise sur l'attrition et omet de considérer les perceptions contre-productives qui pourraient en résulter, mais l'effet psychologique des pertes massives ne doit pas être sous-estimé. Or l'endroit où l'on peut le plus facilement liquider les candidats au djihad reste aujourd'hui l'Irak, bien moins excentré et montagneux que l'Afghanistan!

Je doute que de telles réflexions aient cours dans les états-majors européens. Mais la disparition de la profondeur stratégique nous en rapproche immanquablement.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h42 | Comments (24) | TrackBack

29 janvier 2007

Les barbares parmi nous

L'information ne surprendra pas les fidèles de ce blog, où les questions liées à l'intégration des immigrants et à la place croissante de l'islam suscitent des débats enflammés : d'après une étude citée dans cet article, 37% des jeunes musulmans vivant en Grande-Bretagne veulent l'application de la charia au lieu des lois actuelles, 37% également souhaiteraient envoyer leurs enfants dans des écoles islamiques au lieu de l'école publique laïque et 74% préfèrent que les femmes musulmanes portent un voile. Mais le pire n'est pas que leurs parents soient nettement moins enclins à une telle tendance : 36% des sondés estiment que la conversion de musulmans mérite d'être punie par la mort, et 13% admirent les mouvances islamistes en guerre contre l'Occident. Encore heureux que l'enquête d'opinion n'ait pas abordé des thèmes tels que la lutte contre le terrorisme ou l'égalité entre hommes et femmes !

A l'évidence, le temps n'est plus au constat des méfaits du multiculturalisme, de ce relativisme ethnomasochiste qui conteste toute supériorité et toute vérité en matière de valeurs, d'idées ou de cultures, et qui s'en prend systématiquement à l'Occident blanc, chrétien et opulent. Pendant que les idiots utiles hurlent au loup et s'opposent de toutes leurs forces à ceux qui luttent, une idéologie totalitaire, archaïque, sexiste, homophobe, bornée et surtout belligène étend son ombre sur nos cités, gagne les consciences ébranlées par l'absence de repères, conquiert les âmes en quête d'autorité et d'absolu. Pendant que l'Europe s'offusque des échos de la guerre, s'agite dans l'espoir de figer le temps, grandit en son sein une génération dont une forte part ne songe qu'à la subvertir, qu'à lui imposer une loi barbare, qu'à l'arracher à la modernité et à la liberté.

Les barbares sont bel et bien parmi nous. A des degrés divers, naturellement : l'enquête en question ne fournirait pas nécessairement les mêmes proportions en France, en Allemagne ou en Suisse. Avec déjà ça et là quelques réactions, quelques vélléités de conjurer l'affrontement qui se profile derrière de telles enquêtes, derrière l'avènement d'un ennemi intérieur que l'importation des idées plus que celle des hommes a fait naître et croître. Est-il possible d'empêcher cette guerre, cette conquête d'un continent rongé par le poids de l'histoire, déchiré par la guerre froide, émasculé par l'illusion pacifiste ? Pouvons-nous combattre la barbarie sans produire davantage de barbares, ou pire devenir barbares nous-mêmes ?

La foi en notre démocratie directe m'amène à répondre par l'affirmative. Derrière les cris d'orfraie des élites gauchisantes, la population suisse ne s'y trompe pas et voit bien que ceux qui défilent sur la place fédérale en brandissant le coran sont une menace pour notre sécurité. A condition de maîtriser la circulation des hommes, celle des idées ne peut être [qu'] à notre avantage, car la liberté politique, religieuse et économique reste l'arme absolue face à tous les totalitarismes. Les barbares ne prolifèrent que par nos propres largesses, faiblesses et capitulations ; leur nature parasitaire les empêche de créer, de construire, de concrétiser une alternative à la civilisation moderne. Et le temps ne joue pas en leur faveur...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h40 | Comments (91) | TrackBack

27 janvier 2007

Irak : le vent du boulet

Et si les renforts américains en route vers Bagdad ne faisaient qu'accélérer la défaite de l'insurrection sunnite, aujourd'hui bien entamée déjà ? Cette thèse, inimaginable pour quiconque se fie à la couverture des médias traditionnels (surtout francophones) et donc au "désastre" qu'ils annoncent depuis bientôt 4 ans, est celle avancée par un analyste irakien proche de l'ancienne opposition à Saddam Hussein. L'aspect intéressant de ses propos réside dans l'angle adopté : c'est parce que l'insurrection a subi des pertes croissantes, parmi les combattants (suite à l'action de contre-insurrection) comme parmi les non-combattants (violences interconfessionnelles), qu'elle sent désormais le vent du boulet. Et seuls les djihadistes sembleraient enclins à poursuivre la lutte :

The wider Sunni insurgency - the groups beyond Al Qaeda - is being slowly, and surely, defeated. The average insurgent today feels demoralized, disillusioned, and hunted. Those who have not been captured yet are opting for a quieter life outside of Iraq. Al Qaeda continues to grow for the time being as it cannibalizes the other insurgent groups and absorbs their most radical and hardcore fringes into its fold. The Baathists, who had been critical in spurring the initial insurgency, are becoming less and less relevant, and are drifting without a clear purpose following the hanging of their idol, Saddam Hussein. Rounding out this changing landscape is that Al Qaeda itself is getting a serious beating as the Americans improve in intelligence gathering and partner with more reliable Iraqi forces.
In other words, battling the insurgency now essentially means battling Al Qaeda. This is a major accomplishment.
Last October, my sources began telling me about rumblings among the insurgent strategists suggesting that their murderous endeavor was about to run out of steam. This sense of fatigue began registering among mid-level insurgent commanders in late December, and it has devolved to the rank and file since then. The insurgents have begun to feel that the tide has turned against them.
In many ways, the timing of this turnaround was inadvertent, coming at the height of political and bureaucratic mismanagement in Washington and Baghdad. A number of factors contributed to this turnaround, but most important was sustained, stay-the-course counterinsurgency pressure. At the end of the day, more insurgents were ending up dead or behind bars, which generated among them a sense of despair and a feeling that the insurgency was a dead end.
The Washington-initiated "surge" will speed-up the ongoing process of defeating the insurgency. But one should not consider the surge responsible for the turnaround. The lesson to be learned is to keep killing the killers until they realize their fate.

Il est naturellement très difficile à distance de mesurer l'exactitude de ses propos, qui se basent apparemment sur des sources locales, mais qui peuvent très bien relever d'une opération d'information visant à contrer le défaitisme croissant dans la classe politique américaine. Pourtant, ce sont exactement ces sources qui fournissent les meilleures indications sur l'évolution d'un conflit de basse intensité, qui se joue avant tout sur les facteurs immatériels tels que la volonté et la légitimité. L'étude des chiffres disponibles, elle, fournit une direction générale : les pertes des forces de sécurité irakiennes diminuent, les pertes américaines stagnent, les attaques physiques augmentent et les pertes en non-combattants aussi ; tous signes d'une insurrection en voie de radicalisation et de marginalisation dans une lutte intrasociétale à sens unique. Et pour laquelle les renforts américains sont une bien mauvaise nouvelle.

Plus tard, il sera possible de dire si l'Irak est effectivement le Guadalcanal de cette guerre globale, le point focal où l'attrition quotidienne joue un rôle décisif, et où la capacité à poursuivre la lutte est la condition sine qua non de toute victoire. Mais des combats prenant toujours plus la forme d'un nettoyage ethnique et confessionnel sont exactement la forge où viennent se fondre les casus belli et d'où peut émerger une nation plus stable, plus homogène, plus forte aussi, et plus libre. Libre notamment de combattre les djihadistes qui, par dizaines de milliers, ont déjà perdu la vie dans le piège irakien...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h54 | Comments (11) | TrackBack

23 janvier 2007

Le pacifisme des militaires

Dans le débat enclenché par le billet ci-dessous a été émise une phrase qui ne peut manquer de me faire réagir, malgré l'heure tardive (due à des journées très bien remplies) : "le coeur du problème, en matière de défense, c'est que nos militaires sont devenus psychologiquement pacifistes". Hélas, hélas, trois fois hélas, cette phrase est en grande partie exacte, même si les militaires ne font que subir les contrecoups de sociétés gangrénées par l'idéologie pacifiste. Je ne pense pas que l'exemple d'un officier de l'Armée de l'Air soit représentatif : les armes techniques ont toujours eu une distance par rapport à la guerre que les armes combattantes n'ont pas. Il n'en demeure pas moins que la transformation des armées en organisations d'aide humanitaire d'urgence est une triste et perverse réalité.

Je me souviens d'un épisode qui m'avait frappé voici 9 ans, lorsque je commandais une compagnie d'infanterie mécanisée durant mon service pratique à l'ER inf méc 1/98 de Bière. J'avais dû organiser rapidement une série de démonstrations pour une visite un brin impromptue d'officiers du recrutement dans l'école, qui comptait alors une seule compagnie (et uniquement le printemps : l'inf méc démarrait encore). Dans l'une des démonstrations, un groupe de recrues illustrait les différentes capacités des systèmes de simulation - Panzerfaust et fusil d'assaut. Evidemment, pour en montrer le fonctionnement, le plus simple consistait à faire en sorte qu'en homme tire sur un autre et que le rayon laser, avec la cartouche de marquage signalant le bruit et le sifflement du gilet de la recrue prise pour cible, symbolisent une ouverture du feu. Réaction horrifiée de certains colonels dans l'assemblée : "comment, vous faites tirer vos soldats les uns sur les autres ?"

Il y aurait beaucoup à dire pour expliquer cette dérive vers le pacifisme et l'angélisme, notamment dans une armée qui n'a pas connu le combat depuis belle lurette. Je pense toutefois que la transformation de la société par l'illusion lénifiante du pacifisme et la nécessité pour les militaires de plaire à cette société (le taux d'approbation de l'armée est une mesure essentielle de succès aujourd'hui, comme si une armée devait être plus convenable qu'efficace) expliquent pourquoi le combat, la guerre, le sang et la mort sont toujours plus absents de la préparation militaire. L'un de mes amis, qui a longuement roulé sa bosse avant de trouver sa place dans l'armée, a pour coutume de séparer les militaires en trois catégories : les carnivores, les herbivores et les papivores. Il n'est guère besoin d'une grande imagination pour comprendre que les deux derniers sont seuls à être agréés par les pontes civils qui, du recrutement des jeunes adultes à l'assessment des candidats militaires professionnels, condamnent toute inclination spontanée envers l'application de la force.

Je terminerai par une citation d'un homme dont les écrits précoces, avant la Seconde guerre mondiale, rassemblent presque l'essentiel de la chose militaire : "Il faut que les maîtres aient des âmes de maîtres, et c'est un calcul bien mauvais que d'écarter de la puissance les caractères accusés sous prétexte qu'ils sont difficiles. Moyennant des commodités dans les rapports immédiats, on risque de tout perdre quand les grands jours sont venus". Charles de Gaulle, Le Fil de l'épée.

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21 janvier 2007

Succès conventionnel en Somalie

Voici quelques jours, j'ai décrit sur le site de la Revue Militaire Suisse le rôle des armements lourds dans la maîtrise des espaces, citant brièvement l'exemple tout récent de l'armée éthiopienne en Somalie. Cette analyse d'une telle guerre éclair conventionnelle vient fournir plusieurs informations de détail qui méritent le détour. Extrait

In Somalia, Flankers hit airports, roads, ammo dumps, Islamic militia camps and convoys - disrupting transport, communications and emergency re-supply - while T-55s sporting external fuel tanks crawled south ahead of self-propelled howitzers. Hinds flew top cover and even dropped 250-kilogram gravity bombs. Mil Mi-17 medevac choppers evacuated wounded troops. Helicopters kept pace with the ground advance by way of forward operating bases.
These heavy forces faced just a few thousand Islamic troops boasting nothing heavier than "technicals" - pickup trucks hauling heavy machine guns. There were reports of Eritrean forces aiding the Islamists and even swapping artillery barrages with the invaders; if true, this resistance hardly slowed the Ethiopian advance. The Ethiopian government claims 1,000 Islamist fighters killed while declining to cite its own, surely lighter, losses.

Plus loin, on apprend un peu plus en détail le type de soutien fourni par les Etats-Unis, ce qui permet d'appréhender le niveau de coordination interarmes et interarmées développé par les forces éthiopiennes. Cette offensive est donc un succès conventionnel, une opération classique visant à défaire un adversaire nettement inférieur en prenant le contrôle de l'espace terrestre comme aérien. Du coup, depuis 2 semaines, le conflit est immanquablement devenu non conventionnel, avec des actes de guérilla et de terrorisme qui prennent à contre-pied la domination de l'armée éthiopienne et des forces "gouvernementales" somaliennes. Et je vois mal quelle capacité aurait l'Ethiopie, dont l'équilibre ethnique et religieux est pour le moins fragile, à mener une campagne de contre-insurrection victorieuse alors que ses intérêts vitaux viennent d'être protégés efficacement.

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20 janvier 2007

L'inertie de la haine

Le procès des auteurs des attentats manqués du 21 juillet 2005 à Londres livre des informations intéressantes sur la manière, somme toute très simple, avec laquelle les terroristes islamistes ont acquis le matériau nécessaire à la préparation des explosifs. Qu'une erreur de dosage ait finalement empêché la détonation de la charge, et donc ait prévenu la mort et la mutilation de dizaines de personnes, est un hasard sur lequel il ne faut pas trop compter. Les services de sécurité britanniques d'ailleurs sont en permanence sur la brèche, et ces informations complémentaires montrent bien la dimension - notamment temporelle - de la menace :

New Scotland Yard and the British domestic security service MI5 have put together physical evidence and a pattern of interlocking relationships between alleged terrorists that appear to establish a firm link among the subway and bus bombs that killed 52 Londoners on July 7, 2005, a failed set of bombings on July 21, 2005 and a plot to blow up between six and nine airliners, killing as many as 5,000 persons headed to the United States this summer, all the result of three years of planning by British al Qaeda.
Each cell appears to have had ties back to the same British citizen who controlled the plotters from Pakistan and whose identity was first reported by the ABC News Investigative Unit, sources said. That link plus forensic evidence and evidence of overlapping knowledge and personnel in each of the plots is more terrifying to authorities than the prior theory of independent cells operating without knowledge of each others' plans, sources said.
Intelligence sources also say it points to an organized group of cells working to cause carnage and damage to Britain's economy, apparently in an effort to wear down the public will to fight along side the United States in the War on Terror.
Frightening details have also emerged that show how careful the planning was for the latest plot dubbed "Operation Overt," a plot interrupted by authorities at the 11th hour when they felt they had gathered much of the evidence needed to make charges stick.
[...]
Although the terror suspects were homegrown, the plot itself exhibited none of the hastiness from plan to execution or the lack of professionalism in planning that are often the hallmarks of what are commonly called homegrown plots.

La décision de préparer des attaques majeures contre la Grande-Bretagne, selon ces informations, aurait donc été prise entre 2002 et 2003, aboutissant à plusieurs missions données en parallèle à différentes cellules. Cette inertie rappelle encore une fois que, d'une part, et contrairement à l'idée diffusée largement par les médias, ce n'est pas l'opération "Iraqi Freedom" qui a provoqué ces complots terroristes, et que d'autre part les hommes qui s'engagent dans ces actions suicidaires le font dans une perspective stratégique et avec une motivation guerrière. Autrement dit, les Britanniques ne sont pas attaqués pour ce qu'ils font ou ne font pas, mais bien pour ce qu'ils sont ou ne sont pas. Toute tentative d'apaisement, de tolérance, d'ouverture et de compromis à l'endroit des fondamentalistes musulmans est un marché de dupes et le signe d'une faiblesse à exploiter sans tarder. Simplement parce que la haine de l'autre ne se laisse pas raisonner...

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18 janvier 2007

Le poids décisif de l'individu

L'importance toujours plus grande prise par les individus est une réalité désormais bien connue au sein des armées. Avec la fin des manoeuvres de masse, dont la Guerre du Golfe reste à ce jour la dernière véritable occurrence (le nombre de soldats partis à l'assaut des troupes irakiennes ayant été divisé par 4 entre 1991 et 2003), et donc la dévaluation de la force brute et mécanique, ce sont les petites unités et les soldats individuels qui font désormais la différence. C'est bien ce qu'explique le général français Vincent Desportes, connu pour son livre "Comprendre la guerre", en soulignant l'importance de la tactique dans le dernier numéro de Héraclès :

Nous assistons à un retour vers la tactique.
D'abord parce que, désormais, dans les nouveaux contextes, les forces sont généralement déployées pour des objectifs infrastratégiques. Ensuite parce que, lors des engagements, les actions sont le plus souvent conduites aux plus bas niveaux, au plus à celui du GTIA, mais beaucoup plus couramment au niveau du S/GTIA, voire du détachement interarmes.
Il y a donc, pour les forces, une impérieuse nécessité de se réapproprier la tactique parce que le succès ou l'échec d'une opération viendront désormais davantage de ceux des multiples actions de petit niveau que de la perfection ou de l'imperfection du plan opératif. L'heure du "caporal stratégique", c'est en fait l'heure du "sergent tactique". Le chef d'état-major de l'armée de terre le dit clairement : "C'est la manoeuvre aux plus petits échelons tactiques, au sol, qui contribue à l'atteinte de l'effet stratégique."

Ces propos soulignent bien la fin d'une époque, celle des armées où personne ne réfléchit et où tout le monde exécute (pour reprendre le mot de Frédéric le Grand), pour une réalité où réflexion et action sont indissociables à chaque échelon - la perspective temporelle des effets considérés évoluant encore au fil de la hiérarchie. Or les armées ont une grande difficulté à s'adapter à cette réalité ; pour un brigadier expliquant à des soldats l'importance des "petits chefs" à l'aune du "caporal stratégique", un autre reproche aux soldats de discuter en plénum le plan en cours de développement dans la compagnie (deux exemples vécus l'an dernier). De nos jours, parmi les troupes engagées au sol, seules les forces spéciales exploitent à fond les qualités individuelles grâce à des processus, des méthodes et des équipements spécifiquement adaptés. Dans les troupes conventionnelles, à l'exception des spécialistes en nombre limité, l'individu reste encore largement un numéro, un élément interchangeable.

Au sein de mon bataillon de grenadiers, une troupe capable de mener des opérations spéciales (nommées opérations particulières en Suisse...), on applique ainsi une méthode participative qui implique chacun dans l'analyse, la préparation, l'exécution et l'évaluation d'une action. Le plan est discuté et rediscuté pendant des jours, au fil de l'entraînement et selon les derniers renseignements reçus, jusqu'à l'insertion de l'élément d'engagement, l'action sur l'objectif et l'extraction vers la base opérationnelle avancée. Et les meilleures idées pour cette action ne viennent pas toujours des officiers, formés en tant qu'aspirants à la tactique, mais bien parfois des sous-officiers et des soldats, qui connaissent l'effet attendu de l'action et qui tentent de l'atteindre au mieux. Rien de tel qu'un plan élaboré en commun pour augmenter l'adhésion comme la motivation.

De telles méthodes sont-elles applicables à des unités conventionnelles, en particulier aux bataillons d'infanterie, qui jouent un rôle essentiel dans toutes les opérations autres que le combat symétrique de haute intensité ? La qualité du matériau humain confié par la société à l'armée de milice suisse, qui rejete environ un jeune homme sur deux pour inaptitude au service, le laisse penser. Mais accepter le poids décisif de l'individu implique avant tout une relativisation des hiérarchies, un apprentissage de l'initiative, une mise en valeur du sens critique, une décentralisation des décisions, ou encore une acceptation de la différence. Toutes choses qui sont à l'opposé de la culture militaire classique, celle des armées qui ont fait des Etats-nations les maîtres de la guerre, et celle qui depuis un demi-siècle mène presque systématiquement à l'échec...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h53 | Comments (2) | TrackBack

15 janvier 2007

Give war a chance ?

Et si la situation en Irak, avec ces attaques et ces attentats qui ensanglantent la capitale et divisent le pays, étaient en fait favorables aux intérêts américains à court terme, comme aux intérêts irakiens - entre autres - à long terme ? Plusieurs analyses récentes, jugeant l'Irak actuellement en proie à une guerre civile, contiennent des réflexions allant dans ce sens.

D'une part, Edward Luttwak affirme dans le Los Angeles Times que la nature artificielle de l'Etat irakien est la cause de ses violences internes et que la communauté internationale, avec un cynisme appuyé mais aussi un certain réalisme, devrait s'en écarter :

That is the mistake that the U.S. and its allies are now making by interfering with Iraq's civil war. They should disengage their troops from populated areas as much as possible, give up the intrusive checkpoints and patrols that are failing to contain the violence anyway and abandon the futile effort to build up military and police forces that are national only in name.
Some U.S. and allied forces still will be needed in remote desert bases to safeguard Iraq from foreign invasion, with some left to hold the Baghdad Green Zone. But for the rest, strict noninterference should be the rule. The sooner the Kurds, Sunni, Shiites, Turkmen and smaller minorities can define their own natural and stable boundaries within which they feel safe, the sooner the violence will come to an end.
Iraq's civil war is no different from the British, Swiss or American internal wars. It too should be allowed to bring peace.

Sîl est exact que les affrontements intercommunautaires et les déplacements de population qui s'ensuivent sont une manière de rendre possible la paix en supprimant une cause majeure de conflit, le raisonnement de Luttwak se heure au fait que l'Irak n'est pas le seul Etat artificiel issu des découpages coloniaux et que son reformatage impliquerait également celui du Moyen Orient.

Mais justement, pareil tumulte ne serait pas nécessairement contraire aux intérêts américains. Dans l'Asia Times, Spengler réfute toute idée de déclin américain et montre au contraire la position toujours centrale des Etats-Unis, notamment pour leur rôle déterminant dans la croissance économique mondiale et pour les convergences d'intérêts que cela entraîne :

For the past three years I have argued that the inner logic of ethnic decline would shape the United States' Iraq policy, rather than the messianic social engineering that temporarily turned the Bush administration's brains into pulled pork. Civil war and partition, de facto or de jure, would turn Iraq's potential for violence inward. Unpleasant as this might be for Iraq, it would be good for US interests, as I wrote on January 21, 2004:
A devilish thought is forming in the back of the American mind: which is better, to have Iraqis shooting at American soldiers, or at each other? During the Cold War, Moscow stood to gain from instability, and Washington sought to stabilize allied regimes (Iran being the exception that proved the rule). Now, with no strategic competitor, America can pick up the pieces at its leisure. As in finance, volatility favors the player with the most options.
Last week was not a good one for America's detractors. The price of oil fell to US$56 a barrel. The same financial markets that swooned in July while Israel fought Hezbollah have forgotten the meaning of risk. The question the world should ask George W Bush is, "If you so dumb, how come you ain't poor"? The US economy and US markets are looking more buoyant than ever.

Là aussi, l'analyse est à mon sens un peu trop centrée, et omet par exemple l'impact de l'Irak sur les opinions publiques en Occident comme aux Etats-Unis, sur l'influence des esprits qui se déroule au quotidien. Cependant, ces deux visions montrent la nécessité d'évaluer la préservation des intérêts pour juger le conflit global dont l'Irak est un élément, et donc le besoin pour les Etats-Unis d'avoir une démarche à long terme axée sur le maintien de la capacité d'action, que celle-ci soit coercitive, persuasive, dissuasive ou subversive. De sorte qu'en Irak, pour donner une chance à la guerre de faire son oeuvre et de permettre la paix, c'est une stratégie de maintien et non une stratégie de sortie qui devrait être adoptée.

Une perspective tracée par un autre article d'Edward Luttwak, cette fois dans le Wall Street Journal :

It was the hugely ambitious project of the Bush administration to transform the entire Middle East by remaking Iraq into an irresistible model of prosperous democracy. Having failed in that worthy purpose, another, more prosaic result has inadvertently been achieved: divide and rule, the classic formula for imperial power on the cheap. The ancient antipathy between Sunni and Shiite has become a dynamic conflict, not just within Iraq but across the Middle East, and key protagonists on each side seek the support of American power. Once the Bush administration realizes what it has wrought, it will cease to scramble for more troops that can be sent to Iraq, because it has become pointless to patrol and outpost a civil war, while a mere quarter or less of the troops already there are quite enough to control the outcome. And that is just the start of what can now be achieved across the region with very little force, and some competent diplomacy.

Un message adressé à la prochaine administration ? Ce serait oublier l'impact de l'idéal démocratique, son potentiel séducteur et belligène. Un conflit où les esprits forment le centre de gravité ne peut être gagné avec uniquement de la force et de la diplomatie, mais celles-ci doivent contribuer à l'objectif final.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h05 | Comments (2) | TrackBack

12 janvier 2007

Un ennemi invisible et intangible

L'un des aspects les plus étonnants de la guerre qui oppose les démocraties libérales aux fondamentalistes musulmans n'est autre que le contraste entre l'exposition médiatique des belligérants, et notamment de leur situation matérielle comme immatérielle.

D'un côté, les nations occidentales en général et les Etats-Unis en particulier sont surexposés. Une agence de presse comme AP fait le décompte quotidien des pertes militaires en Irak, alors que d'autres organes médiatiques compilent noms, prénoms, origines et photos des soldats tombés. Les dépenses liées aux opérations en cours sont décortiquées et critiquées, les controverses politiques ou doctrinales sont relayées et amplifiées, les opinions du public sont sondées en permanence. La posture investigatrice et justicière de la presse aidant, le discours officiel tend même à être écarté d'emblée au profit d'un discours donnant une large place à la contestation. Souvent, on n'hésite pas à appliquer des expressions simplistes et péjoratives pour désigner des personnages publics, comme faucon ou tête brûlée, et ainsi imposer une caricature moralisatrice en lieu et place d'une relation factuelle.

D'un autre côté, les mouvances et réseaux islamistes en général sont sous-exposés. On ne connaît d'eux que les chefs principaux, parce qu'ils sont ouvertement recherchés par les nations occidentales et/ou parce que leurs déclarations sont reprises par les médias, qui d'ailleurs les jugent le plus souvent sur leur occurrence et non sur leur contenu. On ne connaît pas le cumul de leurs pertes au combat, qu'aucun organe médiatique ne daigne comptabiliser et qui sont presque toujours annoncées par leurs adversaires. On ne connaît pas ou presque ni leurs ressources financières, issues de nébuleuses dopées par la charité islamique et les pétro-dollars, ni leurs controverses stratégiques, parfois révélées par des messages interceptés, ni les fluctuations de leur volonté. On les traite comme des entités invisibles et intangibles dont la seule manifestation est une preuve de succès, et non comme des acteurs guettés par l'échec.

Cette réduction différenciée est bien entendu largement liée aux impératifs et limites des médias contemporains. La nécessité de ramener un conflit déstructuré à une narration simple et concise aboutit d'un côté à une personnification exagérée, avec quelques dirigeants responsables - et donc coupables - de tout, et d'un autre côté à une véritable dépersonnification, avec des belligérants transformés en facteurs environnementaux. Du coup, le moindre insuccès américain en Irak devient un échec de Bush ou de Rumsfeld, alors que le plus grand succès américain n'est l'échec de personne ; un peu comme un commentateur sportif qui ne compterait les buts et les actions que dans un seul camp, tout événement est aussitôt jugé par rapport aux principaux belligérants étatiques, avec une réévaluation critique de leur position, et jamais par rapport aux belligérants non étatiques. Alors même que les uns et les autres sont en conflit et se trouvent à une distance plus ou moins grande de leurs objectifs.

La surexposition médiatique mène ainsi à une perspective tronquée qui peut fort bien influencer l'issue du conflit. Les études les plus récentes montrent désormais que cela a été le cas dans la guerre du Vietnam : à plusieurs reprises entre 1965 et 1972, les dirigeants de Hanoi ont été sur le point de juger leur effort voué à l'échec et de jeter l'éponge, mais la couverture médiatique entièrement centrée sur les Etats-Unis et leurs alliés a au contraire imposé dans les esprits l'idée d'un adversaire impossible à vaincre, d'une guerre impossible à gagner. Le même phénomène se produit aujourd'hui : un ennemi aux multiples visages finit par n'en avoir aucun, par n'avoir plus figure humaine, par être dépourvu de ce doute permanent, de cette volonté fragile, de ces capacités fluctuantes qui caractérisent tout belligérant. Il devient le vent, la terre, l'eau ou le feu - selon l'interprétation qu'on lui donne. Comment vaincre des éléments ?

Pour se faire une idée réaliste de la situation, il faut donc s'efforcer de tenir un score mutuel, de fixer des critères de succès aussi objectifs que possible et d'évaluer à leur aune la situation des belligérants impliqués.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h23 | Comments (7) | TrackBack

11 janvier 2007

Irak : l'annonce américaine

Dans la mesure où je suis sollicité par les médias sur la chose, je n'ai guère le temps aujourd'hui de mettre en ligne mes réflexions sur les nouvelles mesures annoncées par le Président Bush pour l'opération "Iraqi Freedom". En revanche, je conseille à chacun de consulter le dossier de la Maison Blanche pour se faire une opinion sur ce plan bien plus complet et complexe qu'une simple augmentation des troupes sur place.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h51 | Comments (4) | TrackBack

9 janvier 2007

Un forum de sécurité à Genève

Le 2 février prochain, un forum de sécurité sera organisé à Genève pr l'Université Webster, en partenariat avec la Revue Militaire Suisse (RMS) et le Groupe d'études stratégiques de l'Université de Genève (GESUG). Partagé en 3 thèmes principaux, soit la transformation des conflits, les risques civils et militaires au XXIe siècle ainsi que les dilemmes stratégiques des petits Etats, ce forum sera un événement de haute tenue. Raison de plus pour vous y inscrire dès maintenant !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h16 | Comments (2) | TrackBack

7 janvier 2007

Somalie : la logique paradoxale (2)

Il n'a pas fallu longtemps pour voir la logique paradoxale de la stratégie à l'oeuvre en Somalie, où la reconquête soutenue par l'Ethiopie a apparemment atteint son point culminant. Les faits décrits par cet article montrent bien le passage à une forme de guerre non conventionnelle, utilisant des ressources sociétales et s'appuyant sur les médias :

We are protesting against the disarmament and the Ethiopian presence in the country. We cannot accept disarmament under occupation," Haeyle Abdulle Hussein, 23, told The Associated Press. "We will wage a holy war instead."
[...]
Shopkeepers closed their businesses and public buses stopped running along Mogadishu's crumbling streets as gunfire crackled all day. Women in flowing Somali dresses and veils shouted "Down with Ethiopia!" as they marched through this ruined seaside town.
The government announced earlier in the day that it was postponing plans to forcibly disarm the city - an operation that had been set to begin Friday, but didn't.
"The prime minister has decided to postpone disarming people by force until an unspecified time," government spokesman Abdirahman Dinari told AP. He did not say why Prime Minister Ali Mohamed Gedi reversed his earlier order.
Dinari also said the protesters represented only a small portion of Mogadishu's population and described them as remnants of the Council of Islamic Courts, which imposed strict Quranic law and threatened criminals with public floggings and executions.

L'arme du chaos est d'une efficacité rare, car elle s'attaque aussi bien à la légitimité qu'à la volonté de l'adversaire, réduisant ainsi le soutien pour son action et la disposition à la poursuivre. Autant s'habituer à cette forme de guerre, à ces chancres métastatiques, qui le plus souvent devront être circonscrits ou modérés faute de pouvoir être anéantis...

Posted by Ludovic Monnerat at 0h25 | Comments (13) | TrackBack

6 janvier 2007

Irak : la garde montante

Ainsi donc, l'administration Bush a annoncé de nouvelles nominations pour les chefs militaires responsables de l'opération "Iraqi Freedom" ; contrairement aux affirmations de la presse, les titulaires ne sont pas remerciés, mais arrivent simplement au terme de leur période de déploiement à un poste, généralement 3 ans, comme le montre la liste des commandants du CENTCOM (Wikipedia se trompe quant au départ du commandant actuel par trop de précipitation, signe que la confusion ne se limite pas aux médias), mais aussi le commandement de la force multinationale en Irak. Cependant, la nomination d'un pilote de l'aéronavale déjà titulaire d'un commandement unifié à la tête du CENTCOM et celle d'un général parachutiste à l'ascension très rapide pour commander les forces en Irak sont intéressantes.

D'une part, l'amiral Fallon s'est distingué à la tête du Pacific Command par des réflexions stratégiques novatrices, ancrées dans la réalité socio-économique mais aussi dans les fluctuations de la puissance dans le Pacifique. En désaccord avec Donald Rumsfeld sur la posture à adopter face à la Chine, Fallon a également exercé un rôle majeur dans la pression militaire face à la Corée du Nord et dans la coopération de défense avec le Japon. Autant militaire que diplomate, il possède exactement la dimension nécessaire à sa future tâche ; parvenu au terme de sa carrière (c'est l'un des derniers vétérans du Vietnam encore en activité), il ne devrait par ailleurs connaître aucun problème pour sa confirmation au Congrès.

D'autre part, le lieutenant-général Petraeus s'est distingué dans les premiers mois de l'opération "Iraqi Freedom", à la fois comme un divisionnaire efficace à la tête de la 101e aéroportée, comme un commandant territorial attentif aux besoins du nord de l'Irak, comme un responsable performant de l'instruction des troupes irakiennes, et surtout comme un chef novateur pour l'instruction des troupes américaines. Il est notamment connu pour avoir dirigé et influencé la publication récente d'un nouveau manuel sur la contre-insurrection (format PDF), avec tous les efforts de transformation doctrinale que cela implique. Vu sa renommée au sein de l'US Army et son profil sans tache auprès du public, il ne devrait pas non plus subir d'obstacle dans sa confirmation.

Que peut-on dire de ces deux nominations ? Par leur formation et par leur expérience, ces deux officiers généraux semblent les mieux à même de mener une campagne non conventionnelle en Irak ; on notera d'ailleurs qu'une colonne publiée hier dans le Wall Street Journal appelait déjà à la nomination du général Petraeus. Cependant, des chefs militaires dotés d'une vision stratégique claire et d'une compréhension aiguë des opérations contemporaines dépendant également de décisions politiques soutenant leur action. Ces derniers mois, plusieurs officiers généraux en retraite se sont plaints du manque de troupes US en Irak et ont fustigé Rumsfeld pour cela. Nous verrons dans quelques jours si une nouvelle stratégique américaine est bel et bien sur les rails, ou si c'est davantage une adaptation de la campagne en cours qui se prépare. En se rappelant les risques liés à une augmentation des forces américaines sur place...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h44 | Comments (3) | TrackBack

5 janvier 2007

Iran-Israël : mise à jour

Il vaut la peine de lire ce long tour d'horizon de la position et des possibilités d'Israël face au programme nucléaire iranien. Même si l'on discute de cela depuis des années, une mise à jour s'impose - suite aux événements de l'an passé, en particulier la guerre au Liban et les élections américaines - pour mesurer les possibilités qui s'offrent à l'Etat juif. Surtout que ce dernier apparaît désormais comme de plus en plus proche d'une action préemptive, puisqu'il en vient à considérer toute la région comme incontrôlable dès lors que l'Iran développe l'arme nucléaire :

With Iran plunging ahead with its program in defiance of the UN and the international community, Egypt, Algeria, Saudi Arabia, Morocco, Tunisia and the United Arab Emirates announced in early November that they intended to begin upgrading their nuclear energy programs. Of the six, the most advanced by far are Egypt and Algeria. Turkey is also reported to be toying with the idea of starting a nuclear program.
"To remain a player in the region, these Arab countries will have no choice but to quickly develop nuclear weapons," says a senior government official responsible for formulating strategic policy.

L'analyse faite des Etats-Unis est particulièrement intéressante, puisque les déploiements militaires actuels donnerait alors au Central Command plus encore le rôle d'arbitre en cas de frappe aérienne israélienne, et donc d'assumer une bonne partie de la responsabilité...

COMPLEMENT (7.1 1200) : Cet article résumant des révélations du Sunday Times apporte un éclairage complémentaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h31 | Comments (7) | TrackBack

4 janvier 2007

Entre fossé et découplage

Un rapport de l'Agence européenne d'armement du 19 décembre dernier (reçu par courriel en PDF, merci à PS) fournit des comparaisons intéressantes entre l'Europe et les Etats-Unis sur le plan militaire pour l'année 2005. J'ai en particulier relevé les éléments suivants (Europe et Etats-Unis, dans cet ordre) :

Les chiffres mis en gras sont à mon sens les plus révélateurs. L'existence d'un fossé atlantique entre l'Europe et les Etats-Unis n'est certes pas nouvelle, et elle inspirait déjà une grande inquiétude dans les années 90, notamment lors des opérations de combat au-dessus des Balkans. Ce qui a changé depuis 2001, et qui est représenté dans les chiffres sur les déploiements, c'est que désormais l'expérience opérationnelle et expéditionnaire est également d'une tout autre ampleur. Non seulement les Américains investissent bien plus et se donnent les moyens de moderniser leurs armées, mais ils les engagent également davantage et sont en train de former toute une génération de cadres ayant l'expérience du combat. En Europe, à l'exception notable de la Grande-Bretagne (qui le paie cher) et dans une moindre mesure de la France (dont le budget militaire reste fragile), les armées sont comparativement vieillissantes, statiques et inexpérimentées.

A mon sens, cette réalité a peu de chances d'être corrigée rapidement, car les initiatives de modernisation en cours, sous la houlette de l'UE (les battlegroups) ou de l'OTAN (la force de réaction), n'affectent qu'une petite partie des armées. Du coup, il est bon de se demander si ce fossé atlantique ne mène pas à un découplage interne, tant il paraît difficile de suivre la locomotive américaine sur la voie high tech qu'elle s'est choisie, en l'absence d'une augmentation substantielle des budgets de la défense. Car au rythme actuel, les armées européennes vont se retrouver avec une élite interopérable et expérimentée (comprenant notamment les forces spéciales, les unités terrestres numérisées, les chasseurs-bombardiers de dernière génération et les navires de combat modernes), capable d'exécuter tous les types d'opérations après projection, et une majorité moins équipée, moins entraînée, moins intégrée, vouée à des missions de sécurisation et de stabilisation avant tout sur le sol national.

Un modèle qui me paraîtrait cohérent si cette majorité était constituée de conscrits...

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3 janvier 2007

Le grand écart opérationnel

Choc en Grande-Bretagne : les révélations publiées dans la presse montrent que la marine britannique, en raison de rééquilibrages budgétaires au Ministère de la Défense, devra mettre sous cocon la moitié ou presque de ses navires de haute mer pour faire des économies. Concrètement, 13 navires sur 44 sont aujourd'hui déjà placés dans une disponibilité réduite, et 8 autres devraient l'être prochainement ; de plus, les acquisitions de destroyers seront réduites de 2 unités, en contradiction avec des promesses faites par le Gouvernement lors de la dernière réduction de la flotte. On comprend que l'opposition accuse ce dernier de vouloir la destruction de la Royal Navy : celle-ci ne serait plus que l'ombre du passé. Pour mémoire, l'US Navy compte aujourd'hui environ 400 navires, dont 11 grands porte-avions et 11 porte-avions moyens.

Quel est le problème auquel sont confrontés les Britanniques pour prendre des décisions aussi déchirantes ? Celui du grand écart opérationnel auquel sont confrontées les principales armées occidentales : équilibrer les coûts d'exploitation considérables des opérations en cours, toujours plus lointaines et complexes, avec les coûts d'investissements gigantesques des équipements de demain. Comme l'indique l'article du Times, c'est le cumul des grands programmes plus coûteux que prévus - dont l'Eurofighter - et des opérations en Irak comme en Afghanistan qui contraint à un rééquilibrage interne au profit de l'Air Force et de l'Army, puisque une augmentation du budget n'entre pas en ligne de compte (même si des discussions ont eu lieu). Les Etats-Unis ont pour leur part augmenté massivement leur budget, mais cela ne suffira pas à empêcher des sacrifices prenant la forme de programmes annulés (comme l'obusier Crusader et l'hélicoptère Comanche pour l'US Army).

En d'autres termes, il est très difficile de mener les guerres d'aujourd'hui et de préparer les guerres de demain si celles-ci sont diamétralement opposées. Et c'est pourtant bien ce qui se produit : les conflits de basse intensité auxquels nous assistons impliquent des volumes de troupes élevés, une usure rapide (et souvent imprévue) des équipements, ainsi que d'importantes dépenses non liées au combat ; à l'inverse, les conflits de haute intensité que préparent la plupart des grands programmes d'armement tablent sur une présence humaine réduite, sur une durée abrégée des opérations ainsi que sur une domination des fonctions combattantes. Naturellement, les systèmes modernes sont suffisamment polyvalents pour s'adapter aux opérations dictées par une menace jamais entièrement prévisible ; mais déployer par exemple des avions de guerre électronique EA-6B Prowler pour brouiller les communications sans fil bas de gamme des Taliban n'est pas un emploi efficient des deniers publics.

Ce grand écart opérationnel, malgré toute l'incertitude de l'avenir, est ainsi un cercle vicieux : la nécessité de concevoir des équipements utilisables dans des conflits d'intensité différents impose une grande polyvalence, et donc un coût en spirale ascendante, lequel exige des coupes budgétaires rendant une nécessaire une polyvalence plus grande encore - et plus chère aussi. D'un autre côté, il faudrait un courage intellectuel et moral considérable pour affirmer de but en blanc que le conflit symétrique de haute intensité n'est plus la priorité des armées, et que par conséquent l'effort principal sur le plan du budget comme de l'instruction doit être porté sur les conflits déstructurés qui reviennent chaque jour dans l'actualité. Avec à la clef une transformation culturelle et institutionnelle de premier plan.

COMPLEMENT (4.1 1200) : Une comparaison intéressante sur le volume des flottes peut être faite avec les forces déployées pour l'opération franco-britannique de Suez, puisque à l'époque ce sont 155 navires de guerre qui ont été engagés, dont 5 porte-avions. Certes, la plupart étaient des vétérans de la Seconde guerre mondiale, mais cette différence reste instructive.

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1 janvier 2007

Connecting the dots...

Parfois, la lecture d'informations dispersées au gré de sources diverses est une bonne méthode pour voir des liens, discerner des interdépendances et acquérir une meilleure vue d'ensemble. Considérez ainsi ces différentes nouvelles :

Partant de là , il est intéressant d'examiner la situation du jihad global, c'est-à -dire du principal conflit armé de notre ère, en étant bien conscient que ses développements nous concernent inévitablement...

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29 décembre 2006

Somalie : la logique paradoxale

Les derniers événements de Somalie sont une illustration exemplaire de la logique paradoxale propre à la stratégie, telle que l'a expliquée Edward Luttwak à la fin de la guerre froide : le succès ou l'avantage créent immanquablement des conditions plus favorables pour l'échec ou le désavantage ; ou, en des termes plus simples, s'élever augmente toujours le risque de chute. Les islamistes somaliens, depuis l'été dernier, avaient en effet enchaîné les succès au point de devenir une menace pour l'équilibre de la région, d'où l'intervention décisive de l'Ethiopie pour remettre au pouvoir la coalition improbable faisant office de gouvernement intérimaire. D'où également le risque de voir l'Erythrée s'engager également si l'action éthiopienne prend trop de poids...

Cette déroute des combattants islamistes, fondée sur une volonté d'éviter le combat frontal pour durer et maintenir à terme leur influence, rappelle la faiblesse des mouvements irréguliers lorsqu'ils se comportent de manière régulière, lorsqu'ils tentent de s'emparer ouvertement d'un pouvoir temporel. De la même manière que les Taliban en 2001, qui occupaient des lignes de front statiques et s'offraient aux frappes aériennes américaines, les milices des tribunaux islamistes avaient une vulnérabilité maximale aux coups de boutoir d'une armée conventionnelle, utilisant chasseurs-bombardiers et chars de combat. Il leur appartient désormais de se réorganiser, de se redéployer, de s'infiltrer et de mener une campagne insurrectionnelle - notamment si l'armée éthiopienne tarde à regagner ses bases d'opérations. Une armée informe gagne à ne jamais quitter cet état.

Cette logique paradoxale explique d'ailleurs pourquoi la puissance des Etats-Unis gagne souvent à rester dans l'ombre, à agir sans élever les enjeux. Les programmes de coopération lancés ces dernières années dans la Corne de l'Afrique, à l'instar d'autres régions, ont très probablement faits ces dernières jours la preuve de leur efficacité. Ce n'est pas uniquement la sous-traitance d'une lutte planétaire qui est ici intéressante, compte tenu des moyens déjà engagés sur d'autres théâtres d'opérations ; c'est surtout que le recours à des puissances régionales permet d'éviter la polarisation des esprits et la mobilisation des ressources qui répondent à toute grande opération américaine. Intermédiaire idéal entre "soft power" et "hard power", la coopération militaire illustre ainsi une stratégie planétaire d'interdiction nécessitant le maintien permanent et décentralisé d'un petit volume de troupes.

Bien entendu, il est possible de rompre la logique paradoxale selon laquelle un belligérant est le plus vulnérable lorsqu'il exploite à fond un succès donné. Mais dans une guerre aux dimensions sociétales, seule une attrition de type génocidaire permettrait de rompre le paradoxe - et de perdre définitivement aux yeux du monde entier.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (2) | TrackBack

28 décembre 2006

La guerre dans la tête

Les séquelles immatérielles des opérations de combat et de stabilisation sont aujourd'hui l'une des préoccupations des armées occidentales. On peut voir dans cet article sur les anciens combattants russes en Afghanistan un exemple du prix payé par les militaires individuels lorsqu'ils sont lancés dans un conflit impossible à remporter, dans l'indifférence de leur nation et dans des conditions à même d'assurer la prolifération des cas de stress post-traumatique :

Soviet troops spent a decade fighting in Afghanistan. About 900,000 Soviet men and women served there. As many as 15,000 of them died. Another 75,000 were wounded. An average tour was 110 weeks.
To this day many of the survivors cannot forget their Afghan experiences. As many as 6,000 of them still come every year to Rusa, to one of the five veteran's rehab centres across Russia.

Il est assez intéressant de comparer cette réalité avec ce reportage sur les troupes britanniques en Irak, paru hier dans Le Monde. On y voit en effet ce qu'une armée professionnelle moderne, confrontée à un conflit de basse intensité prenant la forme d'une campagne de contre-insurrection, est capable de faire : se concentrer sur la mission, sans trop d'états d'âme, trouver sa motivation dans ses propres rangs et dans le métier exercé, sans velléités politiques. Et avec un tempo opérationnel, des rotations hors du théâtre et des aménagements qui rendent la vie supportable. Rien à voir avec le cauchemar de 2 ans vécu par les conscrits soviétiques face aux moudjahiddins...

Aujourd'hui, les formations militaires occidentales engagées en Irak et en Afghanistan en sortent grandies : l'expérience acquise, les tactiques améliorées, la sélection effectuée, l'équipement éprouvé, l'interopérabilité accrue ou l'ouverture culturelle font bien plus que compenser les pertes subies en morts, blessés et traumatisés. Les commandants tactiques, les officiers subalternes et les sous-officiers en tirent un bénéfice personnel et institutionnel qui fera sentir ses effets ces 20 prochaines années, et qui permet déjà de mettre largement au rebut les conceptions et les habitudes héritées du face-à -face symétrique de la guerre froide. A tel point d'ailleurs que les armées non engagées dans ces opérations doivent aujourd'hui mettre les bouchées doubles, si j'ose écrire, pour ne pas prendre un retard qui réduirait à néant tout espoir d'interopérabilité.

Mais tout ceci reste largement suspendu au résultat perçu de la campagne. Ce que ne dit pas l'article sur les Russes et que je soupçonne fortement, c'est que le retrait d'Afghanistan effectué en fin de compte par l'Armée Rouge a pesé lourdement sur le psychisme des soldats. N'est-on pas prêt à davantage accepter les pertes, les blessures, les mutilations, bref les horreurs d'une guerre si celle-ci a été remportée, si le sacrifice est justifié par les effets obtenus ? Voilà qui fournit un éclairage différent sur la situation des troupes actuellement engagées, et sur l'importance d'un succès perçu comme tel. Voilà qui montre également les enjeux à plus long terme derrière la décision de poursuivre ou d'interrompre une campagne, et plus précisément de l'aptitude à durer.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h46 | Comments (16) | TrackBack

27 décembre 2006

Iran : l'approche indirecte

Il faut lire l'analyse à laquelle s'est livré Jean-Pierre Chevallier sur la situation économique de l'Iran : on y prend conscience de réalités qui éclairent le comportement des différents acteurs. Le délabrement insoupçonné de l'économie iranienne, due à l'incurie pourtant avérée de la théocratie khomeiniste, explique en effet en partie la fuite en avant à la fois mystique et belligène qui symbolise Ahmadinejad. Et l'attentisme apparent des Etats-Unis, désireux de laisser leur part de responsabilité à l'Union Européenne et à l'ONU (dont l'échec est cuisant), s'expliquerait selon JPC par une stratégie d'épuisement : l'effort national des mollahs vers l'armement nucléaire revient à scier la branche sur laquelle ils sont assis. Une offensive distante qui paraît prometteuse : forcer l'adversaire à un engagement contre-productif de ses ressources évite la plupart des risques liés à l'attaque frontale.

Je me permets d'ajouter mes propres réflexions à cette analyse. En premier lieu, il s'agit de relever que cette approche repose sur l'emploi parallèle et synchronisé de 4 lignes d'action stratégiques : l'économie donc, mais aussi la politique, l'information et la sécurité. Sur ce dernier plan, on peut noter que l'isolement de l'Iran est l'un des bénéfices des opérations lancées à la suite du 11 septembre 2001, non seulement avec les campagnes d'Afghanistan et d'Irak, mais également avec l'affermissement des liens bilatéraux et le développement des infrastructures en Asie centrale et sur la péninsule arabique. Le déploiement annoncé de navires supplémentaires dans le Golfe va dans le même sens : avec un deuxième groupe aéronaval à proximité, les Etats-Unis disposeront d'une capacité de protection (maritimie, aérienne et même antimissile) et de frappe (dans la profondeur) qui revient à resserrer très nettement l'étau.

Cette complémentarité nécessaire des lignes d'action stratégiques explique d'ailleurs pourquoi l'arme militaire ne peut opérer seule sur un théâtre d'opérations ; les échecs passés ne prouvent pas que les militaires ne sont plus capables de gagner des guerres, mais simplement que l'on ne peut pas demander aux armées de remporter les victoires qui ne sont pas disponibles sur le champ de bataille. C'est la clef d'opérations reposant sur une approche avant tout indirecte, telles que la contre-insurrection et le blocus : l'emploi de la force militaire sert des buts autres, politiques ou économiques, que le succès immédiat des armes. Bien entendu, cette subordination de l'action armée à d'autres lignes d'action, et ceci jusqu'aux plus bas échelons des unités, est une dimension qui se heurte à la tradition militaire, à la dichotomie guerre/paix, à la compréhension des armées comme ultima ratio et non comme outil complémentaire d'une stratégie globale.

J'ai eu l'occasion de l'écrire de nombreuses fois sur ce blog, mais je le répète : en règle générale, l'objectif d'une opération militaire de nos jours vise à conquérir, à contrôler ou à défendre non plus le territoire, mais avant tout les esprits et les marchés. La prise d'une capitale ou d'un passage obligé, la surveillance d'axes ou de frontières, les frappes ciblées dans la profondeur sont des actions qui n'ont pas perdu en importance ; en revanche, ce qui compte le plus, c'est la cohérence et la synchronisation des effets obtenus par l'emploi de la force armée avec ceux nécessaires pour l'application de la stratégie retenue. En tenant compte du fait que les Etats ne sont plus les maîtres de la stratégie, et que les intérêts privés peuvent être de puissants multiplicateurs s'ils sont compris et pris en compte...

Ce qui semble effectivement le cas face à l'Iran, où les vulnérabilités économiques et informationnelles des mollahs, par opposition à leur (relative) force militaire et politique, expliquent une approche indirecte faute d'autre option.

COMPLEMENT (28.12 0750) : Sur l'état de l'industrie pétrolière iranienne, cet article du Figaro confirme et précise.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h08 | Comments (18) | TrackBack

23 décembre 2006

Irak : une réaction imprévue

Surprise : alors que la conjonction de la victoire démocrate aux élections et de la publication du rapport de l'Irak Study Group semblaient indiquer un retrait progressif des troupes américaines en Irak, à la satisfaction bruyante des opposants comme des ennemis de l'opération "Iraqi Freedom", l'administration Bush penche au contraire pour un renforcement des troupes. Un groupe d'étude formé d'officiers généraux et supérieurs ayant participé à l'opération, actifs ou en retraite, a ainsi développé un plan qui aurait convaincu la Maison Blanche et qui passe notamment par le déploiement de troupes combattantes supplémentaires. La situation actuelle en Irak montre en effet la nécessité de prendre des mesures énergiques dans différents domaines, et avant tout dans la sécurisation de Bagdad, point focal des perceptions et faille majeure de l'opération.

En soi, cette réaction n'est pas entièrement une surprise : les officiers généraux qui avaient demandé la démission de Donald Rumsfeld, au printemps dernier, estimaient en effet le volume des troupes insuffisant ; la défaite électorale des républicains a naturellement créé des conditions favorables pour un infléchissement de la conduite de la guerre. Cependant, il faut relever qu'une augmentation des forces est contraire à la recommandation du commandant du CENTCOM, le général Abizaid, faite au Congrès peu après les élections, et pour lequel le volume actuel correspond aux besoins. En d'autres termes, il n'y a certainement pas d'unanimité militaire pour cette intensification du conflit, même si elle est expliquée par le besoin de fournir de la sécurité à la population irakienne, d'influencer la couverture médiatique qui ronge la volonté américaine de poursuivre l'opération, ou même de reprendre l'initiative, largement laissée entre les mains des autorités irakiennes.

Cette approche comporte néanmoins des risques majeurs :

En bref : il n'y a pas de solution américaine au conflit irakien, et il ne faut jamais perdre de vue que ce dernier n'est qu'une campagne dans un conflit plus vaste dans l'espace, dans le temps comme dans les esprits. Est-ce qu'une présence accrue en Irak renforcerait les Etats-Unis et les démocraties libérales dans leur lutte contre le fondamentalisme musulman ? Voilà la vraie question à se poser.

Posted by Ludovic Monnerat at 7h40 | Comments (8) | TrackBack

19 décembre 2006

L'Etat et les non Etats

Une passionnante réflexion de Josh Manchester, dont le blog figure depuis belle lurette sur mes liens, a été mise en ligne aujourd'hui ; elle constitue la première partie d'un texte visant à développer un "anti Al-Qaïda", c'est-à -dire une organisation non étatique capable de s'opposer avec succès à la nébuleuse islamiste. Il montre d'abord les raisons pour lesquelles les Etats souhaitent recourir aux services de sociétés militaires privées (SMP), mais également pourquoi celles-ci recherchent les contrats étatiques, afin de souligner l'interaction que ces deux structures dissemblables. En attendant la suite de son texte, il vaut la peine de s'arrêter un instant sur la perspective ainsi tracée.

Que l'Etat ne soit plus le maître de la guerre et doive recourir à des autres acteurs pour des fonctions à la fois auxiliaires et centrales n'étonne plus : voilà des années que cette réalité est annoncée. Ce qu'il me paraît intéressant de constater, cependant, c'est que l'Etat présente une inaptitude aussi bien à mener les conflits déstructurés de notre ère qu'à conserver à son service les individus les mieux à même de le faire. Les SMP comme Blackwater n'existeraient pas sous leur forme actuelle sans la cohorte d'anciens militaires, avant tout issus des forces spéciales ou de formations régulières d'élite, qui en composent généralement l'ossature ; et si elles devaient assurer les frais nécessaires au recrutement, à la sélection, à l'instruction et à la maturation de ces hommes, leur rentabilité chuterait brutalement - alors qu'elles parviennent aujourd'hui à offrir des salaires de plusieurs milliers de francs par jour tout en engrangeant des bénéfices importants.

Ainsi, la complémentarité entre Etat et non Etat dans la guerre moderne repose sur l'équilibre entre légitimité et profit, entre devoir et intérêt. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le patriotisme est présent par les "contractors" privés qui travaillent (et donc servent, à leurs yeux) en Irak ; c'est notamment ce que montre ce livre que je conseille chaudement. En d'autres termes, nous voyons aujourd'hui des individus qui s'engagent certes par l'appât du gain, mais également selon des valeurs que les Etats et leurs armées n'illustrent plus assez. Et cette perte de légitimité, couplée à une efficacité le plus souvent moindre, montre bien que les fonctions régaliennes de l'Etat lui échappent lorsque les individus décident de les remplir sous des drapeaux davantage conformes à leurs attentes.

Or, ce sont bien les individus qui sont aujourd'hiu décisifs, dans les guerres comme dans d'autres activités propres à l'espèce humaine. Le talent, le savoir, l'entregent, l'imagination seuls permettent de gérer au mieux des situations où le global fusionne avec le local, où l'ami et l'ennemi se confondent, où les sociétés entières sont prises à partie. En confiant au marché le développement des capacités de défense et de sécurité, les Etats ne font que récupérer ceux et ce que de toute manière ils perdent, parce que la révolution de l'information a bouleversé les rapports de force et que leurs structures les défavorisent. De quoi augmenter d'une magnitude la remise en cause des armées traditionnelles et de leur inclination pour le combat symétrique de haute intensité, et qui sont systématiquement trop lentes, trop lourdes, trop rigides, trop puissantes et trop mécaniques pour les missions de notre ère...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h23 | Comments (39) | TrackBack

15 décembre 2006

La pensée conventionnelle en échec

Il est assez surprenant et inquiétant de voir revenir la méthode du body count dans les opérations en Afghanistan : lorsque le commandement américain annonce avoir tué plus de 2000 ennemis depuis septembre dernier, on se demande bien en quoi ceci est un signe de succès. Naturellement, ce chiffre doit nécessairement comprendre une proportion importante de cadres islamistes et de combattants fanatiques, et un aller simple pour le paradis constitue de toute manière l'objectif final de leur action ; mais il serait surtout intéressant de voir quels sont les autres effets des actions ayant abouti à cette saignée au niveau des perceptions, des adhésions, des allégeances. Les gains apparents en matière de sécurité, à court terme, peuvent cacher à long terme des pertes en matière de confiance.

Le problème principal est celui de la contre-insurrection : la domination sans appel des forces armées américaines et coalisées en Afghanistan en combat frontal, depuis fin 2001, ont fait que le terrorisme et la guérilla restent les seules méthodes à disposition des Taliban et de leurs alliés islamistes. Et l'augmentation constante de leurs activités montre non seulement que le conflit reste en cours, mais également que les méthodes adoptées par l'OTAN et les Etats-Unis, avec une prédominance des actions coercitives, ne parviennent pas à transformer en victoire politique et sociétale le succès initial de leurs armes. L'opération "Enduring Freedom" n'est pas un échec, mais la pensée qui la sous-tend depuis 4 ans y mène directement.

En toute logique, la présence de 1500 opérateurs de forces spéciales devrait avant tout privilégier une stratégie axée sur le développement des forces armées locales, sur la consolidation du pouvoir politique de Kaboul et sur la disqualification des Taliban à travers l'amélioration des conditions de vie de la population. Mais ces forces non conventionnelles semblent au contraire utilisées avant tout d'une manière très conventionnelle, en appui des forces régulières telles que l'infanterie canadienne, et pour des missions avant tout offensives et destructrices. Un peu comme si les principes de la contre-insurrection, pourtant réappris péniblement dans la jungle du Vietnam et appliqués partiellement avec un succès retentissant fin 2001, avaient un mal fou à être intégrés par l'institution militaire américaine - et par ricochet au sein de l'OTAN.

Cette réalité apporte une réponse aux discussions sans fin sur les effectifs devant être déployés, en Afghanistan comme d'ailleurs en Irak : il ne sert à rien de multiplier les soldats qui cherchent une solution militaire et physique à un conflit qui se joue sur un terrain politique et psychologique.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h03 | Comments (16) | TrackBack

13 décembre 2006

Le matériel et les hommes

Bonne nouvelle pour l'armée suisse : le Conseil national a accepté aujourd'hui le programme d'armement 2006, qui avec 1,5 milliards de francs d'investissement traduit une hausse très nette en la matière. Certes, la majorité confortable dégagée par les représentants du peuple (115 voix contre 64) doit être pondérée par l'échec de justesse d'une tentative visant à geler les deux tiers des crédits ; malgré cela, le succès politique contraste nettement avec l'échec du programme d'acquisition 2004, et le soutien aux chars du génie recalés 2 ans plus tôt est à souligner. A elle seule, l'augmentation des acquisitions est d'ailleurs un signal très positif pour la modernisation de l'armée, sérieusement ralentie ces dernières années. La capacité de l'armée à mener des opérations de combat de haute intensité avec une conduite numérisée est désormais sur les rails.

Bien entendu, ce vote positif - après celui du Conseil des Etats - n'empêche pas que le refus par le Conseil national de l'étape de développement 08/11 possède un effet suspensif sur l'évolution de l'outil militaire, et notamment sur sa focalisation. On peut comprendre que le Parlement accepte un programme d'armement renforçant avant tout la capacité de défense après avoir refusé une réforme visant à réduire le volume de cette capacité, mais on ne peut pas se contenter de digitaliser ou de mettre à jour des équipements anciens : tôt ou tard, c'est bien une nouvelle armée, apte à répondre aux défis identifiés par un nouveau rapport du Conseil fédéral sur la politique de sécurité, qui devra être mise en oeuvre. L'essentiel, soit une orientation stratégique claire, sur laquelle on peut construire et développer, n'est donc pas encore acquis.

Plus important encore : les investissements en hausse acceptés aujourd'hui au niveau du matériel se font en parallèle de diminutions presque ininterrompues, malgré une récente décision d'augmenter les postes des militaires professionnels, au niveau du personnel. Cette prédominance des équipements sur les humains est une constante des armées occidentales, et s'explique largement par les intérêts économiques dans le domaine de la défense, mais il va à l'encontre des besoins opérationnels contemporains : non seulement les utilisateurs de ces équipements doivent avoir les qualités psychologiques, éthiques et cognitives qui permettront de les employer au mieux, mais ces mêmes équipements nécessitent des échelons arrières particulièrement performants. Et les armées ont avant tout économisé dans la logistique ces dernières années.

Le fait que l'armée puisse davantage investir dans un matériel des plus modernes ne peut être une chose positive que si elle choisit d'investir également davantage dans son personnel.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h39 | Comments (11) | TrackBack

29 novembre 2006

La contre-insurrection en question

Intéressante colonne dans le Washington Post de Thomas Hammes, auteur du livre "The Sling and the Stone", pour résumer la vision américaine de la contre-insurrection et les efforts fournis actuellement pour intégrer ce genre d'action stratégique au répertoire par trop classique des forces armées US. Extrait :

Insurgencies are still based on Mao Zedong's fundamental precept that superior political will, properly employed, can defeat greater economic and military power. Because insurgents organize to ensure political rather than military success, an opponent cannot defeat them with military force alone.
But complicating our problem today is the fact that insurgencies are no longer the unified, hierarchical organizations the Chinese, and later the Vietnamese, developed from the 1920s to the 1960s. Rather, they are loose coalitions unified only by the desire to drive out an outside power. All elements of the insurgency know that when the outside power is gone, they will fight a civil war to resolve their differences. Defeating insurgents requires coherent, patient action - encompassing a range of political, economic, social and military activities - that can only be executed by a team drawn from all parts of government. You don't outfight the insurgent. You outgovern him.

L'article fournit ainsi les références de plusieurs articles récents montrant l'évolution de la doctrine militaire américaine en la matière. Je m'interroge cependant sur le sens donné actuellement à la contre-insurrection : est-ce qu'établir un gouvernement fonctionnel, c'est-à -dire un Etat de droit capable d'assurer la sécurité de ses concitoyens, demeure un objectif atteignable à une époque où précisément les Etats même les plus stables doivent lutter pour conserver cette fonction ? Est-ce que la réponse à une autre forme d'insurrection, axée sur l'emploi du chaos comme arme stratégique, n'est pas précisément une autre forme d'Etat que l'Etat-nation aujourd'hui en dégénerescence ? Est-ce que la difficulté des campagnes d'Irak - ou d'ailleurs - n'est pas largement accrue par la volonté d'imposer une structure étatique périmée, bien davantage que par des décalages culturels ?

Posted by Ludovic Monnerat at 17h03 | Comments (16) | TrackBack

28 novembre 2006

Quand la boucle se boucle

L'un des indices les plus probants d'un monde qui rapetisse, à mon sens, peut être identifié dans l'usage accru du profit économique dans un conflit armé. Depuis le 11 septembre 2001, les effets pervers de la dépendance envers le pétrole saudien, et venant du Proche-Orient en général, sont largement connus aux Etats-Unis ; ils sont d'ailleurs devenus un argument pour l'utilisation d'énergies propres, ou même pour l'importance de l'énergie nucléaire (encore que l'uranium joue également un rôle), notamment en soulignant le lien entre la consommation à la pompe, les profits réalisés par les fournisseurs et les versements de ceux-ci à des organisations de "charité" faisant office de paravent pour la mouvance islamiste, ainsi qu'à la diffusion de son idéologie.

Une autre dépendance similaire peut être aujourd'hui observée avec l'Afghanistan : l'augmentation drastique de la production d'opium, laquelle répond à la demande notamment des marchés occidentaux en morphine et en héroïne, contribue à financer les chefs de guerre qui orchestrent un tel trafic ainsi que les Taliban qui y sont impliqués, et donc à équiper les bandes armées qui s'opposent à l'OTAN dans le sud du pays. Le fait que la drogue soit un produit illicite ne change rien à l'affaire : la consommation de l'Occident en général, souvent approchée de façon paternaliste comme un problème de société, joue un rôle-clef dans la persistance et le développement de mouvements qu'il s'escrime à combattre. On pourrait d'ailleurs élargir la perspective et intégrer notamment le cas de la Colombie.

Une approche stratégique de ces phénomènes serait la suivante : à l'ère de l'économie globalisée, avec une circulation sans cesse plus dense et rapide des produits matériels comme immatériels, la pénétration des marchés complète idéalement l'influence des esprits et fournit des ressources autorisant la poursuite, voire l'extension, du conflit ; lorsque les produits sont licites, elle offre même un levier politique à la mesure de la dépendance entraînée. Autrement dit, les faiblesses de l'Occident au niveau de l'infrastructure (domination des énergies fossiles) comme de la socioculture (tolérance envers la drogue) sont exploitées par ses ennemis pour financer les actions, directes ou indirectes, à court ou long terme, visant à le combattre. Une manière de boucler la boucle, de montrer que les vecteurs modernes vont dans les deux sens.

Cette réalité souligne encore davantage l'interdépendance entre sécurité intérieure et extérieure, et même entre politique intérieure et extérieure. S'il est illogique d'envoyer ses soldats traquer l'islamiste au loin tout en le tolérant chez soi, il est tout aussi illogique de vouloir réduire la production de drogue outremer tout en tolérant sa consommation à domicile. Et les programmes de distribution d'héroïne, dont les coûts sont mis en rapport avec les dépenses occasionnées par la consommation non controlée, doivent aussi être mis en rapport avec les financements belligènes qu'ils permettent. Sans oublier le sang versé aujourd'hui pour les réduire...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h47 | Comments (29) | TrackBack

24 novembre 2006

A la conquête de l'intérieur

On trouve sur le site du Nouvel Observateur un rapport (au format PDF) rédigé en 2005 par la CGT et intitulé "La problématique des agressions physiques des agents du service public de l'énergie survenues en service et commises par des tiers". Ecrit par et pour un syndicat dont les penchants politques sont connus, ce rapport n'en est que davantage révélateur des situations extrêmes vécues au quotidien dans les zones, en France, où le droit, l'autorité étatique et surtout le civisme n'ont plus cours. Les propos regroupés par le Nouvel Obs sous le titre "Cités interdites" (édition du 2 au 8 novembre 2006) sont particulièrement révélateurs. Extraits :

"Il n'y a pas que la police qui dérange. C'est toute institution qui dérange. Ils veulent faire peur et créer leurs ghettos. Ils veulent faire déménager les voisins qui ne leur conviennent pas ou qui protestent contre leurs agissements. Comme ça, ils se retrouvent entre eux" (par un sapeur-pompier).
"Nous sommes considérés comme une sorte d'autorité dont l'arrivée déplaît dans certains quartiers" (par un sapeur-pompier).
"Il y a une voiture jaune qui est braquée dans une cité, on distribue plus les colis dans la cité ! Donc, il y a des cités entières en Seine-Saint-Denis où les usagers reçoivent un avis et doivent se rendre à La Poste chercher leurs colis" (par un agent de La Poste).

Je me demande comment résumer l'impact stratégique de ces actions multiples et limitées autrement que par une conquête en mode indirect...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h38 | Comments (43) | TrackBack

19 novembre 2006

Des soldats suisses en Irak

C'est le Sonntagsblick qui le révèle, bien que qu'il s'agissait pas vraiment d'une chose inimaginable : des soldats suisses sont engagés en Irak, en tant que membres de sociétés militaires privées. Leur nombre est limité, environ 40 à Bagdad d'après l'estimation de l'un des responsables, mais le label suisse est recherché :

Die Zahl der internationalen Sicherheitsfirmen, die Tochtergesellschaften in der Schweiz gründen, steigt seit Jahren kontinuierlich an. «Das Wort "Schweiz" in der Firmenadresse ist ein Gütesiegel», so der Scissar-Chef. Schweizer seien für Hochrisiko-Einsätze besonders gefragt: «Die meisten verfügen über eine umfassende Berufsausbildung und gelten charakterlich als zuverlässig.»

Le phénomène des sociétés militaires privées, directement lié à l'emploi du chaos comme arme stratégique et donc à l'immanence des menaces de basse intensité, dépasse bien sûr très largement le cadre de la Suisse. Cependant, pour un pays qui a pratiqué pendant des siècles le service à l'étranger, une telle information ne peut laisser insensible. Surtout lorsque le recours à ces soldats bien payés découle de besoins auxquels les Etats ne peuvent pas ou plus faire face...

Maintenant, il serait intéressant d'en savoir plus sur l'origine, la formation et l'incorporation militaire de ces hommes qui partent servir sous d'autres cieux en-dehors du cadre de l'armée suisse. Car j'imagine mal une absence totale d'interdépendance entre une armée de milice et des citoyens isolés qui acceptent des contrats sécuritaires dans une zone de conflit.

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15 novembre 2006

Le prix sanglant des otages (2)

En janvier dernier, j'avais mis en ligne quelques réflexions sur le phénomène des prises d'otages de ressortissants occidentaux, et notamment de journalistes, en vue d'en tirer un profit susceptible de multiplier les capacités belligérantes. Si l'on en croit cet article, la méthode a désormais été récupérée par les Palestiniens, qui ont obtenu 2 millions de dollars pour la libération des journalistes américains Steve Centanni et Olaf Wiig de Fox News, kidnappés l'été dernier. La particularité de ce cas semble provenir de la distribution générale de l'argent ainsi obtenu, dans un but entièrement guerrier :

The terror leader said $2 million cash was transferred to the Preventative Security Services, the main Fatah security forces in Gaza, for distribution to various parties.
He said the largest portion of the money was provided to the Committees' Dugmash clan, which Israeli security officials say is heavily involved in the smuggling of weapons and drugs into Gaza and which openly has led anti-Israel terror attacks on behalf of the Popular Resistance Committees. The Committees leader would not provide the exact sum transferred to the clan, but said it exceeded $1 million.
Smaller sums of cash were given to select members of the Preventative Security Services, officially to pay them as "private citizens" for working overtime to free Centanni and Wiig, the terror leader said. He said most of the Security Services members who were paid are associated with elements of the Dugmash clan. A member of the Security Services confirmed the cash transfers.
A sum of about $20,000 was provided to the Al Aqsa Martyrs Brigades terror group, the Committees leader said, explaining the organization was paid to avoid conflict with militants from Abbas' Fatah party. The Committees is closely associated with Hamas, while the Brigades is a member of the rival Fatah party.
A leader of the Brigades in the northern Gaza Strip confirmed the money was received but maintained his group was not involved with the kidnappings.
The Popular Resistance Committees leader said aside from the large cash transfer to the Dugmash section of his group, the Committees as an organization received about $150,000. He said the money was used to purchase weapons. "We used 100 percent of the money for one precise goal - our war against the Zionists," the Committees leader said.
He said weapons purchased included rockets. "Regarding the others (the Dugmash clan of the Committees) who received the money, I can tell you one thing is very clear - this went also to be used against the Zionists. I can't say every cent went to buy bombs, maybe it also went to pay for salaries, smuggling, buying shelter."

La conclusion pour le moins sombre de mon texte, l'hiver dernier, mentionnait que "la liberté de quelques citoyens européens a coûté la vie à des centaines de citoyens irakiens ou algériens". Si l'on y ajoute les adjectifs occidentaux et israéliens, elle reste valable...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h54 | Comments (1) | TrackBack

11 novembre 2006

Menaces plurielles et singulières

Quoique haut perché sur mon nuage, pour reprendre des propos tenus ci-dessous, je n'ai manqué d'etre intéressé par cette collision de deux événements en France : l'essai réussi du nouveau missile nucléaire M51, dont la portée annoncée est désormais de 8000 km, et le retrait de plusieurs badges d'employés de l'aéroport de Roissy soupconnés de liens avec la mouvance islamiste, au cœur de la France, décrivent avec éloquence l'éventail extraordinairement large des menaces auxquelles les Etats modernes font potentiellement face - qu'ils le reconnaissent ouvertement, comme c'est le cas désormais en Grande-Bretagne, ou qu'ils tentent de le taire.

Traditionnellement, la différence claire entre sécurité extérieure et intérieure aboutissait à une différence tout aussi claire entre les menaces qu'elles prévoyaient et les réponses adoptées ; aujourd'hui, avec la possibilité offerte à un groupe d'individus - voire un seul individu, théoriquement du moins - de mener des actions combattantes avec une profondeur et un impact qu'aucun Etat en guerre ne pouvait espérer voici encore 90 ans (début du développement du bombardement stratégique), cette différence a pour l'essentiel disparu. C'est ce que j'ai appelé voici quelque temps déjà l'éclatement de l'espace, et donc l'impossibilité de conserver la moindre profondeur stratégique pour échanger de l'espace contre du temps, pour empecher des intérets vitaux d'etre immédiatement touchés. Les frontières géographiques sont largement périmées.

La France maintient et développe ses capacités de dissuasion nucléaire pour juguler des menaces stratégiques issues d'Etats-nations normaux, dont le fonctionnement - voire l'existence - seraient durablement interdits par une riposte atomique massive. Il s'agit là d'une conséquence logique de l'évolution des armements et de la montée aux extremes appliquée au combat symétrique. En parallèle, la France maintient et développe ses capacités de lutte antiterroriste pour juguler des menaces stratégiques issues de mouvances non étatiques, qui ne peuvent justement etre frappées par la plupart des armes disponibles dans les arsenaux militaires, meme si elles sont souvent soutenues par des Etats. Il s'agit là d'une conséquence logique de l'évolution de la guerre et de la montée aux extremes appliquée au combat asymétrique.

La question est de savoir si ces capacités très différentes peuvent etre développées et appliquées de facon synchronisée et complémentaire, ou si l'éventail très large des menaces, allant du pluriel étatique au singulier individuel, ne génère pas automatiquement une zone grise où les notions, les processus et les réponses se chevauchent, se confondent et se neutralisent mutuellement. Ce qui me semble en revanche certain, c'est que l'on ne peut pas demander à une armée de mener les 2 combats à la fois, ou du moins pas à la totalité de l'armée, et que les exemples les plus récents (Israel au Liban, Etats-Unis en Irak, OTAN en Afghanistan) montrent la nécessité de développer rapidement les capacités de combat asymétriques au lieu de moderniser, par habitude comme par inertie, les capacités de combat symétriques.

Un chantier qui exige auparavant l'adoption d'un cadre stratégique plus complet et plus clair, comme je m'y emploie de mon coté!

Posted by Ludovic Monnerat at 14h04 | Comments (21) | TrackBack

31 octobre 2006

Les armées informes du chaos

Existe-t-il un rapport entre la guérilla islamiste en Afghanistan, le terrorisme ethnique et insurrectionnel en Irak, et le conflit intérieur en France ? Une telle question peut naturellement susciter l'accusation d'abus de langage ou de rapprochement facile, notamment si elle se résume à la mise en évidence d'un djihad global qui reste un facteur belligène parmi d'autres. Pour ma part, je pense que cette question revêt une importance centrale sous l'angle des méthodes employées dans ces conflits, quelles que soient leurs différences de causes et surtout d'intensité. Parce que l'avènement d'une nouvelle forme de guerre face à laquelle les acteurs des formes anciennes sont démunis est toujours le symptôme d'un transfert de puissance, voire d'un déplacement de centre de gravité, qui nous concernent tous.

Est-ce ainsi une coïncidence si des écoles sont prises pour cibles aussi bien dans le sud afghan, dans l'ouest irakien qu'en banlieue parisienne ? Que l'incendiaire soit un « étudiant en religion » obscurantiste, un extrémiste sunnite en quête de pouvoir ou un « jeune » immigré désoeuvré, c'est bien le même symbole qui est visé : celui de la connaissance gratuite, de l'autorité cognitive et laïque, d'une société visant à reproduire un modèle d'éducation occidental. En d'autres termes, les motivations pour l'action diffèrent, mais les actions elles-mêmes sont convergentes. Les infrastructures éducatives sont un enjeu à long terme, une condition essentielle pour influencer les esprits, mais aussi un facteur d'ordre et d'ascension sociaux, une source de progrès individuel et collectif pouvant polariser ceux qui, à tort ou à raison, s'en considèrent exclus et le revendiquent.

Toutefois, les autres infrastructures sont également visées de façon systématique, comme les moyens de transport et de communication, ainsi bien entendu que les services publics liés à la sécurité et les forces chargées de les fournir. Ici, les enjeux sont souvent à court terme : il s'agit en premier lieu de s'assurer la liberté d'action nécessaire, de manière directe (confrontation des forces) ou indirecte (diversion des forces), afin de préserver ou d'étendre les intérêts financiers d'une économie souterraine et illégale. Mais ces attaques multiples et limitées ont également un effet psychologique, un impact sur les perceptions et les comportements : en recherchant un pourrissement constant de la situation, elles sapent progressivement la légitimité des pouvoirs publics par le spectacle de leur impuissance, et par le discrédit qui en résulte. Ou comment faire du chaos une arme stratégique.

Cette arme est le point commun et fondamental des conflits susmentionnés. Elle possède une dimension sociétale, déploie des effets durables et s'applique au mieux à des pays, à des régions et à des communautés fragilisés par des facteurs économiques ou migratoires. Elle repose sur des actions nombreuses, menées de manière décentralisée par une frange de la population locale, et d'une ampleur calibrée pour toucher les cœurs et les esprits sans les frapper outre mesure. Elle n'exige pas des exécutants pleinement conscients, en termes de vue d'ensemble comme d'objectif, et gagne même à être mise en œuvre par des mouvances floues, composées d'individus additionnant des motivations diverses et conjuguant à la fois ponctuellement et régulièrement leurs efforts. En somme, des armées informes et participatives qui corrodent au lieu de détruire.

La vraie question, dès lors, est de savoir quelle parade peut s'opposer au chaos grandissant de notre temps, afin d'éviter les retraites, renoncements et redditions qui en sont le couronnement.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h31 | Comments (41) | TrackBack

22 octobre 2006

Le siège du principe de milice

Le principe de la milice et son application à la chose militaire subissent aujourd'hui des assauts redoublés. Alors que le Parti Socialiste et les Verts planifient une initiative populaire visant notamment à retirer aux citoyens-soldats la garde de leur arme de service, selon la Sonntagszeitung, le principe de l'obligation de servir fait l'objet d'une attaque soutenue de la part du même PS. La preuve en a encore été fournie vendredi soir, lors du 150e anniversaire de la Revue Militaire Suisse, dans la salle Pohl à Verte-Rive (Pully) : invitée à s'exprimer, la conseillère nationale socialiste Barbara Haering-Binder a en effet rappelé clairement l'objectif de son parti, soit l'abolition du système de milice et l'instauration d'une armée à dominante professionnelle, composée de militaires de carrières, de militaire contractuels et d'une réserve constituée de miliciens volontaires. Et même si la gauche ne peut à elle seule faire pencher la balance, son pouvoir de blocage (lorsqu'elle s'allie à l'UDC) demeure une constante.

En soi, les attaques contre l'armée ne sont bien entendu pas une nouveauté. Les tentatives frontales ayant échoué, et bien piteusement comme l'a montré la dernière initiative pour la suppression de l'armée, ce sont des tentatives obliques qui sont aujourd'hui la règle, sur le plan budgétaire (pression constante sur les finances de l'armée, refus d'acquisitions), doctrinal (polémique sur la notion d'avant-terrain opératif) ou sociétal (obligation de servir, tir obligatoire, conservation de l'arme à domicile). De la sorte, et nonobstant les verdicts très clairs des votations populaires, on tente progressivement de parvenir à démanteler une institution qui représente à la fois un outil stratégique central et un contre-pouvoir populaire. La nécessité de faire passer toute modification substantielle devant le peuple n'en devient que plus grande.

Ces attaques ciblées sont en effet une manière pernicieuse d'affecter l'ensemble du système en n'ayant l'air que d'en viser une portion. Le fonctionnement de l'armée repose sur l'interdépendance de 3 éléments : les missions, les moyens et la méthode. Faute de pouvoir modifier directement les missions, qui sont ancrées dans la constitution, on essaie ainsi de modifier les moyens (en hommes et en francs) ainsi que les méthodes (de service) pour indirectement influencer les capacités d'emploi de l'armée, et finalement ses missions. L'objectif restant d'empêcher l'armée de se positionner face aux menaces de notre ère et aux guerres nouvelles qu'elle occasionne, y compris sur notre sol, afin d'en faire un outil humanitaire assujetti à une politique étrangère déconnectée de nos propres intérêts.

Ce véritable siège du principe de milice, dû à l'impossibilité de l'assaut frontal, me paraît ainsi une véritable menace stratégique, une tentative unilatérale de désarmement à l'heure même où la nécessité d'un réarmement - avant tout psychologique et moral, et notamment identitaire - se fait chaque jour plus évidente. Supprimer la milice, c'est affaiblir le lien entre l'armée et la population, saper la confiance des protégés pour leurs protecteurs, miner la cohésion de l'Etat-nation, et donc favoriser la déstructuration des réponses sécuritaires. Dans une période où les conflits sont caractérisés par leur dimension sociétale, une telle démarche, mue par des motifs avant tout idéologiques qui peinent à affronter la critique, est donc tout aussi dangereuse que celle ayant visé à supprimer l'armée alors même que des divisions soviétiques avant notre pays comme objectif intermédiaire.

En un mot : irréfléchie.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h02 | Comments (70) | TrackBack

12 octobre 2006

Le manifeste stratégique du djihad

Un article de l'expert Andrew Black a été récemment mis en ligne, après traduction, sur le site www.terrorisme.net. Il s'agit d'une analyse d'un manifeste stratégique écrit par l'idéologue Abu Musab al-Suri et largement inspiré par la théorie des conflits de la 4e génération, lancée voici quelques 17 ans dans un célèbre article de la Marine Corps Gazette. Extrait :

Malgré son insistance sur la libération du Dar al-Islam, al-Suri exhorte tous les jihadistes à frapper l'ennemi partout. Il en appelle également à chaque musulman - indépendant du lieu où il se trouve - à se «réveiller de son sommeil» et prendre les armes du jihad. En incitant les masses à se lancer dans le jihad, al-Suri considère la planète entière comme un champ de bataille. Dans ce sens, la conception de Lind de la G4G d'agents opérant sur un champ de bataille indéfinissable a été développée par al-Suri: il inclut des agents qui proviennent directement des sociétés enemies.
Comme on l'a constaté à l'occasion de différents complots ces dernières années, les jihadistes qui sont nés et ont grandi à l'Ouest assument un rôle toujours plus important dans le jihad salafiste global.

Merci à l'ami variable pour avoir attiré mon attention sur cette précieuse lecture ! Elle apporte une pièce manquante à la réflexion stratégique, à savoir la preuve que la lutte planétaire est également cognitive, et que les ennemis aux prises s'étudient les uns les autres et développent leur doctrine en conséquence. A la différence près que les Etats occidentaux sont encore loin d'avoir intégré et accepté les principes des conflits de la 4e génération, que j'ai moi-même tenté d'identifier voici 5 ans...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h12 | Comments (57) | TrackBack

10 octobre 2006

Le dilemme nord-coréen

L'annonce d'un essai nucléaire en Corée du Nord, et donc l'entrée chaotique du dernier régime stalinien dans le club des détenteurs de la bombe atomique, n'ont pas surpris ceux qui suivent depuis des années les efforts entrepris pour développer à la fois les vecteurs et les ogives de la dissuasion suprême. Cet événement vient même de donner définitivement raison à ceux qui voient dans un bouclier antimissile une protection nécessaire contre les Etats voyous pratiquant le chantage du fou au fort : vu le nombre d'années nécessaires, le développement des missiles et des bombes nord-coréens est clairement antérieur à la décision américaine de relancer la protection contre une telle attaque, et même à l'étude qui en a fondé l'argumentaire.

Ce qui n'aide en rien face au dilemme de Pyongyang : que faire lorsqu'un régime prend toute sa population en otage, et même comme bouclier humain, et s'enferre dans une spirale toujours plus catastrophique ? La stratégie américaine ayant consisté à isoler la Corée du Nord, à s'en protéger par des moyens à la fois défensifs (navires et lanceurs terrestres à capacité antimissile) et offensifs (bombardiers furtifs stationnés à proximité) et à rechercher un consensus régional et international reste avant tout un refus d'une action décisive. En même temps, rechercher activement un changement de régime a désormais de plus en plus de risques d'aboutir à une situation en comparaison de laquelle l'Irak prendrait presque un air reposant. Sans même parler de la catastrophe humanitaire que la communauté internationale sera contrainte de prendre en compte.

Ainsi donc, les Nord-Coréens crèvent de faim par millions, mais leur dictateur se repaît d'un pouvoir de nuisance croissant. Les conditions d'un soulèvement intérieur étant apparemment inexistantes, et le risque d'une escalade de Kim Jong-Il bien réel, il se pourrait donc que l'illusion des sanctions ne suffise plus et que la métaphore de l'Axe du Mal serve à justifier une nouvelle opération coercitive. A dire vrai, le sort de la population nord-coréenne était depuis des années une raison valable de mettre un terme à un régime coupable de démocide, mais l'arme nucléaire possède évidemment un impact psychologique tout différent. Et le silence des opposants systématiques à l'emploi de la force armée, tout comme l'échec piteux des mesures de non-prolifération nucléaire et des organisations chargées de les appliquer, ne concourent pas à indiquer d'autre option.

Les moyens militaires sont-ils disponibles pour tenter une action d'envergure contre Pyongyang ? Il est hautement probable que la capacité de défense du régime a été totalement ruinée par des décennies de dégénérescence, et qu'agiter l'atome vise à masquer cette réalité ; une force terrestre réduite, appuyée par des moyens aériens et maritimes puissants, pourrait certainement forcer le destin. Mais qui est prêt à assurer les risques politiques et la responsabilité morale d'un tel pari ? Qui est prêt à s'engager pour des années et des années dans un pays ravagé par l'idéologie et la folie de l'homme ? Qui est prêt à passer de la parole aux actes, à armer la justice de ce glaive sans laquelle elle reste vaine ?

Posted by Ludovic Monnerat at 20h53 | Comments (41) | TrackBack

8 octobre 2006

La notion de défense

Le refus de l'étape de développement 08/11 par une majorité du Conseil national est une nouvelle désillusion pour l'armée suisse au niveau parlementaire. Cependant, au-delà des problèmes de communication qui ont émaillé depuis mai 2005 l'annonce de cette transformation, et au-delà des intérêts partisans à court terme qui font de l'armée un gadget politique sans conséquence apparente, force est de constater que la notion de défense apparaît bel et bien au cœur du problème. Les appels répétés au débat ne sont pas qu'un artifice rhétorique, et les rejets émotionnels de toute nouveauté ne sont pas qu'un réflexe conservateur. Les missions de l'armée nourrissent la confusion et la discorde parce que leur sens a perdu la clarté de jadis.

...

La suite de mes réflexions sur la notion de défense est disponible ici, sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 12h44 | Comments (22) | TrackBack

1 octobre 2006

La discorde chez l'ennemi

Ce type d'information montre pourquoi les Israéliens ont grand intérêt à se soustraire aux coups de leurs adversaires, et pourquoi une stratégie indirecte axée sur la discorde chez l'ennemi est bien plus adéquate qu'une stratégie directe axée sur la destruction ou la neutralisation du même ennemi :

Pendant plusieurs heures, le centre de Gaza s'est transformé en champ de bataille, où des membres de la force du ministère de l'Intérieur du Hamas ont affronté des policiers et des membres de la sécurité préventive, fidèles au parti Fatah du président Mahmoud Abbas. Les heurts les plus violents se sont concentrés autour du Parlement, où les rues ont été entièrement bouclées.

Du côté palestinien, en revanche, on devrait s'efforcer, soit de contraindre à l'affrontement avec Israël comme cela a été fait cet été (avec des effets à court terme), soit de faire une pause dans le conflit afin de rassembler les forces et de développer une nouvelle stratégie (avec des effets à moyen terme). Evidemment, la paix et l'acceptation d'Israël serait une option bien plus intéressante, surtout à long terme, mais il ne faut pas trop rêver...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h23 | Comments (9) | TrackBack

13 septembre 2006

L'armée face à l'Euro 08

Le Conseil fédéral a approuvé aujourd'hui l'arrêté fondant l'engagement de l'armée durant le Championnat d'Europe 2008 de football, qui se déroulera à la fois en Suisse et en Autriche. Après des mois de travaux, le concept d'opérations développé par l'armée en fonction des besoins émis par les cantons a donc été accepté par l'échelon politique. Il est résumé ainsi :

Selon l'état actuel de la planification, onze bataillons ou groupes seront mis sur pied, à partir des domaines de l'aide au commandement, radar, liaisons par ondes dirigées, transmissions et guerre électronique, ainsi que trois bataillons d'infanterie et deux bataillons de logistique. Huit compagnies viendront s'ajouter à partir des domaines sanitaire, transport et circulation, sécurité militaire et conducteurs de chiens, états-majors de commandement des régions territoriales 1, 2 et 4, ainsi que des moyens de transport aérien. Selon l'état de mise sur pied actuel, cela représente un effectif total d'environ 13'900 militaires.

Ce recours massif à l'armée, qui n'a de précédent partiel que dans l'appui fourni à l'occasion du G8 en 2003 (5600 militaires), montre à quel point l'armée est devenue indispensable au maintien de la sécurité intérieure, non seulement pour des prestations directement liées à la sécurité (comme les éléments d'exploration), mais également pour toutes les prestations transversales (logistique, aide au commandement) qui multiplient les capacités en mains des autorités civiles. D'un autre sens, on peut également se demander quelle est encore l'aptitude au combat symétrique de haute intensité des troupes engagées dans une telle mission, après des années passées à garder les bâtiments consulaires...

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29 août 2006

Un pari pris au sérieux

Une supposition de ma part, sur les moyens déployés par la FINUL new look, basée sur quelques images des premiers éléments déployés par la France, se révèle fausse : d'après cette information, le premier bataillon français déployés au Liban à la mi-septembre sera une formation d'infanterie mécanisée, avec des appuis conséquents en feu direct (chars de combat Leclerc) et indirect (obusiers blindés AUF-1). Et ce n'est pas un cas isolé : si l'on consulte cette liste provisoire des pays contributeurs, on constatera que l'Espagne compte aussi déployer un bataillon lourd, et que l'Italie devrait également disposer de véhicules blindés (des Centauro) ainsi que d'une capacité d'appui aérien rapproché (via les Harrier de son porte-avions). En d'autres termes, l'Europe déploie une force assez haut placée par rapport à ses capacités actuelles, même une partie des 7000 militaires annoncés resteront en mer. Ce qui montre que le pari dangereux est pris au sérieux.

Malgré tout, ce déploiement de moyens dépend bien entendu de la volonté de les employer. Et à ce sujet, l'humeur semble rester sombre dans les rangs militaires européens, compte tenu des contradictions entre les règles d'engagement et les lignes directrices politiques. Le point positif, c'est que l'engagement important de l'Europe, et donc le test ambitieux qu'il représente pour sa politique de défense et de sécurité commune, formeront un enjeu justifiant une détermination elle aussi importante, car il en ira en partie de l'avenir même de l'Europe. Et une structure supranationale jouant son avenir peut faire montre d'une détermination insoupçonnée, comme ce fut le cas en 1999, lorsque l'OTAN s'était décidée à déclencher une offensive terrestre pour venir à bout de la résistance du régime de Belgrade...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h57 | Comments (23) | TrackBack

26 août 2006

Le pari dangereux de l'Europe

Ainsi donc, l'Europe s'est décidée à se lancer dans l'aventure du Sud Liban sous les couleurs de l'ONU. Il est vrai que la crédibilité de l'organisation supranationale avait été compromise encore plus vite qu'à l'accoutumée par la volte-face de la France et par l'hésitation d'autres nations à fournir un contingent allant au-delà du symbole ; avec le nouveau revirement français, guère étranger aux conséquences du précédent en termes de politique extérieure, l'impulsion initiale a pu se concrétiser, et entre 7000 et 8000 soldats français, italiens, espagnols, belges, polonais et scandinaves seront bientôt membres de la FINUL new look, et donc pris dans le double piège que je décrivais voici quelques temps. A titre personnel, je leur souhaite évidemment de s'en sortir le mieux possible. Mais pour évaluer la précarité de leur engagement, peut-être est-il préférable d'élaborer quelques évolutions possibles.

Scénario n° 1

La force multinationale devient un tampon entre Israël et le Hezbollah. Elle assiste au fil des mois au renforcement de l'armée libanaise comme au retrait des troupes israéliennes. Après quelques tentatives peu couronnées de succès et sous la surveillance internationale, le Hezbollah met en veilleuse ses activités belligérantes, rend une partie de ses armes et se focalise sur la conquête politique, fort de ses martyrs et de ses fonds. En Israël, le gouvernement se satisfait de la protection apportée par l'ONU et se concentre sur les mesures de protection contre les Palestiniens, que la barrière de séparation et le climat international ne cessent d'affaiblir ; la présence européenne et son image de protecteur du Liban dans le monde arabo-musulman permettent d'ailleurs à l'UE de renforcer son rôle dans la région. Bref, le scénario idéal pour nombre de dirigeants européens, avec un usage de la force strictement limité aux mesures préventives et démonstratives du beau temps, même si le retrait des troupes n'est pas planifié.

Ce scénario est cependant peu probable, car il suppose plusieurs conditions qui sont très loin d'être remplies, dont voici quelques unes :

- Une réduction des tensions internationales au Moyen-Orient, alors même que l'avancée du programme nucléaire iranien promet de les accroître ;
- Un règlement du casus belli représenté par la capture délibérée de soldats israéliens sur territoire israélien ;
- Une réduction des actions coercitives israéliennes dans les territoires palestiniens, et donc du besoin de prouver la "solidarité arabe" ;
- Une aptitude à dissuader le Hezbollah d'entreprendre des actions violentes dans les secteurs tenus par la FINUL et à le convaincre de désarmer ;
- Un engagement intègre et efficace de l'armée libanaise, notamment dans le désarmement du Hezbollah au sud du pays.

Scénario n° 2

La force multinationale se glisse entre le marteau et l'enclume. Des accrochages isolés reprennent (tirs de roquettes, frappes air-sol) et les soldats de la paix sont accusés à la fois de protéger par leur présence les miliciens du Hezbollah et de renseigner les états-majors de Tsahal. Le rôle joué par l'armée libanaise devient flou. Bientôt, avec le bras-de-fer international sur le programme nucléaire iranien, les soldats européens évoluent dans un environnement de plus en plus hostile, alors que les soldats musulmans de la force s'en distancient également. Un incident isolé précipite la dégradation de la situation, et des attaques terroristes sont perpétrées contre la FINUL par le Hezbollah, pendant que d'autres parties de la force, fournissant une protection à la milice islamiste, sont prises pour cible par Israël. L'armée libanaise s'effiloche rapidement, et Beyrouth demande le départ de la FINUL. Bref, le scénario catastrophe pour les parrains de ce nouvel engagement multinational.

Ce scénario n'est toutefois pas nécessairement le plus probable, car il suppose plusieurs conditions précises :

- Une volonté internationale, et notamment européenne, de contrecarrer l'Iran dans ses ambitions nucléaires ;
- Une volonté du gouvernement israélien d'obtenir par la force la sécurisation de sa frontière nord ;
- Une capacité du Hezbollah à jouer de nouveau son rôle de bras armé de la politique extérieure iranienne.

Scénario n° 3

La force multinationale préside à un gel précaire de la situation. Les apparences prévalent : le Hezbollah dissimule ses armes et annonce son respect de la FINUL, sans rien entreprendre de concret dans son sens ; Israël s'abstient d'user de la force et négocie la libération de ses soldats, tout en laissant une petite partie de ses troupes sur territoire libanais, ou prête à y entrer à tout instant ; l'armée libanaise s'installe au Sud Liban, assure ouvertement des tâches de sécurité, sans exercer le moindre contrôle effectif. Les emplacements, les moyens, les procédures, les règles d'engagement de la force multinationale sont consciencieusement étudiés ; ses installations, ses services sont infiltrés par des informateurs. Et si les unités de la FINUL décident de mener une action coercitive, elles sont neutralisées par des foules "spontanées", leurs chefs menacés personnellement sur leur lieu de travail et dissuadés par leurs "contacts", leurs soldats soudain confrontés à un environnement non permissif. Bref, le scénario d'une prise d'otages géante, ou de l'instrumentalisation de la FINUL dans les rapports de force internationaux.

Ce scénario me semble le plus probable des trois, car il peut n'exister que de façon provisoire et évoluer dans un sens comme dans l'autre. J'espère évidemment me tromper, mais si l'Europe engage effectivement des milliers de soldats dans le double piège du Sud Liban, cela pourrait bien affaiblir sa position par un accroissement proportionnel de sa vulnérabilité. Que son pari soit dangereux me semble donc évident!

Posted by Ludovic Monnerat at 19h22 | Comments (48) | TrackBack

22 août 2006

Entre le combat et la sécurité

Les propos fracassants de l'ancien Ministre allemand de la Défense Peter Struck, début 2004 ("la sécurité de l'Allemagne est désormais défendue sur l'Hindu Kush"), prennent ces jours un relief particulier avec la double tentative d'attentat sur des trains allemands et l'arrestation d'un immigré libanais dans ce cadre. En Grande-Bretagne, la série d'attentats dévastateurs préparés depuis 2000 sur des avions de ligne à destination des Etats-Unis offre également une résonnance particulière avec l'engagement croissant des militaires britanniques en Afghanistan. Quant à la France, sa reculade aussi risible que logique sur sa participation à la FINUL s'explique sans doute par sa prise de conscience du double piège libanais, mais aussi à sa crainte d'un nouvel embrasement de sa population immigrée musulmane. Où comment l'éclatement de l'espace, fondé sur la circulation des hommes et des idées, rapproche les stratégies militaires et policières - le combat et la sécurité - au point de les confondre.

L'augmentation constante des opérations extérieures, et la nuance toujours plus ténue entre maintien et imposition de la paix, ont de quoi donner le vertige. Récemment, des militaires britanniques déclaraient qu'il faudrait entre 40'000 et 50'000 soldats de l'OTAN pour pacifier l'Afghanistan méridional. Dans les Balkans, ce sont toujours quelque 20'000 militaires qui sont nécessaires pour empêcher la rallumage des hostilités. La participation européenne à la stabilisation de l'Irak continue de dépasser les 10'000 soldats, alors que la démilitarisation du Sud Liban - c'est-à -dire la neutralisation complète du Hezbollah comme force militaire - exigerait un minimum de 10 à 15'000 combattants, bénéficiant d'un appui conséquent sur le plan aérien et naval. Sans parler de ce qui serait nécessaire pour stopper le génocide en cours au Soudan, de ce qui est déployé actuellement en Afrique sub-saharienne pour limiter l'ampleur de conflits en cours, ou des flottes multinationales chargées de sécuriser les voies de navigation et de lutter aussi bien contre le terrorisme, la piraterie que l'immigration clandestine.

Pour l'Europe, qui peine déjà à remplir les missions actuelles, ce vertige est d'autant plus fort qu'il se conjugue à une prise de conscience croissante du péril bien plus proche que représente l'ennemi intérieur. Entre les immigrés venus préparer sur sol européen des attentats terroristes et les citoyens européens issus de l'immigration puis endoctrinés à l'islamisme, ou simplement convertis à ce culte sanguinaire, nos sociétés portent en elles un potentiel belligène qu'il n'est plus possible d'ignorer. Les dirigeants politiques se répandent aujourd'hui en propos d'autant plus alarmistes qu'ils succèdent à des décennies de dénégation et d'aveuglement, et qu'ils ne révèlent aucune solution, aucune idée de manœuvre sur la manière de lutter, de protéger comme de neutraliser, de défendre comme d'attaquer. Du coup, la répartition et la coordination des efforts à l'extérieur comme à l'intérieur des frontières pose problème. Et la légitimité des missions de longue durée loin du sol national est un facteur qui gagne encore en importance.

Comment peut-on par exemple justifier le fait que l'on combatte et élimine des islamistes en Asie centrale, alors que les mêmes personnages vivent, prêchent, endoctrinent et recrutent dans nos villes ? Une démarche globale, fondée sur l'identification d'une menace, la localisation de ses manifestations et la compréhension de son fonctionnement, nous fait de toute évidence défaut. Avant tout parce que ladite menace ne correspond pas aux frontières géographiques et administratives ou aux bases juridiques qui sont le propre des Etats-nations!

Posted by Ludovic Monnerat at 15h38 | Comments (56) | TrackBack

19 août 2006

L'illusion de la faiblesse

La capacité du Hezbollah à survivre aux assauts partiels de Tsahal a relancé l'intérêt pour les mouvements paramilitaires pratiquant la guérilla et le terrorisme. La Syrie a annoncé son intention de créer un mouvement similaire, le monde arabo-musulman acclame ceux qui ont "tenu tête à l'entité sioniste", alors que nombre d'experts pontifient sur la prétendue supériorité des forces irrégulières face aux armées conventionnelles. De toutes parts est propagée l'impression d'une défaite militaire et stratégique d'Israël, coupable d'avoir gravement sous-estimé les capacités du Hezbollah et de s'être attaque à plus fort que lui. On en viendrait presque à oublier les pertes terribles de la milice chiite, les combattants aguerris et les stocks de munitions qu'elle mettra des années à remplacer, et l'annihilation qu'elle a frôlée !

Au-delà de la capitalisation politique de cette saignée, à laquelle Nasrallah et consorts se livrent aujourd'hui mais qui sera bien vite diluée dans les tourbillons de l'actualité, il est bon de rappeler certaines réalités. Premièrement, la branche armée du Hezbollah est largement équipée et entraînée comme des forces non conventionnelles de type militaire, avec par exemple des appareils de vision nocturne, des armes de précision et des missiles antichar très performants ; une organisation tirant des TOW ou des Kornet ne répond pas vraiment au stéréotype de la guérilla populaire. Autrement dit, le Hezbollah a mené un combat d'infanterie basé sur l'usure, les actions dispersées de petites unités s'appuyant sur un terrain renforcé, le cumul des accrochages censés être furtifs et mortels pour une armée lente et lourde.

Le problème, c'est que la plupart des unités de Tsahal n'ont pas tardé à faire la différence entre le Hezbollah et les bandes armées palestiniennes, entre des unités irrégulières prêtes à se battre jusqu'à la mort et des essaims de combattants majoritairement ineptes, de sorte que ces accrochages ont presque toujours tourné au bain de sang pour la milice chiite. Si Israël a abusé de la puissance aérienne et en a payé le prix politique, son emploi de l'infanterie - bien plus que des blindés - contre le Hezbollah a été judicieux. La réactivité, la mobilité et la précision des fantassins israéliens leur ont permis de sortir vainqueurs d'un combat très difficile : celui consistant à entrer dans un secteur lourdement fortifié, face à un adversaire préparé depuis des années à le défendre, pour rechercher ce dernier et le détruire.

Deuxièmement, le sacrifice quasi automatique des combattants n'est une méthode applicable que lorsqu'un immense réservoir est disponible, que si un peuple entier est prêt à se battre jusqu'au bout. Malgré les perceptions propagées dans ce sens par le Hezbollah, ce dernier ne constitue qu'un pan très minoritaire de la société libanaise ; et si cette dimension sociétale lui confère une force considérable, elle n'existe que par la faiblesse du Liban. Conçu comme un Etat dans l'Etat, avec son armée, sa télévision officielle, ses services sociaux, ses filières d'éducation (et d'endoctrinement), le Hezbollah est une structure parasitaire qui exploite une situation donnée, se protège derrière la souveraineté libanaise en cas de besoin, mais ne doit sa survie qu'au manque de capacités ou de volonté des véritables Etats. A commencer par celui d'Israël.

C'est le troisième élément à prendre en compte : les tergiversations politiques et la timidité opérative des Israéliens sont la principale cause de leur succès limité. Ils ont réagi rapidement face à l'ouverture stratégique que le Hezbollah leur a fournie sur un plateau, mais ils n'ont pas su pleinement adapter le rythme et la modalité des opérations au caractère ponctuel de cette ouverture. Ce qui est une constante : dans un affrontement du fort au faible, ce sont les faiblesses du fort qui sont décisives, et pas les forces du faible. Le Hezbollah a tout jeté dans la bataille, a sacrifié ses meilleurs hommes comme ses meilleurs équipements, pendant qu'Israël, malgré un soutien populaire très fort, s'est longtemps escrimé à éviter tout ce qui pouvait ressembler à une opération massive. Jusqu'à accepter une résolution de l'ONU qui place la communauté internationale devant ses responsabilités.

Derrière les grandes déclarations du monde arabo-musulman se cache la réalité de cette retenue, et de son raisonnement essentiel : la volonté de ne pas être lié, de conserver toute sa liberté d'action pour faire face aux prochaines étapes du conflit. Déjà , les Israéliens ont tiré les leçons de leur imprudence en relançant les projets de défense antimissile et antiroquette sur leur frontière nord ; déjà , ils étudient la manière de mieux protéger leurs chars contre les missiles modernes, tout en exploitant la mine de renseignements capturée. La carte Hezbollah ayant été jouée, maîtrisée, analysée et bientôt totalement contrée, elle perd son intérêt à court et moyen terme dans le jeu iranien. Au contraire, le jeu israélien reste dans l'ombre, ses capacités incertaines, sa volonté imprévisible, surtout en rapport avec un jeu américain qui peut soudain abattre ses propres cartes.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h18 | Comments (58) | TrackBack

16 août 2006

ONU : Le double piège libanais

Après plus d'un mois de combats parfois très violents, le secteur du Sud Liban connaît depuis lundi une accalmie précaire. Les Forces de défense israéliennes continuent d'infliger quelques pertes au Hezbollah au cours d'accrochages limités, mais ce dernier prend garde de ne pas répliquer, ce qui souligne probablement à quel point un cessez-le-feu était devenu vital pour la milice chiite. Et l'empressement de la communauté internationale à imposer ce cessez-le-feu révèle maintenant la position difficile dans laquelle, sous la bannière de l'ONU, elle s'est jetée : alors qu'une force multinationale chargée de stabiliser la région était jugée impossible depuis des années, voici soudain que l'on essaie de la constituer, même en jugeant son déploiement lent et lié à celui de l'armée libanaise, et alors que le Hezbollah refuse de désarmer.

Pour une fois, il apparaît qu'Israël a exploité les processus de décision onusiens à son profit, et l'Etat juif a beau jeu de brandir à présent la menace de l'action armée si la résolution 1701 n'est pas appliquée : la protection de ses habitants est désormais de la responsabilité de la force multinationale censée se déployée au Sud Liban, ainsi que des forces armées libanaises. Leur dilemme est de taille : soit elles prennent le contrôle de la zone et désarment le Hezbollah, finissant ainsi le travail de Tsahal, soit elles en sont incapables et fondent la justification d'une nouvelle offensive israélienne. Comme la seconde possibilité est la plus probable, c'est donc à une pause opérationnelle que nous assistons actuellement, chaque camp essayant de s'adapter aussi vite que possible à la réalité dévoilée par l'affrontement, voire à reconstituer sa capacité de combat pour le cas de la milice chiite.

Ce qui est certain, c'est que je comprends la réticence des militaires européens à envisager un déploiement entre de tels ennemis...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h36 | Comments (58) | TrackBack

12 août 2006

La course contre la montre

Ainsi donc, les Israéliens ont fini par lancer leurs forces armées dans le Sud Libanais et déclencher une invasion terrestre en règle, après plus d'un mois d'une campagne menée essentiellement par le biais d'opérations aériennes intensives (120 frappes air-sol pour la journée de mardi), d'opérations spéciales (pour la plupart non rendues publiques), d'opérations d'information (notamment psychologiques) ainsi que d'opérations navales et terrestres largement statiques. Voici longtemps que j'attendais et jugeais inévitable une telle action, au vu du nombre important de roquettes continuant de pleuvoir aléatoirement (moins d'un quart touchent des zones habitées) sur Israël. La question est de savoir si cette décision ne survient pas trop tard, ou même est inutile.

On entend en effet plusieurs voix dire qu'Israël a déjà perdu, que sa puissance militaire est illusoire ou insuffisante. Les mouvements d'humeurs existant au sein de Tsahal montrent effectivement que des erreurs ont été commises, sur le plan stratégique (engagement progressive de moyens de combat) comme sur le plan militaire (méthodes trop conventionnelles, poids excessif de la campagne aérienne). Cependant, il s'agit de ne pas se tromper de guerre : les combats menés entre Israël et le Hezbollah ne sont pas une guerre en soi, mais un épisode de plus dans le conflit opposant la nation juive au monde arabo-musulman, et notamment dans la lutte menée par l'Iran. L'aptitude du Hezbollah à lancer des roquettes ne dissimule pas, pour les observateurs avertis, la réduction massive de son utilité stratégique face à Israël comme à l'Occident, et son effet mobilisateur sur la société israélienne, même si celui-ci commence à s'effriter.

L'aspect purement militaire doit être pris en compte. Dans la logique de l'attrition retenue comme mode opératoire, ce n'est pas un k.o. qu'Israël recherche, mais une victoire aux points ; avec plus de 600 combattants du Hezbollah tués ou capturés, selon les chiffres de sources israéliennes (généralement fiables), on reste dans ce rapport de perte de 1 à 8 dont j'ai parlé voici quelques jours à la radio. Avec l'intensification des opérations, c'est d'abord l'accélération de cette saignée qui est visée, parce que l'interruption totale des tirs indirects n'est pas un objectif atteignable à brève échéance, et que la fenêtre d'opportunité stratégique se referme rapidement. Une manière de laisser une chance à la guerre, une occasion aux militaires de prouver leur aptitude tactique et opérative face à un adversaire déjà éprouvé.

Ce qui n'est pas sans risque. Toute augmentation massive des troupes engagées, en particulier dans un pays pratiquant la conscription, produit automatiquement une augmentation des enjeux et de la dépendance instrumentale. On peut donc voir derrière l'invasion prolongée de Tsahal les signes avant-coureurs de son retrait prochain, à moins d'une escalade qui justifierait les coûts ainsi consentis. Et c'est probablement dans cette capacité à frapper vite, fort et loin que réside l'avenir des forces armées, lorsqu'elles auront développé leurs lignes de défense en leur intégrant des contre-mesures face aux projectiles sol-sol. Malgré cela, si les Israéliens se replient dans quelques semaines pour céder la place à une force multinationale dont je vois mal les perspectives, surtout si elle tente d'imposer la résolution 1559, cela mettra un terme à une campagne qui leur aura permis de mettre hors course, pour un temps, le bras armé du régime de Téhéran.

Difficile dans ces conditions de ne pas y voir un avantage stratégique à court et moyen terme.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h21 | Comments (42) | TrackBack

8 août 2006

Irak et Afghanistan, même combat

Le temps me manque pour traiter cet angle en détail, mais il vaut la peine de s'intéresser aux pertes subies par les forces multinationales engagées en Irak et en Afghanistan : ce mois-ci, 15 soldats sont morts en Irak (dont 1 par accident) et 9 en Afghanistan (dont 2 par accident). L'augmentation constante des pertes dans ce dernier pays se conjugue ainsi à une stabilité globale, voire une légère diminution, de celles subies en Irak. En réalité, en prenant par exemple les chiffres de juillet (42 morts au combat en Irak, 13 en Afghanistan) et en tenant compte du fait qu'environ 150'000 militaires sont déployés en Irak contre 30'000 en Afghanistan, ce dernier s'avère désormais plus dangereux pour les militaires étrangers. Voici longtemps que j'ai fait part de mes doutes sur l'engagement à contre-coeur de l'OTAN en Afghanistan et sur la guerre qui va de ce fait y être menée. A partir de quand peut-on parler de bourbier dans les médias traditionnels ? Après 10 jours si les Américains sont engagés et jamais lorsque les Européens le sont ? :-)

Une petite nuance : il faudrait compléter les chiffres des pertes par celles que subissent les forces de sécurité locales et nationales ; en Irak, dès 2004, les forces irakiennes ont eu le douteux privilège de subir la majorité des pertes, alors que cela ne me semble qu'être récemment le cas en Afghanistan. Un point à vérifier...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h00 | Comments (15) | TrackBack

4 août 2006

Une opportunité stratégique

Je signale rapidement cet entretien très intéressant donné par Magnus Ranstorp, qui fait autorité à propos du Hezbollah comme du terrorisme en général. Il identifie en effet une opportunité stratégique pour Israël. Extrait :

[...] from a U.S. perspective, I would advise the Israelis, if they are really serious about taking out Hezbollah, they should neutralize the Hezbollah political leadership to lay the ground work for diplomatic efforts. Squeeze them in one direction, towards U.S.-led efforts to lock them into UN Security Council resolution 1559, which calls for the disarmament of all militias in Lebanon, which means Hezbollah.
The Israelis have seized the moment. Everything was in a holding pattern, stalemate, and the kidnapping was perfect for the Israelis, and they have seized the moment. From my perspective, I would tell them to continue on the same path. Not to concede until the work has been done...
I have followed this thing on a daily basis for sixteen years now, even when it was completely out of the headlines. And there has never been a better moment to really move on the Lebanese and Syrian tracks.

Merci à François pour le lien.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h29 | Comments (13) | TrackBack

31 juillet 2006

Une saignée discrète et mortelle

Haro sur Israël : la destruction d'un immeuble à Cana et la mort de nombreux non combattants ont produit sans surprise une avalanche de condamnations, mais aussi d'appels à un cessez-le-feu dont on se demande bien ce qu'il ferait pour la résolution du conflit. Privilégiant comme de juste la sécurité nationale à l'opinion internationale, l'Etat juif n'a pas d'ailleurs pas tardé à mettre entre parenthèses sa trève annoncée de 48 heures dans les bombardements aériens, puisque ses ennemis n'ont pas fait mine de le suivre sur cette voie. La pression politique s'accroît, à la fois pour une décision rapide sur le plan militaire et pour une interruption rapide du conflit, ce qui devrait amener au moins à court terme une poursuite de l'escalade. Avec les inévitables "bavures" que produit le recours à la puissance aérienne hors de l'appui direct aux troupes terrestres.

Cet échec en termes de perception reste cependant marginal sur le déroulement des opérations du côté israélien : l'objectif principal de celles-ci étant une usure du Hezbollah, afin de le rendre matériellement incapable de poser une menace ces prochaines années (et donc accessoirement de servir de vecteur à l'Iran, d'où l'intérêt d'une partie de la communauté internationale à laisser les hostilités se poursuivre), il s'agit bien d'affecter les capacités de la milice chiite, et non les volontés de quiconque. A ce stade, on ne peut qu'être surpris que les Israéliens n'aient pas encore déclenché une offensive en règle jusqu'à la rivière Litani, destinée à prendre dans la nasse les combattants du Hezbollah, dont la qualité indéniable rend le remplacement difficile, et à les anéantir plus sûrement ; peut-être les spectres du passé expliquent-ils cette timidité opérationnelle.

Pour le Hezbollah, en revanche, la frappe meurtrière de Cana revêt une importance cruciale : elle permet de focaliser la communauté internationale sur des violences injustifiables du côté israélien, et donc de mettre entre parenthèses les casus belli dont s'est rendue coupable la milice islamiste, mais aussi et surtout d'augmenter les chances d'un cessez-le-feu imposé à Israël et qui demeure sa seule chance de victoire. Les combats terrestres très durs du Sud-Liban ont en effet décimé ses meilleures unités, affûtées par des années d'accrochages contre Tsahal, alors que les frappes aériennes nombreuses de l'aviation israélienne ont infligé des pertes énormes à ses réserves d'armes ainsi qu'à son infrastructure de commandement. D'où la nécessité impérieuse de s'entourer de boucliers humains : c'est déjà une question de vie et de mort.

Pour les Israéliens, qui tiennent enfin dans leur mire un ennemi mortel ne pouvant plus se dérober sous peine de perdre la face, c'est-à -dire son poids politique et symbolique, il est désormais nécessaire de poursuivre implacablement l'entreprise en cours et de continuer à éliminer le Hezbollah jusqu'à ce qu'il n'existe plus en tant qu'organisation armée. Nasrallah et les siens ont été surpris de la réaction israélienne après l'enlèvement des soldats de Tsahal, car ils n'avaient pas prévu qu'ils créaient ainsi une justification pour une opération destinée à les saigner à blanc. A présent, cette saignée s'accroit chaque jour un peu plus, avec son cortège de drames et de douleurs pour la population civile, mais avec au bout du compte une perspective stratégique inimaginable voici quelques mois encore - et que seul le retrait de Gaza a rendu politiquement possible.

Voilà du moins mon analyse, à chaud et brièvement, depuis mes montagnes tessinoises...

COMPLEMENT (1.8.06, 0845) : Quelques articles lus ce matin dans Le Figaro apportent des précisions intéressantes. Tout d'abord ce récit d'Adrien Jaulmes, qui tombe bêtement dans le panneau en reproduisant les déclarations du Hezbollah, alors que nombre d'indices - pertes avouées, destructions subies - plaident pour une défaite sévère. Qu'à l'aube du XXIe siècle un journaliste "couvrant" une guerre pense encore que la conquête territoriale est le but des armées est assez surprenant. Les annonces du Gouvernement israélien concernant l'extension des opérations semblent indiquer que rendre publique une telle intention n'aurait plus guère d'influence sur le terrain, ou au contraire que mettre en fuite le Hezbollah permettrait de l'achever. Enfin, les chiffres au sujet de l'économie israélienne replacent les pertes subies dans une perspective stratégique plus réaliste.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h43 | Comments (35) | TrackBack

30 juillet 2006

La cécité du scientifique

Les propos du professeur Karl Haltiner font régulièrement grincer des dents au sein de l'armée, en raison de leur éloignement des réalités vécues au quotidien. Cet entretien publié aujourd'hui dans la NZZ aura probablement le même effet, puisque ce sociologue connu pour ses enquêtes d'opinion annuelles prône désormais une armée de milice volontaire. Extrait :

Das Gros der Armeeangehörigen würde aus Freiwilligen beider Geschlechter ab 18 bis etwa 40 oder 50 Jahren bestehen. Sie müssten sich verpflichten, während mindestens fünf Jahren neben ihrem Beruf Militärdienst zu leisten mit der Möglichkeit zur Verlängerung. Wie im heutigen System müssten sie eine mehrmonatige Grundausbildung durchlaufen und pro Jahr mindestens 30 Tage Dienst leisten, davon 20 am Stück. Damit verbunden wäre die Pflicht, Ernstfalleinsätze zu leisten, beispielsweise bei der Bewachung des WEF.

Bien entendu, on pourrait se demander quelle disponibilité aurait cette armée ; notre éminent chercheur zurichois comptant avec des effectifs de 25'000 à 30'000 miliciens, on parvient fort logiquement à une moyenne de 1500 militaires en service, sans prendre en compte l'effet des engagements de grande ampleur, qui réduisent ce chiffre. A peine de quoi garantir dans la durée une mission du type "AMBA CENTRO". Du coup, Haltiner préconise l'augmentation des militaires contractuels, en évitant de préciser que ceux-ci sont aujourd'hui engagés dans l'instruction et non dans l'opération, et donc l'accroissement d'un noyau professionnel dont le sous-effectif est aujourd'hui déjà criant, et qui devrait puiser dans le même réservoir de volontaires...

Tant mieux pour son amour-propre si Karl Haltiner obtient l'audience des médias et des politiciens, à défaut de la confiance des militaires. Pour ma part, je lui conseillerais en premier lieu de réfléchir au sens des armées avant de se lancer dans des chiffres sur les effectifs et les modes de service, dont les implications de toute manière le dépassent.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h33 | Comments (4) | TrackBack

29 juillet 2006

Gagner la guerre, perdre la paix

Parmi les nombreux commentaires ci-dessous consacrés au conflit du Proche-Orient a débattue la question des pertes civiles, des actions qui les provoquent et du comportement en général face à une armée supérieure sur le plan du nombre et de la technologie. Dans la mesure où cet aspect du conflit me paraît essentiel pour l'ensemble des armées occidentales, et partant pour les Etats-nations classiques, je me permets d'apporter mes propres réflexions sur le sujet.

Bien entendu, sur le plan militaire, il est vain de reprocher au Hezbollah de se dissimuler parmi la population civile et de ne pas encaisser de plein fouet les coups très durs, des airs comme à terre, portés par les Forces de défense israéliennes. Tout comme les rebelles tchétchènes face aux forces armées russes, le Vietcong face aux divisions américaines, la Résistance face à la Wehrmacht ou les Boers face aux Britanniques, un belligérant inférieur à un autre va chercher à soustraire ses faiblesses et à mener une action où ses propres forces, respectivement les faiblesses de l'autre, amèneront la décision. Les méthodes dites asymétriques dans ce sens sont avant tout la guérilla et le terrorisme, mais le dévoiement du droit international des conflits armés me semble également en faire partie. Et l'infériorité militaire ne justifie pas sa violation délibérée et calculée.

Le complexe édifice juridique assemblé au fil des siècles a en effet toujours eu pour but de réduire les horreurs de la guerre, et non à favoriser les armées régulières, même s'il y contribue de facto. Si le moins fort peut faire n'importe quoi, ce n'importe quoi devient l'usage et provoque une escalade conforme à la montée aux extrêmes qui résume la dynamique des conflits. Quand le Hezbollah s'entoure de non combattants, il semble gagnant sur tous les plans : si les FDI ne bombardent pas, il gagne en liberté d'action et manœuvre impunément ; si les FDI bombardent, il gagne en influence politique et peut exhiber autant que "victimes civiles" que de combattants et de boucliers humains tués. Et les dirigeants internationaux de confirmer l'efficacité de cette pratique en vilipandant Israël, pour la simple et bonne raison qu'ils préfèrent spontanément ignorer la nécessité, parfois, de faire la guerre.

Mais le coût à terme de ces méthodes, qui reviennent à embrigader dans la lutte l'ensemble des non combattants, est hélas ignoré de leurs tenants. Le fait que les guerres contemporaines soient devenues sociétales n'implique pas la généralisation d'une mentalité guerrière, sous peine de rendre la société touchée par cette folie incapable de produire autre chose que des armes et de la haine. On peut gagner une guerre en mobilisant de gré ou de force toute une population, mais toutes les ressources investies dans la guerre ne seront plus disponibles lorsqu'il s'agira de gagner la paix. Seule une défaite ayant un coût supérieur justifie une telle mobilisation, et ce n'est de toute évidence pas le cas aujourd'hui sur le territoire libanais, où une milice belligène est punie par la cible de ses attaques terroristes.

Vaincre une démocratie par lassitude, c'est-à -dire par la diminution progressive de sa volonté, suppose un conflit prolongé et des destructions étendues. Il est bien préférable de la désarmer sur le plan moral, en respectant des valeurs telles que le droit des gens en temps de guerre. La vertu est une arme insoupçonnée.

COMPLEMENT (30.7 1520) : Le raid aérien mené durant la nuit par Tsahal au Sud-Liban, qui aurait fait au moins 54 morts, semble une confirmation des effets propres à la tactique appliquée par le Hezbollah. Les appels à l'évacuation lancés par Israël, s'ils avaient été suivis d'effets, auraient permis d'éviter un tel événement...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h51 | Comments (82) | TrackBack

28 juillet 2006

Survivre dans l'impuissance

Cet article du Monde sur la situation de l'UNIFIL mérite d'être lu : il souligne crûment les limites des contingents de maintien de la paix déployés dans un environnement où la guerre menée à son terme est devenue la condition préalable de toute paix. Extrait :

C'est une mission étrange que celle du général Pellegrini. D'un côté, il assure être un "intermédiaire" entre les deux belligérants. De l'autre, il dit ne pas "vouloir connaître" les chefs locaux du Parti de Dieu. "Les gens du Hezbollah, on ne les voit pas, on les entend", confirme un capitaine. Un grand portrait de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, nargue les casques bleus au-dessus d'un mur d'enceinte.
Le général constate que la communauté internationale avait certes obtenu le "retrait israélien" du Liban sud. C'était en 2000, bien avant le déclenchement de la crise actuelle. En revanche, s'agissant de l'"aide à apporter aux autorités libanaises pour qu'elles rétablissent leur souveraineté" sur une zone entièrement contrôlée par le Hezbollah, sa mission est un échec complet, admet le militaire français.
"Nous avons un mandat placé sous chapitre VI de l'ONU, qui ne nous autorise qu'un rôle d'autodéfense et de protection de nos installations", plaide-t-il. Selon lui, seule une force internationale de quelque 10 000 hommes, disposant d'un "mandat musclé" sous chapitre VII de l'ONU, "pour imposer la volonté des Nations unies", pourrait rétablir la paix. En attendant, les 700 hommes de son quartier général tournent en rond, pendant que les 1 300 autres, disséminés dans 43 postes dans tout le Liban sud, essaient d'échapper aux tirs croisés.

Il s'agirait naturellement de savoir si les Nations unies ont une volonté, et bien entendu les capacités, pour une telle action. Engager aujourd'hui une force multinationale signifierait appliquer la résolution 1559, et donc faire la guerre au Hezbollah - exactement ce que fait actuellement Israël, et ce que le Liban n'a pas fait. Sur ce dernier point, on notera toutefois que les appels à l'aide du Gouvernement libanais ces derniers mois dans ce but n'ont pas reçu de réponse de la communauté internationale, peu désireuse de s'impliquer dans cette tâche difficile - et n'ayant pas oublié les attentats de 1983...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h21 | Comments (63) | TrackBack

20 juillet 2006

Le choix de l'attrition

Méthodiquement, malgré les critiques internationales que suscitent les dommages collatéraux de ses actions, Israël poursuit sa guerre d'attrition contre le Hezbollah, augmentant l'intensité et la diversité de ses attaques au fur à mesure que la milice islamiste voit ses capacités se réduire. User un adversaire faute de pouvoir lui porter un coup décisif est une méthode fragile, mais elle permet aussi de réduire la dynamique mesure / contre-mesure propre à tout affrontement. Le Hezbollah ne peut se prévaloir d'une quelconque occupation pour justifier ses attaques visant directement la population civile : le retrait du Sud Liban met en danger celle-ci, mais renforce la légitimité des actions menées pour la protéger, redonnant ainsi en liberté d'action ce qui a été perdu en espace de protection.

L'intensité des attaques menées avant tout par l'aviation israélienne, a contrario des accrochages terrestres, montre cependant que l'Etat juif avait soigneusement préparé ses plans face à la menace du Hezbollah. Les pertes civiles importantes dans la population libanaise, qui ne joue peut-être pas le rôle de bouclier humain attendu, indiquent d'ailleurs une détermination impitoyable. Alors que le Liban se relevait d'une guerre civile ravageuse, le conflit israélo-arabe revient à nouveau le hanter et mettre son avenir en péril. Est-ce là l'intérêt de l'Etat juif, et de la communauté internationale ? Bien souvent, le choix de l'attrition relève d'une perspective à court terme, dans la mesure où l'attrition représente une orientation plus qu'un but en soi. On compte parvenir à bout de l'autre en réduisant ses capacités, ou sa volonté, ou sa légitimité, et cette action comporte son propre élan.

Si cette solution est la seule, pour un Etat désireux de protéger sa population sans allumer un conflit interétatique, voilà qui serait néanmoins compréhensible.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h12 | Comments (124) | TrackBack

17 juillet 2006

Comme un séisme au ralenti

La normalité de la vie quotidienne dans l'Helvétie vacancière offre un contraste saisissant avec l'évolution rapide des événements au Proche-Orient, où les forces de défense israéliennes ont annoncé aujourd'hui leur première incursion au Sud Liban, tout en poursuivant des frappes air-sol et sol-sol de grande ampleur. Les nations occidentales assistent sans grande réaction à une nouvelle phase du conflit opposant Israël au monde arabo-musulman, comme prises par l'inertie de leurs priorités et/ou de leurs illusions (dont le fameux "processus de paix"), et se contentent de proclamations creuses et d'intentions irréalistes - comme cette force onusienne dont on se demande bien qui pourrait l'alimenter, l'équiper, la déployer ou encore la commander. Un peu comme si elles refusaient d'ouvrir les yeux face au danger imminent.

Il faut recourir à des analystes privés pour rester au contact de la réalité, et se rendre compte qu'à tout instant des milliers de citoyens occidentaux peuvent être otages d'une situation qui dépassent leurs dirigeants. Ainsi, les opérations d'évacuation en cours ou en préparation ne restent qu'une réaction linéaire et convenue face aux développements du conflit, et ne prennent pas en compte ce qu'il révèle des belligérants aux prises. On peine à voir la marque omniprésente du djihad derrière les attaques physiques et verbales qui émanent de Gaza, de Beyrouth, de Téhéran ou d'ailleurs contre Israël. On renonce à admettre que la notion "paix contre territoires" a été durablement disqualifiée par les attaques du Hezbollah et du Hamas. On s'abstient de toute remise en cause même face au désaveu et à l'échec.

Mais la stupeur de la communauté internationale s'accompagne également d'une inclination à laisser les Israéliens se charger du sale boulot, celui consistant à éliminer le groupe terroriste islamiste le plus dangereux au monde, et par là même largement désarmer la théocratie islamiste qui le contrôle et le soutient. Les voiles de l'incertitude se déchirent au ralenti, et soulagent les Occidentaux - et d'autres - de leur dilemme insoluble. Quelque part, l'action déclenchée par le gouvernement Olmert suite aux attaques du Hezbollah est une réponse cathartique, un mouvement qui remplace enfin un statu quo intenable. C'est d'ailleurs à mon sens la raison pour laquelle les dommages collatéraux apparemment nombreux des frappes israéliennes ne suscitent pas davantage de remous. Le conflit est jugé inévitable. Les enjeux justifient les moyens.

Ainsi donc, l'Etat d'Israël endosse aujourd'hui plus que jamais le rôle de sentinelle démocratique, d'avant-garde occidental face aux éléments les plus conservateurs et irrédentistes du monde arabo-musulman. Le monde se prépare à un duel prévu depuis longtemps par les deux camps, et assiste au spectacle à la fois captivant et désolant de la guerre. Peut-être est-il sage de rappeler à cet instant que toute opération de combat reste un gigantesque lancer de dés, sans qu'il soit possible de prévoir les conséquences des résultats obtenus ; l'ampleur du séisme qui se déroule sous nos yeux devrait nous inciter à un sentiment d'urgence renouvelé, et nous amener à être prêt à toutes les éventualités. Le sommes-nous ? Voulons-nous l'être ? Je ne serai pas le seul, sur ce site, à répondre par la négative à ces deux questions légitimes!

Posted by Ludovic Monnerat at 19h37 | Comments (49) | TrackBack

14 juillet 2006

Israël : retour à la case départ

A bien des égards, Israël a corrigé ces dernières années les erreurs stratégiques de ses occupations successives et retrouvé sa situation initiale : un petit Etat entouré d'ennemis plus ou moins déclarés, dont les frontières sont constamment traversées par des attaques de type terroriste (cibles non combattantes) ou militaire (cibles combattantes). Les Forces de défense israéliennes se sont retirées du Sud Liban en 2000, 18 ans après l'opération "Paix en Galilée" ; depuis lors, le Hezbollah en a profité pour augmenter massivement ses capacités d'action et mène depuis 2 jours des opérations de guerre contre l'armée et la population israéliennes. Les mêmes FDI ont évacué en 2005 la bande de Gaza, après 38 ans de présence armée, démantelant au passage les habitations juives et exécutant ainsi une purification ethnique délibérée ; depuis lors, les groupes terroristes palestiniens ont constamment développé leurs capacités d'action (tirs de missile) et mené voici plus de 2 semaines une attaque délibérée sur un poste militaire israélien, provoquant ainsi l'intensification actuelle du conflit. On peut parler de retour à la case départ.

Bien entendu, l'entrée en lice soudaine et massive du Hezbollah (avec plus de 700 projectiles tirés sur la population israélienne en 2 jours) n'est pas étrangère à la situation toujours plus précaire de l'Iran, menacé d'être soumis à des sanctions internationales malgré l'inefficacité flagrante de l'ONU. Par ailleurs, on ne peut manquer de voir dans les attentats de Bombay, à une autre extrémité de l'arc belligène que forme le monde arabo-musulman, le parallélisme d'une guerre qui ne cesse de prendre une dimension planétaire. Il devient ainsi de plus en plus difficile de parler de conflit israélo-palestinien en ignorant les valeurs qui s'affrontent en filigrane, d'expliquer les violences commises dans cette région en excluant leur caractère symbolique et avant-gardiste. Malgré le caractère disproportionné de ses réactions, Israël se défend et tente de préserver son avenir.

Lorsque l'on consulte l'actualité israélienne d'avant la guerre des Six Jours, on ne peut qu'être frappé par la litanie d'attaque de basse intensité menée par les Palestiniens sur la population juive ; la prise de territoires sans évacuation de leurs habitants constituant une erreur, il reste aujourd'hui à Tsahal, qui a le droit et le devoir de protéger les citoyens israéliens contre des attaques prenant la forme d'obus et de roquettes tirés en-dehors du territoire national, de trouver un autre mode opératoire. Celui retenu depuis 2 semaines dans la bande de Gaza, et qui semble se préparer pour le Liban, reproduit dans les grandes lignes l'opération "Bouclier Défensif" menée au printemps 2002 suite à l'escalade des attaques terroristes palestiniennes : des raids aériens et terrestres visant à détruire l'infrastructure des combattants ennemis, à réduire durablement leur capacité d'action, à capturer ou à éliminer leurs dirigeants, ainsi qu'à saisir en masse des renseignements. Frapper et se retirer, en restant prêt à frapper de nouveau. Tout en poursuivant le durcissement des propres défenses, notamment avec la barrière de protection et les dispositifs antimissiles.

La disproportion des actions menées actuellement, qui préparent probablement des coups très durs contre le Hezbollah, réside dans leur intensité, dans leur caractère concentré, un peu comme un boxeur impatient qui rechercherait le k.o. dans un combat nécessairement aux points. La patience n'est certes pas la principale qualité des démocraties, mais l'escalade des faits provoque également une évolution des perceptions qui peut fort bien augmenter massivement les enjeux. Israël est aujourd'hui en position de force : sa population est largement soudée, son économie est en bonne santé, ses ennemis palestiniens sont discrédités, et la situation géopolitique internationale est favorable. Pour durer et l'emporter à terme, de tels avantages doivent être préservés, et non galvaudés dans des actions impulsives qu'il ne serait plus possible de contrôler.

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7 juillet 2006

Une erreur de perspective

Dans la lignée de ces réflexions sur l'inertie des armées et leur inadaptation aux conflits de notre ère, je conseille vivement de lire la dernière colonne de Max Boot, l'un des meilleurs experts contemporains en matière de conflits de basse intensité. Ce dernier porte en effet un regard critique sur la mise en oeuvre opérationnelle de la guerre dite contre le terrorisme, et notamment sur l'inertie de la culture militaire américaine en matière de projection et d'action. Extrait :

In large part for reasons of security and convenience - a few big installations are easier to defend and supply than a lot of small ones - more and more soldiers and support personnel are congregating in a handful of mega-bases, such as Logistics Support Area Anaconda in Iraq, which has about 30,000 inhabitants. When spending time on such installations, it's easy to forget where you are. The only reminder that you're not in Ft. Hood, Texas, comes in the form of occasional, inaccurate mortar rounds or rockets fired by insurgents.
Successful counterinsurgency operations require troops to go out among the people, gathering intelligence and building goodwill. But few Iraqis are allowed on these bases, and few Americans are allowed out - and then only in forbidding armored convoys.
Most of our resources aren't going to fight terrorists but to maintain a smattering of mini-Americas in the Middle East. As one Special Forces officer pungently put it to me: "The only function that thousands of people are performing out here is to turn food into [excrement]."
How to explain this seemingly counterproductive behavior? My theory is that any organization prefers to focus on what it does well. In the case of the Pentagon, that's logistics. Our ability to move supplies is unparalleled in military history. Fighting guerrillas, on the other hand, has never been a mission that has found much favor with the armed forces. So logistics trumps strategy. Which may help explain why we're not having greater success in Iraq and Afghanistan.

Les chiffres mentionnés dans l'article balaient plusieurs lieux communs sur les opérations actuelles en Irak, et dans une moindre mesure en Afghanistan (où l'on commence également à crier au manque de troupes) : ce n'est pas qu'il n'y a pas assez de militaires US en Irak, c'est qu'ils doivent bien trop se focaliser sur la protection de leurs propres infrastructures et convois pour avoir une action décisive en matière de reconstruction ou d'attrition ; ce n'est pas que les militaires US passent leur temps à se planquer dans leurs bases, c'est que la complexité de leur exploitation et la longueur des lignes de communication réduisent leur impact global sur le théâtre d'opérations. Ce qu'il manque aux forces armées US, c'est une vraie culture expéditionnaire, une démarche néocolonialiste qui les amènerait à ne pas tous ou presque transporter leur bout d'Amérique avec eux et qui leur permettrait d'intégrer un autre pays, une autre population, une autre culture, fut-ce pour les influencer ou les contrôler.

Mais peut-être cette lacune n'est-elle finalement pas si négative...

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6 juillet 2006

Le Conseil de l'injustice

Il n'aura pas fallu bien longtemps au nouveau Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui a remplacé la funeste Commission des droits de l'homme, pour montrer son vrai visage : en votant une résolution condamnant Israël pour ses actions militaires en cours sans même adresser le moindre reproche aux Palestiniens, ce nouvel organe onusien poursuit sur la lancée du précédent et consacre l'injustice de la communauté internationale. Le texte accepté par 29 voix contre 11 et 5 abstentions se signale d'ailleurs par une utilisation abusive des Conventions de Genève, le terme de "puissance occupante" désignant Israël alors même que ses actions s'appliquent à un territoire dont l'Etat juif s'est retiré. Comprenne qui pourra.

Il est assez intéressant de constater que la Suisse, tout en soulignant le caractère disproportionné de l'action militaire israélienne (comme je l'ai moi-même dit, et que je maintiens - y voyant même une erreur stratégique susceptible d'entamer les avantages acquis ces derniers mois), n'a pas pu se résoudre à s'opposer à cette résolution injuste. Comment interpréter le fait que la Confédération soit le seul Etat occidental à cautionner cette mascarade de droit international ? Se peut-il que la création du Conseil des droits de l'homme, dont elle est à l'origine, explique son comportement présent ? Quoi qu'il en soit, si le Canada, la République Tchèque, la Finlande, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie et la Grande-Bretagne ont le courage de dire non, il est regrettable que la Suisse se distingue de la sorte.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h56 | Comments (23) | TrackBack

26 juin 2006

L'inertie des armées

Une colonne du général belge Francis Briquemont, parue la semaine dernière dans La Libre Belgique, a retenu aujourd'hui mon attention. L'auteur y déplore en effet l'inadaptation des armées conventionnelles aux conflits de notre ère. Cette problématique n'est bien entendu pas nouvelle, et l'auteur se gargarise de préjugés trompeurs quant à la situation de l'US Army en Irak (dont la situation en matière de recrutement et de moral est l'inverse de ses homologues européennes), mais l'angle qu'il privilégie - le petit nombre d'éléments opérationnels, c'est-à -dire de combat, dans les armées modernes - est très pertinent. Le tout étant résumé par cette phrase :

Les armées de terre des démocraties sont en crise parce qu'elles n'ont jamais eu autant besoin d'hommes opérationnels d'un niveau élevé alors qu'elles en ont de moins en moins.

Ce constat est bien entendu une condamnation de la professionnalisation des armées européennes, qui ont renoncé au nombre sans gagner en efficacité, c'est-à -dire en capacité de projeter durablement des effets. Et l'impossibilité de forger une seule armée européenne, à même de fonder la masse critique nécessaire, offre une perspective plutôt sombre. A moins de rompre ce compromis paralysant et d'obtenir des armées à deux faces (pour ne pas dire deux vitesses) : une grande composante de milice, conçue pour les missions à l'intérieur des frontières nationales, et une petite composante professionnelle, conçue pour les missions à l'extérieur de ces frontières.

On notera que l'armée suisse correspond très largement à ce modèle...

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19 juin 2006

Une guerre proche et lointaine

Voici plus de 6 mois, j'écrivais que les Européens acceptaient peu à peu et à contre-coeur la lutte lancée par les Etats-Unis sur le territoire de l'Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001. Il apparaît à présent que cette perspective semble confirmée par les faits : suite à son déploiement au sud du pays, l'ISAF est bel et bien sortie de son rôle initial (maintien de la paix) pour entrer dans un conflit de basse intensité, avec des opérations offensives conventionnelles nécessitant l'appui de l'artillerie et de l'aviation, et avec une différence toujours plus ténue entre ses actions et celles de la task force sous commandement américain. En d'autres termes, l'Europe mène une guerre tout en parlant de paix, pratique l'interdiction stratégique sous couvert de construction de nation, et fait en Afghanistan ce qu'elle s'est refusée à faire en Irak.

Il suffit de lire l'intention du commandant actuel de l'ISAF pour cerner l'action militaire en cours. Extrait :

My guiding intent is, through our actions and a linked information operation firmly rooted in substance, to reinforce the people of Afghanistan's belief that long-term peace and growing economic prosperity from which everyone can benefit is possible if they continue to give their government, and its international partners, their support and encouragement.
ISAF, in partnership with the GOA and the International Community, is to think and plan for the long-term future of Afghanistan, seizing short-term opportunities as they occur but always in a way that is in step with the long-term vision for the country. We are to focus on action that actively assists the GOA in nurturing and further developing the consent of the people to the GOA (our centre of gravity) and its international partners, not least NATO. Respect for the people of Afghanistan and their faith is to be central to all we do.

J'ai mis en gras les passages essentiels ci-dessus pour mieux souligner la clef de cette opération : non seulement une lutte pour les coeurs et les esprits, entre la modernité à l'occidentale et le conservatisme à l'islamiste, mais également un effort majeur pour la préservation, la restauration ou - comme en Afghanistan - le développement des structures et de la culture propres à l'Etat-nation, en matière de pouvoirs, d'identités, de loyautés, de prospérité et bien entendu de libertés. Or ce véritable combat se déroule à la fois partout et nulle part, de façon nécessairement distribuée et parallèle, dans les montagnes afghanes comme dans certains quartiers européens, avec des moyens et des méthodes qui diffèrent, mais qui doivent être coordonnés et fédérés.

Les affrontements entre Taliban et soldats de l'OTAN peuvent donc sembler lointains et peu significatifs. Je pense pour ma part qu'ils nous sont très proches et essentiels.

COMPLEMENT (20.5 2230) : Pour prolonger l'exposé de la situation que connaissent les troupes britanniques, cet article fournit un excellent aperçu.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h40 | Comments (38) | TrackBack

8 juin 2006

Le poids d'un homme

Ainsi donc, le principal chef de la guérilla sunnite en Irak a été tué suite à une frappe aérienne. Les uns se félicitent de cette élimination, y voyant un coup dur porté à la mouvance islamiste, les autres contestent la portée de cette action, affirmant qu'elle génèrera davantage de candidats au terrorisme, alors que les Irakiens affichent leur soulagement. La chute d'Abou Musab Al Zarqaoui met donc un terme à l'une des chasses à l'homme les plus intenses menées ces dernières années, et rappelle qu'un leader insurrectionnel ne peut échapper longtemps à ses ennemis s'il n'a pas de sanctuaire à sa disposition. Face aux méthodes mises en oeuvre par le renseignement de la coalition, sa carrière a d'ailleurs été étonnamment longue.

Il reste naturellement à évaluer la portée de son élimination. Une insurrection comme celle qui entrave et ralentit le développement de l'Irak étant de nature composite, décentralisée et désynchronisée, comme d'ailleurs la plupart des acteurs non étatiques et combattants modernes, la perte d'un leader au demeurant controversé ne peut avoir d'effet décisif. Aucune décapitation n'est possible lorsque l'on affronte une meute d'hydres furtifs. En revanche, les efforts considérables déployés par la coalition pour la capture ou la mort de Zarqaoui, et celles de ses principaux aides, montrent que les individus comptent. On ne crée pas un détachement de forces spéciales à cette seule fin sans un impératif stratégique. Lorsque le k.-o. n'est pas possible, en raison de la nature du conflit comme de l'ennemi, la victoire aux points est la seule option disponible.

De fait, un individu comme Zarqaoui joue de nos jours un rôle important dans la cohérence et la cohésion d'un acteur composite. Les connaissances, les contacts, le charisme, la détermination, l'expérience d'un seul homme peuvent faire beaucoup pour convaincre et galvaniser les amis, effrayer et dissuader les ennemis. Le fait que le chef jordanien ait pratiqué un terrorisme aveugle et révoltant, visant à provoquer un conflit interethnique et interreligieux pour empêcher la démocratie de prendre racine en Irak, n'est pas contradictoire avec cette réalité. Il est naturellement possible de retrouver un autre Zarqaoui, et de voir dans quelques mois la coalition confrontée à un défi identique ; mais les personnages de ce calibre restent rares, et ne peuvent être aisément remplacés. Quoi que l'on en dise en parlant de "martyre", les vivants ont bien plus d'influence que les morts. Ne serait-ce que parce qu'ils restent imprévisibles.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h38 | Comments (14) | TrackBack

5 juin 2006

Le piège de la liberté (2)

Voici 5 mois, j'écrivais que les Palestiniens étaient tombés dans le piège de la liberté, et je me demandais combien de temps il faudrait pour que les perceptions à leur sujet changent au sein de la communauté internationale. Si l'on en croit une enquête d'opinion citée par le Jerusalem Post, ce changement s'est produit ces derniers mois, et l'image des Palestiniens serait en train de s'effondrer. Et ceci semble bel et bien la conséquence de la stratégie adoptée par Ariel Sharon avec le retrait de la bande de Gaza, cette amputation stratégique permettant une position bien plus favorable, ainsi que du choix belliciste des élections palestiniennes :

Furthermore, the pollster said, the question of which side held "absolute," uncompromising positions had also shifted - to Israel's benefit. The sea-change in attitudes, he said, had been accelerated by the fact that former prime minister Ariel Sharon, who had been widely regarded as an ideological "absolutist," had surprised Europe with his disengagement initiative. And at about the same time, the Palestinians had chosen the "absolutists" of Hamas as their leadership.

Ce changement de perception est donc lié à l'évolution du conflit israélo-palestinien, ainsi qu'au lent réveil de l'Europe quant à la menace posée par la mouvance islamiste. Pour autant, je ne partage pas l'analyse américano-centrique d'un James Taranto sur la raison d'un tel changement, lui qui invoque l'ethnomasochisme effectivement fréquent sous nos latitudes. Non : l'altération des perceptions, et donc de la manière des enjeux subjectifs d'une situation donnée, peut fort bien être l'objectif d'une stratégie délibérée ; pour les Israéliens, la resymétrisation du conflit est à la base de ce succès majeur, que la politique esquissée par Ehoud Olmert et les perspectives tracées par l'armée contribuent à renforcer.

Bien entendu, cela signifie que le conflit va se poursuivre. Mais il va surtout s'élargir, se normaliser, s'insérer ouvertement dans la lutte globale entre modernité et obscurantisme, entre démocratie et théocratie.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h06 | Comments (32) | TrackBack

31 mai 2006

Pour qui sonne le glas

Le 553e anniversaire de la chute de Constantinople, ce lundi, a inspiré plusieurs colonnes tirant des parallèles avec la situation de l'Europe contemporaine, confrontée à une forte immigration en provenance de pays musulmans. Au détour d'un texte de Paul Belien, on peut ainsi se rendre compte d'un phénomène alarmant sur le plan migratoire :

Many Dutch, however, do not seem to have much confidence in their country's chances of survival. Last year a record number of 121,000 people emigrated from the Netherlands, the largest number ever, while only 92,000 immigrated in. This emigration figure is the highest figure in the entire history of the country so far. The Netherlands is today also the European nation with the highest proportion of emigrants. Since 2003 more people have been leaving the country than entering it. The numbers are rising. In the first quarter of this year 29,000 people left the Netherlands - 5,000 more than in the same period last year.

Bien entendu, le thème de la fuite des cerveaux est connu depuis fort longtemps, et les complaintes européennes en la matière, en raison de l'émigration vers les Etats-Unis, n'ont d'égal que les récriminations de pays d'autres continents pour l'émigration (notamment choisie) vers l'Europe. Cependant, l'accumulation de décisions isolées et motivées par de meilleures conditions de vie ou de plus grandes opportunités ne peut être confondue avec la fuite d'un pays jugé sur une mauvaise pente, et dont l'avenir semble chaque année s'assombrir un peu plus. En sommes-nous là dans plusieurs pays européens ? Est-ce que ce remplacement de citoyens européens partant pour d'autres cieux par des immigrants africains ou asiatiques n'est pas aussi important que le vieillissement de l'Europe ?

On peut donc se demander si la circulation des personnes et celle des idées ne forment pas le cadre d'un gigantesque contre-la-montre, avec pour enjeu la pérennité de ce continent...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h27 | Comments (6) | TrackBack

30 mai 2006

La menace islamiste en Suisse

Il vaut la peine de feuilleter le rapport sur la sécurité intérieure 2005 que vient de publier l'Office fédéral de la police. On y trouve, exprimé dans un langage prudent, dépassionné par l'ancienneté relative des faits considérés, des jugements alarmants sur les menaces contemporaines, et notamment la menace islamiste. Extraits :

Depuis le début de l'année 2005, une encyclopédie de plus d'un millier de pages circule dans les milieux islamistes. Cette oeuvre intitulée «Appel à la résistance islamique mondiale» a été rédigée par l'idéologue syrien Mostafa Sitmariam Nassar, alias Abou Mossab as-Souri, arrêté au Pakistan fin 2005. Il s'agit du traité le plus complet jamais écrit sur l'idéologie et la stratégie djihadistes. Il appelle tous les musulmans du monde à commettre des actes terroristes contre les Etats européens qui coopèrent, sur le plan politique, avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël contre le monde arabo-islamique.
Il propose un développement tactique de la stratégie djihadiste, partant d'une argumentation complexe du droit islamique. Il développe l'idée que les djihadistes prêts à l'action ne doivent plus constituer des structures de groupe solides et reconnaissables mais, idéalement, agir individuellement ou en petits groupes. D'après lui, il n'est pas nécessaire qu'ils partent vers des zones de combat comme l'Irak: ils doivent agir là où ils se trouvent. Il n'est plus nécessaire non plus qu'ils suivent une formation pour devenir terroristes. Ils doivent agir aussi vite que possible, selon leurs capacités. En 2005, plusieurs attentats terroristes planifiés et exécutés en Europe correspondaient à cette nouvelle tactique.
[...]
Le passage de l'Europe occidentale du rôle de zone de repli et de base arrière à celui de terrain d'opération pour les djihadistes touche aussi directement la Suisse. Elle est également concernée par la nouvelle méthode djihadiste, qui veut que l'islamiste violent ne soit plus forcément originaire de l'étranger, mais agisse de manière inattendue et invisible dans le pays où il vit. Si, à l'avenir, ces deux tendances se confirment, la menace terroriste portant sur la Suisse pourrait augmenter, dans la mesure où elle est un Etat d'Europe occidentale comptant des milieux islamistes actifs.
[...]
L'exemple des attentats de Londres montre qu'il est plus difficile que jamais de repérer les auteurs d'attentats terroristes lorsqu'ils agissent individuellement et indépendamment d'une grande structure d'organisation. Parallèlement à cette tendance à des cellules de terroristes islamistes plus petites agissant dans l'indépendance, il y a eu une mise en avant des justifications idéologiques d'attentats terroristes partout dans le monde. Malgré une grande autonomie de décision et d'action, les terroristes djihadistes peuvent compter sur un réseau transnational de soutien fort de nombreuses connexions, et aussi de nombreux points d'ancrage en Suisse. Les exemples actuels confirment le rôle de la Suisse en tant que base arrière logistique et de propagande et en tant que zone de repli pour les activistes islamistes. Aucune action concrète de préparation d'actes terroristes n'a pu pour l'instant être pleinement prouvée en Suisse, mais la situation de la menace peut changer rapidement et à tout moment.
[...]
Il faut s'attendre à ce que la tendance idéologique du djihadisme que l'on constate aujourd'hui, celle d'un combat mondial et intemporel, mais à mener localement, si possible seul, s'impose. Cette décentralisation fait que les attentats terroristes islamistes sont en principe possibles partout, également en Suisse, qui fait partie du champ d'opération en Europe. Plus les djihadistes agissent individuellement et en fonction de leurs capacités, plus il devient difficile de les identifier avant leur acte.

Difficile d'émettre un signal d'alarme plus clair dans un rapport officiel rendu public. Mais si l'on admet que la Suisse est un "champ d'opération" d'une guerre "sainte", force est d'admettre que nous sommes bel et bien en guerre.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h32 | Comments (36) | TrackBack

23 mai 2006

Du terrorisme islamiste en Suisse

La normalité de la Suisse en matière de lutte contre le terrorisme islamiste a reçu une confirmation exemplaire, si l'on croit les révélations du Blick : le coup de filet mené dans les milieux islamistes le 12 mai dernier à Bâle et à Zurich a mené non seulement à la capture de plusieurs individus soupçonnés de préparation d'acte terroriste, mais également à la saisie d'un lance-roquettes de type RPG-7 apparemment venu de Tchétchénie. La participation des réseaux islamistes algériens à la mouvance Al-Qaïda étant connue depuis longtemps, et la découverte d'un projet d'attentat contre un avion de ligne El Al ne surprend guère. Cependant, le fait que cette information ait apparemment été fournie par l'informateur du service d'analyse et prévention auprès du Centre islamique de Genève montre que cette action a été plus efficace que jugé initialement. Même si les zones d'ombres restent fort nombreuses.

Il n'en demeure pas moins que l'on a semble-t-il prévenu un acte terroriste sur territoire helvétique. En tant que telle, une arme antichar rustique comme le RPG-7 peut paraître insignifiante, et effectuer un tir réussi sur un avion de ligne en phase de décollage suppose non seulement un accès rapproché à la piste, mais également un tir d'une précision certaine. Cependant, même une tentative manquée aurait déjà des effets considérables, étant donné l'identité de la compagnie d'aviation visée, la représentativité de la cible et la nouveauté de l'acte en Suisse. Et l'infiltration d'une arme de guerre en provenance de l'est, conjuguée à son stockage discret, soulignent la dimension sociétale des conflits modernes, l'impossibilité de mettre en oeuvre des mesures de sécurité totalement efficaces, et partant la nécessité de compléter celles-ci par des actions offensives - comme par exemple l'emploi d'agents infiltrés dans les milieux islamiques.

Espérons que les arrestations et les enquêtes menées en Suisse feront davantage prendre conscience des menaces qui nous touchent, et que les services de sécurité recevront le soutien qu'ils méritent de la classe politique.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h58 | Comments (18) | TrackBack

17 mai 2006

Donner forme à l'informe

L'Illustré a publié aujourd'hui un reportage (non disponible en ligne) de bonne qualité sur l'exercice « ZEUS », que les Forces Terrestres ont conduit la semaine dernière en Suisse romande avec la brigade d'infanterie 2 comme troupe exercée. Le texte comme les images rendent bien compte des incertitudes que soulève une opération de sûreté sectorielle, avec ses tâches de protection fixes et mobiles ; le titre, en affirmant que l'armée considère terroristes et manifestants comme ses nouveaux ennemis, va toutefois au-delà des faits : d'après nos règlements, on les désignerait dans une telle situation comme respectivement adversaires et partie adverse. Qu'à cela ne tienne : l'hebdomadaire a bien rendu la réalité, celle d'une opération mobilisant 8700 hommes bien visibles, notamment dans la protection d'objets sensibles avec des formations de combat mécanisées.

Cette première application concrète d'un type d'opération visant à garantir la capacité de conduite et de fonctionnement civile et militaire ainsi que le contrôle du territoire en cas de menace asymétrique, et dans laquelle les secteurs d'engagement sont placés sous responsabilité militaire (une disposition qui reste à démontrer dans la pratique : les exercices ne sont jamais assez impérieux pour convaincre les autorités cantonales que, parfois, dans certaines situations extrêmes, le passage sous commandement militaire est la seule solution pour stabiliser un secteur), a ainsi réussi à ramener la troupe dans les villes et les villages, à l'instar des grandes manœuvres qui étaient effectuées dans l'Armée 61. Avec une différence de taille : il ne s'agit plus aujourd'hui de prendre des dispositifs de défense préparés contre des ennemis clairement identifiés, et dont les modes d'action sont connus.

Les méthodes des acteurs asymétriques ne sont pourtant pas un mystère : la guerre d'Algérie ou le conflit du Vietnam en ont rappelé l'essentiel, et les missions qu'effectuent aujourd'hui la KFOR au Kosovo ou l'ISAF en Afghanistan en fournissent une version actualisée. C'est d'ailleurs une conséquence de l'affaiblissement des frontières nationales que de voir des missions pareillement semblables de part et d'autre : entre une opération de sûreté sectorielle et une opération de maintien de la paix, les prestations à fournir au niveau du soldat et des petites formations en matière de sécurité (patrouilles, checkpoints, fouilles de secteurs et de bâtiments, arrestations, contrôle des foules, etc.) sont très similaires. A deux exceptions près : au niveau des règles d'engagement, avec les bases légales impliquées, et plus encore au niveau du renseignement.

Car la difficulté de ces opérations de basse intensité, et souvent de longue durée, réside dans la capacité à donner forme à l'informe, à trancher dans le flou d'une menace dispersée, destructurée, intermittente, pour en saisir des éléments tangibles, susceptibles de donner prise, d'être affectés par les actions militaires. C'est la raison pour laquelle une armée de milice opérant sur son propre sol possède - en principe - des avantages substantiels par rapport à un corps expéditionnaire professionnel : son acculturation est, logiquement, bien moins difficile, et donc ses membres sont davantage susceptibles de faire office de senseurs grâce aux contacts qu'ils peuvent établir avec la population. Mais cela suppose des soldats instruits et équipés en vue d'une telle mission, dotés d'un savoir-être qui les rend humainement crédibles, et non gavés d'un savoir-faire technique et tactique déconnecté de la réalité.

J'attends mon prochain retour à la troupe pour juger à quel point ceci est possible dans notre armée...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h56 | Comments (5) | TrackBack

15 mai 2006

Les troupes à la frontière

Selon des sources anonymes de la Maison Blanche (ensuite confirmées), le président Bush devrait annoncer ce soir le déploiement de quelque 10'000 soldats de la Garde Nationale à la frontière sud des Etats-Unis. Ces militaires de milice seront engagés de façon subsidiaire, et les gardes-frontière conserveront leur mission d'origine, pour prendre un vocabulaire helvétique ; il n'en demeure pas moins que l'engagement des armées aux frontières en vue d'assurer la sécurité intérieure reste un symbole fort, à défaut d'être rare. Un pays comme l'Autriche emploie en effet depuis plus de 15 ans environ 2000 militaires pour surveiller ses frontières, et l'Union européenne largement constitué une forteresse pour protéger des intérêts en premier lieu économiques, mais à terme également identitaires. Pour ne citer que des pays démocratiques.

Cet emploi accru de formations militaires pour le contrôle des frontières tend à prouver que les flux migratoires restent une arme stratégique de première importance, mais que les moyens de projection planétaires jadis l'apanage des puissances coloniales sont aujourd'hui disponibles aux plus démunis, parfois sous une forme dégradée ou improvisée. Il est d'ailleurs assez piquant de voir le terme d'El Dorado, issu des conquistadores, s'appliquer aujourd'hui naturellement au continent européen. Dans le cas américain, mis à part la préoccupation électorale pressante du parti républicain, l'immigration clandestine en provenance du Mexique est une problématique qui a fait l'objet de nombreux livres, certains voyant dans ce flux hispanique une véritable reconquista menée avec l'assentiment officieux du gouvernement mexicain.

Les flux migratoires de notre époque prennent cependant du temps pour faire effet, et il est intéressant de constater que les troupes déployées à la frontière sont avant tout celles ayant un statut de réserviste et donc coûtant moins cher, ce qui augmente l'endurance des dispositifs créés. En même temps, ce type de troupe augmente l'implication sociétale de l'opération militaire et renforce donc la sensibilité politique du sujet. En Suisse, le déploiement de l'ancien corps des gardes-fortifications puis de la sécurité militaire à la frontière nourrit bien moins de discussions que la possibilité de l'envoi de la troupe à la frontière ; ma propre et brève expérience en la matière m'a pourtant montré que la chose peut être utile et efficace, si l'on y recourt aux bons endroits, avec le bon équipement et durant la bonne période.

Il n'en demeure pas moins que le recours à l'armée n'est que rarement accompagné de déclarations franches sur le sens de leur mission, à savoir la menace économique et/ou identitaires des flux migratoires incontrôlés.

COMPLEMENT (16.5 0815) : En définitive, ce sont 6000 soldats de la Garde Nationale qui devraient être déployés à la frontière, selon l'annonce télévisée de George W. Bush, et ceci uniquement pendant une année, le temps d'augmenter de 50% les effectifs des gardes-frontière.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h17 | Comments (10) | TrackBack

10 mai 2006

La soumission ou la mort

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a le mérite de la clarté : après son appel à l'éradication d'Israël - resté sans conséquences malgré son caractère « inacceptable », et qu'il n'a jamais renié - et ses multiples rodomontades sur la puissance de l'Iran, voilà qu'il vient tout bonnement de demander au président de la première puissance mondiale de se convertir à l'islam. Compte tenu des valeurs actuellement en conflit - démocratie contre islamisme - dans notre monde, et des convictions religieuses très fortes de George W. Bush, cette lettre « privée » n'est rien d'autre qu'un appel à la soumission, à la reconnaissance d'un pouvoir spirituel qui trouve son incarnation temporelle dans la république islamique d'Iran. En toute logique, il faut d'ailleurs admettre qu'il s'agit largement d'une réponse aux appels à la soumission devant l'idéal démocratique que les Etats-Unis - et au second plan l'Europe - lancent avec insistance depuis 2001.

Le mérite de la clarté, disais-je. La rhétorique belligérante d'Ahmadinejad met à mal toutes les tentatives de relativisation qui ont cours en Occident, et notamment celles visant à exclure la religion musulmane de la problématique. Ce mérite est évidemment limité : les plus grandes inquiétudes doivent au contraire être suscitées par le comportement d'un homme fanatique qui tente par tous les moyens d'acquérir l'arme nucléaire et proclame son intention de l'utiliser. Malgré cela, l'escalade de la confrontation verbale et idéologique avec l'islamisme de Téhéran impose la reconnaissance d'un conflit d'intérêt majeur, ce que des hordes de diplomates se sont escrimées à nier pendant des années. Nous devons nous poser la question consistant à accepter ou non l'avènement d'un Iran nucléaire aux mains des mollahs, et donc trancher dans un sens ou dans l'autre. Pour autant que nous en ayons encore le temps, bien entendu.

Face à un appel à la soumission jeté comme un défi prenant à témoin - et à partie - la planète entière, cette question renvoie aux oubliettes de l'histoire les discours multiculturalistes et pacifistes visant à faire cohabiter des entités mortellement antagonistes. Que nous l'acceptions ou non, nous assistons à la collision de deux mondes opposés dans leur identité, leur orientation et leur ambition, à l'interpénétration de deux ensembles de collectivités qui ne peuvent cohabiter, et qui ne peuvent plus - comme pendant des siècles - largement s'ignorer. Les lignes de fracture qui séparaient par le passé les grands empires ont aujourd'hui été projetées dans chaque société, dont chacune ou presque est par ce biais un reflet du monde entier. Nous sommes donc tous concernés.


NB : Je reçois régulièrement des appels à reprendre notre expérience de planification participative en source ouverte. Malheureusement, mon emploi du temps hyper chargé ne me permet pas de garantir cela, en raison des exigences qualitatives que je m'impose dans un tel travail. Qui vivra verra !

Posted by Ludovic Monnerat at 11h37 | Comments (89) | TrackBack

8 mai 2006

Haute technologie, basse utilité

Dans son édition du 1er mai dernier, l'hebdomadaire Defense News a décrit un aspect intéressant de la confrontation entre les systèmes d'armes ultramodernes et les menaces contemporaines. Il apparaît en effet que les hélicoptères de combat AH-64D Apache Longbow américains sont engagés en Irak sans le radar millimétrique qui donne son nom à ce modèle : cette excroissance spécialisée dans la détection des véhicules blindés et reliée aux missiles antichar Hellfire n'étant d'aucune utilité pour les missions d'appui-feu rapproché qui ont cours depuis la fin de l'invasion, les brigades d'aviation US la démontent pour réduire le poids et la consommation de carburant au quotidien. De ce fait, ce sont les armes les plus rudimentaires de l'Apache - le canon 30 mm et les roquettes de 70 mm - qui sont avant tout employées.

Depuis 2001, l'emploi en mode dégradé des hautes technologies est devenu une chose assez courante : au-dessus de l'Afghanistan, des avions de guerre électronique EA-6B Prowler ont régulièrement été engagés pour brouiller des téléphones portables et de petites radios, au lieu d'installations radar sophistiquées ; en mer Méditerranée comme le long de la Corne de l'Afrique, des frégates et des destroyers aux capteurs dernier cri traquent des navires improvisés transportant pirates potentiels ou immigrés clandestins ; autour des bases US en Irak, des radars de contrebatterie essaient tant bien que mal de localiser les tirs ponctuels d'obus de mortier petit calibre. Les conflits de basse intensité, aujourd'hui comme hier, voient donc les armées conventionnelles mettre en œuvre des équipements conçus pour les conflits de haute intensité, et parfois constater que ceux-ci sont trop lourds, trop coûteux, trop sensibles - c'est-à -dire inadaptés.

Cet écueil n'est pas en soi rédhibitoire : un désavantage dans une situation donnée ne signifie pas nécessairement un résultat similaire dans une autre situation. De plus, aborder un conflit de haute intensité avec des équipements conçus pour une intensité moindre peut mener à des déconvenues majeures - comme l'ont par exemple constaté les Britanniques au début de la Seconde guerre mondiale, avec leurs chars de combat trop légers issus des opérations coloniales. Par conséquent, c'est bien la spécialisation excessive des systèmes et des formations qui réduit la flexibilité des deux, notamment en recherchant une performance excessivement coûteuse face à la probabilité d'emploi. L'annulation récente de plusieurs programmes majeurs de l'US Army, comme l'obusier blindé Crusader et l'hélicoptère de reconnaissance Comanche, indique probablement une réflexion allant dans un sens proche.

Une leçon importante de ces applications dégradées est celle-ci : les militaires doivent être prêts à fonctionner dans des modes successivement différents, high tech et low tech, concentrés et dispersés, visibles et camouflés, réactifs et préventifs, décisifs et proportionnels, selon le milieu et les acteurs parmi lesquels ils sont engagés. La numérisation du commandement, la robotisation des systèmes ou encore l'automatisation des analyses ne sont donc que l'extrémité d'un spectre opérationnel - et doctrinal - qui comprend également les fonctionnements les plus simples, à l'ancienne, avec des hommes en face-à -face, des systèmes manuels et des cartes annotées. Ceci n'a d'ailleurs rien de nouveau : l'évolution des armes individuelles n'a jamais diminué l'importance du combat rapproché à mains nues. C'est simplement l'augmentation des espaces d'engagement qui renforce le phénomène.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h17 | Comments (10) | TrackBack

4 mai 2006

L'inertie dans le changement

Voici plusieurs années que l'armée suisse vit à l'heure du changement permanent, des adaptations dictées par l'évolution de l'environnement stratégique, par les infléchissements des équilibres politiques, et plus encore par les coupes budgétaires ; on a d'ailleurs conçu l'Armée XXI comme une organisation évolutive, susceptible d'être optimisée pour mieux répondre aux besoins sécuritaires en Suisse et à l'étranger. En théorie, je suis entièrement favorable à une telle perspective, et je conçois tout changement comme étant une opportunité d'amélioration. Il se trouve cependant que tout le monde n'a pas la même confiance en l'avenir, voire la même naïveté, et que les réactions collectives en sont même très éloignées.

La résignation est une conséquence inévitable de profondes et fréquentes mutations : la remise en question, la perte des repères, le brassage des relations et l'impression d'être insignifiant peuvent ronger la motivation, le courage comme l'enthousiasme. Je pense que ce phénomène est bien connu, et qu'une grande mobilité professionnelle est la manière la plus logique de le prévenir ; ce qui n'est pas exactement le genre des administrations militaires. Dans les faits, le meilleur remède à la résignation réside dans la qualité des rapports humains, dans l'aptitude des cadres et des collègues à créer des liens qui sont plus forts que les aléas de l'organisation. Les armées sont en général renommées sur ce point, dès lors que l'ascension hiérarchique ne se fait pas au détriment du relief des caractères.

Une autre conséquence de l'instabilité, qu'il m'a fallu constater par moi-même pour l'appréhender dans sa vraie dimension, est toutefois l'indiscipline. C'est un chancre qui ronge l'armée à tous les échelons : à force d'avoir reçu de multiples directives, présentations, concepts, règlements et autres documents successivement évolutifs, et trop souvent contradictoires, le personnel peut facilement en venir à juger chaque ordre comme étant provisoire, c'est-à -dire en attente d'être modifié, et à relativiser son importance. Certains peuvent ainsi les interpréter dans un sens conforme à leurs inclinations et à leurs intérêts, et donc à désacraliser le mission ; « les ordres ne sont pas les options », nous disait-on à l'école d'officiers pour nous prémunir d'une telle tentation. Mais d'autres peuvent également se tenir à distance, faire le strict minimum, dans l'attente d'une confirmation ou d'un contenu moins provisoire. Et ce sont probablement les plus nombreux.

Nous en parvenons ainsi, à mon avis du moins, à une situation quelque peu paradoxale : le changement permanent provoque peu à peu une inertie qui parvient en définitive à largement le contrecarrer, et la multiplication des impulsions autoritaires ne fait que saper un peu plus leur effet. La question est de savoir comment rétablir la situation ; j'imagine que mettre un terme à ce que d'aucuns nomment la « réformite aiguë », et donc accepter qu'une armée ayant un état de préparation relativement bas - comme toute armée de conscription - évolue à un rythme compatible avec ceux qu'elle emploie et met sur pied, est la solution à étudier de plus près. Tout en acceptant les mesures pragmatiques que dictent les carences menaçant la pérennité de l'ensemble. Autant dire que l'écrire est bien plus facile que le faire !

Posted by Ludovic Monnerat at 9h20 | Comments (15) | TrackBack

3 mai 2006

De curieuses leçons

Le temps me manque pour en faire une analyse détaillée, mais j'ai été pour le moins surpris de lire cet article du New York Times sur la préparation des soldats US en partance pour l'Irak au National Training Center de Fort Irwin. Après avoir décrit l'action d'un adversaire (joué par un soldat américain) se faisant passer pour un marchand de hot dogs irakien afin de tuer par surpris des GI's, les autres écrivent ces lignes :

The lesson for American solders [sic] is clear: never trust any Iraqis, no matter how friendly they seem. It is a lesson that, unlearned, has killed many American soldiers on combat duty in Iraq.

Voilà une bien étrange manière de se préparer à un conflit de basse intensité où il s'agit de convaincre en vue de vaincre, où les esprits plus que les territoires doivent être conquis ! La primauté de la protection des forces sur l'accomplissement de la mission stratégique est un travers traditionnel des forces armées américaines, mais la profonde transformation vécue ces dernières années n'a semble-t-il pas encore réussi à s'en débarrasser entièrement.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h11 | Comments (14) | TrackBack

29 avril 2006

Entre la vie et la mort

Les chiffres concernant l'évolution en 2005 du terrorisme mondial, publiés avant-hier par le Département d'Etat américain, ont encore une fois souligné l'importance des attentats suicides. Le changement apporté à la méthode statistique fait que les 11'111 attaques terroristes dénombrées intègrent désormais des attentats visant des infrastructures et des systèmes, comme des oléoducs en Irak, et que par conséquent la moitié de ces attaques n'ont pas entraîné de décès. En revanche, parmi les 14'602 personnes ayant péri suite à ces attentats (dont la majorité en Irak, soit près de 8300), presque 20% d'entre elles ont été victimes de 360 attentats suicides, qui ne représentent qu'environ 6,5% des actes terroristes.

Cette disproportion montre, si besoin était, qu'il s'agit bien de la méthode terroriste la plus dangereuse, dans la mesure où seules des limites matérielles (dispositifs de sécurité, explosifs utilisés, densité de la cible) et cognitives (connaissances du terroriste) peuvent entraver le succès ou les effets d'une action mue par une volonté et une conviction extrêmes. C'est également celle qui a l'impact psychologique le plus grand, en raison de sa médiatisation potentielle et de la détermination qu'elle illustre, sans toutefois que cet impact soit nécessairement positif ; il est au contraire le plus souvent contre-productif, comme l'a été le terrorisme en général à travers l'histoire. Enfin, c'est la méthode qui nécessite les réponses les plus difficiles, comme le « shoot-to-kill » adopté par les policiers britanniques suite aux attentats de Londres et menant directement à la transformation de nos sociétés en champs de bataille par l'adoption de procédures militaires et non plus judiciaires.

Un point essentiel, dans cette méthode terroriste, réside cependant dans sa dimension temporelle : l'anatomie de l'attentat suicide montre que le passage à l'acte survient le plus souvent après une préparation mentale prenant plusieurs années, voire davantage, et que la décision de se transformer en bombe humaine vise avant tout à la transcendance par un combat sanctifié. En d'autres termes, une décision prise à l'instant T de lutter contre les formes les plus radicales de terrorisme revient à tenter de contre-balancer dans l'urgence des années d'endoctrinement, de rationalisation et de préparation ; autant dire une action qui s'inscrit nécessairement dans la durée, et dont la composante sécuritaire ne peut avoir qu'un rôle d'appui - une contribution défensive, en tant qu'élément de protection et d'intégration (sociétés occidentales), et une contribution offensive, en tant qu'élément favorisant la diffusion des idées.

In fine, tout revient en effet à effacer les schémas d'un culte mortifère, dont l'islamisme est l'incarnation actuelle, pour les remplacer par d'autres ; à faire préférer la vie à la mort. Ceci me paraît impossible pour les sociétés qui préfèrent le suicide à l'adaptation, face à l'intégration occidentalisante de la planète, mais pas a priori pour les individus qui en sont issus. Je doute cependant que la ghettoïsation des collectivités potentiellement mortifères, sous la forme de pays entiers ou de quartiers dans nos villes, soit une solution soutenable. Quelle que soit les horreurs qu'ils entraînent, les attentats suicides conventionnels ne peuvent tuer qu'un nombre restreint de personnes à l'échelle d'une nation ; il faut accepter le risque du terrorisme suicidaire pour ne pas en être tous victimes, et donc renoncer à une sécurisation extrême de nos sociétés, tout en combattant impitoyablement ses tenants - thuriféraires, idéologues, commanditaires, collaborateurs comme exécutants - pour éviter une escalade incontrôlable.

Ce raisonnement perd néanmoins la validité que je lui prête dès lors que l'on parle d'armes de destruction massive!

Posted by Ludovic Monnerat at 19h43 | Comments (16) | TrackBack

25 avril 2006

Les Suisses et le terrorisme

Les attentats commis hier dans la station égyptienne de Dahab, avec 3 bombes placées délibérément dans des lieux publics, ont fait apparemment au moins 23 morts et 62 blessés. Comme durant les années 90, où les attaques terroristes islamistes ont fait plus de 1000 morts, la majorité des victimes sont des citoyens égyptiens frappés en même temps que leur gouvernement, pour lesquels le tourisme reste une source majeure de revenus. Cependant, des ressortissants étrangers ont également été touchés, et le décès d'un citoyen suisse a notamment été annoncé. Ce qui ne peut bien entendu que susciter un intérêt particulier chez ceux qui ont le devoir de protéger la Suisse et sa population (entre 60 et 70 Suisses étaient sur place)!

Toutefois, les victimes suisses du terrorisme (j'entends ici les personnes tuées, et non blessées ou traumatisées, puisque de tels effets sont plus difficiles à mesurer précisément) ne sont pas exactement une priorité politique dans notre pays. Il est d'ailleurs difficile d'obtenir une liste complète, et mes recherches - certainement insuffisantes - pour les 20 dernières années m'ont amené aux chiffres suivants :

Je saurais gré aux lecteurs de ce site de bien vouloir communiquer les victimes helvétiques que cette liste a omises ou corriger ses erreurs. Malgré cela, on parvient au chiffre d'au moins 45 morts en 20 ans, qui du point de vue statistique est extrêmement bas et n'indique pas de recrudescence récente, mais qui du point de vue politique et stratégique reste significatif. Il pose en effet la question suivante : dans la mesure où ces citoyens suisses - en tout cas depuis Louxor - ont été délibérément tués sans que leur nationalité suscite la moindre retenue, bien au contraire, à partir de combien de morts un Etat doit-il considérer ceci comme une attaque contre lui ? En d'autres termes : puisque nous faisons partie de l'Occident chrétien, blanc, high tech et opulent, à partir de combien de morts devons-nous considérer que les menaces à notre endroit se sont concrétisées, et que nous sommes en guerre ?

Une telle interrogation peut difficilement être tranchée dans un sens ou dans l'autre, puisqu'une vie humaine peut être à la fois tout et rien (ou presque), suivant la perspective que l'on adopte. Pourtant, alors que par le passé des guerres ont été déclenchées pour une oreille coupée, un télégramme insultant ou un ultimatum implacable, il reste assez surprenant de constater que l'on peut aujourd'hui tuer des Suisses sans s'attirer les foudres de la Confédération. Je ne suis pas sûr que nos ancêtres belliqueux apprécieraient! ce d'autant plus qu'un large éventail de réponses diplomatiques, judiciaires, financières et sécuritaires existent. Peut-être faudra-t-il que des Suisses meurent en Suisse du terrorisme contemporain, c'est-à -dire avant tout islamiste, pour qu'une telle réaction se produise - tant il est vrai que seul le sang parvient à émouvoir, et donc mouvoir, les démocraties.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h48 | Comments (33) | TrackBack

23 avril 2006

L'impasse du non alignement

Les dernières déclarations attribuées à Oussama ben Laden, diffusées ce jour sur Al-Jazira, constituent un nouvel exemple de la rhétorique belliciste et globale que martèlent les islamistes à chaque occasion. Au-delà de la justification du terrorisme, puisque chaque citoyen occidental respectueux des élections et votations de son pays est déclaré cible légitime, l'appel à combattre toute force de l'ONU déployée au Soudan et la dénonciation des suspensions des aides aux Palestiniens confirment l'interdépendance, au nom de l'islam, de nombreux conflits décentralisés, et la vocation planétaire des liens existant entre eux. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois, loin de là , que la figure de proue historique de la mouvance islamiste sunnite s'en prend directement aux Nations Unies. Sans que les conséquences logiques de cette opposition ne soient vraiment tirées.

Le discours de ben Laden est en effet exclusif : même le gouvernement d'obédience islamiste de Khartoum ne trouve pas grâce à ses yeux, malgré des « intérêts communs », et ne saurait se substituer à l'autorité spirituelle et temporelle que revendique la mouvance Al-Qaïda. En d'autres termes, à plus ou moins brève échéance, tous ceux qui n'en sont pas membres deviennent ennemis. Malgré l'amalgame qui est souvent fait avec les positions très dures affichées par les Etats-Unis au lendemain du 11 septembre 2001, excluant toute neutralité dans le conflit en cours, on se trouve ici face à un ultimatum d'une autre ampleur : alors que l'administration Bush exerce des pressions tentaculaires pour inciter et/ou contraindre les Etats à coopérer, c'est l'existence même des Etats, et partant leurs actions, qui est combattue par la mouvance islamiste à travers son rêve d'un califat planétaire.

Que cet ultimatum soit difficile à pleinement intégrer ne doit pas étonner : il s'oppose si radicalement à tout le corpus des relations internationales qu'il n'offre aucune prise à la politique étrangère et se situe exclusivement dans le domaine sécuritaire (renseignement, défense, justice et police). Les réflexes que la diplomatie continue de pratiquer, à plus forte raison lorsque l'on tente un non alignement censé créer des conditions plus favorables pour le dialogue et la négociation, sont donc directement remis en question par les déclarations de ben Laden et consorts. Ceci devrait logiquement amener certaines interrogations, y compris pour le cas spécifique de la Suisse : est-ce que notre engagement militaire sous la bannière de l'ONU ou sous mandat onusien, en Afghanistan, au Proche-Orient ou ailleurs, constitue une implication volontaire dans un conflit ? Est-ce que nos programmes d'aide au développement ne sont pas, d'un certain point de vue, des actes de guerre ? Peut-on ignorer l'opinion de ceux qui nous déclarent la guerre ?

Bien entendu, la Suisse est un acteur mineur même sur le plan européen, et on peut s'imaginer pouvoir en quelque sorte passer entre les gouttes. A ceci près que la réalité de l'interpénétration des cultures et des identités nous a déjà rattrapés : ce samedi, en traversant la ville de Bienne, j'ai par exemple croisé deux hommes de haute taille, au physique arabe, portant une longue barbe impeccablement taillée, tout vêtus de blanc, et déambulant fièrement sur le trottoir. Qui sait exactement l'impact d'un discours de ben Laden sur ceux qui, dans mon pays, regardent chaque jour Al-Jazira, et non la TSR ? Le non alignement était intellectuellement concevable dans un monde bipolaire ; à une époque marquée par l'éclatement du sens et de l'espace, il ne constitue qu'une impasse.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h13 | Comments (13) | TrackBack

19 avril 2006

Des chiffres lourds de sens

Trouvé sur le site Conscience Politique, les chiffres des violences urbaines commises sur territoire français en novembre dernier, selon les déclarations du ministre délégué aux Collectivités territoriales, Brice Hortefeux :

« Au plus fort des événements, du 27 octobre au 20 novembre, plus de 10 300 véhicules ont été incendiés, dont 4 200 en ÃŽle-de-France. Plus de 200 bâtiments publics et 74 bâtiments privés ont été détruits, ainsi que 7 dépôts de bus et 22 bus ou rames de trains. » Pour le seul département de Seine-Saint-Denis, 1 266 véhicules, dont 3 bus ont été brûlés, 78 bâtiments ont été dégradés ou détruits, dont une caserne de pompiers, un local de police, 17 écoles, 12 collèges, 7 gymnases. Brice Hortefeux a rappelé que 139 fonctionnaires et militaires avaient été blessés, déplorant par ailleurs que « des agressions d'une rare violence » aient été commises (dont l'une a coûté la vie à un retraité de 61 ans). Les tribunaux ont prononcé 422 peines de prison ferme, ou partiellement ferme.

Ces chiffres viennent à mon sens confirmer a posteriori mon jugement sur les événements, à savoir qu'ils ont révélé une situation de conflit de basse intensité (il vaudrait mieux écrire très basse pour éviter l'amalgame avec des conflits armés contemporains), dont l'aggravation future est inévitable si la réalité qu'ils dévoilent et ses conséquences ne sont pas acceptées - ce qui me semble aujourd'hui loin d'être le cas. Le comportement de la classe dirigeante française sur le thème du CPE, que j'ai certes suivi de loin, fonde cette dernière appréhension.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h01 | Comments (31) | TrackBack

18 avril 2006

La possibilité de la guerre (1)

A chaque époque la guerre dont elle est capable. Cette formulation sommaire est issue de réflexions récentes sur la diversité et l'alternance des formes de conflits au fil du temps, et sur la constance de la violence armée en dépit des tentatives visant à la réduire drastiquement. A l'heure où la plupart des opérations militaires s'inscrivent dans le cadre de missions de stabilisation, et donc visent à maîtriser cette violence au lieu de la déchaîner elles-mêmes, une réflexion dans ce sens me paraît souhaitable. La focalisation sur une seule forme de violence reste tout aussi funeste aujourd'hui qu'hier, et croire désormais à l'inanité des capacités de défense symétrique est autant une erreur - à mon sens - que le mépris des conflits de basse intensité au siècle dernier. Les formes de la guerre ne découlent pas de son existence [ou plutôt de son essence], mais bien du milieu dans lesquelles elles peuvent se manifester.

Ainsi, le développement de l'arme nucléaire a empêché, jusqu'ici du moins, la guerre totale de se reproduire sur le modèle des conflits mondiaux, avec leur montée aux extrêmes si caractéristique ; on pourrait même dire des bombes atomiques qu'elles ont tué la guerre classique entre nations industrialisées en provoquant un déséquilibre insupportable entre les pays détenteurs de l'arme nucléaire et les autres. Par ailleurs, l'alourdissement des armées conventionnelles modernes, c'est-à -dire aéromécanisées, l'augmentation drastique de leur efficacité au combat et la dilatation des secteurs d'engagement peuvent engendrer des coûts astronomiques, en hommes comme en devises, pour toute opération durable et d'envergure. La guerre classique est donc devenue trop risquée et trop coûteuse pour la plupart des enjeux et la plupart des acteurs ; du coup, la guérilla et le terrorisme sont devenus les formes de guerre les plus fréquentes, parmi des conflits de haute intensité rares et souvent brefs.

Ce basculement des méthodes n'a rien cependant rien de nouveau. Au début de la Seconde guerre mondiale, après la capitulation française, la domination écrasante du IIIe Reich sur le continent européen a propulsé sur le devant de la scène les opérations spéciales britanniques, et donc une forme de guerre indirecte adaptée aux circonstances. Au tournant du siècle dernier, les armées britannique et américaine - impossibles à vaincre de front - ont fait face à des guérillas féroces en Afrique du Sud et aux Philippines, qu'elles n'ont vaincu qu'en recourant à des méthodes impitoyables. De même, les armées au XVIIIe siècle sont souvent devenues tellement lourdes et axées sur la guerre de siège que les manœuvres indirectes, utilisant des troupes légères pour mener la petite guerre, ont été nécessaires pour obtenir des succès que les méthodes conventionnelles auraient rendus trop coûteux. La quête de voies détournées, plus longues mais moins risquées, est ainsi une constante de la stratégie.

Quelles sont les tendances de notre époque ? La guerre se dérégule, se privatise et s'étend aux sociétés entières. La spirale descendante que subissent la plupart des armées occidentales, dont les capacités globales se réduisent chaque année davantage, se conjugue à la diabolisation de la guerre - jusqu'aux plus hauts échelons politiques - pour empêcher les Etats d'être encore les maîtres de la guerre, et donc de la paix. En parallèle, l'évolution technologique met à la portée de groupes non étatiques et d'individus des outils sans cesse plus puissants, voire même de nouveaux espaces conflictuels, qui permettent de contourner la puissance résiduelle, et très loin d'être négligeable, des Etats. En d'autres termes, nous assistons actuellement à un basculement vers des formes de guerre qui évitent autant que possible le champ de bataille, ou dans un sens plus large les forces de sécurité, pour frapper leurs objectifs véritables - politiques, économiques ou culturels.

J'arrête ici ma réflexion succincte, et attend avec intérêt vos commentaires avant de la poursuivre.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h01 | Comments (23) | TrackBack

13 avril 2006

Avant le grand sommeil

Au sortir d'un engagement militaire intense, une question qui me frappe souvent est celle de la fatigue. Des journées de travail de 16, 18 et même 19 heures (l'armée suisse ne pratique pas vraiment les horaires de type OTAN) produisent immanquablement une fatigue qui peut être gérée au quotidien, avec l'adrénaline que produisent la proximité des délais et l'importance des tâches, mais dont les effets sont fréquemment sous-estimés. De tels rythmes sont certes assez rares, mais mes différents services m'ont régulièrement confronté à des journées comptant 14 heures de labeur. On raconte d'ailleurs dans nos rangs qu'il est très simple de vaincre l'armée suisse : il suffit de la laisser se préparer toute seule, s'astreindre à des journées interminables et mettre tout son monde à genoux par la fatigue ainsi générée ! :-)

A travers différentes lectures historiques, j'ai souvent été frappé par l'importance de la fatigue et par la rareté des mesures prises pour la réduire. Patton avait dit en Sicile d'un divisionnaire refusant de lancer une attaque à la date ordonnée qu'il « avait les foies » en raison de la fatigue (je cite de mémoire ; il s'agissait peut-être du général Truscott) ; mais sa méthode de commandement ne laissait pas vraiment de possibilité de repos à ses subordonnés. A son arrivée à la tête de la VIIIe Armée, Montgomery a surpris tout le monde en ordonnant que son sommeil ne soit en aucun cas troublé par l'arrivée de messages nocturnes importants, et que son état-major soit logé confortablement au lieu d'employer les mêmes tentes que la troupe. Dans un registre plus dramatique, dans les dernières pages de son journal, le commandant René Mouchotte mentionnait furtivement la fatigue immense que lui imposaient les missions de combat aérien!

La capacité à fonctionner efficacement dans des conditions difficiles, dont la fatigue fait d'autant plus partie qu'il est très facile de la provoquer, fait partie de toute formation militaire. Il n'est pas possible de simuler la lassitude des opérations de combat prolongées, mais il est possible de tester plus ou moins ponctuellement, par des exercices d'endurance, les dispositions des individus. Durant ma semaine d'endurance à l'école d'officiers, par exemple, j'ai dormi 15 heures en 5 nuits, et j'ai vu de mes propres yeux comment l'expression « dormir debout » peut se concrétiser dans la réalité ; les examens finaux des stages de formation d'état-major général amènent chaque officier à travailler entre 30 et 32 heures d'affilée, et à effectuer seul un labeur qui mobiliserait un petit état-major. Mais ceci reste limité dans le temps, et c'est bien la capacité à gérer et à limiter la fatigue qui, à terme, s'avère décisive.

Dernièrement, un officier général de l'armée suisse a expliqué en ma présence qu'il avait la chance de fonctionner selon des cycles de 3 heures, et qu'il lui suffisait de dormir ce laps de temps - réveil enclenché - pour conserver un état de forme optimal ; une telle faculté n'est toutefois guère fréquente. Pour ma part, je peux me contenter durablement de 5 heures de sommeil par nuit, même si des siestes ponctuelles sont vivement appréciées. En cas de quota insuffisant, en revanche, je constate progressivement une diminution de l'efficacité (perte de vue d'ensemble, défaillances de mémoire à court terme), une tendance à dramatiser, une susceptibilité accrue, mais aussi un rire plus facile et une propension marquée à la fantaisie. Comme quoi tout n'est pas entièrement négatif !

Dans la mesure où je suis dans cet état, je vais néanmoins m'accorder aussi vite que possible un repos qui, soyez en assurés, est pleinement mérité. :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h18 | Comments (20) | TrackBack

29 mars 2006

La force des nouveaux espaces

De tout temps, le contrôle des espaces a été l'une des composantes essentielles de la puissance, et la conquête de nouveaux espaces une manière d'affaiblir ou de contourner cette puissance. L'espace terrestre et l'espace naval ont eu au cours des siècles une interdépendance étroite, toute suprématie sur l'un suscitant naturellement un intérêt croissant pour l'autre ; l'exploration maritime européenne aux XVe et XVIe siècles s'expliquait ainsi par la volonté de découvrir une route vers les Indes permettant de contourner la mainmise ottomane sur le Moyen-Orient. De même, une meilleure exploitation d'un même espace offrait l'opportunité de faire évoluer les capacités opérationnelles ; le développement des travaux de sape face aux forteresses de plus en plus puissantes, ou la mise au point de l'arme sous-marine pour contrer les flottes de surface et entraver les voies de navigation, relèvent de cette approche.

Rien cependant ne peut davantage bouleverser les rapports de force que la découverte et l'utilisation d'un espace jusqu'alors inaccessible ou inconnu. L'accès à l'espace aérien a brusquement relativisé le rôle des puissances terrestre et navale, en offrant des possibilités d'action indépendantes des reliefs et des voies d'eau, des dispositifs au sol comme des escadres en mer ; la Crète a pu être prise par les parachutistes allemands en 1941 malgré la suprématie navale et la supériorité terrestre des Alliés, avec de lourdes pertes il est vrai, alors que l'action ravageuse des U-Boote dans la bataille de l'Atlantique a pris fin dès que l'aviation alliée a eu une autonomie suffisante pour patrouiller au-dessus de tout l'océan. L'accès à l'espace électromagnétique, avec les liaisons sans fil, les écoutes ou encore le radar, a également eu des effets considérables, tout comme l'accès à l'espace exoatmosphérique, avec le lancement des satellites d'observation, de télécommunication ou encore de positionnement.

Depuis plus de 30 ans, une nouvelle dimension a également abouti à une redistribution de la puissance : l'espace cybernétique. La mise en réseau des ordinateurs a généré un espace logique dans lequel les informations circulent plus facilement que jamais, et donc un complément exponentiel à l'espace sémantique, dans le sens où il libéralise sans précédent la production et la distribution de contenus. Cette dimension en plein essor contribue encore davantage à réduire l'importance relative de l'espace terrestre, et donc des frontières géographiques qui y sont inscrites, en parallèle avec le développement des télécommunications sans fil. Malgré l'apparition de ces équivalents aux postes frontières que ce sont les filtres et autres pare-feux, les Gouvernements autocratiques perdent progressivement le contrôle d'un espace où s'échangent librement les informations les plus diverses ; la lutte du régime de Téhéran contre les blogs illustre bien ces tentatives visant à maîtriser ce qui, en définitive, ne peut pas l'être entièrement.

L'apparition d'un nouvel espace où se déploient les armes de tous types - canons, torpilles, ondes, images, idées, etc. - voit toutefois son effet être multiplié si les acteurs susceptibles de l'exploiter sont plus nombreux ; et c'est exactement la propriété de l'espace cybernétique. Que celui-ci soit aujourd'hui déjà de première importance me semble donc évident.

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28 mars 2006

La quête de la simplicité

Dans une grande structure comme l'armée, la complexité et la confusion font partie du quotidien : le nombre de personnes et de subdivisions impliquées dans des activités sectorielles, verticales ou horizontales est tel qu'il est nécessaire de lutter constamment pour synchroniser ou égaliser les connaissances. La bonne circulation de l'information devient ainsi une préoccupation essentielle, alors que les incompréhensions, les rumeurs, les erreurs et les rivalités ne peuvent que croître avec le nombre. Comme me le disait hier un ami, à l'issue d'un briefing que j'ai donné en Suisse centrale, on arrive dans des situations où la jambe droite ne sait pas ce que fait la jambe gauche, où des organisations entières ignorent les activités des autres et prennent tardivement conscience d'implications majeures pour leurs propres activités.

Une solution traditionnelle pour remédier à cet hermétisme consiste à favoriser les contacts transversaux, les relations directes entre individus situés dans différentes organisations. C'est une méthode qui fonctionne bien au sein de l'armée suisse, parce que le principe de la milice est remarquablement efficace pour nouer des contacts diversifiés (faire du « networking », quoi !), mais aussi parce que les organisations - des deux Forces aux grands états-majors - sont moins exclusives que dans d'autres pays. De ce fait, les amitiés et les camaraderies qui naissent aisément des services d'avancement effectués en commun ont un effet global qui dépasse largement le cadre de relations inviduelles, et qui contribue à réduire les frictions comme les décalages. Même si parfois des contacts directs provoquent également ceux-ci.

Avec le temps, je remarque cependant que même une multitude de connexions ne peut rien si une organisation produit intrinsèquement de la confusion. Souvent, le perfectionnisme et le niveau de détail usités dans une subdivision empêchent les autres de cerner les contenus ainsi produits. Le manque d'ouverture et le culte du secret contribuent encore à aggraver l'incompréhension, bien que la sécurité opérationnelle justifie une bonne part des mesures prises dans ce sens. La pratique consistant à mettre en ligne sur l'Intranet des travaux en cours, avec possibilité pour des membres d'autres subdivisions de les consulter, de les compléter ou de prendre position à leur sujet, n'est pas encore d'actualité. Sur le fond comme sur la forme, les pratiques courant nuisent à l'efficacité d'ensemble.

Une solution valable me semble ainsi la recherche constante de la simplicité. Il est difficile de faire simple, mais la clarté et la compacité des contenus simples peuvent venir à bout de bien des difficultés ; un schéma avec quelques traits, une information d'une page A4, un folio avec quelques éléments permettent d'aller à l'essentiel et de limiter la confusion. Pour ma part, j'essaie d'appliquer cela au quotidien, et la détermination du niveau de détail adéquat est devenue l'une de mes priorités dans chaque document produit. Mais ceci exige des efforts constants ; mettre de l'ordre dans le chaos a beau être le propre des chefs militaires, les méandres de l'administration et de ses voies plus qu'impénétrables exigent un savoir qui m'échappe encore largement ! :-)

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21 mars 2006

Travailler avec les Norvégiens

Norvege.jpg

L'exercice auquel j'ai participé m'a permis de découvrir la Norvège, c'est-à -dire une toute petite partie de ce vaste pays, et surtout de travailler avec les Norvégiens. Ceux-ci sont en effet de longue date membres de l'OTAN, et disposent d'une expérience opérationnelle très étendue, notamment dans les Balkans, en Afghanistan et en Irak. Pour les officiers suisses, appartenant à un pays membre ni de l'OTAN, ni de l'UE, et dont l'expérience opérationnelle au-delà des frontières est pour le moins restreinte, il était donc intéressant de voir comment fonctionnent des états-majors qui, pour être multinationaux, avaient tout de même une forte ossature norvégienne. Ceci d'autant plus que les locaux utilisés, dans la forteresse de Stavanger, sont également ceux du quartier-général des forces armées norvégiennes, et que nous avons eu accès à plusieurs outils de planification et de commandement que celles-ci utilisent.

Mon expérience personnelle m'a amené à éprouver une grande estime pour les officiers norvégiens : ouverts, travailleurs, amicaux, souvent pince-sans-rire, précis et exigeants, ils ont fait en sorte que la collaboration soit aussi agréable qu'efficace. Avec la forte participation de Suédois et de Finlandais, ces états-majors étaient d'ailleurs largement scandinaves, et les officiers suisses ont de longue date des convergences culturelles qui leur permettent d'être sans autre intégrés à de tels milieux. La seule difficulté est venue du fait que certaines conversations parfois en sont subitement venues à se faire en-dehors de l'anglais, et que la bienséance nous empêcher d'exiger de nos hôtes un retour immédiat à une langue officielle de l'OTAN. Toutefois, ceci n'a pas donné lieu à des dérapages, et il est probable que certaines conversations portaient de toute manière sur des intérêts nationaux.

L'un des traits que j'ai le plus appréciés, chez mes camarades norvégiens, était leur pragmatisme ; face à chaque problème, ils cherchent systématiquement des solutions simples, avec des mécanismes connus de tous, et évitent le perfectionnisme qui fait parfois des états-majors suisses des horloges en constant décalage avec la réalité. Les ordres qui ont été émis autour de moi (j'en ai rédigé quelques uns, parce que la production d'ordres partiels fait partie des tâches d'un centre d'opérations) se limitaient ainsi à l'essentiel, et ne fournissaient des éléments de détail que s'ils étaient absolument nécessaires pour la synchronisation de l'action. Du coup, l'état-major était également capable de réagir plus vite, et donc de créer des conditions plus favorables pour les formations subordonnées. C'est une leçon que je n'ai pas manqué d'emmener et je compte appliquer dans mes prochaines activités de planification, que j'ai repris aujourd'hui après avoir digéré la pile de courriels qui s'est accumulée en mon absence ! :-)

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20 mars 2006

L'interopérabilité avec l'OTAN

Un élément essentiel de l'exercice auquel j'ai participé réside naturellement dans la connaissance des procédures, des acronymes et de la doctrine de l'OTAN. Le sujet reste très sensible en Suisse sur le plan politique, et les adversaires de l'Armée XXI dénoncent régulièrement une supposée volonté d'adhérer à l'OTAN qui gangrènerait nos rangs. Cette accusation a pour principal argument les objectifs de l'armée en termes d'interopérabilité, c'est-à -dire dans sa capacité à coopérer étroitement avec les états-majors et les formations de l'Alliance. Pourtant, pareille interopérabilité est différenciée : si les Forces Aériennes et les impératifs de la sauvegarde de l'espace aérien exigent une compatibilité jusqu'à l'élément individuel, il n'en va pas de même avec les Forces Terrestres, où ce sont avant tout les états-majors - et partant les systèmes de commandement - qui sont concernés.

Est-il cependant dans l'intérêt de la Suisse de se rapprocher de l'OTAN, notamment en envoyant ses officiers d'état-major suivre des formations ? Au vu de mon expérience personnelle, forcément limitée, je trouve que la participation aux cours et aux exercices de l'Alliance apporte beaucoup, parce que celle-ci a une expérience opérationnelle ayant abouti à un savoir-faire précieux ; toutes les facettes d'une opération militaire moderne sont couvertes par ses règlements, par des formulaires standards, par ses briefings routiniers. En revanche, les spécificités suisses font que ce savoir-faire doit être adapté à nos besoins et à notre rythme : on ne peut pas copier/coller, mais prendre le meilleur et le convertir. De ce fait, je considère que l'OTAN offre à l'armée suisse un environnement favorable pour sa propre transformation, mais que le transfert doctrinal et opérationnel doit se faire en fonction de notre spectre d'engagement, de notre système de milice et de nos intérêts nationaux.

Aujourd'hui, cette démarche reste cependant largement empirique, et des décalages nous confrontent à des situations déstabilisantes ; nous ne sommes pas loin de devoir choisir, lors de chaque planification - en vue d'une opération ou lors d'un exercice -, si nous appliquons les règlements OTAN, les règlements suisses, ou un mélange des deux. Les tiraillements sont d'une double nature : d'une part, une coopération avec des armées étrangères exige une compatibilité avec leurs procédures, et les nations neutres du continent ont toutes adopté les principes de l'Alliance (c'est d'ailleurs l'un des objectifs des exercices VIKING), alors même que les formations de milice suisses et leurs états-majors ne sont pas en mesure d'être OTAN-compatibles ; d'autre part, si ces principes érigés en standards ont de nombreuses qualités, ils répondent aux besoins d'opérations multinationales de grande ampleur et/ou de longue durée, et non à ceux d'opérations nationales. Un compromis est donc inévitable.

Et ceci répond à mon sens à l'accusation mentionnée ci-dessus : l'interopérabilité ne doit pas être confondue avec le mimétisme, et elle relève de la disponibilité militaire, et non de décisions opérationnelles. La capacité à coopérer étroitement et après une courte préparation avec des forces armées étrangères revient à élargir la palette d'options militaires susceptibles d'être proposées au Conseil fédéral, et non à lier ce dernier par une dépendance systémique ou matérielle.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h50 | Comments (5) | TrackBack

18 mars 2006

Une tranche atmosphérique

Il règne toujours dans les centres d'opérations multinationaux une atmosphère particulière : les cliquetis des claviers et des souris, le bruit de fond des ventilateurs (des ordinateurs, des pro-jecteurs comme de la climatisation), les discussions qui se poursuivent dans les cellules et qui mélangent diverses langues, les téléphones qui sonnent, les interpellations à haute voix sur des points urgents, la lumière des néons, les écrans sur lesquels défilent les informations, les bips signalant l'arrivée des messages (ou les annonces d'erreur de Windows !) - tout cela forme un fond sonore stimulant et intéressant. La manière dont circulent les informations, les liens qui se créent après quelques jours seulement de travail en commun, permettent de trans-former un assemblage d'individus en un outil chaque jour plus performant.

Parfois, un événement survient qui mobilise l'attention du centre, et les projecteurs font défiler quelques folios décrivant un concept d'opérations, une idée de manœuvre, une liste d'appuis ou encore une évaluation de la situation. Des synchronisations sont discutées, des déconflic-tualisations sont mises au point, des décisions sont prises, avec l'apport des officiers de liaison issus à la fois des contingents subordonnés et des autres composantes, et sur les bases créées par les coordinateurs des opérations. Ces décisions sont ensuite transmises par télé-phone, confirmées par courriels, sous la forme d'ordres partiels ou encore d'ordres d'exécution, avec des fichiers annexés pour les éléments visuels nécessaires. Ce qui permet au centre de reprendre son atmosphère normale, et d'être prêt à réagir promptement!

Posted by Ludovic Monnerat at 22h34 | TrackBack

12 mars 2006

Une routine opérationnelle

Le quartier-général formé pour l'exercice auquel je participe connaît une routine tirée du fonctionnement standard en opérations, avec deux rotations (day shift et night shift). De ce fait, ma journée de travail commence à 0715, lorsque j'entre dans le bunker, et la première activité consiste à recevoir les informations de l'équipe de nuit, dans le cadre des cellules (je suis au centre d'opérations) puis avec tout l'état-major ; les heures se succèdent ensuite en travaux divers, avec des briefings à suivre, des documents à établir, des coordinations à effectuer, des questions à poser et des réponses à fournir, envers les unités subordonnées (réelles) et l'échelon supérieur (joué par la direction d'exercice). Fort logiquement, la dernière activité consiste à fournir les informations à l'équipe de nuit, de sorte que le travail cesse aux alentours de 2100.

Ce qui est impressionnant, même dans un exercice ayant une durée limitée, c'est de voir à quel point la conduite et l'exécution des missions deviennent répétitives malgré tous les imprévus qu'elles comportent. Le film « Le jour de la marmotte », qui est devenu l'un de mes préférés avant même que j'entre dans la voie militaire, est ainsi une métaphore que déclinent rapidement tous les états-majors aux horaires et activités bien réglés. C'est toute la difficulté des opérations de longue durée : développer une routine qui permette de systématiser et d'automatiser la succession des travaux sans pour autant que ceux-ci ne deviennent systématiques ou automatiques. Bref, trouver l'équilibre entre les habitudes et les initiatives, surtout lorsque le personnel effectue des rotations en un bloc.

Dans un exercice, heureusement, l'amélioration du travail d'ensemble permet de diminuer le poids de la routine!

Posted by Ludovic Monnerat at 23h45 | Comments (1) | TrackBack

9 mars 2006

Le sens des armées

L'une des questions soulevées en plénum durant le Symposium du CHPM, et qui revient avec insistance depuis 15 dernières années, est celui du sens des armées. La bulle idéologique de la guerre froide, avant son éclatement, fournissait aux militaires occidentaux une légitimité aussi évidente que fossilisée ; à lui seul, l'archi-ennemi soviétique dictait toutes les stratégies de défense, focalisait les énergies et les idées, imposait un face-à -face à la fois obsédant et intellectuellement contre-productif. Cette situation était particulièrement marquée en Suisse, où la défense du territoire résumait à elle seule la raison d'être de l'armée. Avec la disparition progressive des capacités d'attaque aéroterrestre en Europe, dû d'abord à l'éclatement du Pacte de Varsovie, puis à la mutation des armées européennes et enfin au départ prévu des divisions lourdes américaines, il est inévitable que le sens de la défense nationale et de son outil principal soit remis en question.

Les adversaires de l'armée suisse accusent régulièrement celle-ci d'être surdotée en soldats et en équipements, notamment face aux armées qui nous entourent ou par rapport à la surface de notre territoire ; leur raisonnement est souvent spécieux, parce qu'il n'intègre pas les capacités opérationnelles ou la typologie des espaces, et parce qu'il ne se fonde pas sur des travaux de planification approfondis. Il n'en demeure pas moins qu'il n'existe plus ou presque en Europe de capacité d'invasion à la mesure de nos défenses ; les divisions blindées, ces fers de lance des attaques conventionnelles qui ont commencé à être formées voici 70 ans, sont en voie d'extinction avancée. Bien entendu, d'autres formes d'actions offensives restent disponibles (opérations aériennes) ou ont pris de l'ampleur (opérations spéciales, opérations d'information), mais elles appellent également des réactions autres.

Si le territoire n'est plus menacé, à quoi servent donc les armées ? Je pense que toute réponse à cette question repose sur deux perspectives, la première historique et la seconde analytique.

D'une part, la dépendance étroite des armées envers les frontières géographiques est une conséquence de l'avènement des Etats-nations comme structures politiques et sociétales dominantes, tout spécialement dans l'emploi de la guerre. La notion d'intégrité territoriale avait moins de sens lors d'époques antérieures, et la fonction des armées consistait alors davantage à déployer une puissance au service du pouvoir politique, notamment pour protéger les populations assujetties et les voies commerciales, ou au contraire pour leur nuire. Cela ne signifie pas que les terres et leurs délimitations ne comptaient pas ; cela signifie que les armées, étant bien moins dissociables à la fois des gouvernements et des populations, avaient un spectre d'engagement bien plus large et flexible dans l'espace et dans les modalités que durant le XXe siècle. Logiquement, l'affaiblissement des Etats-nations devrait donc se répercuter sur l'emploi de leurs outils militaires dans un sens similaire.

D'autre part, l'impact des armées sur les populations a très souvent comporté une dimension coercitive, voire répressive, même en-dehors des occupations et des conquêtes. L'emploi de formations militaires pour le service d'ordre en cas de menace grave sur la sécurité intérieure est par exemple une option légale et légitime dans un Etat aussi démocratique et respectueux des libertés que la Suisse. Indépendamment des causes et des débats, les armées ont une fonction de stabilisation et de modération qui empêche les violences de dépasser un seuil critique et de mettre en péril l'existence même d'un Etat ou l'unité d'une société. Une guerre civile est très difficile à empêcher lorsque ses facteurs déclencheurs sont en place, car ils échappent pour l'essentiel au champ d'action militaire, mais la dégérescence d'une situation peut être prévenue, ralentie ou stoppée par des mesures drastiques liées à celui-ci.

Ceci permet à mon avis de cerner le sens premier des armées, trop longtemps confondu avec la seule défense : prévenir et réduire les ruptures de la normalité à travers la maîtrise de la violence extrême. L'évolution excessivement rapide de notre monde dans le domaine économique, technologique et démographique provoque des déséquilibres, des impasses et des transferts de pouvoir qui sont autant de facteurs belligènes ; si les armées n'ont qu'une influence limitée sur ces facteurs, elles doivent au contraire avoir un effet préventif sur les passages à l'acte, et éviter ou abréger les hostilités dans le sens de l'état final défini par l'échelon politique. Garants de la stabilité et de la sécurité face aux menaces les plus graves, de part et d'autre des frontières nationales, les militaires ont donc un rôle essentiel à jouer. A condition de développer la disponibilité, la flexibilité et l'efficacité requises.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h19 | Comments (12) | TrackBack

2 mars 2006

Entre guerre et paix

Il m'est récemment venu à l'esprit une réflexion iconoclaste que je vais tenter d'approfondir. En contemplant l'histoire des nations avec beaucoup de recul, on s'aperçoit que les progrès majeurs et les apogées sont souvent liés à des périodes de guerre : les conflits incessants dans la Chine du premier millénaire ont concouru au développement de la poudre et du papier ; ceux de l'Italie du XVe siècle ont grandement fortifié l'élan qui a mené à la Renaissance, tout comme le mouvement de la Reconquista a abouti aux Grandes Découvertes ; jusqu'à la Seconde guerre mondiale, qui a précipité le développement de l'informatique, de l'aviation à réaction ou encore du nucléaire. On peut également voir la guerre froide comme une telle période, avec comme progrès notables la Conquête de l'Espace et l'Internet. D'où ma réflexion : et si la guerre était un état somme toute préférable à la paix ?

Avant que l'on me traite de belliciste sanguinaire ou de traîneur de sabre à interner, essayons de préciser le propos. La guerre, en tant qu'affrontement délibéré, dérégulé et intense de plusieurs communautés humaines, constitue l'activité la plus complexe, la plus dangereuse et la plus stimulante que l'on puisse imaginer. Le discours ambiant avant tout victimisant sur la guerre, avec la généralisation d'un stress post-traumatique qui reste minoritaire, tend à nous faire oublier qu'une proportion probablement égale de soldats se réalisent à travers le combat ; comme l'a écrit Martin van Creveld, « le vrai motif des guerres réside dans le fait que les hommes les aiment et que les femmes aiment les hommes qui les font pour elles ». Les énergies sont concentrées, les esprits focalisés, les forces additionnées par la guerre ; que celle-ci accélère ou provoque des progrès est donc logique.

Cette vision est toutefois incomplète et biaisée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les pertes et les destructions engendrées par chaque conflit doivent bien entendu être mises en rapport avec les bénéfices tirés, et je doute que le bilan puisse être jugé positif dans la plupart des cas ; si les deux guerres mondiales du XXe siècle ont été décisives pour l'égalité entre les sexes ou pour le développement des transports, elles ont surtout abouti à des massacres qui ont durablement affaibli le continent européen. Par ailleurs, et c'est plus subtil, l'histoire a été écrite par les vainqueurs, dont nous sommes en partie les descendants ; la notion de progrès, facile à percevoir au siècle dernier, l'est beaucoup moins en remontant le temps, car les vaincus ont régulièrement été éradiqués. De ce fait, les progrès perçus ne sont peut-être qu'une fraction de ce qu'ils auraient pu être.

Il faut donc s'intéresser à la paix avec le même sens critique pour trouver le vrai sens de ma réflexion initiale. L'absence de guerre amène les énergies à s'exprimer dans des activités réputées plus constructives, et le goût pour la confrontation est essentiellement canalisé dans la concurrence économique et la compétition sportive - deux domaines qui ont d'ailleurs largement recyclé le vocabulaire de la guerre. Mais la paix, que d'aucuns surnomment le mildiou de l'héroïsme, est également lénifiante par la stabilité et la prospérité qu'elle procure, par l'absence fréquente d'enjeux pour lesquels il est digne de s'engager pleinement - c'est-à -dire en combattant au péril de sa vie. Les sociétés trop longtemps en paix risquent de s'assoupir, de rêver d'éternité ou même de décroissance au lieu de conquérir leur avenir, faute de l'énergie que fournit l'aiguillon de la survie, et finalement peuvent en pâtir au point de disparaître.

Sommes-nous pris entre deux maux différents mais également mortels, entre la guerre qui sacrifie à court terme et la paix qui galvaude à long terme ? Dans ce cas, l'état le plus favorable est celui de l'entre-deux guerres, ce qui devrait correspondre à une compréhension réaliste du mot « paix » : une situation précaire qu'il s'agit de préserver le plus longtemps possible, tout en identifiant clairement nos ennemis et en se préparant à leur opposer des réponses adaptées. La notion d'ennemi me paraît ici au cœur du problème : c'est en reconnaissant comme tels les individus et les communautés qui nous menacent que l'on parvient maintenir une perception suffisamment aiguë des enjeux pour obtenir le bénéfice de la belligérance sans en payer le prix. La guerre n'est donc pas préférable à la paix ; c'est la capacité à faire l'une, et donc à préserver l'autre, qui l'est - pour tous, et en tout temps.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h14 | Comments (17) | TrackBack

25 février 2006

Changer les politiques de défense

Le quinzième et dernier exposé, « Changement des politiques de défense : quel rôle pour les idées ? », a été présenté par le colonel EMG Christian Bühlmann, responsable de la recherche et du développement en matière de doctrine militaire.

Le conflit d'idées a formé l'évolution des politiques de défense en Suisse.

L'armée a subi des changements complets et complexes ces 15 dernières années. Depuis 1848, toutes les transformations militaires ont été vécues avec des débats publics, et 20 initiatives et référendums ont été soumis au peuple depuis 1945. Le changement peut être expliqué par les intérêts personnels, les cultures institutionnelles ou la dynamique des idées. Les croyances sont hiérarchisées (deep core, policy core, secondary effets - Sabatier et Jenkins-Smith) ; les coalitions de causes influencent le débat (classiques : gagner ou rien ; réformistes : armée de milice ; pacifistes : suppression de l'armée). Le modèle politique (policy core) change avec une transformation des conditions militaires stratégiques, un changement de la coalition gouvernementale, et une exploitation des opportunités.

Le Konzeptionsstreit l'illustre. Dès 1941, deux tendances s'opposent dans l'armée suisse quant à l'avenir de la défense, entre une conception axée sur la défaite de l'adversaire (la fin justifie les moyens) et une autre axée la poursuite du combat pour créer des conditions favorables pour l'après-guerre (les moyens déterminent la fin) ; ceci aboutit à 3 groupes, entre la défense mobile, la défense de zone et les môles de résistance. La guerre froide permet un consensus sur la défense de zone, qui est appliquée en 1951.

Le Konzeptionsstreit rebondit en 1955, avec l'apparition d'armes nucléaires (transformation mil-strat) et le changement à la tête du DMF, Chaudet relevant Kobelt (changement gouvernemental), et deux coalitions se forment autour de la défense mobile et de la défense de zone. Après des études de conception et des livres de différentes couleur (opportunité), la défense mobile est acceptée et intégrée à l'organisation des troupes 61. Mais l'affaire des Mirages ruine la crédibilité de cette conception, avec l'incapacité d'acquérir les moyens nécessaires à la défense mobile. Ceci aboutit à une doctrine combinée axée sur la défense de zone, dès 1966 et jusqu'en 1994.

Ces divergences de croyances se répètent entre les années 60 et notre époque. Les mêmes mécanismes expliquent cependant la réforme Armée XXI ; les polarisations continuent, le clivage entre les 2 coalitions s'accroît, d'autant que celles-ci ne soutiennent pas la même armée. Trois risques de choc externe existent sur l'armée : la pression budgétaire, l'écart de valeurs entre société militaire et civil, la pression de la culture d'entreprise à court terme. Une troisième voie pourrait utiliser ces risques à son profit.

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Armées contre populations

Le quatorzième exposé du symposium, « Quand l'Armée combat la population », a été présenté par Philippe Richardot, docteur et professeur agrégé d'histoire, délégué Mediterranée de la Commission française d'histoire militaire (entre autres).

Deux cas existent lorsqu'une armée combat la population : lors d'une guerre civile et cas d'occupation étrangère. Dans cette dernières situation, les actions de force combinent l'emprise territoriale, la terreur et les actions mobiles de frappe.

Contre une guérilla peu implantée, le bouclage ou l'enclosure suffisent (Che Guevara) ; lorsque la guérilla a de nombreuses troupes mais peu de liens avec la population (Malaisie, 1948-56), on peut couper la guérilla en l'encageant dans des régions défavorables. Une guérilla qui dispose d'un sanctuaire hors d'atteinte ne peut être vaincue avec des réduits opérationnels et des actions mobiles (Afghanistan : appui des moudjahiddins en Pakistan, échec des Soviétiques). Une guérilla bien implantée ne peut être vaincue par l'enclosure et le maillage, même avec en sus avec des actions mobiles ; le cas de l'Algérie le montre, et les effectifs importants nécessaires - 429'000 militaires français, 150'000 harkis, 100'000 policiers contre 30'000 rebelles - n'ont pas suffi.

La terreur seule ne peut vaincre une guérilla (exemple des nazis en Europe), lorsqu'une aide extérieure lui parvient et lorsque l'espoir subsiste. Contre une guérilla fortement implantée avec peu d'effectifs, l'enclosure et le terreur sont la clef des opérations : barrière physique et psychologique se complètent. L'exemple a été démontré durant la guerre des Boers : la victoire britannique a été obtenue au prix de 50'000 km de barbelés, de 8000 blockhaus, de l'incendie de 35'000 fermes, de l'envoi de 10'000 auxiliaires noirs (avec des pouvoirs arbitraires sur la population féminine blanche) ; de 27'000 hommes et de 28'000 femmes ou enfants tués dans les camps de concentration (pertes britanniques : 22'000 tués et disparus, 70'000 blessés). Les Soviétiques ont d'ailleurs repris les méthodes britanniques à une échelle démultipliée.

Contre une guérilla paramilitaire nombreuse, des effectifs très nombreux sont nécessaires : en 1926 [et non 1826, je pense que l'erreur est de moi] contre Abd-el Krim au Maroc, l'Espagne a engagé 140'000 hommes et la France 325'000. De vastes opérations de bouclage et l'emploi de colonnes infernales peuvent finir par isoler le chef de la guérilla de la population, celle-ci étant lassée par les années de contre-guérilla. Celle-ci ne peut donc réussir qu'avec le temps.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h37 | Comments (13) | TrackBack

23 février 2006

Compagnies privées et droit international

Le deuxième exposé du symposium, « Compagnies militaires privées et droit international humanitaire », a été présenté par François Sénéchaud, chef de l'unité Force armée et sécurité au CICR.

Les compagnies militaires privées sont actuellement sous les feux de l'actualité, en raison de leur présence importante en Irak, de leurs pertes dans ce conflit ou de leur implication dans les mauvais traitements de la prison d'Abu Ghraib (note : qu'un membre du CICR parle de mauvais traitements dans ce cas me paraît digne d'attention).

Les compagnies militaires privées sont anciennes, que ce soit au sol (avec les condottieri ou les spécialistes tels qu'arbalétriers) ou sur les mers ; cette dernière activité n'a cessé qu'avec la Déclaration de Paris de 1856. La situation actuelle en matière de privatisation et d'externalisation fait que la gamme des prestations offertes dans le privé comprend la formation, le renseignement, la protection de personnes et d'objets, la planification voire même l'exécution d'actions de combats. Parmi leurs clients figurent des Etats, des IO, des ONG, des groupes armés, et même le CICR sous certaines conditions. Ce développement s'explique par la réduction des budgets de la défense, par les besoins du renseignement après le 11 septembre, par le savoir-faire lié aux systèmes d'armes de pointe.

L'externalisation n'en est qu'à ses débuts, d'après de nombreux observateurs, académiques ou non. Le recours aux compagnies militaires privées pose cependant deux défis principaux : juridiques et humanitaires. Le monopole de la violence est une compétence essentielle de l'Etat, et il n'est pas contesté ; le centre de gravité de la chose militaire a évolué, il s'agit davantage de maîtriser l'information qu'appliquer la force. Dans la mesure où les compagnies privées ont mis l'accent sur des fonctions non combattantes, elles ont tiré parti de cette évolution. D'un point de vue humanitaire, le contact entre personnes protégées et employés militaires privés est le principal problème.

Le terme de mercenaire est employé de façon abusive, parce que le Premier protocole additionnel aux Conventions de Genève définit 6 critères pour appeler comme tels des personnages. Le principe de la distinction (combattant / civil) est cependant mis en péril par les sociétés militaires privées, parce que leurs employés sont des civils aussi longtemps qu'ils ne sont pas incorporés dans les forces armées et ne participent pas aux hostilités. Les personnes reconnues comme mercenaires sont également civiles. La responsabilité pénale - bien plus que civile - des compagnies militaires privées est cependant difficile à établir, notamment en raison des sous-traitances entre compagnies ou des problèmes de juridiction.

Les commandants militaires, selon le Premier protocole, sont responsables de toutes les actions commises dans leur secteur d'engagement. Mais les compagnies militaires privées n'ont souvent pas le code pénal ou le code militaire qui sont le corollaire d'une telle responsabilité. Un cadre régulateur visant à rendre les Etats responsables des actions commises à la fois par leurs organes et par les entités qu'ils mandatent devrait permettre de faire face à ce problème. Le CICR s'associe à l'initiative suisse pour l'adoption d'un tel cadre appliqué aux compagnies privées.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h26 | Comments (4) | TrackBack

La ville et ses défis

Le premier exposé du symposium, « La ville - Un défi à la maîtrise des espaces », a été présenté par le colonel EMG Alain Vuitel, chef de la doctrine militaire de l'armée suisse.

Pour lui, la ville est aujourd'hui un espace qui rassemble plusieurs défis : des défis traditionnels, avec l'engagement de moyens militaires classiques, des défis irréguliers sous la forme d'actes terroristes (terrorisme), des défis catastrophiques (naturelles) et des défis fondamentaux (technologie).

Les défis irréguliers ont lieu lorsqu'une force souvent asymétrique tente de contester la supériorité d'une armée régulière. Or, pour s'opposer à la supériorité, à une force telle que les Etats-Unis, il faut diminuer sa signature et trouver des formes de combat évasives (cet épithète est le mien) dans des espaces contestés, où la suprématie technologique n'a plus cours ; par exemple en-dessous de 3000 mètres pour l'espace aérien, ou en milieu urbain pour l'espace terrestre.

L'espace urbain est flou ; sa séparation entre urbain, suburbain ou non urbain est difficile (ces 3 épithètes sont les miens). Nous sommes dans un réseau de villes et de métropoles. Il est complexe, parce qu'il a une existence ancienne, parce que ses quartiers peuvent être spécialisés ; chaque ville est différente l'une de l'autre. Il est divers, aussi divers que le nombre d'individus qui s'y trouvent ; il est ainsi impossible de dessiner une carte sociale d'une ville pour appréhender les réactions d'une population. Il concentre les risques, avec une cascade d'effets pouvant être générés.

L'espace urbain est paradoxal : les militaires se sont souvent gardés d'engager des forces dans les villes, car celles-ci absorbent les forces, compliquent les communications, réduisent l'effet des armes, troublent l'orientation, réduisent la liberté de manœuvre et confrontent au contrôle des populations. Mais les villes sont aussi des centres de pouvoir, des points logistiques et des passages obligés.

Il existe 3 types d'actions militaires en milieu urbain : des opérations pour la ville, pour s'emparer des infrastructures et capturer une population afin d'en tirer profit, par le biais du siège ou par la ruse ; des opérations contre la ville, afin de détruire l'infrastructure et la volonté des populations qui s'y trouvent (Seconde guerre mondiale) ; des opérations dans la ville, face à un adversaire symétrique ou non. Dans ce dernier type, la ville n'est plus le centre de gravité unique, mais les dimensions physique, humaine, économique, sociale doivent être prises en compte.

La ville est au centre des activités humaines. La trinité de Clausewitz (gouvernement, armée, population - avec la ville entre les trois) doit être adaptée, et l'armée doit être remplacée par l'ensemble des instruments de puissance de l'Etat. L'équilibre de ce triangle forge une stabilité, une résilience, face aux attaques extérieures ou intérieures.

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En direct du Symposium

Depuis cet après-midi et jusqu'à samedi, je participe au XIVe symposium international d'histoire et de prospective militaires à Pully, au Centre Général Guisan. Sur le thème « La population et les armées », cette rencontre rassemble environ 80 personnes, parmi lesquels des spécialistes et des chercheurs européens parmi les plus renommés. Je vais tenter d'en fournir ici plusieurs éléments.

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19 février 2006

Le problème des sous-munitions

La Belgique est devenu cette semaine le premier pays à introduire une loi interdisant les armes à sous-munitions, avec un vote de la Chambre survenant 3 mois après celui du Sénat ; une seconde loi sera certes votée pour promulguer des exceptions sauvegardant des intérêts industriels et autoriser certaines munitions intelligentes, mais il s'agit néanmoins d'une victoire pour la coalition d'organisations non gouvernementales qui a lancé voici plus de 2 ans une campagne allant dans ce sens. La capacité d'influence des ONG de type humanitaire/pacifiste, avec leurs relais dans les médias, le milieu académique ou le monde du show-business, est donc démontrée ; le délai nécessaire à la diffusion d'un message moral et à l'altération des perceptions est un facteur intéressant.

Apparemment, les débats parlementaires belges n'ont pas vraiment traité la question militaire, et ce sont des préoccupations économiques qui ont imposé de réduire la portée de la loi. En d'autres termes, la nécessité militaire en général des armes à sous-munitions, contestée par les ONG, n'est pas un aspect prioritaire d'une démarche mettant systématiquement en avant l'aspect émotionnel et éthique des victimes, si possible enfantines. Dans la droite ligne du Traité d'Ottawa sur les mines antipersonnel, les armées occidentales se voient donc menacées de perdre une nouvelle palette d'armes. Combinée à celle visant à contraindre les nations de retirer les restes explosifs des guerres sur les territoires qu'elles contrôlent, cette démarche renforce le désarmement unilatéral des Etats européens. Sans prêter une attention particulière à leurs besoins futurs.

La raison d'être des sous-munitions consiste à permettre au petit nombre de combattre la multitude ; leur développement a été intense durant la guerre froide, notamment avec la création de systèmes multipliant la puissance de feu grâce à la miniaturisation. En combinant précision et saturation, ces armes sont capables d'infliger des pertes énormes à un adversaire concentré, mais leur pourcentage de ratés occasionne un danger au-delà de la frappe - ce qui leur vaut la campagne lancée contre eux. Toutefois, depuis une quinzaine d'années sont apparues des sous-munitions intelligentes, en nombre nettement inférieur par projectile et capables de s'autodiriger vers une cible telle qu'un véhicule blindé ; ce sont précisément de telles armes qui vont être exemptées de la loi belge.

Dans plusieurs pays, la discussion sur les sous-munitions tente de prendre en compte le pourcentage de ratés par projectile ; c'est le cas en Suisse (voir cet article du Temps repris ici), dont l'industrie d'armement est capable de produire des obus cargo ayant un taux de défectuosité égal à 2%, mais où une initiative parlementaire visant à interdire toute arme à sous-munitions a également été lancée - là aussi sans prise en compte de la nécessité militaire. On constate d'ailleurs dans mon pays une certaine schizophrénie, puisque le gouvernement finance le site des ONG luttant sans discrimination contre les sous-munitions, alors même que l'armée a acheté ces dernières années des armes à sous-munitions de différents types - obus cargo 88, 90 et 99 à sous-munitions non guidées, obus d'artillerie (Smart) et de lance-mines (Strix) à sous-munitions guidées.

Quels sont les besoins réels des armées ces 15 à 20 prochaines années ? Si les armes de saturation du type lance-fusées multiples ne correspondent plus aux effectifs et aux doctrines d'emploi des armées existant en Europe, les possibilités d'emploi en-dehors du continent européen sont bien réelles (les MLRS sont engagés aujourd'hui en Irak), mais laissent penser que des armes conventionnelles - obus, roquettes et bombes - peuvent tout à fait suffire. En revanche, les armes de précision à sous-munitions antichars sont un pilier des doctrines de défense modernes, et la capacité de frappe verticale sur des véhicules blindés restera un élément très dissuasif jusqu'au développement d'une nouvelle génération de chars. Par conséquent, une démarche raisonnable pour résoudre le problème en limitant drastiquement les risques pour les non combattants sans désarmer inconsciemment les armées consisterait à interdire les sous-munitions antipersonnel classiques et à autoriser les sous-munitions antichars intelligentes.

Si avec cela je n'obtiens pas un contrat de consultant au profit de parlementaires belges, c'est à désespérer du réseau ! ;-)

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18 février 2006

Iran : planification d'emploi (8)

Notre expérience de planification interactive en source ouverte a été ralentie par les activités professionnelles intenses du soussigné ; pourtant, l'importance et l'urgence du sujet n'ont certainement pas diminué, comme le montre l'augmentation des indices de confrontation. Par ailleurs, les actions préemptives menées par les groupes d'influence pacifistes (merci à AB pour le lien) suggèrent également une probabilité en nette hausse. Il est temps de se remettre au travail afin d'y voir plus clair.

Les facteurs qui doivent maintenant être analysés sont purement militaires : les capacités et la volonté des forces armées iraniennes dans leurs différentes composantes. Si nécessaires, d'autres acteurs susceptibles d'être opposés à la coalition devront également être intégrés.

Enoncé Déduction Conséquence
La défense anti-aérienne iranienne au sol est constituée de systèmes de détection et de tir à haute altitude datant des années 70 (type SA-2, 5 et 6), non centralisées et ne couvrant pas l'entièreté du pays. Un petit nombre de systèmes chinois HQ-7, nettement plus performants et résistants, a été introduit dès 1998. Sept batteries de 4 lanceurs SA-15 ont été commandés à la Russie et seront livrés dans le courant de l'année (source : note de la FRS, 30.1.06 - merci à PS pour le document) Les forces armées iraniennes n'ont pas la capacité de protéger leur espace aérien non seulement en raison de la surface de leur territoire, mais également par la vétusté et la fragilité de leurs systèmes ; la défense de zone leur est très difficile. En revanche, elles sont capables de protéger solidement des objets ponctuels tels que les installations nucléaires, les bases aériennes et les centres de pouvoir politique. En-dehors des basses altitudes, où n'importe quelle arme légère est une menace, la coalition doit neutraliser d'emblée les défenses anti-aériennes par des groupements d'attaques spécialisés ; l'emploi d'avions dédiés (SEAD) sera encore plus important pour l'attaque d'objets. Pour toute la durée de l'opération, une protection permanente devra être assurée pour chaque groupement aérien majeur, d'attaque ou de transport.
Les forces aériennes iraniennes comptent un reliquat des avions hérités du Shah (environ 20 F-14, 40 F-4, 45 F-5 en état de vol) et des avions d'origine russe ou chinoise acquis durant les années 90 (dont 24 Mig-29, 20 SU-24, 20 F-7 et une poignée de SU-25) équipés de missiles relativement récents. Le niveau d'instruction et d'entraînement des pilotes est réduit. Le commandement en vol est inexistant. L'aviation iranienne est incapable de contester à une flotte occidentale moderne la supériorité aérienne au-dessus de l'Iran. En revanche, elle peut infliger des pertes en profitant du relief, du nombre et de l'éparpillement des bases, ainsi que des missiles en sa possession. Elle peut également protéger sa flotte au sol au début de l'opération en utilisant comme leurre ses engins hors service. La coalition peut neutraliser toute opposition en l'air en employant des chasseurs-bombardiers furtifs contre les bases aériennes iraniennes et en déployant des chasseurs furtifs (F-22A) pour faire le vide en altitude, et pour compenser l'absence de couverture AWACS au centre du pays. Des bases terrestres relativement proches de l'Iran et équipées pour accueillir des appareils modernes sont nécessaires.

Voilà pour un premier jet. Merci par avance pour vos suggestions et contributions !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h30 | Comments (33) | TrackBack

14 février 2006

La foi comme facteur stratégique

Depuis plus de 10 ans, l'analyste et officier de renseignement Ralph Peters est l'un des meilleurs avocats de la transformation des conflits, et une exception dans une culture militaire américaine qui reste largement axée sur une vision technologique et mécanique des rapports de force. Il le montre encore une fois dans cet article publié par l'Armed Forces Journal, en identifiant le caractère stratégique de la foi et le rôle qu'elle joue dans la survie des sociétés humaines et la justification de la violence. Extrait :

Once a human collective expands beyond the family, clan and tribe, decisive unity demands a higher organizing principle sufficiently powerful to entice the individual to sacrifice himself for the common good of a group whose identity is no longer defined by blood ties. A man or woman will die for the child of his or her flesh, but how can the broader collective inspire one stranger to volunteer his life to guarantee the survival of a stranger whose only tie is one of abstract identity?
No organizing principle, not even nationalism (a secular, debased religion), has proven so reliable and galvanizing as religious faith. Religion not only unites, it unites exclusively. Throughout history, religious wars have proved the cruelest in their execution and the most difficult to end satisfactorily (toss in racial differences and you have a formula for permanent struggle). The paradox is that, in pursuit of a "more godly" way of life, human beings have justified the slaughter of millions of other human beings down the centuries.

L'importance du facteur religieux dans la préservation des liens et dans l'affirmation des identités, c'est-à -dire dans la perception d'enjeux qui simultanément rassemblent et différencient, me paraît également essentielle. Et les événements de ces dernières semaines ont rappelé à ceux qui préfèreraient l'ignorer que le rapetissement de la planète nous confronte à la religion des autres, même si nous avons largement édulcoré ou écarté celle de nos parents et grands-parents. En un sens, la collision des mondes à laquelle nous assistons peut ainsi être comparée à une cohabitation non désirée, à une fusion sociétale dans laquelle la peur de changer ou de disparaître aboutit à aiguiser et à grossir des antagonismes déjà considérables. Peut-on vivre dans la même maison, voire dans le même logis que quelqu'un qui vous déteste, qui vous méprise et qui envisage votre meurtre ? Et quelle part d'autosuggestion, d'escalade réciproque réside dans cette question ?

L'exclusion de l'autre que fonde la religion est depuis l'aube des temps un casus belli lancinant, mais aussi un dénominateur commun, un élément qui renforce et pérennise. Une conclusion corrosive que l'on pourrait tirer du texte de Peters est celle-ci : si la religion est un facteur de survie et joue donc un rôle biologique, est-ce que les sociétés qui ont embrassé une religion qui se renie - la laïcité, pour faire bref - ont la capacité de survivre ? Surtout si elles subissent l'assaut sémantique plus que physique de communautés éminemment croyantes ? Vaste débat...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h22 | Comments (20) | TrackBack

12 février 2006

Face aux ambitions islamiques

Un appel sur mon portable, hier après-midi ; je réponds pour entendre aussitôt des appels assourdissants à la prière, à la soumission - "Allah Akbar !". Je faisais également cela voici presque une année, lorsque les hauts-parleurs des mosquées environnantes déversaient leurs mélopées, histoire de surprendre mes amis en Suisse et de partager cette chose alors nouvelle pour moi ; mais j'étais alors à Medan, en Indonésie, et pas à Berne, sur la Place Fédérale, devant le siège du gouvernement et du parlement de ce pays. Ce lieu voit certes alterner nombre de manifestations tout au long de l'année, au nom de divers intérêts corporatifs ou particuliers, et a été aménagé dans ce sens. Mais rarement pour imposer une loi censée provenir de Dieu et supplanter celles votées par les hommes ; rarement en arabe, rarement en contestant aussi explicitement les lois et les valeurs du pays qui a eu la générosité d'accueillir une grande partie des manifestants et de les soutenir.

Contrastes saisissants : alors qu'un millier de musulmans manifestent en Suisse pour imposer leur vision de l'existence et de la vie en commun, sans être le moins du monde entravés ou dissuadés dans leur démarche, les citoyens danois sont priés de déguerpir au plus d'Indonésie, où leur sécurité ne peut plus être assurée par les autorités ; alors qu'un "juge islamique" palestinien vient en Suisse prêcher la charia et réclame des lois rendant intouchable ce qui à ses yeux est sacré, les dirigeants européens - comme Micheline Calmy-Rey - ne parlent que des concessions à faire de notre côté au nom d'un respect et d'une compréhension entre les peuples qui semblent bien unilatéraux ; alors que des représentations diplomatiques occidentales sont prises d'assaut dans le monde arabo-musulman pour cause de blasphème, les journaux et les journalistes en viennent à devoir bénéficier d'une protection policière en Europe pour poursuivre leurs activités.

Mais ces contrastes n'échappent pas aux citoyens, que les événements de ces dernières semaines ont sans aucun doute sensibilisés. Ce sondage publié aujourd'hui par le Sonntagsblick semble montrer une perception aiguë de la situation : 78% des sondés voient dans l'islamisme radical une menace sur la paix mondiale, et 24% voient même une menace intérieure dans les quelque 300'000 musulmans vivant en Suisse ; 60% estiment qu'il était faux de publier les caricatures, mais 66% pensent que la liberté d'expression ne doit pas être entravée ; 37% disent que l'islam doit être placé au même niveau que les confessions existantes, mais 47% affirment que les entreprises ont le droit d'interdire le port du voile. Il est cependant intéressant de relever, même si l'échantillon est très réduit (35 personnes interrogées), que les musulmans en Suisse ont des positions parfois très différentes : 74% estiment nécessaire de limiter la liberté d'expression, 55% ne voient aucune menace dans l'islamisme radical, et 65% sont contre l'interdiction du voile.

Dans une démocratie, ces positions très minoritaires n'ont logiquement aucune chance d'être prises en considération, puisqu'elles s'opposent de front aux opinions et aux convictions de la majorité des Suisses ; les aspects visibles de l'islam, comme la construction de minarets (deux existent aujourd'hui), suscitent d'ailleurs une contestation énergique au sein de la population. Mais les activistes islamiques n'utilisent les voies de la démocratie que lorsqu'elles leur assurent le succès ; dans l'intervalle, ils font preuve de patience et prévoient avec confiance l'avènement d'un temps où l'application progressive de la charia, par petites touches successives, par une lente suite de concessions, deviendra une évidence. Au nom du "respect" et du "dialogue" entre les peuples.

Il faut se rendre à l'évidence : ce que Tarik Ramadan et consorts annoncent n'est rien d'autre que l'islamisation de l'Europe. Leur message vise à rendre inéluctable dans les esprits ce qui ne l'est ni dans les urnes, ni dans les maternités. Et la seule réponse à cette irrédentisme - à laquelle les élites intellectuelles de ce pays succombent trop facilement - réside dans la préservation et dans la diffusion de la démocratie directe. Parce que la liberté est la véritable crainte de ceux qui veulent réduire la nôtre.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h03 | Comments (39) | TrackBack

8 février 2006

L'ignorance des bellicistes

Lorsque le choix nous est laissé, faire la guerre n'est pas une chose très sensée : au mieux, un seul des belligérants est vaincu, et au pire tous finissent par être perdants. Je parle naturellement ici d'un conflit armé impliquant des actions de combat soutenues, comme le siècle dernier en a connu maintes occurrences. De ce fait, les appels aux armes offensifs sont dangereusement trompeurs dans l'élan et l'émulation qu'ils génèrent, voire dans l'impression qu'ils donnent d'une victoire à portée de main ; les exemples tirés de la Première guerre mondiale restent parmi les plus fameux en la matière (« J'aurai tordu les Boches en 2 mois », aurait dit Joffre ; « à Paris dans 6 semaines », chantaient les soldats allemands en partance pour le front - je cite de mémoire), mais chaque conflit comporte son lot de surprises et de désillusions.

Un certain leader islamiste contemporain, pour sa part, doit bien regretter d'avoir jugé comme un « tigre de papier » son principal ennemi et cru que ses fantasmes théocratiques allaient se concrétiser et couronner son existence depuis lors précaire ; le fait d'être entouré de fidèles buvant ses paroles ne l'a certes pas aidé à garder le contact avec la réalité. Cette ignorance n'en reste pas moins une constante, et les appels à la guerre sainte désormais proférés contre les pays dont les médias ont osé publier des caricatures de Mahomet le montrent. Les agités du turban - ou de tout autre couvre-chef, je ne suis pas regardant en la matière - sont tout au plus, en matière de stratégie, des amateurs illuminés. Cela ne les rend pas moins dangereux. Surtout lorsque l'on admet qu'il n'y a pas de professionnels de la question, seulement des individus et des organisations plus réalistes, imaginatifs, clairvoyants et actifs que d'autres.

La première erreur des bellicistes consiste à croire que les règles du temps de paix s'appliquent au temps de guerre, que tous les signes de modération révèlent une faiblesse quant à l'issue du conflit, alors qu'ils visent à prévenir son occurrence. Le comportement des Etats-Unis suite aux différentes attaques terroristes des années 90 - premier attentat du World Trade Center en 1993 (poursuites judiciaires), attentats des tours Khobar en 1996 (rien), attentats des ambassades US du Kenya et de Tanzanie en 1998 (rafale de missiles en Afghanistan et au Soudan), attaque de l'USS Cole en 2000 (rien) - avait été confondu par les islamistes en une règle immuable, en une faiblesse inévitable. Après le 11 septembre 2001, ils ont rapidement compris que les Etats-Unis en guerre se comportaient de manière différente ; ces attaques ont produit une telle élévation des enjeux qu'ils ont brusquement augmenté la volonté et la légitimité américaines de combattre.

Je pense qu'un tel processus est également à l'œuvre avec l'Europe. A l'heure actuelle, nous donnons de nous-mêmes une image de faiblesse qui est une incitation à l'escalade ; on peut menacer l'Europe, enlever et assassiner ses ressortissants, insulter ses chefs d'Etat, incendier ses représentations et même commettre des attentats sur son sol, ses réactions restent largement symboliques, timides et irrésolues : des déclarations sans suite, des procès sans urgence, des déploiements sans combat. Pourtant, l'Europe se réveille lentement, à travers les prises de conscience individuelles qui se multiplient, à travers l'importance croissante accordée à la coercition armée, à travers la perception sans cesse plus aiguë d'un danger majeur, d'enjeux sociétaux. Les réactions suscitées par les caricatures ont ainsi contribué à faire accroire l'idée d'une conflagration inévitable. Ce continent n'est pas loin de se dresser et de changer l'équation du conflit.

La deuxième erreur des bellicistes consiste à croire que les actions du temps de paix peuvent être sans autre reproduites en temps de guerre. C'est le syndrome des champions de l'intersaison : l'entraînement, la vie en commun, les démonstrations, les défilés, l'exaltation mutuelle produisent au sein de toute organisation - notamment armée - une confiance certes essentielle pour son esprit de corps, mais potentiellement trompeuse. A l'automne 2001, les Taliban et leurs alliés islamistes étaient persuadés que leur rhétorique enflammée, leur foi inébranlable et leurs succès passés allaient garantir une victoire écrasante contre ces Américains tout juste capables d'envoyer des bombes et des missiles à distance ; 2 mois ont suffi pour les ramener de façon sanglante à la réalité. Les appels à la trêve lancés depuis les montagnes du Waziristan témoignent de ce retour douloureux.

Là aussi, je pense que l'Europe est sous-estimée. Ses capacités sont pourtant illustrées par les succès de la lutte anti-terroriste, et les islamistes candidats à l'attentat sur son sol ont été appréhendés par centaines ; mais ces capacités ne sont encore qu'une fraction de ce qu'elle pourrait employer si les enjeux appelaient une réponse coercitive. Les déclarations de Jacques Chirac sur la dissuasion nucléaire, en tant que mise en garde assez limpide, ainsi que l'engagement européen croissant en Afghanistan, dans un secteur par endroits non permissif, sont des indices dans ce sens. L'Europe s'accroche de toutes ses forces à ses illusions d'un monde stable et pacifique, elle boira jusqu'à la lie le calice amer de l'apaisement, mais elle finira bien par se réveiller ; et les Européens seront tellement en colère qu'ils feront regretter aux islamistes ces appels enflammés à la guerre qu'ils profèrent aujourd'hui impunément.

En définitive, on pourrait se demander pourquoi les hommes continuent à se faire la guerre. Les erreurs n'expliquant pas tout, il faut simplement admettre que combattre fait partie de notre nature, pour le meilleur comme pour le pire.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h23 | Comments (18) | TrackBack

6 février 2006

Le dilemme de l'action

Les violences survenues ce week-end, en particulier l'incendie et le saccage de représentations diplomatiques scandinaves au Proche-Orient, ont rappelé - si besoin était encore - que l'Europe ne peut pas échapper aux antagonismes de notre époque. La crise lancée par les caricatures de Mahomet et délibérément enflée par les extrémistes musulmans n'a pour l'heure fait "que" 2 victimes (en Afghanistan et en Somalie, quoique l'assassinat d'un curé à Trébizonde par un adolescent hurlant « Allahu Akbar » doive être examiné), mais il paraît peu probable que l'on en reste là ; le fait que l'ensemble des pays européens soient désormais menacés au mieux de sanctions économiques, au pire d'actes de guerre, montre la dimension potentielle de ce conflit. Pour les nations dont les drapeaux sont brûlés - Suisse comprise - se pose donc la question de l'action. Est-il possible de désamorcer la crise, d'éviter l'escalade ? Peut-on agir en évitant aussi bien la trahison de nos valeurs que l'engrenage de la guerre - l'une comme l'autre menant d'ailleurs probablement à terme au même résultat ?

Sur le plan extérieur, les réactions des gouvernements musulmans ont désormais placé la crise dans une dimension internationale, et toute action doit nécessairement suivre les règles applicables à celles-ci. Ainsi, il paraît tout à fait judicieux de porter devant l'OMC le boycott de produits danois ou européens, afin d'assurer que les accords commerciaux soient respectés. Par ailleurs, les pressions diplomatiques exercées sur les ambassadeurs européens doivent avoir leur pendant en Europe, et les ambassadeurs des pays musulmans doivent être régulièrement convoqués pour recevoir les admonestations que les outrages commis par ou dans leur pays respectif méritent. Enfin, le saccage d'ambassades et de consultats doit donner lieu à des excuses officielles - la Syrie les a en partie prononcées, le Liban entièrement - ainsi qu'à des versements compensatoires.

Sur le plan intérieur, le respect des lois nationales en vigueur doit être imposé. Ainsi, il paraît tout autant approprié d'ouvrir des poursuites judiciaires contre le journal ayant publié les caricatures de Mahomet si l'on estime que celles-ci contreviennent à une disposition légale ; mais les appels à la violence et au meurtre proférés sur notre sol par des manifestants musulmans doivent également être poursuivis, leurs auteurs identifiés, leurs inspirateurs appréhendés, et donner lieu à un procès équitable. Toute menace sur la liberté d'expression doit être immédiatement sanctionnée, et toute dérogation à la constitution et aux lois règlant la vie en société hors des procédures démocratiques usuelles est exclue. Enfin, tout acte de violence armée visant notre population, nos intérêts ou des représentations étrangères sur notre sol doit autoriser un emploi de la force proportionnel et ciblé.

Toutefois, en ce domaine comme en bien d'autres, les gouvernements n'ont ni la capacité, ni la liberté d'agir de manière décisive. Cette crise a été déclenchée et alimentée par des organisations privées, même si plusieurs gouvernements tentent d'en profiter, et elle souligne très clairement les transferts de pouvoir que provoquent les nouvelles technologies de l'information. Il ne peut y avoir de contraste plus aigu entre les mouvances islamistes qui oeuvrent derrière les manifestations violentes et les élans de solidarité occidentaux qui se manifestent au travers de bannières pro-danoises ou de retouches Photoshop de Mahomet, mais ces mouvements qui se heurtent ont en commun le fait d'avoir l'initiative. Pour les gouvernements, notamment européens, il ne reste pour l'heure qu'à tenter de ne pas trop subir les événements.

C'est dire la mesure et la détermination qui doivent caractériser leurs déclarations. Il est en définitive contre-productif de juger « inacceptables » les déprédations commises contre les intérêts européens si l'on ne fait rien à l'encontre de leurs auteurs ou de leurs complices, si l'on ne concrétise pas les paroles par des actes clairs et crédibles. En même temps, il est inadmissible de se livrer à des actes de contrition et de capitulation contraires à nos valeurs et à nos lois. L'excès dans un sens comme dans l'autre serait une grave erreur. Autant dire une quasi quadrature du cercle...

Posted by Ludovic Monnerat at 15h42 | Comments (48) | TrackBack

4 février 2006

Le lent réveil de l'Europe

Voici plus de 4 ans que l'Europe glose à foison sur l'image des Etats-Unis dans le monde et vante son approche différente, axée sur la « puissance douce » et la recherche du dialogue. Depuis quelques jours, les réactions exprimées dans le monde arabo-musulman montrent une réalité dégrisante : la prise pour cible des Européens dans les territoires palestiniens, malgré les sommes énormes investies dans ceux-ci et aujourd'hui réclamées, ainsi que les différents appels à la violence proférés en maints endroits, déchirent toute illusion de respect et d'amitié. Pire : alors qu'une partie de la presse tente de minimiser le conflit en invoquant une gestion désastreuse du gouvernement danois, les rues de Londres ont subi hier des manifestations véhiculant des messages aussi barbares que bellicistes, dont pourtant une partie des auteurs bénéficient certainement des aides généreuses du gouvernement britannique. Voir un panneau appelant à la décapitation de ceux qui insulteraient l'islam, dans une ville réputée depuis des siècles pour son soutien à l'ouverture d'esprit et à la tolérance, est pour le moins alarmant.

De manière assez ironique, alors que l'image des Etats-Unis dans le monde arabo-musulman s'est améliorée depuis quelques mois, notamment grâce à la démocratisation de l'Irak ou de l'Afghanistan ainsi qu'à l'aide humanitaire d'urgence apportée en Indonésie et au Pakistan, celle de l'Europe semble bien se détériorer avec la publication des caricatures de Mahomet au nom de la liberté d'expression ; une enquête d'opinion approfondie est bien entendu nécessaire pour démontrer la chose. Il existe cependant une différence essentielle : si les Américains sont largement détestés, et même méprisés pour leur hermétisme culturel, ils inspirent également la crainte et la circonspection par leur puissance militaire, par leur poids économique ainsi que par leur détermination stratégique ; les Européens, pour leur part, sont également détestés lorsque leur vernis multiculturel ne parvient plus à cacher leurs vraies valeurs, mais leur timidité militaire, leur vulnérabilité économique et leur suivisme stratégique suscitent en outre une arrogance menaçante à leur endroit.

L'apaisement par le verbe et l'offrande, la capitulation maquillée en tolérance n'ont donc pas soustrait l'Europe à la collision des mondes. La réécriture compulsive de l'histoire au gré des valeurs en vogue s'est heurtée au poids du passé, à la rémanence des plaies séculaires : face à des communautés et à des mouvances dont le référentiel date largement de l'époque des Croisades faute d'avoir été pleinement touchées par les Lumières, les Européens ne se rendent pas compte à quel point ils sont encore perçus sous les traits de leurs lointains et frustes ancêtres. La haine brûlante qui s'exprime ces jours montre non seulement que le passé n'a pas fini de nous hanter, mais aussi que notre identité et non notre attitude détermine avant tout cet antagonisme. En d'autres termes, quoi que nous fassions, nous serons toujours les ennemis des islamistes, et ceux-ci exploiteront chaque opportunité et chaque prétexte - au besoin en les exagérant ou en les manipulant, comme dans le cas des caricatures danoises - pour mobiliser leurs troupes, scander leurs appels aux armes et tenter d'accroître leur pouvoir.

Mais les Européens se réveillent lentement. L'interrogation sur la présence d'un ennemi intérieur fait désormais régulièrement son apparition, au fur et à mesure que les vigies du penser correct perdent pied face à l'intrusion choquante de la réalité. Il faut maintenant s'assurer que ce réveil ne nous projette pas dans un autre cauchemar, que nous ne passions pas d'un extrême à l'autre en projetant sans même le savoir des mécanismes belligérants et manichéens. Ce risque est d'autant plus grand que la faiblesse actuelle - et pourtant apparente - de l'Europe ne peut que susciter les convoitises, les ambitions, les irrédentismes. Que nous le voulions ou non, ce continent doit à nouveau accepter de vivre dans un monde régi par des rapports de force, et donc définir un projet stratégique intégrant les menaces aujourd'hui proférées à son encontre.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h38 | Comments (46) | TrackBack

2 février 2006

Entre escalade et projection

Il est difficile de ne pas constater que les derniers temps ont dévoilé ou aiguisé des antagonismes latents, élargi des fractures béantes. La décision de plusieurs médias européens de défendre la liberté d'expression face au respect de la religion, alors que des excuses sont exigées dans le monde arabo-musulman, a confirmé l'enjeu global de la dispute ; les réactions contraires des dignitaires musulmans en Europe et des défenseurs de la liberté de la presse soulignent le décalage. La pression internationale sur l'Iran et son programme nucléaire s'accroit, alors que le régime de Téhéran menace de mettre un terme à la diplomatie si le Conseil de sécurité de l'ONU est saisi ; le lâchage - partiel et tactique - de l'Iran par la Russie et la Chine a surpris les mollahs. Les élections palestiniennes ont porté au pouvoir un groupe terroriste fondé dans un but génocidaire, et obligent l'Europe à reconsidérer ses aides économiques sous peine de financer le terrorisme ; plusieurs pays arabes ont promptement versé leur obole. La chute de popularité d'Al-Qaïda dans une grande partie du monde musulman se produit en parallèle à son rejet en Irak, où la guérilla sunnite se met toujours plus à combattre les islamistes étrangers.

De toutes parts la lutte se durcit, s'élargit, se précise ou se prépare. L'engrenage de la guerre apparaît inévitable, incontrôlable. Une telle convergence aboutit nécessairement à des conclusions établies, à des confirmations attendues, à une focalisation des réflexions jusqu'à leur donner un sens unique. Et c'est exactement à cet instant que l'esprit critique doit prendre le dessus, que le doute doit être réintroduit dans la mécanique intellectuelle, même s'il trouble les habitudes et les acquis. Dans un monde chaotique, l'émergence soudaine d'un ordre ou d'un alignement est trop artificielle pour ne pas être suspecte. L'être humain est condamné à projeter la structure de son esprit sur le monde qui l'entoure, mais pas à croire aux phénomènes dont il contribue à l'ordonnancement. Toute démarche analytique pratiquée au quotidien doit tenir compte du fait que la Vérité n'existe pas, qu'elle est un leurre aveuglant.

Dans les bons services de renseignements, la contre-analyse ou l'expertise indépendante sont des méthodes usuelles pour éviter l'avènement d'une pensée dominante, qui nécessairement aboutirait à influencer la recherche des informations malgré toutes les parois séparant l'acquisition de l'analyse. Dans un ordre d'opération militaire, on énonce les hypothèses faites en cours de planification, et leur démenti devrait logiquement remettre en cause le raisonnement subséquent ; on répond à ces évolutions possibles par des planifications prévisionnelles, c'est-à -dire des décisions réservées. Aujourd'hui, il est ainsi temps de se demander si les antagonismes qui enflamment l'actualité découlent d'intérêts contradictoires ou de logiques symétriques, si les perceptions changent par une prise de conscience ou sont autoalimentées par des schémas inconscients. Ce n'est pas l'autre qu'il faut comprendre en premier lieu, comme le répètent inlassablement les voix pacifistes et relativistes, mais bien nous-mêmes, nous et nos craintes, nous et nos projections.

Une réalité que les Occidentaux ont souvent du mal à percevoir demeure leur action sur le monde non occidental, l'effet subversif et séducteur de leur culture et des valeurs qu'elle véhicule, l'influence de leurs idées dans toutes les facettes des sociétés. La montée en puissance des islamistes est avant tout une réaction à cette conquête des esprits menée dans l'infosphère, à cette présence sans cesse plus perceptible. L'emploi de la force armée est un dernier recours pour eux aussi : c'est parce que le rapprochement occidentalisant de la planète menace la pérennité de leurs croyances qu'ils en sont venus à combattre aussi farouchement, et à rationaliser leurs horreurs par des visions de paradis perdu et de lutte ultime. Cela ne les rend pas moins dangereux, cela ne diminue pas la nécessité de les neutraliser, mais fournit un aperçu différent des responsabilités. Nous contribuons à l'escalade. A elles seules, nos pratiques commerciales appliquées aux domaines culturel et relationnel forment un casus belli hurlant. Pour être plus précis et un brin provocateur, le monde ne se divise pas entre méchants islamistes et gentils démocrates. Nous sommes partie prenante de l'engrenage.

Refuser d'accepter ce rôle et imposer des idées absolues relève d'une logique belligérante. La liberté d'expression n'est pas plus sacrée que les Saintes Ecritures ; les convictions laïques n'ont pas vocation à contester les convictions religieuses. Ce sont les excès, les dérives autocratiques qui doivent être combattus. Et cette notion de combat montre bien l'équilibre nécessaire entre réflexion et action : si la croyance est aveuglante, le doute est quant à lui paralysant, et s'abandonner pleinement à l'un comme à l'autre ne tarde pas à être néfaste. L'action doit toujours être fondée, suivie et dominée par une réflexion ouverte et critique, mais elle doit également être déclenchée, acceptée dans son imperfection, maîtrisée dès sa conception. La montée aux extrêmes est pire que l'emploi de la force, le silence mortel est pire que la dissonance conflictuelle, l'asymptote identitaire est pire que le morcellement des sociétés. Nous restons bel et bien nos pires ennemis. Que les autres l'ignorent ne nous dispense pas de cette appréhension.

COMPLEMENT I (3.2 2210) : Le moins que l'on puisse dire, c'est que la tension ne diminue pas, bien au contraire. Alors que le Premier ministre danois ne change pas de discours, en répétant "qu'au nom de la liberté d'expression, ni son gouvernement ni les Danois ne devaient présenter d'excuses", les appels au meurtre se multiplient, et il suffit de voir ce genre d'image pour mesurer la gravité des menaces, et le fanatisme que cette escalade contribue à dévoiler. Comme le montre une analyse de l'ESISC, cette flambée n'est cependant pas due au hasard, et des manipulations délibérées ont été menées pour y parvenir plus sûrement. La perspective belliciste que cela esquisse mérite d'être évaluée. J'y reviendrai demain.

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31 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (7)

L'analyse des facteurs géographiques est à peu près parvenue à son terme, et il est temps de passer à d'autres facteurs. Nous aborderons ces prochains jours la question des acteurs, en se focalisant en première priorité sur les composantes du régime iranien. Mais il s'agit pour l'heure de récapituler les points décisifs, qu'au terme des analyses nous devrons articuler dans le temps et le long des lignes d'opérations retenues. Après deux genres de facteurs, nous avons identifié les points suivants :

Là encore, il est bon de préciser que ces points ne sont pas priorisés par rapport à leur importance ou leur urgence. Ce travail sera fait lors de l'établissement du concept opératif (operational design). Malgré cela, avec le nombre croissant d'éléments, on mesure aisément pourquoi les opérations militaires de grande ampleur nécessitent un travail énorme de planification - et provoquent des frictions majeures au sein des forces engagées sans même avoir un contact ennemi !

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30 janvier 2006

La collision des mondes

Plus tard, bien plus tard, il est possible que cet événement soit interprété comme un tournant : l'appel de plusieurs organisations arabo-musulmanes à une résolution des Nations Unies interdisant les attaques des croyances religieuses et imposant des sanctions aux pays qui ne la respectent pas est à ce jour une contestation globale parmi les plus virulentes de la liberté d'expression. Cet appel, inspiré par l'affaire des caricatures de Mahomet publiées par un quotidien danois, n'a certes que peu de chances d'aboutir à une résolution, encore moins à une résolution contraignante. Mais les réactions déclenchées par ces caricatures, le boycott de produits danois, les excuses controversées de certains dirigeants occidentaux et les menaces d'actions violentes sur sol danois montrent l'ampleur du phénomène.

Voici quelques années encore, un tel embrasement des esprits aurait été inimaginable. C'est un témoignage du développement des médias et du rapetissement de la planète qu'une poignée de dessins publiés au Danemark provoque des réactions violentes dans tout le monde arabo-musulman, tout comme une fausse information sur le passage d'un exemplaire du coran aux toilettes à Guantanamo a provoqué des manifestations violentes en Afghanistan ou au Pakistan. Le fameux effet papillon, tiré des théories sur le chaos, trouve une application spectaculaire ; de nos jours, n'importe quel événement est susceptible de prendre une résonance planétaire, notamment s'il vient attiser ou raviver des oppositions et des tensions existantes. La localisation devient plus sémantique que géographique, l'audience plus identitaire que sédentaire.

Il est donc inexorable que les valeurs et les idées antagonistes, de moins en moins séparées par l'espace, en viennent à se frotter les unes aux autres. Le fait que l'on puisse librement s'exprimer sur la religion et émettre un avis critique, voire provocateur, est littéralement anathème pour les communautés les plus pieuses, notamment dans le monde musulman ; le fait de restreindre la liberté d'expression pour ne pas heurter des croyances religieuses devrait logiquement scandaliser les sociétés authentiquement démocratiques. Le compromis consistant à remiser la religion au rang des questions privées est évidemment inacceptable pour ceux qui voient dans son application la seule manière de vivre ; celui consistant à appliquer différemment la liberté d'expression en fonction des sujets abordés est tout autant inacceptable pour qui tient à la justice et à l'équité. L'opposition est totale.

Somme toute, ce à quoi nous assistons aujourd'hui n'est rien d'autre que l'intégration conflictuelle de contrées et de communautés - les deux étant désormais distinctes - globalement arriérées. Le flot corrosif des idées nouvelles a longtemps contourné le monde arabo-musulman faute d'y trouver un accès ; la rareté des imprimeries sous l'Empire ottoman trouve par exemple son pendant moderne dans le nombre restreint d'ouvrages traduits en arabe. Mais les images retransmises 24 heures sur 24 ont à présent une pénétration inédite, dont les effets au quotidien ne peuvent être prédits, et elles mettent au contact des audiences vivant à des siècles différents. Que les dignitaires d'Al-Qaïda évoquent fréquemment l'époque mythique du califat tout-puissant ou la retraite andalouse des Maures n'est qu'une version exacerbée d'un référentiel bien décalé avec le nôtre.

Les réactions violentes suscitées par les caricatures danoises sont donc également l'expression d'une détresse existentielle, la révolte face à un monde étranger, à la fois impie et prospère. L'intrusion de la modernité est un choc sociétal, une injustice inexplicable, une collision inévitable. Cependant, le recours à des mesures de rétorsion de type économique participe d'un spectre d'action qui va jusqu'au terrorisme de masse ; la détresse existentielle est une incitation au fanatisme, une inclination à l'exutoire apocalyptique. De ce fait, ces attaques contre la liberté d'expression sont dangereuses, parce que ceux qui voient leur monde s'effondrer sont souvent tentés de ruiner celui des autres pour assouvir leur frustration. Gérer leur extinction, vivre et laisser mourir, reste plus que jamais à mes yeux la voie de la civilisation.

COMPLEMENT I (31.1 1050) : L'affaire des caricatures de Mahomet n'en finit pas de rebondir. Alors que le quotidien publie une lettre d'explication et d'excuses [comme me l'a fait remarquer Deru ci-dessous], aux citoyens musulmans du monde, les menaces à l'endroit des Danois se précisent - comme ici en Irak, où l'un des groupes de la guérilla sunnite appelle à attaquer Danois comme Norvégiens. Ce développement est vraiment intéressant ; dans les années 60 et 70, les images du champ de bataille ont commencé à être transmises directement à domicile et à influencer l'opinion intérieure ; aujourd'hui, les images à domicile pour l'opinion intérieure commencent à être transmises au champ de bataille et à influencer celui-ci.

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27 janvier 2006

Les avantages de la symétrie

La victoire éclatante du Hamas aux élections palestiniennes a montré les vertus irremplaçables de la démocratie, même précaire et vulnérable : l'expression majoritaire de la volonté populaire a le mérite de la clarté, car elle balaie régulièrement les interprétations visant à l'orienter dans un sens donné. Voilà des années que la communauté internationale, à propos du conflit israélo-palestinien, se gargarise d'illusions sanglantes telles que le « processus de paix » ou la « feuille de route » ; sous la conduite autocratique de Yasser Arafat, l'opinion palestinienne était ainsi occultée par le double langage permanent, par une segmentation des messages autorisant chacun à entendre celui qui lui convenait au mieux. Une illusion bien entendu rentable pour les bénéficiaires de l'aide internationale.

Cette illusion semble aujourd'hui appartenir au passé. A l'occasion de ces élections, les Palestiniens ont montré au monde qu'ils veulent la guerre, ou du moins qu'ils ne veulent pas la paix. Une organisation armée, qu'elle soit de type terroriste ou non, ne peut se transformer en organisation politique qu'à l'issue de la victoire - ou de la défaite ; privée de l'une ou protégée de l'autre, elle ne trouve sa raison d'être que dans la poursuite du combat. Le Hamas va donc faire la guerre à Israël, pour conserver son pouvoir nouvellement acquis et pour éviter que la violence monstrueuse de la société palestinienne ne finisse par engloutir celle-ci. Mais il le fera avec une dimension proto-étatique, avec une autorité qui doit obtenir la reconnaissance de la communauté internationale - si les résultats du vote sont jugés valides.

La formation d'un gouvernement par un parti appelant ouvertement à la destruction d'Israël, et non par un parti le faisant en catimini, poursuit ainsi la resymétrisation du conflit israélo-palestinien. Bien entendu, la nouvelle Autorité Palestinienne peut tenter de perpétuer le double langage des précédentes, par exemple en faisant accroire une différence entre de prétendues branches politique et militaire du Hamas ; mais les capacités de coercition avérées de cette organisation limitent la crédibilité d'une telle perception. Avec le Hamas au pouvoir, il sera impossible d'imaginer encore une Autorité Palestinienne incapable d'empêcher des actes terroristes relevant d'une volonté guerrière, d'une ambition combattante. La communauté internationale devra accepter la réalité d'un conflit opposant un Etat à un proto-Etat, d'une guerre conduite par deux gouvernements élus et responsables.

En toute logique, cette symétrie devrait lui imposer une neutralité et une impartialité inédites, passant par la suspension - ou l'égalisation - de toute aide économique aussi longtemps que dureront les hostilités ; elle devrait également l'amener vers une certaine parité entre belligérants, notamment en ce qui concerne l'application du droit des conflits armés. Du côté israélien, cet avantage serait exploité au maximum en continuant à se soustraire aux armes palestiniennes, en poursuivant à la fois les retraits des territoires disputés et la construction de la barrière de séparation. Toute initiative aboutissant à rapprocher la guerre actuelle d'un conflit classique entre Etats ne ferait que renforcer la légitimité des actions armées israéliennes face aux attaques palestiniennes. Tout en mettant les Nations Unies face à l'obligation d'appliquer leur propre charte.

Il est naturellement fort possible que les organisations armées palestiniennes entrent en lutte ouverte les unes avec les autres, et que la guerre civile larvée précipitée par le décès de Yasser Arafat et par le retrait israélien de Gaza ne prenne une toute autre intensité. Mais la défaite par forfait n'est pas très différente de la défaite tout court.

COMPLEMENT I (29.1 1030) : Les premières interprétations des élections palestiniennes à destination du public occidental sont sans surprise. Alors que le Hamas affiche sa volonté de ne changer en rien ses méthodes, et que son leader évoque la création d'une armée palestinienne intégrant ses propres groupes combattants, cet article mis en ligne par Newsweek et écrit par le directeur d'un institut de sondage palestinien tente de minimiser le succès électoral du Hamas en l'expliquant par la corruption du Fatah et l'insécurité ambiante. Le même institut qui a montré à plusieurs reprises le soutien majoritaire des Palestiniens pour les attentats terroristes, et qui lie la popularité du Hamas à ses actions combattantes, passe ainsi sous silence le fait que le Fatah est également une organisation armée pratiquant le terrorisme. La réalité des élections palestiniennes, c'est que la presque totalité des candidats élus sont membres d'une organisation armée combattant Israël ; les candidats appelant à la paix n'ont aucune place dans l'échiquier politique. Voilà l'élément essentiel pour appréhender la suite du conflit israélo-palestinien.

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23 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (6bis)

Notre expérience de planification participative en source ouverte a vu son rythme ralentir ; la faute à mes activités intenses, mais aussi à la complexité de l'étape consacrée aux facteurs géographiques au sens large. Qu'à cela ne tienne : avec les deux suggestions faites jusqu'ici par Ylyad et Alex, j'ai complété un brin le tableau EDC de ces facteurs, que je laisserai encore quelques jours ouvert avant de passer à l'étape suivante.

Voilà donc où nous en sommes :

Enoncé Déduction Conséquence
L'Iran est un pays de grande taille, mesurant environ 1800 km en longitude et 1300 km en latitude, avec de longues chaînes montagneuses et deux zones désertiques qui entourent et segmentent des zones urbaines d'une densité généralement faible. La dimension et la configuration du pays le rendent défavorable aux opérations offensives aéroterrestres conventionnelles, en raison de la longueur des lignes de communication et des effectifs nécessaires pour les sécuriser, et nécessitent l'emploi de moyens aériens pour le transport et le soutien des éléments au sol. Un engagement durable de troupes au-delà de la zone frontière prendra la forme d'opérations spéciales focalisées sur la reconnaissance / surveillance, la désignation d'objectifs et les actions de guerre non conventionnelle, appuyées par une composante aérienne disposant d'une suprématie constante.
Le Golfe Persique et le Golfe d'Oman longent presque tout le sud de l'Iran, sur une longueur de 2440 km, et sépare ce pays des petites monarchies de la péninsule arabique (à l'exception du Koweït), traditionnellement alliées aux Etats-Unis et ou ceux-ci disposent d'infrastructures permanentes. La protection de ces petites nations et de ces infrastructures nécessite un contrôle de l'espace maritime et aérien qui les sépare de l'Iran, afin d'empêcher des représailles ou des attaques préemptives par le biais d'actions terroristes navales, de raids aériens ou de tirs de missiles balistiques. Avant même le déclenchement de l'opération, une force aéronavale puissante - centrée autour de groupes distants - doit contrôler le Golfe Persique et le Golfe d'Oman, empêcher toute intrusion d'éléments hostiles et déployer une capacité antimissile.
Les installations liées au programme nucléaire iranien sont réparties sur presque tout le territoire du pays ; certaines à proximité des frontières, et d'autres à plus de 600 km de celles-ci. Elles sont souvent conçues pour résister à une attaque aérienne classique, notamment par le biais de structures souterraines, et pourraient posséder une certaine redondance. La neutralisation des activités nucléaires de façon réversible impose des actions précises et simultanées, déclenchées par surprise et capables de franchir les protections dont bénéficient les installations, avec des renseignements suffisamment précis pour limiter l'ampleur des effets nécessaires. Les installations essentielles à la poursuite du programme nucléaire seront mise hors service, en fonction de leur configuration, soit par des frappes aériennes utilisant des projectiles à forte pénétration guidés à partir du sol, soit par des actions directes de destruction / sabotage menées avec des forces spéciales infiltrées préalablement, soit par des coups de main menés avec des formations aéromobiles stationnées sur des bases à proximité de l'Iran.
L'Iran possède des frontières communes avec plusieurs Etats dans lesquels se manifestent des terroristes islamistes, soit l'Irak, la Turquie, l'Afghanistan et le Pakistan. Les réseaux islamistes ont l'habitude franchir ces frontières et utilisent le territoire iranien pour appuyer leurs activités. Une opération militaire menée en Iran renforcerait les convergences d'intérêt entre islamistes d'obédience sunnite et chiite, et les pays voisins appuyant la coalition ou tolérant son action seraient susceptibles de subir des attaques terroristes visant à affaiblir le gouvernement, dresser la population contre l'opération et réduire la cohésion au sein de la coalition. Avant le déclenchement de l'opération, un cordon sanitaire - sous la forme de forces locales appuyées et conseillées par des forces spéciales - devra être en place sur les principaux points de passages aux frontières de l'Iran afin de limiter l'infiltration de terroristes ; la surveillance de ces points doit être renforcée au plus vite pour détecter toute infiltration préventive de cellules clandestines.
Les installations pétrolières et gazières iraniennes sont principalement situées au sud-ouest et au sud du pays, au bord du Golfe Persique ou près de la frontière avec l'Irak. A l'exception des pipelines gaziers passant par la Turquie et le Turkménistan, l'exportation se fait par bateau via le Détroit d'Ormouz. L'emplacement de ces installations impose au régime de Téhéran un déploiement de forces préventif pour en protéger l'exploitation, respectivement pour saboter durablement celle-ci. Les exportations peuvent être rendues impossibles par l'obstruction du Détroit d'Ormouz et le contrôle ou le sabotage massif des pipelines. Afin d'éviter une diminution trop importante des approvisionnements en énergie fossile, les installations doivent être constamment sous surveillance pour détecter tout sabotage et être prises d'assaut dès le déclenchement de l'opération. Le Détroit d'Ormouz doit être tenu ouvert par un groupe naval avant celui-ci.
L'Iran est caractérisé par une physiographie très montagneuse, avec des sommets dépassant les 4000 m au sud et les 5000 m au nord, et sans que ces chaînes de montagnes puissent être contournées pour accéder au centre du pays. Les pénétrantes au sol ou à basse altitude sont en nombre réduit. Le relief défavorise les opérations terrestres par la multiplication des passages obligés, et la hauteur des montagnes complique l'emploi de transports héliportés en limitant la charge utile ou l'autonomie des appareils. Le déploiement et le ravitaillement de forces doit se faire en priorité avec des avions de transport. Le déploiement d'une force de combat conventionnelle sur sol iranien nécessite la prise d'une base opérationnelle avancée dans un secteur éloigné des zones urbaines, susceptible d'être protégé à partir des airs, et à portée utile des avions de combat basés en mer et sur des bases situées dans les pays voisins. Le volume de forces déployées est limité (au maximum une division) et les couloirs aériens utilisés doivent avoir été nettoyés de toute arme air-sol à moyenne et haute altitude.

Il reste donc encore de la place pour ajouter d'autres éléments. J'en traiterai quelques uns, mais je me laisse volontiers conseiller et aider en la matière ! :)

COMPLEMENT I (31.1 2100) : Un dernier élément a été ajouté au tableau ci-dessus. Il est temps de passer à l'étape suivante.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h53 | Comments (9) | TrackBack

Dans l'engrenage de la guerre

Lentement, à contrecoeur et dans le désordre, l'Europe entre en guerre. Ce vocable honni reste aujourd'hui encore synonyme d'absurdité et d'atrocité pour maints esprits, et voici longtemps que les ministères de la guerre sont appelés « de la défense » ou que les études des conflits se devenues des « recherches sur la paix ». Comme si le fait de taire le nom d'un phénomène devait concourir à réduire son occurrence, voire à le conjurer. Sous l'emprise anesthésiante de l'idéologie pacifiste, la guerre est passée d'un moyen rationnel à une fin émotive, d'un outil stratégique à un projet apocalyptique ; du coup, on n'en veut pas, on ne la prépare pas, on préfère se rendre que la mener, et ceux qui la font sont de toute manière coupables.

Mais les temps changent. Les perceptions évoluent. La France, par la voix de son président, affirme sa disposition à employer l'arme nucléaire en cas de menace grave, symétrique ou non ; tollé prévisible et vain. La « troïka européenne » refuse de reprendre les négociations avec l'Iran tant que celui-ci poursuit ses activités nucléaires illicites. Les nations européennes, dans le cadre de l'OTAN, s'engagent progressivement toujours plus en Afghanistan et encaissent sans broncher leurs pertes en hausse. Les accusations d'alignement sur les Etats-Unis sont un indice supplémentaire de cette évolution vers l'extérieur.

Une évolution qui trouve son pendant à l'intérieur, où les pressions populaires se font croissantes pour une adaptation non seulement des forces de sécurité, mais également des règles de vie en société. Au Pays-Bas, le parlement vient de voter une loi visant à réduire l'immigration sans intégration par le biais d'un test préalable ; cette mesure a également été discutée dans d'autres pays. En Grande-Bretagne, suite aux attentats de Londres, des méthodes militaires ont été intégrées par les forces de l'ordre pour faire face à la menace d'attentats-suicides ; les prédicateurs islamistes appelant au djihad ont fini par perdre leur immunité. En France, l'état d'urgence a été mis en place pour maîtriser des violences urbaines de dimension insurrectionnelle. De tels développements auraient été inimaginables voici quelques années encore.

Ils s'expliquent en grande partie par des événements ou des déclarations qui ont eu un impact majeur. L'identification des terroristes ayant attaqué les transports publics londoniens a montré le danger potentiel de communautés immigrées et non assimilées ; la criminalité issue de telles communautés, la composante ethnique des émeutes en Europe et bien entendu le meurtre de Theo van Gogh ont également attiré l'attention. Au Danemark, dans un cas qui a un retentissement mondial, les menaces de mort adressées au journal ayant publié des caricatures de Mahomet ont révélé au grand public les risques qui pèsent sur la liberté d'expression. Par ailleurs, les appels au génocide lancés de façon répétée par le président iranien et l'échec de l'apaisement recherché par la diplomatie européenne ont contribué à écarter nombre d'illusions. Des menaces pèsent sur nous. Elles peuvent être proches ou lointaines, immédiates ou distantes, ouvertes ou clandestines, mais elles existent.

Cependant, les organisations et les personnes qui contrôlent les flux traditionnels de mots et d'images destinés à informer le public ne l'entendent pas ainsi. Les perceptions ne doivent pas sortir des sentiers battus et rebattus. Il suffit de lire la pleine page de réquisitoire unilatéral et manichéen que publie spontanément aujourd'hui Le Temps sur le camp de Guantanamo pour mesurer ces efforts constants de redressement des esprits, de recadrage des opinions. Le choix du vocabulaire joue également un rôle important : parler de « résistance » ou de « guérilla anti-américaine » en Irak, à propos d'une nébuleuse déchirée qui combat avant tout les Irakiens, ou désigner le Hamas comme un groupe « militant » ou « extrémiste » alors qu'il figure sur la liste des organisations terroristes tenue par l'Union européenne, n'est pas innocent. Cela véhicule des signifiés précis. Notamment celui voulant que la menace n'est jamais aussi dangereuse ou immorale que les mesures prises pour la combattre.

La grande redistribution du pouvoir occasionnée par la révolution de l'information réduit toutefois l'influence de ceux que l'on appelait les faiseurs d'opinion. L'échec de la constitution européenne dans plusieurs pays, malgré le soutien majoritaire des classes politique, académique et médiatique, symbolise cette évolution. Il en va de même dans le domaine sécuritaire, et le durcissement des gouvernements répond sans aucun doute aux inquiétudes exprimées par la population. Des mots sont d'ailleurs jetés au visage des dirigeants qui se risquent à de tels durcissements : on parle d'Etat policier, ou même de Gestapo, pour dénigrer l'activité croissante des services de renseignement ; on parle de « mur de la honte » pour délégitimer chaque barrière de protection ; on parle de « goulag » pour diaboliser les camps de prisonniers comme celui de Guantanamo. Quant à ceux qui osent parler de guerres, les annoncer, les juger inévitables, ce sont naturellement de vils traineurs de sabres, des bellicistes bornés, voire tout bonnement des fous furieux.

L'exagération délibérée et le recours aux symboles totalitaires soulignent le caractère émotif de ces réactions. Elles révèlent souvent le refus instinctif d'un monde qui change trop et trop vite, l'espoir d'échapper aux conséquences du changement, l'envie de figer le temps pour éviter les remises en question. Mais cet état d'esprit n'est pas généralisé ; les citoyens européens moyens n'ont pas cessé de croire à la supériorité de certaines valeurs, tout comme à la primauté de la sécurité physique, et si la majorité d'entre eux ne se sentent pas en guerre, ils n'en ont pas moins exprimé les refus qui en sont le préalable. La question n'est donc pas de savoir si l'Europe fera pleinement la guerre au fascisme islamiste, mais bien si elle saura le faire sans perdre son identité composite et ses fondations démocratiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h40 | Comments (29) | TrackBack

20 janvier 2006

Les limites de la puissance

Comment interpréter les déclarations de Jacques Chirac sur l'emploi de l'arme nucléaire française ? De tels propos sont suffisamment rares pour mériter le détour. Voici déjà plusieurs années que la France entreprend de mettre un terme au grand écart qui sépare les armes nucléaires issues de la guerre froide et les projectiles conventionnels, en réduisant la puissance des premières et en augmentant celle des seconds. Aujourd'hui, plusieurs médias mettent cependant en exergue le fait que la France, par la bouche de son Président, n'a jamais été aussi près de mettre ses capacités nucléaires au service de l'Europe. Le texte prononcé souligne ainsi des intérêts stratégiques qui ne sauraient être mis en péril, comme l'approvisionnement énergétique du pays ou la sécurité de nations alliées.

Ce discours de puissance, offrant une mise en garde à peine déguisée, annonce-t-il un revirement dans la tendance continentale à l'apaisement ? Les délibérations au Conseil de sécurité à propos de l'Iran donneront une meilleure réponse à cette question qu'un discours, certes ferme à souhait, prononcé sur une base navale. De plus, les capacités destructrices de l'arme nucléaire et la controverse qui entoure inévitablement son emploi s'opposent à une chaîne de commandement qui ne soit pas strictement nationale. La France peut agiter le spectre de l'atome, déployer de nouveaux missiles dans ses sous-marins, emmener quelques ogives à bord du Charles-de-Gaulle, cela ne suffit pas en soi à corriger des années d'attentisme et d'affaiblissement national en partie dus à la construction européenne.

Bien entendu, ces propos auront un impact considérable dans l'appréciation des possibilités d'action. En quelques mots, les objectifs potentiels de la dissuasion nucléaire française ont été élargis, et les analyses stratégiques au niveau mondial tiendront compte de la volonté nouvellement affirmée par le Président. De nouvelles questions vont être posées dans l'étude de certains scénarii. Est-ce que la France va déployer son groupe aéronaval près de capitales lointaines si la navigation des superpétroliers qui l'approvisionnent est menacée ? Est-ce que la France va vitrifier le QG des Pasdaran si une campagne d'attentats téléguidés ravage le cœur de Paris ? Tel sont les effets de la puissance militaire projetable et affichée, conventionnelle ou non : influencer le jugement et les décisions d'autrui par sa seule existence.

L'arme nucléaire reste cependant l'aboutissement monstrueux de la guerre totale, celle qui opposait des nations les uns aux autres : la restriction aux Etats dans le discours de Jacques Chirac n'est pas un choix de la France, mais bien une limite inhérente à l'arme elle-même. Aussi précise et pénétrante soit-elle, l'ogive nucléaire ne peut jamais frapper qu'un ennemi à la fois identifié et distant, pour tout dire extérieur ; et la bombe a d'ailleurs été l'un des principaux catalyseurs dans la transformation de la guerre, en rendant insupportable la montée aux extrêmes qui caractérisait les conflits classiques, et donc en favorisant les méthodes asymétriques comme la guérilla et le terrorisme. Prêter à l'arme nucléaire les vertus d'une assurance-vie, à l'heure où les sociétés se morcellent et s'antagonisent sous l'effet conjugué des flux d'idées et de personnes, devient ainsi une illusion dangereuse.

Une assurance-mort, tout au plus.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h48 | Comments (48) | TrackBack

19 janvier 2006

La fragilité de l'attrition

La nébuleuse Al-Qaïda fait à nouveau reparler d'elle, mais pas exactement dans le sens qu'elle souhaiterait : alors que 3 de ses leaders ont apparemment été tués dans la frappe aérienne menée la semaine dernière par les Etats-Unis au Pakistan, Oussama ben Laden semble avoir réalisé un nouvel enregistrement audio dans lequel il menace les Etats-Unis de nouveaux attentats, mais leur propose également une trêve de longue durée. Quatre ans et quatre mois après les attentats du 11 septembre, le changement de ton et de situation est saisissant. Les jubilations qui ont suivi l'effondrement des tours jumelles n'ont pas survécu à la chute des Taliban puis de Saddam Hussein, à l'inoculation des idées démocratiques faisant partie du bagage culturel et stratégique des troupes américaines.

Le durcissement de la lutte antiterroriste, avec l'adaptation des lois et des méthodes dans nombre de nations, a porté des coups répétés à la mouvance islamiste ; il ne se passe pas une semaine sans qu'une cellule ou un groupe terroriste ne doit repéré, appréhendé, neutralisé ou détruit. Par ailleurs, les opérations militaires lancées en Afghanistan, en Irak, dans la Corne de l'Afrique et en maints autres endroits ont également provoqué des pertes considérables. Au Pakistan, la semaine dernière, ce sont une fois de plus des drones Predator commandés par la CIA qui auraient éliminé des leaders islamistes à coup de missiles Hellfire. Les capacités tentaculaires des Etats-Unis imposent à Al-Qaïda une attrition sanglante. L'appel à la trêve n'est pas exactement une preuve de succès.

A mon avis, cette domination est cependant incomplète et superficielle. Oui, après avoir encaissé un coup massif, l'Amérique a réagi promptement et acculé son ennemi dans une position inconfortable, mais le ring global - si j'ose dire - compte plusieurs dimensions. Comme j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de l'écrire, l'emploi de la force armée est intrinsèquement défensif, même s'il se concrétise par des opérations offensives ; ce n'est pas l'Irak et l'Afghanistan qu'il s'agissait de conquérir, mais bien les Irakiens et les Afghans. Le feu ne vise qu'à préserver, appuyer ou amplifier l'idée ; celle-ci aboutit d'ailleurs à des effets dont le feu ne saurait être capable. La véritable offensive stratégique passe par la domination sémantique, par la pénétration du sens, par l'écho des consciences.

De ce fait, l'Irak n'est qu'une bataille dans la lutte des idées et des identités, et son statut de point focal s'efface au fur et à mesure que la confrontation avec l'Iran devient plus probable ; l'Iran lui-même, s'il voit un conflit armé sur son sol, ne sera également qu'une matérialisation locale d'une guerre à la fois plus vaste et plus longue. La traque des leaders islamistes et l'élimination en masse de leurs suivants n'empêchent pas la diffusion de leurs idées ou la séduction de leurs perspectives. L'attrition des corps doit servir l'adhésion des esprits, sous peine de n'offrir qu'un avantage éphémère, aisément réversible. Et la faculté de durer, d'inscrire son action loin dans le temps, est la clef d'une telle adhésion.

Il n'est guère étonnant que les islamistes, surpris par l'acuité de la réaction américaine, tentent à présent de calmer le jeu : ils savent que le surrégime opérationnel des Etats-Unis ne durera pas, mais aussi que la contagion démocratique qu'il précipite sera difficile à combattre. On prend vite goût à la liberté - et pour longtemps.

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18 janvier 2006

Le contrôle des océans

La fin ignominieuse du porte-avions français Clemenceau, qui vient de recevoir le feu vert de l'Egypte pour le passage du Canal de Suez - épisode ironique au regard de l'histoire - mais qui n'a pas encore l'autorisation d'entrer dans les eaux territoriales indiennes, offre une perspective intéressante sur le destin des plus grands navires de guerre, qui finissent chez les ferrailleurs, au musée ou au fond des océans. Elle montre également la valeur de symbole que détiennent les porte-avions depuis qu'ils ont remplacé les cuirassés comme éléments-clefs pour le contrôle des océans. L'activisme de Greenpeace, dont les démêlés avec la Marine française ne date pas d'hier, est digne d'intérêt. Les négociations avec l'Egypte sur fond de Convention de Bâle aussi. J'espère que l'on aura rapidement accès aux fax égyptiens grâce aux services de renseignements suisses et à la taupe qui gangrène leur travail !

Ceci étant, si le Clemenceau finira sa longue carrière en Inde, la construction de nouveaux porte-avions est l'une des courses aux armements les plus importantes autour de la planète, moins alarmante que celles des armes nucléaires ou des missiles balistiques, moins tangible que le développement du transport aérien stratégique, mais essentielle pour comprendre les rapports de forces entre nations. Malgré la puissance phénomènale que possèdent aujourd'hui de « simples » frégates, un groupe aéronaval reste en effet l'outil essentiel pour s'assurer le contrôle des voies de navigation et des points chauds bordant les océans face à n'importe quel type de menace ; et ceci grâce à la véritable bulle sécuritaire que produisent l'assemblage et la mise réseau d'une plate-forme de commandement, d'une capacité d'attaque air-air, air-sol et air-mer, d'une surveillance de l'espace aérien comme sous-marin, ainsi que d'une protection anti-aérienne et anti-sousmarine, voire anti-missile.

Aujourd'hui, la domination de l'US Navy reste plus forte que jamais : la réduction de 15 à 12 porte-avions depuis le début des années 90 a été plus que contre-balancée par le fait que chaque navire a vu ses capacités multipliées par la modernisation ; les 12 porte-avions moyens embarquant des Marines ne doivent pas non plus être sous-estimés. L'Europe est déterminée à retrouver une flotte assez puissante, avec notamment 4 grands porte-avions (2 pour la France et 2 pour la Grande-Bretagne), et la Russie n'a pas perdu l'espoir de développer une aéronavale performante. Toutefois, c'est en Asie que les développements sont les plus intéressants, et dès le milieu de la prochaine décennie, la Chine, l'Inde et le Japon devraient chacun déployer entre 2 et 4 porte-avions, de taille et de capacités plutôt diverses, mais dont les interactions potentielles - avec bien entendu la flotte US, dont le George H. W. Bush en construction - alimenteront maintes réflexions.

Bien entendu, lorsque l'on prend en compte le volume d'importations de ces 3 nations et l'importance capitale des voies maritimes à cette fin, on comprend mieux pourquoi un porte-avions bien entouré, bien équipé et bien entraîné offre une garantie majeure pour les investissements, notamment dans les ressources énergétiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h32 | Comments (8) | TrackBack

17 janvier 2006

Le jeu des civilisations

Prié de m'exprimer à ce sujet suite à un billet sur les 7 nouvelles merveilles du monde, je ne saurais manquer de faire quelques réflexions sur Civilization 4. Ce jeu de stratégie est sans conteste l'un de mes favoris ; ayant longuement pratiqué les trois premières versions de la série officielle, les 2 productions de la licence Call To Power ainsi que Alpha Centauri, le sujet ne m'est pas vraiment inconnu. Il est d'ailleurs exceptionnel de voir un concept de base aussi génial être progressivement adapté et amélioré sans rien perdre de ses qualités initiales. Rester simple et pratique sans pour autant renoncer aux interactions subtiles : voilà un exemple à suivre dans bien des domaines.

D'un point de vue stratégique, Civilization 4 est passionnant parce qu'il intègre la plupart des composantes de la puissance : les armées, l'économie, la diplomatie, la culture, la démographie, la recherche, le territoire ou encore la religion. Ces facteurs sont certes simulés de façon rudimentaire, mais le fait de les considérer comme autant de domaines où existent des rapports de force et des possibilités d'action est une bonne introduction à la réalité. Il est ainsi possible de se fixer des objectifs diamétralement opposés et d'employer toutes ses ressources pour suivre le chemin retenu. Conquête ou développement, prospérité ou grandeur d'âme, tout n'est pas accessible simultanément - du moins aux niveaux de difficulté élevés.

En ce qui me concerne, ma stratégie préférée n'est pas la conquête des territoires, mais bien celle des esprits, grâce à une supériorité marquée sur le plan du rayonnement culturel. Ce n'est pas que la perspective de campagnes militaires me déplaise au plus haut point, même si le mécanisme du jeu n'a jamais réussi à intégrer les différences de rythme entre les manœuvres des armées et le destin des peuples ; c'est simplement qu'il est toujours plus gratifiant de construire que de détruire. Une expansion initiale et globalement pacifique, suivie d'un développement rapide à l'intérieur de frontières sûres, avec une neutralité absolue et une économie grande ouverte : voilà ce qui me plaît le plus. On reconnaîtra bien entendu la marque indélébile de l'Helvète! ;)

Ma dernière partie de Civ 4 mérite une anecdote. J'avais décidé, en plus de ma stratégie habituelle, de constituer un monopole des religions et donc d'avoir le plus de villes saintes possibles ; finalement, j'en ai eu 6 sur 7, dont une à la suite d'une conquête précoce et chanceuse. Ce qui est assez amusant, et dû aux algorithmes propres au jeu, c'est que le judaïsme est soudain apparu à La Mecque ! L'islam, pour sa part, est né à Tombouctou. Pourquoi pas ? En tout cas, je me suis rendu compte qu'un quasi monopole des religions était une affaire très rentable, et que répandre la bonne parole était un investissement rapidement amorti, ce qui finalement est un autre aspect très réaliste de ce jeu mythique !

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16 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (6)

Il est temps de passer à la suite de notre planification, en l'occurrence l'analyse des facteurs géographiques. La démarche devient ici un peu plus technique, plus précise aussi, avec des éléments mesurables qui exigent une recherche d'informations plus approfondie. Pour simplifier les choses, nous rangerons dans ces facteurs les éléments suivants : le terrain, avec le relief, la couverture et les infrastructures, les éléments météorologiques, hydrologiques et océanographiques, ainsi que les conditions médicales et épidémiologiques. En revanche, les facteurs plus directement liés aux populations et à leurs activités seront traités plus tard. Une planification, cela prend du temps !

Pour se lancer dans cette analyse, il est nécessaire de consulter certaines données disponibles en ligne (par exemple ce profil au format PDF ou cette collection de cartes). Au niveau opératif, l'analyse du milieu - comme on le dirait en Suisse - est cependant rendue problématique par la dimension du pays et par la nature interarmées de la réflexion : les préoccupations changent diamétralement entre les composantes (terrestre, aérienne, maritime, spéciale, informationnelle), et l'éventail des possibilités reste trop vaste pour aller dans le détail. Il est donc nécessaire de se concentrer sur des facteurs très généraux, afin d'en tirer des conséquences valables pour la répartition des efforts entre les composantes.

Voici quelques éléments pour entrer dans la problématique.

Enoncé Déduction Conséquence
L'Iran est un pays de grande taille, mesurant environ 1800 km en longitude et 1300 km en latitude, avec de longues chaînes montagneuses et deux zones désertiques qui entourent et segmentent des zones urbaines d'une densité généralement faible. La dimension et la configuration du pays le rendent défavorable aux opérations offensives aéroterrestres conventionnelles, en raison de la longueur des lignes de communication et des effectifs nécessaires pour les sécuriser, et nécessitent l'emploi de moyens aériens pour le transport et le soutien des éléments au sol. Un engagement durable de troupes au-delà de la zone frontière prendra la forme d'opérations spéciales focalisées sur la reconnaissance / surveillance, la désignation d'objectifs et les actions de guerre non conventionnelle, appuyées par une composante aérienne disposant d'une suprématie constante.
Le Golfe Persique et le Golfe d'Oman longent presque tout le sud de l'Iran, sur une longueur de 2440 km, et sépare ce pays des petites monarchies de la péninsule arabique (à l'exception du Koweït), traditionnellement alliées aux Etats-Unis et ou ceux-ci disposent d'infrastructures permanentes. La protection de ces petites nations et de ces infrastructures nécessite un contrôle de l'espace maritime et aérien qui les sépare de l'Iran, afin d'empêcher des représailles ou des attaques préemptives par le biais d'actions terroristes navales, de raids aériens ou de tirs de missiles balistiques. Avant même le déclenchement de l'opération, une force aéronavale puissante - centrée autour de groupes distants - doit contrôler le Golfe Persique et le Golfe d'Oman, empêcher toute intrusion d'éléments hostiles et déployer une capacité antimissile.

J'ai pleinement conscience que cela n'est pas de la première simplicité. Mais je vous laisse néanmoins le soin de vous lancer dans cette nouvelle étape ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 23h00 | Comments (9) | TrackBack

Le prix de l'apaisement

Il faut reconnaître au président iranien Mahmoud Ahmadinejad le don de frapper les esprits par ses déclarations. Le dernier échantillon de sa prose, vitupéré samedi dernier, s'en prenait violemment à l'Occident, l'accusait d'avoir un état d'esprit moyen-âgeux et le menaçait de représailles s'il s'oppose aux ambitions nucléaires iraniennes. De manière encore plus claire, il a mis l'Europe et l'Amérique du Nord au défi (« vous avez davantage besoin de nous que nous de vous ») et indiqué qu'une confrontation se ferait à leur détriment, tout en ajoutant que l'Iran pourrait peut-être « renoncer à leur pardonner » le soutien passé au Shah. On passera sur le fait qu'il ait accusé George W. Bush et Angela Merkel de terroristes et de criminels de guerre : de tels outrages sont trop communs sous nos latitudes pour apparaître comme tels.

Après deux ans et demi de négociations qui se sont révélées un échec cinglant, comment la troïka européenne réagit-elle à la rhétorique sans cesse plus agressive du régime iranien, dont certains dirigeants se mettent même à menacer l'Europe de connaître l'enfer en cas d'opposition à leurs plans ? On parle de porter l'affaire devant le Conseil de sécurité, mais pas vraiment d'aller au-delà des discussions. La Grande-Bretagne affirme considérer des sanctions, mais pas d'actions militaires ; la France a déclaré qu'il était trop tôt pour parler même de sanctions, alors que l'Allemagne, principal exportateur de l'Iran, est très réticente à l'idée de perdre des marchés. Quant à Javier Solana, pour l'Union européenne, il a tout simplement déclaré que l'emploi de la force était exclu.

Il faut examiner ces images cruelles pour mieux comprendre comment les Européens apparaissent en-dehors de leur continent - et même à l'intérieur : un symbole de l'irrésolution, de l'attentisme et de l'impuissance. Angela Merkel a beau juger inacceptable les déclarations de Mahmoud Ahmadinejad, elles n'en sont pas moins acceptées puisque rien n'est fait à leur encontre. Face à des gens qui brandissent les flammes de l'enfer, on agite le sempiternel rameau d'olivier ; face à des menaces qui virent à l'apocalyptique, on aspire au retour à la table de négociations. Comment ne pas voir dans ces simagrées de diplomatie, car la vraie diplomatie n'exclut jamais la force armée, un retour aux années 30 et à la Société des Nations ? Comment ne pas se rendre compte que l'apaisement, aujourd'hui comme hier, nous rapproche plus sûrement d'une conflagration peut-être planétaire ?

Pour leur part, les Etats-Unis assistent sans déplaisir à la déconfiture européenne : la méthode américaine au sujet de l'Irak avait été tellement décriée sur le continent que la situation actuelle prend des airs de douce vengeance. Le décalage entre les prétentions arrogantes de l'Europe et les résultats de sa politique avec l'Iran viennent a posteriori conforter les choix faits avant l'opération Iraqi Freedom. Cependant, c'est bien vers les Etats-Unis que se tournent maintenant les Européens, et les rodomontades bellicistes de Téhéran sont reçues bien différemment de l'autre côté de l'Atlantique. Se trouvera-t-il là -bas des dirigeants assez déterminés pour accepter le poker menteur d'Ahmadinejad, pour mesurer la fragilité extrême de son régime et pour contrer dans les faits ses ambitions de puissance ?

Voilà un processus auquel nous assisterons ces prochains mois. En spectateurs, puis en acteurs. Parce que le prix de l'apaisement doit toujours être payé par le sang, la peine, les larmes et la sueur.

COMPLEMENT I (17.1 1810) : En matière de rhétorique, les Gardiens de la Révolution ne font vraiment pas dans la dentelle, comme l'indique cet article. Les affirmations de ce général quant au droit absolu de l'Iran à développer une bombe nucléaire méritent d'être entendues. D'autres déclarations menaçantes sont rapportées par Mark Steyn, mais sa colonne remarquable contient bien d'autres éléments - à commencer par une esquisse de manoeuvres subversives s'appuyant sur la jeunesse iranienne et sur la minorité sunnite.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h21 | Comments (30) | TrackBack

13 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (5)

Après plusieurs jours consacrés à l'analyse des facteurs stratégiques, nous sommes en mesure de poursuivre notre planification participative en source ouverte pour une opération militaire en Iran. Avant de passer à d'autres facteurs, ce que nous ferons demain, il est cependant nécessaire de reprendre les conséquences tirées de notre analyse et de les exploiter. Elles doivent en effet nous permettre de commencer à identifier les points décisifs de l'opération, c'est-à -dire un élément supplémentaire de notre concept opératif comprenant déjà l'état final attendu, les objectifs finaux et les centres de gravité.

Un point décisif est défini au sein de l'OTAN comme un « point dans le temps, l'espace ou l'environnement de l'information, à partir duquel un centre de gravité ami ou hostile peut être menacé. » La définition suisse est encore plus abstraite (« élément dont la maîtrise est décisive pour l'action contre le centre de gravité »), mais le fait de parler d'élément suggère la nature matérielle ou immatérielle de ce point. Autrement dit, il s'agit d'un objectif intermédiaire qui nécessite des efforts particuliers pour être atteint, et qui est indispensable pour parvenir au centre de gravité visé par l'opération. Les points importants mais non décisifs sont qualifiés de névralgiques.

Ci-dessous sont listés des éléments qui pour la plupart sont des points décisifs. Ils ne sont pas articulés dans le temps, et donc pas encore numérotés, ni dans l'espace ou selon le domaine général qu'ils exploitent. Ce travail viendra plus tard, lorsque les analyses seront terminées : il s'agira alors d'ordonner les points décisifs de manière à pouvoir diviser notre opération en phases et en lignes, et donc de décrire par quelle suite d'actions parallèles le centre de gravité sera atteint. Au sujet du centre de gravité « rouge », la discussion engagée sur ce point n'a pas été suffisamment détaillé pour me convaincre de le changer. Nous y reviendrons.

Voici donc cette liste. Elle sera complétée au fil des analyses.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h46 | Comments (9) | TrackBack

12 janvier 2006

Des anges gardiens tueurs

Ce matin, j'ai eu l'occasion d'assister à un exposé donné par une juriste travaillant pour l'armée, et ceci dans le cadre d'une instruction générale aux aspects juridiques des opérations militaires. Son propos portait sur le trafic des êtres humains et prenait notamment l'exemple du Kosovo, où soldats de la KFOR et policiers de la MINUK contribuent à ce trafic en recourant aux services de prostituées dont le statut est à proprement parler celui d'esclaves. De ce fait, ces organisations internationales ont imposé une politique de « tolérance zéro » et interdit à leurs membres tout commerce du sexe dans leur secteur d'engagement ; cette pratique est d'ailleurs en voie de standardisation dans les opérations militaires de stabilisation, sans qu'il soit possible de juger simplement son efficacité.

Sans nier les méfaits potentiels de toute formation militaire, comme de toute entité habilitée à employer la violence, cette tendance à une conception purifiée du soldat m'interpelle. Aujourd'hui, les soldats occidentaux sont interdits de prostitution, de drogue, parfois d'alcool (en fonction du secteur d'engagement et/ou de l'armée) ou de pornographie ; ainsi, on attend non seulement d'eux qu'ils tuent sans haine, sans excitation ou confusion, mais on exige également que leur comportement en-dehors du service soit irréprochable, dénué de toute pulsion, totalement détaché de leur nature humaine. Un peu comme si les armées devaient être constituées d'anges gardiens tueurs, d'êtres capables d'alterner sans dommage et sur ordre les pires horreurs et la pureté absolue, la coercition brutale et l'ataraxie désincarnée.

Questionnée à ce propos par mes soins, la juriste a convenu de la difficulté d'une telle tâche malgré les congés au pays parfois accordés en cours de mission, mais en parlant du Kosovo elle m'a également rétorqué que c'était une chose à prendre en compte avant de se porter volontaire pour une mission au sein de la KFOR. Soit. Je ne pense pas que ce phénomène soit lié aux difficultés de recrutement que connaissent toutes les armées professionnelles européennes, sauf en l'élargissent jusqu'à inclure la lente disparition de la culture militaire. En revanche, et à condition de limiter les excès qui effectivement favorisent des activités criminelles comme le trafic de personnes, cette projection irréfléchie d'exigences civiles, féministes et maternalistes sur des militaires risquant leur vie pour préserver ou restaurer la normalité d'un pays ou d'une région n'est pas acceptable.

D'ailleurs, elle n'est pas acceptée, et les commandants tactiques doivent faire avec. Au Kosovo, plusieurs contingents organisent ainsi des week-ends de repos obligatoires pour leurs militaires, avec transport en bus en Grèce et mise en congé pour 1 ou 2 jours ; comme la Grèce se situe hors du secteur d'engagement de la KFOR, la politique de « tolérance zéro » est contournée faute d'être appliquée, et révèle son caractère hypocrite. Un autre phénomène, dans les armées professionnelles à fort taux de féminisation, est l'augmentation drastique des activités sexuelles entre militaires en cours d'opération - une chose que les armées, pour protéger leur réputation comme les liens maritaux de leurs membres, se gardent bien d'évoquer. Ce qui certes est bien plus élégant et discret que les fameux bordels militaires de campagne!

Posted by Ludovic Monnerat at 19h29 | Comments (33) | TrackBack

11 janvier 2006

Etre ou ne pas être en guerre

Le quotidien The Australian a publié lundi une remarquable colonne d'un ancien ministre nommé Neil Brown et portant sur la conduite de la guerre au temps de Churchill. Son propos consiste à mettre en lumière les réactions horrifiées et réprobatrices des médias britanniques après la publication des propos tenus par l'illustre Premier lors des séances de son cabinet, lorsqu'il appelait par exemple à l'exécution de Hitler sans autre forme de procès s'il venait à être capturé. Pour Brown, vaincre un ennemi impitoyable exige d'être soi-même impitoyable, et toute considération morale ou légale n'est qu'absurdité si elle met en péril la victoire. La fin justifie les moyens. Le risque d'un attentat terroriste dévastateur fonde les restrictions des droits et des libertés.

Cette perspective pose à mon sens deux problèmes. En premier lieu, ce qui était admissible dans un conflit de haute intensité avec un ennemi tangible tel que le IIIe Reich, dont la puissance était essentiellement fondée par les capacités de conquête territoriale, ne l'est pas nécessairement dans un conflit de basse intensité avec un ennemi intangible tel que la mouvance islamiste, dont la puissance est essentiellement fondée par les capacités de conquête spirituelle. Faute de pouvoir frapper directement Hitler, l'Allemagne a été transformée en champ de ruines et mise hors de combat par une stratégie visant à vaincre avec certitude, et non à convaincre ; les polémiques lancées voici peu sur les bombardements alliés montrent les failles d'un tel raisonnement. L'immoralité finit toujours par se retourner contre vous lorsque l'urgence s'éloigne.

Une telle stratégie ne peut bien entendu pas être reproduite aujourd'hui : on ne combat pas une idéologie avec de la puissance de feu. Si le relativisme et le multiculturalisme ont effectivement entraîné un désarmement nocif des esprits, le manichéisme et le prosélytisme nous mèneraient à un surarmement tout aussi nocif de ceux-ci. Rechercher une capitulation sans conditions dans une guerre mue par les croyances et les identités provoquerait une montée aux extrêmes encore plus dévastatrice, parce que les séparations géographiques entre populations et cultures appartiennent au passé. Oui, il faut être sans pitié avec les monstres et les éliminer sans hésitation aussi longtemps qu'ils posent un danger, mais il est hors de question de le faire lorsque ce danger n'est pas perçu, sous peine de noircir sa conscience et d'en payer le prix.

C'est le second problème de la perspective défendue par Brown : elle ne traite pas la perception de la guerre, ou plutôt son absence au sein des populations occidentales. C'est une réalité souvent méconnue que chez Churchill comme d'ailleurs chez Roosevelt, un autre politicien remarquablement doué, la conduite de la guerre a toujours été fondée sur la consolidation et la préservation du soutien public, parfois au détriment de la logique militaire. Le choix d'opérations risquées et symboliques comme le raid des îles Lofoten en 1941 ou le bombardement de Tokyo en 1942, mais aussi le rythme général des opérations, ont largement été influencés par le besoin d'encourager les gens à soutenir l'effort de guerre. L'ennemi était identifié et dénoncé comme tel. On savait pourquoi et contre qui se battre.

De nos jours, si la stratégie américaine à mon sens vise juste pour combattre la mouvance islamiste sur un terrain et dans une modalité défavorables, elle n'est guère efficace dans la mobilisation de l'opinion. Il ne faut pas s'étonner si une majorité d'Européens et une minorité d'Américains poussent des cris d'orfraie lorsque la CIA transporte discrètement des hommes capturés l'arme à la main sur de lointains champs de bataille, ou s'insurgent contre le traitement qui leur est réservé à Guantanamo : ils ne se sentent pas en guerre, ne veulent pas l'être, refusent même de le concevoir, et préférent des explications conspirationnistes ou fantaisistes pour juger ces actions. Et comme une guerre sans ennemi n'en est pas une, c'est bien par le verbe et l'image qu'il s'agit d'être sans pitié. Les actes suivront.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h50 | Comments (13) | TrackBack

10 janvier 2006

Entre condotierri et croisés

C'est un signe des temps : confrontées à des besoins opérationnels croissantes et à des budgets rétrécis, les armées songent de plus en plus à remplacer l'acquisition par le leasing. Dans un premier temps, ces locations-ventes se sont faites entre institutions militaires : en septembre 2000, la Royal Air Force avait ainsi signé un contrat valant plus de 1 milliard de dollars pour disposer pendant 4 ans de 4 avions de transport lourds C-17 Globemaster III, afin de disposer d'un levier stratégique en attendant la livraison des Airbus A-400M ; cependant, les Britanniques se sont montrés tellement satisfaits de leurs avions qu'ils ont décidé de les acheter au terme du contrat et d'en acquérir un cinquième exemplaire, malgré la commande de 25 Airbus.

Le phénomène va maintenant plus loin et prend la forme de contrats passés avec des entreprises civiles pour assurer des prestations techniques dont les armées ne sont pas ou pas encore capables. C'est le cas avec le groupe Strategic Airlift Interim Solution de l'OTAN, qui a signé en décembre un contrat avec la société ukrainienne Volga-Dnepr (celle-là même que l'armée suisse a utilisée pour sa mission à Sumatra) afin de fournir 6 avions de transport Antonov An-124-100 pour 2000 heures de vol par an ; 2 avions seront basés en permanence à Leipzig, pendant que les 4 autres seront disponibles entre 6 et 9 jours. Le nouveau gouvernement allemand a ainsi décidé de verser 60,6 millions d'euros pour obtenir 750 heures de vol dans le cadre de ce contrat.

Un autre exemple saisissant est la construction du nouveau navire patrouilleur de la Royal Navy : pour un investissement de 52 millions de dollars sur 5 ans, le HMS Clyde va remplacer 2 navires actuellement déployés au Malouines, mais il restera la propriété du constructeur, VT Group, quand bien même les 40 membres d'équipage - et les 18 fantassins pouvant être embarqués - seront bien des militaires. On se demande tout de même ce qu'il adviendra du navire si la Royal Navy ne l'acquiert pas au terme du contrat. Un problème qui se pose moins avec les navires de transport, comme le HSV Westpac Express, un engin rapide loué depuis 2001 à la société Austal par l'US Navy, ou avec les cargos servant toute l'année à maintenir des équipements positionnés près des points chauds du globe.

L'évolution du financement et de l'emploi des moyens de projection doit cependant être rapprochée de l'essor spectaculaire des sociétés militaires privées. Le cas extrême de l'Irak, où l'on estime à 20'000 le nombre de « presse-gâchettes » employés au service de multinationales ou au profit de la coalition, illustre un phénomène global : dans tous les secteurs de crise contemporains affluent rapidement des structures susceptibles de fournir clefs-en-mains des prestations sécuritaires parfois de haut niveau, sans toutes les complications politiques et juridiques dues à l'emploi d'un contingent national. Que la Suisse ait choisi de protéger son ambassade à Bagdad par une société sud-africaine illustre cette tendance. Malgré l'aspect éminemment discutable de cette décision.

Quel sens donner à cette transformation des acteurs belligérants ? Les compétences tactiques et les moyens techniques se trouvent de plus en plus entre des mains privées, et non dans les rangs de ceux qui sont chargés de défendre, de protéger et d'aider les populations. Nous arrivons ainsi à une situation paradoxale : les conflits de notre époque impliquent un nombre croissant de combattants et de prestataires stipendiés, alors même que leurs causes tendent à être davantage spirituelles et identitaires que matérielles. La criminalisation d'organisations guerrières et la collusion entre réseaux terroristes et criminels soulignent cette dualité. Ce n'est pas seulement que l'alliance du glaive et du goupillon a été remplacée par celle du Coran et de la Kalashnikov ; c'est que les billets et les étendards ne laissent plus beaucoup d'espace à ceux qui perdent les uns comme les autres.

Dans les secteurs dont ils sont chargés de préserver ou de restaurer la normalité, les militaires sont aujourd'hui placés en porte-à -faux entre condottieri et croisés, entre mercenaires et fanatiques, entre porte-flingues et moudjahiddins ; entre des hommes mus par les récompenses terrestres ou célestes. Du coup, lorsque l'appauvrissement des Etats et l'affaiblissement des identités nationales réduisent leurs finances autant que leurs croyances, leurs ressources matérielles autant qu'immatérielles, les militaires traditionnels - si j'ose dire - courent constamment le risque d'être dominés par ceux qui ont ou ceux qui croient davantage qu'eux. C'est le cas désormais dans nombre d'armées européennes, où l'usure des équipements accompagne celle des convictions. Les deux vont d'ailleurs souvent de pair.

Dans la mesure où il est plus imaginable et possible de solidifier les esprits que les programmes d'armements, les armées devraient en tirer des conséquences claires.

PS : Les exemples chiffrés concernant le HMS Clyde et les Antonov sont tirés de l'édition du 2 janvier 2006 de l'hebdomadaire Defense News (non disponible en ligne)

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9 janvier 2006

Iran : les premiers coups ?

Alors que notre expérience de planification suit son cours, la réalité se rappelle à notre bon souvenir : le fait qu'un avion transportant de nombreux responsables des Gardiens de la révolution se soit écrasé en Iran, après la tentative d'assassinat sur le Président Ahmadinejad en décembre, laisse en effet penser que des actions subversives sont déjà à l'oeuvre en Iran. On imagine en effet mal les services secrets, d'Occident ou d'ailleurs, rester les bras croisés face aux menaces toujours plus claires et plus étendues proférées par le régime de Téhéran, et face à l'avancement inexorable de ses activités nucléaires. Eviter un conflit de haute intensité qui embraserait toute la région ne serait pas le moindre avantage d'opérations clandestines, voire d'opérations spéciales allant dans le même sens ; il est dès lors logique que le centre de gravité identifié soit visé par de telles actions.

A propos de planification, il vaut la peine de lire cette analyse de William Arkin sur les plans développés aux Etats-Unis pour faire à un Iran sur le point d'acquérir l'arme nucléaire. Les conclusions sur l'effet dissuasif de la publicité donnée à un plan valent la peine d'être notées...

COMPLEMENT I (9.1 2100) : Deux autres lectures inspiratrices viennent de sillonner mon écran. Dans "Target Iran", Arnaud de Borchgrave explique pourquoi à son avis l'Iran pose une menace grave et délibérée qui exige une réponse ; pour sa part, Michael Ledeen, qui appelle depuis longtemps à s'en prendre au régime des mollahs, affirme que nous traversons une période durant laquelle des changements révolutionnaires peuvent survenir. Ces deux textes complémentaires montrent que les risques et les opportunités ont toujours une dépendance symétrique.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h32 | Comments (17) | TrackBack

8 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (4)

Résumons l'avancement de notre démarche : nous avons à présent un état final militaire stratégique, qui nous donne la situation au terme de l'opération coalisée à planifier ; une liste non priorisée d'objectifs à atteindre, qui sert essentiellement de critères de succès pour mesurer la distance de la coalition par rapport à l'état final attendu ; et un centre de gravité à abattre pour atteindre ces objectifs. Nous avons également, quoique de façon plus schématique, les mêmes éléments du point de vue du régime iranien. Naturellement, ces éléments ne sont pas définitifs, mais ils servent de référence, d'orientation générale de notre action ; en Suisse, on aurait dit qu'ils font office d'appréhension du problème. Il est donc temps de passer à l'appréciation de la situation (situation estimate en langage OTAN).

Il s'agit d'un travail bien plus détaillé et concret qui exige une participation active et disciplinée. L'objectif de l'appréciation de la situation, dans le cadre de la procédure OTAN, consiste à tirer de l'analyse de facteurs-clefs des conséquences pour l'opération ; en principe, à ce stade de la planification et alors que les besoins en ressources n'ont pas encore été exprimés, ces conséquences devraient se focaliser sur ce qui doit être fait (quoi) et non sur la manière de le faire (comment). Pour simplifier les choses, et parce qu'en l'occurrence la méthode me paraît nettement plus efficace, nous allons helvétiser un brin ce travail et tirer des conséquences qui seront directement utilisables pour la finition du concept opératif, l'élaboration des variantes et la génération des forces.

L'analyse des facteurs-clefs se pratique le long d'une articulation intellectuelle précise : la trilogie énoncé-déduction-conséquence (EDC, plus connue sous l'acronyme AEK en allemand pour Aussage-Erkenntnis-Konsequenz ; au niveau OTAN, on parle de « factors, deductions and conclusions », en rajoutant entre deux des « assumptions » qu'en Suisse nous avons l'habitude de lister à part pour les rendre plus visibles). Cette articulation fonctionne ainsi :

Enoncé : décrire des faits ayant une influence sur le théâtre d'opérations, en fonction des renseignements et des informations disponibles.

Déduction : montrer de manière logique, concise et factuelle quel impact ces éléments peuvent avoir ou auront sur le déroulement de l'opération.

Conséquence : tirer de cet impact des éléments de décision pour l'opération relatifs aux forces, à l'espace, au temps et à l'information.

Le mécanisme est donc très simple, et il fonctionne avec tous les contextes opérationnels possibles et imaginables. Dans les stages de formation que j'ai suivis ou les exercices auquels j'ai participés, j'ai souvent remarqué que les officiers d'état-major et les commandants tactiques n'ont aucune peine à émettre des énoncés pertinents et à cerner les effets potentiels ou réels sur leur action, mais avaient davantage de difficulté à aller au-delà . Pourtant, un exemple fictif de la vie quotidienne montre à quel point ce mécanisme est facile d'emploi :

Enoncé Déduction Conséquence
Les prévisions météorologiques pour la fin de l'après-midi mentionnent un risque important d'averses. Mon jogging dominical pourrait fort bien se transformer en une rincée bien peu agréable. J'irai courir plus tôt et j'emmènerai un coupe-vent avec capuchon.

Les conséquences sont ici le produit essentiel de cette analyse. En Suisse, nous établissons une liste de conséquence qui s'allonge au fil de l'appréciation de la situation et qui fournit ensuite presque tous les éléments nécessaires au développement des propres variantes. Pour ce faire, nous exprimons ces conséquences en intégrant systématiquement au moins 2 des 4 facteurs de la conduite opérative : forces, espace, temps et information (l'OTAN n'en retient que trois ; l'information est mise de côté). Par exemple, une conséquence où l'on affirme qu'il nous faut une couverture de chasseurs équipés de missiles à longue portée (forces) est insuffisante ; pour apporter quelque chose à la décision, il faudrait dire que ces chasseurs doivent être engagés au-dessus du secteur X (espace), voler 12 heures par jour (temps) ou être bien visibles et dissuasifs pour l'adversaire (information).

Un autre raffinement que l'on enseigne à l'école d'état-major général consiste à distinguer les conséquences nécessaires des conséquences possibles : les premières fournissent des éléments valables pour toutes les variantes, alors que les secondes indiquent justement les différences pouvant séparer ces variantes. La liste de conséquences devient de la sorte un élément vivant (un fichier Word suffit, ceci étant), une colonne vertébrale pour la planification.

Nous n'emploierons ici pas ce raffinement. En revanche, la mécanique EDC sera strictement appliquée, y compris avec la nécessité d'inclure au moins 2 facteurs de la conduite opérative dans les conséquences : c'est la seule manière de faire du travail précis et efficace. Je serai impitoyable sur ce point ! :)

Car le travail va maintenant devenir plus collectif. La première phase de notre appréciation de la situation est l'arrière-plan stratégique (nous suivons ici la ligne OTAN) : il s'agit d'analyser les facteurs historiques, politiques, économiques, sociaux et juridiques susceptibles d'avoir un impact sur notre opération. Ensuite viendront les conditions géographiques, les forces adverses, la situation civilo-militaire et la situation de l'infosphère, avant de passer à l'analyse de la mission.

Nous allons faire ce travail de façon ouverte et progressive, en ajoutant progressivement au tableau ci-dessous nos analyses d'abord de l'arrière-plan stratégique. Je vais initier la démarche avec un élément, puis nous verrons ensuite comment le tableau va se remplir ; nombre d'éléments ont déjà été discutés, mais il faut maintenant en tirer la substantifique moëlle, si j'ose dire !

Enoncé Déduction Conséquence
Le peuple iranien reste très marqué par son histoire perse. Il en tire une fierté nationale et une identité solidement affirmées, qui favorisent les projets allant vers l'accroissement de la puissance et de l'influence iraniennes, dont le programme nucléaire fait partie. Toute action létale menée à l'encontre du programme nucléaire, comme à celle d'autres éléments susceptibles d'être érigés en symboles nationaux, court le risque de provoquer l'opposition majoritaire de la population iranienne à tous les objectifs de l'opération. Les effets exercés sur les sites nucléaires doivent être réversibles en l'espace de quelques semaines dès la fin de l'opération, et la population iranienne doit être persuadée de l'interdépendance entre la poursuite d'activités nucléaires et le changement de régime.
Le régime de la république islamiste est un système autoritaire en place depuis plus de 20 ans, qui a dans un premier temps bénéficié de la guerre contre l'Irak comme élément de cohésion interne. Depuis la fin de ce conflit particulièrement meurtrier et la disparition du leader historique, des tentatives de "réformes et d'ouvertures politiques" laissent présumer une impatience croissante d'une population jeune face au rigorisme de l'islam chiite imposé par le pouvoir. L'assise populaire du régime s'étiole peu à peu. Une partie importante de la population et des forces armées régulières est susceptible d'éprouver de la sympathie pour des actions ouvertement menées contre le régime et son principal outil d'oppression. Les mouvements d'oppositions à l'étranger ainsi que leur relais intramuros peuvent fournir les bases d'une action subversive, voire armée, dans le but de renverser le régime au profit d'un système d'inspiration démocratique. Toute opération doit éviter autant que possible les dommages collatéraux dans la population civile afin d'éviter tout sentiment d'agression. Le peuple iranien doit être convaincu que cette intervention n'est pas une action de guerre menée contre lui, mais une opération visant à lui permettre de se défaire de son régime autoritaire. Ce soucis de préservation des populations doit prévaloir pendant toute la durée de l'action.
Le peuple iranien veut-être reconnu parmis les Grands, mais il est conscient que le régime en place ne sera jamais accepté par ce club select ; il aspire également à être mieux relié à l'Occident, à sa modernité et à sa prospérité. La Russie et la Chine appuient le peuple iranien, sans que leur attitude de surface ne soit un blanc-seing au régime des mollahs. Une marge de manœuvre importante existe pour l'Occident en vue de trouver des accords, au niveau international et avec des factions iraniennes. De ce fait, les actions sur le terrain ont le plus de chance d'être acceptées sur les deux plans si elles privilégient des acteurs iraniens, avec des leaders authentiques et reconnus, soutenus par la coalition. Une opération coercitive aura le plus de chance d'être acceptée si elle emploie une « armée de libération iranienne », qui aura la charge d'instruire le peuple sur l'énoncé du programme occidental et sur l'objectif de forger un Iran démocratique comme acteur-clef du nouveau Moyen-Orient (Afghanistan, Irak et Iran).
Israël est un pays et un sujet sensibles au Moyen-Orient et dans le monde, car il divise le monde occidental et peut apparaître comme un ennemi naturel commun à plusieurs pays autour de l'Iran. Le régime iranien peut essayer d'utiliser ce pays comme bras de levier, soit comme facteur de désunion entre alliés, soit comme point de ralliement pour faire basculer des pays. Il peut aussi tenter de provoquer une action israélienne, de façon directe (tir de missiles) ou indirecte (attaque terroriste). Israël ne peut à aucun moment avoir un rôle visible et exposé au public dans le cadre de l'opération. De même, la coalition ne doit à aucun moment laisser Israël se trouver dans une position ou ses intérêts stratégiques sont menacés.
Le régime iranien, et notamment le président Ahmadinejad, sont motivés par une foi mystique axée sur le « retour du douzième imam » et annonciatrice d'une confrontation finale de dimension apocalytique. Cette ambition irrationnelle empêche toute tentative de dissuasion d'avoir le moindre effet durable sur le régime actuel, lequel usera de tous les moyens disponibles pour parvenir à ses fins. Les tenants de cette foi doivent être mis hors d'état de nuire le plus tôt possible dès le déclenchement de l'opération, et la foi elle-même doit être sapée par un mode opératoire aussi indirect et précis que possible, ainsi que par une offensive psychologique préventive.
Plusieurs pays européens, dont en particulier la France, abritent une minorité musulmane qu'une opération militaire coalisée en Iran pourrait enflammer, dont une petite portion soutient déjà le terrorisme en Occident, et qui influencent la politique du pays vis-à -vis du monde arabo-musulman. Les réactions potentielles des minorités musulmanes peuvent déstabiliser certains Etats européens au point de les contraindre à une neutralité, voire à une opposition larvée, face à la coalition exécutant une opération militaire contre l'Iran. La composition de la coalition et le déroulement de l'opération doivent limiter au maximum l'interprétation anti-musulmane de l'action, notamment en intégrant des nations de confession islamique comme membres actifs ou passifs de la coalition.
Le régime iranien pratique le chantage sur une base régulière, et n'hésite pas à menacer de maux infernaux dans le cadre de négociations, en faisant des allusions à la capacité nucléaire et/ou à des attentats terroristes. Confronté à l'imminence croissante d'une opération militaire coalisée, ce régime va probablement pratiquer le chantage au détriment de la population et des infrastructures du pays par une généralisation des sabotages et des boucliers humains. Dès le déclenchement de l'opération, les représailles doivent être prévenues par une neutralisation des réseaux et systèmes de commandement, par la capture et/ou la protection des objets d'importance nationale, et le cas échéant être documentées de manière à confondre publiquement leurs auteurs.

A vous de continuer à contribuer à la chose !

COMPLEMENT I (9.1 1700) : Trois contributions ont été intégrées au tableau ci-dessous, qui commence à fournir des orientations très intéressantes. Dans les conséquences, on discerne en effet des limitations et des servitudes qui réduisent le champ des possibles et esquissent une opération complexe et subtile. Continuons donc sur cette lancée...

COMPLEMENT II (13.1 2035) : Trois nouvelles contributions ont été ajoutées au tableau. La planification va se poursuivre sur d'autres thèmes, mais les facteurs n'en sont pas pour autant épuisés, et peuvent sans autre être complétés en parallèle aux étapes suivantes.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h12 | Comments (27) | TrackBack

7 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (3)

Ce qui est difficile à représenter ici, c'est que dans une vraie planification les travaux se font en parallèle et que des briefings rassemblent régulièrement les planificateurs pour synchroniser leurs activités, fournir de nouvelles informations ou donner des directives adaptées. Jusqu'ici, à l'initiative du soussigné, on s'est focalisé sur le concept opératif (traduction de operational design), qui fournit la vue d'ensemble de l'opération. Il s'agit de faire un troisième pas dans cet élément, puis ensuite de passer à des activités plus analytiques que conceptuelles, pour y revenir avec l'articulation des tâches en fonction des points décisifs. C'est donc un processus itératif : on peut revenir sur certaines choses décidées ou acceptées si l'on se rend compte qu'en fait elles ne conviennent pas.

Cette troisième étape consiste à déterminer les centres de gravité. Dans le cas de l'Iran, les discussions déjà menées concourent largement à préciser les vues en la matière, mais il faut néanmoins s'interroger. Quel est le pivot de la puissance iranienne qu'il s'agit absolument de faire basculer si nous voulons à la fois stopper le programme nucléaire, neutraliser le régime des mollahs et favoriser un changement de ce régime ? Quelle chose, matérielle ou non, s'oppose à ces effets à la fois physiques, psychologiques et éthiques que notre opération doit déployer pour atteindre ses objectifs ? Quelle partie de l'Iran est décisive pour l'atteinte de ses objectifs probables, dont les plus importants sont l'acquisition de l'arme nucléaire et le contrôle intégral du pouvoir ?

A mon sens, le point de convergence entre la protection du programme nucléaire, le pouvoir du régime actuel et son contrôle de la population est certainement sa capacité sécuritaire, répressive, dissuasive et manipulatrice. C'est la force de tout système autocratique que de viser au monopole des armes et de l'information, mais aussi sa vulnérabilité face à une action militaire extérieure. Par conséquent, si ces réflexions sont correctes, le centre de gravité « rouge » devrait être la capacité du régime à protéger, à réprimer et à rassembler. En termes plus généraux, on pourrait parler de crédibilité ou même de pérennité perçue du régime ; en termes plus pratiques, tels qu'on les utilise au niveau opératif, on pourrait parler de l'appareil sécuritaire et répressif du régime.

Concernant le centre de gravité de la coalition, je propose en préambule de retenir une coalition dirigée par les Etats-Unis et centrée autour de leurs moyens. Cela ne signifie pas qu'Israël n'est pas capable de monter une opération contre l'Iran, bien au contraire, mais je ne pense pas que celle-ci puisse avoir à terme les mêmes effets sur la pérennité du régime, et donc sur l'opinion de la population iranienne. A l'inverse, comme l'a montré le cas de l'Irak, les Etats-Unis ont la capacité et la volonté de s'engager pour une certaine durée dans une opération complexe, visant non seulement à détruire ou à neutraliser, mais aussi et surtout à transformer une société entière et à diffuser des idées précises. Si l'Iran est perçu comme un danger suffisamment aigu, les Américains seront déterminés à s'engager seuls s'il le faut.

Dans ces conditions, quel est le pivot de leur puissance ? Qu'est-ce qui peut le plus vite stopper, voire même entraver préventivement une opération contre l'Iran ? Je pense que le centre de gravité « bleu », comme bien souvent dans une nation démocratique, n'est autre que le soutien de la population américaine pour l'opération. Un conflit contre l'Iran sur fond d'ogives nucléaires, d'appels à la mort du « Grand Satan » et de vision conquérante pour l'islam devrait dépasser le cadre partisan des Etats-Unis et fonder un consensus plus aisément que l'offensive délibérée contre l'Irak. Raison pour laquelle c'est à mon sens le soutien à l'opération, et non à l'administration en place, qui serait décisif.

Voilà donc deux centres de gravité à discuter. Pour préparer les étapes suivantes, qui se focaliseront sur l'aspect analytique de la planification, je conseille de suivre cette discussion très intéressante sur le blog de Chester, ainsi que ce site rassemblant une grande quantité d'informations, même si leur fiabilité doit certainement être évaluée au cas par cas.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h18 | Comments (15) | TrackBack

5 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (2)

Au vu des commentaires émis et des corrections apportées, je pars du principe que l'état final militaire stratégique proposé répond largement aux besoins. Il est donc temps de passer la définition des objectifs, c'est-à -dire les buts généraux qui devront être atteints par la force coalisée au terme de sa campagne en fonction des forces adverses et de secteurs ou d'activités d'importance stratégique. Je précise que la démarche sera une simplification de la procédure usuelle, dans la mesure où nous ne simulons pas les interactions entre l'échelon politique et le commandement militaire qui ne manqueraient d'avoir lieu au début de la planification. Cela ne devrait pas nous empêcher d'aller à l'essentiel.

En fixant les objectifs pour une opération visant à aboutir à l'état final recherché, nous devons déterminer trois catégories d'acteurs : les ennemis certains, qui devront être d'emblée soumis à des effets décisifs ; les adversaires potentiels, qui devront être traités de manière à ne pas devenir des ennemis ; et les opposants probables, qui ne devront pas pouvoir influencer le déroulement de l'opération. Bien entendu, dans la réalité, il faudrait prendre un spectre plus large d'acteurs et considérer les neutres avérés, les amis potentiels et les alliés effectifs. Mais cette dimension pose un problème de complexité et de légitimité au niveau opératif, comme l'OTAN l'expérimente en Afghanistan (faire du Président Karzai une cible inscrite dans la Joint Effects List est pour le moins délicat!).

Il s'agit donc d'en rester au plus simple. Les 3 catégories à risque, à mon sens, comprennent dans le cas présent les acteurs suivants :

Ennemis certains : le régime iranien, avec son gouvernement officiel, ses hautes autorités religieuses et son appareil sécuritaire répressif ; en deuxième ligne, les alliés du régime, soit les groupes terroristes Hezbollah et Hamas, ainsi que certaines factions en Irak (milice sadriste) et en Afghanistan (Hekmatyar) ; en troisième ligne, la mouvance islamiste en général.

Adversaires potentiels : les forces armées régulières iraniennes, la population iranienne ; en deuxième ligne, la Syrie, la Russie, la Chine ; en troisième ligne, le monde arabo-musulman en général.

Opposants probables : l'Organisation des Nations Unies et ses agences (notamment l'AIEA), une partie de l'Union européenne, les médias internationaux, les ONG d'obédience pacifiste (Greenpeace, etc.).

Cette articulation doit naturellement être discutée, adaptée, complétée - comme lors de l'étape précédente. En fonction de cela, les objectifs principaux de l'opération devraient donc être les suivants :

  1. Stopper avec un minimum de dommages collatéraux le programme nucléaire militaire iranien ;
  2. Neutraliser avec un minimum de force les vecteurs potentiels d'armes de destruction massive;
  3. Réduire à son minimum la capacité décisionnelle du régime iranien ;
  4. Détruire et/ou neutraliser l'appareil sécuritaire répressif du régime iranien ;
  5. Empêcher les forces armées iraniennes de contrer les actions de la coalition ;
  6. Créer des conditions favorables pour un changement de régime en Iran avec un minimum de violence ;
  7. Dissuader les pays de la région et leurs alliés d'entreprendre des actions coercitives contre la coalition ;
  8. Empêcher des acteurs non étatiques d'entraver les activités de la coalition, dans et hors du théâtre d'opérations ;
  9. Conserver en permanence une capacité de réaction rapide dans tout le théâtre d'opérations.

Voilà donc un premier jet. Il n'y pas de priorité affichée dans ces objectifs, même si certains ont davantage d'importance ou de complexité que d'autres ; cette liste constitue cependant un ensemble de critères pour mesurer le succès de l'opération. Les priorités vont devoir être cernées lors de la détermination des centres de gravité.

On notera que je n'ai pas encore listé les objectifs probables du régime de Téhéran. Il faudra pourtant bien s'intéresser également à ceux-ci, même si le fait que l'initiative soit en mains de la coalition imaginée réduit leur importance.

COMPLEMENT I (6.1 2015) : Voici mes premières réflexions sur ces objectifs probables. Là encore, aucune priorité n'est donnée, même si l'on voit bien que tous ne sont pas articulés dans le temps de la même manière :

  1. Acquérir au plus vite une capacité de frappe nucléaire à moyenne portée ;
  2. Conserver un contrôle total sur les leviers politiques, économiques, religieux et militaires du pouvoir ;
  3. Dissuader toute action armée visant le programme nucléaire et/ou le pouvoir ;
  4. Rassembler la population autour du régime face aux ennemis extérieurs ;
  5. Renforcer les alliances et coopérations actuelles au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Pour en revenir aux objectifs de la coalition, je ne pense pas que leur nombre soit en soi un problème : une opération de cette complexité doit au contraire intégrer dès que possible toute la diversité des effets à déployer. Maintenant, ce qu'il nous reste à faire pour passer à la prochaine étape, c'est de réfléchir à ces différents objectifs pour en déduire les centres de gravité. Quel est le pivot de la puissance de l'entité "Iran", quel élément doit être pris, neutralisé ou détruit pour parvenir à la décision ? Quel doit être en définitive le point focalisant l'essentiel des énergies déployées par la coalition ? J'attends avec intérêt vos réflexions à ce sujet.

A ce stade de la réflexion, il est nécessaire de définir plus précisément cette coalition ; sans cela, impossible d'en identifier le centre de gravité. Je propose pour l'heure deux variantes : la première, et la plus probable, consisterait en une coalition menée par les Etats-Unis avec des forces réduites fournies par la Grande-Bretagne et l'Australie, plus quelques apports symboliques de l'Union européenne, ainsi que des appuis fournis par la Turquie, l'Irak, l'Afghanistan, plusieurs petits pays du Golfe et Israël ; la deuxième, moins probable mais qu'il serait faux d'écarter, consisterait en une coalition dissimulée, avec des forces en apparence exclusivement israéliennes, mais avec des appuis solides fournis par les Etats-Unis, et dans une bien moindre mesure la Turquie et la Grande-Bretagne.

La détermination des centres de gravité est toujours la phase la plus difficile de toute planification opérative, et celle qui donne lieu aux discussions les plus disputées. C'est uniquement ensuite que nous pourrons commencer à décrire les tâches devant être accomplies, avec leur articulation dans le temps et dans l'espace.

Une réflexion très pertinente et didactique sur la notion de centre de gravité peut être trouvée ici.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h45 | Comments (77) | TrackBack

Israël : vers l'inconnu

La dégradation soudaine de l'état de santé d'Ariel Sharon est bien entendu un événement de première importance pour l'évolution du Moyen-Orient. Son retrait forcé de la vie politique, voire naturellement son décès, représenteraient une plongée dans l'inconnu. Non seulement sur le plan de la politique intérieure, comme le montre cette remarquable analyse des opinions et des partis, mais également en vue du conflit israélo-palestinien. Les premières réactions venues du camp palestinien montrent d'ailleurs que l'expectative les touche aussi. En presque 5 ans, Sharon est parvenu à s'emparer de l'initiative et à influencer le cours des événements comme bien peu d'hommes politiques avant lui.

Est-ce que sa stratégie va lui survivre, ce piège de la liberté dans lequel les Palestiniens ne cessent de s'enfoncer en suscitant l'inquiétude croissante des autres pays voisins ? Le retrait de Gaza aurait dû être suivi par d'autres retraits en Cisjordanie, non pas en application d'une feuille de route en laquelle Sharon ne croyait pas, mais bien parce que cette manière de se soustraire aux attaques physiques et éthiques des Palestiniens aurait encore davantage amené ceux-ci à subir leur propre violence. Or cette politique risquée mais efficace, consistant à imposer la paix en supprimant les raisons et en neutralisant les moyens de faire la guerre, n'a pu être mise en oeuvre que par la confiance du public israélien. Une confiance que Sharon a gagnée par des mesures sécuritaires drastiques, comprenant la construction d'une barrière de sécurité, l'élimination systématique de leaders terroristes et même des offensives de grande envergure.

Il est donc fort possible que la disparition du Premier ministre israélien aboutisse à une perte d'initiative stratégique, au moins jusqu'aux élections, et peut-être au-delà si son intention politique et son nouveau parti ne lui survivent pas ou ne s'imposent pas. Une coalition de centre-gauche, davantage en mesure de rassembler une majorité des votes, n'aurait pas la même clarté de vues que celle démontrée par Sharon ces dernières années. Elle risquerait également d'être davantage sensible aux pressions internationales, aux appels renouvelés à un "processus de paix" qui n'a jamais existé que dans l'esprit idéaliste des élites occidentalisées et qui nie les intérêts massivement contradictoires dans la région. Disqualifiées pour leur silence et leur aveuglement quant aux victimes israéliennes du terrorisme palestinien, les "belles âmes" réussiront-elles à reprendre une partie de leur influence ? Je ne doute pas de leur volonté d'essayer. De parler d'une "nouvelle ère", d'une "chance pour la paix".

Paradoxalement, la vraie chance des Israéliens pourrait leur être servie sur un plateau par les Palestiniens. Si ceux-ci ont l'occasion de voter prochainement, la probabilité de voir le groupe terroriste Hamas remporter une grande partie des suffrages aurait le mérite de lever tout doute, en Israël surtout, sur la possibilité d'une paix négociée. Etre condamné à vivre près de quelqu'un qui souhaite votre mort de toutes ses forces est la meilleure manière de rester aux aguets, de ne pas baisser la garde. Les appels à la libération de leaders palestiniens deviendront ce qu'ils sont, c'est-à -dire des illusions dépassées, et le conflit se poursuivra selon sa modalité actuelle avec des contrastes toujours plus visibles - chaos contre ordre, barbarie contre proportionnalité, fanatisme contre professionnalisme, et islamisme contre modernité. Dans ce sens, Ariel Sharon aura suffisamment influencé les événements et les représentations pour que sa disparition ne puisse pas aboutir à un retour en arrière.

COMPLEMENT I (5.1 2000) : A lire également cette analyse de l'ESISC sur les perspectives politiques en Israël, qui complète celle mise en lien ci-dessus.

COMPLEMENT II (7.1 1050) : La tentative de reprise en main se précise avec la comparaison Arafat - Sharon, faite par exemple ce matin dans 24 Heures, avec le sous-entendu que les deux étaient un obstacle à la paix. Un bon exemple d'idéologie prenant le pas sur la réalité.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h15 | Comments (34) | TrackBack

4 janvier 2006

Iran : planification d'emploi (1)

Bien ! Comme annoncé hier, nous allons entamer aujourd'hui cette expérience de planification participative en source ouverte. Le produit final de cette démarche, après quelques semaines, devrait être une idée de manœuvre relativement précise sur les effets, les moyens et le déroulement d'une opération militaire en Iran ; cela permettra de mieux comprendre les enjeux de l'un des principaux points chauds de la planète, ainsi que les possibilités d'action des principaux acteurs impliqués. Il va de soi que cette démarche est purement didactique et ne vise en aucun cas à fournir un soutien à l'un ou l'autre des belligérants potentiels, lesquels devront tous être considérés avec la même distance analytique.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques mots sont nécessaires sur le cadre de la planification. Si les actions de coercition armée sont fort logiquement un ultime recours en mains des gouvernements démocratiques, leur planification constitue en revanche une activité permanente des états-majors - nationaux du moins - sans que cela préjuge de leur occurrence. On parle généralement d'études de cas pour désigner le processus, et de planification prévisionnelle (traduction helvétique de contingency planning) si l'on entend en tirer au moins un concept d'opérations sommaire. C'est donc dans cette perspective purement militaire, sans préjugé politique, que j'inscris cette expérience.

C'est pourtant bien par le niveau stratégique qu'il faut commencer notre réflexion. En partant du principe que l'acquisition par un régime islamiste iranien de l'arme nucléaire et des missiles pour l'engager doit être empêchée, les moyens pour le faire dépassent bien entendu le cadre de l'action armée. Pourtant, dans la mesure où la diplomatie s'agite en vain depuis des années, et comme des actions dans le domaine économique ou informationnel ne peuvent avoir rapidement l'effet recherché, c'est bien un emploi de la force à relativement brève échéance qui doit être considéré. Ne parlons pas encore de qui emploie cette force ; cela viendra plus tard, même si je n'ai pas caché mon idée de l'intervention d'une coalition conduite par les Etats-Unis.

La première étape consiste à définir l'état final militaire stratégique attendu de l'opération, c'est-à -dire la situation qui devra être obtenue au terme de son exécution. La discussion libre qui s'est effectuée hier prend ici tout son sens, car il s'agit maintenant de définir les effets recherchés avec l'action militaire. Veut-on simplement employer la force pour gagner du temps, augmenter la pression sur le régime de Téhéran, tenter de favoriser son renversement ou carrément envahir le pays pour y parvenir ? Répondre à cette question implique de connaître également l'état final recherché par ceux qui dirigent actuellement l'Iran. Les deux états finaux font donc partie de cette première étape.

Il paraît plus simple de définir l'état final recherché par les mollahs. L'arme nucléaire constitue dans leur esprit aussi bien une assurance-vie pour leur régime qu'une manière de contrer l'évolution actuelle du Moyen-Orient, notamment sous l'influence démocratique imposée par les Etats-Unis. De ce fait, ils devraient logiquement escompter le maintien de la situation intérieure, en termes d'intégrité territoriale et de pouvoir politique, ainsi qu'obtenir une augmentation de l'influence extérieure par la production de plusieurs ogives nucléaires et des vecteurs qui en font une arme, tout en conservant leurs relations économiques actuelles. Un état final stratégique qui est bien parti pour être atteint.

La vraie question à trancher d'emblée reste donc le rôle de l'action capable d'empêcher cela. Une opération avant tout aérienne visant à ralentir le programme nucléaire, et donc focalisée sur les seules capacités, reviendrait à accepter une grande part des risques pour un effet somme toute limité et incertain. A l'inverse, une invasion terrestre en règle de l'Iran sur le mode irakien se heurte à des problèmes de faisabilité matérielle qui, à eux seuls, réduisent l'intérêt d'une telle option. On peut donc estimer que l'opération souhaitée et possible doit se situer entre ces deux extrémités du spectre opérationnel. Il faut déployer des effets matériels et immatériels durables, susceptibles d'avoir un impact sur la société iranienne.

Voici donc ma proposition initiale d'état final militaire stratégique :

La formulation, soigneusement soupesée, a été pensée de manière à laisser ouvert un vaste éventail de variantes, tout en fixant déjà un cadre général assez précis pour l'action. Naturellement, plusieurs pistes possibles me sont venues à l'esprit et sont compatibles avec cet état final, mais je me suis gardé d'en tenir compte. L'ensemble doit maintenant être évalué, discuté, contesté, complété ou amélioré...

COMPLEMENT I (4.1 2110) : L'état final ci-dessus sera modifié en fonction de plusieurs remarques très pertinentes émises ci-dessous. En attendant, je recommande la lecture de cet article, qui fournit un aperçu très intéressant de l'état d'esprit de la population iranienne. Si une opération militaire doit être menée en Iran, elle doit être comprise par cette population...

COMPLEMENT II (5.1 1030) : Après 24 heures de discussions et de commentaires, nous pouvons aller de l'avant. En premier lieu, une version adaptée de l'état final militaire stratégique peut être proposée (les changements sont en italique) :

Remplacer le mot "gouvernement" par celui de "régime" élargit la perspective et permet d'intégrer sous cette ligne l'appareil répressif de Téhéran ; préciser "contre la coalition" pour les représailles évite une certaine confusion. Remplacer pays "voisins" par ceux de la région prend mieux en compte les influences et interactions d'une telle opération. Enfin, la dernière ligne clarifie la situation des propres forces au terme de l'opération, sans rendre nécessaire une quelconque occupation - mais sans non plus l'exclure.

La prochaine étape consiste à déduire de cet état final militaire stratégique les principaux objectifs de l'opération. Je m'y attelle dès que j'en ai le temps... :)

COMPLEMENT III (5.1 1525) : Suite notamment à une remarque de Winkelried, j'ai retranché deux postulats de l'état final afin de ne pas anticiper une possible réaction et de vraiment se focaliser l'objectif final. J'ai également corrigé la première phrase, afin de laisser davantage de liberté de manoeuvre par la suite. Voici donc la troisième version :

Posted by Ludovic Monnerat at 9h21 | Comments (78) | TrackBack

3 janvier 2006

Iran : le point de non retour

Est-ce que l'année 2006 verra une action militaire être entreprise contre le régime de Téhéran et son programme nucléaire ? C'est une question à laquelle il est bien difficile de répondre, mais la probabilité d'une telle action a certainement augmenté ces derniers mois. Les informations publiées dans la presse allemande sur les préparatifs initiaux des Etats-Unis sont des indices dignes d'intérêt. Les appels à l'action se font également plus nombreux, en réponse aux déclarations génocidaires et révisionnistes du Président iranien, même si celles-ci sont encore présentées comme des "dérapages" ou des "provocations" dans une partie des médias. Le spectre d'un régime fanatique et belliciste, doté de l'arme nucléaire et des vecteurs pour l'employer, commence un peu trop à évoquer les pires régimes totalitaires du siècle dernier. Et s'il ne faut guère compter sur une action coercitive de la part de l'Union européenne, les Etats-Unis ne vont probablement pas esquiver leurs responsabilités dans la région et se laisser déborder par une opération israélienne.

Le point de non retour est-il atteint ? Sans doute pas en termes de capacités, mais certainement en termes de volontés. A moins d'un événement spectaculaire en Iran qui aurait des conséquences immédiates sur la politique intérieure, la bombe islamiste chiite sera une réalité ; elle se rapproche chaque jour un peu plus de sa concrétisation, après les années de négociations vides de contenu que le régime des mollahs a menées avec l'impuissante troïka européenne. Mais l'aveuglement dont font encore preuve une grande partie des dirigeants occidentaux a un prix tellement exorbitant que les premiers concernés ne seront pas prêts à le payer. Devant l'inefficacité ou la lenteur des pressions politiques, des armes économiques ou des influences sémantiques, seule l'action armée offre encore une possibilité de retarder l'avènement d'une nouvelle puissance nucléaire.

Il reste à savoir quelle forme peut prendre cette action. Voilà déjà un certain temps que les options militaires face à l'Iran sont discutées aux Etats-Unis, mais les développements survenus ces derniers mois ont sans doute clarifié plusieurs aspects du problème. Pour entrer vraiment dans celui-ci, je propose aux lecteurs et contributeurs de ce carnet de me suivre dans une démarche innovatrice : une planification participative en source ouverte. Il s'agit d'une expérience à laquelle je songe depuis belle lurette, et que la technologie actuelle, combinée au réseau informel généré par ce site, permet désormais de mener. Mon idée est la suivante : afin de mieux appréhender les possibilités et les servitudes d'une action militaire américaine en Iran, essayons d'effectuer ensemble une planification opérative et ainsi de prendre un brin d'avance sur l'actualité. A priori, ma formation militaire doit me permettre en quelque sorte de conduire les réflexions et de parvenir à reproduire, certes de façon très simplifiée, les préparatifs qui n'ont pas manqué d'être entrepris au Central Command.

Naturellement, mon intention n'est pas de former à travers le web un groupe de planification opératif interforces (traduction suisse de Joint Operational Planning Group), en confiant à différents intervenants les fonctions usuelles d'une telle structure (renseignement, opérations, logistique, etc.) ; ce serait aller un peu vite en besogne. En revanche, il devrait être possible de mettre à contribution comme groupe d'experts le lectorat de ce carnet, et ainsi de franchir ensemble les différentes étapes conceptuelles de la planification opérative. L'objectif étant de parvenir en quelques semaines à une idée de manoeuvre claire, à une répartition dans l'espace et dans le temps d'effets précis, avec une indication des forces et des appuis nécessaires. Est-ce que cela vous tente ? Ne manquez pas de me le faire savoir. De toute manière, pour mes propres préparatifs, j'ai l'intention ces prochaines semaines d'effectuer cette démarche. On ne peut que bénéficier d'un échange ouvert à ce sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h54 | Comments (75)

2 janvier 2006

Le piège de la liberté

Ces derniers jours, les informations en provenance de Palestine ont souligné la dégradation continue de la situation dans la bande de Gaza et la détérioration de la réputation palestinienne auprès des audiences internationales. L'augmentation des rapts d'expatriés occidentaux, la destruction d'un bar privé des Nations Unies, l'occupation de bâtiments publics par des hommes en armes, la mise en fuite d'observateurs européens à la frontière avec l'Egypte notamment ont souligné le chaos qui règne à Gaza ; les menaces sur la tenue des élections, la fin unilatérale de la trêve annoncée par les groupes terroristes, le soutien affiché aux appels iraniens à l'éradication d'Israël, et plus encore le soutien majoritaire aux attentats terroristes en Occident ainsi qu'à l'adoption d'un régime de type islamiste heurtent de plein fouet les perceptions que les Palestiniens ont réussi à imposer au fil des ans. On est très loin des louanges tressées par les médias occidentaux voici presque une année, après l'élection présidentielle.

La situation est diamétralement opposée du côté israélien, où les fruits de la victoire obtenue lors de la deuxième Intifada palestinienne ont été engrangés : l'économie a connu en 2005 une année faste, avec une croissance du PIB de 5,2%, une augmentation de la consommation de 3,3% et un volume record d'investissements étrangers. Le Gouvernement Sharon a réussi à trouver un compromis efficace entre la neutralisation de la menace terroriste et la maîtrise des propres actions armées, ce qui lui a permis de repousser le prix de la victoire, à savoir la démobilisation des Israéliens. L'élément central de ce compromis a été l'amputation stratégique opérée avec le retrait de Gaza, dont le déroulement impeccable a préservé la majorité nationale autour de la conduite de la guerre, mais aussi réduit la légitimité des Palestiniens à combattre alors même que la construction de la barrière de sécurité réduisait déjà leur capacité.

Ceux-ci sont donc tombés dans le piège de la liberté : largement privés d'ennemi faute de possibilité de l'atteindre, renvoyés à eux-mêmes par une autonomie réelle et placés sous l'oeil critique de la communauté internationale, les Palestiniens se sont divisés et ont perdu le contrôle de leurs actions comme de leurs messages. La manoeuvre des Israéliens, par une soustraction progressive du conflit, à amené la violence générée par la société palestinienne à se retourner contre elle-même. Désormais s'impose de plus en plus l'image d'une population tellement fanatisée et belliciste que lui accorder un Etat reviendrait à créer une menace plus grande encore, à sanctifier une gigantesque fabrique à monstres. En d'autres termes, les Israéliens sont en bonne voie de parvenir à une normalisation internationale partielle en démontrant qu'ils s'opposent à la fois à un chaos meurtrier et à un terrorisme islamiste. L'intention affichée par Ariel Sharon de poursuivre les retraits, en plus de son fondement démographique, vise certainement à cette normalisation.

La question est de savoir combien de temps il faudra à la communauté internationale pour changer de perception à l'endroit des Palestiniens. Jusqu'ici, elle avait fait preuve d'une tolérance exceptionnelle à leur endroit, marginalisant les manifestations haineuses, l'instrumentalisation des enfants, les manipulations médiatiques ou encore la systématisation du terrorisme en raison de l'occupation des territoires conquis lors de la Guerre des Six Jours. Peut-être l'élément décisif de ce changement sera-t-il la question iranienne...

COMPLEMENT I (2.1 1825) : Il vaut la peine de lire ce billet de Wretchard sur la situation à Gaza. Un chiffre souligne cette privation d'ennemi et ce retournement de la violence dont j'ai parlé ci-dessus : le pourcentage de Palestiniens tués par balles à Gaza par d'autres Palestiniens est passé de 5% en 2004 à 51% en 2005 ; le rapport dont est tiré ce chiffre fournit d'autres éléments allant dans ce sens.

COMPLEMENT II (3.1 1100) : La tenue des élections le 25 janvier est officiellement remise en question par Mahmoud Abbas, qui invoque la question des votes à Jérusalem pour ce faire. Pourtant, le groupe terroriste Hamas tient au maintien des élections à la date prévue, tant il est sûr de recevoir de nombreux suffrages ; le succès électoral d'une organisation appelant à la destruction d'Israël aura son importance dans l'évolution des perceptions à l'étranger. Quant aux Israéliens, ils ont hier éliminé un leader du Djihad islamique dans une frappe air-sol au nord de la bande de Gaza. Preuve que la contrebande de missiles sol-air n'a pas encore d'effet.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h03 | Comments (11)

1 janvier 2006

L'apparence de l'indépendance

Les médias européens ont salué sans surprise le lancement dans l'espace d'un démonstrateur pour le système de positionnement par satellite Galileo ; tout comme lors du premier vol de l'Airbus A380, la prouesse technologique a cependant été mise au second plan par une perspective opposée à l'Amérique, avec l'indépendance stratégique que Galileo recherche vis-à -vis des Etats-Unis et du GPS. Et comme une recherche sur Google News permet de constater l'uniformité saisissante des médias francophones traditionnels, il convient de recourir aux blogs pour avoir un avis critique sur ce programme dont le coût est pour l'heure estimé à 3,8 milliards d'euros, notamment ce billet sur EU Referendum (en anglais) et ce texte de Stéphane sur son Meilleur des Mondes. Tous deux soulignent la dimension avant tout politique de la chose, mais ce dernier en tire une déduction d'ampleur stratégique :

Qu'est-ce qui peut pousser l'Union Européenne à dépenser plus de trois milliards d'euros pour créer à double un service qu'un allié géopolitique propose gratuitement? Je ne vois qu'une seule réponse: l'Union Européenne prévoit à moyen terme de ne plus être alliée avec les Etats-Unis. Au point de se fâcher suffisamment avec eux pour risquer de ne plus bénéficier de leur service de positionnement par satellite. Et de prendre les devants une dizaine d'années à l'avance pour ne pas souffrir de désagréments lorsque ce sera le cas.

Cette notion d'indépendance mérite à mon sens d'être examinée de plus près. Tout d'abord, il est bien trop tôt pour vanter les mérites économiques de Galileo et les 140'000 à 150'000 emplois qu'il devrait créer dans l'UE : peut-être ce grand programme européen sera-t-il un succès commercial indéniable comme Airbus, un outil stratégique sous perfusion comme Arianespace, un compromis coûteux comme Eurofighter ou une vitrine sans large application comme Concorde. Un mauvais augure est la volonté affichée par Bruxelles de se créer un marché captif dans l'UE en imposant le PRS, le signal des satellites Galileo, à être utilisé pour le contrôle du trafic aérien ou du trafic ferroviaire. La création de standards régionaux à l'ère de la globalisation ne paraît pas une solution d'avenir, et comme le remarque judicieusement Richard sur EU Referendum, l'interopérabilité entre signaux PRS et GPS ainsi que la dimension des entreprises modernes favorisent la complémentarité des systèmes, et non leur opposition. En conséquence de quoi on voit mal comment Galileo dispose d'un avantage quelconque sur Navstar, et donc apparaît peu capable de constituer une solution en soi.

Derrière ces applications civiles demeure en effet la dimension stratégique cruciale du positionnement par satellite : son utilisation par les forces armées. Le GPS possède de multiples atouts dans la vie quotidienne et facilite nombre d'activités diverses, mais il a surtout largement contribué à la révolution dans les affaires militaires, comme chaque progrès dans la géolocalisation l'a d'ailleurs fait dans l'histoire (pas de grandes découvertes sans la boussole et l'astrolabe). Aujourd'hui, le GPS est un maillon essentiel des systèmes de commandement digitaux : en fournissant constamment l'emplacement des propres forces, il contribue à une augmentation exponentielle de l'efficacité au combat, comme cela a été démontré en exercices puis en opérations. De plus, la miniaturisation des composants a permis d'intégrer des dispositifs de guidages par GPS dans des bombes, des missiles et des obus afin d'obtenir une précision presque métrique sans les rendre exagérément coûteux.

Or Galileo n'a pas été conçu dans une optique mixte, à la fois civile et militaire, et le désaccord franco-britannique apparaissant sur son usage dans les armées réduit l'intérêt stratégique de ce projet. Le GPS est aujourd'hui utilisé par toutes les institutions militaires européennes, et l'interopérabilité des systèmes de commandement comme des systèmes d'armes - notamment au sein de l'OTAN - assure la poursuite de cette utilisation ; lorsque l'on constate que même le nouveau missile de croisière européen Taurus / Storm Shadow intègre le GPS pour contribuer à sa navigation, on se rend compte que les armées européennes ne vont en aucun cas renoncer à ce système au profit de Galileo, mais bien intégrer ce dernier pour bénéficier de signaux compatibles supplémentaires, susceptibles par redondance et par combinaison d'augmenter l'efficacité et de prévenir la perturbation de leurs actions. A lui seul, Galileo ne va donc pas réduire l'influence américaine - via l'OTAN - sur la conduite des opérations militaires multinationales et sur le développement des forces armées de l'Alliance.

Dès lors que ni les entreprises européennes, ni les armées européennes ne vont faire de Galileo la pierre angulaire de leurs opérations futures, comment peut-on affirmer que ce système va contribuer à l'indépendance de l'Europe ? Cet argument politique ne trouve aucune vérification sur le plan économique ou sur le plan stratégique, et c'est un constat assez alarmant, en ce début d'année, que de voir les médias traditionnels renoncer à toute analyse critique de ce projet coûteux, risqué et redondant. Pour autant, je ne pense pas que Galileo soit inutile : si les entreprises privées qui portent l'essentiel des coûts parviennent à se tailler des parts de marchés suffisantes pour être rentables en la matière, elles vont probablement stimuler le développement des systèmes de positionnement et améliorer leurs performances au-delà des exigences actuelles, largement déterminées par les besoins militaires. Ce qui serait une belle manière de tirer parti d'une décision fondée par un raisonnement périmé et déconnecté de la réalité.

PS : Pour la petite histoire, même l'armée suisse emploie le GPS, notamment pour la conduite des feux d'artillerie ou pour l'orientation des éclaireurs-parachutistes largués à haute altitude. Cependant, elle a également investi dans la navigation inertielle, et ses obusiers blindés modernisés disposent d'un système de positionnement très précis sans utiliser des signaux satellitaires. Ce qui ne suffit pas à proclamer son indépendance.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h41 | Comments (28)

26 décembre 2005

Le terrorisme domestique

Un nouveau « crime d'honneur » a été commis au Pakistan : une jeune femme a été égorgée par son père pour avoir épousé l'homme qu'elle aimait, et ses trois jeunes sœurs ont également été tuées, selon les dires du père pour éviter qu'elles ne comportent de la sorte. Chaque année, des centaines de femmes sont assassinées de manière similaire dans ce pays, et des milliers d'autres sont violées, brutalisées et humiliées lorsque leur comportement ne confine pas à l'obédience absolue envers la gent masculine ou l'autorité paternelle. Un phénomène que l'on retrouve à des degrés divers dans toutes les sociétés et communautés musulmanes à l'échelle de la planète entière, depuis les montagnes pakistanaises jusqu'aux quartiers immigrés allemands en passant par les villages palestiniens.

Voici un mois, j'ai parlé de la chasse à l'Occidental comme mode opératoire potentiel de la mouvance islamiste, en réponse aux démantèlements organisationnels qu'elle a subis ; il convient également de se pencher sur la chasse à l'Occidentalisée comme mode opératoire réel de la culture islamique, en réponse aux comportements individuels s'écartant de ses normes. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'un terrorisme limité, visant à influencer les opinions et les comportements par la multiplication de ses occurrences. Mais si le premier ne constitue qu'une menace intermittente et localisée, comme le montrent les prises d'otages et assassinats commis dans le monde, le second est une menace permanente et généralisée qui se matérialise même sous nos latitudes.

Ecrivons-le en toutes lettres : ce que l'on nomme indûment « crime d'honneur » n'est rien d'autre qu'un terrorisme domestique, plus traditionnel que machiste, destiné à préserver aussi bien des valeurs et des identités que le pouvoir qui en découle. Il s'agit d'une réaction face au souffle libérateur et contestataire émis à la fois de l'extérieur, par la déferlante propre à la culture occidentale, et de l'intérieur, par les aspirations propres aux jeunes gens. Dans ce contexte, le recours au meurtre délibéré et à la violence punitive est l'expression d'un conflit plus large, à la fois identitaire et générationnel, où le rôle des femmes et des jeunes au quotidien - et donc en premier lieu celui des jeunes femmes - est un enjeu décisif pour l'emprise sur les esprits. Un enjeu susceptible de gagner encore en visibilité.

J'en veux pour preuve l'intérêt croissant des médias planétaires pour ces événements tragiques survenus dans les provinces reculées de pays lointains, ainsi que le développement d'associations visant à lutter contre ces crimes ritualisés. Un autre élément intéressant est l'existence d'un service de traduction tel que MEMRI, qui permet de découvrir les contenus véhiculés par les médias moyen-orientaux, et dont le volet consacré à la situation de la femme est assez éloquent. La barbarie des « crimes d'honneur » est une faille, une vulnérabilité béante sur le plan éthique, une légitimation potentielle de toute action coercitive visant à le bannir, ainsi qu'on l'a vu dans les arguments avancés au sujet de l'Afghanistan. Plus on parlera de ces monstruosités et de leurs victimes, plus la société qui les génère sera tenue de s'adapter.

Mais les mots ne suffisent pas. Ce terrorisme domestique se répand uniquement en Occident en raison de la faiblesse et du laxisme que fondent le relativisme culturel et la contestation abusive de l'autorité. Chaque individu a le devoir de respecter les lois de son pays, de résidence et/ou d'adoption, mais il a aussi le droit de choisir librement un mode d'existence qui soit compatible avec ces lois. Accepter la restriction progressive de ces libertés au nom du respect des cultures différentes et de la primauté communautaire est un renoncement à nos valeurs et à nos idées qui en annonce d'autres. Jusqu'au jour où les exigences des communautés en viennent à s'appliquer à la société toute entière et accompagnent l'émergence d'un ennemi intérieur prenant la forme de jeunes hommes prêts à piller, à violer ou même à tuer en toute bonne conscience.

Les droits de la femme dépassent-ils le cadre des droits de l'homme pour être un enjeu civilisationnel ? J'en suis pour ma part convaincu.

COMPLEMENT (28.12 1050) : Je me permets de reproduire ci-dessous un extrait du commentaire d'elf, qui résume très bien l'aveuglement dont nous faisons preuve au sujet de ce terrorisme domestique et de tout ce qui le sous-tend :

Quant aux droits de l'humain, ils ne sont officiellement pas les mêmes pour tous les pays. Les pays arabo-musulmans ont accepté une version édulcorée, avec la bénédiction des pays occidentaux pour des raisons de relativisme culturel. Ils peuvent continuer à pendre les homosexuels pendant que nous les marions, à lapider les femmes adultères pendant que nous apprenons à nos filles qu'elles sont libres de leur corps et peuvent faire tous les métiers de mécanicien à pilote de chasse, à torturer ou lyncher les chrétiens qui leur tombent sous la main pendant que nous enseignons à nos enfants que toutes les religions se valent, à simplifier le monde entre nous et eux pendant que nous bêlons tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Je pense cependant que nous faisons des progrès, lents et incertains, dans la bonne direction. Aujourd'hui, il est possible de discuter certains problèmes posés par des communautés immigrées, en Europe, sans être automatiquement taxé de xénophobie ou de racisme. Cela n'était pas le cas voici 10 ans. Bien des tabous restent encore à abattre, mais ces progrès doivent être soulignés.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h25 | Comments (27)

22 décembre 2005

Le défi de la solidarité

Ces derniers mois, j'ai abordé à plusieurs reprises (ici et ici) le rôle offensif de l'aide humanitaire dans la conquête des cœurs et des esprits - et même des âmes, afin d'intégrer la dimension morale aux dimensions psychologiques et cognitives. J'avais également annoncé, sans prendre de grand risque, que l'engagement militaire américain au Pakistan après le tremblement de terre allait leur valoir des retombées positives. C'est aujourd'hui chose faite, comme tendent à le montrer plusieurs reportages récents, et comme semble le confirmer cet article du Wall Street Journal :

Since then, U.S. helicopters have flown 2,500 sorties, carried 16,000 passengers and delivered nearly 6,000 tons of aid. Just as importantly, the Chinook has become America's new emblem in Pakistan, a byword for salvation in an area where until recently the U.S. was widely and fanatically detested. Toy Chinooks (made in China, of course) are suddenly popular with Pakistani children. A Kashmiri imam who denounced the U.S. in a recent sermon was booed and heckled by worshippers. "Pakistan is not a nation of ingrates," a local businessman told me over dinner the other night. "We know where the help is coming from."

Cette réalité admise, il convient de porter notre attention sur le défi actuel de la solidarité. Une planète chaque année davantage interconnectée, où les zones échappant au regard pénétrant des médias deviennent toujours plus rares, est comme une scène rassemblant de plus en plus de spectateurs : tout le monde entend et voit ce qu'il s'y passe sans être nécessairement mieux placé pour agir. En d'autres termes, la nécessité perçue de l'action augmente de façon découplée avec la capacité réelle d'influer sur la situation. Parfois, l'incitation morale amène ainsi à entreprendre des actions dont on n'imaginait pas être capable ; c'est ce que l'armée suisse a appris en se déployant pour une mission d'aide humanitaire à Sumatra, au point que désormais son secteur d'engagement potentiel se confond au monde entier.

De fait, la solidarité face aux urgences médiatisées est aujourd'hui une obligation, et la non participation à une opération multinationale d'aide humanitaire engendre un coût politique et diplomatique. Même une action d'ampleur limitée, dans une situation catastrophique, peut avoir des effets disproportionnés, impressionner les populations touchées, modifier les perceptions loin à la ronde par un mélange de séduction et de générosité qu'illustre parfaitement l'emploi des hélicoptères de transport militaires au Pakistan comme en Indonésie. Mais la capacité de mener de telles actions, dans des délais compatibles avec les opportunités stratégiques ouvertes par une crise donnée, exige des transformations et des développements majeurs aussi bien au niveau de l'instruction et de l'équipement que de la conduite.

Aider son prochain ne s'improvise pas.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h03 | Comments (4)

21 décembre 2005

La guerre de l'information

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Durant l'exercice « VIKING 05 », j'ai eu la chance de pouvoir occuper une fonction particulièrement intéressante : chef des opérations d'information de la composante terrestre. Les tâches d'un tel poste peuvent être résumées en écrivant qu'il s'agissait pour moi de planifier, de conduire et/ou de coordonner toutes les actions exerçant délibérément un effet sur un processus de décision donné. Plus concrètement, j'ai été amené pendant 7 jours à mener la guerre de l'information dans tout le secteur d'engagement de la force multinationale, puisque la composante terrestre disposait de l'essentiel des capacités de planification et de production en la matière. Ma mission plus spécifique consistait à gagner la bataille pour les cœurs et les esprits.

Les principaux outils organiques pour ce faire étaient les opérations psychologiques (comme élément d'influence) et la guerre électronique (comme élément d'acquisition et de perturbation) ; j'ai également été amené à émettre des directives pour la sécurité opérationnelle, afin notamment de régler le partage des informations avec les partenaires civils, mais les effets physiques étaient logiquement fort limités dans une opération de maintien de la paix, alors que les opérations des réseaux informatiques n'étaient pas intégrées à l'exercice (elles sont bien trop sensibles pour cela). Bien entendu, l'élément le plus important à coordonner était l'information publique, et une coopération étroite avec l'officier responsable de ce domaine a rapidement porté ses fruits.

Au début de l'opération, l'image de la force multinationale n'avait pas encore été établie auprès de la population, et la couverture médiatique était exagérément critique et réactive à notre endroit ; de plus, plusieurs chefs de guerre nous mettaient ouvertement au défi et semblaient se jouer de nos unités. Notre action a donc constitué en premier lieu à déployer des effets touchants les plus grandes audiences-cibles, en diffusant par radio et par tracts des messages-clefs axés sur notre légitimité et nos capacités sécuritaires ; nous avons ainsi élaboré un message journalier suivant de près l'actualité, ainsi qu'un événement du jour mis en évidence à l'attention des médias, et choisi parmi les actions d'appui ou de coercition effectuées au sein de nos brigades.

A la fin de l'exercice, ces actions ont commencé à avoir un effet palpable, dans le sens où le sens de l'opération était clairement connu et reconnu au sein de la population comme des dirigeants principaux de la région. Pourtant, nous avons également décidé de nous en prendre dès que possible aux chefs de guerres et organisations irrégulières qui posaient les risques les plus élevés, notamment en s'attaquant à leur réputation par le biais d'opérations psychologiques directes (une action appelant à la capture des « most wanted warlords ») et indirectes (des actions blâmant l'emploi d'enfants soldats ou le trafic de drogue ; voir ci-dessus à droite). Des produits prometteurs avaient commencé à être distribués ou affichés dans notre secteur.

De ce fait, une partie de notre attention s'est portée sur la recherche de deux types d'information. Nous recherchions des renseignements déclencheurs, c'est-à -dire des preuves d'implication de leaders adverses dans des activités immorales pouvant rapidement être exploitées dans les opérations psychologiques, et des faits déclencheurs, c'est-à -dire des actions effectuées par nos unités pouvant rapidement être exploitées dans l'information publique - les unes comme l'autre venant tout naturellement se compléter sans jamais se confondre. Je ne compte plus le nombre de rapports de situation ou de rapports du renseignement, y compris des interceptions de l'exploration électronique, que j'ai parcourus dans ma quête quotidienne.

Par ce biais, je me suis rendu compte qu'une bataille pour les cœurs et les esprits repose autant sur l'appréhension des tendances que sur l'analyse des situations, et que le caractère incertain et instable des interactions, dans le domaine sémantique, exige au plus haut point des facultés intuitives et créatrices. Bien entendu, il est assez saisissant, lorsque l'on travaille dans un état-major focalisé sur des actions factuelles et mesurables, d'accorder une même valeur à des perceptions par définition émotionnelles et floues. Les machineries militaires ont encore des efforts considérables à produire avant de pleinement intégrer les facteurs de puissance des conflits modernes. Mais se trouver au cœur de cette problématique était un plaisir rare.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h07 | Comments (7)

16 décembre 2005

Le centre d'opérations

LOCDay.jpg

Bien des choses pourraient être dites sur l'exercice multinational auquel je viens de participer. Ces deux semaines alimenteront mes réflexions pendant longtemps, et les 4 « after action reviews » que j'ai remplis hier après-midi, alors que le QG de la composante terrestre était en train d'être démonté, ne sont qu'un premier pas dans cette direction. Il y a cependant un élément que je souhaitais décrire plus en détail : le centre d'opérations terrestres (nommé Land Operations Center, ou LOC, pour le distinguer du MOC et du CAOC ; il est d'ailleurs curieux que ce dernier porte un C pour « combined », soit multinational, alors toute la force l'était). De cet élément dépend en effet, en définitive, le fonctionnement de tout l'état-major ; et la qualité de ses produits comme de ses activités n'a cessé d'aller croissant, pour atteindre un niveau le rendant prêt au déploiement - dixit le mentor de la force.

En temps normal, le LOC comptait environ 20 personnes, rassemblées autour de tables formant un U et derrière lequel se trouvait une autre table, surélevée, pour les officiers dirigeant le centre. Les officiers présents en permanence au LOC fournissaient les compétences spécialisées nécessaires à la conduite des opérations, que ce soit plusieurs domaines de base d'état-major (renseignement, opérations terre, air et mer, logistique et coopération civilo-militaire) ou des branches spécialisées (opérations d'information, police militaire, NBC, protection des forces ou triage). Cette composition assurait l'échange des informations au sein de l'état-major, mais aussi la capacité de produire rapidement des ordres partiels pour réagir à des situations nécessitant une action de la composante terrestre ou une coordination entre les brigades subordonnées.

Le LOC faisait ainsi office de passage obligé : toutes les informations essentielles y parviennent, y sont représentées ou en sont issues. Pour avoir au plus vite une réponse à une question sans faire une recherche sur le réseau, il suffisait ainsi d'aller voir l'officier spécialisé au LOC. De plus, l'officier responsable du centre - le « battle captain » - assurait la cohérence et la coordination au niveau des documents, et notamment des ordres. Le même officier faisait également en sorte que les informations de première importance soient transmises au plus vite : certains événements marquants étaient ainsi annoncés sur les hauts parleurs du QG via le LOC, alors que certains renseignements étaient livrés aux officiers concernés ; ce dernier cas s'est produit à plusieurs reprises pour moi, afin de me permettre d'exploiter au plus vite des informations sur des acteurs adverses.

Une autre fonction du centre consistait à abritait les deux briefings donnés chaque jour au commandant, à 0800 et à 1400, en présence de tous les personnages-clés de l'état-major. Entre 25 et 35 slides étaient présentés par les officiers du LOC ou certains responsables de l'EM pour montrer la situation actuelle, fournir des évaluations ou proposer des actions. Etant donné que l'officier opérations d'information prévu au LOC n'est jamais entré en service, j'avais ainsi à présenter entre 2 à 4 slides à chaque briefing - ce qui est la meilleure manière d'assurer la circulation de l'information la plus large possible. Les intervenants du briefing utilisaient en effet un micro relié aux hauts-parleurs susmentionnés, et les membres de l'EM n'ayant pas accès au LOC à ce moment-là pouvaient suivre le briefing en ouvrant sur leur ordinateur le fichier PowerPoint correspondant.

Au final, la composante terrestre a remarquablement bien fonctionné, et notablement mieux que les autres composantes (l'émulation interarmées a été parfaitement rendue dans l'exercice). Le fonctionnement du LOC y a été pour beaucoup.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h09 | Comments (3)

13 décembre 2005

La simulation des effets

Dans tout exercice d'état-major, l'une des choses les plus difficiles consiste à faire en sorte que les décisions prises par l'état-major exercé soit répercuté dans les événements simulés. La question de savoir comment le tout fonctionne a été posée ci-dessous, et ces quelques lignes ont pour but d'essayer d'y répondre. Et je peux d'autant mieux le faire que nous avons eu aujourd'hui les premiers résultats tangibles de nos actions dans le domaine de l'information depuis vendredi dernier : une diminution frappante du nombre d'incidents ou d'attaques verbales contre nos troupes de la part de la population, avec en parallèle une augmentation des informations fournies sur les groupes irréguliers et leurs activités, ainsi qu'une couverture médiatique davantage favorable et factuelle. Cela fait toujours plaisir !

L'exercice repose sur un logiciel de simulation nommé TYR, qui reproduit les mouvements et les interactions des unités impliquées. Ainsi, les ordres donnés aux unités simulées (certaines brigades simulent des bataillons, d'autres ont des EM de bataillons qui actionnent des compagnies simulées) aboutissent à des opérateurs qui entrent les instructions correspondantes dans le système ; après coup, il est ainsi possible de suivre en temps réel le mouvement des unités grâce à une interface graphique spécifique. Cependant, toutes les actions ne peuvent pas être intégrées par un tel logiciel, en particulier dans mon domaine d'activité. De ce fait, des cellules de réponses sont créées pour simuler ce que les unités feraient, en fournissant manuellement les rapports de situation et autres informations nécessaires.

Mais cela ne suffit pas encore à tout couvrir, et une partie de l'exercice constitue un véritable jeu de rôle grandeur nature. Les médias sont simulés par des étudiants en journalisme, qui participent à des conférences de presse parfois houleuses (les médias de la région sont nationalistes à souhait!) et rédigent des articles sur les événements qui se sont produits ; des séquences télévisées sont également tournées, et elles sont diffusées dans un journal télévisé tous les matins à 0830 (le fichier MPEG est également disponible). De même, la coopération civilo-militaire est jouée avec des rapports de coordination impliquant des représentants d'agences onusiennes et d'ONG (les civils sont d'authentiques membres de ces organisations), alors que les commissions militaires tripartites mettent aux prises nos généraux avec des généraux simulés par des officiers suédois de haut rang - qui, subtilité appréciable, portent comme signe distinctif des vestes de la tenue de camouflage suisse modèle 83! :)

L'environnement de l'exercice est ainsi très réaliste dans plusieurs domaines. Il l'est moins dans d'autres, parce que l'on ne parvient pas obtenir toutes les informations qui devraient être disponibles dans la réalité, parce que les cellules de réponse livrent ce qui figure dans le scénario. Aujourd'hui, en voulant creuser un incident que nous avons décidé de placer en tête de notre couverture médiatique (une unité mécanisée, attaquée par un groupe irrégulier à un checkpoint illégal, a repoussé l'attaque, détruit le checkpoint et infligé des pertes), je me suis vite rendu compte que l'officier opérations du groupement de combat auquel je m'adressais n'en savait pas plus que le document écrit fourni par la direction d'exercice, en provenance de la compagnie (simulée) en question. Ce manque de profondeur est un brin frustrant, mais inévitable.

En revanche, d'autres problèmes sont parfaitement rendus par l'exercice, notamment ceux de communication. Cet après-midi, j'ai tenté d'obtenir des informations auprès de notre 3e brigade multinationale, sous commandement ukrainien, mais l'officier au TOC à Kiev s'exprimait dans un anglais tellement rudimentaire que j'ai finalement dû renoncer à ma demande.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h56 | Comments (3)

12 décembre 2005

Une paix entachée

Les opérations de soutien à la paix - pour reprendre la dénomination OTAN - sont une matière bien trouble à traiter. Durant la cérémonie d'ouverture de l'exercice, je n'ai pas compté le nombre de fois que le mot « paix » ou ses équivalents ont été prononcés, mais j'ai eu l'impression que l'on nous traitait comme de valeureux soldats chargés de préserver la paix et voués à réussir une mission au-dessus de tout dilemme moral ou intellectuel. Dans les faits, la réalité de l'exercice - si j'ose m'exprimer ainsi - est toute autre : en quatre jours d'opérations, notre composante terrestre a eu 17 soldats tués et plus de 100 blessés, pour la plupart suite à l'explosion de mines terrestres, et des combats avec nos troupes ont éclaté ce matin avec un bataillon d'irréguliers adverses. Pour sa part, la composante aérienne a abattu plusieurs avions. En matière de paix, on peut mieux faire.

En fait, comme le scénario le reproduit fidèlement, les autorités politiques légales de la région ont toutes accepté un accord de paix signé sous les auspices de l'ONU (qui perd également du personnel), mais ne se privent pas d'instrumentaliser ou de susciter des groupes armés irréguliers pour continuer les hostilités. Attentats à la voiture piégée, trafics d'armes lourdes et de drogue, endoctrinement d'enfants pour en faire des combattants, prises et meurtres d'otages, menaces d'assassinats contre tout « collaborateur » : les choses que l'on subit sont entièrement en phase avec les conflits déstructurés des zones les plus chaotiques de notre planète. Et tenter de remettre de l'ordre dans tout cela, face à des actes barbares qui ne font somme toute que des perdants dans tous les camps, revient à se lancer dans une entreprise particulièrement amère.

Ce soir, j'ai décidé de lancer une opération psychologique contre un leader local appartenant à une organisation armée pratiquant le trafic d'armes, et suspectée d'entretenir des contacts avec un chef de guerre national dont la fortune est due au trafic de drogue. Demain soir, des affiches portant son visage, son nom et son prénom seront affichées dans sa ville, avec un appel à récompense pour toute information permettant de le capturer en raison des trafics d'armes et de drogues auxquels il est mêlé. Compte tenu du profil clandestin du groupe et de ses membres, et des valeurs propres aux personnages, sa réputation sera sérieusement entachée et des renseignements devraient nous parvenir au sujet de ses activités. Et ce n'est même pas un coup bas, tout au plus une manière de répondre et de reprendre l'initiative sur un terrain peu familier aux militaires.

Que tout cela permette de mener à la paix reste à démontrer. Cela permet déjà d'éviter une reprise des hostilités, ce qui est beaucoup.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h20 | Comments (35)

9 décembre 2005

Les principes de travail

Faire fonctionner un état-major de 120 personnes, avec la responsabilité d'engager 6 unités de manoeuvre directement subordonnées, exige des principes de commandement clairs. La structure de commandement adoptée par la composante terrestre, au niveau supérieur, a ainsi consisté à séparer les fonctions opérationnelles des fonctions coopératives, placées chacune sous la responsabilité des deux colonels épaulant le brigadier commandant la force. Le chef d'état-major, pour sa part, a la responsabilité du personnel engagé, des processus, des flux d'information, et donc de toutes les choses permettant à la machine de fonctionner sur le plan interne. Pour ce faire, le commandant a communiqué 10 principes que chaque membre de l'EM doit appliquer en permanence :

1. Adopter une routine, afin de fournir à des temps fixes les produits nécessaires, sans pour autant sacrifier à la flexibilité.

2. Appuyer les unités subordonnés, au lieu d'adopter un fonctionnement propre déconnecté de la réalité.

3. Donner son opinion de manière franche et directe, et non dire au commandant ce qu'il veut entendre.

4. Voir de l'autre côté de la colline, avoir une perspective à moyen terme (quelques jours au moins).

5. Employer systématique la langue anglaise en présence d'officiers de langue maternelle différente.

6. Rester simple. C'est souvent le plus difficile !

7. Faire preuve de bon sens. Dans l'effet « tunnel » propre à toute activité de ce type, ce n'est guère évident.

8. Les fautes sont acceptées, mais pas une mauvaise attitude.

9. Trouver son rôle dans l'ensemble et le jouer, afin de contribuer au fonctionnement de cette grande machinerie.

10. Prendre du plaisir à l'exercice. Etre joyeux. C'est un ordre !


Ces directives sont très largement appliquées, pour ce que je peux en juger. L'ambiance est ici excellente et la composante terrestre remplit tout à fait sa mission, après la première vraie journée d'exercice. Bien des choses peuvent encore être améliorées, mais elles le seront. Et pour ce qui est de prendre son pied, je ne suis pas le seul à être dans ce cas ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h29 | Comments (4)

8 décembre 2005

Un défi technologique

La grande répétition générale de la première journée de l'exercice s'achève à l'instant. Je n'ai pas vu le temps passer, entre les meetings, les briefings et autres événements aux mêmes consonances, et bien entendu mon bureau, sans lequel je ne sers effectivement pas à grand chose. Tout le monde tire un bilan positif de ces dernières heures, parce qu'elles ont surtout permis de prendre les contacts nécessaires avec les commandemements voisins et les unités subordonnées. La proximité due à l'exercice facilite notablement les choses : il suffit en effet de marcher quelque 20 mètres pour se rendre dans le QG de la composante navale, qui dans la réalité se trouverait en mer, à bord de l'USS Mount Whitney. Idem pour la composante aérienne, située dans le bâtiment voisin, et non dans une autre ville comme dans le scénario de l'exercice.

Cette centralisation est cependant une exception, et les différents participants sont au contraire répartis à l'échelle du continent. Cet après-midi, j'ai ainsi assisté à la première vidéoconférence entre le commandant de la composante terrestre et ses subordonnés directs ; soit la première brigade en Suisse (à Lucerne), la troisième brigade en Ukraine, la quatrième brigade en France, la cinquième brigade en Slovénie, le sixième bataillon en Irlande et le septième groupement de combat (de taille régimentaire) ailleurs en Suède. Les différents commandants pouvaient ainsi se voir et se parler, avec un son de grande qualité et une image assez saccadée, pour échanger leur opinion sur la situation et transmettre certaines demandes précises. Installer et entretenir un tel réseau de communications implique des efforts considérables.

Pour cet exercice, c'est un réseau gigantesque qui d'ailleurs a été mis sur pied. Chaque participant dispose en effet d'un accès personnel à un ensemble de répertoires virtuels dans lequel tous les documents sont disponibles. Il ainsi possible de regarder les documents établis ou obtenus par la cellule rens d'un quelconque commandement pour trouver les informations les plus fraîches. Et comme ce sont en tout quatre niveaux différents qui sont joués dans l'exercice (force de circonstance multinationale interforces, soit CJTF, composante de force, brigade et bataillon), le tout est d'une complexité majeure. Evidemment, le réseau a parfois du mal à répondre aux demandes de ses utilisateurs, même si ces derniers ont l'interdiction d'échanger des fichiers attachés sur l'e-mail interne dont ils disposent (mon adresse actuelle est ainsi [email protected] - il y a plus simple !).

Un tel système est cependant exactement celui qui serait employé lors d'une opération de maintien de la paix comparable dans ses dimensions et entreprise sous la bannière de l'OTAN. Même si la Suède est le pays organisateur et que la majorité des participants sont suédois, ce sont bien les ressources de l'Alliance - et notamment des Etats-Unis - qui ont été mises à contribution. Un point intéressant à relever est la répartition entre nations des personnages-clefs dans le commandement opérationnel de la composante : sur 14 officiers (avec le commandant) prenant part aux rapports tenus au plus haut échelon, on compte ainsi 8 Suédois, 3 Suisses, 1 Français, 1 Autrichien et 1 Américain. En d'autres termes, seuls deux membres de l'OTAN. Ce qui montre les possibilités offertes aux pays qui s'engagent dans le cadre du Partenariat pour la Paix créé voici plus de 10 ans.

Malgré cela, le défi technologique représenté par cet exercice exige une expérience et des moyens que seule possède l'Alliance en Europe.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h49 | Comments (11)

7 décembre 2005

Une machinerie imposante

La journée s'est déroulée à une vitesse phénoménale, et je profite d'un instant de calme dans le QG, en début de soirée, pour écrire quelques impressions. Il faut dire que j'ai hier soir été promu chef des opérations d'information de la composante terrestre, ce qui certes entre dans mes compétences professionnelles, mais m'amène surtout à être l'un des éléments-clefs de l'état-major. Du coup, ma charge de travail est notablement augmentée, puisque je dois maintenant penser l'emploi de toutes les méthodes classiques des opérations d'information (effets physiques, guerre électronique, opérations des réseaux informatiques, opérations psychologiques et sécurité opérationnelle) ainsi que coordonner les éléments connexes et d'appui (renseignement, coopération civilo-militaire, conventions et droit, ainsi que l'information publique). Un défi guère pour me déplaire, bien entendu. Les opportunités ne manquent jamais de se présenter à moi ! :)

Ce d'autant que les opérations d'information jouent un rôle essentiel dans toute opération militaire de basse intensité. Le centre de gravité de la BFOR, la force multinationale dont nous représentons la composante terrestre, n'est en effet autre que le soutien de la population locale et la légitimité de notre présence sur le sol de la République de Bogaland. Et les médias du coin, 9 jours après le début de notre déploiement, commencent à prendre un ton critique et péjoratif à notre endroit. Autrement dit, c'est par l'influence des perceptions et la fédération des volontés que l'on parviendra à éviter une décrédibilisation complète et l'échec rapide de la mission. Toutes choses qui impliquent une focalisation coordonnée des effets projetés à l'intérieur comme à l'extérieur du théâtre d'opérations. Dissuader les ennemis (nous en avons, le scénario le dit), séduire les hésitants et encourager les amis : vaste programme !

Le rythme des activités est réglé par les rapports à fournir ou à recevoir, par les briefings à conduire ou à recevoir, ainsi que par les rotations internes aux cellules. En ce qui me concerne, je dois assister à plusieurs briefings et me tenir prêt à fournir des informations suivant l'évolution de la situation ou à contribuer aux travaux qui y sont effectués, notamment en matière de ciblage, de planification ou de reconnaissance ; je conduis également l'Information Operations Working Group, qui rassemble des représentants de tous les domaines de base d'état-major (toutes les cellules, quoi) ainsi que quelques spécialistes (officier d'information publique, officier de guerre électronique, officier conventions et droit) pour assurer la coordination des effets déployés contre des cibles désignées, et en premier lieu les acteurs susceptibles d'entraver la réussite de notre mission et d'empêcher la stabilisation de la région.

Demain, nous entamerons l'exercice avec une journée de répétition générale. Les premières heures seront immanquablement chaotiques et échevelées : lorsqu'un état-major de 120 officiers se met en place, avec la responsabilité d'une composante terrestre d'environ 15'000 soldats, le plus difficile consiste à faire en sorte que les multiples rouages le composant s'emboîtent les uns dans les autres et commencent à tourner dans la direction ordonnée. Une structure de ce type possède une telle complexité, avec toute la somme de compétences dispersées en son sein, qu'elle peut fort bien au pire aboutir à se neutraliser elle-même. Ce sont en général les connaissances générales, l'ouverture d'esprit, les contacts transversaux et surtout l'esprit de corps qui permettent de limiter les frictions et de faire fonctionner cette grande machinerie. Exactement les raisons pour lesquelles les officiers d'état-major général ont été nécessaires, à l'origine!

Posted by Ludovic Monnerat at 21h24 | Comments (2)

3 décembre 2005

Un raid dans la nuit

TE-Gren.JPG

Entièrement vêtus de blanc avec quelques notes sombres, le visage éclairci par le camouflage également blanc, l'arme surmontée d'un grand appareil de visée, les deux tireurs d'élite attendent patiemment l'ordre d'ouvrir le feu. Dans la nuit noire, leurs cibles sont parfaitement identifiées : les positions de tir des mitrailleuses adverses pour le calibre 8,6 mm, et les charges dirigées placées autour de l'objectif d'attaque pour le calibre 12,7 mm. Les tireurs sont chargés d'appuyer la section qui va effectuer le raid. Les groupes participants à l'appui sont prêts. Le chef de section prononce quelques mots à la radio ; peu après, plusieurs détonations retentissent, pendant que les balles lumineuses déchirent la nuit. L'attaque commence.

Un élément de couverture se met en position dans l'obscurité, chaque tireur équipé d'un pointeur laser invisible à l'œil nu. Chaque fois qu'une silhouette adverse apparaît, une tache l'illumine et précède une balle de 5,6 mm qui, en moins de 2 secondes, neutralise la menace. Pendant ce temps, un élément d'assaut se rue près de la clôture qui entoure les maisons de l'objectif et place une charge explosive conçue pour ouvrir une brèche ; après la détonation, les groupes se précipitent dans l'ouverture et se lancent à l'assaut des bâtiments. Les chefs de groupe annoncent à la radio leur position respective pour éviter tout feu ami. Aucune lumière n'appuie l'entrée de la troupe dans le périmètre enneigé.

La premier groupe parvenu dans une maison y applique une mécanique standardisée : après avoir défoncé la porte d'entrée, les hommes engagent une grenade à main et pénètrent dans la pièce, utilisant le délai avant l'explosion pour décrocher leurs intensificateurs de lumière résiduelle ; ils nettoient ensuite chaque pièce, à la lumière de leurs lampes blanches, et éteignent celles-ci lorsque, parvenus sur le toit, ils prennent des positions de tir pour appuyer l'action de leurs camarades. Pendant ce temps, l'élément de couverture continue de combattre les adversaires qui apparaissent derrière le village. Une par une, les maisons sont attaquées et prises. Les détonations des grenades et les reflets des lampes se succèdent.

La sixième maison constituant l'objectif final de l'attaque, des charges explosives y sont placées par le troisième groupe d'assaut. Placé sur le toit de l'une des premières maisons, le chef de section ordonne ensuite le repli ; les groupes sortent du périmètre dans l'ordre inverse de leur arrivée et courent dans la neige, le pas alourdi par l'équipement individuel, et notamment le gilet pare-éclats avec toutes ses plaques de protection. L'élément de couverture continue un temps de remplir sa mission, et les points lumineux des pointeurs lasers se promènent furtivement sur les silhouettes des adversaires résiduels ; son repli est couvert par les tireurs d'élite. Une dernière balle lumineuse de gros calibre, et le raid est achevé. Il n'a pas duré plus de 15 minutes.

PS : Les lignes ci-dessus décrivent un exercice auquel j'ai assisté mercredi dernier à Isone. Une section renforcée de grenadiers, à la 23e semaine de leur école de recrues, a fait la démonstration de son niveau d'instruction remarquablement élevé au cours d'un raid de nuit que seul ce type de formation est capable d'accomplir. Une preuve éclatante de la validité du principe de la milice lorsqu'une instruction professionnelle et adaptée est donnée.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h17 | Comments (35)

29 novembre 2005

La chasse à l'Occidental

Les voyages extracontinentaux de masse à des fins touristiques ou commerciales forment un phénomène relativement récent, qui s'explique par l'augmentation des échanges économiques et la diminution des coûts de transport. Prendre un vol Zurich - Singapour qui dure plus de 12 heures reste encore un brin dissuasif. Malgré cela, le tourisme n'en finit pas de se développer et le nombre d'entrées mondiales est passé de 25 millions en 1950 à 800 millions probablement cette année, avec une croissance plus marquée dans les pays en développement ou en voie de développement, qui ont ainsi enregistré 300 millions d'arrivée l'an dernier. Toujours plus d'Occidentaux voyagent en Afrique ou en Asie.

Cette tendance se produit en parallèle à une modification des pratiques terroristes : selon cet article de l'Australian, l'organisation islamiste responsable des attentats anti-occidentaux de Bali et de Jakarta tente actuellement d'accélérer son cycle opérationnel (planification-préparation-action-évaluation), et se dirige vers des attaques à la fois plus nombreuses et plus réduites. Un site Internet de la Jemaah Islamiyah, d'après la société d'analyse Stratfor, expliquerait ainsi comment cibler des individus d'origine occidentale dans les rues de la capitale indonésienne et établirait la liste des emplacements qu'ils fréquentent le plus souvent. Le parallèle avec les attentats terroristes comme en Egypte dans les années 90 sur des touristes occidentaux montre qu'une telle démarche n'est pas unique.

Ce changement de méthode offre naturellement l'avantage de réduire les risques : tout attentat d'envergure implique une chaîne d'interfaces qui permettent souvent aux forces de police de rapidement remonter la piste des auteurs et surtout de leurs soutiens. Bien entendu, renoncer à ces destructions spectaculaires qui aujourd'hui entrent en compétition pour l'attention de la planète peut ainsi sembler un échec pour le terrorisme islamiste ; en revanche, une série de meurtres individuels rapidement médiatisés pourrait tenir en haleine le public global et gagner dans la durée - grâce à la sécurité opérationnelle - ce que l'on perd en intensité. Les deux « DC Snipers » ont eu suffisamment d'impact sur le territoire américain pour que la multiplication des actions limitées montre son intérêt dans une perspective terroriste.

Mais cette chasse à l'Occidental qui semble s'esquisser doit également nous amener à prendre davantage conscience de la haine et du rejet que suscitent nos valeurs, nos cultures, nos sociétés et nos activités auprès des fondamentalistes musulmans. Faire une cible de chacun d'entre nous, dès lors que nous sommes à leur portée, est une manière de combattre ce que nous symbolisons à leurs yeux ; dans un conflit avant tout identitaire, c'est ce que nous sommes - et non ce que nous faisons - qui constitue en soi le casus belli. Et même si je doute de l'efficacité à terme d'une telle dispersion de l'acte terroriste, de cette action guerrière décentralisée au maximum, un conflit de longue haleine sera nécessaire jusqu'à ce que les idéologies qui le meuvent soient euthanasiées.

Posted by Ludovic Monnerat at 6h38 | Comments (71)

28 novembre 2005

Une forteresse qui monte

Les lecteurs de ce carnet connaissent les doutes que m'inspire la constitution d'une forteresse européenne, dans laquelle les forces armées sont déployées pour lutter contre l'immigration illégale. La récente initiative de l'Union européenne, consistant à créer un corps de garde-côtes européen disposant de moyens navals et d'images par satellite, renforce encore l'hermétisation du continent ; et puisque je vois mal comment de tels éléments pourront être trouvés - au moins à court terme - en-dehors des marines nationales, cette démarche a au moins l'avantage d'officialiser une politique mise en œuvre depuis des années. Avec en outre des mesures positives visant à favoriser une immigration légale et utile.

Malgré cela, ces efforts multinationaux visant à mieux protéger les frontières des pays membres de l'UE contre une menace démographique extérieure ne parviennent pas à faire oublier l'existence au sein de l'UE d'un ennemi intérieur, dont les contours idéologiques et identitaires plus que démographiques sont dangereux. Bien entendu, ce n'est pas parce que le laxisme en matière d'immigration et surtout d'intégration a généré une situation conflictuelle sur notre sol qu'il faut renoncer à toute mesure en amont dans ce domaine, sur le plan géographique du moins. Malgré cela, c'est probablement un autre signe du désarmement des esprits qu'il soit plus facile de lutter globalement contre l'illégalité potentielle de l'extérieur que contre l'illégalité réelle de l'intérieur.

La forteresse Europe devient de plus en plus réalité, mais ses murs renferment suffisamment d'ennemis pour y déclencher une guerre. Dans ces conditions, il serait peut-être temps de considérer l'immigration comme une chance pour le rééquilibrage interne et pour le rapprochement des identités, en permettant à des populations mondiales tentées par l'environnement européen - et désireuses de s'assimiler à ses valeurs ainsi qu'à ses lois - de plus facilement concrétiser pareille aspiration. En d'autres termes, puisque l'augmentation des flux migratoires est inévitable sur une planète qui rapetisse, il s'agit d'exploiter les opportunités du phénomène et d'en minimiser les risques. La création d'une flotte européenne gardant les frontières navales de l'UE semble donc nécessaire.

Maintenant, les esprits critiques - et pertinents - me diront que l'Europe n'a pas les moyens d'attirer à elle des individus désireux de devenir européens, qu'elle est à la fois séduisante sur le plan pécuniaire et quelconque sur le plan identitaire, et donc que l'immigration vers ses rivages est avant tout dictée par l'envie de profiter d'elle. Dès lors que ce continent renonce à ce qui attire l'immigrant authentique, comme le dynamisme économique, l'ouverture intellectuelle ou encore le rayonnement militaire, il paraît illusoire de parvenir à ce que je décris ci-dessus. Faut-il donc fermer les frontières de l'Europe en attendant qu'elle accepte les tours et les atours de la puissance ? Voilà une question que je laisse en suspens!

Posted by Ludovic Monnerat at 8h35 | Comments (18)

26 novembre 2005

Le ciblage des enfants

L'un des aspects les plus barbares du terrorisme moderne est certainement le ciblage délibéré des enfants. En Irak, ces derniers jours, des jouets piégés ressemblant à ceux distribués aux enfants ont été découverts, alors qu'un attentat suicide a été perpétré près d'un hôpital pendant que des soldats américains distribuaient des sucreries et de la nourriture à des enfants. De telles attaques ont à plusieurs reprises été commises par le passé, comme celle illustrée par une photo exceptionnelle de Michael Yon, et elles vont certainement se reproduire. L'enjeu est de taille.

Le contact avec les enfants est en effet souvent le premier pas pour établir un lien avec une population donnée. Il se produit de toute manière automatiquement, parce que la curiosité des enfants les amène à être fascinés par des soldats venus presque d'un autre monde, mais il peut être systématisé par la distribution de petits cadeaux, qu'elle fasse partie d'une opération donnée ou qu'elle soit issue d'initiatives individuelles. Satisfaire les envies ou les besoins d'enfants aboutit fréquemment à faire évoluer les perceptions des parents, et donc le comportement général d'une population vis-à -vis des formations militaires.

Cette pratique est parfois qualifiée d'irresponsable, dans le sens où elle reviendrait à mettre en danger la vie des enfants uniquement en vue d'améliorer l'image des soldats ; mais un tel reproche, qui fait du terrorisme une sorte de danger naturel, n'intègre pas le fait que toute aide humanitaire est aujourd'hui une arme dans la conquête des coeurs et des esprits, qu'on l'accepte ou non. De toute manière, ces distributions à l'endroit des enfants sont également pratiquées dans des missions de maintien de la paix ou simplement par des formations à l'entraînement. Quel enfant suisse n'a pas une fois reçu nos fameux biscuits militaires ?

Face à l'établissement de tels liens, qui reviennent à combattre l'emprise qu'elle souhaiterait avoir, la guérilla sunnite en est réduite à massacrer des enfants. Pour l'heure, ces attaques barbares ne sont pas parvenues à démontrer une quelconque efficacité, et ne font qu'un peu plus ruiner la réputation des réseaux anti-démocratiques. Un belligérant incapable de s'imposer par ses idées, ses valeurs et ses actions doit nécessairement s'en prendre à celles de ses ennemis pour essayer d'en annuler ou d'en inverser les effets ; contraint de prendre la défensive sur un terrain qu'il ne peut conquérir, il cherche à éviter la défaite par un score nul.

S'attaquer délibérément à des enfants ne constitue donc qu'un combat retardateur perdu d'avance si l'horreur et le chaos ne finissent pas par décourager ceux qui essaient d'aider, de construire. Ce qui ne diminue en rien la barbarie qui le fonde.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h20 | Comments (14)

25 novembre 2005

Une lutte à contre-cœur

Deux informations au sujet de l'Afghanistan sont venues aujourd'hui renforcer encore un peu plus l'engrenage dans lequel les nations européennes devaient nécessairement mettre le doigt : d'une part, les 26 membres du Conseil de l'Atlantique Nord ont accepté le plan d'extension de l'ISAF au sud du pays, ainsi que le rapprochement entre la force sous commandement OTAN et la CJTF-76 sous commandement américain ; d'autre part, une patrouille de soldats suédois a été attaquée aujourd'hui à l'explosif improvisé dans la ville de Mazar-i-Sharif, au nord du pays, et 2 de ses membres ont été gravement blessés. Les éléments de cette analyse publiée ici le mois passé semblent donc confirmés.

Il est difficile de ne pas conclure, face à cette extension significative et à l'augmentation des effectifs de l'Alliance en Afghanistan, que de nombreux pays européens acceptent progressivement et à contre-coeur le sens d'une lutte qui a été initiée au lendemain du 11 septembre 2001 et dont la trame reste américaine. Le sud de l'Afghanistan n'est pas vraiment plus sûr que le sud de l'Irak, mais cela ne dissuade pas des nations comme l'Allemagne ou l'Espagne de faciliter l'extension de l'ISAF en augmentant leurs effectifs dans d'autres zones du pays. Une manière de s'impliquer toujours plus dans un pays toujours en conflit, sans pour autant subir l'humiliation qui découlerait d'un alignement trop ouvert sur la stratégie américaine.

Pourtant, il serait temps pour l'Europe de se poser quelques questions quant à son engagement croissant en Afghanistan. Où cela va-t-il mener ? N'existe-t-il pas des risques sérieux d'escalade de la violence ? Est-ce que l'ISAF parviendra toujours à ne pas être perçue comme une force d'occupation par la population afghane, dans ce pays qui a toujours fini par vaincre ses occupants ? Est-ce que l'image de l'ISAF ne bénéficie-t-elle pas du fait que les Américains - et les forces spéciales européennes - se chargent du "sale boulot" consistant à chasser les Taliban et Al-Qaïda, pendant que l'OTAN effectue ouvertement des tâches de reconstruction ? Le rapprochement entre ces 2 composantes ne va-t-il pas brouiller les perceptions à ce sujet ?

Il n'y a rien de pire que s'engager dans une opération militaire sans clairement cerner les intérêts nationaux qui y sont liés. Pour l'instant, les pertes de l'ISAF ne sont pas suffisantes pour amener les Gouvernements des nations engagées à retirer leurs troupes, mais quel prix sont-ils prêts à payer pour stabiliser et développer ce pays ? Les populations européennes pensent-elles vraiment que la défense de l'Europe commence sur les hauteurs de l'Hindu Kush, comme l'a dit l'ancien ministre Peter Struck ? A moins que la pérennité de l'Alliance ne soit soudain remise en cause, je peine à voir des intérêts clairement identifiés et partagés dans les pays qui augmentent leur participation à l'ISAF.

Que leur mission ait un sens dans la lutte planétaire entre les démocraties libérales et le fondamentalisme musulman, cela va de soi ; que cette compréhension se soit vraiment répandue depuis 4 ans, je me permets d'en douter. Mais peut-être me trompé-je...

COMPLEMENT I (26.11 0845) : L'un des soldats suédois est en définitive mort de ses blessures, suite à une attaque - c'est symbolique et révélateur - commise au retour d'une manifestation sportive. Je me souviens avoir vu en septembre dernier des dizaines de soldats suédois qui se préparaient à leur mission en Afghanistan, sur la base de Kungsängen, et je suis sûr qu'il s'agit de l'un d'entre eux...

COMPLEMENT II (27.11 0930) : Cet article m'avait échappé, mais l'annonce selon laquelle les Hollandais pourraient renoncer à leur déploiement au sud de l'Afghanistan montre que les dangers de cette mission sont bel et bien pris en compte. Ce texte montre également que les Britanniques vont envoyer parmi leurs meilleurs éléments, avec des hélicoptères d'attaque et des chasseurs-bombardiers. Il est vrai que l'OTAN impose à chaque extension du secteur de l'ISAF - sauf la première au nord - un ensemble de capacités opérationnelles, dont l'appui aérien rapproché...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h14

22 novembre 2005

Le rôle des blindés

Le feuilleton de la liquidation des blindés usagés de l'armée suisse a rebondi avec l'annulation d'un marché potentiel au Chili, désireux d'acheter 93 chars de combat, mais dont les exigences en termes d'instruction auraient finalement coûté au lieu de rapporter quelque chose. Du coup, comme l'affirme Le Temps ce matin (accès payant), les chars en surnombre de l'armée ont de fortes chances de finir à la casse. L'armée suisse de la guerre froide, qui au début des années 90 affichait une puissance mécanisée* massive (près de 900 chars de combat, 1500 chars de grenadiers et 500 obusiers blindés), appartient bel et bien au passé.

Cela ne signifie pas pour autant que le rôle de l'arme blindée devienne négligeable, car ces réductions massives - généralisées en Europe - se font en parallèle à une modernisation qui augmente drastiquement l'efficacité des formations. La digitalisation et la mise en réseau des unités mécanisées permet en effet de déployer plus vite, plus loin et plus précisément des effets létaux avec des moyens nettement inférieurs. Dans le combat symétrique de haute intensité, les blindés restent un élément essentiel au niveau terrestre, même si leur puissance s'exprime toujours plus dans une intégration interarmes et interarmées. Le développement spectaculaire de l'artillerie et de l'infanterie dans ce cadre, dû avant tout aux armes intelligentes (missiles, obus), n'a pas disqualifié la cavalerie.

Mais les blindés ont également fait la preuve de leur utilité dans les conflits de basse intensité. En Irak, les raids mécanisés dans Bagdad, la destruction des milices sadristes et la reprise de Falloujah ont montré que l'arme blindée était capable d'être efficacement engagée en milieu urbain, à condition d'accepter les dégâts directs ou indirects qu'elle ne manque d'entraîner. Les difficultés matérielles et structurelles liées à leur emploi n'empêchent pas les chars de rester indispensables, par le soutien et la protection qu'ils fournissent à l'infanterie. La ville est aujourd'hui le milieu privilégié des blindés, ce qui avait été annoncé depuis longtemps.

Le dilemme des armées reste naturellement l'équilibre entre protection et projection : les formations blindées sont très difficiles à déployer, à maintenir et à replier. L'engouement croissant pour les véhicules blindés à roues s'explique largement par la multiplication des missions remplies hors du territoire national face à une menace réduite. Toutefois, malgré les succès obtenus avec ces moyens plus légers en Afghanistan comme en Irak, la nécessité d'avoir en permanence une capacité de réaction face à des menaces discontinues, pouvant atteindre localement une très haute intensité, confère à l'arme blindée une utilité majeure.

En Suisse également. Si l'armée reçoit la mission de protéger les transversales alpines face à une menace de type terroriste (un scénario qui maintenant est devenu un standard dans la Formation supérieure des cadres de l'armée), on se rend rapidement compte qu'une formation blindée lourde est bien adaptée pour sécuriser une portion d'autoroute en contrôlant ses accès, pour maintenir ouvert un axe ou pour protéger un objet d'importance nationale avec une présence visible et dissuasive. Le rôle des blindés est donc en évolution rapide, passant du terrain ouvert au milieu urbain, de l'offensive décisive à l'appui permanent, de l'emploi coercitif à la maîtrise de la violence.


(*) Pour la clarté de ce billet, je précise que l'appellation blindée ou mécanisée porte ici le sens classique de l'armée suisse et s'applique à des véhicules chenillés.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h40 | Comments (13)

19 novembre 2005

Offensive virtuelle en Asie

La tournée asiatique de Georges W. Bush, marquée par des déclarations très fortes à l'endroit de la Chine et par une entente marquée avec les autres acteurs de la région, est l'illustration la plus visible d'une stratégie que je qualifierais d'offensive virtuelle. La position américaine face à la montée en puissance chinoise et à l'inquiétude qu'elle suscite de l'Indonésie au Japon oscille depuis des années entre la confrontation et la conciliation, entre le spectre d'une nouvelle guerre froide et la perspective d'une intégration progressive. Plusieurs éléments laissent penser qu'une voie médiane, susceptible de répondre à différents cas de figure, est aujourd'hui tracée.

L'offensive américaine est claire sur le plan des idées (domaine cognitif). En rappelant l'interdépendance entre liberté économique et liberté politique et en faisant de Taiwan l'exemple à suivre, le président américain a pris les dirigeants chinois au dépourvu, les laissant largement sans voix et sans prétexte à réaction. Même si cette réalité continue de surprendre les médias européens, dont l'auto-intoxication révèle à cet égard tous ses effets pervers, les Etats-Unis incarnent aujourd'hui une liberté à laquelle aspirent une bonne partie des populations qui subissent un régime autocratique. Les Chinois ne pourront pas éternellement être assujettis, et la Grande Muraille informationnelle chinoise est prise d'assaut.

L'offensive américaine est plus discrète sur le plan économique (domaine physique). En résistant largement aux sirènes du protectionnisme, la Maison-Blanche a pris le parti de laisser les échanges économiques suivre leur cours croissant, même si la question monétaire reste un sujet de désaccord. Les gains de productivité impressionnants de l'économie américaine lui permettent en effet de relever le défi des produits à bas prix dont la Chine inonde les marchés mondiaux. Le déséquilibre que traduit le déficit commercial est appelé à être corrigé, et les entreprises US gagneront à l'intensification des échanges. La grande peur suscitée par les Japonais au début des années 90 ne se reproduira pas.

L'offensive américaine est encore plus discrète sur le plan relationnel (domaine psychologique), mais la composante militaire y joue un rôle majeur. Le positionnement avancé d'un porte-avions nucléaire US au Japon, la réduction des troupes terrestres dans ce pays comme en Corée, l'interopérabilité croissante des forces US avec ses alliés ou encore le renforcement des moyens aériens et navals sur l'île de Guam indiquent tous une influence plus vive et plus flexible des Etats-Unis dans le Pacifique, ainsi que l'exploitation de leur force pour établir une coalition susceptible de parer à toute aventure militaire chinoise. Les forces armées américaines continueront de régner dans cette région, mais elles feront davantage en coopération et en interaction que par le passé.

Sur ce plan, la défense antimissile est un angle que Washington exploite avec efficacité. Depuis le tir d'un missile ballistique nord-coréen au-dessus du Japon, en 1998, et avec l'augmentation des missiles sol-sol chinois pointés sur Taiwan, les capacités de protection susceptibles d'être fournies par les Etats-Unis sont un atout maître. D'une part, la constitution d'un bouclier antimissile stratégique basé au sol permet de renforcer les liens avec les pays souhaitant bénéficier d'un tel dispositif. D'autre part, le développement d'un bouclier antimissile de théâtre basé en mer permet de renforcer l'impact de la présence maritime US. Et même si l'efficacité de ces systèmes doit être mise en doute, leur utilité en termes de persuasion comme de dissuasion est réelle.

Comment évaluer cette stratégie qui se dessine ainsi sous nos yeux? Je définis une offensive virtuelle comme une action visant à susciter chez un acteur l'engagement de ses ressources dans un sens favorable à l'attaquant, en d'autres termes à faire un ami d'un ennemi. En donnant à la Chine aussi bien des limites que des perspectives, les Etats-Unis tentent d'accompagner et de gérer la croissance rapide de cet immense pays. Une voie médiane, pragmatique et flexible qui semble la meilleure possible.

COMPLEMENT (20.11 1525) : Juste pour le plaisir des yeux, voici une image du lancement du missile SM-3 utilisé par le système AEGIS comme vecteur antimissile. Vu le nombre de tubes visibles sur l'image du croiseur, une telle capacité est certainement dissuasive. Ou incite à multiplier les tirs, de missiles réels ou de leurres...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h52 | Comments (7)

17 novembre 2005

Sur les traces d'un homme

Un remarquable article publié hier dans le Los Angeles Times décrit avec de nombreux détails la chasse à l'homme que mènent actuellement les Forces armées américaines en Irak, en l'occurrence contre le représentant d'Al-Qaïda. Des unités entières de forces spéciales participent à la traque de Abou Musab Zarqaoui et tentent d'exploiter au plus vite les renseignements obtenus à son sujet. Mais le chef de guerre islamiste reste pour l'heure insaisissable, et ses mesures impitoyables en matière de contre-renseignement - exécutions d'informateurs suspectés ou avérés - montrent bien que le domaine informationnel, c'est-à -dire la supériorité cognitive, sont ici décisifs. Savoir plus juste et plus vite est, à court terme du moins, un avantage mortel.

La focalisation sur le chef ennemi n'a bien entendu rien de nouveau dans la guerre ; si Alexandre a vaincu Darius à Gaugamèles malgré une infériorité numérique criante, c'est parce que la cavalerie macédonienne a directement chargé sur le souverain perse et l'a contraint à la fuite. Ce qui a changé, c'est que les champs de bataille modernes ont été élargis aux sociétés toutes entières, et que les chefs ennemis doivent être identifiés, localisés puis isolés de toute la normalité de la vie quotidienne. Encore est-il plus facile de cerner des chefs d'Etats déchus, affaiblis et démoralisés comme Saddam Hussein ou Manuel Noriega, que des chefs de guerre en plein essor, fanatisés et prêts à tout pour survivre. Surtout lorsqu'ils exploitent à leur profit les coutumes locales.

Ainsi, la guerre terrestre a de plus en plus tendance à ressembler à la guerre navale, où les flottes incapables de mener des opérations offensives en surface tentent de trouver leur salut dans les profondeurs. Le problème majeur des armées reste le fait qu'elles recherchent la dissimulation dans le milieu, et qu'elles peinent à appréhender des acteurs qui se dissimulent dans la population. Suivre un homme à la trace afin de le capturer ou de le tuer suppose l'emploi de méthodes propres aux forces de police ou aux services de renseignements intérieurs ; les cellules rens militaires s'en approchent de plus en plus, en modifiant leur doctrine et en adoptant des outils mieux adaptés, mais l'effort à produire reste majeur. Passer de la maîtrise des espaces matériels à celle des espaces immatériels, du terrain aux esprits, est un défi immense.

Pour l'heure, les armées parent au plus pressé en employant autant que possible leurs capacités héritées de la guerre froide. Il est ainsi révélateur de constater que les militaires américains ont capturé plus de 83'000 personnes en 4 ans d'opérations menées avant tout en Irak et en Afghanistan : faute d'un degré de connaissance suffisant pour mener systématiquement des actions ciblées, on boucle des secteurs entiers et on embastille par centaines des gens qui, bien trop souvent, n'ont pas grand-chose à se reprocher. Voilà qui montre que même la première armée du monde est encore loin d'avoir intégré tous les axiomes des conflits modernes, toute la portée de la révolution informationnelle. Remplacer la masse par la précision, la force par la rapidité et les hiérarchies par les synergies ne va pas de soi.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h16 | Comments (10)

14 novembre 2005

La malédiction du parasite

Les attentats suicides perpétrés la semaine dernière par Al-Qaïda en Jordanie, et qui ont notamment massacré des Palestiniens participant à une cérémonie de mariage, sont le dernier exemple en date des actes contre-productifs de la mouvance islamiste globale. Les confessions télévisées de la femme de l'un des islamikazes, ainsi que les images des Jordaniens manifestant dans les rues d'Amman en vouant Al-Zarqaoui aux gémonies, permettent ainsi de s'interroger sur l'avenir du terrorisme d'origine islamiste. La rue arabo-musulmane, que nombre de commentateurs occidentaux voyaient se soulever en masse à la veille de l'offensive américaine en Afghanistan, témoigne en effet d'une répugnance toujours plus marquée à l'endroit des méthodes d'Al-Qaïda - et de ceux qui agissent en son nom.

Pourtant, les dirigeants de la nébuleuse ne méconnaissent pas la situation. L'un des enseignements rappelés par la plupart des guerres asymétriques du XXe siècle reste le fait que les idées ne peuvent pas être combattues par la puissance de feu ; c'est une vérité que nombre d'armées ont appris à leur dépens, au Vietnam ou en Afghanistan, comme l'a souligné avec éloquence Thomas X. Hammes dans son livre The Sling and The Stone. Les injonctions du docteur Al-Zawahiri et les écrits des idéologues d'Al-Qaïda prouvent qu'ils ont compris à quel point les idées démocratiques étaient une menace mortelle pour leur intégrisme spirituel et pour leurs ambitions temporelles. Mais il existe deux étapes entre la compréhension et l'action, entre la détection du danger et la capacité de le conjurer : la légitimation et la décision.

La légitimité d'agir est le point faible évident d'Al-Qaïda. L'attentat terroriste peut susciter l'adhésion des foules lorsqu'il frappe l'ennemi directement et de façon spectaculaire, comme l'a montré la série d'attaques jusque et y compris le 11 septembre. Cela ne suffit pas en soi à atteindre les objectifs fixés, mais préserve au moins un socle d'appuis et de relais à terme indispensable. Toutefois, comme toute démarche belligérante, la méthode terroriste comporte toujours un risque majeur de montée aux extrêmes, laquelle se concrétise par des attaques aveugles, des bains de sang qui finissent par révolter la majorité des gens. Les islamistes peuvent bien rationaliser les massacres dont ils se vantent, leur voix est de moins en moins représentative de ceux qu'ils prétendent défendre.

Cela s'explique par la faiblesse de leur processus décisionnel, par la dissémination des volontés. La mouvance Al-Qaïda est certes capable de frapper n'importe où dans le monde, grâce à la pénétration de son idéologie et à la dispersion de ses fidèles, mais elle est aussi susceptible de frapper n'importe quoi, parce que ces derniers n'ont pas toujours la perspective d'ensemble nécessaire. Une organisation pareillement décentralisée et participative, qui fonctionne comme une franchise sectaire, est aussi difficile à anéantir qu'à diriger. Le dénominateur commun et les liens opérationnels sont trop ténus pour que la volonté des dirigeants nominaux puisse se concrétiser dans le temps, dans l'espace et dans la modalité souhaités. Les critiques voilées adressées à Al-Zarqaoui illustrent cette faiblesse souvent ignorée.

Ainsi, la mouvance islamiste est frappée de ce que l'on pourrait appeler la malédiction du parasite : son existence dépend des sociétés qu'elle infiltre, des frustrations qu'elle canalise, des lacunes qu'elle comble. Elle est avant tout capable de détruire, et non de construire ; elle ne peut pas prendre le pouvoir, mais seulement exploiter ses carences. Et changer d'état, c'est-à -dire passer du liquide au solide, du spirituel au temporel, du futur au présent, ou encore du dispersé au concentré, revient à augmenter aussi bien son efficacité que sa vulnérabilité. Seule notre faiblesse donne aux islamistes l'espace pour prospérer et se multiplier ; un parasite ne peut vaincre que par défaut.

COMPLEMENT (15.11 2220) : Cette longue dépêche d'AP souligne les dissenssions au sein de la mouvance islamiste et les réprobations que les attentats d'Amman ont multipliées à l'endroit d'Al Zarqaoui. Elle montre également que même un mouvement farouchement théocratique, à l'ère de l'information, est contraint de s'intéresser de près à l'opinion populaire. Au moins aussi longtemps qu'il ne détient aucune autorité temporelle...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h45 | Comments (7)

10 novembre 2005

L'exercice et la réalité

Ce soir s'est achevé l'exercice d'état-major au niveau armée auquel j'ai participé depuis lundi. L'exercice était somme toute très intéressant, en raison de la menace moderne qu'il mettait en œuvre, mais aussi parce qu'il amenait un basculement permanent avec la réalité. Il s'est en effet déroulé à Berne, au quartier-général de l'armée, dans les installations utilisées au quotidien, et avec l'obligation de suivre les dossiers en cours tout en participant à la planification exigée. Du coup, j'avais accès à toutes les sources d'information que j'utilise normalement, et je devais sans cesse alterner l'emploi de mes 3 ordinateurs - mon accès au réseau protégé, mon accès au réseau non protégé et mon portable personnel - pour remplir mes différentes tâches. Intellectuellement, c'était plutôt excitant !

Un autre aspect saisissant est la compression des niveaux hiérarchiques. Dans plusieurs domaines, et notamment ceux qui me concernent en premier lieu, des éléments tout simples - comme des mots ou des gestes - concrétisés au niveau tactique ont des conséquences immédiates aux niveaux opératif et stratégique. La présence du sommet de l'armée lors des briefings impose ainsi d'aller à l'essentiel dans les concepts et réflexions que l'on présente, de simplifier au maximum, sans pour autant perdre de vue les détails qui in fine peuvent avoir une importance majeure. Il est vrai que les généraux font assez rapidement sentir la nécessité pour eux de ne pas perdre leur temps et d'investir celui-ci dans la prise de décision !

Durant l'exercice, j'ai naturellement eu plusieurs discussions sur la situation en France, sur son évolution possible et sur la réaction du gouvernement français. Un certain consensus s'est établi sur la nécessité de l'état urgence qui a été mis en œuvre, et sur l'impact positif qu'un emploi proportionnel et cible de mesures coercitives peut avoir. En revanche, il est bien plus difficile de se pencher sur une carte de son propre pays, face à une situation qui s'aggrave de jour en jour et menace d'occasionner des violences armées, afin de concevoir une manœuvre qui permettent de stopper l'escalade et de favoriser le retour au statu quo ante. Et encore plus difficile d'aller dans le terrain pour remplir les missions que tout cela implique.

Parfois, on entend ça et là des dirigeants politiques se demander pourquoi les militaires passent autant de temps à s'exercer. Il faut bien que l'on prenne le temps de faire les erreurs que nul ne nous pardonnerait à l'engagement !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h51 | Comments (16)

Conflit de 5e génération

Les lecteurs de ce carnet connaissent déjà Joseph Henrotin, penseur prolifique et éclairé sur les questions stratégiques, dont plusieurs articles ont été publiés sur mon site CheckPoint (ici, ici, ici ou encore ici). Il m'a gentiment communiqué ce matin l'adresse d'une réflexion de son cru qui a été publiée dans La Libre Belgique, et qui a retenu toute mon attention. Il affirme en effet que la France connaît aujourd'hui un conflit d'avant-garde, de la 5e génération, version civile de la guerre asymétrique que subit l'Irak. Extrait :

L'Etat n'a plus son monople de la violence légitime et n'est, dans ces nouveaux conflits, guère plus qu'un régulateur voire un acteur parmi d'autres. Une des caractéristiques les plus frappantes des dernières émeutes est qu'elles opposent des cités entre elles. Les cités sont comme extradées des villes. Il y naît des sentiments identitaires forts, dans un «a-républicanisme» rapidement converti en «anti-républicanisme». Derrière les émeutes se cache une lutte entre deux modèles politiques. A ce stade, esquisser les responsabilités des uns et des autres n'est pas le coeur du problème. La vraie question serait plutôt celle de savoir jusqu'à quel point nos sociétés dites avancées sont ou non des matrices d'intégration.

Lisez le tout.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h47 | Comments (3)

8 novembre 2005

L'emploi possible de l'armée

A quoi pourrait bien servir l'armée face aux violences urbaines en France ? Cette question a été posée à plusieurs reprises, sur ce site ou ailleurs, et donne parfois lieu à des interprétations erronées. Le souvenir de certaines interventions militaires dans la sécurité intérieure peut également déformer la perspective à leur sujet. Il me paraît donc intéressant d'esquisser l'emploi possible de l'Armée de Terre française dans la situation actuelle, comme de toute armée occidentale en général.

En premier lieu, l'engagement de formations militaires peut se faire de manière subsidiaire, c'est-à -dire en appui des autorités civiles et sous leur responsabilité. Dans ce cadre, l'armée est amenée à fournir des prestations correspondant à des manques ponctuels ou structurels des forces de sécurité civiles. On peut citer ici la surveillance aérienne, avec des hélicoptères (équipés de caméras infrarouges) ou des drones (si l'espace aérien le permet), le transport aérien (pour déplacer des réserves sur de longues distances), le transport terrestre (en prêtant des véhicules, blindés ou non), ou encore le renforcement des organes de commandement ou des échelons sanitaires, que ce soit avec du personnel ou du matériel spécialisés.

Une autre utilisation, toujours subsidiaire mais plus pointue, consiste à remplacer les forces civiles dans certaines fonctions élémentaires afin de libérer leurs effectifs ; autrement dit, se charger des zones calmes pour autoriser l'envoi de renforts en zones sensibles. Au vu des postes de police détruits en France, on pourrait également renforcer la sécurité de ceux-ci avec des dispositifs fixes et dissuasifs, analogues à ceux employés en opération extérieure, en utilisant des barrières pour établir un périmètre sécurisé. C'est par exemple ce que l'armée suisse a fait durant le G8, voici 2 ans, lorsque le centre de commandement de la police de la Blécherette a par exemple été solidement bouclé.

Maintenant, il est aussi possible d'engager l'armée de façon indépendante, en lui confiant la responsabilité de secteurs entiers. Cela implique bien entendu une coopération étroite avec les forces de sécurité civiles, qui ne vont pas pour autant quitter le secteur, mais donne surtout au commandement militaire des pouvoirs très élargis pour faire respecter l'ordre. Il ne faut pas voir nécessairement un tel engagement comme impliquant une sorte de loi martiale, puisqu'il s'agit encore et toujours de maîtriser la violence en utilisant des moyens correspondant à une menace élevée (emploi ponctuel d'armes de guerre). Mais cela se concrétise bel et bien par des formations omniprésentes dans leur secteur, démontrant leur force par des moyens lourds et impressionnants.

Un tel emploi représente l'archétype du double tranchant, du remède de cheval susceptible d'achever le patient traité : soit la présence de la troupe amène effectivement une démobilisation dans les rangs de la partie adverse, en soulignant l'inanité de toute action violente, soit au contraire elle constitue une provocation qui mobilise et fédère toutes les oppositions. De toute évidence, on ne peut la recommander que dans un cas d'extrême urgence, lorsque la survie des institutions est menacée de façon imminente.

La France n'est bien entendu pas dans une telle situation, et je conçois mal qu'elle puisse l'être prochainement. En revanche, un emploi subsidiaire de l'Armée de Terre est une réponse graduée qui offre une option stratégique au gouvernement.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h00 | Comments (12)

7 novembre 2005

Vers l'état d'urgence

Les violences urbaines en France se sont poursuivies, pour la 11ème nuit consécutive, et le bilan provisoire affiche notamment 839 véhicules incendiés et 186 interpellations [le bilan final porte ces chiffres à 1408 et 395. Merci à Deru pour le lien]. La haine reste la principale motivation de cette intifada communautaire, et elle se matérialise de façon opportuniste par la déprédation et l'agression de tous les cadres sociétaux existants. Désormais, les forces de l'ordre doivent songer à protéger leurs installations et s'appuyer mutuellement, comme l'indique ce récit de la Seine-Saint-Denis, au lieu de se concentrer exclusivement sur l'intervention dans les zones non permissives.

Un pays où les actes de violence se répandent chaque jour davantage, où les postes de police sont incendiés et les agents attaqués par armes à feu, où prend place une insurrection sans revendication politique, est évidemment confronté à une situation d'urgence. Les réponses inadaptées du gouvernement français ne lui permettent pas d'échapper au duel à laquelle toute une jeunesse ennemie l'a contraint. Et les mesures qu'il devrait annoncer ne pourront plus être cette réaction à reculons, fondée sur l'espoir que les choses se tassent, qui depuis 10 jours lui tient lieu de conduite.

Le phénomène des violences urbaines, son développement régulier et ses risques à terme, comme le souligne aujourd'hui Lucienne Bui Trong dans Le Figaro, sont en effet connus. Ce qui ne l'est pas, c'est la manière de mettre un terme à une insurrection communautaire et décentralisée. Et le temps presse : sur le plan intérieur, la population des zones touchées par l'intifada affiche une exaspération qui, ça et là , aboutit à la création de milices ou de groupes de surveillance ; sur le plan extérieur, les positions tranchées prises par la France sur différents thèmes internationaux sont à présent exploitées par ses contradicteurs pour la clouer au pilori.

En d'autres termes, la crédibilité et la légitimité des autorités sont plus que jamais menacées par cette multiplication d'incendies, de destructions et d'agressions que les interpellations non négligeables - plus de 1000 personnes arrêtées à ce jour - ne sont pas parvenues à réduire. De toute évidence, d'autres méthodes s'imposent pour parvenir à reprendre le contrôle à la fois de l'espace et des esprits. Et je vois mal comment il sera possible d'échapper à la déclaration d'un état d'urgence dans une partie du territoire français, avec mise en place d'un couvre-feu et déploiement de la troupe.

A moins de repousser au lendemain cette confrontation inévitable, et de laisser encore plus de temps aux fossoyeurs de l'autorité étatique pour accroître leur pouvoir à coups de fatwas ou de médiations.

COMPLEMENT I (7.11 1620) : La première victime des violences urbaines déclenchées suite à la mort de deux jeunes gens, voici presque 2 semaines, a été recensée. Il s'agit d'un meurtre gratuit, commis par un jeune criminel hors des caméras, de sorte que cela ne devrait pas avoir d'impact majeur - mis à part celui d'inquiéter toujours plus la population. Je pense que cette inquiétude, pour l'instant peu visible, va rapidement constituer un facteur déterminant. Les appels à l'engagement de l'armée lancés par plusieurs élus sont certainement le reflet de cet élément.

COMPLEMENT II (7.11 1900) : Il est intéressant de relever que la police française a arrêté les auteurs de 3 blogs pour avoir lancé des appels à la violence armée sur leur site. La rapidité de l'arrestation indique aussi bien l'intérêt que les forces de l'ordre ont appris à porter à l'espace cybernétique, vu son emploi par les jeunes générations, mais aussi les connaissances techniques rudimentaires - voire l'imbécillité - des trois suspects. Ce que l'article de la TSR ne dit malheureusement pas, c'est la fréquentation de ces blogs à présent fermés...

COMPLEMENT III (7.11 2035) : Le Premier ministre français vient de s'exprimer sur TF1. Les mesures qu'il a annoncées sur le plan sécuritaire correspondent bien à un état d'urgence : déploiement de renforts, avec mobilisation de réservistes de la Gendarmerie, et possibilité pour les préfets d'instaurer un couvre-feu dans chaque zone qui le nécessite. Quant à l'emploi de l'Armée de Terre, Dominique de Villepin a répondu que "nous n'en sommes pas là ", et qu'à chaque étape, les mesures nécessaires seront prises. En d'autres termes, le recours à la troupe a été envisagé, mais rejeté pour l'instant. Les prochains jours diront si ces mesures permettront de rétablir l'ordre.

COMPLEMENT IV (8.11 0600) : Le bilan provisoire à 0400 de la 12ème nuit de violences urbaines fait état de 814 véhicules incendiés et 143 personnes interpellées, ce qui se situe sensiblement dans le même volume que la nuit précédente à cette heure-là . En d'autres termes, il faudra vraiment que les mesures annoncées par le Premier ministre se concrétisent sur le terrain pour voir un changement. Dans l'immédiat, des scènes toujours aussi poignantes - incendies d'écoles, et même d'un hôpital - montrent à quel point un chaos destructeur ronge une partie du pays.

COMPLEMENT V (8.11 1515) : Le bilan final de la nuit, sur la base des mêmes éléments bien entendu, s'établit à 1173 véhicules brûlés et 330 interpellations. L'intensité des violences est donc resté dans une ampleur comparable à la nuit précédente. Je n'ai malheureusement pas le temps d'en dire davantage, vu que l'exercice auquel je participe m'accapare totalement... Au moins, les violences urbaines qui s'y produisent restent virtuelles ! :)

COMPLEMENT VI (8.11 2205) : Une courbe statistique intéressante a été mise en ligne par Wretchard sur Belmont Club. Le deuxième point d'inflexion, signe de la diminution des incendies de voitures, résulte de leur baisse en région parisienne, où des effectifs importants ont été engagés par les forces de l'ordre. On peut également y voir la marque d'une décrue dans la haine et la révolte qui animent avant tout les bandes armées. Est-ce que les mesures positives et restrictives annoncées par la Gouvernement auront un effet rapide? Ordonner un couvre-feu et l'imposer sont deux choses différentes.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h39 | Comments (82)

5 novembre 2005

Une provocation en duel

L'extension des violences urbaines en région parisienne et dans le reste du pays augmente un peu plus la pression sur les autorités politiques. Mise au jour par les médias, qui désormais reproduisent les informations de la police, cette situation chaotique est émaillée d'épisodes stupéfiants : une handicapée intentionnellement brûlée vive, un enfant de 10 ans interpellé avec de l'essence, ou encore des écoles maternelles mises à feu. La France est contrainte d'admettre que son territoire est désormais l'objet d'une guérilla opportuniste et décentralisée, dont l'objectif à la fois simple et commun - l'action violente - favorise la coordination.

Cette primauté de l'apparence sur la substance est confirmée par le fait que les meneurs sont des récidivistes qui entraînent à leur suite, par l'esprit grégaire propre aux bandes armées, des individus lambda. C'est bien à une révolte contre l'autorité et la normalité à laquelle nous assistons, un refus du modèle républicain traditionnel rendu responsable de tous les maux. Une rupture totale avec l'identité française majoritaire, qui s'est produite en parallèle dans toutes les zones de non droit des grandes villes et qui aujourd'hui s'impose au public - avec des années de retard largement dues au politiquement correct.

La question pour le gouvernement est de savoir comment répondre à cette provocation en duel, à cette invitation au combat que lui lance chaque soir la frange la plus nihiliste de ses administrés. A ce sujet, je cède la parole à Stéphane du Meilleur des Mondes, qui a mis en ligne hier une analyse remarquable de cette problématique. Extrait :

Le paradoxe du mécanisme de provocation-répression en cours, c'est qu'il constitue une impasse pour le gouvernement. Il en sortira forcément perdant, non par incompétence - pour une fois - mais parce qu'il est trop tard.
Si l'insurrection est matée par la force, les banlieues françaises feront bloc autour de ceux qui se présenteront comme "victimes". La solidarité jouera à plein et renforcera le communautarisme de ceux qui se sentent de plus en plus étrangers à la société française tout en vivant en France. La répression fournira également d'excellentes justifications pour de nouvelles actions plus violentes et mieux préparées. Il néanmoins est peu crédible qu'un élu prenne le risque politique de faire couler le sang [...]
Si l'insurrection est dénouée par "le dialogue", les insurgés auront obtenu une tribune grâce à la violence, démonstrant ainsi l'efficacité de l'utilisation de la force comme outil politique. Cela fournira un excellent prétexte pour tous ceux qui hésitaient à se lancer le long de ce chemin. Cette hypothèse est peu probable, les insurgés se remarquant surtout par leur nihilisme - ils n'ont guère de revendications intelligibles - et leur absence de leader.
Si l'insurrection finit par s'éteindre par lassitude, l'impuissance de l'Etat français sera démontrée aux yeux de tous et poussera les nombreux groupes qui cherchent à le miner à se lancer dans des actions encore plus téméraires. Une fois de plus, ce sera reculer pour mieux sauter. C'est l'issue la plus probable, le nombre de voitures à incendier n'étant pas infini. Evidemment, lorsque le calme reviendra bon an mal an les politiciens crieront victoire; le score sera pourtant en faveur des insurgés, qui n'auront nullement été mis en déroute à la suite de cet épisode.
Il n'y a aucune sortie honorable.

Etant entendu que l'honneur n'est pas nécessairement la priorité d'un Etat contesté dans son existence même, je pense néanmoins que l'emploi résolu de la force est la seule option réaliste, même si le réflexe de solidarité se produira. Parce que les éléments chargés ponctuellement de restaurer l'ordre ne seront pas les mêmes que ceux qui le feront respecter durablement, parce que le masque de la répression peut être distingué du visage de la prévention, parce que la présence policière normale peut devenir au pire un moindre mal en regard d'une présence militaire extraordinaire. Même si celle-ci implique des risques considérables d'escalade.

Dans tous les cas, j'espère pour la France que ses dirigeants politiques ont compris qu'ils sont en définitive la cible principale des violences urbaines commises dans le pays, que c'est bien la légitimité du pouvoir - forgée dans les urnes et rongée dans les rues - qui ne cesse de faiblir. Et que cette menace est, à terme, des plus graves. On risque toujours sa peau dans un vrai duel.

COMPLEMENT I (6.11 0940) : Un duel qui continue, par une dixième nuit de violences urbaines plus intenses encore que les précédentes, avec 1295 voitures brûlées, des affrontements acharnés et une extension des zones touchées. Compte tenu des 312 interpellations effectuées par la police et de la difficulté à les mener face à des bandes armées très mobiles, les effectifs de l'intifada française se comptent par milliers, probablement entre 5000 et 10'000, et peut-être plus. De ce fait, l'effort demandé aux forces de police doit commencer à devenir particulièrement lourd, ce d'autant que la perspective de violences mimétiques en province doit freiner les transferts de forces. En continuant dans cette direction, je vois mal comment l'emploi de l'Armée de Terre peut être évité - ne serait-ce qu'en reprenant ponctuellement des fonctions assurées par les gendarmes dans d'autres domaines.

Je ne crois pas qu'il faille voir l'emploi de l'Armée de Terre comme prenant la forme de soldats patrouillant Famas en bandouillère : ce serait précisément une invitation à la bavure, à l'affrontement à balles réelles. D'une part, les éléments terrestres français possèdent également des équipements anti-émeutes et le savoir-faire pour l'employer (transmis par la Gendarmerie et développé au Kosovo). D'autre part, c'est plutôt le déploiement de véhicules blindés, insensibles aux cailloux et plus résistants aux cocktails molotov, qui pourrait apporter une composante bienvenue. Etant entendu que quelques canons à eau seraient relativement dissuasifs au fur et à mesure que les températures descendent.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h27 | Comments (14)

3 novembre 2005

Attaquants contre attaquants

Le Washington Institute for Near East Policy vient de publier un article visant à contredire la notion selon laquelle les attentats terroristes ont généralement des coûts modiques. La conclusion de l'auteur est de dire que toute dépense, même relativement basse, laisse néanmoins des traces plus fiables que les renseignements de source humaine, et donc susceptibles d'être exploitées. Une affirmation tout à fait pertinente dès lors que les circuits financiers modernes sont utilisés.

Cette analyse est cependant passée à côté d'un élément central, à savoir la relation entre les coûts d'une action et sa modalité. Même s'ils sont généralement sous-évalués, ces coûts restent en effet modestes :

There are few reliable data on the cost of attempting terrorist attacks. One account from terrorists themselves is the Jordanian Islamic Action Front (IAF) statement that Hamas's July 31, 2002, bombing of Hebrew University cost $50,000. An attempt to estimate the cost of major terrorist attacks was made in an August 2004 UN Monitoring Team Report on al-Qaeda and the Taliban. Consider its estimate for the costs of various terrorist attacks:
.Madrid train bombings, March 11, 2004: $10,000
.Istanbul truck bomb attacks, November 15 and 20, 2003: $40,000
.Jakarta JW Marriot Hotel bombing, August 5, 2003: $30,000
.Bali bombings, October 12, 2002: $50,000
.USS Cole attack, October 12, 2000: $10,000
.East Africa embassy bombings, August 7, 1998: $50,000

Le raisonnement de l'auteur, selon lequel les préparatifs indirects et les mesures d'accompagnement aboutissent à multiplier les dépenses ci-dessus, omet de considérer le caractère offensif - sur le plan tactique du moins - de l'attentat terroriste. Par définition, les auteurs des attaques ont en effet l'initiative, choisissent l'instant et le lieu de leur action, et donc peuvent focaliser leurs ressources sur l'objectif retenu. Au contraire, et même en ayant des renseignements très précis, se prémunir contre un attentat terroriste exige des mesures protectrices de grande envergure, des dispositifs systématiques qui ont un coût élevé. L'environnement médiatique fournit gratuitement à l'attaquant l'essentiel des effets recherchés, alors que le défenseur doit multiplier les actions préventives.

Ce déséquilibre s'exprime certainement par une disproportion financière, même si les vies humaines n'ont pas de prix : les 600 milliards de dollars perdus dans le monde suite aux attentats du 11 septembre, dont la préparation et l'exécution ont coûté 500'000 dollars, sont certes une justification pour des mesures de sécurité renforcées ; celles-ci n'en sont pas moins un fardeau financier et moral. Au fond, ce n'est pas la modicité des dépenses qui fait de l'attentat terroriste un mode d'action aussi tentant, mais bien son mode de pensée, ce targeting sociétal qui outrepasse toutes les frontières traditionnelles. S'en défendre entièrement est tout bonnement impossible.

Il ne reste donc que la contre-offensive, la déstabilisation de l'attaquant par l'attaque de ses propres bases, à la fois géographiques, financières et sémantiques. Nul besoin d'être grand clerc pour remarquer que la stratégie américaine de l'après-11 septembre s'en rapproche étroitement. Le bouclier reste vain sans le glaive - et la volonté de s'en servir.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h57 | Comments (5)

L'éclatement de l'espace

L'élargissement des émeutes en région parisienne et leur évolution vers la guérilla urbaine - 250 voitures brûlées dans la nuit de mardi à mercredi selon certaines sources - révèlent des fractures, des décalages et des antagonismes trop longtemps niés ou sous-estimés. Ce phénomène n'a cependant rien de spécifique à la France, et trouve au contraire un écho dans d'autres émeutes, survenues au Danemark, en Suède ou encore en Grande-Bretagne. Les causes y sont globalement les mêmes : une population immigrée en panne d'intégration, une jeunesse désoeuvrée à l'identité incertaine, des zones de non droit provoquées par des années de laxisme, et un civisme rongé par le communautarisme et l'influence islamique.

En portant un regard à la fois extérieur et analytique sur ces violences, et surtout les zones dans lesquelles elles prennent place, je suis amené à constater qu'une bonne partie des grandes villes européennes comprennent non seulement des secteurs semi-permissifs, dans lesquelles les forces de sécurité n'ont qu'une présence intermittente, mais également des secteurs carrément non permissifs, où leur venue est en soi un casus belli. Si le désoeuvrement et la vengeance semblent les facteurs déclencheurs des émeutes en banlieue parisienne, le transfert presque total de l'autorité à des leaders communautaires et/ou spirituels - « les grands frères » et « les barbus » - est la cause déterminante de ces réactions violentes. Les sociétés européennes ont laissé s'établir et enfler des poches hostiles qui maintenant les défient.

Reconnaître la présence d'un ennemi intérieur est une prise de conscience importante, et je suppose que les images de violences diffusées par les chaînes TV françaises depuis une semaine vont y concourir. Mais le phénomène ne s'arrête pas là : le plus important consiste à voir qu'un tel processus se produit parallèlement en bien d'autres lieux du continent. Nous vivons à une époque où chaque société tend à refléter, comme un fragment d'hologramme, les luttes majeures de la planète. Quand les jeunes de Seine-Saint-Denis se mettent à utiliser Internet pour communiquer entre groupes, proposer des renforts et coordonner des actions, ils ne font que reproduire des comportements rendus possibles par la technologie et acceptables par l'idéologie. L'une comme l'autre se répandent sans difficulté à travers les frontières. L'espace est transformé, éclaté par la mise en réseau des haines, des croyances et des connaissances.

A l'instant où j'écris ces lignes, mon train quitte la gare de Bienne en parallèle d'un train de marchandises qui transporte une vingtaine de chars de grenadiers 2000. Voilà qui ne pouvait mieux souligner la question de l'action coercitive face à cette mondialisation de la violence, à cette fusion global / local par laquelle la circulation des personnes est dopée par celle des idées. La disparition des lignes de front, caractéristique des conflits modernes, se fait en parallèle avec la multiplication des lignes de séparation au sein même des sociétés, avec l'essor des segmentations qui délimitent sur notre propre sol - une notion d'ailleurs largement périmée - les zones amies, neutres et hostiles. Que ces dernières soient susceptibles un jour d'y voir l'engagement des armées relève à mon avis de l'évidence.

Les émeutes qui embrasent Paris ne portent pas la marque du djihad, mais celle de sociétés post-modernes où la perte du sens civique, la dilution des identités et l'exclusion économique favorisent l'importation des causes et le détournement de l'autorité. La menace n'en est pas moins sérieuse.

COMPLEMENT I (3.11 1730) : Plusieurs articles lus aujourd'hui fournissent des informations complémentaires. En premier lieu le résumé des violences de la nuit passée, qui annonce 4 tirs à balles réelles et 177 voitures brûlées. Un extrait de quelques discussions entre jeunes sur des blogs, avec un français stupéfiant. Une analyse du phénomène par Jean-François Mattéi, qui met sur le doigt sur 4 causes conjuguées (banalisation de la violence, trahison de la langue, renoncement de l'Etat et démission des élites responsables). Et un reportage sur les mariages organisés dans la communauté turque à Hambourg, qui contribuent à la fracture de la société allemande par l'importation d'une minorité qui ne veut ni ne peut s'intégrer.

COMPLEMENT II (3.11 1815) : Ce billet permet d'avoir une perspective confirmant le phénomène décrit ci-dessus. Il affirme notamment que l'emploi de l'armée pour juguler cette guérilla urbaine en devenir sera repoussé par la nécessité de nier l'ampleur du conflit, et par la volonté de s'incliner devant une minorité redoutée.

COMPLEMENT III (3.11 2000) : Sur les conseils ci-dessous de fingers, que je remercie au passage, j'ai recherché et retrouvé la grille d'évaluation des violences urbaines de Lucienne Bui Trong : l'environnement, l'autorité, l'uniforme, le caillassage, l'attroupement, le guet-apens, la mini-émeute et la guérilla. Un degré supplémentaire devrait probablement être ajouté : l'insurrection.

COMPLEMENT IV (4.11 1345) : Les violences urbaines se sont poursuivies pour la huitième nuit consécutive en banlieue parisienne, avec moins d'affrontements mais plus d'incendies de véhicules (400). Ces actions sont apparemment menées par de petits groupes, parfois très jeunes, qui mènent des raids ponctuels et évitent le contact avec les forces de l'ordre (1300 agents de police spécialement déployés). Ce qui laisse certains spectres se profiler à l'horizon noirci du pays...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h38 | Comments (25)

1 novembre 2005

Iran : le prix de l'inaction

Les déclarations génocidaires du président iranien n'auront somme toute provoqué que des remous limités : la communauté internationale a globalement condamné son appel répété à rayer Israël de la carte du monde, mais sans entreprendre aucune action concrète ; les Etats-Unis restent en embuscade, préférant laisser la vedette à une Europe qui s'est ponctuellement gargarisée de mots avant d'en revenir à ses troubles domestiques. L'appel à la protestation lancé par Marek Halter dans Le Monde est un bon résumé de la situation actuelle des Européens : une morale omniprésente, prompte à l'indignation compulsive, sans la volonté ni la capacité immédiate d'imposer à autrui un comportement différent.

Mais était-il vraiment impossible d'entreprendre la moindre action à l'encontre du gouvernement iranien ? Lorsque la Syrie est sommée de coopérer sous peine de sanctions implicites pour avoir ourdi le meurtre d'un seul homme, comment est-il possible que la volonté d'annihiler un pays entier ne fasse l'objet d'aucune action coercitive ? La vérité, c'est que l'Europe a parfaitement les moyens d'exercer une pression politique, économique et militaire sur l'Iran. Son influence internationale, son impact dans les échanges commerciaux ainsi que ses capacités aériennes et aéronavales suffisent certainement à avoir un impact sur les décisions des mollahs. C'est bien la volonté qui fait défaut.

Au fond, les dirigeants européens aimeraient bien que Mahmoud Ahmadinejad n'ait jamais tenu de tels propos, qu'ils ne les ait pas obligés à prendre une position tranchée. Ils vont d'ailleurs rapidement s'efforcer de les oublier, ces mots qui démasquent, ces phrases gorgées de haine, et les mettre sur le compte d'une errance passagère. Il est tellement plus agréable, plus reposant d'être ami avec tout le monde - ou du moins de s'en persuader ! Lorsque l'on s'escrime à préserver un statu quo au demeurant illusoire, lorsque l'on pense pouvoir conserver une prospérité qui s'est construite sur la transformation, agir à l'encontre de l'Iran devient un risque insupportable. La peur du changement plébiscite l'inaction.

Que celle-ci ait souvent un prix exorbitant ne change rien à l'affaire. Puisqu'il est possible à son président de clamer son intention de détruire Israël sans conséquence grave, voilà qui ne peut qu'encourager l'Iran à poursuivre sur cette voie. Comme toujours, refuser la confrontation lorsque des intérêts sont manifestement contraires ne fait que la différer et augmenter son ampleur. La menace iranienne devra tôt ou tard recevoir une réponse adaptée. Et si des arsenaux nucléaires viennent se mêler à l'affaire, cela pourrait nous inspirer des regrets éternels!

COMPLEMENT I (2.11 1815) : En annonçant son intention d'accélérer son programme nucléaire et de remplacer 40% de ses ambassadeurs, dont apparemment les plus favorables à l'Occident, l'Iran s'inscrit toujours plus dans une logique de confrontation. Son président se comporte largement comme si une guerre était inévitable, et comme si elle devait être préparée au mieux.

De ce fait, il est intéressant de lire cet article dans lequel le directeur d'un think tank conservateur américaine affirme que la menace iranienne doit être conjurée par une offensive politique, par une campagne de désinvestissement et par une réduction de la dépendance pétrolière. Mais toutes ces mesures ne peuvent faire effet qu'à moyen ou long terme, et c'est bien par l'action militaire que la situation pourra être gérée, stabilisée ou au contraire transformée. J'y reviendrai prochainement.

COMPLEMENT II (3.11 1045) : L'inaction a peut-être un prix, comme je le pense, cela n'empêche pas Alexandre Adler de la recommander ce matin dans Le Figaro. Voilà ce que nous devrions faire :

"...les États occidentaux se doivent donc de ne pas jouer dans les mains de l'incendiaire et de laisser sans trop de hâte monter la contre-offensive des forces de la raison qui, tout comme à Damas et à Riyad, sont à Téhéran encore majoritaires."

Laissons donc agir les forces raisonnables qui existent dans ces pays, en espérant qu'elles parviendront à leurs fins tout aussi raisonnables. Et que faire si les forces déraisonnables concentrent dans leurs mains toutes les rênes du pouvoir? Alexandre Adler ne semble pas envisager un tel développement de la situation. Il est stupéfiant de constater à quel point un homme aussi intelligent peut démontrer aussi peu de volonté. Comme quoi la connaissance et le bon sens sont deux choses bien distinctes...

COMPLEMENT III (3.11 2050) : Sur la question des paroles et des actes concernant, cet article révélant le soutien de l'Iran aux familles d'attentats terroristes palestiniens est assez révélateur. Pour autant qu'il soit véridique ; les informations qu'il fournit sont toutefois cohérente avec le rôle joué depuis des années par l'Iran.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h59 | Comments (19)

30 octobre 2005

Vers la sécurité civilo-militaire

Une troisième nuit consécutive d'émeutes a eu lieu dans la banlieue parisienne, à Clichy-sous-Bois, où vivent plus de 28'000 personnes dont la moitié âgées de moins de 25 ans, dont une forte proportion originaire d'Afrique du Nord. Ces violences ont été moins importantes que les deux nuits précédentes, avec des jets de pierre sur les pompiers et la police ainsi que 20 voitures incendiées. La veille, les forces de l'ordre avaient dénoncé une véritable "guérilla urbaine", alors qu'un syndicat de la police avait appelé aux renforts de l'armée pour juguler une situation de "guerre civile".

Ces mots percutants peuvent sembler exagérés, alors qu'une seule balle de gros calibre a été tirée sur un car des CRS et que les cocktails Molotov ont sinon été les armes les plus dangereuses de ces jeunes gens qui se sont battus suite à la mort par électrocution de deux d'entre eux. Mais en étudiant les images des affrontements et en prenant les effectifs impliqués (400 jeunes contre 250 à 300 policiers vendredi soir), force est d'admettre que les forces de l'ordre françaises font face à une insurrection rampante, à une intifada potentielle que le moindre incident grave [et non étincelle, ce mot est ici inapproprié] peut déclencher.

De telles violences sont en effet quotidiennes à un degré moindre, au point que les forces de police et les pompiers sont systématiquement l'objet de caillassages sans que cette désobéissance criante soit vraiment médiatisée. Et le chômage qui frappe ces jeunes gens n'est pas le seul facteur de violence : la diffusion de valeurs islamiques dans une population immigrée, notamment, favorise la distanciation par rapport à l'autorité de l'Etat, et l'adoption d'une identité communautaire qui lui est résolument opposée. Autrement dit, c'est dans de telles banlieues que se fabrique un ennemi intérieur, par un phénomène qui se déroule dans presque toute l'Europe.

L'appel de policiers au soutien de l'armée ne doit donc pas surprendre. Il va immanquablement se reproduire chaque fois que les forces civiles seront confrontées à une menace qui va au-delà de leurs capacités, de leurs méthodes, de leurs équipements aussi. Pour l'Armée de Terre française, par exemple, il n'y aurait pas une grande différence entre la sécurisation de Clichy-sous-Bois et celle de Kosovska Mitrovica : les missions de maintien de la paix ont donné aux militaires une expérience et un savoir-faire qui peuvent aisément être appliqués à l'intérieur des frontières nationales. Bien entendu, cet emploi est à double tranchant et comporte des risques d'escalade certains. Mais les zones de non droit sont des chancres qui peuvent ronger une société.

Une telle perspective est encore loin d'être répandue. En Suisse, où vient d'être inaugurée la nouvelle académie de police de Savatan, qui fait l'exploit fédéraliste de rassembler les aspirants des polices cantonales et municipales de Vaud et du Valais, on brandit encore et toujours le spectre de la "militarisation de la sécurité intérieure" comme si rien n'avait changé depuis des décennies. L'engagement de l'armée pour des prestations subsidiaires de sécurité, que ce soit dans la surveillance des bâtiments consulaires ou dans l'appui à la protection de sommets internationaux comme le WEF, est toléré comme un pis-aller. Les remerciements sont en proportion...

Un jour viendra où policiers, gardes-frontière et militaires seront déployés sous un commandement commun pour des opérations de sécurité intérieure. Les circonstances nous y amèneront. Et si cette perspective n'est pas exactement souriante, compte tenu de la gravité nécessaire de ces circonstances, il est néanmoins préférable de s'y préparer mentalement.

COMPLEMENT (1.11 1535) : Lorsque l'on voit les affrontements se poursuivre et s'étendre, on ne peut que prendre conscience du danger qui réside dans ces banlieues, du potentiel de violence qui peut aller bien plus loin. Lorsque des policiers se mettent à trouver normaux de simples caillassages de leurs véhicules et des jets de cocktails molotov, c'est que vraiment quelque chose est en train de changer dans l'appréhension de la menace. Ou quand la négation de tout ennemi extérieur aboutit à l'aveuglement face à l'ennemi intérieur.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h06 | Comments (35)

28 octobre 2005

La faille des dictatures

Lors d'une discussion à bâtons rompus ce midi avec l'un de mes camarades, dans une gargote fort prisée de la capitale, ce dernier a sorti l'une de ces vérités dont l'étrangeté apparente suscite le rire : « l'ennemi principal de toute dictature, c'est sa propre population. » C'est une chose que l'on peut avoir tendance à oublier si l'on se fie trop aux apparences martiales et posées qu'affectionnent les régimes autocratiques. Mais le mécontentement, la frustration, la colère voire la révolte de la population constituent une menace permanente, qui exige une réponse adaptée. Du coup, il est fréquent que les forces de sécurité soient davantage aptes à la répression qu'à la protection, à la mise en coupe réglée du pays qu'à sa mise sur le pied de guerre.

L'Irak en 2003 a fourni un exemple éclatant de cette faille : les organisations armées fidèles au régime de Saddam Hussein se sont faites littéralement massacrer au sud de l'Euphrate ou dans les rues des villes ; quant à l'armée régulière, et même une partie de la Garde républicaine, elle s'est évaporée presque sans combattre. En fait, l'évolution technologique appliquée aux armements favorise tellement les armées démocratiques, qui pratiquent librement les échanges d'information et optimisent constamment leurs cycles décisionnels, que les dictatures classiques leur sont de plus en plus vulnérables. Je ne donne pas cher de la peau de l'armée syrienne si deux divisions mécanisées américaines - l'équivalent de trois d'entre elles sont actuellement en Irak - se lancent dans une percée jusqu'à Damas. Mais ensuite ?

Car l'essentiel est bien là : pour survivre durablement, les régimes autocratiques ont besoin d'exercer une telle emprise sur leur population que celle-ci peut finir par perdre son sens civique, accepter les fractures imposées par un pouvoir qui divise afin de régner. Comme les Etats-Unis l'ont appris en Irak, il est bien plus difficile de construire une démocratie que d'abattre une dictature, même si l'un et l'autre vont parfois de pair. Et il est compréhensible que des esprits à courte vue pensent qu'un ordre totalitaire est moins pire qu'une liberté chaotique. Du coup, la meilleure protection des dictateurs contre les offensives militaires visant à les renverser est désormais le spectre du chaos qui va nécessairement leur succéder. Après moi, le déluge !

Bien entendu, ceci n'est valable que lorsque le régime en question apparaît suffisamment raisonnable pour ne pas constituer une menace imminente. Tel ne semble plus être le cas de l'Iran aujourd'hui, alors que l'implication de la Syrie dans des actions armées en Irak et au Liban lui donne également un profil menaçant. Il n'est pas rare que les dictatures tentent de remédier à la faille que constitue leur opposition intérieure en mobilisant plus ou moins artificiellement leur population contre une menace extérieure. Les propos actuels des dirigeants iraniens peuvent d'ailleurs difficilement être interprétés dans un autre sens. Mais une telle focalisation ne permet pas longtemps de détourner les esprits, alors qu'elle offre une justification toute trouvée pour une action coercitive adoubée par la communauté internationale.

Aussi étrange et contradictoire que cela puisse paraître, la démocratie s'affirme de plus en plus comme la meilleure structure politique pour projeter efficacement - au moins à terme - la puissance des armes.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h29 | Comments (3)

27 octobre 2005

Le défi de l'euthanasie

Il est parfois des régimes qui semblent se précipiter résolument vers leur perte. Les deux pays les plus déstabilisés par l'invasion américaine de l'Irak et par l'implantation des idées démocratiques sont la Syrie et l'Iran ; ils ont tenté un temps d'unir leurs forces pour résister à la pression du changement, mais leurs différences d'intérêts et de positionnement stratégique écartent toute alliance. Et aujourd'hui, l'un en se faisant prendre la main dans le sac par l'ONU - une rareté ! - pour son ingérence meurtrière au Liban, l'autre en proclamant à la terre entière son intention à la fois d'éradiquer l'Etat d'Israël et d'acquérir l'arme nucléaire, tous deux se retrouvent dans une position plutôt délicate. Autant afficher « bombardez-nous » en lettres géantes sur les palais présidentiels de Damas et Téhéran.

Dans cette situation, je ne pense pas que la dictature alaouite et la théocratie chiite aient de grandes chances de survivre longtemps. La Syrie apparaît naturellement comme le pays le plus fragile, brouillé avec tous ses voisins, sans appui autre que celui, opportuniste, de la Russie, et soumis à la contagion démocratique qui enflamme les esprits de la région. Mais l'Iran, malgré ses pasdarans fanatisés, son programme nucléaire, son levier pétrolier et sa société cadenassée, est devenu une menace trop aiguë pour exercer une vraie dissuasion. Ces deux pays doivent être démocratisés, leur régime renversé, leur population libérée, pour qu'ils cessent d'exporter leur violence endogène. Leur mort inéluctable doit être aussi bien accompagnée qu'accélérée. En un mot, assurée.

L'euthanasie stratégique est bien entendu très difficile. Comment vider ces abcès autocratiques, arc-boutés sur leur double contrôle des armes et de l'information, sans employer un remède pire que leur mal ? L'exécution à courte vue du régime de Saddam Hussein est un augure menaçant, tout comme la durée et les coûts - multiples - de l'opération. A l'heure actuelle, on voit mal comment la même méthode pourrait être employée contre la Syrie, pays de 18,4 millions d'habitants répartis sur 184'000 km2 de terrain souvent aride et montagneux, et plus mal encore contre l'Iran, géant régional de 68 millions d'habitants sur 1,6 millions de km2 encore plus tourmentés. Le glaive américain, que le conflit irakien a autant aiguisé que raccourci, n'est là que pour le coup de grâce - ou le nœud gordien.

La politique des Etats-Unis à l'endroit de ces deux menaces semble ainsi une sorte de pot-pourri de la guerre froide, un mélange de « containment » (Iran) et de « rollback » (Syrie). Pourtant, elle est parvenue à mettre en œuvre un isolement douloureux par une démarche multilatérale et onusienne, au point d'ailleurs que certains esprits intermittents - tel Bernard Guetta dans Le Temps samedi passé - affirment que la situation au Liban prouve la supériorité de la diplomatie sur la guerre. Cependant, cet étranglement progressif a ses limites, et ce serait déjà un exploit sensationnel si le Département d'Etat parvenait à convaincre le Conseil de sécurité d'approuver des mesures de coercition armée. Auquel cas seuls des bombardements ponctuels seraient probablement autorisés.

Même s'il est aujourd'hui possible de bombarder une nation sans nécessairement empêcher sa population d'adhérer à nos valeurs, je doute que cela soit suffisant. La méthode la plus efficace, en théorie, serait de pousser les autocrates à la faute, de les amener à commettre des actes ou à prononcer des discours qui les isolent toujours plus et les poussent à la fuite en avant. Au suicide, à vrai dire. Peut-être est-ce d'ailleurs à cela que nous assistons aujourd'hui de part et d'autre de l'Euphrate. Le tout est de savoir quand procéder au geste fatal, quand achever le régime malade et dangereux : trop tôt en ferait un martyr, trop tard en ferait un bourreau. Tel est le vrai défi de l'euthanasie stratégique.

COMPLEMENT (28.10 1400) : Plusieurs articles parus aujourd'hui au sujet de l'Iran et des propos de son président méritent à mon sens le détour.

En premier lieu, on peut lire dans La Tribune de Genève sous la plume de Jean-Noël Cuénod une condamnation très dure de cette intention, parlant de Nuremberg du nazislamisme, et un appel à la défense bec et ongles d'Israël. Ces propos ne sont certes pas représentatifs, même si l'on peut trouver d'autres textes qui témoignent d'un basculement notable. Le fait que Mahmoud Ahmadinejad maintienne et réitère ses propos rend probable l'affermissement de ce changement des perceptions.

Par ailleurs, dans le New York Post, il vaut la peine de lire 2 analyses complémentaires sur ces propos. L'analyste américain Ralph Peters estime que le monde musulman doit avant tout craindre l'affrontement entre la bombe sunnite existante et la bombe chiite en voie d'achèvement. Pour sa part, l'expert iranien Amir Taheri juge que l'Iran est en marche vers la guerre ouverte et procède par ce biais à sa mobilisation. Une perspective qui se rapproche de ce que j'esquissais ci-dessous sous la forme d'une marche vers le suicide.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h24 | Comments (28)

19 octobre 2005

Confusion en Afghanistan

Un article mis en ligne hier par Le Monde affirme que la France a fait valoir sa position concernant le devenir des opérations de l'OTAN en Afghanistan. Depuis plusieurs mois, les discussions sont en effet intenses au sein de l'Alliance concernant une intégration des 2 forces multinationales actuellement déployées dans le pays : l'International Security Assistance Force (ISAF), qui compte 10'500 militaires de 38 nations différentes sous le commandement de l'OTAN, via le Joint Forces Command HQ de Brunssum ; et la Combined Joint Task Force 76 (CJTF-76), qui compte quelque 20'000 militaires avant tout américains sous le commandement du Central Command. L'extension progressive des activités de l'ISAF, au nord puis à l'ouest du pays, va ainsi se poursuivre au sud, et ses effectifs passeront à 15'000 militaires.

Ces deux forces ont en théorie une mission radicalement différente : l'ISAF est chargée de stabiliser et de sécuriser l'Afghanistan, alors que la CJTF-76 est chargée de combattre les islamistes au sud-est du pays. La dimension politique de cette différence est importante, puisqu'il est possible de présenter les uns comme « faisant la paix » et les autres comme « faisant la guerre », et la France n'est pas le seul membre de l'Alliance a être sensible à cette perception. De ce fait, la reprise par l'OTAN de l'opération « Enduring Freedom » aurait trop ressemblé à une reconnaissance de la stratégie offensive américaine mise sur pied au lendemain du 11 septembre pour être sans autre acceptée.

Mais dans la réalité, cette différence est très largement fictive, et ceci pour au moins trois raisons. Premièrement, plusieurs pays ont engagé dès 2002 des contingents dans les 2 opérations simultanément, comme la France avec un contingent dans l'ISAF pour la formation de l'armée afghane et un contingent de forces spéciales dans la CJTF-76 pour la traque des membres d'Al-Qaïda. Deuxièmement, la séparation entre les 2 opérations est loin d'être nette : non seulement les deux structures échangent-elles des renseignements sur une base quotidienne, mais l'ISAF fournit également des appuis - feu air-sol, transport, etc. - à la CJTF-76 lorsqu'une demande peut être satisfaite. Troisièmement, dans l'esprit des islamistes présents dans le pays et en bordure, tous les soldats occidentaux sont des ennemis.

Le fait que des soldats français aient été blessés aujourd'hui par un explosif improvisé au nord-ouest de Kaboul souligne malheureusement la vacuité des oppositions politiques basées sur des apparences confuses. Le compromis annoncé par le général dirigeant le comité militaire de l'OTAN, avec un adjoint « sécurité » de l'ISAF ayant une double subordination, n'aboutira qu'à une structure bancale que les militaires déployés vont rapidement contourner. Sur place, personne n'ignore que les opérations visent des objectifs à terme similaires, et que l'OTAN est appelée à renforcer son emprise sur le pays et la région sous peine de voir ses efforts réduits à néant.

COMPLEMENT (21.10, 0700) : Un communiqué officiel du Pentagone résumant les propos du SACEUR, le général Jones, complète et corrige la perspective. Il fournit notamment plus de détails sur l'articulation future de l'ISAF et donne des chiffres différents concernant le volume actuel des forces :

When the plan is complete, Germany will command in the northern provinces, Italy those in the west and around Kabul, the United Kingdom in the south, and the United States in the east. France and Turkey will also share the security mission in the north.
Once the NATO mission has expanded throughout the country, those forces will probably come under the command of an American general, who will also be commander for non-NATO nations in the country, Jones said. Currently, 12,000 members of NATO's security force are in the country. Just over 21,000 soldiers are in the coalition force in the region, including about 18,000 U.S. servicemembers.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h47 | Comments (2)

15 octobre 2005

Irak : un vote essentiel

Le référendum constitutionnel irakien se déroule aujourd'hui, avec ses inévitables violences, mais aussi avec son importance majeure dans la construction d'un Etat raisonnablement stable et démocratique. Les inscriptions massives montrent que le principe même du scrutin est prisé par les Irakiens, ce dont il a toujours été incongru de douter ; quant aux craintes qu'inspire le texte, et l'Etat fédéral qu'il fonde, il est bien trop tôt pour savoir si elles sont justifiées ou si elles relèvent du scepticisme et du pessimisme maladifs qui entourent la perception de la situation en Irak depuis 2 ans et demi.

Il devient presque trivial de rappeler, comme l'a fait Ivan Rioufol dans son dernier bloc-notes, que la plupart des commentateurs jugeaient impossible en 2003 et 2004 la mise sur pied d'un tel référendum, sur un texte rédigé par un Parlement élu. En fait, ce processus confirme que le vote est bel et bien ce que j'ai appelé avec un brin d'ironie une arme de légitimation massive, dans le sens où elle permet une expression populaire majoritaire (selon la participation, naturellement) qui s'oppose explicitement aux actions violentes minoritaires. Une manière de redonner un gigantesque coup de fouet à tous ceux qui croient servir un nouvel Etat.

Les perspectives en Irak restent pourtant contrastées. Derrière les attentats et attaques en cascade, derrière la criminalité très répandue et les règlements de compte internes, une nation sans équivalent au Moyen-Orient est en train de se dresser. La perception qui en est aujourd'hui donnée par les médias occidentaux reste avant tout celle d'un bourbier pour les Etats-Unis, alors même que le rôle de ceux-ci ne cesse de diminuer dans le pays ; les violences de basse intensité et le terrorisme ne vont certes pas cesser comme par enchantement avec un règlement politique des antagonismes propres à l'Irak, mais leur impact souffre des scrutins électoraux. Ceci étant, cette vision d'un Etat en proie au chaos ne pourra pas très longtemps être aussi détachée de la réalité.

Face au développement assez spectaculaire des forces armées irakiennes et de l'économie nationale, on peut ainsi penser que l'Irak aura dans quelques années une position de force sur le plan régional. A cet instant, il sera temps d'accuser les Etats-Unis d'avoir trop armé, trop militarisé ou trop favorisé ce pays... et ainsi de corriger un excès par son exact opposé.

COMPLEMENT (15.10, 1830) : Il semblerait que ce vote se soit globalement bien déroulé, avec une participation annoncée à 61%. Naturellement, outre le résultat, la participation selon les provinces sera un indice important pour voir si la population a suivi le Gouvernement.

COMPLEMENT II (16.10, 1145) : De manière tout de même surprenante, le scrutin n'a connu qu'un nombre minime de violences. De plus, la participation semble avoir été élevée dans la totalité du pays, y compris dans les provinces à majorité sunnite. En d'autres termes, un succès qui confirme la force et l'élan d'un processus démocratique, même imparfait.

COMPLEMENT III (16.10, 1850) : Il vaut la peine de lire l'analyse de Wretchard à ce sujet. Pour lui, ce vote représente la fin du début, et la preuve de l'échec total des tactiques terroristes employées par la guérilla sunnite.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h30 | Comments (8)

7 octobre 2005

Les 20 ans du RAID

Le Monde a publié hier un article remarquable sur le RAID, l'unité spéciale la plus connue de la police nationale française, à l'occasion de son 20e anniversaire. Au-delà de l'historique de l'unité et des luttes intestines qu'elle a dû mener, il est intéressant de constater à quel point la compréhension des individus et des réseaux présentant une menace, dans toute leur dimension psychologique, morale et cognitive, a été développée :

La réorientation du RAID vers l'antiterrorisme oblige désormais les agents à une connaissance approfondie des dossiers. La 2e section ne se contente plus d'exécuter les demandes d'interpellation transmises par la direction générale de la police nationale. Elle reçoit les notes de synthèse en provenance des services de police judiciaire, les étudie méticuleusement et les intègre dans ses propres bases de données. Une mémoire informatique, entretenue en permanence, permet ensuite aux policiers de faire des vérifications dans le cours même de leur mission.
"On a commencé à faire cette bibliothèque avec le Groupe islamique armé (GIA), puis le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et Al-Qaida, souligne Jean-Marc Fata. Les gars doivent connaître l'idéologie et les habitudes de leurs objectifs. Même chose pour la Corse : ils doivent savoir que le Groupe du 22-octobre ne se conduit pas comme l'Union des combattants." Il arrive que les responsables de l'enquête à la DST, aux renseignements généraux ou à la DNAT se déplacent au château de Bièvres pour briefer les membres de l'unité. En outre, chaque semaine, des cours théoriques sont dispensés aux policiers sur l'histoire du salafisme, la hiérarchie de l'ETA ou les mouvements nationalistes corses.

Une lecture conseillée.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (18)

6 octobre 2005

A l'assaut de la forteresse

Les images et les compte-rendus qui nous parviennent ces jours des enclaves de Ceuta et Melilla sont une illustration particulièrement poignante des flux migratoires que favorisent les crises et les déséquilibres, et des mesures de sécurité parfois draconiennes prises pour les limiter. Apprendre que 6 immigrés sont morts lors d'un assaut de l'enclave de Melilla, tués par balles ou piétinés, observer la chasse à l'homme que mènent les forces armées marocaines autour des enclaves suscite un malaise immense. Tout cela est-il vraiment nécessaire ?

La forteresse Europe dévoile ses traits stoïques sous les grillages de ces enceintes, dans les flots de la Méditerranée qui sont fatals à des centaines d'immigrés chaque année. Il est clair que cette notion de forteresse est fortement exagérée, mais l'emploi des forces armées pour surveiller les itinéraires migratoires - également dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, comme l'opération Active Endeavour de l'OTAN, puisque les filières sont similaires - laisse songeur. Je ne veux pas dire par là que les flux migratoires doivent être subis sans autre. J'ai simplement l'impression que l'Europe mène une opération défensive qui ne dit pas son nom, une sorte de guerre lente et anonyme.

Dans de telles situations, les forces de sécurité ne sont que de vains remèdes, des prescriptions ralentissant légèrement le processus et fournissant des images potentiellement utiles. Rien de plus.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h03 | Comments (32)

5 octobre 2005

Les femmes et la guerre

L'une des preuves les plus marquantes de l'élargissement de la guerre aux sociétés toutes entières reste le rôle croissant que les femmes y jouent. La féminisation progressive des armées en est un aspect, mais les problèmes d'effectifs ont une trop grande influence sur ce phénomène pour le rendre pleinement significatif : le milieu militaire reste profondément masculin, et les femmes n'y sont acceptées qu'à contre-coeur, parce que leurs compétences spécifiques sont nécessaires et parce qu'il faut bien remplir les rangs. Que les opérations de combat en Irak aient confirmé leur valeur combattante ne change rien à l'affaire.

En revanche, la présence de femmes dans les réseaux terroristes islamistes, et qui plus est de converties prêtes à soutenir jusqu'au bout leurs hommes dans le djihad, est un aspect révélateur. Elle montre que les idées radicales et le sectarisme sont un appât pour des personnes fragiles et instables, et que les réseaux islamistes en tirent profit pour recruter une main d'oeuvre utile à plus d'un titre. Mais elle indique également que le personnel de ces organisations censées combattre outrepasse toutes les normes et les frontières usuelles, et que l'emploi de femmes ou d'enfants pour confondre les forces de sécurité est une méthode désormais commune.

L'amenuisement des distinctions entre combattants et non combattants provoque immanquablement un retour à la barbarie. Le terrorisme aveugle, tel qu'il s'est encore manifesté le week-end dernier par les attentats de Bali, écarte cette distinction au niveau des cibles. La composition des organisations armées, relevant du terrorisme ou de la guérilla, écarte cette distinction au niveau des acteurs. Et tout ceci est rationalisé par des idéologies et des doctrines visant à élargir au maximum les moyens et les méthodes. Telle est la marque de la guerre sociétale. Chacun de nous peut être victime. Chacun de nous peut être coupable.

Une telle compréhension de la guerre n'est pas nouvelle. J'en veux pour preuve cet extrait de la Transformation de la guerre, de Martin van Creveld, publié en 1991 :

"La guerre ne se déroulera pas sur un champ de bataille - ce type d'espace n'existe plus de par le monde - mais au sein d'environnements complexes, naturels ou artificiellement créés. Ce sera une guerre d'écoutes, de voitures piégées, de tueries au corps à corps, dans laquelle les femmes transporteront des explosifs dans leur sac, ainsi que la drogue pour les payer. Elle sera sans fin, sanglante et atroce."

Une vision éminemment pessimiste, dont les éléments épars sont bien présents dans l'actualité, et qui doit être acceptée comme telle, c'est-à -dire comme projection, pour trouver la volonté de la conjurer.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h25 | Comments (4)

4 octobre 2005

La France et l'OTAN

Le Figaro a consacré hier une série d'articles au lancement opérationnel de son nouvel état-major multinational, le Corps de réaction rapide-France (CRR-FR). Le ton donné par ces textes est très clair : il s'agit pour la France de réaffirmer son statut de puissance militaire sur le plan international, et d'être capable de commander des actions d'envergure dans le cadre de l'OTAN ou de l'Union européenne. C'est pourtant bien l'Alliance atlantique qui constitue le moteur de cette évolution, et le retour progressif de la France dans ce bercail, quitte à formater un état-major et ses éléments de soutien selon les standards OTAN, montre bien que l'UE ne constitue qu'une hypothèse politique.

Concrètement, de quoi s'agit-il? L'Armée de terre française vient en fait de mettre en oeuvre le 7e état-major terrestre multinational de réaction rapide, qui entre dans le cadre des High Readiness Forces (HRF) de l'OTAN ; les 6 autres sont l'Allied Rapid Reaction Corps essentiellement britannique (et qui se prépare à commander l'ISAF en 2006, en Afghanistan), l'Eurocorps, le corps germano-néerlandais, le corps italien, le corps turc et le corps espagnol. Ces états-majors sont en mesure d'appliquer le concept de force de réaction rapide de l'OTAN (NRF) : déployer après 5 jours de délai un contingent de la taille maximale d'une brigade et assurer le commandement de l'opération pour une période allant jusqu'à 6 mois. Ce qui n'est pas une mince affaire, lorsque l'on sait qu'il faut 17 vols de C-17 pour déployer l'EM de l'ARRC.

Cet état-major suit donc les lignes de la planification faite à l'OTAN à l'enseigne du concept CJTF, et le CRR-FR est prévu pour être en alerte dans la rotation n°11 entre juillet 2008 et janvier 2009. Pour une opération d'une grande ampleur, il va de soi qu'un état-major opératif est nécessaire - ceux fournis par les Joint Forces Command HQ de Brunssum et Naples, anciennement AFNORTH et AFSOUTH, ou le Joint HQ de Lisbonne. Dans ce cas, la planification de l'opération doit commencer dans un délai de 7 jours - le temps de réunier les officiers d'état-major nécessaires - et le déploiement dans un délai de 30 jours. Un QG de CJTF compte en principe 525 officiers d'état-major, sauf s'il est déployé en mer - l'USS Mount Whitney, qui peut être activé en 72 heures, n'offrant que 253 places.

Quels enseignements peut-on tirer de tout cela? La France défend ses intérêts stratégiques en adaptant et en intégrant ses capacités de projection de puissance, et elle confirme son rôle d'acteur majeur dans le domaine des conflits armés. En revanche, il paraît bien difficile aujourd'hui de s'imaginer comment il est possible qu'un état-major opérationnel puisse laisser ouverte la chaîne de commandement qu'il appliquera - celle de l'OTAN ou celle de l'UE. Le recours à des systèmes d'information et de communication de type OTAN, ainsi que l'intégration d'officiers non membres de l'UE, impliquent une dépendance considérable envers l'OTAN, envers ses structures, envers ses processus, et donc envers ceux qui les contrôlent le plus - les Etats-Unis d'Amérique.

Malgré cela, toute amélioration des capacités militaires européennes est une chose aussi positive que souhaitable.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h24 | Comments (6)

1 octobre 2005

Au centre de commandement

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Le Raid se poursuit, dans des conditions difficiles en raison de la pluie et du froid, ce qui entraîne des retards non négligeables et des abandons. La nuit a été plus calme que prévu en ce qui me concerne, puisque je n'ai pas veillé au quartier-général et me suis contenté de passer quelques coups de téléphone à intervalles réguliers pour m'assurer que tout se déroulait normalement. En revanche, j'ai passé toute la matinée dans le centre de commandement tactique (autrement dit, le Tactical Operations Center, TOC, en langage international) puisque le chef d'état-major était dans le terrain de la phase action, afin d'assurer la supervision et la coordination de la conduite des opérations. Cette fois-ci, je n'ai pas été préoccupé par des questions médiatiques, puisque la veille j'avais notamment donné une interview et fait une visite du QG à une équipe de France 2 !

L'image ci-dessus a été prise le jeudi 29.9 vers 2350. Elle montre la séance d'orientation faite au TOC en présence de tous les sous-chefs d'état-major, afin de fixer les rôles respectifs dans cet emplacement. Le TOC est un outil de conduite classique, dans lequel un chef de phase est secondé par des représentants de toutes les cellules (opérations, logistique, service territorial, conduite et information) afin d'avoir la vue d'ensemble sur le déroulement des opérations et de prendre les décisions immédiates. Pour prendre un exemple, l'augmentation rapide du nombre d'abandons en début de matinée a amené le représentant de la logistique à élaborer un concept de transport des raiders dans trois zones distinctes de la phase action. La décision prise par les Forces aériennes d'annuler les vols en Super Puma pour cet après-midi provoque de même le déclenchement de décisions réservées.

Pour faciliter la conduite des phases, le TOC compte de nombreux panneaux mis à jour constamment, concernant notamment l'évolution des moyens et l'état des postes, ainsi que des projections de situation issues du réseau monté dans le QG (voir ci-dessous). Il s'agit d'une représentation graphique montrant le dernier emplacement connu des patrouilles et permettant ainsi de se faire une idée de la situation tactique. Un tel outil permet en un coup d'oeil de vérifier des points de détail tout en conservant une bonne vue d'ensemble. Et lorsqu'un problème apparaît, le chef de phase peut rapidement former un petit groupe de travail pour le résoudre et proposer des variantes pouvant être rapidement mises en oeuvre.

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Posted by Ludovic Monnerat at 14h55 | Comments (7)

30 septembre 2005

A toute heure

Les opérations militaires sont généralement caractérisées par un fonctionnement permanent, 24 heures sur 24. C'est le cas du Swiss Raid Commando, qui impose des journées particulièrement longues à toute l'organisation comme aux participants. L'affaire se déroule très bien, et les mois de planification portent aujourd'hui pleinement leurs fruits. Mais si la phase de sélection s'est bien terminée, la phase d'action commencera en fin de soirée, et je devrai être présent au quartier-général pour superviser et appuyer la conduite de la phase une partie de la nuit. Ce qui explique mon indisponibilité passagère ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 20h45 | Comments (1)

27 septembre 2005

L'articulation des cibles

Aujourd'hui, les participants au cours ont consacré leur journée au Joint Coordination Board, un outil focalisé sur la planification à court terme des opérations - entre 3 et 10 jours. Nous avons ainsi eu pour tâche de planifier des actions visant à gérer une situation aggravée, déclenchée par des émissions radios pirates appelant à la résistance face à notre force multinationale et par des flux de réfugiés qu'il s'agit tant bien que mal de gérer. Les différents groupes du cours ont proposé des variantes faisant des efforts principaux sur l'une ou l'autre des composantes - les forces terrestres pour occuper le terrain et fournir une protection visible, les forces spéciales pour s'infiltrer et mener des actions directes décisives, ou encore les opérations psychologiques pour influencer les comportements.

Un élément essentiel du JCB, et de l'ordre de coordination interforces qu'il est chargé d'établir, réside cependant dans le ciblage au sein du secteur d'engagement. L'outil responsable de la chose s'appelle le Joint Targeting Working Group (l'OTAN est définitivement accro aux appellations imbuvables et aux acronymes superfétatoires), et son produit se nomme Joint Effects List (une appellation nouvelle ; on parlait de Joint Targeting List voici peu). Cette liste est mise à jour sur une base quotidienne et recèle toutes les cibles des effets létaux et non létaux que l'on souhaite exercer. Ce qui représente un progrès déterminant par rapport à la pensée militaire traditionnelle : précédemment, le ciblage consistait pour l'essentiel à identifier et à prioriser les objectifs que l'on souhaitait détruire. Aujourd'hui, un pont à anéantir, unw entreprise à immobiliser, une communauté à influencer ou un dirigeant à convaincre relèvent d'un processus identique.

Cette compréhension élargie des opérations militaires, et pour tout dire de la guerre, a naturellement des conséquences en termes d'informations à gérer. Pour prendre un exemple comparatif, l'OTAN avait identifié quelques dizaines d'objectifs en Serbie au mois de mars 1999, lors du déclenchement de l'opération « ALLIED FORCE », et ce nombre a dépassé le millier trois mois plus tard ; en Afghanistan, le nombre de cibles répertoriées s'est élevé jusqu'à 14'000 à 15'000, pour la simple et bonne raison que des individus et des groupes de personnes ont été inclus. La diversité des effets recherchés implique aussitôt une multiplication des cibles, et donc un volume d'informations largement supérieur. Raison pour laquelle le ciblage des opérations en Afghanistan est appuyé par le personnel du quartier-général du Joint Forces Command de Brunssum, aux Pays-bas!

On peut se demander si cette méthode numériquement impressionnante est valable. A titre personnel, je pense que l'environnement des opérations modernes impose la prise en compte des complexités propres aux sociétés dans lesquelles elles s'inscrivent, et donc que de tels volumes de données sont incontournables. L'essentiel restant de ne pas se perdre dans les détails et de rester capable de fixer des priorités.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h36 | Comments (2)

26 septembre 2005

L'extraction de personnel

Notre cours est entré dans sa dernière ligne droite, en l'occurrence les différents outils de planification et de conduite des opérations. Aujourd'hui, nous nous sommes penchés sur la planification à moyen terme en effectuant quelques unes des étapes de ce processus long et complexe - bien plus long et complexe dans l'OTAN que dans l'armée suisse, d'ailleurs. Notre mission consistait à planifier, dans le cadre d'une mission de maintien de la paix se déroulant dans la partie sud de l'île de Madagascar, l'extraction d'un contingent d'observateurs non armés de l'ONU engagés dans deux enclaves dans lesquelles des minorités étaient menacées de subir les effets d'une purification ethnique rampante.

Puisque nous nous situons à l'échelon opératif, il ne s'agissait pas de concevoir en détail cette opération, mais bien de répartir les tâches entre les différentes composantes de forces, étant entendu que la composante terrestre, la composante maritime - avec son groupe de forces amphibie - et la composante d'opérations spéciales avaient toutes trois la capacité de mener à bien l'essentiel des actions, et donc de faire office de composante supportée (une manière de répartir l'effort principal à l'échelon de la CJTF). Malgré cela, la tâche était des plus ardues : les deux enclaves se situent à plus de 500 km l'une de l'autre, les observateurs sont positionnés dans un terrain utilisé par des guérillas employant le terrorisme, et les pays où se trouvent ces enclaves n'ont pas la capacité ou la volonté d'appuyer l'action de notre force.

De ce fait, la directive de planification signée par le SACEUR - le commandant suprême des forces alliées en Europe, en l'occurrence le général Wesley Clark, car le scénario de l'exercice date de 1999 - imposait de constituer une force d'extraction suffisamment dissuasive pour empêcher toute escalade de la violence, ce qu'un milieu semi-permissif ou non permissif aurait naturellement favorisé. Notre groupe a dès lors développé trois variantes générales, l'une axée sur une extraction terrestre des observateurs (héliportée et routière), l'autre sur une extraction maritime (héliportée et amphibie), et la troisième sur une action éclair de forces spéciales, infiltrées discrètement au préalable, appuyées par une démonstration de force aérienne, et secondées au besoin par des forces de réaction rapide terrestres et amphibies. On devinera aisément à quelle variante, plus sophistiquée et sexy que les autres, j'ai le plus contribué!

Ce type d'opération est naturellement d'une grande complexité. Il présente une similitude avec les opérations d'évacuation de non combattants (NEO), bien que l'extraction d'une force organisée - et identifiée par des tenues orange - facilite les choses. Il s'agit de distinguer trois éléments : la concentration du personnel dans des points de rassemblements, l'extraction proprement dite vers une zone sécurisée hors du secteur menacé (typiquement, une base d'opérations avancée) et le transport du personnel vers la destination finale. Dans le scénario, les observateurs sont censés se rendre d'eux-mêmes dans les points de rassemblement, ce qui est hautement douteux. Raison pour laquelle il s'est avéré nécessaire de prévoir des détachements de forces spéciales pour la recherche et sauvetage, ce qui inclut la libération de personnes.

Une autre planification nous attend demain, avant de passer mercredi à la conduite. Une fin de cours intéressante.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h58 | Comments (3)

23 septembre 2005

Terre, mer et air

Les rivalités interforces - ou interarmées - restent une chose difficile à appréhender de l'extérieur. A priori, les militaires devraient en effet former une confrérie, ou à tout le moins une organisation favorisant la camaraderie, et non se livrer à des luttes intestines parfois désastreuses, avec des services prêts à tirer des ficelles politiques pour défendre leurs intérêts sectoriels. De telles rivalités existent cependant dans toutes les armées, et les structures multinationales n'y échappent pas ; la Suisse constitue d'ailleurs à cet égard une exception : la faiblesse de la composante maritime - nos bateaux patrouilleurs sont issus du génie - limite à deux le nombre de forces, et donc une grande partie des tensions. Celles-ci existent néanmoins. Il suffit qu'un officier de l'infanterie visite une installation des Forces aériennes pour s'étonner des différences frappantes dont elle témoigne en termes de qualité de vie !

Ce matin, dans notre cours, nous avons cependant eu droit à une illustration frappante de ces rivalités, puisque les trois composantes classiques de la CJTF - terre, mer et air - ont été présentées dans cet ordre par des officiers norvégiens qui en sont issus. Bien entendu, ceux-ci ont chacun mené une opération de séduction couplée à un dénigrement, explicite ou non, des autres services.

Un major de la composante terrestre - incorporé dans l'Allied Rapid Reaction Corps - a commencé son exposé par un slide show de l'opération en Afghanistan, avec le morceau « Road to Hell » de Chris Rea sur les hauts-parleurs de la salle ; il s'est ensuite lancé dans une description précise et concrète des actions menées au sol, en mettant notamment l'accent sur le concept d'opérations basées sur les effets, qui est implémenté par l'ARRC, et en démontrant par là que les méthodes traditionnelles de planification étaient outrageusement dépassées.

Un capitaine de la composante navale - un grade équivalent à celui de colonel, et il s'agissait en fait du chef opérations de la marine norvégienne - a ensuite fait un tour d'horizon enthousiaste des flottes portant de près ou de loin la bannière de l'OTAN. Il a ainsi montré, à juste titre, que seuls les moyens maritimes permettent aujourd'hui à l'Alliance de déployer l'état-major d'une CJTF. Mais il a également souligné que sa composante possède des éléments terrestres et aériens, et que somme toute les effets interforces n'étaient si indispensables que cela.

Enfin, un lieutenant-colonel de la composante aérienne a entamé son exposé par quelques slides hyperchargés sur la grande stratégie, sur les principes fondamentaux qui la régissent, en appelant Beaufre et Luttwak à la rescousse, avant d'en venir au fait et de décrire l'arme aérienne comme étant la mieux à même de concrétiser le tout. Il a même illustré certains éléments avec un fleuret qu'il possède, peut-être en référence à André Beaufre, et plus sûrement parce que le général de l'aviation suédoise présent dans la salle pratique l'escrime.

Les rivalités sont inévitables dans les armées. Il s'agit simplement de faire en sorte que leurs effets restent maîtrisés, et que l'inertie structurelle n'entrave pas trop la pensée.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h58 | Comments (2)

22 septembre 2005

La théorie et la pratique

Ce cours se révèle tout aussi intéressant que je pouvais l'espérer. Hier, nous avons eu droit à une journée focalisée sur deux domaines transversaux, la logistique et l'aide au commandement ; après plusieurs théories dans la matinée, nous avons consacré l'après-midi à l'élaboration des premières lignes directrices pour un concept logistique qui, dans le cadre d'un scénario fictif se déroulant sur l'île de Madagascar, est rendu assez complexe pour la rareté des infrastructures. Aujourd'hui, nos travaux ont porté sur la coopération civilo-militaire, l'analyse des directives stratégiques et l'appréciation des moyens des forces armées en présence, après deux exposés très complet sur le commandement de la composante des opérations spéciales et les règles d'engagement. Tous ces exposés s'appuyaient sur des opérations en cours de l'OTAN, avec en première priorité l'Afghanistan.

Une chose commune à toutes ces présentations reste la différence entre la théorie et la pratique. L'Alliance produit en grande quantité de nombreux règlements qui forment une doctrine censée régler la planification, la conduite et l'exécution des opérations. Dans les faits, il existe une différence souvent énorme entre la théorie et la pratique, ce d'autant plus que chaque opération possède ses particularités. Ce constat n'est pas nécessairement négatif ; la nécessité d'adapter des principes à une situation donnée exige ainsi une souplesse et une faculté d'innovation tout à fait saines. Malgré cela, il est des domaines dans lesquelles certaines libertés peuvent s'avérer préjudiciable. En particulier dans l'une des valeurs cardinales de toute institution militaire : l'obéissance.

En théorie, le commandant d'une formation donnée dispose ainsi d'une autorité reconnue. Dans les missions de soutien à la paix, cette autorité est décrite selon des acronymes abscons dont la distinction est parfois subtile : ainsi, le commandement opératif (OPCOM) autorise un commandant à donner des ordres ses formations subordonnées ainsi qu'à leurs propres subordonnés, alors qu'un contrôle opératif (OPCON) limite cette compétence aux directement subordonnés. Dans la pratique, pour prendre l'exemple du Kosovo, le commandant de la KFOR doit demander à ses commandants de brigade s'ils sont d'accord de bien vouloir engager une de leurs formations dans son sens. Et ceci pour de simples questions de souveraineté et de susceptibilité, sans même prendre en compte les règles d'engagement que les nations imposent à leurs contingents.

De telles réalités jettent un doute certain sur l'aptitude des contingents multinationaux à fonctionner efficacement en cas de crise. En règle générale, l'entente des militaires déployés, le bon sens qu'ils partagent et la communauté d'intérêts entre les nations contributrices suffisent pour surmonter ces entorses à un fonctionnement normal. Mais cela souligne aussi à quel point la formation commune, avant la mission et en-dehors, est importante en vue de renforcer ces liens.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h43

15 septembre 2005

L'autocensure des militaires

L'un des aspects les plus déplaisants de la planification militaire, à court ou à long terme, reste l'autocensure que l'institution s'inflige à elle-même. J'en parlais aujourd'hui à midi avec l'un de mes camarades : dans les groupes de travail qui sont formés pour conduire les multiples projets en cours, il arrive immanquablement un instant où un esprit un peu moins ouvert que les autres déclare, d'un ton qui n'admet aucune réplique, « politiquement, c'est impossible. » En général, c'est l'argument massue, celui que l'on dégaine pour flinguer une initiative trop originale, trop innovatrice, trop rétive au consensus mou. Et il faut un courage moral hors du commun pour montrer le caractère souvent déplacé d'un tel argument.

Il va de soi que la politique joue un rôle déterminant dans le développement des armées. On peut difficilement soutenir un projet contredisant par exemple la volonté populaire exprimée ou les choix rendus publics par le Conseil fédéral. Cependant, le problème est ici différent : il survient lorsque les militaires se mettent à la place des politiques et imaginent leurs décisions avant même que les options soient entièrement développées. En tant qu'outil stratégique majeur au service d'un pays, une armée doit contribuer à préserver et à élargir la liberté d'action du Gouvernement par une culture axée sur l'ouverture d'esprit, la polyvalence, l'imagination et le dialogue. Renoncer à une option parce qu'elle tranche avec le quotidien peut parfois coûter très cher.

A ce sujet, il me revient une anecdote vécue durant mon dernier séjour dans une installation de commandement souterraine de l'armée. Dans le cadre d'un exercice qui avait pour thème général la sûreté sectorielle face à une menace de type asymétrique, j'avais en effet été chargé d'élaborer un ensemble d'actions possibles au niveau opératif. Certaines d'entre elles, même si le scénario était celui d'un conflit, étaient plutôt aventureuses et impliquaient des risques aussi mesurés que certains. Lorsque je les ai présentées à la direction d'exercice, qui faisait office de filtre avant une présentation en plénum devant le chef de l'état-major de conduite de l'armée, j'ai remarqué passablement de regards écarquillés dans l'assemblée, de bouches ouvertes, et même de teints pâlissants. Le mot « politique » était sur toutes les lèvres.

L'autocensure des militaires n'est pas seulement une crainte carriériste, une timidité institutionnelle. Elle est aussi une excuse pour l'immobilisme, un recours pour l'incompétence.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h43 | Comments (10) | TrackBack

L'extraordinaire ordinaire

Une amie m'a raconté dernièrement un épisode intéressant qu'elle a vécu dimanche dernier à l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Devant accompagner une voisine partant en voyage, et accessoirement s'occuper de sa fille pendant ce temps, elle a soudain remarqué que le périmètre situé autour du check-in de la compagnie low-cost EasyJet avait été bouclé - alors même que sa voisine devait s'y rendre. Un brin interloquée, mon amie a interrogé une employée du check-in de Swiss, non loin, pour savoir ce qu'il en était ; celle-ci lui a répondu que la zone était bouclée en raison d'un bagage suspect.

Effectivement, peu après, les hauts-parleurs de l'aéroport ont demandé aux voyageurs de bien vouloir gentiment s'écarter et faire attention à leurs propres bagages pendant la destruction du colis abandonné. Quelques instants plus tard, alors que mon amie sirotait un café, une énorme explosion retentit dans le bâtiment, suscitant une frayeur très différenciée parmi le public. Par la suite, le check-in d'EasyJet est redevenu accessible, à peine encombré par quelques débris, restes d'habits, feuilles de papier déchirées!

La banalité d'un tel événement montre probablement à quel point notre époque a vu la sécurité quotidienne évoluer.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h57 | Comments (2) | TrackBack

14 septembre 2005

Sur les traces d'Al-Qaïda

J'ai lu hier la version française de ce livre écrit par des membres des forces spéciales de l'US Army - ou, pour être plus précis, de la Garde nationale - après leur engagement en 2002 au cœur de l'Afghanistan. C'est une lecture que je recommande sans réserve à tous ceux qui veulent voir comment fonctionnent les détachements Alpha des Special Forces US, et plus globalement quelles sont les méthodes d'emploi qui caractérisent les unités non conventionnelles. Elle vaut également son pesant d'or pour constater à quel point, en 2002, les opérations en Afghanistan étaient entravées par la lutte entre l'armée traditionnelle et les forces spéciales. Bien des choses ont changé depuis, avec l'arrivée de l'ISAF et la focalisation des efforts américains sur le sud-est du pays, mais cette opposition reste éclairante.

Comme le rappellent les auteurs, l'invasion de l'Afghanistan et le renversement des Taliban ont été menés avec 600 opérateurs des forces spéciales américaines et britanniques - généreusement appuyés par l'aviation et ses munitions de précision. Une victoire de la pensée non conventionnelle, de la multiplication des forces (un détachement de 12 hommes peut instruire et engager un bataillon de 600 combattants locaux). Mais la hiérarchie de l'armée américaine n'a pas tardé à vouloir reprendre le contrôle de l'opération, à imposer ses procédures de planification, à minimiser les risques sans égard aux opportunités perdues. Lorsque la capture d'une cible aussi importante que Mollah Omar doit être abandonnée parce que la planification d'une action directe interforces prend entre 3 et 4 jours, c'est qu'il y a un problème majeur au niveau du commandement (j'aborderai une autre fois cette question des temps de réaction).

En fait, c'est toujours un problème de culture militaire qui obère les forces armées US. L'officier américain type préfère les actions méthodiques, minutieusement planifiées et conduites d'après le plan préétabli. Il recherche une supériorité écrasante pour minimiser les risques, et tend à privilégier les habitudes pour faire face à l'incertitude. Malgré le caractère non conventionnel des conflits menés en Afghanistan puis en Irak, les us et coutumes de la guerre symétrique continuent d'être reproduits. Le récit de la longue et chaotique colonne blindée qui ouvre le livre, au lieu d'un assaut héliporté autrement plus rapide et furtif, en est un exemple frappant. La dépendance totale envers un lointain quartier-général, délivrant avec un lenteur désespérante l'autorisation de mener des opérations sensibles, en est un autre.

Finalement, la véritable rébellion décrite par les auteurs - contraints de parler de reconnaissance ou d'évaluation de menace pour être autorisés à mener des actions directes - est toujours la réponse trouvée par les échelons tactiques face à un commandement figé dans la routine ou l'étroitesse d'esprit. Le travail étroit avec la CIA, mentionné à plusieurs reprises dans le livre, montre aussi l'orientation dominante des forces non conventionnelles. Dans un combat qui oppose des ombres multiformes, le vainqueur est souvent le plus rapide, le plus imaginatif, le plus flexible, et non celui qui aligne la plus grande puissance de feu. Une poignée de dollars, une information valable et une détermination profonde valent plus que toute l'artillerie ou l'aviation du monde. Les guerres sont gagnées ou perdues par les hommes, dans leur cœur, leur esprit et leur âme.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h25 | Comments (12) | TrackBack

13 septembre 2005

Les avant-postes stratégiques

Le retrait israélien de Gaza s'est achevé hier, avec le mouvement des dernières unités des Forces de défense israéliennes et la fermeture des points de passage. Les images prises par les médias montrent également des Palestiniens pillant et brûlant les restes des implantations juives, y compris des synagogues. Malgré le caractère unilatéral et ordonné de ce retrait, on pourrait donc conclure à une défaite israélienne, et l'Autorité palestinienne n'a pas manqué de louer le courage des « martyrs » comme cause principale de cet événement. Les raisons de ce retrait et l'évolution possible de la situation ont déjà été discutés sur ce carnet. Reste à tenter une perspective un peu plus large, à la fois dans l'espace et dans le temps.

A mon sens, la notion d'avant-poste stratégique possède un grand bien-fondé. On peut l'appliquer à l'Etat d'Israël, cette poche démocratique et libérale dans l'immensité autocratique du monde arabe, mais aussi à Taiwan face à la Chine, pour représenter une sorte de citadelle en rupture avec son environnement, et dont l'existence même, indépendante et prospère, suscite un ressentiment et une convoitise implacables. En réduisant un brin le concept, on peut également parler de Singapour, voire de Hong Kong (par le passé), mais aussi de Kaboul face au reste de l'Afghanistan, de la « zone verte » au cœur de Bagdad. D'autres exemples peuvent certainement être trouvés. Pourquoi pas la Suisse face à l'Europe ? :)

La survie d'un avant-poste repose sur une viabilité multiple. Il s'agit d'abord d'assurer sa viabilité matérielle, c'est-à -dire sa capacité à vivre et à survivre - ce qui ne va que rarement de soi. La vulnérabilité économique et sécuritaire est souvent flagrante. Mais elle a aussi pour effet de renforcer les volontés, l'envie de vivre en commun face aux autres, et donc d'accroître la résistance psychologique des avant-postes. En revanche, la viabilité morale est une autre question : les divisions internes dues à des désaccords de valeurs sont une menace grave, et le retrait israélien de Gaza peut certainement être aussi interprété comme une action renforçant la viabilité morale d'Israël. Enfin, un avant-poste doit être connecté aux siens, à la culture comme à l'économie dont il émane.

Ceci doit d'ailleurs nous éclairer sur sa vraie nature. Ces citadelles ne sont pas des refuges, des espaces précaires où des collectivités, des activités et des idées se mettent à l'abri. Ce sont au contraire des éléments conquérants, des bases d'attaque pour ces mêmes collectivités, activités et idées - des pièces offensives sur le grand échiquier de la planète. Il peut naturellement se produire un reflux qui fait de l'avant-poste une sentinelle isolée, chargée de protéger les restes d'une entité en déclin. Mais à notre époque, l'unification occidentalisante du monde fait des avant-postes stratégiques tels qu'Israël des éléments précurseurs d'une conquête en marche. Du moins à mon avis. Le débat est bien entendu ouvert, notamment sur l'utilité et l'orientation de ces structures - voire même leur existence !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h19 | Comments (15) | TrackBack

12 septembre 2005

Les élections en Egypte

Pour mieux comprendre les enjeux derrière les récentes élections présidentielles égyptiennes, je conseille l'excellente note de synthèse mise en ligne aujourd'hui par l'ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center). En voici le résumé :

Après 24 années au pouvoir et sans réelle surprise, le président Moubarak a été reconduit, avec 88,5% des voix (contre 93,79% lors des dernières élections). Un nouveau mandat de 6 ans pour le raïs à l'issue d'élections historiques mais controversées -le taux officiel de participation de 23% - et entachées d'irrégularités. Le mouvement des Frères musulmans, interdit en tant que parti politique, a, quant à lui, décidé, au vu des conditions drastiques de dépôt de candidatures, d'écarter la possibilité de présenter un candidat indépendant. Après avoir été courtisé par les challengers de M. Moubarak et après avoir soufflé le chaud et le froid sur la campagne électorale, il s'est finalement résolu à laisser ses sympathisants voter pour qui ils voulaient. Fin calcul politique ou fruit de dissensions internes, l'enjeu pour les Frères musulmans - principal groupe d'opposition au Parlement - se situe désormais au mois de novembre lors des prochaines élections législatives jugées plus importantes que le scrutin présidentiel. En cas de victoire, il tentera alors de mettre fin à l'état d'urgence et d'instaurer une république islamique basée sur la Charia.

Une lecture de choix pour mesurer l'impact de la poussée démocratique en Egypte et le rôle crucial des extrémistes religieux.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h37 | Comments (5) | TrackBack

9 septembre 2005

Soldats contre citoyens

On peut lire sur Un swissroll plusieurs réflexions intéressantes sur un reportage d'Envoyé spécial consacré à l'évacuation des colonies israéliennes dans la bande de Gaza. Il s'agit notamment du fait d'envoyer des soldats de milice imposer à des citoyens la volonté exprimée par leur Gouvernement :

Mais le plus impressionnant ne réside pas dans la technique militaire (qui n'est pas ma tasse de thé de toute manière) mais bien dans le simple fait qu'un Etat démocratique ait pu envoyer sa propre armée contre ses propres citoyens afin de les évacuer non pas le temps de remettre un peu d'ordre comme à la Nouvelle-Orléans mais bien de manière définitive.
[...]
Quel Etat de droit est capable d'envoyer son armée expulser ses propres citoyens pour faire respecter une décision du gouvernement ? Quel Etat peut réussir cette opération en limitant au maximun l'usage de la violence? Quel Etat peut surmonter un traumatisme pareil sans une véritable explosion sociale ? Israël sans doute plus que nos démocraties occidentales qui n'y survivraient peut être pas.

Je crois que ces questions mettent un lumière un aspect essentiel de nos sociétés modernes : l'acceptation de l'autorité et de la coercition qu'elle utilise pour parvenir à ses fins avec l'assentiment de la majorité du public. L'emploi efficace de l'armée pour mettre un terme à un blocage largement politique, même avec des forces aussi performantes que celles de Tsahal, suppose en effet un civisme devenu très rare dans les Etats occidentaux. Le fait que les militaires israéliens n'aient pas été perçus comme les agents consentants d'une répression injuste, mais bien comme l'outil coercitif ultime d'un Gouvernement légitime, illustre une maturité civique qui effectivement distingue Israël. Même si les actions de combat que mène la même armée contre les Palestiniens contribuent sans aucun doute à modifier sa perception au sein du public israélien comme des colons.

La décision d'employer l'armée contre ses propres citoyens reste néanmoins particulièrement difficile. En Suisse, les formations de milice n'ont ainsi pas le droit de prendre part au service d'ordre, sauf en cas de menace grave pesant sur la situation intérieure, et seuls les professionnels de la sécurité militaire peuvent le faire en coopération avec les forces civiles. On se souvient cependant que la grève générale de 1918 a été maîtrisée grâce au recours à la troupe, et que cela n'a pas occasionné de débordement ; l'incident tragique de 1932 à Genève, lorsque des recrues ont ouvert le feu sur la foule, ne suffit pas à expliquer la réticence dont témoignent aujourd'hui les autorités. Il existe aussi un refus instinctif de la confrontation, une crainte des décisions tranchées, à l'échelon politique.

Dans ce cadre, et pour contredire ce que l'on peut lire sur Un swissroll, je pense que le manque de discipline dont témoignent les soldats suisses joue un rôle important. Le déficit de confiance envers l'armée et ses jeunes citoyens-soldats se nourrit de ces infractions, certes mineures mais répétées, à l'ordre militaire. Une armée qui consacre la majorité de ses jours de service à l'instruction n'a pas assez de visibilité opérationnelle pour ne pas dépendre étroitement de la tenue affichée par ses membres.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h18 | Comments (8) | TrackBack

8 septembre 2005

Les mosaïques sociétales

Cet article publié dans le Washington Times offre un excellent exemple de la complexité qui caractérise les opérations militaires dans les conflits de basse intensité. Les divisions tribales qui sont décrites forment à elles seules un casse-tête permanent :

Tall' Afar is home to 82 different tribes. Each with up to 12 sub-tribes. Tribes are comprised of both Sunnis and Shi'a, as the two groups intermarry regularly.
The town's minority Shi'a population is well-connected politically: five members of Iraq's Transitional National Assembly in Baghdad are local Turkoman Shi'ites.
The Sunnis also accuse the Shi'ites of being involved with the Badr brigade, an outlawed Shi'ite militia with connections to Iran.
Kurds and Turkmen historically have warred, but when sides are being chosen here, the Turkmen Shi'ites often ally themselves with the Kurdish Sunnis against the Turkmen Sunnis.

On comprend mieux pourquoi le commandant américain cité dans l'article a mis 4 mois pour comprendre de quoi il s'agit. Lui-même a d'ailleurs une compréhension évidente de la difficulté de sa tâche, en utilisant une image plus parlante pour le public américain :

"Imagine this is Newark, New Jersey," Hickey explains.
"The entire police force has been disbanded and the mafia has become the police. There is 70 percent unemployment, no city services and terrorists are in the city.
"And you are Chinese and you've been told to come in and work it out.
"And you are dealing with Tony Soprano."

On peut tirer de ses propos une déduction assez claire : s'il faut 4 mois à une unité donnée pour cerner les acteurs qui emplissent son secteur d'engagement, alors chaque rotation entre unités - qui sont déployées 12 mois - produit nécessairement une période de flottement contre-productive. Conséquence : seules des unités déployées plus longtemps, et notamment des unités locales, sont à même d'influer durablement et efficacement sur les causes et les effets d'une violence irrégulière et multiforme. Raison pour laquelle la stratégie américaine en Irak, qui s'appuie très largement sur le développement des capacités sécuritaires nationales, est la seule possible.

Ceci étant, on peut également se dire que le 3e régiment de cavalerie américain, l'un des fleurons de l'arme blindée US, est probablement l'une des formations les plus réticentes à réformer sa culture militaire et abandonner son idéal du combat symétrique. Durant son premier déploiement en Irak, d'ailleurs, cette formation s'était distinguée par un hermétisme culturel assez flagrant - effectuer des raids nocturnes dans des villages irakiens avec des hauts-parleurs qui hurlent du AC/DC n'étant pas exactement la meilleure manière de gagner les coeurs et les esprits...

Quoi qu'il en soit, la nécessité d'accepter les mosaïques sociétales comme les espaces d'engagement contemporains des formations militaires me semble incontournable. L'infinie complexité des relations humaines doit être intégrée.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h52 | Comments (9) | TrackBack

7 septembre 2005

Une lutte tentaculaire

Un article du Figaro lève ce matin une partie du voile sur la lutte que les services de sécurité français mènent contre les activités multiples de la mouvance islamiste. C'est bien un combat à l'échelle d'une société entière, dont les actions restent nécessairement discrètes pour ne pas provoquer d'escalade incontrôlable, qui se déroule aujourd'hui :

Salles de prière clandestines à la Réunion, pensionnat coranique en Alsace, pizzerias militantes en Normandie et surtout commerce de vêtements branchés... le dernier rapport des pôles de lutte contre l'islamisme radical donne une radiographie des activités des fous d'Allah dans les régions françaises. Ces pôles, créés en janvier et coordonnés par les renseignements généraux, ne visent pas à lutter contre le terrorisme mais à «déstabiliser» la mouvance islamiste sans diaboliser l'ensemble de la communauté musulmane ou empiéter sur les enquêtes de la DST.

Cette réalité appelle certaines réflexions. Le fait que les renseignements généraux français coordonnent des actions menées par plusieurs ministères pour s'opposer aux visées prosélytes et irrédentistes des islamistes montre à la fois la prise de conscience qui s'est opérée depuis quelques années et la complexité d'une menace moderne, débordant des frontières géographiques et administratives. Si une idée a besoin de vecteurs pour être diffusée et de ressources pour multiplier sa diffusion, elle peut aisément trouver des espaces propices dans tous les recoins d'une société donnée. Ce sont pas des hydres qu'il s'agit de combattre, mais des ombres douées de mimétisme.

Par ailleurs, l'éclatement de la mouvance islamiste et sa dépendance extrême envers les initiatives individuelles lui donnent une structure informe et liquide qui est la meilleure garante de sa survie. Les services de sécurité sont condamnés à rechercher des grumeaux dans un brouet trouble et tiédasse, des éléments solides sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour parvenir à une reconstitution. Bien entendu, ils y parviennent et marquent des points dans la lutte, mais le liquide ne cesse de tourner, les points de repère ne cessent de se brouiller, et rien ne permet à tout coup de prévenir une éruption qui se manifesterait par un acte de violence armée.

Le pire resterait cependant de nier cette lutte tentaculaire...

COMPLEMENT I (8.9 1335) : Cet article, écrit par un Français en anglais au sujet du contre-terrorisme à la française, constitue une bonne description de celui-ci et de l'exemple qu'il représente à bien des égards.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h01 | Comments (35) | TrackBack

6 septembre 2005

Une école de planification

La planification des opérations est un thème que j'ai déjà abordé dans ce carnet. Une chose intéressante est la manière de l'instruire et de l'entraîner. Dans le cadre du stage de formation d'état-major général IV et V existe ainsi un exercice qui occupera les participants pendant 2 semaines. Il s'agit d'une planification de défense à l'échelon d'une brigade à dominante blindée, mais dans un environnement largement interforces à des fins didactiques. Je ne peux entrer dans les détails, si ce n'est pour dire que l'on parvient à voir simultanément les effets respectifs des opérations terrestres, aériennes et spéciales (pour prendre un langage international).

Une particularité de cet exercice réside cependant dans la liberté d'action laissée aux 2 états-majors formés pour l'occasion. Ils ont en effet un total de 4 jours pour parvenir à développer des variantes d'emploi détaillées, et ils vont ensuite consacrer une semaine à vérifier ces variantes avec deux méthodes différentes : un jeu de guerre, qui rassemble tout l'état-major autour d'une carte géante avec des pions représentant les unités propres et adverses, et une simulation informatique, avec le simulateur de conduite 95 que l'armée a installé à Kriens. En d'autres termes, chaque état-major aura la possibilité de tester concrètement sa décision potentielle avec 2 outils complémentaires.

Cette manière de procéder est assez nouvelle dans l'armée suisse. Pendant des décennies, les stagiaires finissaient tous par être confrontés à une solution d'école, généralement immuable, qui imposait la Vérité et excluait tous les impondérables du combat. Ce n'est que depuis quelques années que l'on accepte l'incertitude et que l'on privilégie la créativité pour y faire face, au lieu d'en rester à la facilité des solutions toutes faites. Je me souviens par exemple avoir été autorisé à planifier des manoeuvres de déception outrageusement peu conventionnelles, pendant ma propre formation d'officier d'état-major général, et à être suivi dans mes réflexions par le corps enseignant, alors que par le passé cela m'aurait valu une remise à l'ordre immédiate - et certainement une sanction au niveau des qualifications.

L'évolution de l'armée suisse est une chose que l'on perçoit aisément de l'intérieur. Le fait que tout n'évolue pas dans la bonne direction ne signifie pas que tout soit mauvais, mais souligne simplement les difficultés à surmonter.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h33 | Comments (5) | TrackBack

4 septembre 2005

Une armée en déroute ?

C'est le jugement de mon camarade Variable sur son blog : l'armée suisse est en déroute, totalement rongée par le manque de discipline et la dilution de l'autorité, et cette déroute est parfaitement illustrée par l'aspect débraillé des jeunes conscrits qui circulent dans les gares durant les congés du week-end. Un jugement dont je ne peux accepter le caractère absolu et définitif, puisque je circule aussi en train et que je vois dans les gares des jeunes militaires rasés, uniformes et "en ordre", mais dont l'orientation générale est juste. Cela fait des années que les cadres se plaignent de la mauvaise tenue des soldats de milice suisses. Cela fait aussi des années qu'on loue leur efficacité lorsqu'un engagement doit être mené.

La question qui est posée est cependant la suivante : est-ce que cette armée en crise est capable de remplir toutes ses missions, y compris et surtout la mission de défense / sûreté sectorielle qui reste son apanage ? Au-delà de la transformation de la société helvétique, force est d'admettre - comme l'écrit Variable - que le manque de poigne de la hiérarchie est une cause de cette déroute qu'il perçoit. Le laxisme qui a été favorisé dans les années 90, lorsque les militaires ont essayé de plaire au lieu de se concentrer sur leur mission éducatrice, n'en finit pas de porter ses fruits vénéneux. Mes propres souvenirs m'amènent aujourd'hui à douter de l'efficacité même de l'instruction militaire.

Je pense cependant que les principaux responsables de l'armée sont pleinement conscients du problème, à force de constater les mêmes lacunes et les mêmes problèmes lors des visites à la troupe. Maintenir une armée sans menace immédiate et directe est toujours un défi pour n'importe quelle démocratie, et le demi-siècle vécu sur pied de guerre par l'armée suisse a fait croire qu'une telle posture allait de soi. Nous réapprenons aujourd'hui ce que nos aînés ont appris durant les années 20 et 30. Il faut juste espérer que les défis mortels que l'Histoire tôt ou tard va poser sur notre route ne nous prendront pas autant au dépourvu que par le passé...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h11 | Comments (14) | TrackBack

30 août 2005

Des retraits et des bombes

Il n'aura fallu attendre que quelques jours après le retrait israélien de la bande de Gaza pour voir un nouvel attentat suicide être commis par un groupe terroriste palestinien, alors que plusieurs tentatives ont parallèlement été contrecarrées. En d'autres termes, ce démantèlement des colonies n'a eu aucune influence sur la détermination des extrémistes, mis à part celle de temporairement les encourager, et ne constitue dès lors qu'une étape de plus dans ce conflit. Les autorités israéliennes ont d'ailleurs décidé d'accélérer la construction de la barrière de sécurité au sud du pays, afin d'atteindre un rythme de 5 km par semaine, puisque le terroriste qui s'est fait exploser près de la gare routière de Beersheva était une fois encore entré sur territoire israélien à un endroit qui en était dépourvu.

Une perspective intéressante sur la manœuvre israélienne, qui complète mes réflexions sur l'amputation stratégique, est celle avancée par Mark Steyn (trouvé via Swissroll) : répondre aux demandes des Palestiniens est la meilleure manière de démontrer leur incapacité à les assumer. Dans ce sens, l'évolution de la bande de Gaza pourrait être un argument de poids aux yeux de la communauté internationale - si tant est que cette dernière soit encore accessible aux arguments : la talibanisation de cette portion de terrain soulignerait le caractère islamiste des groupes terroristes palestiniens et permettrait d'insérer la posture guerrière d'Israël dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste. Une chose que l'Etat juif recherche en vain depuis le 11 septembre, malgré le nombre d'attentats subis.

Cette manœuvre, qui rappelle le sacrifice d'une pièce aux échecs pour obtenir une position générale plus favorable, peut naturellement dégénérer si la bande de Gaza devient suffisamment dangereuse pour que des raids répétés, voire un retour durable de Tsahal, soient nécessaires. Ce d'autant plus que l'abandon des colonies a fait perdre aux militaires israéliens des bases de départ idéales pour les raids qu'ils ont pris l'habitude de mener depuis plus de 3 ans. Car si la pénétration de terroristes depuis Gaza sera encore rendue plus difficile que par le passé, la liberté d'action croissante des groupes terroristes peut favoriser des attaques utilisant des modes opératoires différents, à commencer par les projectiles sol-sol. Une détérioration des conditions de sécurité signifierait immanquablement l'échec de la politique d'Ariel Sharon.

Cette éventualité reste cependant hypothétique, tant la mobilisation de la société israélienne et l'optimisation de ses forces armées ont permis de contrer l'offensive terroriste palestinienne déclenchée voici presque 5 ans. Là encore, une mise en coupe réglée de la bande de Gaza par le Hamas et le Djihad islamique contribuerait à maintenir cette mobilisation, à désigner un ennemi reconnu. Quoi qu'il en soit, le conflit va se poursuivre.

COMPLEMENT I (30.8 1845) : Je conseille la lecture de cette remarquable analyse sur la signification du retrait de Gaza et sur l'inéluctabilité du conflit.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h53 | Comments (51) | TrackBack

Coopération France - USA

Un article sur le site de la chaîne conservatrice Fox News rappelle une réalité souvent sous-estimée de part et d'autre de l'Atlantique : la France collabore étroitement avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme islamiste, et notamment sur le plan militaire en Afghanistan. Le leadership américain ne pose apparemment pas de problème :

"It's France's wish to show that we are cooperating in the fight against terror and in support of you in Afghanistan," said French Air Force Col. Gilles Michel, who oversees his country's air force role in the theater. "We told the Americans, 'If you need some assets, we will provide them.'"
[...]
France's current deployment is its largest since the Afghan campaign's early days, Michel said from Afghanistan's Bagram air base. It includes some 500 French pilots, air controllers and ground crew who arrived this month at U.S.-operated bases in Afghanistan, Tajikistan, Kyrgyzstan and Qatar.
[...]
None of the six Mirage 2000 pilots flying close air support for U.S. ground troops have dropped bombs since they started flying eight to 10 weekly missions Aug. 16, each time spending about three hours over Afghanistan.
"We remind the bad guys that they might get a bomb on the head if they're not careful," warned Michel, who is an old hand at joint missions with the U.S. military, flying a French fighter in the 1991 Gulf War and in NATO-led operations in Bosnia and Kosovo.

A mon sens, la présence de 200 membres du Commandement des opérations spéciales est cependant bien plus significative que les avions de combat et d'appui ainsi que les navires mis en exergue dans cet article.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h30 | Comments (8) | TrackBack

25 août 2005

L'armée à la rescousse

Les inondations subies cette semaine en Suisse ont amené l'armée à être engagée en urgence, avec environ 1000 soldats et 11 hélicoptères, au profit des autorités civiles cantonales et municipales. Une soixantaine de demandes ont été émises par les cantons, et presque toutes ont pu être satisfaites. L'existence d'une compagnie de sauvetage composée de soldats en service long, issue de la réforme Armée XXI, a démontré son utilité puisque celle-ci a pu être mise en oeuvre en quelques heures et fournir des contributions de première qualité. De quoi donner aux militaires la satisfaction de constamment répondre aux crises que traverse le pays...

Il faut cependant souligner que cela ne dépend pas du hasard, et suppose notamment une formation adaptée. A titre d'exemple, je peux citer un exercice d'une journée que j'ai fait l'an dernier durant mon stage de formation d'état-major général III, en partenariat avec les différents services d'urgence (on parle de "blaulicht Organisationen" en allemand) du canton de Lucerne. Il s'agissait de simuler une situation d'inondations graves dans cette région, d'une ampleur encore supérieure à celle vécue aujourd'hui, et d'apprendre puis d'appliquer les principes de la collaboration entre forces civiles et militaires. Durant cet exercice, nous avons ainsi été amenés à planifier le déploiement de plusieurs milliers de soldats, stationnés dans toute la Suisse, pour contribuer à la sauvegarde des conditions d'existence autour de Lucerne.

Cette journée, qui comprenait également une présentation - matériel compris - de tous les services impliqués (y compris la compagnie de sauvetage susmentionnée), a montré que la structure de commandement lucernoise était particulièrement efficace : lorsqu'une situation grave se présente, un officier spécialement formé (issu généralement des pompiers) est nommé responsable de l'engagement ("Katastropheneinsatzleiter", KEL) et commande tous les moyens déployés - police, pompiers, sanitaires, militaires, etc. Un état-major ad hoc est constitué autour de lui, avec des représentants de ces éléments, jusqu'à ce que la situation redevienne normale. Une flexibilité qui s'accorde parfaitement avec les principes de fonctionnement de l'armée, et qui autorise une collaboration sans faille.

L'engagement de l'armée à l'intérieur du pays est vraiment une chose maîtrisée en Suisse. Dommage qu'il faille des intempéries quasi diluviennes pour le rappeler.

PS : Comment dit-on "cocorico" en schwytzerdütsch ? :)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h16 | Comments (6) | TrackBack

24 août 2005

Une lutte d'espèces

Cette colonne d'Austin Bay sur les activités de la Combined Joint Task Force (en langage militaire suisse romand : force de circonstance interforces et multinationale) sous commandement américain déployée dans la Corne de l'Afrique est intéressante à bien des égards. Elle montre la préoccupation du Pentagone de ne pas laisser de vide stratégique à la mouvance islamiste, de produire un effet d'interdiction par la présence d'un contingent réduit mais polyvalent, d'exercer également une certaine dissuasion par le doute entretenu sur les activités et les capacités de ce contingent. Cependant, le point le plus important me semble le fait que la plupart des efforts déployés par les Etats-Unis avec ces activités militaires, dans cette région comme dans plusieurs autres, consiste à préserver et renforcer les nations qui y existent.

Il faut se rendre à l'évidence : nous sommes entrés de plain pied dans une époque où les Etats, menacés dans leur intégrité notamment par la fragmentation identitaire, par l'essor des espaces virtuels et par le naufrage budgétaire, sont obligés de venir au secours les uns des autres. A commencer par le plus puissant d'entre eux. En prenant du recul, on peut ainsi voir une gigantesque lutte se dérouler sur tous les continents entre les Etats-nations et d'autres espèces sociétales, qui d'ailleurs prend souvent l'apparence d'une lutte entre l'ordre et le chaos. Et les organisations nationales comme internationales ont naturellement tendance à défendre leurs pairs, à garantir leur existence par des mesures sécuritaires ou financières, voire même à créer de nouveaux Etats-nations là où leurs prédécesseurs se sont effondrés. La multiplication des missions onusiennes symbolise ce phénomène.

En soi, pour le citoyen que je suis, faire des efforts pour la survie des Etats sous leur forme actuelle relève de l'évidence ; une armée n'aurait d'ailleurs guère de sens ou de légitimité sans un territoire à protéger, sans une population à défendre. Il ne faut pas toutefois une créativité débridée pour imaginer d'autres identités (encartées ou non), d'autres appartenances, d'autres loyautés. Aujourd'hui déjà , une entreprise privée, un réseau criminel ou une mouvance idéologique qui offrent des services quasi étatiques, dans des domaines tels que la santé, l'éducation, le logement, le sport ou l'emploi, ont certainement bien plus de légitimité et d'influence que des Etats instables et corrompus. L'essor du Hezbollah au Liban ou du Hamas dans les territoires palestiniens sont à cet égard des exemples aussi intéressants qu'inquiétants. Est-ce là une perspective d'avenir, un augure des structures sociétales de demain ?

Vaste question, à laquelle je ne tenterai pas ici de répondre. Ce qui me paraît en revanche certain, c'est que la construction ou la préservation des nations n'est pas obligatoirement l'unique voie vers la paix, la prospérité et la stabilité - même si nous avons tendance à le croire instinctivement.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h06 | Comments (5) | TrackBack

De l'amputation stratégique

Les médecins des armées pratiquent depuis des siècles les amputations du champ de bataille, afin de prévenir une généralisation des infections contractées par les membres blessés. Cette pratique connaît quelque part son pendant stratégique lorsqu'une nation décide d'abandonner des territoires - voire des populations - qui mettent en danger la cohésion ou la survie de l'ensemble, ou qui plus simplement créent plus de problèmes que d'avantages. Je pense ici naturellement à l'évacuation des colonies qui se produit en Israël, et qui n'a pas mené à la guerre civile parfois brandie comme un épouvantail, et plus généralement au processus de décolonisation qui a amené les Etats occidentaux à abandonner même des territoires qu'elles considéraient comme faisant partie intégrante d'eux-mêmes, à l'exemple de l'Algérie pour la France.

Le processus décisionnel qui aboutit à de telles amputations territoriales est ainsi douloureux, sujet à maints tiraillements et déchirements au sein des dirigeants comme de la population. Les arguments qui l'emportent sont généralement de nature économique et politique, face à des résistances identitaires ou affectives, et font en quelque sorte le bilan de la situation. L'évacuation de la bande de Gaza est un exemple typique de décision difficile dont les effets à terme peuvent largement compenser ceux à court terme, en fonction de l'évaluation d'une situation donnée. En même temps, ce raisonnement de préservation - tellement fréquent dans le monde économique - est aussi une manière de minimiser les risques, de renoncer à un pari sur l'avenir, de se replier sur des acquis. De mettre un terme au mouvement et aux fluctuations.

Renoncer à une portion de territoire ou à une part de marché ne sont toutefois pas deux choses équivalentes, car la première abrite généralement des populations. Et c'est dans ce sens que l'amputation stratégique est un phénomène en mutation : dans la mesure où les identités sont de moins en moins définies par l'emplacement géographique, et de plus en plus par les idées ou les valeurs (le cas israélo-palestinien restant un contre-exemple extrême), ces renonciations à des territoires entiers perdent progressivement leur sens. A l'exception des ressources naturelles - ou des symboles spirituels - qu'il abrite, le sol n'est plus le point focal des intérêts. Puisque la colonisation des esprits a progressivement supplanté celle des terres, c'est bien dans cet espace-là que la renonciation ou l'expansion deviennent décisives.

Un exemple frappant de cette mutation est la volonté de créer des chaînes de télévisions susceptibles de contrebalancer la domination anglophone sur les médias audiovisuels planétaires, avec les cas Al-Jazeera ou plus récemment Telesur. A contrario, la décision de renoncer à swissinfo - héritage de l'information vers les Suisses de l'extérieur - est une véritable amputation stratégique pour un petit Etat comme la Suisse, à ceci près que les arguments économiques invoqués ont certainement été surévalués par rapport à d'autres facteurs. Il manque bien entendu une carte de l'espace sémantique pour tracer les contours des territoires fluctuants et incertains que tracent les médias, mais l'importance de cet espace ne saurait être mise en doute.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h32 | Comments (4) | TrackBack

23 août 2005

Irak : la résilience US

Un texte de l'analyste américain Ralph Peters, paru dans le New York Post d'aujourd'hui, se penche sur un phénomène intéressant : les taux parfois records de rétention au sein des grandes unités de l'US Army déployées en Irak ainsi que dans le reste de ce service. Alors que le recrutement dans l'US Army reste difficile, ces pourcentages de réengagements sont un indice probant de la cohésion et de la motivation des troupes. Et selon Peters, le patriotisme en est une cause majeure :

Guess we have to face it: Patriotism is alive and well. Soldiers believe in the Army, and they believe in their missions in Iraq and Afghanistan. They love their comrades, too. And yes, the word is "love." They would die for the man or woman serving beside them. They're risking their lives to save a broken state, to give tens of millions of human beings a chance at decent lives, to do the grim work that no one else in the world is willing to do.

Au-delà du plaidoyer auquel se livre cet ancien officier du renseignement, cet extrait rappelle que les valeurs forment la base des armées et de la vie militaire, et que les pires épreuves peuvent être surmontées si ces valeurs demeurent intactes. En Irak, les unités US sont confrontées à un conflit de basse intensité dans lequel la confusion, l'incertitude et l'instabilité atteignent un très haut degré. Le fait que les femmes et les hommes qui y servent acceptent nettement de poursuivre leur carrière, et donc de retourner à brève échéance dans le même pays, est la marque d'une institution portée par des valeurs solides.

Si l'on se rappelle les difficultés de l'US Army dans les années 90 à conserver la notion-même de valeur, cela en dit long sur l'importance respective des préparatifs matériels et spirituels au sein des armées.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h41 | Comments (9) | TrackBack

22 août 2005

Vers un axe anti-américain

La Chine, l'Iran, la Russie et le Vénézuela sont-ils en train de former un axe stratégique anti-américain? C'est ce qu'avance Emmanuel sur son blog La politique arabe de la France, avec à l'appui plusieurs arguments : le rapprochement militaire sino-russe, la coopération nucléaire russo-iranienne ou encore les avantages pétroliers accordés par le Vénézuela aux trois autres pays montrent très clairement une évolution dont Washington fait au moins partiellement les frais, sur un mode conflictuel ou concurrentiel. Et les ambitions de lutte anti-américaine ouvertement affichées par Téhéran et Caracas ne font que renforcer cette analyse.

On peut cependant aussi voir dans cet alignement une conjonction ponctuelle d'intérêts à court terme et l'action opportuniste de puissances régionales désireuses de promouvoir leurs intérêts avant tout, quitte à s'appuyer sur des régimes autocratiques fragiles qui sont en lutte directe avec les Etats-Unis. L'expansion économique de la Chine et le redressement de la Russie ne sont en effet pas dirigés contre ceux-ci, mais visent bel et bien à perpétuer des Etats dont la cohésion et l'équilibre internes sont menacés par une transformation rapide. En d'autres termes, Pékin et Moscou ne voient certainement pas d'un mauvais oeil le fait de bénéficier des oppositions suscitées ou expliquées par la politique étrangère américaine, mais cela n'ira pas jusqu'à s'y opposer de front.

L'hyperactivité de Washington depuis le 11 septembre et son engagement toujours plus marqué dans les points chauds du globe devaient fort logiquement susciter des résistances, tout comme la force de l'idéal démocratique propagé sous l'égide de la bannière étoilée. L'axe anti-américain qui se dessine depuis quelques temps n'a cependant pas la force d'un bloc capable de s'opposer efficacement et durablement, ne serait-ce que parce que les Etats-Unis ont renforcé plusieurs alliances stratégiques ces dernières années, notamment en Asie. Du moins à mon avis...

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21 août 2005

La flotte de haute mer

Le Matin a consacré aujourd'hui un article à la flotte suisse de haute mer, un domaine assez peu connu de l'activité économique du pays - ce qui est plutôt logique compte tenu de la situation maritime un brin particulière du pays. En fait, 25 navires battant pavillon suisse sillonnent les mers en permanence, et la moitié d'entre eux sont de grands bâtiments, porte-containers notamment, qui dépassent les 200 mètres de longueur. Ils sont la propriété d'armateurs privés, mais leur financement dépend également de la Confédération, car ils jouent un rôle dans l'approvisionnement économique du pays. C'est pourtant le Département fédéral des affaires étrangères qui en assure la responsabilité au niveau étatique.

L'initiative consistant à créer une flotte de navires helvétiques est une conséquence de la Seconde guerre mondiale, et de la difficulté pour un pays largement privé de ressources naturelles d'assurer la livraison des matières nécessaires au fonctionnement de son économie. Ainsi, si les navires suisses sont armés et déployés par des compagnies privées suisses, celles-ci ont l'obligation en cas de crise grave ou de guerre de suivre les directives données par l'administration fédérale afin de servir les intérêts du pays. Une dimension assez intéressante, si l'on rappelle que la Suisse importe chaque année 40% des denrées alimentaires consommées au pays et 100% des carburants d'origine fossile!

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19 août 2005

L'art de la planification

La planification des opérations est l'essence même de la démarche réunissant tous les éléments nécessaires à l'action armée. Elle peut être menée de deux manières : en réaction face à un événement donné, et donc sous pression de temps avec des servitudes majeures, ou de manière préventive, en imaginant un contexte dans lequel des effets sécuritaires sont nécessaires. La plupart des armées du monde établissent ainsi des scénarios détaillés et réalistes sur la base desquels des planifications d'emploi sont élaborées, adaptées régulièrement, voire entraînées sous la forme d'exercices d'état-major. Un exemple fameux reste la planification de défense de l'Arabie Saoudite effectuée par le Central Command en 1990, et jouée par un wargame alors même que des événements similaires se déroulaient dans le monde réel.

Le produit initial, et donc la base de toutes les réflexions, demeure la contribution des services de renseignements. Les analyses présentées doivent être suffisamment convergentes pour fonder des hypothèses de planification crédibles, et en même temps suffisamment divergentes pour laisser l'espace qui doit revenir à l'incertitude. C'est ensuite que commence le travail de construction, celui qui consiste à trouver une manière d'atteindre l'état final attendu à l'échelon stratégique avec les moyens disponibles et les méthodes autorisées. La conception opérative est un terme qui désigne ainsi la manière de générer une manœuvre ayant un effet décisif sur un centre de gravité donné, en fonction d'actions articulées le long de lignes d'opérations différentes - typiquement, les opérations terrestres, aériennes, maritimes, spéciales et d'information. La créativité nécessaire est d'ailleurs telle que l'on parle volontiers d'art opératif pour désigner ce domaine d'activité.

Le travail ne peut cependant s'arrêter là . L'emploi des forces reste ainsi lié à la maîtrise des domaines dit transversaux, en particulier le renseignement (J2), car les besoins en la matière sont naturellement constants, la logistique (J4) et l'aide au commandement (J6) - ce dernier terme étant assez spécifique aux armées germanophones. Comme l'expliquait Eisenhower durant la Seconde guerre mondiale, un officier de renseignement dit à son commandant ce qu'il doit faire, un officier opérations ce qu'il veut faire et un officier de la logistique ce qu'il peut faire ; pour compléter le propos, un officier de l'aide au commandement dit aujourd'hui ce qu'il peut savoir, un officier conventions et droit - un legal adviser, quoi - ce qu'il n'a pas le droit de faire, un officier faisant office de conseiller politique ce qu'il vaudrait mieux ne pas faire, et un officier presse et médias ce qu'il faut dire et montrer. Sans parler des finances ou d'autres aspects tout aussi réjouissants.

L'art de la planification consiste donc à concevoir une manœuvre développant les effets attendus en intégrant tous les domaines concernés au niveau stratégique et opératif. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les états-majors des formations militaires n'aient cessé de gonfler en taille depuis des décennies, et que leur vitesse de planification n'ait cessé de diminuer d'autant.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h47 | Comments (11) | TrackBack

15 août 2005

La bombe israélo-britannique

Cet article du Jerusalem Post révèle une information particulièrement embarrassante pour la Grande-Bretagne dans le cadre de ses efforts pour empêcher l'Iran de développer l'arme nucléaire :

Revelations that the government of Prime Minister Harold Macmillan in 1958 covertly sold Israel 20 tons of heavy water - vital for producing weapons-grade plutonium - may prove awkward for Britain, which is an active participant in European efforts to pressure Iran over its nuclear ambitions.
News of the deal, kept secret from both British government ministers and the US administration until official documents were obtained by the BBC last week, has spurred campaigners to lobby for further information and action on Israeli arms.

La France et la Grande-Bretagne ont donc été les principaux appuis du programme nucléaire israélien. Dans ces conditions, et compte tenu des motifs invoqués à l'époque pour le développement de programmes analogues, l'argument moral n'a vraiment aucune portée face à l'Iran. Le fait que Gerhard Schröder se permette d'écarter toute option militaire souligne hélas combien l'Europe n'est pas un acteur stratégique pouvant être pris au sérieux, puisqu'elle refuse de reconnaître les rapports de force qui fondent les relations entre Etats et leurs capacités mutuelles de dissuasion.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h06 | Comments (32) | TrackBack

La puissance du Japon

A l'occasion des 60 ans des bombardements nucléaires et de la fin de la guerre dans le Pacifique, le monde a quelque peu redécouvert le Japon et constaté que ce pays subit une évolution marquée dans le domaine de la défense. La remise au goût du jour de la culture militaire japonaise, comme l'indique cet article paru dans Le Monde, illustre un mouvement qui a déjà été signalé voici plusieurs années : la normalisation du Japon en tant que puissance régionale et la montée en puissance de ses capacités militaires. Un mouvement qui a largement pris place dans les esprits des dirigeants et du public nippons, malgré la force du pacifisme local.

Plusieurs analyses assez récentes (comme ici et ici) montrent en effet une orientation toujours plus nette vers la projection de puissance. La menace représentée par la Corée du Nord et par la Chine, du point de vue japonais, justifie ainsi des investissements très importants dans des armements de haute technologie parfaitement équivalents aux standards américains - c'est-à -dire capables de défaire des adversaires en nombre nettement supérieur. De plus, la construction de petits porte-avions et l'augmentation du nombre de destroyers AEGIS indiquent une intention claire de maîtriser les voies de communication maritimes, et au besoin de contrôler les accès à l'Océan Pacifique aux côtés de l'US Navy.

Un point intéressant à soulever me paraît cependant celui-ci : le Japon et l'Inde, deux grands pays asiatiques ayant un accès au Pacifique, proches de l'Occident en général et des Etats-Unis en particulier, développant activement leurs capacités militaires pour devenir des puissances régionales reconnues, doivent une grande partie de leur modernité, de leur stabilité et de leur puissance actuelles à l'héritage occidental laissé respectivement par l'occupant américain et le colonisateur britannique. Sans pour autant renier leur culture ancestrale, ces nations ont intégré nombre de valeurs et d'usages propres à la culture occidentale, et en sont grandement bénéficiaires.

Il est certain que le Japon ne fait pas partie de l'anglosphère, à la différence de l'Inde, et que sa situation insulaire en fait toujours un pays très particulier. Malgré cela, sur le grand échiquier multidimensionnel de la planète, ces deux pays témoignent depuis plusieurs années d'un alignement très net sur l'Occident. Et si le développement des capacités militaires d'un pays occasionne toujours des risques impossibles à négliger, cette sorte de prise en tenaille stratégique de la Chine est probablement un gage de stabilité - et une manière d'alléger le fardeau militaire américain dans cette région du monde...

Posted by Ludovic Monnerat at 15h29 | Comments (19) | TrackBack

14 août 2005

Irak : ralenti contrasté

L'Irak traverse actuellement une période décisive, avec les difficiles négociations sur la constitution et la notion de fédéralisme comme solution à la cohabitation entre sunnites, chiites et kurdes irakiens. En parallèle, le conflit se poursuit dans une partie du pays, avec notamment une situation qui semble confuse et instable dans la capitale, mais aussi avec une scission de plus en plus marquée au sein de la guérilla. Cette évolution au ralenti, typique des conflits de basse intensité, exige ainsi de lever les écrans de fumée qui cachent au quotidien les tendances les plus marquantes.

Pourtant, l'un des espaces décisifs du conflit reste l'opinion publique américaine, et plusieurs événements récents - le décès d'un nombre inhabituel de Marines, les protestations de la mère d'un soldat tué en Irak - ont eu un impact sur les derniers sondages, qui montrent un doute croissant, ce qui suffit à faire dire à plusieurs éditorialistes que George W. Bush suit la même voie que Lyndon B. Johnson. Mais ces sondages ne montrent pas une majorité d'Américains exigeant le retrait immédiat des troupes, et ils semblent surtout n'avoir aucune influence sur la détermination affichée par le Président. Les difficultés rencontrées par les forces armées US en matière de recrutement sont assez comparables : réelles sans être décisives.

J'ai lu à plusieurs reprises que l'évolution de la situation en Irak, cet été et cet automne, allait justement être décisive pour l'issue du conflit ; que le "tipping point" était à portée de main. Je partage un avis différent : un conflit affichant un tel contraste entre la réalité et sa perception repose sur la capacité à durer et à négocier favorablement les étapes importantes - la constitution et son référendum en Irak, ou les élections de 2006 aux Etats-Unis. En d'autres termes, les bilans exagérément optimistes ou pessimistes ne sont que des projections datées, et font abstraction de l'importance que revêt le temps. Ce qui devrait rendre modeste...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h54 | Comments (12) | TrackBack

12 août 2005

Les espaces hypersécurisés

Le débat ci-dessous consacré au retrait israélien de la bande de Gaza a brièvement soulevé la problématique des espaces fermés et hypersécurisés qui sont de plus en plus la règle face aux menaces modernes. Le développement spectaculaire de la vidéosurveillance et des portails de détection illustre en effet l'application routinière des technologies modernes en vue de renforcer la sécurité de secteurs donnés, et donc d'y empêcher l'emploi de la violence à des fins criminelles ou guerrières. Cela n'empêche pas la fouille corporelle à l'entrée des stades et des aéroports, la recherche systématique d'explosifs au voisinage d'événements importants ou encore l'introduction des identifications biométriques de se généraliser sans soulever de résistance majeure, alors qu'elles correspondent à des mesures très avancées dans la détection et la prévention de menaces. Sans que le caractère subjectif et fluctuant de celles-ci ne soit vraiment pris en compte.

Comme je l'ai évoqué dans cet article publié l'an dernier, les espaces ainsi délimités peuvent être de deux natures : protecteurs, s'ils empêchent une menace d'y pénétrer, ou carcéraux, s'ils empêchent une menace d'en sortir. Cette distinction prête parfois matière à débat, comme c'est le cas aujourd'hui au sujet de la bande de Gaza, parce que la prison des uns peut être la protection des autres. Cependant, toutes les entraves sécuritaires à la circulation des personnes possèdent cette propriété duale consistant à simultanément rassurer et exaspérer, à renforcer la sécurité d'une zone et l'envie de s'en jouer. Les lignes de séparation, fixes ou mobiles, provisoires ou définitives, deviennent presque inévitablement des symboles puissants, ainsi que la reconnaissance d'une menace que l'on redoute. On peut les voir comme un bouclier tendu devant une société, une collectivité ou une personne données, et qui n'exprime que la faiblesse s'il n'est pas complété par un glaive dont il prépare l'action. Une tentative d'échapper aux effets d'un conflit plutôt qu'en appréhender les causes.

L'augmentation constante des mesures de sécurité prend ainsi un caractère inquiétant si elle n'est qu'une réponse mécanique à l'évolution des menaces, si elle entretient une escalade des mesures et contre-mesures ; une telle méthode promet une transformation de nos vies sans pour autant garantir notre protection autrement qu'à court terme. En fait, se protéger toujours plus et s'en tenir à cela exige moins de courage qu'admettre l'existence d'un ennemi et la nécessité de le neutraliser. De plus, des mesures systématiques et non ciblées possèdent souvent un caractère arbitraire qui peut dans bien des cas les rendre contre-productives, comme la segmentation de l'espace public en fonction des activités d'une petite minorité criminelle ou délinquante. Mettre tout le monde dans le même panier parce que l'on refuse de se salir les mains est une injustice qui échappe à nombre de consciences. Dans de telles conditions, les dispositifs sécuritaires concourent grandement au morcellement des sociétés, et favorisent le développement d'un ennemi intérieur.

C'est donc à mon sens le principal danger des espaces hypersécurisés : imposer une ségrégation qui peut devenir en soi une cause de conflit, et ainsi renforcer la tentation d'une hyperviolence. La recherche du risque zéro ne doit pas nous faire croire que le terrorisme ou la criminalité peuvent disparaître moyennant des mesures sécuritaires drastiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h26 | Comments (6) | TrackBack

10 août 2005

Les raisons du retrait

La Figaro a publié voici deux jours une analyse de Frédéric Encel qui décrit à mon sens de façon très juste les raisons qui ont poussé Ariel Sharon à choisir et à imposer le retrait israélien de la bande de Gaza. Extrait:

A cet égard, la vision géopolitique de Sharon se distingue tout à fait de celle de son ami et rival politique Shimon Pérès. Il pense que chaque kilomètre carré de terre doit se négocier âprement, moins pour sa valeur biblique que par la nécessité d'accueillir encore au moins un million de juifs (d'où les zones des blocs d'implantations à conserver), que mieux vaut camper dans la posture du bastion que de rêver à un Eden utopique, qu'il faut tisser des partenariats de revers avec de lointains géants anciennement hostiles (Russie, Chine, Inde) plutôt que de chercher à s'intégrer dans un hostile et improductif environnement arabe. Or la vision contraire de Pérès a échoué. A part en rotation ou par intérim, l'actuel n° 2 du gouvernement d'unité nationale ne fut jamais premier ministre. Les discours lénifiants sur le sens de l'Histoire, le grand marché commun proche-oriental ou la paix abrahamique ne font plus recette en Israël, et ne l'ont jamais fait chez ses voisins arabes.

Une saine lecture matinale...

COMPLEMENT I (11.8 1600) : Un éditorial publié aujourd'hui dans le Jerusalem Post (quotidien considéré comme proche du Likoud) affirme que le désengagement de Gaza alimente le terrorisme palestinien.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h36 | Comments (101) | TrackBack

8 août 2005

Des conscrits fragiles

La santé mentale des conscrits suisses est examinée aujourd'hui dans Le Temps d'une façon fort intéressante (accès libre), sous la plume de Thierry Meyer. Il apparaît en effet que 38% des appelés, en 2005, sont dirigés vers un psychologue lors de leur recrutement, contre 28% en 2003 et 2004. Cette augmentation n'est peut-être pas aussi significative qu'au premier abord, vu que la connaissance accrue des questionnaires introduits en 2003 autorise probablement un volume croissant de simulateurs. Malgré cela, constater que plus d'un quart des jeunes hommes de ce pays éprouvent des difficultés majeures à leur socialisation reste alarmant. Plus d'ailleurs pour la société suisse que pour son armée.

Face à cette réalité, il est tentant d'incriminer la légèreté de l'éducation, les parents absents, les écoles en panne d'autorité, pour expliquer cette proportion importante de "cas psychologiques" au recrutement. Dans l'institution militaire, on reste ainsi attaché à l'idée ancienne selon laquelle l'école de recrues vous transforme en homme, parce qu'elle vous confronte à des difficultés et à des pressions de moins en moins perceptibles dans la vie civile. Il y a beaucoup de vrai dans cette conviction, car l'expérience militaire contribue souvent à affermir les caractères et à renforcer la sociabilité des individus. Mais d'autres causes doivent être envisagées pour expliquer cette inaptitude frappante chez nombre de jeunes suisses.

La question est de savoir lesquelles. Une question que je laisse ouverte, parce qu'elle dépasse assez nettement le seuil de mes compétences...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h08 | Comments (16) | TrackBack

7 août 2005

La chasse à l'homme

L'un des aspects frappants des semaines qui ont suivi les attentats de Londres reste la célérité et l'efficacité des forces de sécurité à traquer les responsables encore vivants des attaques, aussi bien en Grande-Bretagne que dans le reste de l'Europe. Les bandes vidéos des caméras de surveillance ont ainsi permis une identification rapide des auteurs des attentats manqués du 21 juillet, de sorte que leur arrestation n'a été qu'une question de jours. Et chaque découverte a abouti à l'obtention de nouvelles pistes, qui ont élargi le champ d'investigation jusqu'à remonter somme toute rapidement à la source. Le compartimentage très strict qui est la règle des réseaux d'espionnage, et qui rendait si difficile leur démantèlement complet durant la guerre froide, semble apparemment être appliqué de façon inégale au sein des réseaux islamistes. Il est vrai que leur survie post-attentat n'est pas nécessairement une priorité!

Cette efficacité dans la chasse à l'homme peut être ainsi considérée comme une incitation à une radicalisation encore accrue des terroristes islamistes, dans la mesure où les chances d'échapper à la capture apparaissent aujourd'hui très faibles (à la différence de celles d'échapper à la condamnation, mais il s'agit là d'un autre débat!). Les périmètres les mieux protégés, ceux dans lesquels la politique du « shoot to kill » sera probablement appliquée, ceux qui sont entièrement couverts par des systèmes de surveillance semi-automatiques, voient de ce fait leurs points d'entrée devenir autant de points de non retour, des caps à partir desquels les terroristes savent que la différence entre le succès et l'échec de leur action est la plus ténue. Dans la logique de ce raisonnement, l'extension de ces périmètres - et la popularité de la vidéosurveillance nous y amène - pourrait donc provoquer une escalade dans l'action terroriste, et notamment dans son caractère aveugle. Un peu comme si trop de sécurité nuisait à la sécurité!

Une logique pareillement paradoxale, qui est la règle en matière de stratégie, souligne avant tout les limites des mesures défensives dans la lutte contre le terrorisme. Poursuivre à outrance le jeu des mesures et contre-mesures aboutit également, par une sorte de processus génétique, à éliminer les cellules et les réseaux les moins performants, et donc à laisser intacts les individus les mieux à même de s'adapter, de survivre et de frapper toujours plus fort. Une forme d'escalade qui peut hélas mener au désastre, c'est-à -dire à l'emploi d'armes de destruction massive au cœur des villes européennes. Et qui rappelle à quel point les mesures offensives, dans le domaine des transferts de fonds, de la circulation des personnes et bien entendu de la diffusion des idées, sont les seules à même d'autoriser un succès durable.

COMPLEMENT I (8.8 1040) : Cet article du Times de Londres rapporte une réunion durant laquelle l'un des leaders islamistes de la capitale britannique exprime sa véritable position par rapport aux attentats. On notera que la question des caméras de surveillance le préoccupe :

Referring to the speed with which police issued closed-circuit television pictures of the suspects in the London attacks, Bakri suggested that they should have covered their faces to conceal their identity from prying CCTV cameras.

Une lecture instructive...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h36 | Comments (14) | TrackBack

6 août 2005

Les guerres sociétales

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Une objection est apparue ci-dessous à la notion de sociétés transformées en champs de bataille. C'est une notion trop importante pour être laissée de côté.

A mon sens, l'élargissement des champs de bataille aux sociétés toutes entières est en effet l'une des caractéristiques essentielles des guerres modernes. Dans la conception traditionnelle de la guerre, qui prévalait en Occident comme en Orient depuis l'Antiquité, le champ de bataille constituait en effet la portion de terrain sur laquelle était décidé le sort des royaumes, des nations et des peuples. Les populations civiles étaient directement ou indirectement touchées par les combats, mais leur habitat n'en constituait que très rarement le cœur. Il faudra attendre la révolution industrielle pour voir l'économie et la politique être détachées de la conduite des combats, et donc assister à une séparation des fonctions stratégiques aboutissant à fortement influencer le déroulement des combats des années avant qu'ils ne se déclenchent, en raison de l'importance de l'industrie de l'armement et de l'entraînement des armées. Mais la révolution de l'information a transfiguré cet environnement en ajoutant au contact concurrentiel et conflictuel des armées, des politiques et des économies celui des cultures, et en interconnectant le tout à la vitesse de la lumière.

De ce fait, la guerre est devenue plus que totale : elle est désormais sociétale. Ce sont toutes les ressources non plus des seules nations, mais bien celles des sociétés, des collectivités organisées autour d'une identité commune, qui sont engagées ou visées. La guerre classique entre formations militaires est devenue une exception, une entreprise bien trop risquée pour être acceptée autrement qu'en dernier ressort, et dont le plus souvent aucun vainqueur n'émerge. La conquête du territoire, mode opératoire classique des guerres, est presque entièrement supplantée par celle des marchés et des esprits. La coercition n'a plus besoin d'être militaire pour être efficace ; la globalisation des économies et des médias fait que des méthodes a priori douces, comme la modification des taxes douanières, la campagne de presse calomnieuse, l'offensive cybernétique sous-traitée ou encore les poursuites judiciaires internationales, peuvent obtenir des résultats analogues au blocus militaire ou aux bombardements de précision. A une époque où un super pétrolier, une salle de théâtre, des mémos truqués, une chaîne TV satellitaire ou des sites Internet constituent des armes au même titre qu'un bataillon de chars ou une frégate antiaérienne, seule une vision globale permet de cerner la dimension des conflits.

Les frontières traditionnelles, qu'elles soient géographiques ou administratives, ont ainsi largement perdu leur sens. Les différences entre civil et militaire, entre crime et combat, entre sécurité intérieure et extérieure, appartiennent à un passé toujours plus révolu. Le problème concomitant du « shoot to kill » et des missions de stabilisation en est une illustration : le fait que les policiers appliquent des méthodes militaires à domicile quand les militaires appliquent des méthodes policières à l'étranger traduit parfaitement l'incertitude et la complexité de notre temps. Et ces notions de domicile et d'étranger n'ont d'ailleurs plus qu'une valeur relative, malgré leur fondement juridique et politique ; il existe dans les villes occidentales des zones de non-droit qui sont bien moins permissives que de nombreux secteurs d'engagement hors des frontières nationales. En d'autres termes, l'emploi des forces et le choix des méthodes dépend moins de facteurs géographiques que de la menace existante. C'est pourquoi les armées doivent de plus en plus souvent être engagées à l'intérieur du pays, et c'est pourquoi les missions en-dehors des frontières ont de plus en plus besoin de policiers civils.

L'un des vecteurs principaux de cette évolution dramatique n'est autre que la montée en puissance de l'individu. Ce n'est pas en soi l'élargissement des armes et des cibles qui de nos jours est alarmant, malgré l'élaboration de théories contemporaines sur la guerre étatique totale ; c'est le fait que ces armes et ces cibles soient à la portée du plus grand nombre, de groupes et de réseaux rassemblant ponctuellement ou non des personnes en fonction d'un enjeu commun. Si le terrorisme est aujourd'hui tellement pratiqué, c'est parce qu'il constitue un moyen d'action a priori rentable, une méthode qui obtient des effets impressionnants à bas prix. Mais il s'agit bel et bien d'un acte de guerre, et non d'un crime : le terrorisme est une action visant à l'obédience, à l'emprise des personnes, à l'influence des perceptions publiques par l'usage et le spectacle de la violence, c'est-à -dire à la modification des décisions et des comportements par l'effet psychologique qu'il déploie. Le terroriste ne vise pas à tirer parti de la société qu'il vise, à la différence du criminel ; il cherche tout simplement à la transformer de force.

De ce fait, les guerres de notre époque se déroulent simultanément dans tous les domaines de l'existence humaine : les chairs, les cœurs, les âmes et les esprits. De façon moins imagée, on peut ainsi dire que la matière, la psyché, la morale et le savoir délimitent les enjeux, les ressources et les méthodes qui sont aujourd'hui impliqués dans un conflit opposant des collectivités organisées. Et c'est pourquoi les champs de bataille se sont élargis aux sociétés toutes entières : nous sommes tous devenus à la fois des cibles et des armes. Prendre conscience de cette dualité est d'ailleurs la seule manière de ne pas subir perpétuellement.

NOTE : Les paragraphes ci-dessus sont le produit d'années de réflexion sur les conflits armés et sur les questions stratégiques. Le schéma qui chapeaute ce billet est ainsi extrait de l'une de mes 4 conférences : La guerre moderne, La menace future, L'armée nouvelle et La vraie puissance - celle-ci, toute récente, n'ayant pour l'heure été présentée que 2 fois dans des cercles militaires suisses. Toute personne intéressée peut naturellement prendre contact avec moi pour davantage d'informations à leur sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h07 | Comments (5) | TrackBack

5 août 2005

Le permis de tuer (2)

Un article du Washington Post paru hier a révélé que l'International Association of Chiefs of Police a édicté au lendemain des attentats du 7 juillet dernier à Londres de nouvelles directives - appuyées par un règlement pour l'instruction - qui incitent les forces de l'ordre à abattre par des coups de feu en pleine tête tout individu suspecté de préparer un attentat suicide. Il s'agit donc bel et bien d'une révision majeure des règles d'engagement, comme l'indique l'extrait suivant :

After the July 7 attacks on the London transit system by suicide bombers, the international police chiefs organization produced a detailed training guide for dealing with suicide bombers for its 20,000 law enforcement members. It recommends that if an officer needs to use lethal force to stop someone who fits a certain behavioral profile, the officer should "aim for the head" to kill the person instantly and prevent the setting off of a bomb if one is strapped to the person's chest.
The police organization's behavioral profile says such a person might exhibit "multiple anomalies," including wearing a heavy coat or jacket in warm weather or carrying a briefcase, duffle bag or backpack with protrusions or visible wires. The person might display nervousness, an unwillingness to make eye contact or excessive sweating. There might be chemical burns on the clothing or stains on the hands. The person might mumble prayers or be "pacing back and forth in front of a venue."
The police group's guidelines also say the threat to officers does not have to be "imminent," as police training traditionally teaches. Officers do not have to wait until a suspected bomber makes a move, another traditional requirement for police to use deadly force. An officer just needs to have a "reasonable basis" to believe that the suspect can detonate a bomb, the guidelines say.

Cet article confirme l'importance du débat mené récemment sur ce site concernant la politique du "shoot to kill". A partir de l'instant où des forces de sécurité civiles adoptent des méthodes et des raisonnements de type militaire, pour la simple et bonne raison que nos sociétés sont devenues des champs de bataille, c'est bien le signe que le conflit central de notre époque et le terrorisme qu'il provoque risquent de profondément transformer nos vies. En soi, l'abandon de l'imminence comme justification pour l'ouverture du feu - et donc le recours à l'attaque préventive - est une modification majeure qui peut rapidement dégénérer. Ou quand une mesure antiterroriste peut se révéler pire que le terrorisme lui-même...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h16 | Comments (8) | TrackBack

4 août 2005

Incompétence à Guantanamo

Sur le site Terrorisme.net a été mis en ligne hier un texte qui résume un article fort critique sur le camp de prisonniers de Guantanamo. Paru dans l'International Journal of Intelligence and CounterIntelligence, cet article écrit par un professionnel du renseignement souligne en effet l'incompétence qui règne dans le camp et qui empêche une récolte efficace des renseignements. Une affirmation qui a de quoi surprendre, vu de l'extérieur, mais qui s'explique par des facteurs assez simples sur le plan du personnel. Extraits :

Mener un interrogatoire ne s'improvise pas: il y faut des années d'expérience. La plupart de ceux qui se trouvent envoyés à Cuba n'ont pas ces compétences. En outre, actuellement, des personnes plus jeunes et avec encore moins d'expérience seraient envoyées à Guantanamo. Ils ne connaissent rien au monde complexe d'Al Qaïda: on leur donne un ou deux livres à lire sur le sujet, ils reçoivent une formation de quatre semaines pour mener desd interrogatoires, puis débarquent à Camp Delta munis de ce seul bagage. Face à de tels interlocuteurs, qui se montrent confus et imprécis, des prisonniers (notamment saoudiens) qui méprisent déjà les Américains se sentent en position de force.
Beaucoup d'interrogateurs partent du principe que les prisonniers ne coopéreront jamais et sont ainsi, psychologiquement, battus d'avance. Il vaudrait mieux, suggère Van de Velde, mettre l'accent sur les moyens de pousser des prisonniers refusant de coopérer à livrer des informations.
Ceux qui se révèlent les plus aptes à mener des interrogatoires avec succès, à Guatanamo, sont des policiers de carrière, mobilisés pour trois à six mois dans le cadre de leur engagement au sein des forces de réserve. Non seulement ils ont une expérience concrète, mais ils savent comment serrer de près des suspects. Les autres interrogateurs, malgré leur formation, ont une expérience trop théorique.

Dans ces conditions, il faut vraiment que les renseignements obtenus valent tout de même quelque chose pour justifier aux yeux des responsables politiques et militaires américains le maintien d'un camp qui reste un boulet médiatique.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h52 | Comments (4) | TrackBack

Irak : une saignée ponctuelle

En l'espace d'une semaine, les Marines américains ont perdu 24 hommes au combat dans la partie occidentale de l'Irak, une augmentation brutale qui montre l'importance de cette région dans le cadre du conflit. Le fait que la plupart des soldats tués proviennent d'une unité de réserve et qu'une bombe ait fait 14 morts d'un seul coup donne à ces pertes un impact médiatique considérable sur le plan domestique, à même de trancher avec la litanie des attentats et des accrochages résumés chaque jour par les médias, au point qu'un analyste comme Ralph Peters voit dans ces attaques la preuve d'une offensive soutenue contre la volonté américaine de poursuivre toute l'opération.

Je ne suis pas persuadé que des événements tactiques somme toute ponctuels puissent ainsi être inscrits dans une telle visée stratégique : la perspective d'un retrait définitif de la coalition en Irak est un objectif trop éloigné dans le temps pour que l'insurrection n'aie pas des buts davantage rapprochés. Si l'on considère les pertes subies par les forces armées américaines en Irak, on constate que les chiffres de juillet 2005 et juillet 2004 sont identiques (54 morts, sans entrer dans le détail des causes), et eux-mêmes très proches de ceux de juillet 2003. Il n'y a pas d'escalade des pertes américaines, et celles-ci sont insuffisantes pour avoir un effet décisif à court ou même moyen terme. Le fait qu'elles aient lieu davantage dans l'ouest du pays qu'au centre montre en revanche l'évolution des conflits, et l'importance pour l'insurrection de défendre ses lignes de communications et ses bases arrières.

Un autre élément doit être pris en considération : les pertes subies par les Marines sont disproportionnées, avec 29% de soldats tués contre 17% des effectifs. Pour quelles raisons? Premièrement, les Marines emploient des tactiques davantage offensives et moins conventionnelles que l'US Army, car leur compréhension des conflits de basse intensité est à la fois plus profonde et plus ancienne, et ils sont plus souvent en contact avec l'ennemi. Deuxièmement, leur équipement reste mal adapté aux opérations en milieu urbain et désertique, ce qui finalement n'est pas très étonnant de la part d'une force amphibie. Les 14 Marines tués dans un seul char amphibie, hier, auraient probablement été moins nombreux à périr s'ils avaient été à bord de 2 véhicules blindés de type Bradley.

Ce qui rappelle à quel point des formations militaires structurées et articulées autour d'un équipement organique, et non reconfigurées et rééquipées en fonction de la mission, offrent des vulnérabilités aux adversaires asymétriques.

COMPLEMENT I (5.8 1115) : Pour mieux appréhender la situation et les opérations dans l'ouest irakien, cette remarquable analyse d'une conférence de presse du Pentagone sur le site de Wretchard est hautement recommandée.

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3 août 2005

L'aveuglement du risque zéro

L'aversion des sociétés européennes pour le risque est désormais un fait bien connu. On en trouve chaque jour une illustration supplémentaire, et celle qui m'a frappé aujourd'hui est la mini-polémique lancée en Ajoie, autour de la place d'armes de Bure, au sujet de l'installation d'antennes nécessaires à un système de commandement. Décrite par un article du Matin, cette affaire locale rappelle à quel point le principe de précaution peut être négatif : une crainte sans fondement scientifique sur le rayonnement électromagnétique de 153 antennes de 9 mètres, dont les effets supposés néfastes n'ont jamais pu être démontrés, peut ainsi remettre en cause la construction d'un centre d'instruction digital permettant d'entraîner les formations de combat mécanisées aux engagements en milieu urbain et ouvert. De quoi s'interroger sur la pondération des risques!

A mon sens, le risque zéro est en effet une illusion propagée par le haut niveau de technicité, de santé, mais aussi de publicité, qui caractérise les sociétés modernes. A force d'être érigés en arguments commerciaux, la technologie miracle et la santé parfaite ont généré des attentes impossibles à satisfaire et banni l'incertitude de nos vies. Du coup, on tend à préférer l'innocence apparente de l'inaction à la culpabilité potentielle de l'action, on songe à renoncer définitivement plutôt qu'à s'adapter continuellement - comme une envie à peine dissimulée de figer le temps, de prendre congé du destin, de stopper une évolution vers l'inconnu! en commettant ainsi une double erreur : croire que le statu quo n'est pas risqué (illusion de la connaissance parfaite) et confondre risques et menaces (illusion du contrôle de notre existence).

Prenons le cas de ce projet à Bure : les quelques centaines d'habitants des communes de Bure et Fahy peuvent redouter des effets sur leur santé en raison du réseau de commandement projeté par l'armée, même si rien n'est moins sûr. En même temps, renoncer à instruire les unités de combat de l'armée aux opérations de stabilisation et de coercition en milieu urbain - puisque seule la place d'armes de Bure permet une telle instruction en Suisse - engendre d'autres risques, même si là aussi rien n'est moins sûr. Ce qui est en revanche certain, c'est que prendre uniquement en compte les risques liés à ses propres actions, et non ceux liés aux actions d'autrui, est un raisonnement insoutenable. Agir sur la base de prévisions potentiellement inexactes reste moins dangereux que renoncer à toute action, dès lors que l'on accepte l'incertitude.

Les armées occidentales sont confrontées à des difficultés de ce type depuis des années. Aux Etats-Unis, le centre d'entraînement national de Fort Irwin avait par exemple restreint les manœuvres et les comportements des troupes à des fins de protection d'environnement, et notamment pour préserver les conditions de vie de tortues des sables. Comme s'il n'était pas acceptable que certaines portions de terrain, négligeables à l'aune d'un pays, soient déclarées à usage militaire! Se focaliser sur un risque endogène mineur et oubliant une menace exogène majeure est un aveuglement qui me paraît bien difficile à soigner. Du moins avant que l'urgence de la situation n'ouvre enfin les yeux.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h48 | Comments (8) | TrackBack

2 août 2005

Iran : impasse annoncée

Voici plus de deux ans qu'une grande partie de cache-cache se joue entre le Gouvernement iranien et la communauté internationale sur le thème du nucléaire. De longs mois de négociations, de proclamations, d'incitations et de pressions durant lesquels l'Union européenne et l'ONU ont constamment affirmé le bien-fondé de leur approche douce et consensuelle, et que le régime de Téhéran a mis à profit pour constamment s'approcher de son objectif déclaré : l'acquisition de l'arme atomique. Le jeu semble aujourd'hui largement caduc, puisque l'Iran a annoncé à l'IAEA la relance immédiate de son programme nucléaire et le démontage des scellés sur l'installation de conversion d'uranium d'Ispahan, en violation de l'accord de Paris signé en novembre 2004. De leur côté, les Européens - d'après l'article du Figaro mis en lien - ne voient dans cette décision qu'une manœuvre pour augmenter la pression en vue des prochaines négociations. Un peu comme si la diplomatie était un but en soi, et non un moyen comme un autre!

Il est ainsi probable que d'autres moyens soient désormais nécessaires, au vu de l'échec sans cesse plus patent de l'approche européenne. L'islamiste pur et dur que les « élections » iraniennes portent au pouvoir ces jours ne cache d'ailleurs pas son ambition de faire du martyre le principe-clef de la stratégie iranienne, notamment pour que l'islam conquière la planète entière. Même si les propos de Mahmoud Ahmadi-Nejad ne s'écartent guère de la ligne fanatique que connaît l'Iran depuis la chute du Shah, la perspective de le voir contrôler des armes nucléaires ne permet plus de prendre ses menaces à la légère, ou de se dire qu'elles ne s'exprimeront que par des attentats terroristes sous-traités ou des assassinats politiques. Les mollahs se sentent aujourd'hui cernés de toutes parts, avec notamment une présence américaine toujours plus menaçante, non pas dans les dispositifs militaires, mais bien sur les ondes télévisées ou radiophoniques. L'impasse est inévitable.

Voilà qui nous ramène au débat déjà ancien sur les options militaires face à l'Iran, puisque les options diplomatiques apparaissent bel et bien épuisées. J'imagine bien que les Etats-Unis ont largement eu le temps de développer et de simuler quelques plans d'opérations très détaillés pour faire face au spectre d'un Iran atomique, probablement dans le but de retarder leur accession à la bombe. Mais ils n'ont pas l'initiative ; ils devront réagir à une situation ou à une provocation, tout en sachant que la programme nucléaire est populaire en Iran. Cela signifie aussi que le régime de Téhéran doit aller ni trop vite, ni trop lentement pour réussir son contre-la-montre, et donc acquérir cette assurance-vie stratégique qu'est l'atome avant que sa propre population ne parvienne à imposer ses vues. Le temps joue en faveur de la communauté internationale uniquement si elle parvient à restreindre la liberté d'action de l'Iran.

Ceci étant, il faut se rappeler que l'arme nucléaire exerce son effet principal par la dissuasion, et que celle-ci repose sur la crébilité aussi bien des ogives, des vecteurs que des volontés pour les engager. Autrement dit, c'est dans le domaine des perceptions que la bombe agit prioritairement, et celles-ci peuvent naturellement être altérées, contrées et manipulées à foison. Je ne serais pas surpris de voir les premières annonces de Téhéran concernant la mise au point de l'arme nucléaire être vigoureusement contestées par les Etats-Unis et Israël [non, justement pas par Israël, m'a fait remarquer avec raison un commentateur ci-dessous], afin de nier son caractère opérationnel, son efficacité ou même son existence. Une autre manière de gagner du temps et de renforcer l'étranglement progressif du régime des mollahs, dans cette mise-à -mort au ralenti qui semble la seule option stratégique valable...

COMPLEMENT I (2.8 1245) : ce nouveau rapport des services de renseignement américains, qui estime l'Iran à 10 ans de la bombe, relève-t-il ainsi d'une démarche de désinformation, ou reflète-t-il une réévaluation prudente des données disponibles? La question mérite d'être posée.

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29 juillet 2005

Double tranchant militaire

L'une des questions avancées dans le débat ci-dessous, et régulièrement discutées lors de menaces pour la sécurité intérieure, reste l'emploi de l'armée pour le rétablissement et le maintien de l'ordre public. J'entends ici une opération sous commandement militaire, et non un engagement subsidiaire par lequel les formations de l'armée renforcent ou appuient les autorités civiles ; c'est-à -dire une opération dans secteur clairement délimité, avec un chef militaire qui en assure l'entière responsabilité et qui dispose pour son fonctionnement des organes civils dédiés et des moyens militaires attribués. Dans l'armée suisse, où l'on dispose de bases légales et de compétences techniques très avancées en la matière, on parle de sûreté sectorielle pour désigner ce type d'opération - en la qualifiant de préventive pour faire face à une menace asymétrique et de dynamique pour une menace symétrique ou dissymétrique.

Comment peut-on se représenter cela ? Imaginons par exemple qu'un groupe terroriste - appuyé par des sympathisants en voie de radicalisation rapide - décide d'exercer une pression politique sur le Conseil fédéral en annonçant et en démontrant son intention d'interrompre le trafic nord-sud du pays. Dans un tel cas d'école, l'armée pourrait recevoir la mission de protéger les transversales alpines à la fois routières, ferroviaires et énergétiques ; un secteur lui serait attribué le long des axes, et elle devrait sécuriser ceux-ci avec des contrôles de trafic et de personnes, des patrouilles, des escortes, des postes d'observation et des dispositifs de protection autour d'objets-clefs. Dans ce secteur, les militaires auraient des pouvoirs bien plus développés que les forces de l'ordre en situation normale, grâce au droit d'urgence et aux dispositions du service actif fournis par le code pénal militaire.

A l'école d'état-major général, pour mieux préparer les officiers à ce type d'opération, on projette en alternance aux travaux de planification le film Couvre-Feu, avec Denzel Washington et Bruce Willis ; cette fiction hollywoodienne a en effet le mérite de montrer, outre des terroristes islamistes conformes à la réalité, une grande partie des problèmes qui surviennent lorsque l'armée - je parle naturellement de formations de combat, pas de gendarmes ou de carabinieri - prend le contrôle d'une ville ou d'un quartier. Le passage d'une procédure judiciaire à une procédure militaire dans le traitement d'une menace aboutit ainsi à un déni de plusieurs droits fondamentaux, et notamment au remplacement de la présomption d'innocence par la culpabilité par défaut. Le métier de soldat n'est pas celui de policier, et inversement. Même si les deux sont aujourd'hui simultanément nécessaires.

Je suis en train de terminer la lecture de La bataille d'Alger, de Pierre Pellissier. Cette narration très détaillée des premiers mois de 1957 montre parfaitement les défis auxquels a dû faire face la 10e division parachutiste, et notamment celui - capital - du renseignement. Les paras de Massu ont accueilli avec mépris le travail de policier, d'enquêteur, voire de briseur de grève qui leur est échu, mais ils l'ont fait avec abnégation et efficacité ; à ceci près que leurs officiers se sont sali les mains et l'âme en usant régulièrement de méthodes inacceptables pour obtenir les informations nécessaires. L'armée française a gagné la bataille d'Alger contre le FLN, mais a perdu la bataille pour les cœurs et les esprits. Et c'est bien le risque principal que fait courir l'emploi des armées dans la sécurité intérieure : un effet sécuritaire obtenu au prix de divisions, de polarisations et de résistances accrues, et qui finalement s'avère contre-productif. Un remède de cheval qui, administré à doses trop fortes et trop longues, cause la perte du patient.

Mais les armées changent, abandonnent peu à peu les réflexes hérités de la guerre froide, et se préoccupent de maîtriser la violence au lieu d'en faire un usage maximal. Les opérations de stabilisation contemporaines ne leur en laissent d'ailleurs pas le choix : si les forces armées américaines se comportaient en Irak ou en Afghanistan comme elles l'ont fait au Vietnam, voilà bien longtemps que les populations locales se seraient soulevées contre elles, au lieu d'accepter leur présence pour une durée limitée. Les soldats engagés dans ces opérations doivent ainsi être capables de changer de métier, c'est-à -dire de mentalité, en un claquement de doigts ; alterner les rôles au cours d'une même mission, passer de l'ami à l'ennemi ou au neutre en fonction des milieux et des comportements, et ainsi adhérer aux fluctuations des risques et des opportunités.

L'emploi des armées pour la sécurité intérieure, en utilisant les compétences aujourd'hui développées dans les opérations extérieures, ne mène donc pas nécessairement à la quasi-dictature, et donc à l'échec. Mais il doit être strictement limité dans l'espace et dans le temps pour ne pas en faire autre chose qu'une mesure extraordinaire.

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26 juillet 2005

Le permis de tuer

Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre, je m'étais attaché à cerner les caractéristiques nouvelles des conflits modernes. L'une d'entre elles, l'abaissement du seuil de la guerre, a connu une illustration tragique vendredi dernier lorsque la police britannique a abattu par erreur à Londres un électricien brésilien de 27 ans, dont le comportement suspect l'a fait assimiler à un candidat à l'attentat-suicide. Ce qui pourrait s'appeler en situation ordinaire une exécution sommaire est devenu en situation extraordinaire une action de légitime défense. En d'autres termes, la procédure judiciaire traditionnelle consistant à attendre un acte criminel avant d'agir a été remplacée par la procédure militaire classique, dans laquelle la détection de l'ennemi suffit à justifier un emploi définitif de la force. Même si nos sociétés sont devenues les champs de bataille de notre ère, voilà qui ne laisse d'interpeller.

La clandestinité et le fanatisme des agresseurs constituent naturellement les problèmes majeurs auxquels sont confrontées les forces de l'ordre : un candidat à l'attentat-suicide est difficile à détecter et sa neutralisation doit succéder presque immédiatement à la détection. Cette infiltration des zones urbaines par des combattants prêts à tout est donc une forme efficace de subversion, car elle impose une évaluation permanente et spontanée de menaces potentiellement mortelles sur la base de critères superficiels, dont en premier lieu l'apparence. De ce fait, elle constitue un facteur de segmentation et de communautarisation des sociétés qui peut aboutir à un effet tache d'huile, par lequel la pensée radicale des terroristes semble justifiée par la réaction des forces de sécurité et se répand chaque jour davantage.

En même temps, ces forces sont soumises à une pression populaire visant à imposer davantage de mesures de sécurité. Les appels aux contrôles renforcés qui succèdent aux attentats font ainsi accroire l'illusion que le tout-sécuritaire est une solution efficace, alors qu'il peut lourdement contribuer à la subversion des esprits et des identités. Mais ces appels montrent également qu'une perception trop aiguë d'insécurité peut aboutir à des initiatives privées, plus ou moins organisées, dans le but de pallier les lacunes supposées des forces de l'ordre. C'est tout le dilemme de celle-ci : elles doivent obligatoirement en faire ni trop, ni trop peu, maintenir un seuil acceptable de sécurité sans contribuer au développement du conflit, et protéger nos sociétés sans les placer sur pied de guerre. Et ceci dans les faits comme dans leur représentation.

Dans ces conditions, on comprendra pourquoi les proclamations « pas de permis de tuer » sont éloignées du vrai défi posé aujourd'hui par le terrorisme islamiste. L'essentiel ne se joue pas là , dans les mesures coercitives prises ou écartées, mais bien dans la fluctuation des perceptions au sein du public. A l'élévation apparente de la menace doit nécessairement répondre l'affichage d'une détermination équivalente. L'exécution par erreur d'un innocent par Scotland Yard, à mon avis, s'inscrit donc dans une démarche persuasive visant à rassurer le public britannique et à le conforter dans sa confiance aux autorités. Ou quand le permis de tuer devient un bouclier psychologique...

COMPLEMENT I (29.7 1740) : Un ancien terroriste de l'IRA affirme que le "shoot-to-kill" ne fait qu'augmenter le recrutement au sein des groupes terroristes.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h01 | Comments (110) | TrackBack

16 juillet 2005

L'anatomie de l'attentat-suicide

Le Times de Londres a publié avant-hier un article exceptionnel de Nasra Hassan, une journaliste pakistanaise, que j'ai attendu ce matin pour lire. Il s'agit d'une description approfondie des mécanismes mis en oeuvre pour produire, préparer et encadrer des candidats à l'attentat-suicide dans les territoires palestiniens. Quelques extraits suffisent pour montrer à quel point ce texte mérite d'être lu - notamment à la lumière des attentats commis la semaine dernière à Londres :

From 1996 to 1999, I interviewed nearly 250 people involved in the most militant camps of the Palestinian cause: volunteers who, like S, had been unable to complete their suicide missions, the families of dead bombers, and the men who trained them.
None of the suicide bombers - they ranged in age from 18 to 38 - conformed to the typical profile of the suicidal personality. None of them was uneducated, desperately poor, simple-minded, or depressed. Many were middle-class and held paying jobs. Two were the sons of millionaires. They all seemed entirely normal members of their families. They were polite and serious, and in their communities were considered to be model youths. Most were bearded. All were deeply religious.
[...]
My contacts told me that, as a military objective, spreading fear among the Israelis was as important as killing them. Anwar Aziz, an Islamic Jihad member who blew himself up in an ambulance in Gaza, in December 1993, had often told friends: "Battles for Islam are won not through the gun but by striking fear into the enemy's heart."
[...]
As today's weapons of mass destruction go, the human bomb is cheap. A Palestinian security official pointed out that, apart from a willing young man, all that is needed are such items as nails, gunpowder, a battery, a light switch and a short cable, mercury (readily obtainable from thermometers), acetone, and the cost of tailoring a belt wide enough to hold six or eight pockets of explosives. The most expensive item is transportation to a distant Israeli town. The total cost of a typical operation is about US $150 (£85). The sponsoring organisation usually gives between $3,000-$5,000 (£1,700- £2,830) to the bomber's family.

Des faits à prendre en considération si l'on cherche à appréhender les futures attaques islamistes en Europe, et leur possible transformation en insurrection armée.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h50 | Comments (39) | TrackBack

14 juillet 2005

L'engrenage de la scission

En poursuivant les réflexions faites hier sous le titre de l'intifada européenne, il paraît important de se demander comment un tel scénario pourrait se dérouler. Le mécanisme recherché par l'acte terroriste le plus horrible consiste entre autres à scandaliser la société touchée et à provoquer - par des mesures sécuritaires excessives et/ou par des représailles incontrôlées - un sentiment de marginalisation au sein de la population musulmane, avec de ce fait une radicalisation pour une partie de ses membres. Le meurtre de Theo Van Gogh l'an dernier aux Pays-Bas a par exemple engendré une prise de conscience au niveau de la société hollandaise, mais aussi de nombreux actes de violence anti-islamique visant avant tout des édifices. Les déclarations faites cette semaine par son assassin, qui ne ressent aucun remords et promet de récidiver dès sa sortie de prison, rappellent également qu'un petit nombre de tueurs fanatiques suffit pour déclencher un processus de déstabilisation, voire de scission.

Le problème, c'est que ces nombres ne sont pas si petits que cela. En Allemagne, les services de renseignement estiment que 1% des quelque 3 millions de musulmans sont prêts à soutenir des actes terroristes inspirés par l'idéologie islamiste ; si l'on imagine que 1% de ce pourcent est apte et disposé à commettre ces actes, cela fait 300 assassins potentiellement suicidaires sur sol allemand. En France, les renseignements généraux estiment à 5000 le nombre de membres et de sympathisants salafistes, dont 500 radicaux, et à 40 le nombre de mosquées qu'ils contrôlent ; ce qui ne constitue qu'une partie des islamistes présents sur sol français. En Hollande, les services de sécurité gardaient constamment l'œil sur les 150 islamistes les plus dangereux avant l'assassinat de Van Gogh, mais le meurtrier de celui-ci n'en faisait pas partie. Et en Suisse ? Une estimation prudente m'amènerait à dire que quelques dizaines de personnes tout au plus sont prêtes à combattre la société helvétique, ses lois, ses valeurs et ses habitants. Du moins par les armes.

Les tueurs ne sont en effet que la partie émergée de cellules et de réseaux qui assurent toutes les fonctions nécessaires à leur recrutement, à leur endoctrinement, à leur soutien et à leur emploi. Les jeunes citoyens britanniques d'origine pakistanaise qui se sont faits exploser voici une semaine à Londres ont été assez rapidement identifiés, mais d'autres responsables de l'attentat - notamment le planificateur - courent toujours. Les infrastructures nécessaires au développement de la mouvance islamiste sont en place, même si les services de sécurité s'emploient à les détecter, et à les démanteler lorsque le pouvoir politique leur en laisse la possibilité. Est-ce qu'un soulèvement armé est à la portée de cette mouvance ? Plusieurs quartiers et banlieues des grandes villes européennes s'y prêtent certainement, puisque les forces de l'ordre n'y maintiennent plus qu'une présence intermittente. Et ce passage spectaculaire à l'action ouverte ferait office de catalyseur pour nombre d'indécis, obligés de prendre position et amenés à le faire dans le sens de ceux qui apparaissent le plus décidés.

De telles réflexions restent heureusement hypothétiques. Si un jour les forces de sécurité occidentales traitent chaque citoyen ou émigré musulman comme un terroriste en puissance, alors les islamistes auront probablement atteint l'objectif consistant à séparer les communautés musulmanes des sociétés occidentales et à les radicaliser. Mais il faudrait pour cela un abandon de nos valeurs, un renoncement aux libertés individuelles et une communautarisation de nos vies qui me semblent improbables. Quelles que soient les attaques que nous subirons, il faut garder à l'esprit que nous devons combattre des idées et non des hommes, des valeurs et non des communautés, des concepts et non des relations. Et on ne peut combattre efficacement une idée avec des contrôles aux frontières ou des bombes intelligentes : il faut lui opposer une autre idée.

COMPLEMENT I (17.7 0605) : Le combat des idées est exactement ce que préconise Tony Blair. Comment se fait-il qu'aussi peu de dirigeants politiques européens ne comprennent cela?

Posted by Ludovic Monnerat at 11h53 | Comments (26) | TrackBack

13 juillet 2005

Vers l'intifada européenne ?

L'annonce faite hier par les services de sécurité britanniques, selon laquelle Londres aurait probablement été frappée jeudi dernier par des attentats-suicides commis par des musulmans britanniques, a brutalement confronté nombre de pays à une hypothèse jusqu'ici largement taboue : l'avènement d'une intifada en Europe, l'embrasement des banlieues et des quartiers dans lesquels l'influence islamiste est la plus forte, et la multiplication d'attentats terroristes - notamment suicidaires - qui imposent une répression susceptible d'approfondir les fractures communautaires. Est-ce que les 4 bombes qui ont explosé dans les transports publics londoniens annoncent une insurrection à venir, des campagnes d'attentats couplées à des appels à la désobéissance civile, au non respect d'une loi impie ? Est-ce que la pollution des esprits due à l'intégrisme musulman va dégénérer en conflit armé ?

Le « robuste optimisme du bon sens » qui prévaut généralement dans les sphères dirigeantes tend naturellement à déconsidérer d'emblée toute réflexion allant dans ce sens. Impossible, inimaginable, insoutenable, peut-on souvent entendre. Mais pour ceux dont le métier consiste à penser l'impensable, l'hypothèse d'une intifada européenne est depuis des années un sujet d'inquiétude majeur ; périodiquement, des rapports soulignent le danger que font par exemple peser les activités d'endoctrinement et de radicalisation au sein de la communauté musulmane. Lorsque le 1% d'une frange de la population qui compte souvent plusieurs millions de personnes est prêt à commettre des actes terroristes, comme c'est par exemple le cas en Allemagne d'après les services de renseignements intérieurs, comment ne pas voir le potentiel d'une guerre civile ravageuse ?

Lorsque les historiens étudieront les réponses des Gouvernements européens à cette menace potentielle, ils parviendront probablement à une conclusion maintes fois prononcée quant à la prévention manquée des guerres : trop peu et trop tard. La réaction timide et les tiraillements vécus l'an dernier, après les attentats de Madrid, montrent que l'urgence de la situation n'a pas été perçue. L'éclatement généralisé de ce conflit armé peut encore prendre des années avant de se produire, mais nous en sommes déjà à la phase 1, la plus longue et la plus difficile : l'affrontement du sens, l'influence des perceptions, la préparation des esprits, l'amorçage ou le désamorçage des enjeux. Gagner cette phase revient à empêcher le conflit d'éclater, ou du moins d'en réduire drastiquement les proportions. La négliger signifie laisser les coudées franches à nos ennemis, futurs donc présents.

Cette guerre des idées, étape préalable d'un conflit élargi à la dimension physique, est activement niée sur le continent européen. Les canons du politiquement correct condamnent au silence et à la dissimulation les voix discordantes qui, en démocratie, jouent le rôle de sonnette d'alarme. En s'interdisant de rendre publiques et de dénoncer de petites transgressions et distorsions sous couvert de lutte antiraciste ou antixénophobe, on n'a fait qu'encourager leur extension et leur généralisation. Nous avons indirectement produit nos propres terroristes à force de laxisme, de lâcheté et d'aveuglement. Nous avons laissé des idées nauséabondes, des appels au meurtre de masse, des irrédentismes sanguinaires se répandre sans résistance dans nos contrées, dans nos sociétés. Les guérillas globales de notre temps se nourrissent toujours des espaces libres qui leur sont laissées ; dans ces conditions, je vois mal comment une telle guerre peut encore être évitée.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h45 | Comments (32) | TrackBack

12 juillet 2005

La tentation de la normalité

Il n'est pas facile de faire face à un spectre anonyme, multiforme et sanguinaire. Il est bien plus tentant de nier son existence ou de l'expliquer par nos fautes supposées, afin de pouvoir se réfugier dans le confort rassurant de la normalité, de fuir le constat effrayant d'une haine fanatique dirigée contre nous. Passé le choc des attentats, la Grande-Bretagne connaît les mêmes mécanismes qui se sont mis en place en d'autres lieux. La BBC a par exemple exclu le mot terroriste de son vocabulaire pour parler des auteurs des attaques de Londres. L'intellectuel islamiste Tariq Ramadan va donner une conférence dans cette ville, partiellement financée par la police. On transforme les djihadistes en criminels et le djihad en frustration sociale pour s'éviter le poids d'une guerre à mener.

Pendant ce temps, les enquêtes de la police britanniques indiquent que les attentats ont été commis par un petit nombre de terroristes, utilisant des explosifs militaires de forte puissance, peut-être originaires des Balkans ; la minorité islamiste et extrémiste de la communauté musulmane se félicite des attentats et appelle d'autres victoires sur les infidèles. Partout en Europe, même si Londres est aujourd'hui sous les feux de l'actualité, émergent et se développent de petites cellules combattantes, des réseaux fanatisés visant à détruire et conquérir les sociétés qui les entourent. Des tumeurs fascistes qui se métastasent dans les corps las de nos démocraties.

Cet aveuglement face à la réalité d'aujourd'hui et plus encore de demain ne touche pas nécessairement les populations touchées, puisque le premier sondage après les attentats a montré une nette augmentation du soutien pour Tony Blair et son action contre le terrorisme islamique. Mais les oeillères imposées par une partie de la classe médiatique et politique finissent tôt ou tard par avoir un effet palpable sur les perceptions publiques. Et les services de sécurité restent finalement les seuls à pleinement comprendre l'ampleur de la menace et les enjeux qui la sous-tendent - lorsqu'ils le font. A imaginer le conflit qui peut un jour déchirer nos villes, nos sociétés, nos valeurs.

En définitive, la tentation de la normalité est aussi une crainte du lendemain, du changement, de la perte, de la disparition. Un réflexe dicté par l'âge et le souvenir de temps jugés meilleurs. Un refus de prendre les risques que nécessite la construction de l'avenir. Bref, une fatigue de la vie qui constitue peut-être la plus grande menace imaginable.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h39 | Comments (17) | TrackBack

10 juillet 2005

La menace en Suisse

Est-ce que la Suisse est également une cible du terrorisme islamiste transnational? Voilà une question qui est à nouveau posée avec insistance depuis les attentats de Londres. Ces derniers jours, la réponse généralement donnée était négative : aucune crainte à avoir, tout va bien. Un article publié ce jour par le Sonntagsblick se penche sur la même question et fournit des éléments plus nuancés, notamment en montrant tous les liens entre les auteurs et commanditaires de différents attentats et la Suisse - les comptes sur les banques (Ben Laden et Al-Zawahiri, par exemple), l'arrestation d'Achraf (qui voulait faire exploser le Palais de Justice à Madrid) ou encore les liens du centre islamique de Bienne (avec l'attentat de Djerba).

Le sens général de l'article consiste cependant à dire que la Suisse ne sera pas directement menacée aussi longtemps qu'elle servira de base arrière - logistique, financière, etc. - pour les réseaux islamistes. Sans que cela suscite l'indignation ou l'interrogation des auteurs, apparemment. Pire, on retrouve les échos des voix qui affirment depuis vendredi que la vente de chars suisses à l'Irak via les EAU nous place dans le collimateur d'Al-Qaida, comme si les actions potentielles d'un groupe terroriste islamiste devaient orienter notre politique étrangère et économique. Un bel exemple de "capitulation préventive" qui montre l'effet de la violence armée sur les coeurs et les esprits, en l'occurrence sur le courage et le raisonnement.

Mais croire que la Suisse n'est pas menacée, et donc que la mouvance islamiste établit une différence entre les diverses nations du monde occidental, revient à projeter sur un belligérant fanatisé des considérations qui échappent à son idéologie. Nos banques, nos chars, nos déclarations, nos actions humanitaires ne sont d'aucune importance aux yeux de ceux que transporte la haine de l'autre. Les islamistes attaquent l'Occident pour ce qu'il est et non pour ce qu'il fait, pour ce qu'il pense et non pour ce qu'il dit, pour ce qu'il croit et non pour ce qu'il prêche. Il n'existe aucune voie médiane entre la soumission et le combat, aucun compromis entre la démocratie libérale et l'intégrisme religieux. Pour la Suisse comme pour les autres.

Au demeurant, mon pays est bel et bien engagé dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Plusieurs cadres d'Al-Qaïda ont pu être capturés lorsque les autorités helvétiques - et Swisscom [comme tous les autres opérateurs, fait remarquer ci-dessous un lecteur] - ont livré les informations permettant de traquer les cartes SIM vendues anonymement en Suisse (la presse américaine, en révélant cela, a mis les pieds dans le plat). L'entraide judiciaire internationale et les échanges de renseignements fonctionnent de façon intensive, et il ne se passe guère un mois sans que le Ministère public de la Confédération n'envoie des représentants à Washington. La nature à la fois criminelle et guerrière des réseaux terroristes oblige tout simplement les Etats de droit à les poursuivre, et donc à les combattre.

Oui, la Suisse est menacée. Elle est même une cible facile, peu attentive au monde, largement endormie et déjà rongée par les opinions défaitistes, presque capitulardes. Même après Madrid, même après Londres, la routine demeure souveraine. Le réveil risque d'être brutal et traumatisant.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h25 | Comments (26) | TrackBack

7 juillet 2005

La guerre continue...

La première annonce des attentats commis aujourd'hui à Londres, parvenue à 1047 par SMS sur mon portable, ne m'a pas surpris le moins du monde. Seuls ceux qui ignorent le conflit central de notre époque, la guerre irrémédiable entre les démocraties libérales et le fascisme islamique, peuvent l'avoir été. Au demeurant, il est assez rapidement apparu que l'ampleur des dégâts continue sa décrue depuis le 11 septembre, malgré le déclenchement de plusieurs bombes à des heures de pointe, malgré une série d'attaque visant comme toujours à faire le plus grand nombre possible de morts et de blessés. Le terrorisme est une méthode de guerre qui peut être efficace en cas d'usage ciblé, constant et visant des objectifs limités ; frapper aveuglément et ponctuellement en cherchant à défaire une société entière ne ressemble pas à une stratégie gagnante. Imposer la lutte antiterroriste au menu du sommet du G8 n'est d'ailleurs pas vraiment une manœuvre intelligente sur le plan politique.

Cette deuxième série d'attentats en Europe occidentale depuis 5 ans, après le 11 mars à Madrid, rappelle simplement que la guerre continue. Les services de sécurité britanniques, tout en annonçant l'inéluctabilité de ces attaques, ont déjoué nombre de complots et arrêté des dizaines de terroristes potentiels (une expression qui montre l'inadéquation du droit actuel!) ces dernières années. A vue de nez, les attentats de ce jour ont nécessité des mois de préparation ; ce n'est pas qu'ils soient particulièrement complexes à planifier, à entraîner et à exécuter, mais le faire sans attirer l'attention des services de sécurité exige un maintien du secret particulièrement exigeant, et donc un ralentissement des actes préparatoires. Un réseau terroriste islamiste cherchant à commettre un attentat en Europe est comme un sous-marin cherchant à couler un convoi marchand au milieu d'une flotte aéronavale : l'imprudence est la pire faiblesse, la patience son meilleur atout.

Mais le temps qui s'écoule entre deux attaques ou deux ensembles d'attaques fait beaucoup pour affaiblir à terme leur effet. On ne peut terroriser une population, et donc influencer ses dirigeants politiques, sans faire constamment planer sur elle la menace de meurtres, d'explosions ou de massacres. En d'autres termes, les services de sécurité remplissent leur mission non pas lorsqu'ils préviennent tous les actes terroristes, ce qui est purement impossible, mais lorsqu'ils réduisent leur nombre et leur ampleur à un niveau à partir duquel leur impact n'est plus décisif. C'est pourquoi la lutte contre le terrorisme a une finalité militaire, et non judiciaire : il ne s'agit pas d'arrêter et de mettre hors d'état de nuire tous les coupables, mais bien de leur infliger des pertes telles que la survie devient leur priorité. Démanteler un réseau a toujours pour effet de rendre plus prudents, plus patients, et donc moins actifs, ceux qui subsistent. A moins qu'ils n'emploient l'arme ultime!

Malgré cela, la pire erreur que pourraient commettre les Gouvernements occidentaux consisterait à renforcer la sécurité intérieure à un point tel que les libertés individuelles seraient menacées, et donc que la lutte contre le terrorisme devienne davantage nuisible que le terrorisme lui-même. Les mesures de protection ne suffisent jamais à gagner une guerre : celle-ci doit être portée sur le sol de l'ennemi. Et comme la conquête des esprits est le mode opératoire privilégié de notre époque, c'est bien en menant une guerre des idées, en combattant sans relâche les idéologies extrémistes et intégristes que l'on peut espérer au fil du temps procéder à leur euthanasie stratégique, et ainsi parvenir à la décision. J'espère simplement que mes concitoyens comprendront davantage ce soir que nous sommes totalement impliqués dans ce conflit, que nous en sommes belligérants au même titre que les tous les Etats de droit.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h59 | Comments (21) | TrackBack

6 juillet 2005

Face au chaos ambiant

Ce reportage paru dans Le Figaro fournit un aperçu passionnant de la situation sécuritaire en Côte d'Ivoire, 8 mois après l'évacuation des ressortissants européens et face à des conditions économiques qui ne cessent de se dégrader. Il montre tous les symptômes des sociétés et des collectivités confrontées à l'effondrement de la sécurité publique : l'improvisation de la fonction sécuritaire au sein de communautés minoritaires, l'inflation des emplois liés à la fourniture de sécurité, la constitution d'espaces sécurisés privés, parfois mobiles, et la perspective de véritables armées stipendiées potentielles, susceptibles selon la situation d'être employées à des fins offensives. Ainsi, l'insécurité devient le facteur d'inégalités le plus important au lieu d'en être la conséquence. C'est le chaos qui provoque la pauvreté davantage que l'inverse. La vie humaine se dévalue avec l'élargissement des victimes désignées à la majeure partie d'une société.

Les milices d'autodéfense communautaires, les entreprises de protection plus ou moins professionnelles et les sociétés militaires privées forment un environnement de plus en plus répandu sur la planète. Cela ne représente pas nécessairement la pire combinaison : un état autocratique règnant sans contre-pouvoir sur une population désarmée peut en effet mener au génocide ou au démocide. Même si la guerre de tous contre tous peut être décrite comme l'antithèse de la civilisation, le massacre industriel ne symbolise jamais qu'une civilisation devenant inhumaine. Pourtant, à terme, et malgré le développement des armes de destruction massive, c'est bien le chaos sanglant qui finit par engendrer les pires horreurs - moins ouvertement, moins scandaleusement, comme en témoigne le conflit en RDC et ses plus de 3 millions de morts depuis 1998.

Cette descente aux enfers de la vie sociale, qui confirme que l'homme reste bien un loup pour l'homme, constitue à mon avis l'une des menaces majeures de notre siècle. Il est assez ironique de constater que les forces armées occidentales, aujourd'hui engagées majoritairement pour juguler le chaos qui menace l'intégrité de sociétés entières (d'où les missions à long terme et à intégration civilo-militaire), sont revenues à une situation opérationnelle comparable au temps de la colonisation, mais dans l'autre sens : il s'agissait à l'époque de répandre la civilisation - et d'en tirer profit, naturellement - dans des contrées perçues comme lointaines, et il s'agit aujourd'hui de préserver cette même civilisation sur une planète qui ne cesse de se rapetisser. Mais une stratégie consistant à préserver le statu quo a-t-elle la moindre chance de réussir ? Est-ce que la transformation permanente, la destruction créatrice, n'est pas une option à retenir ?

Changer le monde avant qu'il ne nous change, reprendre l'expansion civilisatrice pour défaire le chaos dévorant. Cette orientation serait plus tentante si elle ne dégageait pas un remugle de totalitarisme! et ce quelles que soient les intentions derrière le changement.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h37 | Comments (3) | TrackBack

5 juillet 2005

La diagonale des fous

On trouve aujourd'hui sur Fourth Rail une analyse de la situation en Thaïlande du Sud, où l'insurrection islamiste déclenchée voici presque 2 ans semble bien difficile à contrer. Comme à l'accoutumée, la campagne de contre-insurrection menée par le Gouvernement s'est heurtée à l'échec des méthodes frontales issues des conflits conventionnelles, et évolue dans des modes opératoires classiques :

The Thai strategy is to drive a wedge between the professional fighters and the population as a whole. It has come to this strategy only lately, however, having first attempted to crush the insurgency by main force. Only time will tell if the new strategy is more successful, and the combination of diplomacy, social-welfare payouts, and outreach programs can dry up the sea in which the guerrillas swim.

Il est assez intéressant de relever que de nos jours, un pays comme la Thaïlande peut effectivement être en guerre - 880 morts en 18 mois - et rester une destination touristique majeure, qui plus est malgré le tsunami. L'existence même d'une insurrection à motivation idéologique dans une nation en modernisation rapide semble encore plus intéressante : elle démontre que les lignes de fracture autour desquelles s'embrasent les sociétés sont de plus en plus liées à des facteurs immatériels, tels les valeurs et les croyances, qu'à des facteurs matériels comme les ressources ou le commerce. L'idée très en vogue selon laquelle réduire la pauvreté est une manière de réduire les conflits n'est que marginalement vraie.

Ainsi, le discours du "grand échiquier" popularisé par Zbigniew Brzezinski est une vision trompeuse et simplificatrice d'une planète sur laquelle une multitude d'échiquiers gigognes forment une sorte de sculpture fractale tridimensionnelle en perpétuelle instabilité. Je m'explique (encore heureux... ;)) : une collectivité donnée peut être représentée par un échiquier qui lui-même représente une case de l'échiquier que forme la société englobant ladite collectivité. Et le méta-échiquier ultime, celui de la planète, se joue à mon sens dans le domaine des idées, dans la sphère de l'information, parce qu'elle seule interconnecte instantanément et immatériellement toutes les parties nationales, sectorielles ou locales.

C'est pourquoi la diagonale des fous de Dieu balaie irrémédiablement toute la planète, et ne laisse aucune société intacte ou indifférente. Nous sommes tous impliqués, concernés, menacés par l'affrontement qui se déroule jour après jour. Et à la différence de la guerre froide, les règles du jeu ont été déchirées...

Posted by Ludovic Monnerat at 23h01 | Comments (6) | TrackBack

4 juillet 2005

Irak : Red on Red

Les affrontements au sein de la guérilla en Irak semblent au moins se poursuivre, voire augmenter. Il est assez intéressant de voir que ce phénomène est très largement passé sous silence dans les médias traditionnels européens. Même s'il serait faux d'en tirer des conclusions hâtives ou exagérées, cette réalité montre une évolution intéressante dans les rangs de la guérilla composite qui combat depuis plus de 2 ans : le principal facteur de convergence, à savoir le refus de la présence militaire américaine (mettre un terme à celle-ci est la condition sine qua non, qui pour reprendre le pouvoir, qui pour imposer l'islamisme), est devenu moins fort que des facteurs de divergence comme les différences de nationalité et de pratique religieuse.

Following al-Qa'eda's seizure of the main buildings a number of residents fled. Arkan Salim, 56, who left with his wife and four children, said: "We thought they were patriotic. Now we discovered that they are sick and crazy.
"They interfered in everything, even how we raise our children. They turned the city into hell, and we cannot live in it anymore."

Cette lutte permanente entre convergence et divergence dans les enjeux, entre ceux qui fédèrent et ceux qui divisent, entre les enjeux les plus universels et les enjeux les plus individuels, est une dimension essentielle des conflits de basse intensité. C'est un aspect que les armées ont eu tendance à oublier par la faute de la montée aux extrêmes vécue durant les deux conflits mondiaux et bétonnée par le face-à -face nucléaire de la guerre froide. Mais supprimer les raisons de se battre restera toujours plus efficace, à terme, que supprimer les hommes prêts à se battre. Influencer les intentions, et non les méthodes d'action ou les moyens qu'elles mettent en oeuvre, doit constituer l'effet recherché par l'emploi de la force armée dès lors que la survie collective n'est pas menacée.

De ce fait, les médias ne comprennent rien au conflit en Irak. Ils dénombrent les attentats suicides et les kidnappings en donnant l'impression que cela résume la situation du pays, alors que la tenue d'élections locales, l'ouverture d'écoles rénovées ou encore le développement du commerce ont un impact bien plus important. L'incapacité des islamistes et des baasistes à proposer une alternative politique crédible et tangible est l'une des raisons pour lesquelles l'Irak se distingue des conflits insurrectionnels vécus durant la décolonisation. La révolution est apportée par une force armée conventionnelle, et non plus par une guérilla idéologique ou nationaliste.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h12 | Comments (7) | TrackBack

1 juillet 2005

Des armes suisses en Irak

Puisque je suis à nouveau en Suisse, il est logique que je revienne sur un événement assez unique survenu mercredi : l'acceptation par le Conseil fédéral de la vente de matériel de guerre en vue d'opérations de coercition armée. D'une part, les 180 chars de grenadiers M-113 - enfin, véhicules de combat d'infanterie pour prendre l'appellation internationale - vendus aux Emirats Arabes Unis seront offerts à la nouvelle armée irakienne. D'autre part, la vente de 736 autres M-113 au Pakistan en vue de leur emploi dans des missions de promotion de la paix fait que ceux-ci seront concrètement utilisés au titre du chapitre VII de la Charte de l'ONU, comme c'est actuellement le cas au Congo. Ces chars connaîtront des combats.

Bien entendu, les adversaires idéologiques de l'armée n'ont pas manqué de fustiger ces ventes qui, à elles deux, devraient rapporter près de 60 millions de francs (le prix d'un petit avion de transport...) :

«Cet activisme soudain dans le domaine des ventes d'armes militaires entre en contradiction avec la neutralité de notre pays», proteste le sénateur socialiste jurassien Pierre-Alain Gentil.

On notera que j'aurais pu citer des propos encore plus absurdes, notamment liés au programme nucléaire pakistanais (tout le monde sait que les M-113 sont des vecteurs atomiques...), mais cela illustre bien un point important à ce sujet. Les armes de guerre vendues par la Suisse iront équiper des armées nationales qui combattront des groupes non étatiques, sur leur sol ou à l'étranger. Mentionner la neutralité est symptômatique d'un mode de pensée caduc, d'une vision de la guerre scotchée aux épisodes les plus marquants des grands conflits mondiaux. Le Conseil fédéral, en acceptant la vente de ces équipements encore utilisables, montre clairement qu'il intègre les menaces contemporaines et le fait que les armées nationales sont de plus en plus l'ultime rempart face au chaos.

Sur la question de l'Irak, ses déclarations témoignent d'un revirement intéressant :

«Il est dans l'intérêt de la Suisse que la situation en Irak, où les attentats terroristes se multiplient, se stabilise aussi rapidement que possible», déclare Joseph Deiss, ministre de l'économie. A ses yeux, cela ne pourra se faire que si les nouvelles forces de sécurité irakiennes disposent de moyens appropriés pour assurer leur protection.

La formation d'un Gouvernement légitime en Irak offre ainsi des opportunités diplomatiques...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h30 | Comments (5) | TrackBack

25 juin 2005

La fabrique à monstres

Lundi dernier, les Forces de défense israéliennes ont intercepté au point de passage d'Erez, au nord de la bande de Gaza, une jeune femme palestinienne de 21 ans qui a tenté sans succès de mettre à feu une charge explosive de 10 kg cachée sous ses vêtements. Cette femme était au bénéfice d'une autorisation de passage d'origine médicale, et devait se rendre dans un hôpital de Beer'Sheva pour s'y faire exploser, selon les instructions du groupe terroriste palestinien qui la contrôlait. Les images de son échec ont assez rapidement circulé sur le réseau.

La réaction de la communauté internationale à cet événement choquant, à ce massacre évité grâce aux mesures de sécurité, a été d'appeler à la réduction de ces mesures pour faciliter le flux de personnes et de marchandises entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. En d'autres termes, la mort abominable de quelques citoyens israéliens dans un hôpital ne saurait compter aux yeux du monde. De toute manière, l'Europe entretient discrètement des contacts avec les organisations terroristes palestiniennes, en vertu d'une stratégie d'apaisement qui consiste toujours à récompenser par une attention accrue les extrémistes et leurs violences.

Il est intéressant de considérer la motivation de la jeune palestinienne à se faire exploser au milieu des patients et des visiteurs d'un établissement médical dans lequel elle avait reçu un traitement : le rêve d'être une martyr, la volonté depuis l'enfance de commettre une attaque probablement suicidaire. Compte tenu de son âge, cette femme a donc été exposée à toute la propagande guerrière qui inonde la jeunesse palestinienne depuis l'époque de la première Intifada et des Accords d'Oslo, et qui continue sans répit. Les territoires palestiniens ont été transformés en une gigantesque fabrique à monstres, en une folle expérimentation sociale qui aboutit à nier la valeur même de la vie.

Essayer de transformer une société entière en arme de guerre, et faire de la lutte armée l'essence même de son existence, a été la contribution révolutionnaire de Yasser Arafat à l'histoire des conflits. C'est aussi une recette pour un désastre garanti. Perdre de vue le caractère instrumental du combat pour en faire un idéal permanent et universel revient à écarter toute limite dans l'application de la violence. De nos jours, le terrorisme palestinien est ainsi devenu un culte mortifère, une adoration dévorante qui s'incruste dans les esprits et pervertit toute une société. Lorsque l'enfantement vient à être considéré avant tout comme une source de futurs combattants, le lavage des cerveaux palestinien se hisse au rang de crime contre l'humanité.

Condamnée à affronter les produits de ce crime, la population israélienne n'aura d'autre choix que de maintenir ses défenses, sous peine de disparaître ou de ressembler à ses ennemis. Mais la population palestinienne reste la plus à plaindre, car c'est bien la principale victime de ces idées monstrueuses qui détruisent peu à peu son identité et son avenir.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h39 | Comments (49) | TrackBack

23 juin 2005

Irak : optimisme exagéré

Plusieurs informations parvenues ces jours mettent en évidence le succès stratégique obtenu par la coalition sous commandement américain en Irak : des affrontements éclatent au sein même de la guérilla, confirmant la scission survenue au fil des mois entre les djihadistes pratiquant le terrorisme et les combattants sunnites irakiens, que les combats de Falloujah en novembre dernier avaient d'ailleurs révélée ; les forces armées irakiennes continuent leur montée en puissance et l'augmentation de leurs actions, permettant aux formations américaines de libérer des ressources croissantes pour des opérations offensives ; le processus politique se poursuit avec la participation de toutes les composantes du pays, y compris la minorité sunnite, dont les dirigeants sont bien davantage enclins à la négociation ; le développement de la société irakienne continue à un rythme rapide, et la croissance économique pour 2005 devrait par exemple atteindre 35% du PIB, malgré les sabotages qui continuent d'entraver l'approvisionnement énergétique. Toutes ces tendances sont apparues depuis des mois.

Cette évolution n'empêche pas le niveau de violence de rester important au cours du dernier trimestre (environ 60 attaques par jour actuellement), après une accalmie due au choc qu'ont représenté les élections, et toujours aussi localisé. Les liens très lâches qui existent au sein de ce qu'il faut nommer la guérilla sunnite expliquent à la fois son incapacité à déployer une influence nationale et son endurance face aux offensives mixtes, coalisées et irakiennes. L'attention médiatique obtenue par les attentats à la voiture piégée, qui frappent durement la population irakienne, cache en effet une escalade dans l'usage de cette arme indiscriminante et dans l'absence de message politique émis par ses auteurs. Le chaos punitif infligé par les frustrés du nouvel Irak et par les ennemis de la démocratie se nourrit ainsi d'une escalade nihiliste qui ne peut que rebuter les cœurs et les esprits. Comme je l'ai déjà affirmé à plusieurs reprises sur ce site, la guérilla sunnite se bat actuellement pour sa survie, pour son existence en tant que belligérant. La construction politique qu'elle ne peut empêcher constitue ainsi une menace mortelle.

Le succès militaire, politique, économique et sociétal de la coalition en Irak me semble clair. Mais il ne faut pas confondre cela avec le succès dans le conflit, puisque la société irakienne n'est que l'un de ses deux champs de bataille principaux. Les jugements très optimistes émis ces jours par le vice-président américain Dick Cheney, jugeant la guérilla au bord du gouffre, ou par le journaliste Karl Zinsmeister, criant à la victoire tant espérée par les partisans de cette opération, sont ainsi nettement exagérés. Au-delà de la perspective temporelle différente des conflits de basse intensité, qui rendent difficiles les jugements ponctuels, il faut rappeler que les situations d'asymétrie du fort au faible donnent un caractère décisif aux faiblesses du fort. L'opinion publique américaine et son influence sur les décisions prises par les dirigeants politiques américains forment toujours un centre de gravité vulnérable, et son importance relative évolue en fonction des élections. Or les derniers sondages montrent clairement que la perception véhiculée majoritairement par les médias et axée sur la violence en Irak a un impact croissant sur le public.

Ce ne serait bien entendu pas la première fois qu'une victoire militaire sur le théâtre d'opérations est annulée par une défaite politique à domicile : c'est régulièrement le sort qui attend les démocraties dans les petites guerres. Il existe pourtant une différence de taille : l'Irak ne constitue qu'un champ de bataille dans le conflit planétaire et générationnel que nous connaissons - et menons - aujourd'hui. La théorie du papier attrape-mouches, que pour ma part je préfère nommer l'abattoir à djihadistes, obtient ainsi régulièrement des confirmations frappantes. Il est aujourd'hui clair que la décision américaine de prendre l'offensive en Irak a généré un élan démocratique qui oblige les islamistes à combattre dans des conditions défavorables, et à investir des ressources qui restent limitées. Loin de susciter une vague de recrutement sous la bannière du califat rénové, la guerre en Irak constitue un exutoire pour toutes les têtes brûlées et conditionnées que produisent nombre de communautés musulmanes, y compris en Europe. En d'autres termes, comme le savent les forces de sécurité européennes, il vaut mieux que les djihadistes en herbe de notre époque se fassent massacrer par les forces armées américaines dans le désert irakien, au lieu de continuer à infiltrer les sociétés occidentales et de se tenir prêt à les frapper.

Là encore, il faut toutefois se garder de tout optimisme injustifié : le climat de défaitisme qui entoure les combattants islamistes en Irak depuis la perte de Falloujah et les élections de janvier a déjà provoqué nombre de désaffections, de retours prématurés qui font peser un danger considérable. L'échec prévisible de la guérilla antidémocratique en Irak devrait ainsi provoquer un reflux de djihadistes enclins aux pires vengeances, auquel cas les « Irakiens » remplaceraient les « Afghans » comme éléments déstabilisateurs des sociétés européennes ou maghrébines. Aussi longtemps qu'une victoire définitive ne sera pas obtenue sur le terrain des idées, le terrorisme continuera donc de menacer les existences quotidiennes.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h03 | Comments (22) | TrackBack

21 juin 2005

Le vaccin de l'US Navy

L'une des innovations majeures de ces dernières années, dans la stratégie navale, est l'introduction de systèmes de propulsion anaérobies pour des sous-marins de petite taille. Cette technologie, qui connaît plusieurs déclinaisons entre les nations qui la maîtrisent (Allemagne, France, Suède, Russie avant tout), permet en effet à des submersibles diesel de rester plusieurs semaines en plongée, au lieu de devoir remonter près de la surface pour recharger leurs batteries électriques en actionnant le moteur principal. En d'autres termes, les appareils de ce type se rapprochent des sous-marins nucléaires sur le plan de l'endurance, sans pour autant rivaliser avec eux en matière de vitesse ; mais ils promettent surtout une propulsion très silencieuse, et donc la possibilité de défier les grandes flottes marines et sous-marines à moindres frais, du moins à proximité des côtes. Un sous-marin anaérobie équipé de torpilles modernes (jusqu'à 40 km de portée) et de missiles antinavires volant à la surface de l'eau (jusqu'à 220 km) forme ainsi une menace nouvelle.

La première marine du monde ne pouvait se permettre d'ignorer cette évolution, même si la plupart des marines s'équipant de sous-marins AIP (Air Independant Propulsion) sont alliées, à l'exception notable de la Chine et des modèles russes qu'elle est en train de mettre en service. L'US Navy a donc conclu avec la marine suédoise un accord qui entre ces jours dans le vif du sujet : le prêt pendant une année d'un sous-marin à propulsion anaérobie avec son équipage, afin de lui faire jouer le force d'adversaire dans des exercices de lutte anti-sous-marine. J'ignore quelle contrepartie les forces armées suédoises ont obtenue avec le prêt du HMS Gotland, mais elle doit être à la mesure du service qu'elles rendent à la flotte américaine : la possibilité de s'entraîner de façon intensive avec l'un des meilleurs sous-marins d'attaque non nucléaire du moment, et donc de mesurer aussi bien ses capacités que sa signature. Pour prendre une analogie avec le monde médical, on pourrait dire que l'US Navy commence ces jours à s'administrer un vaccin anti-AIP. Le premier contact au combat avec l'un de ces engins ne sera pas une surprise complète.

Avoir un temps d'avance et prévenir l'effet d'une innovation avant même qu'elle soit entièrement introduite est bien entendu hautement désirable pour une nation dominante. En même temps, il ne faut pas surestimer l'importance des sous-marins AIP : le nombre total de modèles en service ou en production s'élève à moins de 30, souvent en quantités réduites (4 en Allemagne, 3 en Suède, 4 en Grèce, etc.), alors que les grandes marines occidentales alignent 69 sous-marins d'attaque nucléaire (Etats-Unis 52, Grande-Bretagne 11 et France 6), dont les remplaçants sont déjà en cours de production (respectivement classe Virginia, Astute et Barracuda). En même temps, les clients des sous-marins anaérobies se trouvent également dans la région asiatique (2 en Malaisie, 3 au Pakistan, 3 en Corée du Sud, peut-être 6 en Inde, sans parler de la Chine). L'emploi de ce type de submersible en conflit relève donc d'une probabilité assez élevée, notamment face à leurs concurrents nucléaires - ces derniers étant les seuls à même de les chasser et de les empêcher de s'en prendre aux flottes combattantes de surface.

Sur un autre plan, on peut relever que la coopération militaire est très étroite entre la Suède et les Etats-Unis dans le domaine des réseaux de commandement, au point que l'on considère parfois les Suédois comme susceptibles d'être infiltrés par des intérêts américains. Ceci explique peut-être cela.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h58 | Comments (3) | TrackBack

19 juin 2005

Irak : stratégie gagnante

S'il est encore besoin de souligner à quel point le talent individuel est mis en valeur par l'intermédiaire des blogs, un billet mis en ligne hier sur celui de Bill Roggio en est une illustration magistrale. L'auteur, dénommé Grim, se livre en effet à une analyse détaillée de la situation en Irak entre la guérilla sunnite, la coalition et les forces irakiennes, et le fait dans le cadre d'une réflexion stratégique qui est exactement celle qui manque dans les médias traditionnels :

It does appear that, in certain ways, enemy capability to cause mayhem is improving.
This is, however, normal in any sort of warfare, insurgency or otherwise. It is to be expected that enemies will become more deadly as time passes. This is so much a baseline feature of warfighting that Carl von Clausewitz, perhaps the greatest military scientist of them all, stated that escalation was one of the two universal features of war.
[...] Time permits the enemy to develop specialized techniques for fighting your particular kind of training; and that, as the enemy loses more men and material, he becomes more committed to winning rather than wasting what he has lost. Also, as you and he become more committed to winning, the stakes rise such that committing more, or even all, becomes a rational proposition. At the start, a battle may be something you can win or lose at little cost; but if you fight it long enough, it becomes a battle you must win in order to remain in the war. The battle becomes a decisive one.

Ce mécanisme de montée aux extrêmes s'applique exactement à l'Irak : la mouvance islamiste a engagé des ressources sans cesse plus grandes dans ce pays pour tenter d'enrayer la contamination démocratique. Les dernières offensives coalisées à l'ouest du pays, d'après cette source (que je juge fiable sur la base des 4 années depuis lesquelles je la suis), ont montré que la moitié des terroristes combattus dans ce secteur sont étrangers. L'Irak est devenu un véritable abattoir à djihadistes, un point focal où les combattants islamistes se font massacrer par la puissance de feu américaine sans parvenir à influencer de façon positive la population irakienne.

Le point culminant de l'affrontement ne sera probablement pas atteint ces prochains mois, compte tenu de la durée propre aux conflits de basse intensité. Mais le choix de combattre en Irak, au coeur du monde arabo-musulman, apparaît toujours plus sensé :

We are not fighting in a battlespace that includes our own society. The enemy has failed to engage us there effectively, since 9/11. The political sniping between Blue and Red, left and right, is not warfare. It is politics; and I think it is no nastier now than it was in the 1990s. As far as the GWOT goes, then, here is the important fact: we are fighting it entirely in the enemy's society. Our own society is not changed by the war; if anything, society is reverting to pre-9/11 mores. In the global war, then, I think we are winning -- and winning big.
Because we are fighting in the enemy's society, there are two possible outcomes: we lose the battle for that society, in which case we must try again at some other opportunity; or he loses, in which case he is destroyed. If we were fighting in our own society, the choices would be reversed. The campaign in Iraq must be seen as a battle in this wider war, and one that we have to fight and win for this reason: it keeps us fighting on the enemy's ground. The war can only be won when it is won at the level of a whole society. That means that, if we are to win, we must fight it in his society.

Les principes de la stratégie ne changent pas malgré l'évolution des technologies, et porter le combat contre le centre de gravité ennemi (encore une notion due à Clausewitz) est toujours la meilleure manière de prévenir les attaques contre son propre centre de gravité. Les affrontements et la reconstruction en Irak forment l'une des campagnes de la grande guerre des idées qui secoue la planète, alimentée par l'extinction inévitable qui attend les ensemble de valeurs et les modes de vie archaïques. Ce sont des sociétés entières, comme l'affirme Grim, qui sont en train d'être transformées sous l'action du Gouvernement américain, avec pour arme principale l'idéal démocratique. La mission de la coalition en Irak consiste donc à protéger ce processus et à détruire ceux qui s'y opposent.

La stratégie US semble donc gagnante, pour autant que la société américaine - le propre centre de gravité - accepte les sacrifices pour la mettre en oeuvre jusqu'à son terme. Ce n'est pas en Irak que les Etats-Unis peuvent perdre, mais comme toujours sur leur propre sol :

Ordinary people do not like chaos. An insurgency that can offer nothing else will not win against any alternative -- even a nation dominated by the hated Shi'ites, even an outright American occupation.
[...] We are winning, because on these terms, we cannot lose. The battlespace is Iraqi society, and Iraqi society cannot be won by what our enemy can offer. We win faster if we can make our alternative better, and we win faster if we can prove the enemy's inability to hold and govern territory -- the necessary condition for any sort of stability, without the hope of which the people of the Triangle will not support them.
The only remaining question is this: are we willing, as a society, to pay the price necessary to bring the victory about?

En d'autres termes, la préoccupation de l'administration Bush à propos de l'Irak devrait être actuellement l'endurance, aussi bien physique que psychologique. La réduction du volume des troupes US, à leur plus bas niveau depuis 6 mois avec 135'000 militaires, est un premier pas dans cette direction. A terme, il faut ainsi prévoir un contingent essentiellement dévolu au conseil et à l'appui des forces locales, tout en constituant une base d'opérations dissuasive au coeur du Moyen-Orient. Mais le soutien chancelant du public américain nécessite aussi des succès concrets pour être restauré et préservé. La concentration sur l'offensive devrait donc logiquement s'accroître ces prochains mois.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h54 | Comments (8) | TrackBack

15 juin 2005

Irak : écrans de fumée

Les conflits de basse intensité sont des affrontements au ralenti, des combats aux points, des luttes dans lesquelles la force ne peut à elle seule mener à la décision. Les pertes qu'ils peuvent infliger à une armée pendant 1 an sont le plus souvent inférieures à celles qu'un conflit de haute intensité engendreraient en 1 jour. C'est notamment le cas de l'Irak : en 25 mois, les Forces armées US ont perdu plus de 1700 hommes, mais c'est deux fois moins que le premier jour du débarquement de Normandie. La comparaison est triviale sur le plan militaire, mais pas sur le plan temporel : comprendre un conflit de basse intensité impose de cerner ces tendances qui, au fil des mois, indiquent l'évolution des rapports de forces.

A l'opposé des faits sélectionnés, segmentés et compilés qui forment l'actualité quotidienne, l'analyse des tendances est la seule manière d'émettre un jugement fondé sur un conflit. Ce sont de telles tendances qui m'ont amené, voici presque 2 ans, à annoncer le succès stratégique de la coalition en Irak. Les impressions véhiculées par les médias dès l'été 2003, axées sur le mythe de soldats américains démoralisés et impuissants au sein d'une population hostile, ont été totalement contredites par les faits. On voit ainsi aujourd'hui des unités américaines mener depuis 8 mois une offensive constante contre les lignes de communication de la guérilla sunnite, et les forces de sécurité irakiennes monter des opérations anti-terroristes d'une ampleur toujours plus grande.

Ces tendances qui se dessinaient dès les premiers mois de l'insurrection, toutefois, auraient pu être inversées si la guérilla désormais anti-démocratique avait réussi à se transformer en mouvement de résistance nationale. Mais les ennemis de la coalition n'ont jamais réussi à adopter une stratégie unifiée et cohérente, un objectif réaliste et fédérateur. Trop faibles pour contrer le géant militaire US, trop meurtriers pour séduire la population irakienne et trop aveugles pour la terroriser, ils sont condamnés à une fuite en avant pour simplement poursuivre la lutte. Cela ne signifie pas qu'ils aient perdu celle-ci, loin s'en faut ; cela signifie simplement qu'ils ne peuvent plus, pour l'heure, se concentrer sur l'essentiel : la politique.

On peut faire illusion en multipliant les bombes et en exploitant l'appétit insatiable des médias pour l'émotionnel, mais l'opinion des Irakiens produit aussitôt un retour à la réalité dès qu'elle peut s'exprimer - dans les urnes ou les sondages. Une stratégie gagnante, dans une perspective contre-insurrectionnelle, consiste donc à favoriser cette expression autant que possible. Et c'est exactement ce que la coalition fait, malgré des errements inévitables. Un segment économique comme celui des télécommunications est par exemple un indicateur important de la situation en Irak, même si le million d'Irakiens nouvellement abonnés et les conversations qu'ils entretiennent sont bien entendu invisibles.

En définitive, voilà de nombreux mois que la force armée n'est plus décisive en Irak, pour la simple et bonne raison que l'on ne peut pas combattre une idée par la puissance du feu, pas plus avec des bombardiers lourds qu'avec des voitures piégées. Lever chaque jour les écrans de fumée issus d'une vaine violence est donc la seule manière de suivre un tel conflit.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h57 | Comments (6) | TrackBack

9 juin 2005

La fin de l'exercice

Ce cours au sein de l'OTAN touche à sa fin, et les deux dernières journées de l'exercice ont été consacrées avant tout à deux activités spécifiques : hier, parmi la gestion des différentes crises qui ont été simulées par le système (rien de bien grave : un attentat à la bombe dans la gare principale de la capitale du pays X, une épidémie de choléra dans un camp de réfugiés, des plans pour une attaque terroriste au gaz sarin découverts dans une redoute d'une tribu rebelle fanatisée - la routine, quoi !), les groupes ont en effet conduit un rapport de coopération civilo-militaire avec un représentant du gouvernement local, deux représentants d'agences onusiennes et deux représentants d'organisations non gouvernementales ; aujourd'hui, c'est une conférence de presse qui a été menée par les différents groupes, face à 4 « journalistes » venant d'origines variées et ayant des intérêts très divers. Et comme le directeur du JOC devait représenter le commandant de la ZFOR à chacune de ces activités, je me suis retrouvé à devoir les diriger. Une expérience fort intéressante !

Bien entendu, les conférences de presse sont très loin de m'être inconnues, et en donner une en anglais ne posait a priori pas de problème particulier. Cependant, l'un des journalistes - tous les rôles étaient joués par des officiers de réserve américains - se distinguait par une agressivité et une paranoïa extrêmes, de sorte qu'il fallait parvenir à contenir ses interruptions et à gérer ses questions accusatrices pour continuer à mener normalement l'événement. Quant au rapport CIMIC de la veille, il consistait avant tout à assurer la coordination des besoins et des ressources entre d'une part un gouvernement totalement démuni face à des crises majeures, et d'autres part des agences et des ONG ayant chacune des compétences et des intérêts différents. L'objectif principal restant de trouver une solution face aux risques de rupture d'un barrage, dont la zone d'inondation potentielle était habitée par 125'000 personnes. Au final, ces deux activités spécifiques de l'exercice se sont fort bien déroulées pour notre groupe, et auraient pu être pratiquées telles quelles dans une opération réelle - selon les critiques reçues, naturellement.

L'exercice qui nous occupait depuis 2 semaines s'est ainsi achevé en fin de matinée, et le cours continue depuis sur son erre avec un ralentissement notable : cet après-midi, nous avons ainsi eu droit à 10 présentations de pays - chaque nation représentée dispose de 5 minutes pour décrire sa géographie, sa population, son système politique, ses forces armées et ses missions de maintien de la paix - avant de mettre un terme à la journée de formation. Ce soir, un dîner officiel en tenue d'apparat - c'est-à -dire en tenue de sortie 95 pour les officiers suisses - permettra de prendre congé des uns et des autres, alors que le cours sera formellement terminé demain, en fin de matinée, après deux exposés et une brève remise de diplômes. Il sera alors temps pour moi de reprendre mes bagages, de mettre le cap sur la Suisse et de retrouver mon environnement originel. Je dois reconnaître m'en réjouir, malgré tous les charmes que peut receler la Haute Bavière !

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8 juin 2005

Le choc des cultures

Travailler dans un état-major multinational confronte chacun aux différences qui existent entre ressortissants de divers pays, ou plutôt de divers ensembles de pays. Pendant les 2 premières semaines du cours, les travaux de planification s'effectuaient sur un rythme très modéré, du moins en regard de ce qui est pratiqué en Suisse, de sorte que les interactions entre participants se faisaient sans grande pression à ce niveau. On avait le temps de laisser à chacun ses habitudes, et le travail par petits groupes permettait quelque part de noyer les différences. En phase de conduite, cependant, l'urgence des situations change tout : l'état-major est constitué d'individus qui remplissent des fonctions distinctes et doivent tous être en mesure de comprendre les actions en cours ainsi que les implications et besoins dans leur domaine de compétence. Et lorsqu'un JOC est artificiellement réduit à 8 officiers en raison de la configuration propre au cours, les différences sont soulignées lors de chaque crise.

Par rapport à des officiers occidentaux, il est ainsi frappant de constater à quel point les officiers issus des anciennes républiques soviétiques font généralement preuve de passivité. Les uns pratiquent spontanément l'Auftragstaktik, qui consiste à fixer des objectifs à un subordonné en lui laissant la plus grande liberté de manœuvre possible pour les atteindre, alors que les autres pratiquent la Befehlstaktik, qui bannit l'initiative individuelle et assujettit chaque acte à un ordre explicite. Bien entendu, cette différence est assez schématique et ces deux principes peuvent être nécessaires en fonction de la situation, mais l'orientation des uns et des autres est très claire. J'ai ainsi été sidéré de voir un officier supérieur d'une république anciennement soviétique être capable de passer un quart d'heure à ne rien faire, planté devant son écran, sans prendre aucune initiative alors que des informations circulent et que l'état-major travaille d'arrache-pied sur un ordre partiel, simplement parce qu'aucun ordre ne lui a été donné. Les différences culturelles ont fait l'objet d'une explication au début du cours, mais y être confronté dans une telle situation reste un choc.

Assez rapidement, de tels officiers sont donc simplement mis de côté et leurs fonctions sont officieusement reprises par d'autres membres de l'état-major, en plus de leurs tâches nominales. Un exemple : cet après-midi, pendant l'exercice, une inondation d'ampleur imprévue dans un secteur où se rejoignent deux voies de chemin de fer utilisées pour l'approvisionnement de nos unités nous a ainsi contraints à rapidement modifier nos principaux itinéraires de ravitaillement ; une fraction de l'état-major s'est donc penchée pendant une demi-heure sur le cas avant d'émettre un ordre partiel à destination de nos subordonnés, mais l'officier responsable de la logistique n'en faisait pas partie - pour la simple et bonne raison qu'il était incapable de fournir la moindre contribution utile à temps dans ce processus. Le grade et l'âge ne jouent aucun rôle dans de tels travaux ; ce sont la compétence et l'aptitude à fonctionner en groupe qui déterminent les responsabilités qu'un officier peut être ou non amené à endosser. Et les fractures dues à des systèmes de valeurs ou à des éducations autres jouent un rôle important dans ce processus : un état-major OTAN exige un état d'esprit occidental, où l'indépendance, l'initiative et le sens critique sont de première importance.

En même temps, cela n'est pas très nouveau. Durant les stages de formation d'état-major général, en Suisse, on distingue assez rapidement les officiers qui se concentrent sur l'assemblage des cartes et le collage des plastiques, et ceux qui préparent concrètement les décisions du commandant par l'analyse des facteurs opératifs - forces, espace, temps et information. Ces différences entre individus sont simplement multipliées par les différences culturelles, au point d'atteindre parfois une incompatibilité complète.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h41 | Comments (8) | TrackBack

7 juin 2005

Au fil des dents de scie

La deuxième journée d'exercice de conduite du cours s'est achevée au terme de 8 heures de simulation, pendant lesquelles nous avons exploité notre CJOC en permanence - à l'exception d'une pause de 45 minutes environ à midi (ce qui est bien commode par rapport à la réalité). Une journée de ce type se déroule en dents de scie, avec des périodes d'activité frénétique, durant lesquelles des situations de crise appellent des réactions urgentes, et des périodes d'attente qu'il s'agit de mettre à profit pour accomplir des tâches de fond - comme préparer les rapports ou les conférences de presse. L'évolution des moyens de conduite impose cependant des modifications dans la manière d'obtenir l'information ; alors que par le passé un centre d'opérations interforces de ce type aurait été bardé de téléphones et de radios résonnant sans cesse, la plupart des informations parviennent aujourd'hui via le courrier électronique, sous forme de message comprenant texte et images, ainsi que par l'image opérationnelle commune. Celle-ci consiste en une image digitale représentant la carte de la région et l'emplacement des différentes unités identifiées ou connues, les nôtres ou celles de n'importe quel acteur - de manière tout à fait analogue aux systèmes de commandement digitaux qui deviennent peu à peu la règle au sein des forces armées.

Le système utilisé par le simulateur JTLS permet d'obtenir rapidement des informations précises sur n'importe quel élément de notre composante terrestre, jusqu'à l'échelon des sections et des détachements, mais également sur des éléments appartenant à un acteur intégré dans le scénario en cours. En plus du bleu et du rouge traditionnels, la carte se couvre ainsi d'autres couleurs permettant de distinguer les forces civiles, les groupes terroristes, les guérillas tribales ou encore les réfugiés et personnes déplacées. Une simple icône peut de ce fait en venir à désigner une situation des plus urgentes ; cet après-midi, nous avons par exemple appris soudainement que 5000 réfugiés avaient été repérés dans une vaste forêt, manquant cruellement d'eau, de nourriture, de soins médicaux et d'abris de fortune. En l'espace de 20 minutes, notre état-major a élaboré et émis un ordre réglant l'envoi des biens nécessaires par hélicoptère, le transport subséquent des personnes dans un camp situé à 45 km de là , ainsi que la coordination avec les agences de l'ONU présentes dans les environs.

D'autres événements peuvent nécessiter des actions d'une ampleur différente. En fin de matinée, des éléments de reconnaissance de notre ZFOR patrouillant dans la capitale du pays Y ont ainsi repéré et arrêté un homme qui s'est avéré porter sur lui une ceinture d'explosifs prête à être mise à feu. Ce candidat à l'attentat suicide appartenant de toute évidence à l'une des tribus fanatisées refusant l'accord de paix, nous avons décidé de déployer plusieurs détachements de forces spéciales - attribuées à la composante terrestre pour un emploi de ce type - et de les insérer par hélicoptère dans une région où le responsable présumé de la tentative d'attentat est connu pour se trouver, afin de le traquer et de l'arrêter ; nous avons également fait une demande pour exploiter cette arrestation par le biais d'opérations psychologiques dirigées contre les populations entourant ces tribus, afin d'isoler celles-ci toujours davantage. Il va de soi que la division multinationale responsable de la sécurité de la capitale a renforcé ses patrouilles sans même qu'il lui en soit donné l'ordre. Un exemple parmi d'autres.

Au final, et d'après les critiques intermédiaires reçues de la direction d'exercice, on s'en tire plutôt bien. C'est également l'avis du général Reinhardt, que j'ai eu le privilège de briefer cet après-midi pendant 5 minutes sur la situation - un exercice intellectuel toujours intense. Touchons du bois !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h22 | Comments (4) | TrackBack

6 juin 2005

Dans l'œil du cyclone

Nous avons commencé ce matin à travailler sur notre simulateur, le Joint Theater Level Simulation (JTLS). Il s'agit d'un outil développé aux Etats-Unis par le Joint Forces Command et utilisé de façon croissante au sein de l'OTAN (le Collège Interarmées de Défense à Paris notamment l'emploie). Ce système de niveau opératif est conçu pour entraîner les états-majors interforces et les composantes de forces dans tout le spectre des opérations contemporaines ; pour ce faire, il intègre 10 acteurs différents avec un degré d'hostilité totalement variable et permet de simuler en temps réel toutes leurs interactions possibles sur une surface de 3400 km sur 3400. Bien entendu, le JTLS exige une infrastructure non négligeable : 6 employés civils d'une société privée et 6 contrôleurs militaires (des colonels de réserve américains), en plus des 3 chefs de groupe et de 2 directeurs d'exercice fournis par l'école, sont nécessaires pour faire tourner l'ensemble. De quoi faire travailler les étudiants de façon intensive !

Comme prévu, notre force multinationale s'est en effet trouvée confrontée à une situation plutôt délicate, et le rôle du centre d'opérations interforces multinational (CJOC) consiste à évaluer en permanence cette situation pour prendre à temps les mesures nécessaires, qu'il s'agisse de demandes de renseignements, d'échanges d'informations ou d'ordres partiels. Durant les quelques 6 heures d'opérations qui ont été simulées aujourd'hui, les événements qui se sont produits étaient assez peu nombreux - environ une trentaine - mais plusieurs d'entre eux nécessitaient des actions majeures. Un massacre commis dans deux localités différentes par des rebelles fanatiques a ainsi jeté sur les routes plusieurs dizaines de milliers de personnes, la poursuite d'intempéries massives menace de faire déborder un barrage dont la zone d'inondation est habitée par une vaste population (et l'équivalent de 2 bataillons de notre force), alors que les réticences et difficultés de l'une des parties signataires de l'accord de paix à retirer ses troupes nécessitent une action ferme et mesurée.

Gérer de tels événements et préparer les décisions du commandant impliquent une circulation optimale de l'information au sein d'un petit état-major tel que le jouent les 3 groupes de participants. Dans chacun de ceux-ci, un personnage joue un rôle-clef en assurant la distribution des tâches, la synchronisation des connaissances et le suivi des crises : le chef d'état-major, ou le directeur du JOC comme il est appelé ici. Ayant l'honneur redoutable d'occuper cette fonction (ce n'est pas la première fois qu'un Suisse le fait, m'a soufflé le chef de groupe en fin d'après-midi!), je me suis trouvé dans l'œil du cyclone pendant toute la journée, à force de lire, d'analyser, de prioriser et d'exploiter la masse d'informations très diverses, souvent lacunaires et incertaines (et donc réalistes), que comporte le scénario de l'exercice. On ne sort pas de telles séquences sans être un brin lessivé, mais la journée s'est bien passée, et notre groupe a réussi à traiter de façon adéquate - quoique souvent sans respecter le formel un brin étrange des documents OTAN - la totalité des événements, parvenant même à émettre en 2 heures un ordre partiel de 3 pages pour l'emploi de 2 brigades.

Mais demain est un autre jour!

Posted by Ludovic Monnerat at 20h17 | Comments (1) | TrackBack

4 juin 2005

Un rêve en panne

Cette analyse de l'agence UPI (trouvée via InstaPundit) se livre à une chose devenue très rare : le retour sur les dires récents d'un intellectuel en vue, en l'occurrence Jeremy Rifkin et son rêve européen. Le texte ne manque pas d'opposer les théories de l'auteur américain avec la réalité illustrée par les référendums en France et aux Pays-Bas :

"The European dream is a beacon of light in a troubled world," writes Rifkin, somewhat rhapsodically. "It beckons us to a new age of inclusivity, diversity, quality of life, deep play, sustainability, universal human rights, the rights of nature and peace on Earth."
Although many of these values are clearly written into the constitution Dutch and French voters so comprehensively rejected, they were almost invisible in the two referendum campaigns.
[...]
[T]he abiding image of the campaign will remain French leftists stoking up fears about Polish plumbers taking French jobs -- hardly an advertisement for liberty, equality or fraternity.

Ce retour à la réalité est certainement l'une des grandes qualités d'une expression vraiment démocratique. Mais il souligne aussi la fragilité d'un processus qui, pour être encensé par des intellectuels tels que Jeremy Rifkin, manque cruellement de légitimité populaire et reste abstrait - et donc propice aux manipulations - pour la majorité des citoyens européens. Et si l'Union Européenne était une fausse bonne idée, un concept viable s'il s'arrêtait au seul domaine économique (et sécuritaire, eu égard à l'évolution des menaces), un rêve opposé à l'identité des peuples et des personnes ? Cette question rejoint la conclusion de l'analyse précitée :

Supporters of the EU have often compared the club to a shark -- if it stops moving forward it will sink. The goal of an "ever closer union" among peoples and states is even written into the union's founding treaty, as if it were an historical inevitability. For almost 50 years, European states have voluntarily handed more powers to Brussels and the bloc has never stopped moving forward, despite numerous crises. If EU leaders decide to scrap the constitution at a mid-June summit, it will mark the first significant step backward for the union in its history. The EU will be in uncharted waters. The question is: will it sink or swim?

Et si l'Union continuait à avancer, mais dans une autre direction ?

Posted by Ludovic Monnerat at 23h27 | Comments (7) | TrackBack

3 juin 2005

Fin de la planification

Contrairement à ce que je redoutais hier, notre général n'a pas mis en pièces la variante proposée par mon groupe, et que j'ai largement contribué à développer. En fait, le rapport de décision - pour prendre un terme militaire suisse - s'est très bien déroulé, dans les 45 minutes imparties, et le commandant de la force terrestre multinationale ZFOR a accepté, à une réserve près mais avec ses félicitations sincères, les recommandations de notre groupe de planification. C'est donc un déroulement complet, articulé par tâches en 4 phases distinctes, et couronné par une demande de moyens précise, qui aurait été prêt ce matin pour la transformation en un concept d'opérations, dernière étape avant la rédaction d'un ordre d'opérations. Ce plan aurait également été transmis à l'échelon stratégique de l'OTAN afin que les nations participantes fournissent les 42'000 militaires demandés, entre 1 brigade aéromobile, 1 brigade blindée légère, 1 brigade mécanisée, 2 brigades d'infanterie de montagne, 1 brigade d'aviation, 2 brigades du génie et différents appuis spécialisés. Rien que cela !

Cependant, comme le cours est parvenu au terme de sa deuxième et avant-dernière semaine, les activités changent, et nous sommes passés cet après-midi de la planification à la conduite de l'opération, en effectuant un saut dans le temps de 150 jours. Notre force est désormais déployée, en fonction d'une solution d'école qui ressemble à s'y méprendre à la nôtre (l'articulation des deux divisions avec leurs différentes brigades ainsi que leurs fonctions sont identiques), et approche de la date à partir de laquelle une disposition essentielle de l'accord de paix doit être appliquée, en l'occurrence le retrait de 2 divisions du pays X au-delà d'une zone démilitarisée. De ce fait, les groupes ont été réorganisés pour former le noyau d'un centre d'opérations interforces multinational (Combined Joint Operations Center, CJOC) et nous avons commencé à prendre nos marques avec le système informatique utilisé pour la simulation de cette situation, qui commencera lundi prochain. Evidemment, le soussigné a hérité de la fonction la plus lourde et devra diriger le CJOC pendant toute la semaine, notamment pour distribuer les tâches entre les autres fonctions représentées - J2, J3, J4, CIMIC, triage, rapports et médias.

Pour des raisons probablement techniques, liées au logiciel de simulation utilisé, nous continuerons à engager la composante terrestre uniquement, et non les autres lignes d'opérations - aériennes, maritimes, spéciales et d'information. En même temps, le commandement d'une force multinationale chargée de traiter avec 4 Etats différents, sous l'autorité politique d'une Alliance de 26 nations, confère automatiquement à la composante terrestre une dimension aussi bien stratégique qu'opérative. Lors du jeu de guerre pratiqué mercredi, quelques actions très simples de la partie adverse - comme le refus d'une brigade du pays X de se retirer sans avoir eu le temps de ramener les corps hâtivement enterrés de ses soldats, durant le conflit que l'OTAN a stoppé - ont illustré des possibilités d'escalade assez vertigineuses. La maîtrise de la violence, un principe stratégique au cœur des missions de stabilisation, exige ainsi une précision inouïe dans les effets déployés et dans le degré de coercition recherché ; en faire trop peut déclencher les hostilités, et en faire pas assez peut ruiner toute crédibilité. Du coup, ce sont souvent des moyens gradués et indirects qui doivent être employés. Comme fournir un appui à une force adverse pour lui ôter des raisons de ne pas se conformer à l'accord de paix!

Les derniers jours de ce cours s'annoncent prometteur. Après un week-end consacré à de nouvelles pérégrinations, naturellement !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h36 | Comments (2) | TrackBack

2 juin 2005

Le rôle des politiciens

Ce matin, nous avons eu droit à un exposé d'un lieutenant-colonel britannique sur le rôle de la classe politique dans le cadre des opérations de stabilisation. Après une description des différences principales entre les processus militaires et politiques (les premiers privilégient les objectifs clairement fixés à long terme, les seconds la faculté de manœuvrer en tout temps à court terme), cet officier des Royal Marines a expliqué pourquoi les dirigeants politiques sont intéressés à des résultats immédiats et localement visibles, ne décident que lorsqu'ils sont obligés de le faire et généralement au dernier moment. Il faut dire que l'homme a passé 10 semaines à attendre l'ordre de déploiement de son bataillon prêt à embarquer, voici 11 ans, lors du génocide au Rwanda, et comme on le sait cet ordre n'est finalement jamais venu. Dans d'autres situations, les responsables politiques interdisent aux militaires de planifier une opération, puis soudain leur ordonnent de la déclencher et s'étonnent du temps nécessaire pour ce faire. D'où la conclusion que la planification, à la différence de l'exécution, doit relever d'une responsabilité militaire.

Ce sont des aspects que l'on conserve en tête lorsque l'on planifie une opération terrestre de grande ampleur. Aujourd'hui, nous avons ainsi terminé de développer nos variantes et nous allons demain les présenter au général jouant le rôle du commandant de la ZFOR. Celle à laquelle je me suis consacré - et qui sera proposée demain - vise du coup à déployer deux divisions ayant des tâches bien différentes, l'une concentrée sur la sécurité du secteur arrière et des infrastructures, et l'autre sur la sécurité des personnes et la dissuasion des menaces. En d'autres termes, les unités de la première - appelée Multinational Division West, comme c'est l'usage - se limiteront à maintenir la paix, alors que celles de la seconde seront appelées si nécessaire à l'imposer. Ce qui a des implications politiques évidentes, notamment dans le processus de génération des forces. Si une telle opération venait à être déclenchée, l'état-major chargé de la planifier établirait en effet une liste des besoins qui serait soumise à l'ensemble des nations lors d'une conférence visant à coordonner les engagements mutuels. Ce système basé sur le volontariat a bien entendu ses limites : voilà plus de 2 ans que l'ISAF quémande sans succès 8 hélicoptères de transport!

Cette particularité de l'OTAN complique également la planification opérative. Dans le cas présent, nous avons choisi de déployer une brigade aéromobile comme premier élément de manœuvre, en même temps que les éléments de commandement ; mais comment savoir si cette brigade sera américaine, hollandaise, britannique, allemande ou même multinationale, et comment évaluer ses capacités ? Cette provenance incertaine a également un impact déterminant sur le plan horaire des déploiements : si un bataillon mécanisé doit être envoyé au cœur de l'Afrique à partir de l'Italie ou du Canada, cela peut produire une différence de 10 jours dans sa disponibilité à l'engagement ; le matériel, en effet, est avant tout transporté par bateau et les soldats par avion, alors que la réception, l'articulation, l'intégration et le mouvement doivent se faire dans des zones spéciales adaptées aux derniers réglages (le tir à munitions réelles étant l'un des plus importants). Une tabelle des déploiements aussi complexe que flexible est un outil essentiel pour gérer un tel défi.

Bien entendu, tout ce que la NATO School peut offrir, c'est un exercice sur papier - ou plutôt sur PowerPoint. Mais la présence d'officiers très expérimentés pour encadrer l'exercice assure une proximité avec la réalité. Je ne serais ainsi pas surpris, demain, que le plan soigneusement confectionné par mon groupe soit mis en pièces par le général. Nous n'aurons cependant pas à imaginer les réticences des différents gouvernements, leurs conditions à l'emploi de leurs forces et leurs règles d'engagement systématiquement nationales !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h21 | TrackBack

1 juin 2005

Irak : l'échec du terrorisme

La couverture médiatique du conflit en Irak ne change pas fondamentalement : ce sont toujours les attentats et la violence qui occupent le devant de la scène, même si les développements politiques sont trop importants pour être passés sous silence. Les dépêches comme celle-ci illustrent parfaitement la perception donnée du pays, bien que son titre ("Iraqi attack kills three children as deadly violence rages on") soit totalement marginal et trompeur. La vue d'ensemble, l'analyse des facteurs stratégiques (politique, économie, sécurité, société, etc.) restent toujours les parents pauvres de compte-rendus souvent émotionnels et peu représentatifs.

Dans ces conditions, il est toujours intéressant de lire les conclusions d'un analyste aussi fin qu'Amir Taheri dans le New York Post (l'accès nécessite une inscription gratuite), selon lequel les assassins continuent de perdre. Son résumé de la stratégie adoptée par la guérilla fournit exactement le type de fil rouge, de raisonnement argumenté - et permettant la discussion - que les médias ne livrent que très rarement :

When the insurgency appeared in the summer of 2003, it based its strategy on a number of illusions. First, it thought that by killing as many Americans as possible it would undermine public opinion support for the war inside the United States. When that did not happen, the insurgency tried to terrorize as many of the allies as possible into withdrawing from Iraq. But that, too, didn't produce the desired results.
Next, the insurgency decided that killing members of Iraq's nascent army and police force could do the trick. But two years of brutal killings have failed to reduce the number of new recruits or slow the training and deployment of new units.
Next the insurgency switched to the tactic of killing Iraqi Shi'ites at random. And once that had failed, random killing was extended to Sunni Kurds and Turcomen. With the insurgency's hope of provoking sectarian wars dashed, we are now witnessing a new phase, in which even Sunni Arabs are being killed indiscriminately.
The insurgents know how to kill, but no longer know who to kill. Nor do they seem to know why they are killing.

Cette perspective place au centre une réalité que la plupart des commentateurs peinent à voir : c'est la politique qui décide de l'issue d'un conflit de basse intensité. La lutte pour les coeurs et les esprits est un combat pour l'adhésion à des valeurs, à un projet, à des convictions ; la violence aveugle et nihiliste devient très rapidement contre-productive, là où des attaques précises et ciblées - par exemple sur les forces armées américaines - permettent à terme d'envisager le succès. L'échec final apparaît donc inévitable :

The insurgency may continue for many more months, if not years, in the area known as Jazirah (island), which accounts for about 10 per cent of the Iraqi territory, plus parts of Baghdad. It may continue killing large numbers of people but will not be able to stop the political process. Its history is one of a string of political failures.
Over the past two years it has failed to prevent the formation of a Governing Council, the writing of an interim constitution, the transfer of sovereignty, the holding of local and general elections and the creation of a new government. This year it will fail to prevent the writing of a new constitution, already being drafted, the referendum to get it approved, the holding of fresh parliamentary elections and the formation of a new elected government in Baghdad.

Lorsqu'il s'agira d'écrire l'histoire du conflit en Irak, il est probable que les 21 mois ayant séparé la chute de Saddam Hussein et les premières élections nationales soient considérés comme la période cruciale, celle durant laquelle la coalition conduite par les Etats-Unis a créé les bases nécessaires à un vrai succès stratégique (répandre l'idéal démocratique au Moyen-Orient). Les commentaires apocalyptiques des médias fourniront alors des exemples révélateurs de l'aveuglement que produit le suivi avide et biaisé de l'actualité.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h49 | Comments (9) | TrackBack

31 mai 2005

La planification opérative

Ce matin, mon groupe a eu le privilège de présenter un briefing de 45 minutes au général 4 étoiles qui accompagne le cours, consacré à l'analyse de la mission (ce que l'on appelle orientation dans le langage OTAN, et qui se rapproche de l'appréhension du problème dans la doctrine suisse tout en étant plus complète et plus complexe). L'un des points essentiels de la présentation, mis à part l'énoncé de la mission (dans l'Alliance, ce sont les formations qui énoncent leur mission en fonction des tâches reçues), était la conception opérative, ce dont je me suis largement chargé : l'articulation de toute l'action en phases, le long de lignes d'opération visant à atteindre successivement les points décisifs - c'est-à -dire des conditions précises qui nécessitent des efforts - en vue de préserver notre centre de gravité, de neutraliser celui des parties adverses, et donc d'obtenir l'état final attendu.

Concrètement, la composante terrestre de notre force de maintien de la paix avait 4 lignes d'opération différentes : consolidation (des mesures de sécurité établies), dissuasion (des parties adverses ou des adversaires potentiels), normalisation (des conditions d'existence) et information (des différentes audiences-cibles). Ce découpage permet d'articuler dans le temps des fonctions essentielles, et ainsi de distinguer plus facilement les tâches devant être accomplies dans chaque phase de l'opération. Lorsque l'on doit planifier l'emploi de plusieurs composantes, on utilise plus volontiers des lignes d'opérations liées aux effets de celles-ci (opérations terrestres, aériennes, maritimes, spéciales et psychologiques dans la terminologie OTAN). Enfin, lorsqu'une formation militaire doit assumer une fonction stratégique (c'est le cas de la coalition en Irak, par exemple), c'est le système DIME qui est retenu pour les lignes d'opérations : Diplomatie, Information, Militaire et Economie.

Après avoir reçu les directives du général - jouant le rôle du commandant de la ZFOR - pour la planification, nous avons passé l'après-midi à établir plusieurs déroulements différents pour l'action, qui consiste à déployer en 2 mois environ l'équivalent de 5 brigades de manœuvre dans un secteur d'engagement mesurant à peu près 800 km sur 1000. Ces variantes, qui se distinguent notamment par l'articulation dans l'espace, la structure de commandement ainsi que par le mouvement des forces, seront ensuite affinées par différentes analyses et évaluées par le biais du jeu de guerre. Rien de bien nouveau à ce sujet par rapport à la doctrine de commandement suisse, si ce n'est bien entendu l'ampleur de l'opération et le nombre de tâches qu'elle implique, entre la sécurisation des points de débarquement aériens et maritimes, l'établissement d'une zone démilitarisée, la réouverture des lignes de communication, l'isolement des tribus fanatisées refusant de rendre les armes, l'appui dans le rapatriement des réfugiés, l'implémentation de l'accord de paix, la formation des troupes gouvernementales ou encore l'appui au TPI pour l'arrestation de criminels de guerre présumés!

L'une des grandes qualités de cette formation réside ainsi dans le réalisme des activités : les éléments intégrés dans la planification peuvent à tout instant être rapportés à ce qui s'est fait en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan, voire en Irak, et correspondent parfaitement à la fonction des armées modernes - restaurer ou préserver la normalité de zones déterminées. En même temps, appréhender toute la complexité de plusieurs collectivités plus ou moins antagonistes ne peut se faire en l'espace de 3 semaines, et le fait de passer rapidement sur certains facteurs humains génère une certaine frustration. Rien ne remplace la réalité.

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30 mai 2005

Les langues de l'OTAN

Au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, de la Méditerranée, de la Mer Caspienne et de la Mer Noire (pour adapter l'intitulé à sa réalité future et largement présente), les langues officielles sont en principe l'anglais et le français. Dans les faits, la langue de Molière est réduite à la portion congrue, c'est-à -dire à certaines bases réglementaires et publications diverses, et n'est pas du tout employée sous sa forme orale. Il serait cependant malvenu de s'en plaindre au vu du sort peu enviable que subit la langue de Shakespeare, fréquemment massacrée dans son rôle de lingua franca. Ce ne sont pas seulement les connaissances limitées de certains stagiaires venus de pays non membres qui l'expliquent ; ce sont également les accents tranchés de plusieurs officiers intégrés depuis longtemps à l'Alliance, dont les exposés sont particulièrement pénibles à l'oreille, qui en sont la cause.

La semaine dernière, un lieutenant-colonel grec a ainsi présenté les structures de l'OTAN - qui ne sont déjà pas simples - dans un anglais tellement hellénisé qu'il en devenait difficile à comprendre. Rebelote avec un officier de marine espagnol, qui s'obstinait à prononcer de façon ibérique certaines syllabes pourtant communes, bien qu'il se soit contenté de lire un texte qui, en outre, n'avait qu'un rapport distant avec le thème du cours. Ce matin, en guise de reprise, nous avons également eu droit à un officier hongrois qui nous a bassiné avec un exposé sur la logistique dont le dernier quart, concret et illustré, était buvable ; la récente entrée de son pays dans l'Alliance justifiait toutefois en partie ses difficultés linguistiques. Bien entendu, des contre-exemples pourrait parfaitement être mentionnés, et le meilleur orateur jusqu'ici était par exemple un lieutenant-colonel lithuanien. Malgré cela, il ne faut pas se faire une montagne de l'interopérabilité au sein des EM de l'OTAN!

L'élargissement de celle-ci provoque d'ailleurs une évolution dans les langues pratiquées entre stagiaires. Un officier d'état-major général suisse standard, apte à s'exprimer aussi bien en anglais, en français qu'en allemand, est évidemment parfaitement à l'aise durant de tels cours, puisqu'il peut converser dans leur langue maternelle avec les germanophones et les francophones (et rien ne remplace celle-ci pour aller au fait plus sûrement et plus vite, ainsi que pour tisser des liens d'une qualité toute autre). Mais d'autres langues commencent à faire office de passerelle. C'est par exemple le cas du russe, qui rassemble fort logiquement les officiers de l'ancien bloc soviétique, et notamment des républiques du Caucase - ce qui reste assez cocasse si l'on se rappelle la mission principale de l'OTAN pendant plus de 40 ans. L'arabe tend également à jouer un rôle similaire, en rassemblant les officiers d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, même si son usage écrit reste strictement incompatible avec un environnement occidental.

La diversification en matière de lingua franca reste néanmoins d'une importance limitée. Ce sont en effet bien d'autres compétences linguistiques qui sont désormais nécessaires au sein de l'Alliance, compte tenu de ses missions de stabilisation loin au-delà du continent européen. Il n'existe pas de voie intermédiaire entre une puissance régionale et un acteur global, et l'OTAN semble condamnée à poursuivre son expansion ; de ce fait, la notion de pays partenaire - participant de façon volontaire aux opérations - permet d'élargir le réservoir des ressources potentielles, sur le plan de la quantité comme de la qualité. Tout en renforçant la fonction fédératrice et standardisatrice propre à l'Alliance.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h40 | Comments (2) | TrackBack

29 mai 2005

Le non à la Constitution

Sans grande surprise, le non l'a emporté dans le référendum en France sur la Constitution européenne. En tant que Suisse bon teint, je ne peux que me féliciter du fait que la population française a eu l'occasion de se prononcer sur un sujet aussi déterminant. Je ne crois pas que les textes de loi fondamentaux sont légitimes si les gens qui en subiront les effets ne sont pas consultés, et les ratifications par les Parlements, comme tout récemment en Allemagne, n'ont à mes yeux qu'une valeur limitée. La décision de Jacques Chirac de recourir au référendum, malgré l'échec qu'elle lui vaut aujourd'hui, me semble à terme bien meilleure.

Les conséquences en matière de politique française intérieure me paraissent assez anecdotiques, et je n'en parlerai donc pas. L'avenir de la construction européenne est bien en jeu, même si 9 autres pays que la France ont déjà accepté la Constitution (on peut s'attendre mercredi à un autre refus en Hollande). Il sera intéressant de connaître en détail les motivations qui ont amené une majorité de Français, fortement mobilisés, à refuser un texte renforçant clairement l'Europe en tant qu'entité politique et stratégique. Dans l'intervalle, c'est bien cette notion d'Europe unifiée qui me semble au coeur du sujet, d'Europe faite par et pour les Européens.

La suite logique de ce vote devrait être un arrêt du processus. Il n'est pas admissible qu'un Etat comme la France ne soit pas intégré à celui-ci. L'Europe sans la France - et la Grande-Bretagne - perd sa raison d'être à l'échelle du monde. Puisque cette Constitution ne rassemble pas la totalité des suffrages, surtout lorsque ceux-ci sont exprimés, il faut remettre l'ouvrage sur le métier et proposer un texte peut-être plus simple, plus clair, et moins néfaste à l'indépendance des nations - en tout cas différent. Loin de moi l'idée de jouer les donneurs de leçons, mais la Constitution suisse de 1874 découle du rejet qu'a subie celle de 1872, notamment par le refus des cantons romands. Un système politique pratiquant le consensus doit tenir compte des opinions.

Le pire serait donc que la construction européenne se poursuive comme si de rien n'était, comme si la France était comparable à l'Irlande et que l'on décide de revoter jusqu'à ce que l'électorat avale les arguments des élites. Je suis d'ailleurs loin d'être sûr que cela soit même faisable, vu le caractère frondeur des Français. Ce refus net doit être interprété par les tenants actuels du pouvoir comme un refus de l'orientation prise à Bruxelles. Une Europe faite sans les Européens pourrait bien provoquer l'inverse des effets recherchés, et je pense qu'une combinaison de démocratie directe et de fédéralisme équilibré permettrait de remettre le projet sur les rails. Mais ce n'est que l'avis d'un Helvète membre ni de l'UE, ni de l'OTAN !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h11 | Comments (26) | TrackBack

27 mai 2005

L'ironie de l'Histoire

Le vaste éventail de nationalités différentes que connaissent les cours de l'OTAN, avec l'élargissement majeur de l'Alliance, produisent parfois des situations ironiques. Les oppositions entre ressortissants de pays membres mais mutuellement antagonistes, comme la Grèce et la Turquie, existent depuis un demi-siècle ; elles sont aujourd'hui renouvelées par le biais du Partenariat pour la Paix (comme entre Arméniens et Azéris) ou du Dialogue méditerranéen (aucun officier israélien ne participe au cours, mais cela se produit parfois, auquel cas les contacts avec les officiers arabes reste un brin tendu). Pourtant, le plus frappant reste des situations dans lesquelles d'anciens ennemis effectifs - j'entends par là qui se sont combattus récemment - se trouvent rassemblés. Comme lorsqu'un pilote américain d'A-10 explique à une assemblée comptant 2 officiers irakiens et 2 officiers serbes différentes procédures de frappe aérienne utilisées lors de la guerre du Kosovo ou durant la guerre du Golfe!

Cette confrontation du bombardant et du bombardé est surtout la preuve de la vitesse à laquelle change notre monde. L'opération Allied Force contre la Serbie date du printemps 1999, mais les très vives controverses qu'elle a suscitées appartiennent déjà à un passé lointain ; les refrains sempiternels sur la spirale de la violence, prononcés lors de chaque emploi de la force, ont été totalement ridiculisés par la stabilité que les actions de l'OTAN puis de l'UE ont apportée aux Balkans. Et les fruits de cette stabilité sont aujourd'hui perceptibles dans l'intégration rapide que recherchent l'ensemble des Etats balkaniques à ces deux organisations, l'une pour sa valeur militaire et stratégique, l'autre pour sa valeur économique et politique. Outre les 2 Serbes, le cours que je suis compte également un officier croate et un officier macédonien. En tenant compte du nombre de cours donnés ici, on mesure mieux l'attrait que l'OTAN exerce sur les Forces armées en général.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h09 | Comments (6) | TrackBack

26 mai 2005

Les stratégies de sortie

La partie pratique de mon cours a commencé aujourd'hui, et elle durera jusqu'à la fin de la troisième semaine. Sans entrer dans les détails, les étudiants - pour reprendre le terme ici usité - sont chargés de planifier une opération de maintien de la paix d'une durée minimale de 12 mois, au cœur d'un continent africain totalement fictif ; les pays et les factions belligérantes sont imaginaires, tout comme la géographie - puisqu'une mer immense occupe le centre du continent, avec un passage direct jusqu'à la Méditerranée. Le scénario est celui d'un conflit entre plusieurs Etats et des groupes non étatiques qui a été stoppé par l'intervention d'une force multinationale de l'OTAN, laquelle a permis la rédaction d'un accord de paix dont il s'agit de garantir l'application par une autre force, alimentée par les pays membres de l'Alliance ainsi que par des pays non membres.

La force multinationale en question, dont il est bon et charitable de taire l'acronyme totalement abscons, est largement articulée selon la structure CJTF standard (Combined Joint Task Force, ou force de circonstance interforces multinationale en langage militaire suisse) : une composante terrestre, une composante aérienne, une composante maritime, une composante d'opérations spéciales, une composante d'opérations psychologiques, ainsi qu'une composante de secteur arrière (essentiellement logistique). Son volume est important : l'équivalent de 2 divisions, plusieurs escadrilles d'attaque et d'appui, ou encore un groupe aéronaval complet. Cependant, les étudiants sont appelés à se concentrer sur la composante terrestre, qui porte le nom de ZFOR (ce n'est pas entièrement logique, mais cela facilite les choses pour la simulation qui aura lieu pendant la dernière semaine).

Fondamentalement, les tâches de cette force sont herculéennes : il s'agit non seulement de s'interposer entre deux Etats belligérants, mais également de neutraliser des tribus fanatisées pratiquant la guérilla et le terrorisme à partir de montagnes peu accessibles, tout en reconstituant les Forces armées du pays A, en dissuadant celles du pays V, en imposant les dispositions de l'accord de paix, en favorisant le retour des réfugiés et le redémarrage des activités économiques dans le pays A (avant tout par la réparation et la protection d'infrastructures pétrolières) et en y créant des conditions favorables à la tenue d'élections démocratiques, notamment par l'intégration d'ethnies régionales minoritaires précédemment défavorisées. Toute ressemblance avec des situations existant ou ayant existé est bien entendu un hasard absolu !

Il ne faut pas réfléchir bien longtemps avant d'admettre que toutes ces tâches ne peuvent en aucun cas être accomplies dans les 12 mois accordés par la résolution X du Conseil de sécurité de l'ONU, et que le mandat de la ZFOR sera, lui aussi, prolongé à réitérées reprises. Ce qui pose la question de la stratégie de la sortie lors de missions de maintien de la paix. Est-il possible de régler des situations de conflit ayant des causes identitaires ou économiques aussi aiguës en l'espace de quelques années ? Les exemples actuels indiquent le contraire. Quelle stratégie de sortie existe-t-il aujourd'hui en Bosnie, 10 ans après les Accords de Dayton ? Et au Kosovo, où nul n'ignore que le départ de la KFOR provoquerait une nouvelle guerre civile, sans que l'on sache quelle voie permet de l'éviter à long terme ? Certes, les troupes déployées en Bosnie sont passées de 60'000 (IFOR) à 7000 (EUFOR), et de 50'000 à 19'000 au Kosovo. Mais le bout du tunnel est loin d'être visible.

Pour l'OTAN, les missions de soutien à la paix consistent à garantir un environnement sécuritaire permettant un retour à la normalité ; leurs troupes mettent donc un terme à la guerre et l'empêchent de reprendre, sans que cela ne constitue autre chose qu'une condition initiale pour un règlement du conflit. Or non seulement cette suppression des symptômes du conflit est au moins autant propice au marasme qu'à la paix, mais elle aboutit à cacher des problèmes au lieu de les résoudre en les faisant simplement disparaître des médias, et donc des priorités des Gouvernements. Du coup, les missions se multiplient à la surface du globe et préservent tant bien que mal des statu quo néfastes, alors que faire la paix est bien autre chose qu'empêcher la guerre! Comme toujours, c'est la stratégie - ou plutôt son absence - qui pose problème. Et le terme « stratégie de sortie » ne désigne rien d'autre qu'un état final stratégique permettant le retrait de la force internationale après l'achèvement de sa mission. Si celle-ci n'est pas réaliste, aucune sortie n'est à espérer avant longtemps - sinon sous forme de capitulation.

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24 mai 2005

La paix ou le marasme ?

Les opérations de soutien à la paix - traduction littérale du terme Peace Support Operation (PSO), désormais synonyme de crisis management operations - sont la priorité et l'avenir de l'OTAN. C'est l'un des points importants que j'ai vus et entendus ce matin, durant un exposé consacré à la doctrine et aux lignes directrices de l'Alliance en la matière. Il faut cependant relever que les PSO recouvrent un spectre d'engagement dépassant de loin les seules missions de stabilisation menées sur mandat de l'ONU ou de l'OSCE, puisqu'elles intègrent également l'aide humanitaire d'urgence, l'application de sanctions et d'embargos, la recherche et sauvetage, l'évacuation de non combattants et l'imposition de la paix. Malgré cela, ce sont bien les grandes missions classiques de maintien de la paix qui représentent les efforts les plus importants par le volume des troupes ou la durée de leur engagement. La Bosnie jusqu'à la transmission de responsabilité à l'UE, le Kosovo depuis 1999 avec la KFOR et l'Afghanistan depuis 2002 avec l'ISAF ont montré le rôle changeant d'une Alliance originellement défensive.

Cela ne signifie pas pour autant que ces missions soient un succès, bien que les conflits n'aient pas redémarré dans les secteurs où elles se déroulent. L'ancien commandant de la KFOR, le général allemand Klaus Reinhardt, nous a ainsi expliqué en milieu de matinée les situations respectives des territoires concernés. En presque 10 ans de présence militaire internationale visant à imposer l'application des Accords de Dayton, la population bosniaque s'est notablement appauvrie et la contribution de la communauté internationale ne se distingue pas par son efficacité. L'état économique du Kosovo s'est considérablement dégradé, avec un taux de chômage passant de 40% en 2001 à 73% actuellement, et atteignant même 90% dans la ville de Mitrovica. Quant à l'Afghanistan, la volonté des forces internationales de combattre la production de drogue a augmenté les violences armées dans le pays. On peut légitimer se demander si ces missions, qui impliquent des effectifs importants, ne contribuent pas au marasme autant qu'à la paix.

Il est vrai que les militaires ne sauraient assumer la responsabilité de cet état de fait. La mission d'un contingent engagé dans une PSO consiste en effet à garantir un environnement sécuritaire sans lequel aucune reconstruction, aucun redémarrage, aucune activité durable ne seraient possibles. Dans la conception de l'OTAN, la force multinationale crée les conditions nécessaires à la normalisation ; elle ne peut faire en sorte que celle-ci ait lieu. Les outils politiques et les opportunités économiques relèvent avant tout d'efforts civils, entrepris notamment par les agences de l'ONU, les programmes d'aide au développement et les actions de diverses ONG. Et c'est là que le bât blesse. Au Kosovo, l'ONU avait par exemple l'idée de diriger toute la province par l'intermédiaire de ses représentants pendant 2 à 3 ans, avant de transmettre le pouvoir aux autorités locales, au lieu d'intégrer d'emblée et progressivement celles-ci à la direction des affaires. Une forme d'occupation administrative qui a fait la preuve de son inefficacité.

Dans ces conditions, on comprend d'autant mieux pourquoi les Etats-Unis n'ont confié aucune responsabilité à l'ONU en Irak : la venue de celle-ci, acclamée à grands cris dans certains cercles pour des raisons avant tout idéologiques, aurait probablement encore rajouté aux difficultés, à la confusion et au chaos. Les dérives et inconséquences politiques sont d'ailleurs librement abordées et fustigées par la plupart des officiers de l'OTAN qui ont donné des exposés durant la journée, que ce soit à propos du financement incertain des opérations ordonnées, de la transmission tardive des ordres de déploiement ou de la micro-conduite doublée d'un refus d'assumer toute responsabilité. Pour un officier venant d'un pays non membre, il apparaît clair que les militaires de l'Alliance ont accumulé depuis 10 ans un grand nombre de déceptions et de frustrations à l'endroit de leurs maîtres politiques. Ce qui ne les empêche pas de continuer à appliquer la stratégie devisée par ceux-ci ; un déploiement de l'OTAN au Darfour, pour mettre un terme au génocide qui s'y déroule, apparaît ici comme une possibilité! Comme l'a dit un conférencier, à partir de combien de morts, et de quelle couleur, doit-on commencer à défendre les droits de l'homme ?

Ce cours s'annonce passionnant.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h57 | TrackBack

Le cycle Athéna

Pour ceux qui s'intéressent à la stratégie et qui évoluent en Belgique, je conseille de s'intéresser au cycle Athéna d'éléments de stratégie théorique, une nouvelle activité mise sur pied par le RMES, que je salue au passage.

Et comme le café Internet de la NATO School ignore totalement les accents, je préfère en rester ici pour ne pas continuer à copier-coller avec les é, è et à ! ;)

Posted by Ludovic Monnerat at 18h32 | TrackBack

23 mai 2005

L'OTAN, acteur global

La première journée de mon cours à la NATO School m'a permis de mieux mesurer à quel point l'Alliance poursuit son expansion entamée depuis la fin des années 90. Ce ne sont pas seulement les nouveaux membres, portant à 26 leur nombre depuis l'an passé, qui témoignent de cette expansion ; les programmes de coopération contribuent également à cette croissance dont on les effets sont sous-estimés. L'école le montre clairement : l'an dernier, les officiers de 60 pays différents sont venus y étudier, et 2005 devrait permettre de battre des records supplémentaires, avec pas loin de 10'000 étudiants prévus (le chiffre de 5000 mentionné ci-dessous date de 2000-2001). On se demande d'ailleurs quand la notion d'Atlantique Nord sera retirée d'une organisation qui est devenue un acteur global.

Sur une carte planétaire, l'influence de l'OTAN par l'entremise du Partenariat pour la Paix est en effet saisissante : c'est à peu près tout l'hémisphère nord, de Vancouver à Vladivostok, qui participe à ces programmes de formation. L'expansion de l'Alliance aux ex-républiques soviétiques d'Asie Centrale, depuis 2 ans, ne peut guère laisser indifférent. Mais cette expansion ne se limite pas seulement à l'Orient, elle concerne également le sud, puisque le Dialogue méditerranéen se transforme peu à peu en partenariat militaire comparable, et concerne pour sa part 7 pays dont l'importance stratégique globale relève de l'évidence (Egypte, Israël, Jordanie, Mauritanie, Maroc, Tunisie et Algérie). Enfin, il existe également des partenariats directs, comme celui permettant à 2 colonels irakiens de suivre le même cours que moi. L'un d'entre eux est dans mon groupe et parle un anglais tout à fait fluide et compréhensible ; voilà qui promet d'être intéressant!

On peut naturellement se demander en quoi une coopération militaire qui se limite à des instructions en commun pourrait avoir une importance décisive. Ce serait faire abstraction de plusieurs facteurs. En premier lieu, des cours d'état-major comme celui-ci permettent de créer des contacts internationaux et des connexions informelles qui peuvent revêtir une grande importance dans des situations de crise. La connaissance de l'autre reste un aspect essentiel de tout conflit, et l'avis d'un officier algérien sur le terrorisme islamiste, par exemple, vaut son pesant d'or. Par ailleurs, l'OTAN joue un rôle fédérateur et égalisateur par l'intermédiaire de sa doctrine : la manière de planifier, de conduire et d'évaluer une opération militaire que propage l'Alliance constitue un facteur de rapprochement majeur entre les armées, et jette les bases de l'interopérabilité.

A travers les officiers qui séjournent par ici, et dont les frais de formation laissent supposer qu'ils ont un avenir dans leurs armées respectives, ce sont donc des options stratégiques futures qui s'esquissent, qui se préparent. La globalisation de l'OTAN ne peut cependant bénéficier qu'à ceux qui eux-mêmes ont des ambitions et des actions globales ; j'entends par là que l'Alliance reste un outil politico-militaire dont les Etats-Unis continuent de bénéficier, ne serait-ce que pour faire avancer plus discrètement leurs intérêts. Ce n'est probablement pas un hasard si l'exercice d'état-major - assisté par ordinateur dans sa phase de conduite - qui constitue l'essentiel du cours est accompagné par des officiers américains de réserve, et si la NATO School dépend du commandement de la transformation de l'Alliance, basé à Norfolk, à des milliers de kilomètres d'ici!

Les planifications à long terme ne laissent rien au hasard.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h38 | Comments (3) | TrackBack

22 mai 2005

Lawrence d'Arabie en Irak

Le vif intérêt des militaires occidentaux pour les conflits de basse intensité, depuis que la fin de la guerre froide a rendu largement obsolètes les affrontements militaires classiques, ne cesse d'être illustré par un constant retour au passé. C'est notamment le cas des Etats-Unis, dont la redécouverte du Manuel des Petites Guerres a été décrite sur ce site, et qui commencent à mesurer la nature quelque part coloniale - ou plutôt civilisatrice, dans le langage des colonisateurs - de leur entreprise planétaire. Les récents propos de George W. Bush, mettant les difficultés en Irak sur le compte de la lenteur à déployer des effets interagences sur le terrain après la chute de Saddam Hussein, peuvent somme toute être assimilés aux regrets que susciterait l'absence d'une administration coloniale. Les réflexions stratégiques de Thomas Barnett vont à ce sujet dans le même sens.

Autre élément révélateur, le Times de Londres publie aujourd'hui un article qui montre que les militaires américains suivent de près les préceptes de Lawrence d'Arabie en matière d'insurrection en terre arabe :

In a recent survey of US officers' reading material in Iraq, Lawrence's Seven Pillars of Wisdom, published in 1926, emerged as the second-most recommended book.
"Most of the US advisers out there have a copy," said Duncan Anderson, head of war studies at Sandhurst who visited Iraq between January and March.
[!]
"Lawrence drew up a list of dos and don'ts for advisers to the Arabs," said Anderson. "The Americans are using Seven Pillars at virtually every meeting on a daily basis."

Cet aperçu de l'environnement cognitif dans lequel évoluent les officiers américains est des plus intéressants. Il montre une volonté de surmonter les principes sacro-saints du combat symétrique de haute intensité pour s'adapter aux missions actuelles, à leur milieu et à leurs acteurs. Il existe naturellement une différence de taille entre suivre un livre et appliquer efficacement le savoir qu'il renferme, mais le progrès par rapport à la culture militaire américaine traditionnelle est suffisamment important pour devoir être noté. Les leçons du Vietnam continuent de porter leurs fruits!

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (4) | TrackBack

20 mai 2005

Les dilemmes du DFAE

La politique étrangère suisse fait l'actualité nationale depuis les discussions menées par le Conseil fédéral à ce sujet. L'orientation présentée hier par Micheline Calmy-Rey, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères, a suscité pas mal de grincements de dents ; affirmer que l'une des priorités doit être le resserrement des liens avec les Etats-Unis s'inscrit en effet à contre-courant des pulsions antiaméricaines assez infantiles qui sont propagées spontanément depuis des années. Pourtant, il a toujours existé en Suisse une frange dirigeante qui considérait le pays en quelque sorte à équidistance entre l'Europe et les Etats-Unis, voire même comme un porte-avions américain libéral au cœur d'une Europe socialiste. L'évolution supranationale de l'Union européenne ne peut que renforcer ces opinions, et le besoin d'indépendance qui en résulte.

Les liens assez anciens avec les Etats-Unis - la constitution helvétique de 1874 doit beaucoup à la constitution américaine - mettent en évidence les profonds dilemmes que connaît aujourd'hui le pays en matière de politique étrangère. Quels que soient les ratés et les lenteurs de la construction européenne, force est d'admettre qu'un géant politique et économique s'est peu à peu constitué autour de nous ; je concède volontiers que ce géant est généralement débonnaire et amical à notre égard, parce qu'il compte voir la Suisse rejoindre prochainement ses rangs, mais aussi parce que ses dirigeants sont attachés à maintenir de bonnes relations sur le continent européen. La grande question est de savoir si cette disposition d'esprit va subsister, notamment si la Suisse obtient des relations privilégiées - comme un accord de libre-échange - avec les Etats-Unis!

Etre entouré de géants est le destin d'un petit pays privé d'accès à la mer. La création même de la Confédération helvétique était motivée par le besoin de résister à l'ambition dévorante des Habsbourg. A travers les siècles, les Helvètes ont su trouver des alliés et des accords qui ont largement contribué à préserver leur indépendance, et à renforcer l'unité des cantons qui se sont joints à eux ; l'alliance stratégique avec la France, en particulier, a eu une importance cruciale. Nombre de Suisses ont loyalement servi les Rois de France, mais ceux-ci ont également étendu leur aura protectrice sur nos terres. Cette faculté à bénéficier des oppositions entre grandes nations européennes, qui a parfois généré des tensions intérieures de grande ampleur (Première guerre mondiale), a soudain disparu par un funeste jour de juin 1940. Depuis lors, les blocs de la guerre froide n'ont offert aucune opportunité, et l'Union européenne en offre à peine davantage. Cela doit nous faire réfléchir.

Loin de moi, bien entendu, l'idée insultante de comparer l'Axe Rome-Berlin à l'Europe des 25. Malgré cela, la Suisse se retrouve à nouveau entourée par une entité supranationale dont les bons sentiments à son égard ne sont pas gravés dans l'airain. Les géants sont toujours tentés à faire usage de leur force. Nous en avons fait l'expérience à propos des droits de survol au sud de l'Allemagne, sous la forme d'un diktat teuton assez clair, ou au sujet des droits de douane sur les exportations suisses vers l'UE. Les intérêts prendront toujours le pas sur les sentiments ; c'est logiquement ce qu'une population est en droit d'attendre de ses dirigeants. Et la Suisse, qui importe par exemple le 100% de son énergie fossile ou le 40% de sa nourriture, dont la prospérité et la compétitivité restent remarquables (3,8% de chômage - trois fois moins que ses grands voisins !), reste très fragile sur le plan économique face aux pressions potentielles qu'elle peut subir.

Pour un militaire suisse, l'étude des plans d'attaque développés contre la Suisse par les puissances étrangères est toujours riche d'enseignements. Depuis l'expédition punitive menée par Léopold de Habsbourg en 1315, écrasée par les Waldstaetten à Morgarten, jusqu'aux offensives très élaborées que la Wehrmacht a mises au point dès août 1940, l'aspect économique - notamment par la coupure des voies de communication - n'a que rarement été négligé. Et si l'affaiblissement constant des capacités militaires aéroterrestres de l'Europe suffit ainsi à écarter pour longtemps le spectre d'une invasion, leur emploi au service d'une coercition économique prenant la forme de sanctions ou d'un embargo est bien davantage imaginable. L'impuissance, apparente ou réelle, est un facteur déclencheur de conflit. Et un rapprochement avec les Etats-Unis, en contribuant un tant soi peu au rééquilibrage des rapports de forces, pourrait être une manière clairvoyante de désamorcer de possibles clashes avec l'UE. A condition de ne pas aller trop loin sur cette voie...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h07 | Comments (21) | TrackBack

18 mai 2005

Vers l'énergie solaire

Un article publié avant-hier sur Technology Review décrit les recherches entreprises par les militaires américains sur la production d'énergie solaire pour subvenir aux besoins sans cesse croissants des troupes au sol en matière de batteries électriques. C'est une démarche que mènent également d'autres armées depuis que les équipements électroniques débarqués se multiplient : radios portables, jumelles de vision nocturne, positionneurs GPS, ordinateurs durcis, appareils photos, désignateurs lasers ou encore téléphones satellites. Comme le décrit l'article, la consommation énergétique des soldats modernes devient telle que les batteries forment un problème majeur :

In the future, soldiers may be getting a charge out of their uniforms, too. Konarka's McGahn says the solar material can be colored to match fatigues and woven into fabric. "The next generation of wearable computing will have power generation coming from the garment itself," he says.
In fact, modern warriors require approximately 240 watt-hours per day of power to charge all of their electronic devices -- too heavy a load for any batteries available today, says Rupert Pengelley, group technical editor at military analyst firm Jane's Information Group.

A travers les siècles, comme l'a remarquablement expliqué Martin van Creveld dans son livre Supplying War, l'approvisionnement de troupes largement obligées de vivre sur le pays a été un facteur déterminant concernant le rythme et l'orientation des opérations terrestres ; les chevaux étaient alors les consommateurs les plus voraces (50 tonnes d'approvisionnements par jour pour une division prussienne de 1870, à 90% de vivres). L'introduction des véhicules à moteur et des armes automatiques a modifié la répartition des fournitures en faveur du carburant et des munitions (150 tonnes par jour pour une division en 1916). A partir de la Seconde guerre mondiale, les Grandes unités mécanisées ont ainsi exigé un échelon logistique encore plus efficace pour assurer la livraison des obus et de l'essence nécessaires à leur emploi opérationnel (650 tonnes par jour pour une division US à l'offensive en 1944-45 ; pour mémoire, 1500 tonnes par jour pour une division blindée israélienne en combat intensif durant la guerre du Yom Kippour, et 800 tonnes par jour pour la division française Daguet en 1991).

L'introduction des technologies de l'information a permis de réduire les besoins en munitions, notamment avec l'avènement des obus d'artillerie intelligents, mais les commandants tactiques n'ont pas tardé à exploiter cet allégement pour augmenter le tempo opérationnel, aller plus vite et plus loin, et donc exiger un soutien toujours massif ; la cavalcade mécanisée de la 3e division d'infanterie US en 2003 l'illustre. En même temps, les colonnes logistiques ont toujours constitué le point faible des armées, et la fin des conflits linéaires a encore renforcé les dangers pesant sur les échelons de soutien, généralement non blindés, liés aux routes et protégés par des soldats guère portés sur les armes. L'indépendance logistique maximale des formations de combat reste le rêve de tout penseur tactique. La modularité jusqu'aux plus bas échelons constitue une solution structurelle. L'autonomie des systèmes constitue une solution technologique.

La forme des opérations a bien entendu une influence majeure sur la consommation des biens, qu'il s'agisse d'énergie, de munitions ou de carburant : le combat symétrique de haute intensité reste de toute évidence le plus exigeant, et j'imagine mal en quoi l'énergie solaire pourrait fournir une contribution décisive dans ce contexte. En revanche, pour les opérations de basse intensité impliquant une dispersion des formations et une exécution décentralisée des actions, et donc de longues périodes d'engagement, une augmentation de l'autonomie énergétique peut s'avérer fort intéressante. Ce sont en particulier les opérations spéciales d'une durée importante, comme la surveillance et la reconnaissance spéciales, ou encore la guerre non conventionnelle, qui pourraient le plus bénéficier d'une telle innovation. Avant de transmettre aux autres troupes les systèmes et le savoir-faire développés par leurs soins, comme c'est de plus en plus le cas.

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17 mai 2005

La défense européenne

Ce matin dans Le Figaro, on peut lire une colonne de l'amiral Lacoste consacrée à la défense européenne, et qui pour le bien de celle-ci appelle à voter oui au référendum sur la constitution. Un argument particulièrement clair utilisé par l'amiral est celui de l'indépendance stratégique de l'Europe et de ses nations, garantie par l'efficacité de l'outil militaire :

Mieux que la plupart des autres institutions de la République, les armées ont profondément transformé leurs structures et leurs doctrines, sachant exploiter sans tarder les enseignements des conflits de notre temps. «Sans jamais transiger sur les impératifs de la souveraineté nationale», elles ont pris une part active dans l'élaboration de la Pesd, notre seule chance d'échapper à la tutelle du complexe militaro-industriel américain.

Cette volonté d'une défense unifiée en Europe est affichée en parallèle à la prise de conscience de la dimension transfrontalière propre aux menaces modernes, et donc de l'importance que revêt la collaboration entre armées, polices et justices. D'où l'élaboration d'un concept élargi, substitué aux notions classiques de défense :

A la notion, spécifiquement française «d'esprit de défense», qui rappelle les temps où nous vivions encore sous la menace d'agressions militaires, l'association Civisme-Défense-Armée-Nation, préfère le concept plus large et plus novateur de «conscience européenne de défense et de sécurité». Elaboré depuis quatre ans dans des séminaires constructifs avec nos partenaires de l'Union, ce concept nous paraît être de nature à entraîner l'adhésion de nos opinions publiques, en dépit des grandes disparités entre nos histoires nationales et nos cultures spécifiques.

Ces réflexions semblent a priori louables et pertinentes. Toutefois, si un officier helvétique peut se permettre de poser un regard un brin critique à leur sujet, je peine à comprendre comment une notion aussi élevée que la "conscience" de la défense et de la sécurité en Europe pourrait précisément susciter l'adhésion des opinions publiques. Est-ce que l'on se rend pas compte combien une telle expression paraît intangible et floue? Est-ce que les perceptions des citoyens européens intégrent sans autre l'idée d'une Europe unifiée, qui sous-tend celle de sa défense? A force d'élargir un concept à l'échelle d'un continent composite, il me semble qu'on l'éloigne sérieusement de la réalité. Il faut bien autre chose qu'une constitution ou une monnaie uniques pour générer une perception commune.

Mais peut-être ne sont que les doutes d'un Suisse habitué à penser le long des 300 kilomètres de son pays... qui compte tout de même 26 cantons et demi-cantons accoutumés à penser fort différemment les uns des autres, qui plus est en 4 langues nationales ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 13h15 | Comments (7) | TrackBack

15 mai 2005

Les tourments de l'armée

L'optimisation de la réforme Armée XXI vient à peine d'être annoncée, en recueillant globalement un accueil positif si l'on excepte la coalition contre nature des antimilitaires et des isolationnistes, que de nouveaux obstacles se profilent à l'horizon. Comme l'explique aujourd'hui la Sonntagszeitung, le programme d'armement 2005 suscite déjà les mêmes réactions négatives que le programme de l'an passé : l'achat proposé de 20 hélicoptères de transport EC-635 en remplacement des Alouette III pour 310 millions et d'un système d'exploration électronique en partie israélien pour 395 millions suscite l'ire des parlementaires.

Pour l'hélicoptère, on retrouve une fois de plus une contestation technique émise par des gens qui n'en ont pas la compétence :

Dass es einen neuen Helikopter braucht, ist unbestritten. Sicherheitspolitiker ziehen indes die Tauglichkeit des Fluggerätes in Frage. SVP-Nationalrat und Parteikollege Roland Borer: «Die Evaluation war hektisch. Es stellt sich die Frage, ob Schmid hier das richtige Modell kaufen will.»

Pour le système d'exploration, c'est l'Etat d'Israël qui est directement visé, indépendamment des intérêts de l'armée :

Für die politische Linke «undenkbar». SP-Mann Paul Günther: «Rüstungskäufe in Israel kommen nicht in Frage. Wir unterstützen damit einen Staat im Krieg.» Auch hier muss Schmid mit einer breiten Opposition bis weit ins bürgerliche Lager hinein rechnen. Ãœber 90 Nationalräte haben ein Postulat des Grünen-Politikers Lang unterschrieben, das die Sistierung von Waffengeschäften mit Staaten des Nahen Ostens verlangt.

Je ne suis pas en mesure de m'exprimer au sujet de l'EC-635, parce que je ne connais pas le dossier (ou pas encore!). En revanche, je connais raisonnablement bien les systèmes d'exploration électronique achetés par l'armée ces dernières années, et la technologie israélienne en ce domaine est tout simplement la meilleure au monde. Que les adversaires des programmes d'armement proposent donc des alternatives valables au lieu d'empêcher systématiquement l'armée d'acquérir les équipements nécessaires pour remplir les missions qu'elle reçoit !

Posted by Ludovic Monnerat at 8h51 | Comments (2) | TrackBack

14 mai 2005

Robots contre barbares

Les contrastes inhérents au principal conflit qui embrase la planète a encore été souligné aujourd'hui par l'annonce de deux événements diamétralement opposés.

D'une part, des terroristes - probablement islamistes - ont lancé une grenade devant une école chrétienne de Srinagar, à l'instant où les enfants en sortaient pour rejoindre leurs parents. L'explosion a tué deux femmes et blessé 50 personnes, dont 20 enfants, selon la police indienne. On imagine sans peine la scène chaotique décrite sommairement par l'auteur de la dépêche, les enfants ensanglantés et les parents affolés à la sortie des classes. Balancer une arme de guerre dans une foule composée majoritairement de femmes et d'enfants illustre tristement la forme que prend aujourd'hui la barbarie.

D'autre part, un drone Predator de la CIA aurait éliminé un important dirigeant yéménite d'Al-Qaïda, dans une région du Pakistan toute proche de l'Afghanistan, selon la presse américaine. Si cette annonce est exacte, c'est à nouveau un missile à guidage laser Hellfire qui aura été utilisé pour tuer un membre éminent du réseau islamiste après son identification par les caméras du drone. Une manière de neutraliser définitivement un combattant reconnu, sans dommage collatéral, qui illustre clairement la forme que prend aujourd'hui le combat.

A priori, ces deux événements antinomiques soulignent donc le fossé qui sépare les terroristes sanguinaires des opérateurs méticuleux, et le massacre idéologique de l'exécution méthodique. D'un point de vue militaire et juridique, l'opposition est effectivement totale, et je ne peux qu'approuver une manière précise et efficace d'éliminer ses ennemis lorsque ceux-ci sont identifiés. Engager une grenade coûtant quelques francs pour faire le plus de mal possible est à l'opposé d'un missile hautement perfectionné, coûtant plus de 100'000 francs et doté d'une précision que l'on pourrait dire diabolique.

L'usage d'un robot pour tuer délibérément un homme doit cependant faire réfléchir. Combattre un fanatisme inhumain par un automatisme tout aussi inhumain risque de générer une barbarie plus sanglante encore, par laquelle les algorithmes informatiques en viendraient à s'arroger droit de vie et de mort sur un être humain. Nous n'en sommes certes pas encore là , mais le progrès technologique indique sans conteste les extrémités auxquelles son application irréfléchie aux conflits armés pourrait nous mener.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h07 | Comments (13) | TrackBack

13 mai 2005

Iran : les options militaires

La chaîne Fox News a publié aujourd'hui un ensemble de 4 options militaires qui, d'après deux anciens généraux et un expert américains, seraient actuellement étudiées au Pentagone en vue de fournir une réponse adaptée à la menace iranienne. Ces options sont l'action clandestine, l'embargo maritime, les frappes chirurgicales ou l'assaut conventionnel. La meilleure de ces variantes, ou peut-être la moins pire, semble celle de la campagne aérienne menée contre des cibles précises avec des munitions de précision à forte pénétration. Et l'on retrouve la conviction habituelle des aviateurs, selon laquelle la puissance aérienne à elle seule est en mesure d'apporter la décision face à un adversaire tel que l'Iran :

Surgical strikes would also aim to hurt Iran's ability to counterattack while limiting civilian casualties, according to Vallely.
"We're not after the population," he said. "We're not after blowing down bridges anymore. We're trying to disrupt command and control, their ability to use their forces on the ground, their forces in the air, as well as their naval forces. ... Bring them to their knees early. That's the key."

L'option clandestine est certainement la plus intéressante sur le plan politique, mais elle me laisse plutôt sceptique. Mener simultanément plusieurs opérations spéciales sur des sites de production nucléaires dispersés et enterrés semble une excellente recette pour un désastre bien pire que celui de Desert One. Imaginez la chose : au moins 5 cibles majeures devraient être traitées de la sorte, en supposant que soient récoltés au préalable des renseignements suffisants pour connaître exactement leurs points faibles ; compte tenu des défenses présentes sur chaque site, j'imagine mal moins de 100 à 150 hommes pour chaque action directe, en comptant les moyens d'appui comme le transport aérien, ce qui amènerait l'opération d'ensemble à dépasser 1000 membres des forces spéciales. Une affaire d'autant plus gigantesque que la couverture aérienne nécessaire impliquerait probablement l'emploi de 2 porte-avions. Les frictions dus à la complexité garantissent à tout coup l'échec.

En revanche, une action subversive recherchant avec discrétion et opiniâtreté la déstabilisation du régime des mollahs semble bien plus intéressante. Et resterait certainement la seule possible si Téhéran venait à acquérir l'arme nucléaire et les vecteurs qui l'accompagnent.

COMPLEMENT I (16.5 1000) : Cette colonne de Jim Hoagland dans le Washington Post fournit un bon aperçu des options politiques et diplomatiques pour les Etats-Unis face à l'Iran, et des dilemmes qu'elles posent.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h09 | Comments (23) | TrackBack

12 mai 2005

Une adaptation de l'armée

Le Conseil fédéral a présenté aujourd'hui son optimisation de la réforme de l'armée, basée sur une spécialisation des troupes entre des forces de défense, chargées de maintenir le savoir-faire du combat de haute intensité, et des forces de sécurité, axées sur les engagements en-dessous du seuil traditionnel de la guerre. Cette optimisation ne produira que des économies marginales en soi (39 millions par an), même si la concentration de plusieurs infrastructures logistique permettra d'économiser 130 millions supplémentaires chaque année. En d'autres termes, la pression financière constante imposée à l'armée et les obstacles placés sur ses programmes d'armements continueront d'entraver son adaptation.

Cette spécialisation de l'armée n'en constitue pas moins une décision stratégique importante, et parfaitement en accord avec l'évolution de notre environnement. Le rôle concret de la plupart des contingents militaires déployés aujourd'hui de par le monde consiste non pas à détruire un adversaire clairement identifié, mais bien à interdire ou à garantir la normalité d'un espace défini. La notion classique de défense territoriale perd en importance au fur et à mesure que les capacités de conquête territoriale s'amenuisent au sein des armées. En revanche, la préservation et le rétablissement des conditions d'existence face au chaos et à la violence politique extrême prennent une importance croissante, indépendamment des frontières nationales.

L'une des grandes innovations de l'Armée XXI, que les commentateurs hélas ont tendance à largement sous-estimer, est le concept d'opération préventive de sûreté sectorielle. Il est défini (pratique d'avoir le règlement à portée de main...) comme un "type d'opération visant à garantir la capacité de conduite et de fonctionnement civile et militaire ainsi que le contrôle du territoire en cas de menace asymétrique. L'armée répond de la conduite et de l'engagement." En d'autres termes, il s'agit d'une mise en service actif d'une partie de l'armée afin de protéger durablement des personnes, des troupes, des installations ou des secteurs face à des actes terroristes, criminels ou extrémistes. C'est-à -dire face aux menaces principales d'aujourd'hui et de demain.

Cette aptitude à prendre la responsabilité de pans entiers du pays (on pourrait parler de militarisation) est largement unique à la Suisse. Les autres pays européens n'ont que rarement les bases légales et la culture politique pour envisager des mesures de ce type ; certaines armées sont même interdites de mission indépendante sur leur propre sol. De même, la flexibilité du système suisse permet de concevoir des engagements subsidiaires (sous la conduite des autorités civiles, comme le World Economic Forum) en parallèle d'engagements de sûreté sectorielle, c'est-à -dire d'adopter des réponses différenciées et adaptées à la menace. L'optimisation de l'armée annoncée aujourd'hui renforce cette perspective.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h14 | Comments (6) | TrackBack

10 mai 2005

L'ONU enfin efficace ?

La mission des Nations Unies au Congo suscitait voici quelques semaines de grands espoirs : pour la première fois depuis longtemps, une force militaire solide et bien équipée avait été mise sur pied, avec la liberté d'action nécessaire pour imposer et maintenir la paix face aux milices qui infestent l'est congolais. Si l'on en croit cet article publié aujourd'hui dans le Christian Science Monitor, ces espoirs sont justifiés, et l'usage résolu de la force que pratiquent les Casques Bleus a réduit les attaques visant les populations civiles tout en accélérant le désarmement des combattants irréguliers. On trouve même des fonctionnaires onusiens, chose rare s'il en est, qui louent l'emploi implacable de la violence armée dont fait apparemment preuve le contingent pakistanais :

And the United Nations itself - with a highly effective Pakistani contingent at the forefront - has been scoring major military successes against renegade militias. As weapons begin to flow into disarmament camps, locals and officials alike are cautiously optimistic that the country could be on the brink of a historic opportunity for peace in Central Africa.
The Pakistani peacekeepers are an uncompromising bunch. "They don't ask questions - they just shoot," quips one UN staffer, who asked not to be named. That may sound alarming, but in a country where militias have for years raped, looted, and killed with impunity, the approach is welcomed by many.

Cet aperçu est bien entendu trop restreint pour jauger l'efficacité de l'ensemble d'un contingent malgré tout composite, et l'arrêt des combats ne représente de toute manière que la première étape de toute mission de stabilisation. Les terribles fractures du génocide rwandais vont encore longtemps faire sentir leurs effets. Cela dit, il vaut la peine de souligner que l'ONU semble déterminée à faire la preuve de son efficacité dans le conflit le plus meurtrier de notre ère, et donc à reconnaître qu'il n'y a pas d'issue au Congo sans solution militaire. Une réalité que les beaux esprits dont regorge l'organisation passent naturellement leurs journées à nier. A commencer par son secrétaire général (ce qui prouve à quel point la mémoire de l'Internet est utile pour démasquer la rhétorique à courte vue).

Posted by Ludovic Monnerat at 19h26 | TrackBack

7 mai 2005

La barbarie moderne

La barbarie de notre époque se manifeste lorsque la violence armée cesse d'être un moyen de coercition pour devenir un but en soi, l'expression d'une haine sanguinaire due au fanatisme idéologique et religieux. Ce péril planétaire, qui prend partout la forme d'un ennemi intérieur et dispersé, est avant tout mu par des idées et des préceptes qui aboutissent à nier la valeur de la vie, à rationaliser le meurtre de masse, à justifier les pires crimes. Et si le fascisme islamique n'est qu'une incarnation parmi d'autres de cette déshumanisation, il n'en représente pas moins aujourd'hui une menace majeure pour la vie civilisée.

Les faits épars que livre l'actualité le rappellent chaque jour ou presque. Hier matin, un bus scolaire transportant des enfants israéliens a été pris pour cible par des terroristes palestiniens, qui ont tenté de commettre un carnage avec un lance-roquettes antichar - et heureusement manqué leur tir. En Afghanistan, trois femmes ont été retrouvées mortes mercredi, sauvagement assassinées et violées, avec un écriteau sur la poitrine de l'une d'entre elles avertissant contre toute collaboration avec des organisations humanitaires. Quelques jours plus tôt, à Mossoul en Irak, un terroriste suicidaire s'est fait exploser avec sa voiture piégée sur un véhicule blindé américain à l'instant même où celui-ci était entouré d'une vingtaine d'enfants faisant signe aux soldats. Bien d'autres atrocités analogues pourraient être citées.

Sur le plan stratégique, ces actes monstrueux sont bien trop contre-productifs pour avoir un impact dont leurs auteurs et leurs commanditaires pourraient bénéficier. Ce n'est pas en tuant des femmes et des enfants que l'on conquiert les coeurs et les esprits, et le niveau de terreur engendré est bien trop bas pour affecter durablement l'évolution des sociétés concernées. Il n'en demeure pas moins que cette accumulation d'horreurs est utilisée comme arme cognitive par tous les esprits faibles opposés à l'extermination des barbares. L'apparence d'un chaos généralisé suffit aux opinions superficielles, qui oublient que la barbarie n'a plus de localisation géographique.

COMPLEMENT I (8.5 1110) : Suite à un courrier de Roland, que je remercie, je me permets de citer un passage d'un livre écrit par Jean Brune, "Interdit aux chiens et aux francais - Le drame de l'Algérie francaise", qui parle d'un conflit dont les parallèles avec ceux de notre époque restent terriblement étroits. Extrait long, mais essentiel :

Partout j'avais perçu la même angoisse, invisible dans les paysages inchangés, mais partout présente comme une mystérieuse maladie de la vie. Tenter de la définir, c'est définir du même coup cette technique des guerres politiques qui a plongé le siècle finissant dans des horreurs que les âges de carnages n'avaient pas connues. C'était la mort installée au cœur même de la vie ; non pas la mort-accomplissement dans laquelle s'achèvent tous les êtres vivants, ni la mort affrontèe sur les champs de bataille qui est sacrifice consenti á une idée, c'est-à -dire à une conception de la vie offerte aux survivants par les condamnés comme un héritage. C'était la mort dont le cortège d'effroi était multiplié par un sentiment d'injustice. Chaque victime était un otage innocent versé dans les charniers pour satisfaire aux exigences glacées d'une arithmétique de la terreur. Peu importaient les qualités ou les défauts des victimes, leur nom, leur poids d'entrailles humaines et les symboles inclus dans leur métier. Ce qui comptait, c'était le nombre des morts à partir desquels la peur s'installait dans la vie et commençait de la corrompre comme un poison. On ne tuait pas comme on tue à la guerre pour ouvrir dans les rangs de l'ennemi des brèches dans lesquelles s'engouffraient les soldats. On tuait pour créer un scandale et par ce scandale attirer l'attention du monde non pas sur les victimes, mais sur les bourreaux. L'entreprise supposait une organisation méticuleuse des complicités ; chaque nouveau mort étant l'occasion d'exprimer les solidarités qui liaient le meurtrier à un immense camp d'intérêts et d'idées. Chaque nouveau massacre collectif servant de prétexte à une explosion d'indignation en faveur des écorcheurs. Ainsi les hommes étaient-ils immolés sur l'autel d'un calcul et les morts versés comme un carburant nécessaire au fonctionnement d'une machine. Pour que s'ouvrît et fût alimentée une controverse, il fallait que mourussent des innocents. On brûlait la vie dans les hauts fourneaux des fonderies d'idées.

COMPLEMENT II (8.5 2250) : L'attentat suicide commis aujourd'hui dans un café Internet de Kaboul, qui a fait 2 morts en plus de l'auteur, est à mon sens largement symbolique du conflit en cours. Les islamistes luttent tout simplement pour leur survie dans un monde qui se modernise et s'occidentalise à vive allure ; leurs idées moyen-âgeuses n'ont tout bonnement aucune place à notre époque, et la révolution de l'information - par les principes mêmes qui la fondent - réduit ses sanctuaires comme peau de chagrin. C'est en partie ce qui explique la violence démesurée du terrorisme islamiste. Et c'est pourquoi l'euthanasie stratégique devrait être la stratégie globale de l'Occident.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h25 | Comments (35) | TrackBack

6 mai 2005

Une autre élection forte

Le succès historique de Tony Blair, réélu hier par le souverain britannique, est naturellement une victoire pour le Labour et sa politique économique. Mais alors que les anti-atlantiques affirment que le Premier ministre travailliste vient de vivre une victoire au goût de défaite, puisque sa majorité absolue est nettement réduite, force est de constater que cette élection est un nouvel échec pour les ennemis des élections démocratiques, pour les barbares qui combattent la liberté des individus à choisir leurs dirigeants et exprimer leur opinion.

Après l'Australie et les Etats-Unis, un troisième pays anglo-saxon réaffirme donc sa confiance en son Gouvernement, et en lui permettant de poursuivre son entreprise stratégique au niveau mondial. Les étranges explosions survenues au consulat britannique de New York forment un contraste saisissant avec les séries de bombes qui ont frappé Madrid. Les mouvances islamistes n'ont pas davantage ébranlé Tony Blair que George Bush ou John Howard. Encore un échec pour le terrorisme fondamentaliste face à la démocratie libérale.

COMPLEMENT I (6.5 1815) : On lira avec intérêt l'analyse de François Brutsch au sujet de ces élections. Il conclut notamment en soulignant le rôle crucial que joue la personnalité du Premier ministre.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h07 | Comments (6) | TrackBack

5 mai 2005

Les femmes au combat

Ce reportage de Stars & Stripes s'intéresse aux activités de plusieurs militaires féminins engagés dans les rangs des Marines en Irak. Il confirme si besoin était que les dispositions empêchant les femmes en uniforme de prendre part aux combats, dans les Forces armées US, n'avaient pas cours dans les conflits dispersés de notre époque. Et il montre que les femmes jouent un rôle indispensable dès lors face à des menaces de basse intensité, lorsque les interactions avec la population civile font partie du quotidien :

The battalion's Lima and India companies absorbed the women into their ranks, giving them the primary mission to search women and children suspected of hiding anything. But the female Marines' presence was not intended to show a softer side of the Marine Corps, said Capt. Mark Liston, commander of India Company.
"They're still a fighting force for us," he said. "With them, we can grab a wife [of a suspected insurgent], for example, put the screws to her, and find out where the husband might be hiding. And while it hasn't been used here, [the insurgency has] been known to use female suicide bombers," Liston said.

A une époque où les conflits se sont élargis aux sociétés toutes entières, la présence de soldats féminins dans les formations militaires va de soi. Même si la féminisation des armées professionnelles s'explique largement par les problèmes d'effectifs subies par celles-ci, il paraît aujourd'hui impossible de remplir les tâches toujours plus diversifiées que les situations imposent aux armées sans des femmes en uniforme. Et les craintes et polémiques suscitées par cette présence féminine, durant les années 90, se sont largement avérées sans fondement au vu des expériences faites en Irak et en Afghanistan.

A mon sens, ce phénomène doit toutefois être considéré au-delà de l'efficacité militaire. La normalité des militaires féminins s'exprime sans ambages, même dans les circonstances les plus difficiles. Pourtant, cette normalité est une expression culturelle et sociétale, une arme dans la conquête des esprits : il faut s'imaginer l'effet que produisent sur les sociétés islamiques des femmes portant armes et uniformes, engagées de pair avec leurs camarades masculins, pour mieux comprendre l'importance du phénomène. L'égalité entre hommes et femmes, tellement difficile à faire accepter en Occident, est devenu un facteur de transformation au niveau planétaire. Et comme souvent les guerres auront grandement contribué à faire évoluer le rôle des femmes.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h42 | Comments (2) | TrackBack

1 mai 2005

Le terrorisme maritime

Bill Roggio a récemment mis en ligne une analyse concise et pleine de liens sur la menace que représente le terrorisme maritime. Ce n'est pas un hasard si les primes d'assurance ont pris l'ascenseur depuis 5 ans. Mais sa conclusion sur la sécurisation des voies maritimes est particulièrement révélatrice des contradictions stratégiques actuelles :

Domestic and foreign leftist groups and governments have portrayed American security interests as 21st Century Colonialism, and world governments do little to dispel this notion. This is ironic; particularly in the case of maintaining safe passage in the world's oceans, as American's attempts to keep the sea lanes open also happen to coincide with the security interests of the major world economies. France, Germany, China, and a host of nations, including those of the Middle East who depend on oil exports to bolster their regimes, are dependent on the US Navy to maintain order on the open seas. Yet they promote the notion of American imperialism, which hinders the much needed cooperation between the United States and various world governments.

La maîtrise des mers n'a pas perdu en importance depuis l'époque où la Royal Navy la possédait, bien au contraire. Il est probable qu'une conflagration en Asie sera durablement retardée ou même évitée par la dépendance de toutes les nations du Pacifique envers l'US Navy.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h02 | Comments (5) | TrackBack

29 avril 2005

La guerre des réseaux

La violence armée prend une telle place dans les reflets médiatiques, et donc influence tellement les perceptions par le façonnement de l'espace sémantique, que l'on risque parfois d'oublier ou de sous-estimer l'autre dimension dans laquelle l'information joue nouvellement un rôle central : l'espace cybernétique. A en croire cet article, les Etats-Unis ainsi ont mis sur pied une unité spécialisées dans les opérations des réseaux informatiques, nommée Joint Functional Component Command for Network Warfare, et chargée aussi bien de la défense des réseaux du Pentagone que de l'attaque et de l'exploitation des réseaux pris pour cibles :

[former U.S. Marine intelligence officer Dan] Verton said the Defense Department talks often about the millions it spends on defending its networks, which were targeted last year nearly 75,000 times with intrusion attempts. But the department has never admitted to launching a cyber attack - frying a network or sabotaging radar - against an enemy, he said.
Verton said the unit's capabilities are highly classified, but he believes they can destroy networks and penetrate enemy computers to steal or manipulate data. He said they may also be able to set loose a worm to take down command-and-control systems so the enemy is unable to communicate and direct ground forces, or fire surface-to-air missiles, for example.

Comme le souligne ce texte avec raison, les capacités et le savoir-faire des armées dans le cyberespace sont strictement classifiées dans chaque pays. Rien ne serait davantage contre-productif que rendre public les échecs et les succès vécus en la matière. Du coup, les informations qui filtrent régulièrement sur les unités et les actions mises en œuvre laissent toujours un doute profond : s'agit-il de poudre aux yeux ou d'authentiques révélations ? Dans le cas des Etats-Unis, on peut a priori être tenté de croire à la réalité de leurs capacités ; le rôle joué par les attaques des réseaux informatiques durant la guerre du Kosovo a un trop grand degré de probabilité pour se défier spontanément de l'article cité. Malgré cela, l'espace cybernétique a ceci de caractéristique qu'un seul individu peut mettre en échec ou défier avec succès la première puissance mondiale. La quantité perd face à la qualité.

Le spectre d'un Pearl Harbour digital a bien perdu de son lustre depuis le 11 septembre, mais la vulnérabilité des sociétés post-industrielles aux opérations des réseaux informatiques reste une caractéristique de notre époque, et l'interconnexion croissante des objets les plus courants ne contribue surtout pas à l'amoindrir.

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27 avril 2005

La méthode du wargaming

WargameSRC.jpg

Le jeu de guerre est une étape importante de toute planification militaire. Plus connu sous le nom de wargaming dans la terminologie OTAN, il constitue un succédané du kriegspiel pratiqué voici déjà deux siècles par l'état-major général prussien ; les états-majors le pratiquent aujourd'hui sur une base régulière pour l'évaluation et la synchronisation des variantes élaborées pour l'emploi des forces. Introduit dans la doctrine de l'armée suisse par la réforme Armée XXI, le jeu de guerre met en évidence les frictions, les risques, les lacunes et les contradictions inhérentes à une possible décision. Il peut également permettre d'égaliser les connaissances au sein des officiers d'état-major et des commandants, et de cerner les interfaces critiques pour le succès d'une action appelée à être mise en œuvre, dans un milieu permissif ou non.

C'est dans cette perspective de synchronisation que l'état-major du Swiss Raid Commando a effectué aujourd'hui son jeu de guerre pendant environ 10 heures (voir photo ci-dessus) ; ayant eu le privilège de diriger cette activité, je suis assez bien placé pour en décrire la méthode. Le SRC mobilise plus de 3000 militaires sur une durée totale de 10 jours, et nécessite de ce fait une coordination très étroite entre les 5 cellules de son état-major (opérations, logistique, tâches territoriales, conduite et information). De ce fait, devant la presque totalité de l'état-major, chaque journée et chaque activité ont été passées en revue de manière détaillée, avec une description précise des effets attendus dans l'espace et dans le temps. Une carte géante du secteur d'engagement (plastifiée afin de permettre d'y circuler librement), des tableaux récapitulatifs et une projection sur écran des points en suspens complètent le dispositif.

L'originalité du jeu de guerre, notamment pour ceux qui s'accrochent à de vieux préjugés sur la conduite militaire, est le fait que chaque membre de l'état-major a le droit de prendre la parole en plénum et d'exposer un point de vue, de proposer une solution, de transmettre une information ou de poser une question. Ils sont même vivement encouragés à faire preuve de sens critique, à vérifier les dires prononcés et à mettre le doigt sur des problèmes ignorés. Il s'agit naturellement de trouver un équilibre entre vaines arguties et raisonnements fondés, comme entre points de détail et vue d'ensemble, mais c'est avant tout la mise en commun du savoir qui fonde la démarche. Une telle activité est d'ailleurs une occasion unique pour les officiers spécialisés dans un domaine d'apercevoir les activités qui se déroulement parallèlement aux leurs, et ainsi de gagner une perspective centrée sur les interactions.

Ce jeu de guerre s'est révélé très productif. Malgré ces longues heures passées dans la halle à usages multiples de la place d'armes de Bure, qui plus est par une température franchement glaciale, un grand nombre de points à corriger et à améliorer ont été recensés, évalués et promptement transformés en missions. C'est la meilleure recette pour assurer aux plans une qualité suffisante. Tout en sachant que les hasards et les imprévus de l'engagement imposent toujours en phase de conduite de grandes qualités d'imagination et d'adaptation !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h35 | Comments (8) | TrackBack

23 avril 2005

Les aveux d'un terroriste

Le Français Zacarias Moussaoui a fini par avouer sa culpabilité dans la préparation d'un attentat qui aurait dû se dérouler de manière parallèle ou subséquente aux attaques du 11 septembre. D'après ses dernières déclarations, il aurait été personnellement choisi par Oussama ben Laden pour piloter un Boeing 747 directement sur la Maison Blanche, le tout afin d'obtenir la libération d'Omar Abdel-Rahmane. Malgré le caractère fluctuant de ses propos, il apparaît certain que Moussaoui faisait partie de l'opération terroriste ayant frappé New York et Washington. Son surnom de "20e pirate de l'air" ne semble pas usurpé.

Ce qui est intéressant, dans ces déclarations, c'est la logique dévoyée et fanatique qu'elles révèlent. On se demande bien comment Moussaoui a pu imaginer une seule seconde qu'un avion de ligne frappant le pouvoir exécutif le plus élevé des Etats-Unis aurait la moindre influence sur leur pouvoir judiciaire. Au-delà de la rationalisation du meurtre de masse à des fins politiques et idéologiques, cette méconnaissance forcenée de leur principal ennemi est probablement la faiblesse centrale des islamistes. Les revers majeurs subis depuis les attentats du 11 septembre (perte des bases logistiques et didactiques d'Afghanistan, combat défavorable et contre-productif en Irak, perte d'image et de soutien dans le monde musulman) en découlent en partie.

Le problème, c'est qu'une telle logique se propage inévitablement aux travers des sociétés et des nations, et qu'elle constitue un ferment décisif et immanent de violences déraisonnables. L'extradition du terroriste présumé Mohammed Achraf vers l'Espagne, en vertu de l'entraide judiciaire usuelle entre Etats, fournit ainsi un motif suffisant aux yeux des islamistes pour punir directement la Suisse par des attaques terroristes. A une époque où un seul individu peut déclencher des actions et des violences ayant un impact majeur, la notion de sécurité doit être entièrement révisée.

COMPLEMENT I (23.4 1540) : Un exemple de cette immanence peut être trouvé dans cette brève analyse lue sur StrategyPage.com. Le lien entre la circulation des idées et la radicalisation des individus est clairement perceptible :

There are small Moslem minorities in a number of English-speaking Caribbean countries, such as Trinidad & Tobago and Guyana. Security forces in these countries have been keeping some more outspoken mosques and imams under surveillance. There has been an increase in the circulation of extremist literature and audio tapes, some of this advocate attacks on the "infidel," and the security forces believe radical Islamists among them may be stockpiling arms, possibly for attacks on tourists, a mainstay of the local economies.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h19 | Comments (6) | TrackBack

17 avril 2005

La grande stratégie US

La revue US News & World Report vient de publier une enquête stupéfiante sur la stratégie américaine contre le terrorisme islamique. Elle révèle en effet les efforts considérables déployés par Washington pour gagner la guerre de l'information en influençant le monde islamique au plus profond de ses convictions, c'est-à -dire en favorisant carrément une réforme de l'islam. Des unités et des opérations clandestines visent à donner aux Etats-Unis une capacité d'influence indirecte aussi puissante que durant la guerre froide, laquelle devient une référence presque officielle :

From the CIA to the State Department, America's once formidable means of influencing its enemies and telling its story abroad had crumbled, along with the fall of communism. "In the battle of ideas," said Marc Ginsberg, a former ambassador to Morocco, "we unilaterally disarmed."
No more. Today, Washington is fighting back. After repeated missteps since the 9/11 attacks, the U.S. government has embarked on a campaign of political warfare unmatched since the height of the Cold War. From military psychological-operations teams and CIA covert operatives to openly funded media and think tanks, Washington is plowing tens of millions of dollars into a campaign to influence not only Muslim societies but Islam itself.

L'article fournit un récit saisissant des échecs, des confusions et des erreurs commis par le Gouvernement américain dans le domaine de l'information depuis les attentats du 11 septembre. Mais il montre également que les voix critiques ont fini par être entendues, et qu'une stratégie sans limite dans l'espace ou le temps semble aujourd'hui mise en oeuvre. La guerre des idées passe par le soutien discret de ses tenants, comme les fondamentalistes le pratiquent depuis des décennies avec les fonds saoudiens, et les Etats-Unis mènent désormais ce combat avec une énergie considérable :

In crafting their strategy, U.S. officials are taking pages from the Cold War playbook of divide and conquer. One of the era's great successes was how Washington helped break off moderate socialists from hard-core Communists overseas. "That's how we're thinking... It's something we talk about all the time," says Peter Rodman, a longtime aide to Henry Kissinger and now the Pentagon's assistant secretary of defense for international security affairs. "In those days, it was covert. Now, it's more open." Officials credit publicly funded programs like the National Endowment for Democracy, which have poured millions into Ukraine and other democratizing nations.

Cette enquête, qui paraît crédible et cohérente, mérite d'être lue. Elle doit faire réfléchir sur les accents que pourrait prendre une stratégie comparable pour l'Europe, axée sur la diffusion des idées et la conquête des esprits, en vue de protéger ses intérêts et d'assurer sa pérennité.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h32 | Comments (2) | TrackBack

16 avril 2005

Réalisme et idéalisme

L'historien militaire américain Victor Davis Hanson a publié hier une analyse claire et concise des erreurs successives commises par les Etats-Unis en matière de politique étrangère, particulièrement face à l'islamisme et aux tyrannies orientales, en montrant que les critiques actuels - et démentis - de la politique menée par l'administration Bush sont également responsables de ces erreurs. Après le réalisme à courte vue (Arabie Saoudite), la punition inconséquente (Guerre du Golfe), la corruption honteuse (Egypte) et l'inaction indifférente, l'activisme démocratique mené aujourd'hui est selon Hanson un dernier espoir qui s'inscrit dans le sens de l'histoire :

The past ostracism of Arafat and the removal of the Taliban and Saddam Hussein, followed by democratic engagement, will bring eventual stability to the Middle East and enhance the security of the United States. After the failures of all our present critics, this new policy of promoting American values is our last, best hope. And the president will be rewarded long after he leaves office by the verdict of history for nobly sticking to it when few others, friend or foe, would.

On retrouve naturellement les mêmes accents et le même jugement dans les propos de Richard Perle, l'ancien conseiller du Pentagone, interviewé ce samedi dans Le Figaro. Interrogé sur la France et la politique antiaméricaine qu'elle mène ouvertement, Perle appelle à mettre un terme à ce qu'il nomme les liaisons dangereuses et à éviter une construction européenne axée sur une confrontation stérile avec les Etats-Unis. En conseillant à la France de "localiser ses vrais ennemis", il replace le débat transatlantique dans une perspective d'avenir véritablement réaliste :

L'Europe n'a rien à gagner d'une confrontation devenue systématique avec les Etats-Unis. Un tel mécanisme d'opposition est d'ailleurs d'autant plus insensé qu'il aboutit finalement à une opposition de principe nocif tant à nos buts communs qu'à nos finalités respectives. C'est d'autant plus ridicule que, si l'on regarde plus globalement, nos visées sont malgré nos divisions si communes et nos différends si mineurs que les tensions transatlantiques font l'effet d'un grand gâchis. Et ce notamment dans un nouvel ordre mondial nécessitant un resserrement des démocraties.

Le même Figaro illustre cependant à merveille en quoi consistent ces liaisons dangereuses dont parle Richard Perle. Il se trouve en effet qu'il a publié hier une "lettre à un ami français" écrite par Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, qui appelle la France à soutenir sa position pro-syrienne et tente de briser l'accord franco-américain concrétisé par la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU. Nasrallah emploie ainsi un langage connoté et périmé, parlant de "résistance" sans le moindre égard aux manifestations des Libanais, pour sensibiliser la France à ses intérêts :

Le premier point de cette résolution internationale exige le départ des troupes étrangères - comprendre syriennes - du Liban. J'intitule ce point : la partie française de la résolution.
Le second point réclame notamment la dissolution des milices libanaises et leur désarmement, et c'est la résistance libanaise qui est visée. J'intitule ce point : la partie américaine de la résolution.

J'avoue être surpris de voir que le leader d'un groupe terroriste tente aussi grossièrement de préserver sa capacité à employer la violence armée. Est-ce que la France aurait déjà oublié l'attentat-suicide du Drakkar, qui entraîna la mort de 58 parachutistes français voici plus de 20 ans? Est-ce que le soutien déterminant de l'Iran au Hezbollah est anodin? Est-ce que l'interdiction de la diffusion en France de la TV du Hezbollah peut être séparée des propos prudents et rhétoriques de son secrétaire général? Qui sont les ennemis de la France, de l'Europe, de la démocratie?

Voilà des questions auxquelles les Etats-Unis répondent. En ces temps de mutations rapides et d'instabilité immanente, une telle clarté vaut plus que tous les raisonnements nuancés et permet de faire l'histoire au lieu de la subir. C'est pourquoi leurs idéaux sont en train de changer le monde.

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15 avril 2005

Projection en leasing

Le journal spécialisé Defense News a révélé lundi que l'Italie songe à acquérir en leasing environ 2 grands avions de transport C-17 afin de répondre à ses besoins en matière de transport aérien à longue distance. Cette initiative est largement liée au fait que l'armée italienne, qui devrait commencer à retirer une partie au moins de ses 3000 militaires stationnés en Irak, va déployer dès la fin de l'été près de 800 militaires en Afghanistan, dans le but d'assurer pendant 9 mois le commandement de l'ISAF. Le nombre et la distance croissants des missions à l'étranger imposent des moyens supérieurs.

Si l'Italie a reçu récemment le dernier des 22 C-130J Hercules commandés, elle a également noté que les coûts entraînés par les déploiements lors des élections afghanes s'étaient élevés à plus de 6 millions USD pour 20 à 25 vols ; une enveloppe probablement 2 fois moindre que le coût d'une location d'avions de transport privés, alors que le prix d'un C-17 Globemaster III neuf dépasse les 200 millions USD (aucun n'est disponible d'occasion ; l'US Air Force en fait un usage maximal). En d'autres termes, l'Italie a noté les avantages indéniables du leasing, comme la Grande-Bretagne depuis plusieurs années avec 4 autres C-17.

On peut se demander si le Conseil fédéral, au lieu de simplement renvoyer devant le Parlement un programme d'armement amputé, ne devrait pas envisager un système de leasing pour pallier aux besoins les plus immédiats de l'armée suisse.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h37 | TrackBack

13 avril 2005

Irak : un combat impitoyable

Un reportage exceptionnel publié aujourd'hui dans le Washington Post illustre une facette du conflit irakien et des opérations de contre-insurrection en milieu urbain qu'il occasionne. Le journaliste Steve Fainaru s'est intéressé à une section d'infanterie régulière d'un bataillon de l'US Army équipé du véhicule blindé à roues - de conception suisse - Stryker, et il en a ramené une description saisissante du climat dans lequel est plongée l'unité, et du caractère impitoyable des affrontements ponctuels entre GI's et guérilleros :

From inside a vacant building, Sgt. 1st Class Domingo Ruiz watched through a rifle scope as three cars stopped on the other side of the road. A man carrying a machine gun got out and began to transfer weapons into the trunk of one of the cars.
"Take him down," Ruiz told a sniper.
The sniper fired his powerful M-14 rifle and the man's head exploded, several American soldiers recalled. As he fell, more soldiers opened fire, killing at least one other insurgent. After the ambush, the Americans scooped up a piece of skull and took it back to their base as evidence of the successful mission.

Un conflit mené à coup d'embuscades de part et d'autre, rompant la monotonie du quotidien, comporte des règles souvent inédites. Et ce que montre cet article, c'est que les rapports de force en cours à Mossoul entre les forces de la coalition et la guérilla sunnite ressemblent de près à ceux que pourrait occasionner une guerre des gangs dans n'importe quelle grande ville américaine. Du coup, les soldats ayant grandi dans un tel milieu sont mieux à même de reconnaître les schémas et les indices dont les rues irakiennes sont parsemées :

It is a war that Ruiz said reminds him of his youth as a member of the Coney Island Cobras, a Brooklyn street gang. He said he applies many of the principles he learned in the rough neighborhoods where he grew up: Bay Ridge and, later, the projects in Caguas, Puerto Rico, where he moved with his mother as a teenager.
"What I see here, I saw a long time ago," he said. "It's the same patterns."

L'article fournit un aperçu de ce que cela représente. Il montre comment une unité peut pratiquer avec ruse et efficacité une guerre d'attrition impitoyable, qui amenuise et décourage la guérilla en utilisant à son avantage la technologie - véhicules blindés rapides, lunettes de vision nocturne, radios individuelles permettant d'opérer sans un mot à haute voix - ainsi que l'intuition. Mais il indique également que la volonté de contrer et combattre l'ennemi par tous les moyens légaux à disposition joue un rôle déterminant :

Among soldiers in Mosul, Ruiz's aggressiveness is legendary -- both in attacking the insurgents and gathering intelligence. Keating said Ruiz "plays by the rules of Iraq, not by the rules that are written by some staff guy who's never been on the ground. He's never crossed the line, but he'll go right up to it time and time again."
After recently hearing that a security guard was allowing insurgents to meet at night at a school, Ruiz said, he confronted the principal by "taking over his personal space" and threatening to shut down the school down if the meetings continued. At a store whose owner he believed was aiding insurgents, Ruiz threatened to park a Stryker out front and post a sign saying that the man was abetting terrorism.

Les combats de basse intensité redonnent toute leur importance aux individus, aux chefs des petites unités, aux personnages à l'aise dans l'incertitude, par opposition à la domination du feu massif et des grandes organisations qui caractérisent les conflits classiques. Les méthodes décrites dans cet article montrent que les unités américaines se concentrent de plus en plus sur les missions offensives, sur la traque des insurgents, au fur et à mesure que les forces irakiennes sont capables d'exercer une meilleure protection. Cette séparation des rôles forme une complémentarité que la guérilla sunnite peine de toute évidence à contre-balancer.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h28 | Comments (1) | TrackBack

12 avril 2005

Femmes et enfants d'abord

Les Casques Bleus de la force multinationale déployée au Congo orientel ont lancé aujourd'hui une nouvelle offensive destinée à punir et détruire les milices ayant refusé de rendre les armes avant l'ultimatum fixé. Cette attaque confirme le caractère unique de cette mission et la volonté affichée par l'ONU de restaurer la confiance dans son aptitude à mettre un terme aux conflits de notre époque. Mais elle montre également que l'appellation de « soldats de maintien de la paix », étendue à une opération menée dans le cadre du Chapitre VII, produits des juxtapositions aussi étranges dans le texte d'une dépêche d'agence que dans la composition d'un théâtre d'opérations :

The human rights group Justice Plus charged that peacekeepers intentionally chose a busy market day to stage a March 1 assault on militia who had refused earlier demands to disarm.
As a result, civilians were caught in hours-long crossfire between heavily armed militia and several hundred peacekeepers, the Bunia-based rights group said.

L'armement lourd qui accompagne les Casques bleus, et notamment les hélicoptères de combat, leur fournit un avantage décisif dans toute bataille rangée contre les milices ethniques et tribales de la région. Mais cette supériorité offre aussitôt l'opportunité d'être contre-balancée par des accusations sur le plan moral, comme l'illustre cette citation, et ce quelle que soit la légitimité dont devrait bénéficier la MONUC suite aux décisions du Conseil de sécurité. Vaincre une force irrégulière en la forçant à abandonner le combat ne change pas fondamentalement entre l'Irak, le Congo, l'Afghanistan ou encore Haïti : il s'agit toujours de faire face à des situations d'asymétrie ou de tolérer le chaos.

Or, ce type de conflit confronte régulièrement les soldats aux plus désarmants des civils armés - les enfants, les femmes et les personnes âgées :

Last month the United Nations had said the firefight began when peacekeepers looking to dismantle a Lendu militia camp approached the target and were fired on with 60 mm mortars, heavy machine guns and rocket-propelled grenades. It triggered the biggest gunbattle the peacekeepers have experienced during their six-year mission in Congo.
U.N. officials have also said women and children were among those firing weapons. Women, children and the elderly are known to have participated in Lendu raids.

L'extinction progressive des guerres classiques, entre armées gouvernementales et nationales, et la profusion d'armes automatiques légères disponibles de par le monde expliquent en grande partie le retour d'un phénomène connu depuis l'Antiquité. La fin de la distinction entre armée et population, élément central dans la transformation de la guerre, font que les soldats sont régulièrement confrontés à un dilemme implacable : ouvrir le feu et massacrer des femmes et des enfants, ou refuser le combat et ne pas remplir leur mission - parfois au péril de leur vie. Car ces archétypes de non combattants, mus par la haine, la peur ou la foi, peuvent fort bien tailler en pièces une unité militaire nettement supérieure si celle-ci se laisse prendre au piège.

Un épisode étonnant s'était d'ailleurs produit en Sierra Leone voici quelques années, lorsqu'un groupe de soldats britanniques a préféré être fait prisonniers plutôt que combattre des enfants. Il a fallu l'intervention décidée de forces spéciales (le SAS) pour les libérer, non sans faire des ravages dans les rangs adverses. Pourtant, les enfants drogués et armés de kalashnikovs forment des combattants particulièrement féroces et inconscients, car ils n'ont pas les limites morales que l'âge donne - ou devrait donner - aux adultes, et que le besoin de reconnaissance les amène à pratiquer volontiers une escalade de l'horreur. Cette réalité est peu à peu acceptée par les armées occidentales.

L'an dernier, j'ai assisté à une conférence donnée par un ancien sergent des US Rangers (SFC Shawn Nelson) qui a combattu en octobre 1993 à Mogadiscio, en Somalie, lors de l'affrontement dont Mark Bowden a tiré son livre exceptionnel (Black Hawk Down). Il a décrit une phase des fusillades durant laquelle il a été amené à tuer une famille entière, le père, la mère puis les deux fils en bas âge, parce que ceux-ci ont successivement tenté de l'abattre avec la même arme. A courte distance, avec des regards qui restent gravés dans son esprit plus de 10 ans après. Est-il possible à des soldats de métier de vaincre des foules armées lorsque la mort et le remords sont les seules issues ?

La phrase « les femmes et les enfants d'abord » prend une nouvelle signification à notre ère!

COMPLEMENT I (12.4 2050) : L'arrestation d'un enfant palestinien portant 5 bombes, à un checkpoint tenu par l'armée israélienne, montre une autre facette des éléments décrits ci-dessus.

COMPLEMENT II (13.4 1825) : La publication d'un rapport de l'ONG Human Right Watch, qui sur ce sujet précis semble digne de confiance, souligne le fait que les enfants-soldats en Afrique se transforment parfois en mercenaires itinérants.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h52 | Comments (17) | TrackBack

11 avril 2005

Irak : le redéploiement US

Un article du New York Times rend aujourd'hui publiques les conséquences de l'optimisme affiché par les militaires américains : les premiers plans pour une réduction importante du volume des troupes, passant selon le texte de 142'000 soldats aujourd'hui à 105'000 au début 2006. La confiance en l'évolution positive de la situation se base ainsi sur une analyse conçue pour intégrer un nombre suffisant de facteurs objectifs ou subjectifs, mais aussi sur une prudence logique :

This view of steady if uneven progress is shared by virtually all senior American commanders and Pentagon officials interviewed, who base their judgments on some 50 to 70 specific measurements from casualty figures to assassination attempts against Iraqi government officials as well as subjective analyses by American commanders and diplomats. They recall how plans a year ago to reduce American forces were dashed by resurgent rebel attacks in much of the Sunni-dominated areas north and west of Baghdad, and in Shiite hot spots like Najaf. And they express concern that a huge, last-ditch suicide attack against a prominent target, like the new Iraqi National Assembly, could deal the operation a severe blow.

Pareille information mérite quelques réflexions. En premier lieu, cette réduction atteignant presque un tiers des effectifs actuels peut sembler importante. Il faut cependant rappeler que les soldats US sont étonnamment peu nombreux en Irak, ce qui depuis 2 ans indique clairement le faible niveau de violence armée que connaît en moyenne le pays. Il est ainsi significatif de constater qu'une ville de 2 millions d'habitants comme Mossoul n'enregistre que 50 attaques par semaine : si une véritable résistance aux troupes coalisées existait en Irak, ces chiffres seraient multipliés par 100 au moins. Seule une brigade US renforcée doit aujourd'hui être engagée dans cette cité gigantesque, qui compte autant d'habitants que le Kosovo, alors que la KFOR compte 4 petites brigades.

Le nombre de soldats n'est donc pas un indicateur suffisant, et c'est bien leur emploi qui doit être étudié. De plus en plus, les unités US font office d'appui pour les forces locales irakiennes, chargées de mener les actions offensives et défensives nécessaires à la contre-insurrection. Cela signifie que le nombre de GI's engagés dans des missions statiques ou uniques diminue, alors qu'une portion croissante des formations se transforment en force de réaction rapide, en unité d'engagement mobile ou en réserve polyvalente. La montée en puissance des forces locales, en qualité plus qu'en quantité, permet à la coalition de se concentrer sur l'offensive et sur l'intervention. La diminution du volume ne signifie pas celle de leur efficacité.

Par ailleurs, ces plans n'annoncent pas un retrait rapide du contingent américain. Malgré les déclarations plutôt contradictoires du nouveau président irakien sur leur possible départ d'ici 2 ans, il faut davantage compter sur le maintien d'un volume important de troupes spécialisées venant en appui direct des forces irakiennes et de leur Gouvernement, ainsi que sur le maintien de capacités d'appui en matière par exemple de logistique et de génie. Les guerres de contre-insurrection prennent en moyenne 8 ans pour être gagnées, et si les élections ont constitué une étape majeure dans ce sens, les violences armées sont très loin de disparaître du pays. On peut même redouter une nouvelle offensive des milices de Moqtada Al-Sadr, qui ont été reconstituées et refont surface depuis peu.

Ce qui est en revanche certain, c'est que la diminution des troupes US en Irak permettra de réduire drastiquement l'usure de l'US Army, et notamment de ses composantes de réserve, mais aussi de réduire les pertes, et donc également l'usure de l'administration Bush. Le maintien de la capacité et de la volonté américaines d'agir en Irak dépend par conséquent étroitement d'une telle réduction.

COMPLEMENT I (12.4 1130) : Cet éditorial du Wall Street Journal mérite d'être lu. Il souligne l'importance de la volonté politique au plus haut niveau d'un Etat dans un conflit comme celui qui se déroule en Irak.

COMPLEMENT II (12.4 1925) : Le changement de tactique de la guérilla semble se confirmer, avec une nouvelle attaque concentrée sur une base américaine qui s'est là encore avérée un échec complet. Ces tentatives du fort au fort ne peuvent que favoriser la stratégie américaine, aussi longtemps qu'elles échouent sur toute la ligne, naturellement...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h24 | Comments (5) | TrackBack

8 avril 2005

La menace immanente

Un attentat terroriste a été commis hier en Egypte, dans un bazar de la capitale, lorsqu'une bombe bardée de clous et posée sur un vélomoteur a explosé devant une parfumerie. Le bilan n'en est pas moins assez lourd : au moins 3 morts, dont une ressortissante française, et 18 blessés, pour moitié étrangers. Du coup, la crainte du terrorisme refait surface dans le pays, dont l'industrie touristique avait été touchée de plein fouet au cours des années 90 ; même s'il n'a pas fallu longtemps par exemple pour que le massacre de Louxor soit oublié et que le volume de touristes, notamment suisses, revienne à un niveau très important. Alors que la criminalité entraîne des violences et des meurtres sans commune mesure par leur nombre et leur effet objectif, le terrorisme reste un spectacle destiné à frapper les esprits.

Il n'en ira peut-être pas toujours ainsi. Malgré la tendance à l'hypertrophie symbolisée par les attentats du 11 septembre, le terrorisme a depuis longtemps délaissé ses origines parfois idéalistes pour se rapprocher du crime, au moins dans ses actes préparatoires. Les djihadistes qui font couler le sang en Irak, en Afghanistan, en Thaïlande ou au Pakistan sont analogues à des criminels endurcis : il est vain d'espérer les voir reprendre une vie normale aussi longtemps qu'ils ont la capacité de combattre. La désagrégation de la société palestinienne illustre assez bien le seuil à partir duquel l'objectif de la violence armée se confond à la violence elle-même, tout comme la pratique systématique du crime rend à peu près impossible le retour à la légalité. Le terrorisme est devenu une forme de guerre qui s'autoalimente, un phénomène consubstantiel à certaines sociétés ou à certaines communautés.

Cette nature parasitaire, et non utilitaire, réduit l'effet principal du terrorisme classique : l'aliénation des êtres, c'est-à -dire l'influence de leur comportement à travers la manipulation de leurs perceptions. L'impact psychologique d'un attentat n'est pas le même lorsque ses auteurs pratiquent le meurtre de masse à des fins politiques, ou lorsqu'ils tuent pour suivre un mode de vie sectaire et fanatique. La bombe qui a explosé hier au Caire a fait un cratère profond d'un mètre et large de deux, tout en projetant des éclats augmentant son effet létal ; mais c'est avant tout l'unicité d'une telle attaque qui explique son effet, et non la volonté de tuer le plus grand nombre dont elle témoigne. La répétition aboutit immanquablement à une banalisation, à une relativisation statistique. L'escalade de l'horreur récompense le pire par une couverture médiatique globale, mais ignore le reste.

Le terrorisme n'est pas une menace imminente en soi, à l'exception des visées apocalyptiques conjuguées aux armes de destruction massive : son potentiel de destruction est inversément proportionnel à son potentiel de persuasion. Il constitue de plus en plus une menace immanente, un chancre qui ronge le sens civique et érode la légitimité des structures étatiques. Il peut apparaître n'importe où, n'importe quand, tout comme une maladie infectieuse dont les foyers se déplaceraient brusquemment. Cela ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire : au lieu de pousser les sociétés à accepter un sens politique par une violence exacerbée, il s'attaque aux sociétés elles-mêmes, à leur cohésion, à leur constitution, et donc aux fondements de la civilisation.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h31 | Comments (4) | TrackBack

7 avril 2005

Irak : que fait la guérilla ?

Comment interpréter l'attaque menée le 3 avril sur la base opérationnelle avancée d'Abu Ghraib et revendiquée par les réseaux islamistes? A priori, tenter une offensive de 40 à 60 hommes sur une position bien défendue, avec pour seules armes d'appui des obus de mortiers et des véhicules bourrés d'explosifs, est une entreprise suffisamment complexe pour ne pas être à la portée de la guérilla sunnite. En vue d'atteindre l'objectif apparemment recherché, soit la libération de prisonniers, une véritable opération spéciale aurait été nécessaire, avec une manoeuvre de déception pour amener l'engagement des réserves US au mauvais endroit ou une exécution éclair pour neutraliser leur avantage numérique et positionnel. Pas une attaque frontale qui dure 2 heures et permet aux Américains d'utiliser leur puissance de feu (artillerie, hélicoptère de combat), pour aboutir à une retraite après avoir perdu 50 combattants contre 7 GI's sérieusement blessés.

En règle générale, de telles attaques font beaucoup pour saigner les rangs d'une force insurrectionnelle, et leur échec est durement ressenti. Elles représentent une faute majeure si les pertes consenties ne sont pas compensées par un avantage sur un autre plan, qu'il soit politique, diplomatique ou économique, exactement comme l'offensive du Tet a été un désastre militaire et un succès politique. C'est d'ailleurs ce raisonnement qui est examiné ici (trouvé via Instapundit). Qu'une guérilla doive mener 1 attaque avec 40 hommes au lieu de 20 attaques avec 2 hommes est assez révélateur de ses difficultés en matière de médiatisation et de recrutement. Et la revendication peut-être opportuniste d'Al-Qaïda montre combien les attaques contre les forces irakiennes sont devenues contre-productives.

Une force irrégulière aux abois ne devrait pas prendre de risque inutile, et au contraire jouer sur la durée, diminuer l'intensité des actions, préserver ses cadres, reconstituer ses cellules et ses réserves, rétablir ou étendre le soutien populaire dont elle bénéficie. Mais les islamistes et les baasistes n'ont apparemment pas étudié les théories de l'insurrection, et leur recours au terrorisme aveugle est la pire erreur qu'ils aient commises. Ils semblent aujourd'hui contraints de monter des actions de plus grande envergure pour tenter de préserver leur accès à l'image, aux fonds et aux recrues, alors que le pays les a désavoués lors des élections.

Pour les unités américaines, cette situation offre des opportunités à saisir : celles d'éliminer plus rapidement et plus facilement des ennemis qui, par le passé, étaient davantage en mesure de se dissimuler dans la société irakienne. L'attrition en soi ne constitue pas la solution à un conflit de basse intensité, mais elle crée des conditions bien plus favorables pour son règlement. Une force irrégulière de plus en plus rejetée par la population est vouée à l'échec.

COMPLEMENT I (7.4 1450) : On lira également cette bonne analyse publiée aujourd'hui dans le Christian Science Monitor, qui rappelle notamment les dimensions temporelles des opérations de contre-insurrection.

COMPLEMENT II (7.4 2150) : Je recommande également de lire (je viens de le faire) les analyses de Wretchard et Bill Roggio sur le sujet, ainsi que le billet d'Austin Bay, qui estiment tous que le changement de tactique ces derniers jours témoigne d'un échec de la guérilla.

COMPLEMENT III (7.4 2200) : Alain-Jean Mairet, dans son commentaire ci-dessous à ce billet, doute que l'attrition permettre de vaincre. Il y voit au contraire un caractère contre-productif :

Mourir au combat pour défendre la religion est ce qui peut arriver de mieux à un croyant musulman. De mieux, vraiment. Pour sa famille, aussi, pour son honneur, pour le bien des siens - c'est toujours ce que croient les djihadistes et c'est souvent ce que croient aussi, bon gré mal gré, leurs proches. C'est pourquoi tant de leurs actions ont ce caractère de suicide exalté (bien sûr, certains sont tout de même lâches).
Ainsi, pour régner par la force sur des Musulmans, il faut frapper extrêmement fort, trop fort pour le bien de sa propre conscience. Dès lors, l'attrition se retourne contre les vainqueurs du champ de bataille, qu'on rend honteux d'avoir si bien décimé l'ennemi. Tandis que pleurent les femmes et que les vaincus célèbrent la gloire des martyrs, y puisent de nouvelles réserves de courage et de ressentiment.

L'attrition n'est effectivement pas une solution en soi. Néanmoins, je pense que les circonstances de la mort ont une importance : éliminer les djihadistes dans des raids nocturnes ou dans des combats rapprochés à Falloujah est certainement plus efficace que le faire en défendant un périmètre. Par ailleurs, la plupart des attaques en Irak ne sont pas mues par un sentiment religieux, mais font l'objet d'un paiement. Les hommes prêts à mourir pour leur religion restent rares, quelle que soit l'impression donnée par la propagande islamiste.

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6 avril 2005

La chasse à l'homme

Un article paru aujourd'hui dans le Telegraph rend publique l'entrée en service d'un nouveau régiment de l'armée britannique : le Special Reconnaissance Regiment, une unité qui se vient se ranger aux côtés du Special Air Service et du Special Boat Service, en élargissant la palette et le volume des forces spéciales britanniques. Cette formation de 300 hommes au maximum découle d'une unité de renseignement engagée initialement en Irlande du Nord, et aujourd'hui active sur une grande partie des théâtres d'opérations des armes britanniques ; elle est focalisée sur la reconnaissance spéciale, c'est-à -dire l'acquisition de renseignements par des méthodes et avec des moyens non disponibles dans les unités classiques - à commencer par les missions clandestines axées sur le renseignement de source humaine.

Il est révélateur de constater que l'armée britannique, dont plusieurs régiments historiques sont menacés de disparition en raison des coupes budgétaires, consacre de précieuses ressources à la création d'une troisième unité active de forces spéciales. C'est un phénomène qui se produit dans toutes les armées occidentales ou presque : la réduction de la composante combattante classique, bien que son rôle ait considérablement évolué en 15 ans, va de pair avec le développement de forces capables d'intervenir d'une manière plus précoce, rapide, lointaine, discrète et précise, tout en accomplissant des actions spécifiques. De nos jours, une brigade blindée de plus ou de moins n'a guère de conséquences majeures sur un grand Etat européen, même s'il ne lui en reste plus que deux ou trois ; en revanche, l'existence d'une force capable d'infiltrer une zone non permissive ou une organisation hostile peut être vital.

La raison d'être du Special Reconnaissance Regiment, comme l'indique le titre de l'article, est de fournir des renseignements sur les ennemis modernes de la Grande-Bretagne. Bien entendu, la reconnaissance spéciale s'inscrit dans toute opération un tant soit peu risquée, et les armées l'emploient aussi bien dans le cadre du maintien de la paix que de l'aide humanitaire d'urgence. Mais pour un Etat engagé dans un conflit face à des acteurs terroristes organisés en réseaux, ce type d'unité spécialisée doit être en mesure de mener une véritable chasse à l'homme, de pratiquer la traque à l'échelle d'un théâtre d'opération. La limite qui sépare le renseignement militaire du renseignement stratégique, pour emprunter une distinction ayant cours notamment en Suisse, devient dans un tel cas des plus ténues. Les hommes du SRR seront les yeux et les oreilles du Premier ministre britannique comme du commandant opératif déployé.

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Irak : une planification pénible

L'hebdomadaire spécialisé Inside The Pentagon a publié voici une semaine un récit passionnant sur les difficultés de planification vécues par le commandement de la coalition en Irak. Il montre, bien qu'avec certaines nuances, que la Force Multinationale Irak (MNF-I) ne dispose que depuis février 2005 d'un concept d'opérations adapté à sa mission de contre-insurrection et fournissant des objectifs mesurables à cette fin, et que les plans précédents - datant respectivement d'août et janvier 2004 - étaient trop flous et généraux pour être utiles. En d'autres termes, le commandement militaire chargé de planifier et d'exécuter la campagne de stabilisation du pays depuis plus de 2 ans vient à peine, selon ses propres termes, d'accoucher d'un plan capable d'indiquer si la situation évolue de manière favorable ou non.

Cet article montre à quel point il peut être difficile de traduire des intentions stratégiques claires, comme le rétablissement des outils de sécurité de l'Etat irakien ou le développement démocratique de ses institutions, en missions militaires données à des divisions et à des unités spécialisées. A l'inverse, les missions tactiques des unités et corps de troupe (compagnies, bataillons, brigades) ont une formulation et une conception simples : protéger un périmètre, surveiller une zone, reconstruire un axe de communication ou encore se tenir prêt à mener des raids ciblés. C'est l'essence de la pensée opérative que de parvenir à opérer cette transition entre l'idée de manœuvre stratégique et l'exécution tactique, et le contexte encore inhabituel des conflits de basse intensité prend en défaut les réflexes hérités de la planification de combat :

Casey's earlier plan depicted multinational security operations in Iraq along a military concept for "lines of operation," in which activities are segmented into discrete baskets like civil affairs, counterinsurgency operations, logistics, economic reconstruction and the like, according to defense officials.
"None of these things are connected," one source recalls an officer at Casey's headquarters acknowledging. "They didn't understand the enemy and didn't frame it the right way" in Casey's first plan, said this former officer. "It was many things but it was not a counterinsurgency plan."
The new edition "adds milestones and what we call cradle-to-grave processes," Janke said. It offers "the big picture view" and tells unit commanders, "Now we're going to give you direction," he said. "What you're seeing [is a course] correction, based on ground truth," Janke said.

En lisant entre ces lignes, la version actuelle du plan serait donc parvenue à identifier clairement les objectifs devant être atteints, le centre de gravité qui doit être touché ou préservé pour ce faire, et donc l'articulation des actions en fonction des étapes à franchir afin d'y parvenir. Au-delà des élections, qui ont eu un impact stratégique majeur et dont le succès est largement dû aux actions de la MNF-I à l'automne 2004, la suite des opérations devrait donc poursuivre l'affaiblissement de l'insurrection et le renforcement de l'Etat irakien en fonction de nouvelles étapes, de nouvelles offensives. A suivre!

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5 avril 2005

La diplomatie et les crises

Le Département fédéral des affaires étrangères a annoncé hier son intention de remédier aux lacunes révélées lors des dernières crises en Côte d'Ivoire et en Asie du Sud. Les efforts principaux des mesures annoncées devraient porter sur l'organisation, l'équipement technique et la formation du personnel, aussi bien à Berne que dans les ambassades. Mais au-delà , c'est bien toute la fonction du corps diplomatique qui va subir une évolution drastique : la gestion des crises, c'est-à -dire la prise de décision et la conduite d'actions délibérées face à des menaces sécuritaires ou sanitaires, change considérablement d'une diplomatie jusqu'ici assimilée à des dialogues feutrés dans des salons lambrissés. Les ambassadeurs ne sont plus les représentants lointains du pays, voués à des tâches obscures ; la proximité et l'impact croissants des crises sur la population, notamment via le développement constant de la médiatisation, imposent à ces Excellences l'obligation d'agir plus et plus vite.

Le rappel de l'ambassadeur suisse en Côte d'Ivoire, dont l'incompétence et l'impréparation ont été soulignées lors des évacuations chaotiques de novembre 2004, est le signe de cette évolution. Un Etat moderne ne peut plus se permettre de ne pas répondre aux demandes urgentes de ses citoyens menacés à l'étranger ; dans la mesure où la protection physique qu'il accorde à la population constitue l'une de ses raisons d'être, l'Etat doit adapter ses capacités de protection aux besoins des Suisses, lesquels sont toujours plus nombreux à vivre, à travailler ou à voyager dans des zones de crise probables. Les grandes nations européennes, accoutumées aux réflexes issus d'une politique de puissance, ont bien entendu intégré depuis longtemps ces notions. C'est un signe du rapetissement du monde que la Suisse neutre et largement centrée sur elle-même doive également y venir.

Naturellement, les capacités nécessaires pour faire face aux crises sont en partie fournies par l'armée. Comme Micheline Calmy-Rey l'a souligné, l'absence d'avions de transport continue et continuera de poser problème en imposant à nos voisins une solidarité unilatérale (ce manque de moyens est un thème souligne depuis longtemps au DFAE). Ce d'autant plus que la mission de développer une capacité de rapatrier les citoyens suisses menacés à l'étranger a été confiée aux militaires, qui créent les unités et acquièrent le savoir-faire nécessaire. Les ambassadeurs doivent donc être en mesure de coordonner étroitement l'action des composantes militaires déployées dans une zone de crise, comme cela a été le cas à Sumatra. Ce qui renforce également l'importance des attachés militaires, des postes aujourd'hui partiellement utilisés comme des récompenses à des officiers en fin de carrière ou des voies de garage pour écarter les cadres devenus indésirables.

La transformation de la diplomatie aura donc des besoins bien plus grands que l'installation de moyens de communication modernes ou le recyclage accéléré du personnel.

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4 avril 2005

La force d'un idéal

Voilà 2 ans que les forces armées américaines sont entrées à Bagdad par la force, et même par le biais de raids et coups de main mécanisés qui ont dévasté les incertains remparts du régime de Saddam Hussein. Cet événement continue de frapper les esprits par l'anomalie apparente qu'il présente : prendre et tenir une ville de 5 millions d'habitants avec une division blindée renforcée de 30'000 soldats constitue une absurdité militaire. Nombreux sont les experts qui, comme Jean-Louis Dufour, jugeaient impossible une offensive de ce type sans raser purement et simplement la ville, en citant l'exemple de Grozny effectivement détruite par l'armée russe.

Moi-même, en auscultant les cartes du pays et de la ville au début de 2003, et en essayant d'imaginer le plan d'attaque de la coalition, j'avais du mal à éviter un malaise profond face à Bagdad, à sa population prise en otage, à ses quartiers surpeuplés. Une capitale de cet acabit représente certainement le centre de gravité opératif d'une campagne, mais que faire lorsque battre ses défenseurs représente la partie facile de la mission ? De mon point de vue, l'affaire était jouable uniquement si l'énorme majorité des Irakiens ne s'opposaient pas à l'offensive et à la présence militaire américaines. Autrement dit, si le terrain des idées était plus favorable que celui des canons.

C'est une réalité qui continue d'échapper à de nombreux commentateurs européens : la plupart des Irakiens avaient un référentiel totalement différent pour juger les soldats américains venus sur leur sol. Malgré toutes les suspicions - légitimes - que provoquent leurs intérêts stratégiques multiples, les Etats-Unis continuent d'incarner plus que toute autre nation la liberté, la démocratie et le progrès aux yeux d'une grande part de la planète. Et les événements de ces derniers mois ont été à la hauteur de cette image : les élections en Afghanistan et surtout en Irak ont illustré de manière éclatante à quel point l'idéal démocratique était au cœur de l'action armée américaine.

Au lieu de créer de nouveaux terroristes par dizaines ou centaines de milliers, comme le clamaient sur le ton du scandale les bonnes consciences de nos contrées, les offensives militaires de l'administration Bush ont au contraire révélé des millions de démocrates, de citoyens prêts à descendre dans la rue et mettre un bulletin dans l'urne pour exprimer leur rejet de la tyrannie et leur aspiration à une existence libre. La guerre contre le terrorisme islamiste ne l'alimente pas : elle le démasque, le marginalise, l'étouffe dans une clameur populaire. Elle le défie mortellement sur son propre terrain.

Les idées sont des armes dans la conquête des esprits ; étendues à l'absolu, elles prennent la dimension d'idéaux universels qui transcendent la matière. Les armées portées par de tels idéaux ont toujours été les plus redoutables de l'histoire. La levée en masse exploitée par Napoléon n'explique pas la victoire des armes républicaines sur la Suisse de l'Ancien Régime ; ce sont les valeurs de la Révolution qui ont séduit, divisé et affaibli les Helvètes, qui ont fait des armées françaises des forces occupantes certes, mais non ennemies. L'analogie de perception est trop frappante avec les divisions de l'US Army et des Marines en Irak pour ne pas y réfléchir.

La stratégie développée et mise en œuvre par la Maison Blanche et le Pentagone au lendemain des attaques du 11 septembre n'est pas parfaite, loin de là ; un analyste clairvoyant comme Laurent Murawiec le relève régulièrement. Cependant, elle est juste dans le sens où elle prend l'offensive, où elle porte le combat au cœur de l'ennemi, où elle libère et catalyse des énergies qui lui sont - à terme - favorables. Et cette stratégie est fondée sur l'idéal démocratique, c'est-à -dire sur la conviction que cette idée est juste et mérite une application universelle. Un concept pur, impossible à concrétiser pleinement, mais qui fait office de guide au-delà des tergiversations, frictions et compromis quotidiens.

Comme le souligne aujourd'hui Charles Krauthammer, la force de l'idéal a donné au Pape bien plus d'influence que ne pouvait l'imaginer Staline et son obsession de la puissance matérielle. De la même manière, l'influence des Etats-Unis en Irak va bien au-delà des 145'000 soldats qu'elle y déploie actuellement. Un autre parallèle est encore plus éclairant : alors que la Royal Navy et ses troupes embarquées ont été utilisées à l'ère victorienne pour imposer la liberté de commerce dont l'Empire britannique bénéficiait tant, l'US Army est aujourd'hui utilisée pour imposer une liberté d'opinion qui sert souverainement les intérêts de la République fédérale des Etats-Unis.

Que cette liberté corresponde aux inclinations individuelles explique pourquoi Washington va transformer le monde.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h16 | Comments (9) | TrackBack

2 avril 2005

Une stratégie, que diable!

La Neue Zürcher Zeitung a publié ce matin une analyse exceptionnellement pertinente de Bruno Lezzi, l'un des rares journalistes suisses à connaître les questions de défense et à être spécialisé par sa rédaction dans ce domaine (merci à Alain-Jean Mairet pour me l'avoir signalée). Il revient en effet sur le sort funeste du programme d'armement 2004 pour écrire en toutes lettres le fond du problème : la Suisse n'a pas de vraie stratégie adaptée aux menaces contemporaines, les décisions du Conseil fédéral depuis 10 ans en la matière ne font pas l'objet d'un consensus, la population doit impérativement savoir où nous allons. Et il ne manque pas de montrer au Parlement quel rôle il devrait remplir :

Mit dem Ziel, der Armee wieder klarere Perspektiven zu vermitteln, fällt dem Parlament eine Schlüsselrolle zu. Die eidgenössischen Räte sollten sich von Grabenkämpfen um einzelne Rüstungsvorhaben und organisatorische Detailprobleme lösen und Armeedebatten auf strategischer Ebene führen, das heisst: unter Berücksichtigung der gegenseitigen Abhängigkeiten zwischen Konzeption, Doktrin, Organisation, Ausrüstung, Milizsystem und Finanzen.

On notera au passage que ce type d'analyse n'existe pas dans la presse romande (avec un à deux articles par année en moyenne depuis 2003 sur un thème strictement national, je n'y concours certes pas). Mais cela fait tout de même plaisir de lire dans la presse des réflexions qui sont discutées depuis belle lurette au quartier-général de l'armée...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h40 | Comments (4) | TrackBack

1 avril 2005

Un retour à Beyrouth?

Est-ce que la France et la Grande-Bretagne se tiennent prêtes à intervenir militairement au Liban? C'est en tout cas la supposition que l'on peut trouver sur StrategyPage.com, après avoir annoncé qu'un navire britannique avait rejoint un navire français en Méditerranée orientale (voir ici la première information), et que tous deux avaient la capacité d'appuyer des opérations spéciales, dont le spectre très large comprend certes l'évacuation de ressortissants nationaux, mais aussi des actions offensives. Autrement dit, Paris et Londres ont apparemment positionné des navires et du personnel spécialisé capable de leur fournir des options au cas où la situation tendue que connaît le Liban depuis 40 jours venait à s'aggraver soudainement.

Il est difficile d'évaluer la pertinence de cette analyse côté français. Le navire en question, le bâtiment de commandement et de ravitaillement Var, a en effet la particularité de pouvoir abriter un état-major important - 50 hommes - et de donc de disposer de toutes les liaisons nécessaires à la planification et à la conduite d'une opération, en plus de ses fonctions logistiques. Il a déjà été engagé au profit de l'opération Héraclès, dans l'Océan Indien, apparemment déjà en appui des forces spéciales françaises. Il constitue en effet une base opérationnelle avancée valable, susceptible d'accueillir des moyens de transport aériens et qui possède l'immense avantage de pouvoir rester dans les eaux internationales - avec la sécurité et la discrétion, physique et donc politique, que cela suppose.

Cela dit, la Marine nationale annonce que le BCR Var était à Toulon fin mars. Aucun communiqué récent le concernant n'est disponible. On peut supposer qu'il s'agit de mesures standardisées visant à assurer la sécurité opérationnelle, mais peut-être que l'information de StrategyPage.com est périmée ou simplement fausse. A priori, il devrait être facile de savoir si le Var est à Toulon, même s'il a des sisterships...

Au niveau britannique, cela semble plus clair. Le bâtiment concerné est le HMS Albion, un navire d'assaut amphibie spécialement conçu pour un spectre d'engagement comprenant aussi les opérations spéciales, et qui peut abriter un contingent assez important (plus de 600 militaires). Récemment entré en service, ce navire a déjà été envoyé au large des côtes ivoiriennes en novembre dernier pour appuyer l'évacuation des ressortissants britanniques et européens. Aucun communiqué officiel ne mentionne ses activités cette année, ce qui renforce la présomption d'un déploiement opérationnel d'importance.

Que conclure de ces spéculations? Si les deux principales armées européennes n'ont plus que très partiellement la capacité d'exécuter des opérations de grande envergure (comme l'opération Telic des Britanniques en Irak), elles ont en revanche développé des outils flexibles et polyvalents permettant de fournir des réponses adaptées aux événements de leur environnement stratégique. Le déclin de l'Europe militaire n'est pas une fatalité, ni totalement une réalité.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h30 | Comments (9) | TrackBack

30 mars 2005

Les Abrams à l'épreuve

Le quotidien USA Today a consacré hier deux excellents articles à l'emploi des chars de combat américains Abrams dans le conflit de basse intensité mené fréquemment en milieu urbain que connaît l'Irak depuis presque 2 ans. Le premier décrit les transformations que vont recevoir les Abrams pour les rendre mieux adaptés aux zones bâties, et le deuxième analyse les pertes subies - 80 chars tellement endommagés qu'ils ont dû être ramenés aux Etats-Unis, avec 5 membres d'équipage tués à l'intérieur des chars et 10 en partie à l'extérieur.

Même si l'énorme majorité des quelque 770 Abrams touchés en Irak n'ont subi que des dommages mineurs, alors qu'ils sont la cible privilégiée du feu ennemi pour des raisons psychologiques, ces chiffres montrent un problème certain. Le char Abrams a été conçu dans les années 70 pour s'opposer aux hordes de blindés soviétiques prêts à bondir sur l'OTAN; après un changement de calibre (de 105 à 120 mm, en adoptant le canon allemand lisse du Léopard 2, soit dit en passant) et l'amélioration de son blindage, il a été engagé avec un succès dévastateur dans le Golfe, que ce soit en 1991 ou en 2003. Depuis lors, il continue de jouer un rôle-clef, comme l'ont montré les combats de Falloujah (même si l'auteur de l'article s'est trompé : ce sont 2 bataillons blindés de l'Army qui ont renforcé les Marines, et non 2 brigades), mais son emploi reste malaisé.

C'est tout le problème des armées occidentales modernes : elles sont encore structurées et équipées pour faire face à un ennemi qui a disparu, et elles ne s'adaptent que sous la pression des événements. Il a ainsi fallu l'obligation de mener une campagne de contre-insurrection en Irak pour que l'US Army change profondément sa doctrine et l'adapte aux conflits de ce siècle. Cela ne signifie pas que les équipements conçus durant la guerre froide soient soudain devenus utiles ; cela impose simplement de repenser leur emploi, et d'orienter leur modernisation en fonction des exigences propres aux conflits asymétriques.

La place du char de combat dans les armées doit ainsi évoluer. Au lieu de constituer leur épine dorsale, le moyen d'attaque par excellence, il se transforme en moyen d'appui au profit de l'infanterie par le fait de sa raréfaction sur les champs de bataille - et retrouve une fonction proche de ses origines. En d'autres termes, il reste indispensable sans être décisif, il multiplie les forces au lieu d'en être l'incarnation, parce que l'élément humain fait son retour au centre des préoccupations militaires, au détriment des systèmes d'armes axés sur la maximisation de la puissance de feu.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h01 | Comments (1) | TrackBack

28 mars 2005

Des F-16 au Pakistan

L'administration Bush a annoncé la semaine dernière la vente d'un nombre indéterminé - peut-être 24 - de chasseurs-bombardiers Lockheed Martin F-16 Fighting Falcon au Pakistan. Immédiatement regretté par l'Inde, dont les relations "au beau fixe" avec le Pakistan ne vont pas jusqu'à tolérer sans autre l'augmentation de ses capacités militaires, cette vente illustre parfaitement les contradictions inhérentes à la politique étrangère américaine, qui appelle à la démocratisation du monde et s'oppose à plusieurs régimes tyranniques, mais qui est également contrainte de soutenir des Gouvernements autocratiques pour ses propres intérêts. Un équilibre délicat entre politique à court et long terme.

Naturellement, les cercles anti-américains en Europe ont rapidement tiré le parallèle entre cette annonce et la possible levée de l'embargo européen sur la vente d'armes à la Chine. En l'état des connaissances sur les futurs F-16 pakistanais, il s'agit là d'une distortion avérée : la transaction projetée ne peut en aucun cas provoquer de déséquilibre, car le Pakistan dispose déjà de 32 F-16 plus anciens, sur une vente de 40 exemplaires conclue en 1982, et parce que l'Inde et la Chine sont en train d'acquérir une flotte bien supérieure, devant compter respectivement 190 et 100 Sukhoï Su-30 - des appareils globalement équivalents au F-16. On peut même voir dans la vente au Pakistan une correction d'un déséquilibre en cours.

Cependant, un avion reste une plate-forme polyvalente, et tout dépend des armes et des systèmes qui seront accrochés sous ses ailes. Les nombreux clients du F-16 (les ventes récentes incluent 24 exemplaires en Egypte, 80 aux Emirats Arabes Unis, 20 à Singapour et 12 à Oman) utilisent prioritairement leurs avions pour la supériorité aérienne, mais ceux-ci sont des chasseurs-bombardiers très efficaces ; les modèles israéliens (102 commandés, en cours de livraison) sont d'ailleurs explicitement conçus pour les frappes air-sol dans la profondeur, comme leurs prédecesseurs l'ont fait en 1981 sur le réacteur nucléaire irakien Osirak.

Il vaut la peine de noter que les premiers F-16 pakistanais ont été équipés d'un pod de désignation laser Atlis II conçu dans les années 80 par Thomson-CSF, et ont reçu des bombes à guidage laser américaines Paveway. En d'autres termes, la capacité d'attaque air-sol est déjà en mains d'Islamabad, et elle ne peut être drastiquement transformée qu'à la condition d'intégrer à la vente des armes nouvelles - comme des missiles air-sol à longue distance. Dans le cas inverse, ces quelques 24 nouveaux appareils auront pour principal effet de rénover les capacités du pays à protéger la souveraineté de son espace aérien et à effectuer des frappes de précision en situation de combat.

L'importance de cette vente pour les Etats-Unis, au-delà des questions politiques (récompense à Pervez Musharraf et aux Pakistanais pro-occidentaux pour leur soutien à la lutte contre le terrorisme islamiste), réside bien entendu dans le contrôle accru qu'elle leur fournit. Un avion de combat moderne est un système d'armes des plus complexes, dont l'efficacité à l'engagement dépend de détails infimes - électroniques ou informatiques notamment. Or les entreprises de défense européennes se sont rendues compte qu'il est très difficile de réussir une intégration efficace de leurs produits (missiles ou équipements) sur un appareil américain ; le missilier MBDA en a fait l'expérience avec la vente de F-15 à la Corée du Sud.

Autrement dit, fournir des F-16 au Pakistan - et les offrir à l'Inde - est une manière pour Washington de contrôler bien davantage ce qui sera accroché sous leurs ailes au cours des prochaines années. Au lieu d'une rupture d'équilibre, cette vente préfigure une influence accrue de l'unique superpuissance planétaire - et une manière de contrer les ventes d'armes réalisées par le Russie. Qu'une vente d'armes européennes de haute qualité à la Chine ait les mêmes effets stratégiques pour l'Europe serait une conviction déraisonnable.

COMPLEMENT I (29.3 1510) : L'édition du 21.3 de DefenseNews, que j'ai uniquement lu aujourd'hui dans son intégralité, a ajouté plusieurs informations sur les demandes d'offres faites par l'Inde en matière d'avion de combat occidental. D'après l'article, les offres reçues - pour un volume pouvant atteindre 125 appareils - comprenaient des F-16 à 28 millions USD la pièce, des MiG-29M2 à 37 millions, des Mirage-225 [sic!] à 50 millions (d'après le prix, je pencherais pour des Rafale) et des Gripen à 33 millions.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h49 | Comments (5) | TrackBack

27 mars 2005

50 ans de Bundeswehr

A l'occasion du 50e anniversaire de la création de la Bundeswehr, l'hebdomadaire spécialisé DefenseNews a publié un commentaire plutôt critique sur les capacités véritables des Forces armées allemandes, et sur le décalage entre les ambitions affichées par le Gouvernement et les moyens qu'il accorde à ses militaires (un constat il est vrai valable ailleurs). La réduction massive des forces armées entreprises depuis la réunification et l'articulation actuelle en forces d'intervention, de stabilisation et de soutien sont décrites sommairement, et l'auteur se fait clairement alarmant :

Germany is not yet subject to the financial constraints of smaller states, which have surrendered whole spectrums of capability. In terms of manpower, Germany does not have to fear a comparison with the two major European partners. But that condition cannot be taken for granted indefinitely given the shrinking defense budget, demographic changes, and the marginal interest in security and defense matters among its political elites.

Cet intérêt marginal, qui relève de l'évidence de ce côté-ci du Rhin, se manifeste également outre-Manche avec les coupes budgétaires imposées par le Gouvernement Blair : ce dernier est prêt à déployer ses troupes sur tous les points chauds du globe, mais pas à couvrir leurs besoins même à court terme. Au total, les grandes nations militaires européennes (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne) déploient actuellement un peu plus de 50'000 militaires en opérations extérieures (hors toute présence permanente). Peut-on espérer une augmentation de leurs capacités, alors que leurs budgets stagnent ou s'effondrent et que leurs forces menacent d'être liées sans cesse davantage par la sécurité intérieure ?

Posted by Ludovic Monnerat at 14h49 | Comments (2) | TrackBack

L'ONU au pied du mur

L'Organisation des Nations Unies, malgré le silence complice de nombreux médias sur le sujet, s'est décidée à prendre des mesures énergiques pour mettre un terme aux abus sexuels commis par ses fonctionnaires et ses Casques Bleus dans les missions de maintien de la paix. Il est vrai que les abus commis au Congo ne sont pas uniques, et des méthodes similaires pratiquées au Timor oriental par des Casques Bleus jordaniens ont été révélées ces derniers jours en Australie, après avoir à l'époque été étouffées par Sergio Vieira de Mello, pourtant presque canonisé suite à sa mort en Irak.

La correspondante du Monde à New York résume sans les commenter les mesures proposées pour lutter contre ces pratiques dont l'ONU reconnaît le niveau endémique. On peut énumérer ainsi ces mesures : créer un fonds d'indemnisation pour les victimes et les enfants conçus, grâce à des retenues sur les salaires onusiens ; augmenter la prévention, grâce à des distractions offertes aux Casques Bleus, et durcir la répression en obligeant les pays contributeurs à mener des procédures judiciaires ; former un corps d'enquêteurs spécialisés et établir des cours martiales dans le pays de la mission.

Nul besoin d'être grand clerc pour voir que ces mesures ne touchent pas un aspect central du problème, à savoir la qualité insuffisante - en termes de discipline et d'éducation - des soldats qui servent sous les couleurs de l'ONU. De plus, leur faisabilité est douteuse : comment forcer des Etats à juger des soldats attribués aux Nations Unies au-delà de la mission, ou même établir des tribunaux indépendamment de la législation du pays hôte ? On voit bien les inclinations supranationales d'une organisation qui n'a pas les moyens de ses ambitions, et dont le fonctionnement déresponsabilisant reste une faiblesse majeure.

Un excellent reportage signé Jean-Philippe Rémy, également dans Le Monde, montre pourtant que l'ONU est au pied du mur concernant l'efficacité même de ses missions de maintien de la paix. Avec des efforts méritoires, la MONUC tente activement de mettre un terme aux combats en Ituri, qui ont déjà fait 60'000 morts depuis 1999 ; une réorganisation militaire unique lui fournit apparemment une chaîne de commandement claire, des unités homogènes et des capacités d'intervention diverses - forces spéciales ou encore hélicoptères de combat. En même temps, des lacunes notamment en matière de renseignement limitent son efficacité :

Quelques jours après l'assassinat des casques bleus, une opération a été lancée contre le village de Loga, près de Bunia, un important centre de regroupement de miliciens du Front nationaliste et intégrationniste (FNI). Sur place, les 600 soldats de la paix étaient attendus de pied ferme, comme l'explique un haut responsable de la Monuc à Bunia : "Les miliciens étaient parfaitement au courant et les casques bleus ont été surpris par l'intensité du feu qui les a accueillis. Pendant six heures, les miliciens ont attaqué sans relâche. Nos troupes ont été obligées d'appeler en renfort des hélicoptères de combat sud-africains pour pouvoir se dégager. Les casques bleus pakistanais ont eu beaucoup de chance de ne pas avoir de grosses pertes ce jour-là ."

La conclusion de ce reportage est limpide : le succès de l'ONU en Ituri montrera que l'organisation est capable d'imposer la paix, alors qu'en cas d'échec "la leçon serait que l'organisation n'est capable que de faire du gardiennage amélioré." Dans cette perspective, les mesures visant à lutter contre les abus sexuels peuvent être perçues comme une tentative de restaurer l'image de l'ONU, et non comme une volonté d'appliquer les principes qui forment l'efficacité des armées occidentales en opérations extérieures : instruction de haut niveau, entraînement intensif, indépendance logistique, salaires très élevés et bien entendu discipline sévère.

Il faudra apparemment encore du temps avant que les hauts fonctionnaires des Nations Unies comprennent que le maintien de la paix passe par la capacité à faire la guerre.

COMPLEMENT I (27.3 1530) : Dans un autre registre, on peut lire à présent des rumeurs sur une possible démission de Kofi Annan. Ce n'est pas tant le problème des abus sexuels des Casques Bleus que l'implication personnelle - et jusqu'ici niée - du secrétaire général avec un acteur majeur du programme pétrole contre nourriture qui serait la cause d'une telle possibilité. La publication du rapport Volcker pourrait en effet révéler un rôle bien plus grand qu'annoncé de Kofi Annan dans ce processus corrompu. Si tel devait être le cas, le choix de son successeur serait certainement des plus intéressants.

COMPLEMENT II (28.3 1900) : Cette autre reportage, publié dans le Washington Post, complète utilement la perspective sur la situation du contingent onusien en Ituri. Il montre notamment que l'absence d'Etat est une difficulté majeure : tout ce que les Casques Bleus peuvent faire, c'est empêcher une extension des violences et massacres à l'endroit de la population civile, au lieu d'imposer progressivement l'ordre. Cela dit, c'est déjà beaucoup...

COMPLEMENT III (29.3 2020) : En tout cas, on pourra difficilement compter sur la TSR pour traiter objectivement le thème de l'ONU et de son secrétaire général! A l'occasion de la publication du rapport Volcker, ce soir au 19h30, le présentateur Darius Rochebin n'a pas hésité à opposer le "gentil Annan" au "méchant Bush" pour passer la parole au commentateur Hubert Gay-Couttet, lequel a commencé par dire que "on aime bien" Kofi Annan! Voilà qui a au moins le mérite de lever toute ambiguïté.

Malheureusement, M. Gay-Couttet n'a pas pu s'empêcher de parsemer son discours laudateur d'erreurs factuelles grossières, prétendant ainsi que Kofi Annan a "réglé le problème du Timor" (alors que l'ONU a préparé un référendum au Timor-Est sans aucune mesure de sécurité, et que c'est l'intervention décidée de l'Australie qui a mis un terme aux massacres commis par les milices pro-indonésiennes!) et qu'il a été nommé Prix Nobel de la Paix (c'est évidemment l'ONU qui a reçu ce prix, et son secrétaire général qui l'a touché au nom de l'organisation).

Avec des médias pareillement amicaux, il faut vraiment que l'ONU soit particulièrement mal gérée pour voir sa réputation être à ce point entachée !

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26 mars 2005

Irak : combat à sens unique

Je recommande vivement de lire le rapport après action de l'accrochage qui a eu lieu le 20 mars dernier au sud de Bagdad, avec les éléments additionnels comme la vidéo tournée par les insurgents au début de leur embuscade et l'interview des militaires américains qui ont vaincu ceux-ci (trouvé via Instapundit). L'action qui a permis à 7 soldats de la police militaire - dont 2 femmes - d'abattre 26 insurgents et d'en capturer 7 sur un groupe qui en comptait initialement 40 à 50 est en effet typique, quoique avec un volume inhabituellement élevé, des attaques subies en Irak par les troupes US.

A priori, les insurgents avaient un avantage décisif : prendre en embuscade un convoi de 30 véhicules civils uniquement protégé par 3 Humvees des troupes logistiques, avec donc un avantage de 4 à 5 contre 1, aurait dû permettre une victoire facile. La caméra qui accompagnait leur équipe, grâce à une bande diffusée par Al-Jazeera, aurait ensuite transformé en succès majeur leur action. Mais l'intervention rapide de la police militaire, chargée de la sécurité des axes, a totalement changé la donne : pris sous un feu précis et dense, à la fois d'armes automatiques et de lance-roquettes, les insurgents ont été incapables de réagir - c'est-à -dire de corriger leur plan - et ont été anéantis.

C'est un aspect qui n'a pas changé depuis presque 2 ans : la plupart des attaques contre les troupes américaines sont des échecs. La guérilla sunnite doit sacrifier entre 20 et 40 hommes pour tuer un seul GI. Les chiffres du mois de mars sont révélateurs de leur insuccès : en 26 jours, 23 militaires américains sont morts et au moins 82 ont été sérieusement blessés (évacuation hors du théâtre d'opération ou retour dans leur unité au-delà d'un délai de 72 heures) suite à un nombre d'attaques qui doit osciller entre 1000 et 1300. Par un calcul linéaire, on peut donc estimer que le 90% environ des attaques est totalement inefficace. Une telle impuissance militaire provoque nécessairement des combats à sens unique, et confirme que le domaine politique est bel et bien décisif.

En lisant en détail le récit du combat mené le 20 mars, on mesure à quel point l'efficacité tactique dépend de petits détails minutieusement soignés et entraînés - l'emplacement uniforme des munitions dans les véhicules, l'instruction aux techniques sanitaires d'urgence ou encore la capacité d'employer tout l'éventail des armes légères. Bien entendu, rien de tout cela ne suffirait si l'esprit de corps, le courage et la motivation des soldats n'atteignait pas un niveau élevé. Mais c'est surtout la démultiplication par l'image d'un tel accrochage - avec notamment le rôle-clef joué par le chef de groupe féminin - qui montre l'importance de cette supériorité.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h43 | Comments (8) | TrackBack

24 mars 2005

Irak : changement de ton

Il est intéressant de relever que la société d'analyse stratégique Stratfor a largement changé de perspective sur la situation en Irak, comme le montre TigerHawk sur son blog. La succession des événements depuis les élections du 30 janvier impose peu à peu une prise de conscience : la guérilla sunnite accumule les échecs depuis des mois, et se trouve désormais dans une situation sans issue - à moins d'une intervention extérieure. Le fait que les sunnites semblent changer d'avis sur le processus politique est également un indice intéressant.

La dernière colonne d'Austin Bay illustre une explication que j'avance depuis assez longtemps (voir cette très longue analyse), en rappelant les réflexions qui lui sont venues à l'esprit l'été dernier, lorsque ce colonel de réserve de l'US Army observait les nombreux écrans du centre d'opérations interarmées de la coalition à Bagdad :

The biggest display, that morning and every morning, was a spooling date-time list describing scores of military and police actions undertaken over the last dozen hours, The succinct, acronym-packed reports flowed like haikus of violence: "0331: 1/5 Cav, 1st Cavalry Division, arrests suspects after Iraqi police stop car"; "0335 USMC vicinity Fallujah engaged by RPG, returned fire. No casualties."
The spool spun on and on, and I remember thinking: "I know we're winning. We're winning because -- in the big picture -- all the opposition (Saddam's thugs and Zarqawi's Al Qaeda) has to offer is the tyranny of the past. But the drop-by-drop police blotter perspective obscures that."

Les changements de ton qui se produisent aujourd'hui sont ainsi dus à la superficialité des jugements exprimés depuis 2 ans : les tendances profondes du conflit ont été obscurcies par ses aspects les plus spectaculaires, sans égard à la représentativité ou non de ceux-ci. Scotchés à l'actualité, de trop nombreux commentateurs n'ont pas mesuré les dimensions exactes de la lutte et les véritables armes - les idées - dont elle dépend. Or l'effet d'une élection réussie consiste bel et bien à rappeler les perceptions et opinions majoritaires dans une société donnée, et donc à modifier potentiellement ses rapports de force subjectifs.

L'évolution du comportement des Irakiens face aux terroristes et aux guérilleros confirme un tel phénomène.

COMPLEMENT I (26.3 0800) : Ce bref article du Financial Times, qui affirme que les insurgés cherchent une "stratégie de sortie", fournit également des éléments allant dans ce sens. La dernière phrase du texte confirme l'impact des élections :

Sharif Ali said the success of Iraq's elections dealt the insurgents a demoralising blow, prompting them to consider the need to enter the political process.

COMPLEMENT III (27.3 2200) : Même les médias les plus farouchement opposés à l'intervention militaire en Irak commencent à publier des nouvelles positives pour l'entreprise américaine, comme le Guardian aujourd'hui, même s'il continue d'employer ce terme de "résistance" totalement contraire à la perception au sein de la population irakienne.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h52 | Comments (8) | TrackBack

La journée du chef

On lira avec intérêt aujourd'hui le récit d'une journée du Chef de l'Armée écrit par Thierry Meyer dans Le Temps. Il résume assez bien une partie des activités menées tambour battant par le premier militaire du pays, qui possède une énergie exceptionnelle et dont l'influence réformatrice se fait sentir dans tous les domaines de l'institution - quelles que soient les résistances qui subsistent. Et le langage qu'il tient est des plus clairs. Extrait :

En sous-effectif de quelque 900 professionnels pour cause de restrictions budgétaires, l'armée a engagé du personnel d'encadrement militaire selon des contrats civils, de 45 heures de travail par semaine. Mais les miliciens sont à l'œuvre 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Christophe Keckeis demande à l'un de ces «contractuels» de raconter son cas. L'homme travaille entre 12 et 16 heures par jour, il n'a pas pris de vacances depuis une année. Le divisionnaire Stutz s'inquiète: «Le Code des obligations s'applique aussi à l'armée...» Christophe Keckeis sait que son équipe viendra lui demander «des moyens que je n'ai pas, des gens que je ne peux pas payer. Une fois de plus, on ne donne pas à l'armée les moyens des missions qu'on lui assigne.»

Lors du processus de réforme Armée XXI, la question de créer ou non un poste de Chef de l'Armée - au lieu d'un primus inter pares comme le Chef de l'Etat-major général - a été passablement débattue en interne. J'estime que le sens et l'importance véritables de cette fonction commencent à apparaître, au fur et à mesure que s'impose dans les médias la voix de son titulaire. Lorsque l'institution aura intégré cette innovation et que la discipline retrouvera l'intégralité des rangs, le poids politique de l'armée se sera certainement accru.

Posted by Ludovic Monnerat at 0h13 | Comments (2) | TrackBack

23 mars 2005

L'armée, maîtresse des airs

Deux informations montrent aujourd'hui une évolution intéressante de la sécurité intérieure en Suisse : le fait que l'armée soit de plus en plus souvent appelée à y contribuer dans les airs ou à partir des airs.

En premier lieu, un drone de l'armée va surveiller à partir de demain le trafic routier du Gotthard au profit de la police cantonale d'Uri, qui est à l'origine de cette demande. On se rappelle les cris d'orfraie qu'avaient suscité la demande de la police genevoise pour obtenir l'emploi d'un drone à son profit ; cette demande dans un contexte différent souligne encore une fois les capacités uniques dont dispose l'armée en matière de surveillance et de reconnaissance, et la nécessité pour les pouvoirs publics cantonaux d'en recevoir ponctuellement les produits.

Par ailleurs, le Conseil fédéral a approuvé aujourd'hui l'ordonnance concernant la sauvegarde de la souveraineté de l'espace aérien, qui comporte un changement de taille : à partir du 1er mai prochain, ce sont les Forces aériennes et non plus l'Office fédéral de l'aviation civile qui assureront la responsabilité de cette sauvegarde en temps normal, et qui en outre devront fournir en permanence une situation aérienne du pays. Une mesure qui découle naturellement de l'évolution des menaces, notamment terroristes, et qui étend de manière significative le rôle de l'armée.

Il va de soi que les opérations aériennes exigent une taille critique pour toute organisation désireuse de les pratiquer avec une certaine polyvalence, et que l'armée est la seule à l'atteindre dans ce pays. Malgré cela, cette augmentation des contributions militaires à la sécurité intérieure s'inscrit dans un processus qui va certainement se poursuivre, au fur et à mesure de leur normalisation au quotidien, aussi bien sur terre que dans les airs.

On remarquera en passant que la vente de Swiss, dans laquelle la Confédération avait pourtant investi plus de 2 milliards de francs, réduit également pour le Conseil fédéral la possibilité d'utiliser ces avions de ligne pour des besoins d'importance nationale. La nécessité d'acquérir des avions de transport militaires va donc encore s'accroître ces prochaines années, et je ne serais pas surpris de voir un avion de ligne militarisé - comme un Airbus A319 pourquoi pas d'occasion... - faire partie de la flotte des Forces aériennes !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h07 | Comments (1) | TrackBack

22 mars 2005

Une transformation accélérée

Un article de l'agence AP fournit des indications très intéressantes sur l'usure des véhicules de transport de l'US Army, soumis à très rude épreuve en Irak et confiés à une société privée pour être entièrement remis à neuf. Mais ce programme de réhabilitation permet surtout de faire des économies en modernisant par la même occasion une flotte imposante de 15'000 camions et transporteurs lourds. Ainsi, les opérations en cours accélèrent la transformation des Forces armées américaines davantage que la durée de vie normale des équipements ne l'aurait autorisée.

C'est un aspect des armées que la Seconde guerre mondiale a clairement mis en évidence : l'intensité des opérations militaires et l'attrition subie par les équipements favorisent tellement la modernisation des formations militaires que la Suisse a par exemple dû rattraper un retard énorme à la fin des années 40 par rapport aux armées de l'époque. Dans le cas des Etats-Unis, il apparaît de plus en plus probable que l'usure accélérée de leurs équipements lourds, pour la plupart acquis sous l'administration Reagan, impose une réorientation des investissements vers des systèmes améliorés mais immédiatement disponibles, au détriment de programmes plus ambitieux mais lointains. Avec pour conséquence une amélioration qualitative constante des moyens mis à la disposition de formations expérimentées et endurcies par les opérations de combat.

Toute la question est de savoir si la capacité d'innovation à long terme sera malgré tout préservée - surtout avec l'inévitable réduction budgétaire que subira le Pentagone à la fin de la décennie.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h10 | TrackBack

ONU : l'impuissance nécessaire

Les projets de réforme annoncés par le secrétaire général des Nations Unies ont suscité un écho largement positif dans la presse européenne. Une fois de plus, je suis surpris de voir combien les commentaires consacrés à l'ONU relèvent de professions de foi à l'endroit de cette organisation, comme si tout ce que disait Kofi Annan ou ses principaux subordonnés était parole d'évangile, ou comme si le fait de porter le célèbre logo blanc sur fond bleu était l'assurance de la justice et de la raison. Le principal regret de plusieurs commentateurs réside ainsi dans le manque de moyens alloués à l'institution supranationale - notamment sur le plan militaire. Irak, Congo, Tibet ou Darfour, le refrain est le même : seule l'ONU doit commander, et seuls les Casques Bleus doivent intervenir.

Le problème, c'est que les Casques Bleus sont déjà fort nombreux à essayer tant bien que mal de préserver la stabilité de régions troublées. Un article du Strait Times du 22 février dernier (lu dans l'avion qui m'a amené de Singapour à Medan) faisait ainsi le point sur l'ensemble des missions entreprises par l'ONU. Un total de 65'031 militaires et policiers provenant de 103 pays différents servent sous l'égide du Département des Opérations de Maintien de la Paix de l'ONU, dans le cadre de 16 missions différentes. Les 2 plus importantes, au Libéria et au Congo, mobilisent ainsi respectivement 14'677 et 13'775 soldats, alors que les missions en Sierra Leone, en Ethiopie et Eritrée, à Haïti et au Burundi nécessitent chacune entre 3300 et 6000 hommes. A titre de comparaison, les effectifs de la KFOR au Kosovo restent aux alentours de 18'000 soldats, alors que les forces internationales en Afghanistan dépassent les 25'000 militaires - sans parler des 170'000 membres de la coalition nécessaires pour l'Irak.

L'ONU a donc difficilement les moyens de ses ambitions, sur le plan quantitatif et surtout qualitatif. Les principaux pays contributeurs en Casques Bleus sont en effet le Pakistan (8183 soldats), le Bangladesh (7942), l'Inde (5154), le Népal (3453), l'Ethiopie (3428), le Ghana (3335), la Jordanie (2929), le Nigéria (2882), l'Uruguay (2497) et l'Afrique du Sud (2317). Aucune de ces armées ne figure à un niveau élevé sur le plan international, à l'exception peut-être des Africains du Sud (leurs armées ont subi une baisse qualitative difficile à estimer depuis 10 ans avec la discrimination positive imposée par les Gouvernements de l'ANC). La somme de 1028 dollars US par mois que paie l'ONU pour chaque soldat engagé sous ses couleurs, quel que soit son pays d'origine, joue naturellement un rôle important dans cette prédominance asiatique et africaine : les missions de maintien de la paix constituent une source de revenus non négligeable - 150 millions de dollars par an pour le Bangladesh. En revanche, un soldat occidental coûte bien plus cher à son armée que le salaire onusien.

Toutefois, ce n'est pas au niveau des soldats individuels que réside la vraie différence de qualité entre les armées de type occidental et les autres : ce sont les fonctions militaires transversales - le renseignement, la logistique et la conduite (2, 4 et 6) - qui sont souvent décisives. Si les troupes de pays en voie de développement posent des problèmes majeurs de discipline, comme les viols à répétition au Congo l'ont encore rappelé, l'absence d'un état-major efficace, de senseurs performants et d'un soutien robuste limite drastiquement l'efficacité militaire des missions onusiennes. Seules les armées qui s'entraînent toute l'année de manière intensive et réaliste, avec des exercices de troupe et d'état-major exigeants, sont en mesure de fournir le personnel et le matériel susceptible de répondre aux besoins caractérisant les missions de maintien de la paix. L'ONU n'a tout simplement pas à sa disposition l'infrastructure opérative qui lui permettrait d'intervenir rapidement et efficacement dans une zone de crise - le cas de l'Asie du Sud l'a encore démontré.

Et il faut s'en féliciter. Le fait que les dirigeants de l'ONU n'aient pas de comptes à rendre à un électorat populaire, mais soient au contraire désignés par des représentants gouvernementaux selon un processus non démocratique, rend inévitable les dysfonctionnements et travers majeurs de l'organisation - dont la corruption, la partialité, l'incompétence et l'inertie sont les principaux. Que Kofi Annan soit encore secrétaire général, malgré sa responsabilité écrasante dans le système qui a laissé se produire les massacres en Bosnie et le génocide au Rwanda, illustre les effets qu'entraîne l'absence de sanction électorale. L'impuissance de l'ONU est donc à mes yeux une nécessité, et la seule garantie que les idées a priori les plus nobles ne servent pas de couverture à une dérive antidémocratique encore plus avancée. Aussi longtemps que les peuples n'auront pas la compétence d'élire ses dirigeants, l'ONU n'aura aucune légitimité véritable.

COMPLEMENT I (23.3 1545) : Pour avoir une lecture critique des projets de réforme annoncés par Kofi Annan, on se reportera à l'article de Claudia Rosett publié aujourd'hui dans le Wall Street Journal. C'est exactement le genre de couverture qui à mon sens est malheureusement absent de la presse européenne.

COMPLEMENT II (26.3 0820) : Après des mois de négociations, l'ONU est parvenue à décider l'envoi de 10'700 Casques Bleus au sud du Soudan pour y faire appliquer l'accord de paix. En revanche, l'absence de consensus sur le Darfour laisse celui-ci à la merci des milices génocidaires qui s'activent depuis des mois...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h28 | Comments (6) | TrackBack

L'Europe selon Baverez

Il vaut la peine de lire l'entretien publié ce matin dans Le Figaro de Nicolas Baverez, qui livre une vision particulièrement désabusée - mais fondée - de l'Europe et de son avenir. Je ne pense pas que son analyse soit exacte en tous points, même si son jugement général sur l'Euroland, et sur le rôle joué par la France et l'Allemagne, me semble particulièrement pertinent. Sa conception d'une Europe aspirée par le vide est notamment très convaincante :

Le vide démographique, puisqu'elle s'apprête à perdre 54 millions d'habitants à l'horizon de 2050. Le vide stratégique, puisque le départ des troupes américaines n'a pas débouché sur un système de sécurité du continent alors même qu'il se situe à proximité immédiate de nombre des foyers de crise du XXIe siècle, des Balkans au Caucase en passant par le Proche-Orient, le Maghreb et l'Afrique. Le vide institutionnel, puisque les mécanismes de décision de l'Union ne sont ni légitimes ni efficaces. Le vide économique et social, avec l'enfermement dans la croissance molle et le chômage de masse à la notable exception du Royaume-Uni et des pays en rattrapage ou en transition. Le vide scientifique puisque 400 000 chercheurs européens travaillent aux Etats-Unis. Tout ceci s'explique et se traduit par un vide de sens et de projet : l'Europe, contrairement à l'Amérique du Nord et à l'Asie, a pour l'heure échoué à prendre la mesure et à apporter une réponse à la nouvelle grande transformation du capitalisme et de la démocratie sous le signe de laquelle débute le XXIe siècle.

Il apparaît difficile de contester l'immobilisme dans laquelle baigne une grande partie du continent européen. En revanche, Nicolas Baverez est à mon sens dans l'erreur quant à son jugement sur le conflit irakien, qu'il décrit curieusement comme "la chronique d'une défaite assurée face à l'alliance du nationalisme irakien et du fondamentalisme islamique", alors même que les deux sont précisément opposés. Comme de nombreux analystes européens, il tend ainsi à sous-estimer la force des idées sur l'évolution d'une planète que les échanges financiers, les flux démographiques ou l'équilibre des forces armées ne sont pas seuls à régenter. La conquête des esprits par l'entremise des valeurs libérales constitue certainement un aspect saillant de notre ère.

La conclusion de l'entretien apparaît ainsi comme une projection intellectuelle peut-être intéressante d'un point de vue historique, mais certainement décalée par rapport à l'évolution du monde :

L'Europe du XXIe siècle ressemble à celle du XIIIe siècle : elle est dominée par les Etats-Unis et l'Asie, comme elle le fut par les civilisations chinoises et musulmanes ; mais elle dispose d'une histoire et de ressources qui, mises sous tension entre des valeurs communes et la concurrence entre les intérêts des peuples et des Etats qui la composent, peuvent lui permettre d'inventer des formes politiques neuves, comme elle donna naguère naissance à la démocratie et au capitalisme en dépit des retards quelle avait longtemps accumulés.

A mon sens, c'est bien la disparition de l'Europe en tant qu'entité civilisationnelle propre que l'on devrait redouter. Et une simple réforme du marché du travail, certes indispensable, ne pourra guère provoquer le renouveau qui seul assurera la survie du continent tel que nous le connaissons.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h35 | Comments (2) | TrackBack

21 mars 2005

Europe : l'embargo chinois

L'éventuelle levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine occupe ces jours passablement d'esprits. Suite à la loi antisécession votée par Pékin, l'Europe a refroidi les espoirs chinois de voir la reprise rapide de l'exportation d'équipements et de technologies militaires, mais le principe reste acquis - notamment, on le sait, à l'insistance de la France. De son côté, Washington vient de réitérer par l'entremise de Condoleeza Rice son opposition à de telles ventes, en lançant un avertissement plutôt tranché. La situation laisse penser que l'Europe devra choisir entre la Chine et les Etats-Unis - ceux-ci étant largement soutenus en Asie sur cette question.

Sur le continent, les adversaires déclarés de l'Amérique considèrent la levée de l'embargo chinois comme allant de soi - en voyant dans cette décision un renversement stratégique dû à l'essor du nouvel Empire du Milieu qui semble surgir de l'Asie, par opposition à des Etats-Unis jugés voués à un rapide déclin. Cette perspective idéologiquement motivée vise ainsi à faire d'une initiative avant tout économique - l'industrie d'armement européenne a un besoin urgent de nouvelles exportations - le signe d'une réflexion de grande portée, dont les conséquences seraient même révolutionnaires. Les thuriféraires de l'Europe grande puissance ne manquent pas d'air...

Sur le plan militaire, l'éventuelle vente d'armes européennes à la Chine ne changerait que modérément l'équilibre de l'Asie. Les géants de la défense du continent ne manquent pas de produits susceptibles de vivement intéresser Pékin, qui s'efforce de moderniser ses armées pléthoriques pour en tirer une composante projetable à même de rivaliser avec ses ennemis potentiels (Taiwan, Japon, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde). Les avions de combat et leurs missiles (l'ensemble Rafale-Mica-Scalp), la défense contre avions et missile (Aster), les sous-marins conventionnels à propulsion anaérobie (Scorpène et autres) ou encore les systèmes de commandement digitaux sont par exemple des produits très performants. Mais le délai séparant leur vente éventuelle de leur mise en service à large échelle serait certainement suffisant pour que d'autres ventes permettent de rétablir l'équilibre.

Quelle que soit la qualité des produits européens, l'industrie de défense américaine reste en effet capable de fournir dans tous les domaines des produits au moins comparables - et les principaux rivaux régionaux de la Chine sont déjà ses clients traditionnels. En d'autres termes, les armées déjà hautement technologiques de Taïwan, de la Corée ou du Japon n'auraient aucune peine à intégrer de nouveaux équipements - surtout aériens et navals - en moins de temps qu'il n'en faudrait à la Chine pour pleinement exploiter ses nouvelles acquisitions. L'équilibre serait ainsi rétabli par la politique volontariste de Washington, mais toute l'Asie verrait l'actuelle course aux armements encore s'accélérer - par la "faute" de l'Europe.

L'affaire prend cependant tout son sens sur le plan moral. Le Figaro a publié aujourd'hui un appel écrit par trois dissidents chinois - qui vivent à Pékin... - et visant à dissuader les Européens de lever l'embargo mis en place au lendemain du massacre de Tiananmen. Ils expliquent que le Gouvernement chinois reste tout aussi tyrannique qu'en 1989, et que leur pays a besoin de démocratie et de liberté - et non d'armes sophistiquées qu'il opposera aux démocraties qui l'entourent. Et ces auteurs courageux ajoutent un paragraphe qui montrent combien les perceptions ont évolué dans le monde ces dernières années :

Nous éprouvons de la peine à l'écrire, mais pour beaucoup de citoyens chinois et d'intellectuels libres, l'Europe et la France, mère des droits de l'homme, sont sur le point d'abandonner leurs principes et leur humanisme pour des gains commerciaux à court terme. Pour nous Chinois, les vrais défenseurs de la démocratie se trouvent aujourd'hui de l'autre côté de l'Atlantique, aux Etats-Unis.

L'Europe ne va donc pas choisir entre Pékin et Washington, entre une puissance montante et une autre déclinante, n'en déplaise aux antiaméricains irréductibles. Elle devra choisir entre la tyrannie et la démocratie, entre le bénéfice pécuniaire et le bénéfice moral, entre le court et le long terme. Pour une fois, elle a la possibilité de montrer que la "puissance douce" peut être appliquée avec un effet politique tangible. Il sera intéressant de suivre la décision qui sera prise ces prochains mois.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h25 | Comments (13) | TrackBack

20 mars 2005

Irak: la guérilla aux abois

Deux ans après le début de l'opération Iraqi Freedom, les militaires américains sont unanimes à en tirer un bilan positif. Au-delà des aspects politiques ou économiques, la situation sécuritaire semble s'améliorer si l'on en croit les déclarations du commandant des Marines, reproduites dans le New York Times, sur les activités de la guérilla :

"The officer, Lt. Gen. John F. Sattler, head of the First Marine Expeditionary Force, said that insurgents were averaging about 10 attacks a day, and that fewer than two of those attacks killed or wounded American forces or damaged equipment. That compared with 25 attacks a day, five of them with casualties or damage, in the weeks leading up to the pivotal battle of Falluja in November, he said."

Ainsi, le nombre d'attaques sur tout le territoire irakien oscille désormais entre 40 et 50 par jour, le niveau le plus bas depuis une année. Les pertes en soldats américains sont également les plus basses depuis février 2004, et situent juste au-dessus d'un mort par jour si l'on écarte les causes de décès accidentelles. Ces chiffres restent par conséquent des indicateurs valables, et montrent que la guérilla sunnite ne réussit pas à augmenter le nombre et l'efficacité de ses actions. Qu'elle soit en perte de vitesse près d'une année après la première bataille de Falloujah - unique et éphémère succès à son actif - relève de l'évidence.

Cette évolution s'explique essentiellement par trois phénomènes. Premièrement, les offensives lancées par la coalition depuis septembre dernier dans le triangle sunnite ont sensiblement réduit les capacités de la guérilla (pertes d'hommes, d'équipements et de redoutes) tout en provoquant une récolte exceptionnelle de renseignements sur sa structure et son fonctionnement. Deuxièmement, le succès des élections et le processus politique en cours ont brusquement sapé la légitimité des violences dirigées contre les tenants du Nouvel Irak. Troisièmement, le renforcement constant des forces de sécurité irakiennes et l'officialisation de la lutte islamiste menée par des combattants étrangers ont diminué la volonté de combattre dans la communauté sunnite, en raison du sentiment nationaliste que partagent la plupart des Irakiens.

Si la guérilla antidémocratique est aujourd'hui aux abois, toutefois, cela s'explique également par le fait que les 2 principaux Etats qui la soutenenaient - l'Iran et la Syrie - subissent une pression croissante et sont contraints de réduire leurs activités en Irak. La position de force qui caractérise les Etats-Unis au Moyen-Orient, notamment grâce à leur forte présence militaire en Irak, leur permet d'isoler progressivement les insurgents et de les empêcher d'interrompre la transformation du pays. C'est donc une campagne de contre-insurrection réussie, pas encore gagnée mais en bonne voie de l'être, qu'ils mènent actuellement.

Je vois mal comment la guérilla sunnite est en mesure de renverser la tendance. Son caractère ultraminoritaire et sa localisation géographique précise l'empêchaient déjà de jouer un rôle majeur sur le plan national ; depuis les élections américaines, son principal espoir - influencer les populations occidentales pour provoquer le retrait de la coalition, et notamment des divisions US - est caduc pour quelques années au moins, alors que les élections irakiennes ont sanctionné l'absence de perspective derrière ses actions. L'hypothèse la plus probable, pour la suite du conflit, reste ainsi une lente agonie ponctuée de violences aussi ponctuelles qu'exacerbées. Une sorte de suicide hyperactif, largement dû à l'euthanasie stratégique exécutée par les Etats-Unis.

COMPLEMENT I (21.3 1630) : Cet article du New York Times, qui décrit la situation dans un quartier de Bagdad, fournit une perspective intéressante sur l'affaiblissement de la guérilla et le renforcement des forces de sécurité irakiennes.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h56 | Comments (11) | TrackBack

18 mars 2005

Les leçons de l'échec

Le rejet intégral du programme d'armement 2004, hier au Parlement, est un événement unique dans l'histoire de la défense nationale suisse. Comme le montrent les commentaires de la presse ce matin (on lira à ce sujet l'excellent éditorial de Thierry Meyer dans Le Temps), les contradictions des partis politiques et le blocage résultant des élections fédérales de 2003 sont clairement identifiés comme les causes du conservatisme réducteur qui s'opère au détriment de la politique de sécurité. En même temps, la remise en question des missions de l'armée que certains expriment par la bande n'a pas lieu d'être : la constitution est la base de ces missions, et seule une modification sanctionnée par le peuple peut être prise en compte par l'institution militaire. Les textes de loi et leur adaptation imposent une sagesse et une réflexion allant loin au-delà des pratiques actuellement en vogue dans la classe politique helvétique.

Pour l'armée, ce rejet ne constitue pas un échec (c'est avant tout celui de Samuel Schmid). Les arguments militaires qui fondent les objets du programme d'armement 2004, et notamment ceux liés à l'acquisition des 2 avions de transport Casa C-295M, n'ont pas été invalidés par le processus parlementaire. Bien au contraire : le pragmatisme et le professionnalisme exprimés notamment par le Chef de l'Armée fournissent un contraste marqué avec l'idéologie et l'amateurisme de certains partis, comme cette UDC qui propose à la sauvette un retour rapide du programme d'armement en juin pour sauver ce qu'elle a contribué à balayer. L'armée est certes otage des intérêts à court terme et prisonnière du devoir, mais cette servitude reste accessoire par rapport aux risques et aux menaces qui pèsent sur le pays et ses citoyens. Même le Conseil national devra un jour reconnaître que nous vivons dans un monde subissant les séismes de ses mouvements concentriques. Et il le fera, au dernier moment, comme toujours.

C'est la principale leçon qu'il faut à mon sens tirer de ce feuilleton risible, dont les épisodes se succèdent depuis l'été dernier : face à une classe politique incapable de voir plus loin que la législature en cours, le rôle central des militaires consiste à préparer l'avenir, à développer les savoir-faire et les capacités nécessaires aux missions futures. Le maltraitement des acquisitions doit être perçu différemment : au lieu de regretter les objets écartés il est vrai sans justification valable, il s'agit de considérer les investissements acquis comme autant d'atouts pour les crises et les conflits de demain. Parce qu'aucune mission urgente n'est désormais imaginable sans partenaire, civil à l'intérieur du pays et militaire ou civil à l'extérieur, l'armée doit comprendre que ses prestations constituent des monnaies d'échange susceptibles de combler ses lacunes. Aucune armée européenne n'a encore les moyens de tout faire sur un théâtre d'opérations donné. L'autonomie appartient au passé.

Les idéologues qui trônent au Conseil national auraient fait des crises d'apoplexie s'ils avaient vu les coopérations que la Task Force SUMA s'est assurée à Sumatra. D'une part, les antimilitaires invétérés qui peuplent la gauche - avec leurs slogans monolithiques, « priorité aux acteurs civils », etc. - auraient été atterrés par la collaboration sans faille qui a été établie entre la DDC et la TF SUMA, et par la complémentarité naturelle qu'elle a démontrée ; sur place, les coopérants du DFAE ont accueilli les militaires à bras ouverts, et l'urgence de la situation ne laissait aucune place aux scories idéologiques. D'autre part, les isolationnistes obtus qui peuplent une partie de la droite auraient été affolés par la collaboration que la TF SUMA était prête à mener avec d'autres armées en cas de situation aggravée ; le principe d'un échange de prestations opérationnelles avec les contingents américains, australiens, allemands et français a été accepté par les parties concernées, et serait entré en application sans le moindre état d'âme.

C'est une réalité qu'il convient de rappeler : le primat de la politique sur l'armée ne s'étend pas aux périodes durant lesquelles la sécurité collective dépend d'une action collective rapide et décidée, menée en coopération et exécutée sous commandement militaire. Les missions confiées aux militaires doivent être exécutées, et finissent par l'être d'une manière ou d'une autre. Que cette manière déplaise ensuite aux politiques ne sera que la conséquence de leur aveuglement.

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17 mars 2005

Le pouvoir de l'argent

Le site StrategyPage.com a publié hier une colonne de James Dunnigan consacrée au rôle de l'argent dans les conflits contemporains, et notamment à l'impact que des primes ou des compensations peuvent avoir sur les comportements et les loyautés. La campagne d'Afghanistan a montré combien des forces spéciales disposant d'une porte-monnaie bien garni - et d'un appui aérien rapproché conséquent, couplé à une logistique aérotransportée de premier ordre - pouvaient renverser l'issue d'un conflit et transformer un assemblage hétéroclite de milices rivales, à savoir l'Alliance du Nord, en un rouleau compresseur qui est venu à bout des Talibans, a privé Al Qaïda d'une grande partie de son infrastructure d'entraînement, et a obtenu le premier succès dans la guerre contre le terrorisme islamiste.

Cette dimension a naturellement existé de tous temps, et les services secrets l'exploitent sur une base quotidienne pour obtenir des renseignements ou faciliter des opérations clandestines ; la récente annonce des services russes qu'une prime de 10 millions de dollars avait permis l'élimination d'Aslan Maskhadov rappelle la normalité d'une telle pratique. Ce qui est nouveau, c'est que les armées doivent intégrer au quotidien le domaine financier dans leur action, et gérer des sommes parfois importantes pour influencer les esprits dans leur secteur d'engagement. A ce titre, l'argent constitue d'ailleurs une munition de choix en Irak, et les crédits d'urgence pour la reconstruction ont parfois fait des miracles (à Sadr City, le quartier de Bagdad attribué à la 1ère division de cavalerie US l'an passé, le nombre d'attaques hebdomadaires est passé de 160 à moins de 5 en l'espace de 6 mois).

Le caractère endémique de la corruption, dans de nombreux pays, rend d'ailleurs nécessaire la distribution de sommes parfois importantes sous peine d'indisposer ses interlocuteurs. A elle seule, la différence de pouvoir d'achat entre les puissantes économies occidentales et les pays émergents ou ravagés confère en outre une valeur disproportionnée à des sommes modestes. C'est une réalité dont le contingent suisse à Sumatra s'est rapidement rendu compte : l'argent liquide porté par les premiers détachements a permis assez rapidement de louer des installations et des prestations répondant à nos besoins, mais les mêmes montants auraient pu acheter n'importe quoi - des hommes, des renseignements, des véhicules, des maisons, des armes et des explosifs. On ne mesure pas le poids des devises fortes lorsque les taux de change officieux sont le double ou le triple de ce que les établissements officiels pratiquent.

Ce déséquilibre explique largement pourquoi les revenus gigantesques issus de la vente du pétrole ou du trafic de drogue sont tellement subversifs : ils fournissent à ses bénéficiaires un pouvoir localement équivalent à celui des plus riches Etats de la planète (notamment parce que les populations de ceux-ci rassemblent leurs principaux clients). La surenchère dans la mise à prix des dirigeants d'Al-Qaïda, pour les Etats-Unis, est autant une démonstration d'opulence qu'une volonté de capturer ou d'éliminer ses ennemis. Et la distribution routinière d'argent par leurs formations militaires en fait des acteurs économiques et politiques au-delà de leurs effets sécuritaires, à tel point d'ailleurs que les Provincial Reconstruction Team mis en place en Afghanistan présentent des parallèles indéniables avec l'action des troupes coloniales européennes au XIXe siècle.

L'argent reste naturellement un substitut, même dans son emploi militaire, et il ne peut à lui seul créer des capacités ou des volontés qui n'existent pas. En tant que tel, il joue cependant un rôle de multiplicateur de forces, et permet à une formation d'obtenir des effets similaires avec des effectifs ou des moyens moindres - et donc de réduire les frictions que ceux-ci engendrent. Là encore, rien de bien nouveau sous le soleil : les armées des grandes monarchies européennes avaient coutume d'emmener des fonds pour limiter leur encombrant bagage, en achetant sur place ce dont elles avaient besoin (une méthode à terme plus efficace que la réquisition). Mais un seul individu, doté des connaissances et des finances nécessaires, peut aujourd'hui tisser un réseau et développer des cellules combattantes au sein de n'importe quelle cité majeure.

Les idées restent probablement l'une des rares choses que l'argent ne peut pas acheter, et qu'il complète admirablement.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h45 | TrackBack

Avions : l'appel du CdA

On peut lire aujourd'hui, toujours dans Le Temps, un très bon article de Thierry Meyer retranscrivant un entretien que lui a accordé hier le commandant de corps Keckeis sur la question du programme d'armement 2004. Le Chef de l'Armée tente en effet de sauver ce dernier en acceptant d'écarter les 2 avions de transport Casa C-295M de la liste des achats, face à l'opposition purement idéologique du Conseil national. Cette intervention du premier soldat du pays montre l'urgence de la situation, et donc les conséquences qu'aurait le rejet de tout investissement militaire pour l'année écoulée.

Cependant, le CdA rappelle aussi qu'une renonciation aux 2 avions de transport ne saurait être que provisoire, et que les programmes d'armements demandés par l'armée et le Conseil fédéral découlent directement des missions confiées à l'armée par le Parlement et approuvées par le peuple. En d'autres termes, les planifications élaborées par les militaires sont l'application directe des décisions prises par la classe politique. Et le Chef de souligner à quel point le choix des avions de transport résultait d'une analyse approfondie des besoins et moyens futurs :

«Les missions de paix à l'étranger sont de plus en plus demandées par l'ONU, argumente le chef de l'armée. C'est la leçon la plus intelligente que l'on a tirée des guerres modernes. Or, nous Suisses jouons au poker en nous liant à des privés, qui transportent nos troupes, mais qui ne sont pas équipés ni autorisés pour la moindre situation de crise. C'est irresponsable. Avec les Casa C-295M, nous avions trouvé le moyen d'entrer dans la cellule européenne de transport militaire, solution pour remplacer l'acquisition d'avions plus gros que nos finances nous interdisaient. Tous les autres scénarios ont été examinés, ils sont inopérants ou beaucoup plus onéreux.»

Il peut être douloureux de constater qu'à notre époque, le travail sérieux et consciencieux de l'institution militaire est bafoué par l'opportunisme et le populisme d'une partie de la classe politique. Je pense cependant qu'il est nécessaire de prendre un peu de recul par rapport à ces médiocres péripéties. Le CdA a certes parfaitement raison d'essayer de sauver les meubles et de préserver pour l'armée les investissements indispensables à sa transformation. Toutefois, celle-ci ne doit pas perdre de vue que c'est le personnel, et non le matériel, qui représentant sa valeur principale. Et je ne vois guère aujourd'hui des efforts aussi intensifs pour préparer le personnel militaire aux défis futurs.

COMPLEMENT I (17.3 1000) : Comme prévu, le Conseil national a enterré le programme d'armement 2004 en repoussant la proposition de la commission de conciliation, tout comme d'ailleurs il a systématiquement refusé de suivre les propositions de sa propre commission de sécurité. C'est donc un dysfonctionnement majeur du pouvoir législatif qui se superpose à l'échec du Conseil fédéral et de l'armée. Il est maintenant temps de remettre à plat les compétences des uns et des autres et de modifier la procédure exceptionnelle qui entoure les crédits militaires. Quant aux objets demandés par l'armée en 2004, ils devraient fort logiquement revenir en 2005...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h52 | Comments (1) | TrackBack

16 mars 2005

L'agonie du Darfour

L'ONU a annoncé, dans l'indifférence presque générale, de nouveaux chiffres concernant le conflit au Darfour : ce sont à présent 180'000 personnes qui sont mortes depuis octobre 2003, et 10'000 autres décèdent chaque mois en raison des combats, de la maladie et de la famine. Une autre estimation parle de 380'000 morts. Le chef des urgences humanitaires de l'ONU, Jan Egeland, ne traite pas pour autant de "pingre" la communauté internationale, alors que celle-ci ne fait rien pour mettre un terme à un conflit prenant une dimension génocidaire.

Cette inaction a un caractère d'autant plus choquant lorsque l'on constate les efforts considérables déployés en Asie du Sud, et notamment à Sumatra, pour venir en aide aux victimes du tsunami. De facto, s'opposer aux excès de la nature exige bien moins de courage moral que faire face à ceux de l'homme, et pareille pétrification planétaire face aux crimes de milices stipendiées - et face aux menaces de veto chinoises - montre bien que le statu quo le plus désastreux reste souvent préféré aux risques du changement. Peut-être des images particulièrement fortes, c'est-à -dire insoutenables, obligeront-elles les Gouvernements à intervenir.

C'est dire que le pouvoir des médias pour inciter à l'action stratégique a une valeur neutre : tout dépend de son emploi.

COMPLEMENT I (18.3 1930) : Et voilà que l'ONU doit évacuer une partie du Darfour face aux menaces des milices janjaweed. L'impuissance finit immanquablement par se conjuguer à la honte.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h06 | Comments (3) | TrackBack

Les leçons du combat

Le site StrategyPage.com a mis en ligne hier un rapport d'évaluation de l'action (AAR) écrit par 4 sous-officiers des Marines sur les combats à Falloujah en novembre dernier. Ce document, ciblé au niveau du groupe d'infanterie et des fantassins individuels, décrit les leçons apprises dans les rues et les maisons de cette ville en fournissant un grand nombre de détails tactiques et techniques intéressants, comme la différence entre les deux types d'ennemis rencontrés (le guérillero et le martyr) ou les méthodes d'entrée et de nettoyage de bâtiments.

En soi, ce document destiné à être lu par le plus grand nombre ne diffère pas de leçons du même type qui existaient déjà au siècle dernier, durant les conflits mondiaux ou au Vietnam. Les armées tentent depuis longtemps de codifier dans des textes les enseignements de leurs engagements et de leurs opérations. En revanche, ce qui est nouveau, c'est la possibilité de diffuser instantanément et en-dehors des canaux officiels les expériences faites par autrui, et ainsi d'augmenter le savoir collectif et l'efficacité opérationnelle des unités.

Ce phénomène récent est pratiqué avec un succès remarqué au sein des Forces armées américaines. Des sites comme CompanyCommand et PlatoonLeader sont par exemple le fruit d'initiatives individuelles, et ils réunissent des officiers du même rang qui s'informent les uns les autres, répondent à des questions et fournissent des conseils. Dans une perspective plus large, les technologies modernes sont mises à profit par le corps des officiers américains pour procéder à une transmission du savoir sans équivalent dans l'histoire.

De telles initiatives doivent être appliquées au sein des armées européennes. En Suisse, je me suis souvent rendu compte que le corps des instructeurs affichait une certaine réticence à l'endroit des leçons apprises parce qu'il contournait le système officiel des règlements et des documentations ; un document rédigé par mes soins et complété par plusieurs camarades sur la fonction du commandant d'unité a par exemple été descendu en flammes par plusieurs commandants d'école, voici presque 4 ans, et réintroduit sous le manteau par un petit nombre d'officiers de carrière pour lesquels le texte était un appui à l'instruction.

L'emploi optimal de la technologie dépend toujours de l'état d'esprit, des valeurs et de la culture des hommes qui y ont accès.

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14 mars 2005

L'Iran, cible des exercices

Le Times de Londres a publié hier un reportage stupéfiant sur un entraînement à échelle 1 :1 des Forces armées israéliennes, simulant un raid aéroterrestre sur une installation d'enrichissement d'uranium située à Natanz, au sud de l'Iran. Il décrit avec de nombreux détails l'action offensive de forces spéciales israéliennes effectuant une entrée en force dans l'installation pour y placer des explosifs, en partie déguisés par les uniformes des Pasdaran iraniens, avant de quitter le secteur dans des camions placés au préalable par des agents des services de renseignements israéliens, puis de guider les bombes antibunkers larguées par des chasseurs-bombardiers F-15. Un exercice apparemment très réaliste, mené dans le désert du Néguev, dont le seul détail curieux semble l'emploi de chiens portant des explosifs pour s'infiltrer au plus profond de l'installation (ce qui suppose des plans complets).

Le premier réflexe analytique consiste naturellement à interpréter le tout comme un signal politique clair, enrobé dans une déception militaire. Effectuer une répétition d'une opération spéciale avec la présence ouverte de journalistes, qui plus est en identifiant les unités et les moyens utilisés, ne peut a priori avoir d'autre but que de dévoiler à la cible une partie des préparatifs en cours pour altérer ses décisions et son dispositif dans un sens favorable à une attaque complètement différente. Le plan décrit est d'ailleurs suffisamment classique dans sa conception pour ne pas entamer la sécurité opérationnelle d'une action vraiment fondée sur la surprise, et utilisant ces révélations comme une couverture. Un écran de mensonges pour protéger une vérité trop précieuse ; un grand spectre brandi à l'horizon pendant que des ombre se faufilent ailleurs!

En même temps, toute déception repose avant tout sur le doute, et rien ne permet d'exclure avec certitude que les préparatifs révélés ainsi au public ne sont pas une action militaire en préparation, ou du moins une variante opérationnelle en cours d'évaluation. Les Israéliens ont à réitérées reprises pratiqué la déception avec succès ces 50 dernières années, notamment avant la Guerre des Six Jours ou lors de l'opération spéciale menée sur l'aéroport d'Entebbe, et ils ont également subi les effets de la déception arabe lors de la Guerre du Yom Kippour. Leur maîtrise de l'acte consistant à tromper les autorise parfaitement à divulguer une vérité pour faire croire à un mensonge. Ce qui est certain, c'est que la pression exercée sur le régime des mollahs ne diminue pas !

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8 mars 2005

L'idéologie crasse du National

MEDAN - C'est une expérience assez étrange que de suivre à l'étranger un débat politique mené en Suisse sur un thème vécu au quotidien, et de le voir décrit en des termes et des arguments résolument éloignés de cette réalité. La décision du Conseil national ce matin de rejeter à nouveau l'achat de 2 petits avions de transports militaires, par 91 voix contre 79, peut être définie ainsi. Après avoir passé une moitié de la nuit à observer le chargement d'un avion de transport loué à une firme russe, au terme d'un engagement de l'armée suisse à plus de 10'000 km du pays, je suis bien placé pour apprécier l'utilité ou non des Casa C-295M demandés. Et ces dernières semaines ont encore renforcé ma conviction : nous avons absolument besoin d'avions de transport, avec 2 petits modèles pour commencer et développer notre savoir-faire, tout en obtenant une monnaie d'échange favorisant la coopération multinationale.

Les arguments avancés dans la chambre basse du Parlement pour s'opposer à cet achat relèvent d'une idéologie crasse, d'une collusion entre une droite isolationniste et une gauche antimilitaire qui se désintéressent de la réalité. Comme souvent depuis 5 ans, l'armée se retrouve confrontée à l'union de deux camps opposés, pour lesquels la sécurité est un argument électoral à condition d'être déformé et manipulé conformément à leurs idées préconçues. Les responsables politiques qui ont une nouvelle fois réussi à dégager une majorité négative au Conseil national auraient pu mettre à profit les dernières semaines pour s'intéresser à la mission de l'armée en Indonésie, et venir voir sur place les conditions opérationnelles qui justifient ou non l'investissement de 109 millions pour les Casa. Mais aucun d'entre eux n'a fait le déplacement de Sumatra. Ce qui ne les empêche pas de parler aujourd'hui avec une surprenante assurance.

Les uns affirment ainsi que l'armée n'a pas à intervenir hors des frontières, alors que l'opération SUMA vient de démontrer la nécessité d'actions militaires lors des crises les plus graves et l'importance de la solidarité internationale sur le terrain, et pas seulement sur les bulletins de versement. Il faut avoir vu le regard qui s'éclaire et l'espoir qui renaît sur le visage des réfugiés indonésiens, lors de l'arrivée des Super Puma dans les zones dévastées par le tsunami, pour mesurer à quel point cette mission était nécessaire. Il faut avoir constaté la destruction des voies de communication entre Banda Aceh et Meulaboh, avec près d'un million de personnes touchées, pour cerner l'importance vitale du transport aérien pour les victimes. Avec le recul, en ayant observé une petite partie des efforts déployés par la communauté internationale, je suis persuadé que la Suisse aurait eu honte de ne pas avoir engagé son armée - alors qu'elle en avait bel et bien la possibilité.

Les autres affirment certes que l'armée peut intervenir hors des frontières, mais que la location d'avions serait dans ce cas suffisante et permet des économies justifiées par l'état des caisses fédérales. J'aurais bien aimé que ces grands connaisseurs des transports aériens aient été présents ces derniers jours à Medan : l'Antonov AN-124-100 que nous avons chargé cette nuit aurait dû arriver le 6 mars et non le 8, et nous avons été avertis de ce retard au milieu de la semaine passée. La situation de crise due au tsunami est terminée, et les avions de transport font l'objet d'une demande normale, mais un contrat conclu à la mi-février a tout de même abouti à 2 jours de retard. Et des politiciens voudraient nous faire croire que des avions engagés à flux tendu au quotidien seraient instantanément disponibles en cas de crise, lorsque tout le monde en a besoin ? Nombreux sont les pays qui, comme la France ou le Canada, ont constaté voici 2 mois qu'il n'en est rien.

Encore faut-il savoir de quoi l'on parle en matière de location. Pour prendre une analogie avec le transport terrestre, les avions lourds tels que l'AN-124 sont comme des camions géants capables uniquement de rouler sur l'autoroute : il faut des pistes longues et bétonnées pour leur permettre d'atterrir. Afin de livrer les cargaisons au plus près des besoins, des camionnettes sont nécessaires, c'est-à -dire des avions capables d'atterrir sur des courtes distances et des terrains sans surface en dur. De tels avions ne sont pas disponibles à la location dans l'économie privée, car ils ne seraient pas assez rentables. Seules les armées en disposent, et la location de moyens militaires est une pratique très rare, indissociable d'un partenariat impossible à mettre spontanément sur pied. L'armée suisse a loué un Casa C-235 de l'armée espagnole durant l'opération ALBA ; un tel avion lui serait bien utile aujourd'hui pour appuyer ses contingents au Kosovo et en Bosnie, mais une solution de ce type est forcément limitée dans le temps.

En admettant que la Suisse en ait disposé, qu'aurait-elle fait avec 2 avions de type C-295M à Sumatra ? Les avions à hélices ne sont pas vraiment adaptés au transit intercontinental régulier : le Transall C-160 de l'Armée de l'Air française restant à Medan, réparé la semaine dernière, a par exemple décollé ce matin pour Orléans en prévoyant des escales à Colombo, Dubaï, Charm El-Cheikh et Héraklion (nos camarades français nous ont invité hier soir dans leur luxueux Novotel, et j'étais assis entre les 2 pilotes durant le repas ; cela aide à comprendre la manœuvre). La vocation de ces appareils est le transport intrathéâtre, en assurant la liaison entre de grands aéroports et des aérodromes plus modestes, au besoin utilisés comme base opérationnelle avancée par un contingent national. Des Casa suisses auraient fait merveille à Sumatra, comme les 3 Casa déployés par l'Armée de l'air espagnole, dans le transport entre Medan et Banda Aceh, et ils auraient permis de positionner les Super Puma au plus près de la zone de crise en assurant l'approvisionnement du contingent.

Il faut espérer que le Conseil des Etats reste fidèle à son choix. Les enjeux sont simples : l'armée suisse ne peut pas mener d'opérations à l'étranger avec un bref délai de réaction sans posséder ses propres avions de transport. Savoir si cette capacité est une option stratégique à développer devrait faire l'objet du débat politique, et non les allégations aux relents d'idéologie passéiste qui sont actuellement proférées au Palais fédéral.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h14 | Comments (8) | TrackBack

20 février 2005

La maîtrise du français

On peut lire aujourd'hui dans Le Matin un entretien mené avec Marinette Matthey, une sociolinguiste (le bestiaire académique ne laisse pas de surprendre) enseignant notamment à l'Université de Lausanne, qui dédramatise les lacunes constatées dans la maîtrise du français chez les étudiants, notamment en affirmant qu'elles prouvent la nature vivante de la langue et que les correcteurs orthographiques permettront à l'avenir de remédier largement au problème. A l'en croire, rien de tout cela n'est inquiétant :

Aujourd'hui, les élèves et les étudiants écrivent davantage comme ils parlent. Ils ne se rendent pas compte que l'écrit nécessite le passage à un mode d'expression différent. Mais, à mon avis, ils en ont les moyens. Il suffit de les rendre attentifs à cette contrainte.
[...]
De nos jours, on accorde moins d'importance à l'orthographe et à la grammaire, pour se concentrer sur l'argumentation, sur la cohérence textuelle. Qui se soucie aujourd'hui qu'un e-mail soit mal écrit?
[...]
Si j'estime que certains travaux de mes étudiants sont mal écrits, c'est souvent parce que je ne les comprends pas du premier coup! Alors je leur demande de reformuler, de dire autrement, de prendre soin du lecteur, en quelque sorte... et on finit par se comprendre. L'incompréhension fait partie de la communication.

Dans un éditorial enflammé que Le Matin publie le même jour, Michel Danthe fustige l'irresponsabilité de ces propos en termes particulièrement durs, puisqu'il estime urgent de mettre "hors d'état de nuire ou de sévir" Marinette Matthey et consorts. Son argument central réside dans le fait que l'écrit reste un facteur décisif dans bien des étapes professionnelles, et que renoncer à sa maîtrise aboutit à "envoyer allégrement au casse-pipe des milliers d'élèves". Un point sur lequel je partage son avis, même si Michel Danthe aurait gagné à être moins ambigu dans son jugement sur la sociolinguiste qu'il prend pour cible (on croirait lire un appel au meurtre...).

Un angle différent m'intéresse au sujet du français : leur emploi au sein des armées. La langue est en effet un outil en plein essor dans la planification et la conduite des opérations militaires, car la mise en réseau des formations et la multiplication des systèmes informatiques font de la distribution générale des données écrites la méthode de communication la plus efficace. Et quand Mme Matthey affirme que l'incompréhension fait partie de la communication, j'ai le poil qui se hérisse : la langue écrite est justement le meilleur mode de communication pour éviter confusions et malentendus, hors des facteurs émotionnels qui caractérisent la communication audio-visuelle.

Prenons un exemple simple et concret : l'ordre d'opération de l'armée suisse pour le déploiement et l'engagement d'un contingent interforces à Sumatra prend une cinquantaine de pages, entre l'ordre principal et ses 14 annexes. Ces documents, qui ont été distribués à plusieurs dizaines d'exemplaires, règlent de manière très détaillée une opération complexe, avec des chiffres et surtout des mots précis ; le sens de ceux-ci, ainsi que leur utilisation correcte, doivent être connus de tous les destinataires. Par exemple, un document en français règle la collaboration entre le détachement suisse et le détachement français à Sumatra, et définit exactement les prestations réciproques. La moindre confusion est proscrite de tels ordres.

En Suisse, les officiers d'état-major général apprennent que soigner dans le moindre détail la forme d'un texte, qu'il s'agisse de l'orthographe, de la grammaire, de la syntaxe ou du respect des prescriptions appliquées aux documents militaires, est indissociable de la précision et de l'exactitude de leur contenu. L'action d'écrire représente un effet un processus intellectuel central pour expliquer, structurer, articuler, vérifier, et finalement communiquer avec efficacité. Se tromper dans un ordre ou dans un message écrit, selon la situation, peut coûter des vies. On espère que la sociolinguiste distinguée prônant le recours aux correcteurs orthographiques imagine davantage l'emploi concret d'une langue, dont l'élégance mérite de toute manière un minimum d'efforts.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h55 | Comments (15) | TrackBack

17 février 2005

Les soldats du 3e âge

Cet article de Stars & Stripes sur la mobilisation de réservistes et le réengagement de vétérans particulièrement âgés par l'US Army, en vue de les déployer en Irak, mérite le détour. Ce n'est pas la première fois que ce phénomène est signalé : on trouve dans les troupes américaines engagées en Irak un certain nombre d'officiers et de sous-officiers supérieurs qui ont servi au Vietnam, voici environ 35 ans. Demander à un officier de 69 ans de passer quelques mois à Bagdad, en temps que chirurgien des yeux, n'est certainement pas commun. Cependant, cette réalité peut donner lieu à deux interprétations complémentaires, qu'il vaut la peine de distinguer.

D'un côté, ce recours à des hommes âgés de plus de 55 ans, pour des fonctions autres que le commandement, est la preuve de pénuries aiguës en matière de personnel. Plusieurs fonctions-clefs dans le domaine sanitaire ne sont ainsi pas couvertes par les formations d'active et de réserve américaines, qui doivent faire appel à des hommes figurant sur des listes pour le moins anciennes. Les besoins des troupes engagées dans un conflit de basse intensité exigent clairement une articulation différente du personnel que pour un conflit de haute intensité, et l'US Army est obligée de recourir à des solutions limites pour combler les manques. Cela rappelle que rester scotché à la guerre froide a un prix.

D'un autre côté, cette disposition d'hommes âgés à partir en mission indique une mobilisation populaire intéressante : le fait que plus de 12'000 vétérans libérés de toute obligation militaire se soient portés volontaires depuis le 11 septembre 2001 est la preuve d'un mouvement profond, d'un patriotisme bien vivant au sein de la société américaine. Et si l'article de Stars & Stripes se focalise sur 2 médecins, dont les carrières civiles sont également prolongées, il révèle également une activité et un volontariat qui peuvent surprendre de la part d'hommes ayant largement atteint ou dépassé la cinquantaine. La population active reste le moteur d'une nation.

De manière générale, l'âge est un critère important dans les opérations militaires : les armées ont souvent trouvé un bon équilibre en ayant des commandants relativement jeunes et des aides de commandement relativement âgés, alors que l'inverse crée des conditions favorisant les catastrophes. Sauf erreur (je cite de tête), Gamelin avait 69 ans en 1939 [en fait, 68], ayant été chef d'état-major de Joffre 25 ans plus tôt, alors que son successeur Weygand en avait 73 (lui-même CEM de Foch) ; Itzhak Rabin avait 42 ans comme chef d'état-major général lors de la Guerre des Six Jours [c'est faux : il avait cet âge lorsqu'il a été nommé à son poste, 4 ans plus tôt] ; le général Gavin commandait à 36 ans la 82e division aéroportée ; et ne parlons pas de Napoléon ou de Hoche.

A l'inverse, Guisan avait 65 ans lorsqu'il a été élu général, même s'il paraissait "extraordinairement jeune" à l'Assemblée fédéral ; MacArthur avait plus de 70 ans [plutôt exactement 70 ans] lorsqu'il a pensé la manoeuvre d'Inchon en Corée, et Patton était l'un des généraux américains les plus âgés de la Seconde guerre mondiale, mais tous deux avaient une énergie hors norme. Et ces 3 officiers généraux avaient surtout une pensée très moderne lorsqu'ils sont arrivés au commandement d'une armée en temps de guerre. Autrement dit, l'âge n'est pas un handicap lorsqu'il fournit expérience et sagesse à un individu qui n'a cessé de grandir et d'apprendre sa vie durant.

COMPLEMENT I (19.2 2240) : J'ai vérifié les chiffres ci-dessus et apporté quelques corrections. On peut également ajouter d'autres exemples : lors de son entrée en fonctions comme chef de l'état-major impérial britannique, durant la Seconde guerre mondiale, le général Alan Brooke avait 59 ans ; lors de sa nomination au poste de Commandant de la Flotte du Pacifique, l'amiral Chester W. Nimitz avait 56 ans.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h17 | TrackBack

16 février 2005

Les défis de l'asymétrie

Tel est le titre d'un article écrit par le chef d'escadron Jean-Christophe Bechon et publié par Défense Nationale dans son numéro de février 2005 (non disponible en ligne). L'auteur vise à définir différentes catégories d'asymétrie, dans ce qu'il nomme des systèmes, avant d'en déduire les tactiques les mieux adaptées pour les outils militaires conventionnels, et notamment en France. De la sorte, il confirme l'intérêt que les armées vouent aux conflits de basse intensité impliquant des acteurs non étatiques, et donc l'importance des réflexions visant à adapter les effets obtenus par l'emploi des forces.

Ce texte définit trois types de systèmes asymétiques en fonction de la logique qui les anime : les systèmes de prédation, dont le but est avant tout financier et qui sont illustrés par la criminalité organisée ; les systèmes revendicatifs, dont le but est politique - prendre le pouvoir - et qui regroupent aussi bien les groupes terroristes que les milices ethniques ou les forces paramilitaires ; enfin, les systèmes subversifs visent à détruire tout ensemble de valeurs qui s'oppose à son idéologie, et dont les acteurs, nous dit l'auteur, peuvent être les mêmes que dans le système précédent. Cette articulation, axée sur les intentions et non sur les moyens, est intéressante dans le sens où elle va au-delà des apparences ; cependant, sa prémisse de départ est subjective et erronée, car l'asymétrie est une relation entre deux acteurs, et non un système : dans l'espace cybernétique, comme l'explique par exemple Jacques Baud, les relations sont essentiellement symétriques.

La compréhension incertaine du phénomène est ainsi soulignée lorsque Jean-Christophe Bechon écrit que l'asymétrie « naît d'un sentiment d'injustice ou d'oppression, rationnel ou non. » Il s'agit là d'un raccourci dangereux : il n'existe pas uniquement un lien entre les enjeux et les actions, qui dépendent étroitement des ressources (Clausewitz décrivait cela en termes de fins, moyens et voie ; ces mots sont d'ailleurs repris tels quels dans la doctrine de planification opérative de l'OTAN - voir AJP-3). En revanche, l'auteur a pleinement raison lorsqu'il affirme que les chefs militaires doivent en permanence garder à l'esprit l'état final recherché de leur action : c'est bien la situation à attendre au terme d'une opération, et non la seule lutte contre les acteurs asymétriques, qui détermine le volume, l'articulation et l'emploi des forces. Le Small Wars Manual des Marines explique par exemple que c'est la proportion de soldats par rapport à la population civile, et non par rapport aux ennemis, qui est décisive dans une contre-insurrection.

Le chef d'escadron Bechon cite ensuite des modes d'actions définis par une étude du CSEM, d'une part défensifs (contrôler, protéger, sauvegarder, rassurer, secourir) et d'autre part offensifs (isoler, entraver, conquérir, désarmer, subvertir, saisir, décapiter), pour faire face aux situations d'asymétrie, et permettre aux forces d'abaisser en définitive le niveau de violence. Il remarque cependant que l'action militaire doit nécessairement être intégrée à l'action globale de l'Etat et faire partie d'une stratégie qui imbrique les acteurs politiques, économiques, juridiques, policiers et militaires ; c'est là le Graal stratégique de la pensée contemporaine, codifiée dans les règlements des armées mais épouvantablement difficile à appliquer : concevoir l'action au plus haut niveau comme la synchronisation de plusieurs lignes d'opération - politique, économique, sécuritaire et sociétale - en vue d'atteindre un état final recherché.

Les barrières administratives et la présomption des spécialistes - diplomates ne jurant que par la discussion et la négociation, économistes résumant tout en masses monétaires et échanges commerciaux, etc. - sont ainsi un obstacle majeur à une telle vision. La linéarité des formations professionnelles s'y oppose également. L'auteur explique d'ailleurs crûment ce que l'avenir devra apporter :

Face à l'asymétrie qui prolifère loin de nos frontières, mais dont les effets se font sentir sur notre territoire, il faudra bien que nous parvenions à mener des actions où la Défense, les Affaires étrangères, l'Economie et l'Intérieur marchent main dans la main.

On fera juste remarquer à notre camarade français que l'asymétrie prolifère tout autant sur le sol de sa patrie, et que ce phénomène devrait l'inquiéter encore davantage - et renforcer son appel à une action stratégique conçue et synchronisée au plus haut niveau, avec pour les militaires la nécessité de penser interforces (interarmées en France), intercantonal (interdépartemental), interdépartemental (interministériel) et international. En même temps, comme Défense Nationale est une revue officielle, sanctionnée par les plus hauts échelons militaires, on comprend que tout ne peut pas y être dit!

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15 février 2005

Le fil renoué d'Ariane

Le lancement réussi d'Ariane-5 ECA, samedi dernier, n'est pas seulement la confirmation que la version lourde de la fusée européenne constitue une prouesse technologique. Il permet également de relancer la stratégie spatiale européenne, durement touchée par l'échec du lancement précédent, et de remettre Arianespace sur la direction des chiffres noirs, voire des bénéfices. L'époque où les Ariane 4 étaient tirées à la chaîne en effet s'éloigne : la concurrence des fusées américano-russes - les joint-ventures conclus par Lockheed-Martin et Boeing avec des partenaires russes - rend nécessaire la mise au point d'un lanceur lourd, capable de mettre en orbite des charges à 15 dollars le gramme.

Cependant, l'importance stratégique d'Ariane-5 ECA dépasse les seuls intérêts économiques : comme l'a montré le lancement du satellite d'observation Hélios IIA, en décembre dernier, l'existence d'un lanceur spatial à la fois flexible et confirmant est la condition sine qua non pour participer à la maîtrise de l'espace militaire, c'est-à -dire de l'emploi de la zone orbitale à des fins sécuritaires. Si l'usage commercial et pacifique de l'espace est géré au mieux par des incitations économiques et des activités privées, les Etats doivent en revanche conserver le contrôle d'une dimension qui est devenue essentielle depuis plus de 15 ans à la conduite des opérations militaires, et depuis presque un demi-siècle à l'acquisition du renseignement. La défense antimissile ou les satellites GALILEO en dépendent.

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14 février 2005

Des porte-avions virtuels

Un éditorial du Daily Telegraph se penche sur la question lancinante des 2 grands porte-avions promis à la Royal Navy, et qui restent toujours à l'état de projet. Prévus pour entrer en service respectivement en 2012 et 2015, à l'issue d'un programme de construction mis en commun avec la France qui cherche à compléter le Charles-de-Gaulle, ces deux navires ont reçu un nom provisoire : HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales. Mais cela ne garantit en rien leur lancement, puisque les difficultés financières du Ministère britannique de la Défense l'amènent à réduire constamment ses investissements :

Sadly, there is not much prospect of the super-carriers having enough escorts either. Another handful of frigates and destroyers have been cut, so the Royal Navy now has just 28 afloat, half the number it had at the time of the Falklands. Assuming a typical carrier battle group has at least six escorts, the Navy will be stripped bare to provide the minimum support, once these ships are supposedly at sea from 2012 onwards.
All this points to the really serious question: can we afford them? The initial cost estimate, now six years old, was that the carriers would cost £3 billion, plus their air complements. In theory, we should be able to find the money. After all, Britain is the world's fourth largest economy and a global trading nation. The trouble is that, over the past decade, the defence budget has been halved in real terms by both the Conservatives and Labour, to just 2.4 per cent of GDP.

La fière marine de Sa Majesté, qui régnait sur les océans aux XIXe siècle, n'a donc plus vraiment les moyens de s'offrir deux des bâtiments principaux de notre époque - alors que la Chine en construit probablement trois, que l'Inde en construit également un, et que les Etats-Unis en conservent pas moins de 24, entre des porte-avions géants sans rivaux et des navires amphibies qui ont le même déplacement que le seul PAN français. Certes, la situation au niveau européen fournit une perspective un peu différente : en supposant la concrétisation des projets actuels, dont les navires polyvalents construits en Espagne et en Italie, l'Europe devrait disposer de 8 porte-avions en 2015, soit 4 grands et 4 petits.

Mais la chute prolongée des budgets militaires européens - à l'exception notable de la France - est moins due à une volonté d'ignorer la puissance militaire qu'à une incapacité de la financer. On voit mal comment un renversement de cette tendance pourrait se faire sans une transformation et une redynamisation complètes de nos sociétés.

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Le retour des petites guerres

Le Corps des Marines américains vient de rendre publique [en fait, c'est la version finale qui vient de sortir, je me suis trompé] la première version d'un règlement consacré aux « petites guerres », c'est-à -dire les conflits de basse intensité qui aujourd'hui sont la règle, en procédant de la sorte à une révision du Small Wars Manual de 1940. Rédigé parallèlement aux travaux de l'US Army sur la contre-insurrection, ce document signale une reconnaissance historique : les troupes terrestres américaines admettent enfin que le combat symétrique de haute intensité ne représente plus leur activité centrale, et acceptent d'adapter leur doctrine, leurs principes, leurs tactiques et leurs procédures au combat asymétrique. La chose pourrait sembler aller de soi, mais la culture militaire américaine reste largement axée sur la bataille frontale et décisive ; les leçons de l'une des principales erreurs opératives du Vietnam - mener la guerre que l'on doit, et non celle que l'on veut - sont donc bel et bien tirées.

Ce document rappelle que l'attentat suicide du 23 octobre 1983 à Beyrouth, qui avait entraîné la mort de 241 Marines, a été le déclencheur de cette mutation des esprits ; à l'époque, les Marines posaient la garde au Liban avec des armes sans munitions, parce qu'ils n'étaient pas « en guerre ». Comme toujours, les armées paient leurs erreurs dans le sang, et la définition des petites guerres de 1940 a été réapprise à l'aune de l'échec :

"!small wars are operations undertaken under executive authority, wherein military force is combined with diplomatic pressure in the internal or external affairs of another state whose government is unstable, inadequate, or unsatisfactory for the preservation of life and of such interests as are determined by the foreign policy of our Nation."

Les conflits de basse intensité occupent une place centrale dans la pensée militaire moderne, mais leurs particularités peinent à être intégrées dans des méthodes qui restent axées sur le combat traditionnel. Elles constituent pourtant une phase décisive de toute coercition armée, car elles mènent directement à l'état final attendu, et considérer la phase de haute intensité qui les parfois précède comme décisive est la seule erreur majeure que les planificateurs américains ont commise avec l'opération Iraqi Freedom : concevoir le renversement de Saddam Hussein comme un but en soi, et non comme un point décisif à atteindre pour autoriser la stabilisation de tout le pays. De plus, une petite guerre est tout aussi importante qu'une grande, car elle peut occasionner en cas d'échec une élévation des enjeux précipitant l'escalade et l'extension du conflit.

Ce manuel décrit avec précision ces aspects. Il explique également pourquoi ce type de guerre forme un combat aux points, et non un affrontement autorisant un k.o. rapide :

Whenever possible in an asymmetrical conflict, the "lesser" power will seek to frame the activities to neutralize the advantages of mass, scale, and superior economic output of the "greater" power. Specifically, adversaries will avoid fighting on terms that will attrite them into submission by overwhelming force, or by the short-lived effects of a rapid precision strike campaign. This approach can mean that small wars are potentially long wars, making pre-determined exit strategies and rigid timetables unrealistic and counterproductive.

Les réflexions du Corps des Marines forment ainsi une rupture avec les concepts futuristes élaborés durant les années 90, et appliqués avec enthousiasme par l'Air Force ou par la Navy dans le sens d'une technologie sans cesse plus complexe et performante. C'est précisément parce que l'avantage des forces armées américaines dans une guerre conventionnelle ne cesse de croître que ce type de conflit est devenu de moins en moins probable :

Just as our preeminent large-scale conventional and nuclear capabilities of the 20th century pushed warfare to guerrilla and insurgency warfare, so the information, sensing, and strike capabilities of the 21st century will push the inevitable conflict of this century toward small wars. In these small wars, we may be forced to fight on terms far removed from our traditional way of war where massive firepower and mass production trumped all other capabilities.

Ce manuel comprend nombre de conceptions qui témoignent d'une compréhension approfondie de la nature même des conflits contemporains, et également d'une analyse détaillée des opérations en Irak, en Afghanistan et ailleurs. L'une des plus intéressantes est celle consistant à adopter une articulation matricielle pour décrire les belligérants modernes : des structures éphémères rassemblant des individus et des groupes divers pour une tâche ou un effet donnés. De même, le manuel fait référence à la notion de « lawfare », soit l'usage du droit comme d'une arme - et donc l'avènement d'une classe d'avocats-combattants. Il s'agit donc d'un matériel doctrinal de première qualité, d'autant plus qu'il aborde successivement le problème des petites guerres pour les trois niveaux classiques de la guerre - stratégique, opératif et tactique.

Je ne saurais conclure sans citer un paragraphe qui montre à quel point ce document intègre la dimension sociétale des guerres modernes :

It is our digital culture that makes ours an impatient culture. We want clear results, and we want them now. Fast food and breaking news are our sustenance. Patience is not our cultural virtue, and working in an uncertain environment with fog and deception leads to our critical vulnerability in small wars: resolve. The greatest and most significant danger we have in entering a small war is the potential for an asymmetry of wills.

Une telle conscience de ses propres faiblesses, lorsqu'elle est communiquée à tout un corps d'officiers appelés à mener une guerre longue et difficile, devient une force stratégique.

COMPLEMENT I : Comme me l'a fait remarquer Alain-Jean Mairet par courrier, le lien fourni au début de ce billet pointe vers la version finale de ce manuel, qui est à la fois plus pratique et moins percutante que le draft, dont sont d'ailleurs extraites les citations susmentionnées. Le contenu est globalement repris, mais on sent une relecture un peu politiquement correcte du premier jet...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h32 | Comments (9) | TrackBack

12 février 2005

Pourquoi la démocratie ?

L'historien militaire américain Victor Davis Hanson, connu pour certains livres remarquables (j'ai lu Carnage & Culture ainsi que Ripples of Battle), se livre à une énumération des 10 raisons pour lesquelles il est nécessaire de soutenir la démocratisation du Moyen-Orient. Sa conclusion consiste à dire que la démocratie est tout simplement la dernière chance :

Democracy was not our first, but rather our last choice in the Middle East. For decades we have promoted Cold War realpolitik and supported thugs whose merit was simply that they were not as bad as a murderous Saddam or Assad (true enough), while the Arab world has gone from kings and dictators to Soviet puppets, Pan-Arabists, Islamists, and theocrats. Democracy in some sense is the last chance.

Lisez le tout, l'homme le mérite.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h20 | TrackBack

10 février 2005

Les élections en Arabie

Nettement moins médiatisées que celles ayant récemment eu lieu en Irak et en Palestine, les élections en Arabie Saoudite méritent néanmoins une attention certaine, puisqu'elles montrent un début de transformation au royaume des pétro-dollars. L'analyse d'Amir Taheri, publiée dans le New York Post (un "affreux tabloid" conservateur de Rupert Murdoch, qu'aucun correspondant de presse européen et aucun résumé du Courrier International ne va donc citer), consiste à dire - sur place - que ce scrutin est un événement majeur. Même si les femmes en sont exclues :

A taboo has been broken. Even until a year ago, all talk of elections was regarded as almost sacrilegious here. Muslim societies, it was argued, have no need of elections (which imply competition among individual believers). Rather, they can do well with the tradition of shura (consultation), whereby the man in charge sounds out all those with the greatest expertise in any matter and then makes the best decision, endorsed by the most learned of the theologians. There is no need, in this view, to allow every Tom, Dick and Harry a say in decisions that affect the whole community.
The elections deal a blow to that doctrine. They represent at least implicit recognition of a basic principle of democracy: All citizens are entitled to a say in decisions that concern their lives. (The exclusion of the female half of the citizenry this time around does not erase this point.)

Une lecture instructive sur la force de la démocratie, et une preuve supplémentaire des effets de la stratégie américaine depuis le 11 septembre 2001.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h24 | Comments (3) | TrackBack

9 février 2005

Les recrues à l'amende

Le Matin consacre aujourd'hui un article au cas d'une recrue servant actuellement à Payerne, et qui pour un retard de 20 minutes s'est vue infliger une amende de 200 francs ; un autre cas est mentionné, avec une amende de 300 francs pour un retard manifesté à la diane. Malheureusement, le journaliste ne donne pas ou n'a pas pu donner la parole au commandant d'unité qui a puni ces jeunes hommes, de sorte que la version de ceux-ci - et ses relents de victimitude tellement convenus - doit être pris avec des pincettes. Il n'en demeure pas moins que ces cas découlent de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal militaire, qui accorde aux commandants la possibilité d'infliger des amendes et des privations de sortie, en plus des 3 punitions existant précédemment - soit la réprimande, les arrêts simples (incarcération uniquement en-dehors du temps de travail, qui n'existe plus) et les arrêts de rigueur (incarcération permanente).

J'ai pris connaissance de cette modification durant mon stage de formation au commandement I en décembre 1999 (anciennement école centrale I, une instruction théorique de 4 semaines pour les commandants d'unité, organisée et conduite par les Grandes Unités dans l'Armée 95), lorsque le projet nous a été présentés par des représentants de la justice militaire. Parmi les quelque 60 commandants présents dans la salle cinéma de Chamblon, puisque la division de campagne 2 et la brigade blindée 1 avaient fusionné leur stage pendant les 2 premières semaines, la plupart - et moi le premier - avaient fait preuve d'un scepticisme marqué. J'avais même pris la liberté de demander quel était l'objectif de cette réforme, et je m'étais alors heurté à un silence un peu gêné, puis des explications plutôt confuses. En fait, cette réforme du CPM vise avant tout à offrir des punitions mieux graduées dans la besace disciplinaire du commandant.

Notre principale opposition aux amendes provenait de ce qui semble mis en évidence dans l'article du Matin : les soldats ne sont pas égaux devant les ponctions financières, et des amendes de plusieurs centaines de francs peuvent poser des problèmes majeurs à des militaires en situation financière difficile, ou rester totalement indolores pour ceux qui au contraire connaissent une situation aisée. Un rééquilibrage des amendes en fonction des ressources pécuniaires des fautifs, à supposer que toutes les informations nécessaires soient légalement et matériellement disponibles, constituerait un non sens parfaitement injuste. En principe, un commandant doit relativement bien connaître les militaires peu fortunés de son unité, et donc pouvoir adapter la sanction à la personne, mais uniquement après un certain temps ; et cela ne résout que la question de la solvabilité du fautif, pas le problème de l'égalité face à l'amende.

Je pense que la révision du CPM part d'une intention louable, qui peut trouver une application utile dans certains cas précis. Mais elle peut également compliquer la tâche du commandant au lieu de la faciliter. En ce qui me concerne, ayant ouvert une quarantaine d'enquêtes disciplinaires en tant que commandement de compagnie (dans les écoles, jamais en service d'instruction des formations) et donc infligé plus d'une centaine de jours d'arrêt (dont une fois 15 jours d'arrêt de rigueur pour consommation de stupéfiants avec récidive), j'étais largement satisfait par l'ancien système. Si j'ai l'honneur un jour de commander un bataillon, je me poserai peut-être la question en des termes différents...

COMPLEMENT I (10.2) : Le Matin poursuit sur le sujet, ce qui est suffisamment rare pour être souligné, en annonçant que l'armée a infligé un total de 200'000.- d'amendes entre mars et décembre 2004. Le lecteur n'a toujours pas droit à la version du commandant d'unité pour le cas cité hier, mais le chef de la communication de la Défense, Philippe Zahno, rappelle judicieusement que ces amendes ne font guère de vagues : 4 recours sur 640 cas ont été dénombrés. Evidemment, comme toujours avec les rentrées faites par l'armée (comme après Air 04), les fonds vont directement dans la caisse fédérale...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h24 | Comments (3) | TrackBack

Le prix de la victoire

Il devient aujourd'hui extrêmement difficile de nier qu'Israël a gagné la deuxième Intifada, et donc une nouvelle guerre contre ses voisins arabes : la relance spectaculaire du processus de paix, favorisée par l'élection modeste mais claire de Mahmoud Abbas, n'aurait jamais eu lieu si les Palestiniens n'étaient pas majoritairement habités par un sentiment d'épuisement et de lassitude qui sape leur volonté de combattre. Malgré la conscience effarouchée de certains journalistes à l'endroit d'un tel jugement, l'usage offensif et ciblé de la force armée s'est révélé la solution : en un peu plus de 4 ans, il a permis à Israël de mettre au point des tactiques (élimination aérienne ou terrestre de leaders terroristes, raids mécanisés en milieu urbain) et des dispositifs (barrière de séparation, multiplication des checkpoints) contre lesquelles les Palestiniens sont totalement impuissants. La logique paradoxale du conflit a été rompue : cette phase du conflit israélo-palestinien s'achève par une victoire sans appel. Mais il est temps pour les Israéliens de se préparer à la prochaine phase.

Dans un pays où la normalité reprend ses droits, il sera en effet difficile de préserver le degré de mobilisation qui a forgé le succès israélien. Le temps n'est pas loin où la menace des attentats suicides sera suffisamment distante pour réduire les enjeux perçus par le public, et donc la légitimité des actions effectuées par les forces de sécurité. Progressivement privée de bombes humaines à désamorcer et de redoutes terroristes à nettoyer, Tsahal reprend l'image d'un Goliath omniprésent, impassible et haï ; en retrouvant un rapport du fort au faible, et non plus du fort au fou, le conflit peut fort bien repasser de la dissymétrie à l'asymétrie, au fur et à mesure que la population israélienne ne s'estime plus uniformément mise en péril, et donc que la validation morale des mesures de sécurité diminue. Tel est le prix de la victoire pour l'Etat d'Israël : la mise hors combat - littéralement - de ses principaux ennemis le rend plus vulnérable à la division, à la subversion, aux pressions et aux contradictions. Avec le risque de créer des conditions menant directement à une nouvelle offensive palestinienne, après une pause de quelques mois ou quelques années - conformément d'ailleurs à la signification du mot « hudna ».

De nombreux Israéliens croient déjà revivre le cauchemar d'Oslo : l'obligation de mener des négociations de paix difficiles, avec des dirigeants affaiblis, en subissant des attaques terroristes pas assez nombreuses ou visibles pour justifier la fin d'un processus factice. Nous n'en sommes pas encore là , mais la brutale diminution des attaques et des accrochages ne doit pas faire oublier que l'affrontement est inéluctable aussi longtemps que l'on programmera les esprits à nier le droit de l'autre à l'existence, ce qui reste flagrant dans la société palestinienne. L'inclination naturelle des êtres humains pour la normalité risque rapidement de faire oublier aux Israéliens la précarité de leur survie ; malgré les nuages sombres qui viennent de Téhéran ou de Syrie, les sirènes pacifistes gagnent en vigueur, l'ultraminorité autoflagellatrice retrouve un accès disproportionné aux médias, et le temps où la victime redeviendra coupable s'annonce déjà . Le Gouvernement Sharon a gagné une bataille contre les Palestiniens, et assisté à la fin symbolique de Yasser Arafat, mais le conflit continue. Et il pourrait un jour apparaître aux yeux des dirigeants israéliens, étrange et troublant constat, que la guerre est préférable à la paix.

Le temps leur est compté. L'union nationale résultant de la campagne terroriste palestinienne commence à s'effilocher. Les Palestiniens eux-mêmes restent otages de leurs extrémistes, et le resteront tant que ceux-ci n'auront pas été éliminés - par les troupes d'Abbas ou par un pays arabe mandaté pour s'interposer. Seul Israël a la possibilité de gagner la paix, c'est-à -dire de rendre impossible un renouvellement des hostilités en continuant de retirer à ses ennemis les moyens de combattre, et en empêchant la restauration de leur légitimité en supprimant plusieurs causes apparentes de conflits. L'autre alternative est la poursuite d'une guerre sans nom.

COMPLEMENT I : Le meilleur éditorial de la presse romande à ce sujet est celui de Jan Marejko dans L'Agefi. Il met en évidence l'absence de l'ONU et s'en félicite :

Cela signifie-t-il que nous allons revenir au multilatéralisme onusien? C'est peu probable. Hier à Charm el-Cheikh, en Egypte, Mahmoud Abbas et Ariel Sharon annonçaient un accord pour mettre fin aux violences entre Israéliens et Palestiniens. On ne voit pas que l'ONU ait joué un rôle dans cet accord et l'on ne peut s'empêcher de noter avec un certain soulagement la disparition de la funeste expression de «processus de paix».

Lisez le reste.

COMPLEMENT II : Grâce à l'excellent weblog de Melanie Phillips, j'ai découvert un article d'un lieutenant-colonel israélien qui analyse froidement le cessez-le-feu palestinien et montre que ce dernier est avant tout un changement de méthode, et non la fin du conflit.

COMPLEMENT III (10.2) : La télévision palestinienne, totalement indifférente aux discussions et promesses internationales, continue de parler ouvertement de la destruction d'Israël comme but ultime du conflit. Il ne faut donc pas confondre un cessez-le-feu avec une paix durable. D'autant que le feu ne cesse pas, comme le montre le tir de 30 obus de mortier la nuit passée à partir de la bande de Gaza...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h15 | Comments (7) | TrackBack

8 février 2005

Prise d'otages : la réaction

La fausse prise d'otages qui s'est déroulée hier au consulat d'Espagne à Berne, dans le but apparent de voler des documents diplomatiques fort utiles à nombre d'activités illicites, était intéressante sur le plan de la réaction des forces de l'ordre. Signalé peu avant 0800, l'événement a vu ces forces être à pied d'oeuvre moins de 15 minutes plus tard, avec l'engagement notamment de l'unité spéciale "Stern" de la ville de Berne pour boucler le périmètre. Plus tard, des éléments de la brigade "Enzian" (ou gentiane, l'unité spéciale de la police cantonale bernoise) ont renforcé le dispositif. Un char de grenadiers à roues 93 Piranha de l'armée a même été engagé pour bloquer une rue, avec un simple "POLICE" inscrit sur le flanc pour indiquer son engagement subsidiaire (un bataillon d'infanterie est actuellement en service à Berne, mais le char peut aussi appartenir à la sécurité militaire).

En définitive, les 15 minutes séparant l'annonce de l'attaque et la prise du dispositif ont été suffisantes pour permettre aux agresseurs de s'enfuir. Mais ce déploiement rapide de moyens civils et militaires montrent certainement une amélioration des procédures, et une meilleure prise en compte des menaces actuelles sur les intérêts étrangers en Suisse. La sécurité déficiente du consulat d'Espagne étant d'abord l'affaire du Gouvernement espagnol (à la différence d'autres bâtiments consulaires, l'armée ne protège pas en permanence ce consulat), cette capacité de réponse va certainement gagner en importance à l'avenir. Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que si une vraie prise d'otages avait eu lieu, avec par exemple des terroristes islamistes équipés d'armes automatiques et d'explosifs, les moyens déployés n'auraient probablement pas été adéquats...

L'antiterrorisme est un dossier particulièrement sensible en Suisse, mais il faudra tôt ou tard se donner les moyens adaptés à notre époque !

COMPLEMENT I (10.2) : Grâce à un courrier de Myriam, je corrige un élément mentionné plus haut, celui de la protection du consulat, car c'est bien à la Suisse de l'assurer, même si le Gouvernement espagnol a une influence sur ce processus (je pensais à la sécurité intérieure, dans le périmètre extraterritorial, en décrivant la responsabilité de celui-ci). Voilà comment la Convention de Vienne décrit cette obligation :

Art. 59 Protection des locaux consulaires

L'Etat de résidence prend les mesures nécessaires pour protéger les locaux consulaires d'un poste consulaire dirigé par un fonctionnaire consulaire honoraire et empêcher qu'ils ne soient envahis ou endommagés et que la paix du poste consulaire ne soit troublée ou sa dignité amoindrie.

Avec un peu de recul, il apparaît donc que la police doit certainement revoir le niveau de sécurité des bâtiments consulaires. Est-ce qu'il ne serait pas temps de reconsidérer toute la mission "AMBA CENTRO", focalisée sur des engagements statiques et permanentes devant des bâtiments clairement définis ? Les commentaires ci-dessous le laissent penser.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h40 | Comments (6) | TrackBack

7 février 2005

Le droit de tuer - bis

La polémique sur les propos du lieutenant-général Mattis a suscité des réponses en vue de défendre ce dernier, et par là même le métier des armes. Le Washington Times a publié aujourd'hui une colonne du major-général Robert H. Scales, qui est certainement l'un des meilleurs penseurs militaires des Forces armées américaines (les travaux qu'il a mis en oeuvre sur l'Army After Next sont une référence en matière de prospective). C'est cependant l'aperçu qu'il donne de Mattis qui est intéressant :

For those of you who might have the image of a knuckle-dragging troglodyte, let me assure you that he is one of the most urbane and polished men I have known. He can quote Homer as well as Sun Tzu and has over 7,000 books in his personal library.

Imaginez un instant le savoir que détient un homme capable de lire des milliers de livres sur le sujet de la guerre, de la stratégie ou encore de la tactique, et qui en plus a commandé toutes les formations de la compagnie à la division. Cela permet de mieux mesurer l'éducation des officiers américains depuis 30 ans, et montre que les mots de Mattis sur le combat sont très probablement le fruit de longues réflexions. A titre de comparaison, ma bibliothèque personnelle sur la stratégie et la chose militaire en général compte plus de 400 ouvrages, ce qui est déjà rare...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h31 | Comments (8) | TrackBack

Les choix de Bush II

Le Figaro a publié ce matin une remarquable analyse de Laurent Murawiec quant aux choix de l'administration Bush II, qui décrit notamment les nouveaux rapports de force et la ligne stratégique qui va en découler. L'auteur sait de quoi il parle : travaillant depuis des années aux Etats-Unis, il connaît en profondeur le milieu des think tanks américains et possède une vision claire des enjeux futurs, tout spécialement au Moyen-Orient, pour l'avenir du monde. Et de souligner le rôle joué par les récentes élections - notamment en Irak :

Ah ! ce n'est pas la Suisse. L'insurrection n'est pas terminée. Le sang continue de couler. Mais la tournure que prend le jeu montre à quel point il en valait la chandelle. Il n'y a que les benêts pour s'offusquer des laideurs qui entachent la proto-démocratie irakienne. Et les despotes sunnites qui ne peuvent décidément pas avaler d'élection libre, même chez les autres, surtout chez des Arabes, et avec une majorité chiite en surplus. D'où les raisins verts que l'on avale par barriques au Caire, à Amman, à Riyad, à Damas et autres lieux. C'est que Bush tient parole.

On retrouve également les critiques que Laurent Murawiec adressait à l'administration Bush I, celle d'avancer "en crabe" vers ses objectifs, ce qui ne devrait guère changer. Mais cela n'altère pas son jugement quant au Gouvernement américain actuel : celui-ci tiendra la ligne affirmée avec force récemment, celle de lutter contre les tyrannies et de développer la démocratie comme meilleure réponse face aux intégrismes et aux nihilismes les plus violents.

Il serait intéressant, dans ce contexte, d'évaluer les options qui restent aux islamistes pour repousser ou éviter la déferlante démocratique, et la libération de l'individu qu'elle autorise. Mais comment lutter face au souffle de l'Histoire ? L'ambiance doit être plutôt désabusée dans certaines caves d'Afghanistan - ou du Pakistan...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h08 | Comments (8) | TrackBack

6 février 2005

L'ombre des forces spéciales

La guerre contre le terrorisme islamiste menée - sans exception - par les nations occidentales est avant tout une affaire de renseignements, d'échanges de savoir-faire et d'actions clandestines. Dans ce cadre, le rôle des forces militaires non conventionnelles ne cesse de croître, et nulle part aussi vite qu'aux Etats-Unis, où le Commandement des Opérations Spéciales (USSOCOM) a été couplé avec le Service de Renseignement de la Défense pour former de nouvelles unités spécialisées dans l'acquisition clandestine de renseignements de source humaine. Ces innovations, qui autorisent des spéculations souvent fumeuses comme celles de Seymour Hersh, élargissent considérablement les capacités des armées.

Une autre facette de l'activité des forces spéciales US reste celle de la formation de troupes étrangères. La construction ou l'amélioration des forces de sécurité d'un Etat sont pratiquées dans le monde entier, si possible avant que des crises ou des conflits s'y déclenchent, et on trouve aujourd'hui des "bérets verts" américains en Mongolie, en Géorgie et d'autres anciennes républiques soviétiques. Ils sont également très actifs en Irak, comme le montre ce reportage rare, réalisé par une journaliste qui jouit de la confiance des forces spéciales grâce au livre qu'elle a écrit (Masters of Chaos).

Cet article tranche avec les erreurs factuelles publiées sur la question de la formation des forces irakiennes, où l'on confond joyeusement forces civiles et militaires, et donc focalisation sur la criminalité ou l'insurrection. Mais il montre surtout que les forces non conventionnelles mènent aujourd'hui une guerre tentaculaire contre le terrorisme islamiste, adoptant une vision globale et cherchant à agir dans l'ombre avant leurs ennemis. Ainsi, on ne sait pas grand chose sur leurs activités dans la Corne de l'Afrique ou en Afrique du Nord, aux Philippines ou dans les Balkans, voire en Syrie ou en Iran. Si l'Irak est aujourd'hui le centre de gravité stratégique du conflit, cette situation peut et va changer ; l'histoire complète de la guerre ne sera pas écrite avant des années.

Quoi qu'il en soit, la meilleure preuve que les forces spéciales jouent aujourd'hui un rôle crucial peut être trouvée dans les bonus époustouflants versés par l'USSOCOM pour les opérateurs qui acceptent de se réengager, avec des primes pouvant atteindre 150'000 dollars. Des hommes expérimentés, polyvalents, polyglottes, discrets, culturellement empathiques, incroyablement résistants et maîtrisant des techniques et des systèmes complexes sont tout simplement devenus irremplaçables.

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4 février 2005

Le droit de tuer - sans haine

Une polémique a éclaté cette semaine aux Etats-Unis suite aux propos tenus par un général des Marines, le lieutenant-général Mattis, quant « au grand plaisir d'abattre l'ennemi. » Ayant commandé à deux reprises la 1ère division de Marines en Irak, Mattis s'était déjà distingué par des discours à la fois brutaux et énergiques, et il été prié d'être plus prudent à l'avenir dans le choix de ses mots. Plusieurs spécialistes en éthique du commandement l'ont d'ailleurs vertement critiqué pour un exemple pareillement néfaste, en le rapprochant d'un incident survenu à Falloujah, lorsqu'un Marine a abattu un ennemi supposé être mort et qui bougeait encore devant un caméraman de NBC.

En fait, les propos exprimés par le lieutenant-général Mattis lors d'un forum portaient avant tout sur les sensations du combat :

"Actually, it's a lot of fun to fight... It's fun to shoot some people. I'll be right upfront with you, I like brawling," he said at the forum in San Diego. "You go into Afghanistan, you got guys who slap women around for five years because they didn't wear a veil," he added. "You know, guys like that ain't got no manhood left anyway. So it's a hell of a lot of fun to shoot them."

Le plaisir de combattre est une réalité historique connue depuis belle lurette, une composante essentielle de l'être humain : dès lors qu'elle ne tourne pas au massacre mécanique à longue distance, la guerre procure un sentiment de libération, une impression de plénitude et de réalisation qu'un auteur comme Martin van Creveld a parfaitement décrit dans La transformation de la guerre, en s'interrogeant sur les raisons qui poussent à se battre et en les résumant - avec sa plume typiquement provocatrice - de la sorte :

"Plus que toute autre activité humaine, la guerre n'a de sens que dans la mesure où elle n'est pas un moyen mais une fin en soi. Aussi désagréable que puisse être ce constat, le vrai motif des guerres réside dans le fait que les hommes les aiment et que les femmes aiment les hommes qui les font pour elles."

Naturellement, la noblesse du combat a bien diminué depuis que les machines se sont mises à le régir toujours plus, et cette déshumanisation, en provoquant l'impuissance d'un individu réduit à l'état de victime anonyme, a lourdement contribué à l'anesthésie pacifiste des sociétés occidentales, à la dévalorisation de l'affrontement - quelle que soit sa cause. Mais la désapprobation pour le plaisir affiché de combattre n'a rien de commun avec l'opprobre que suscite le ressentiment pour l'ennemi, la pulsion individuelle dans l'acte d'engager, de dominer et de tuer l'autre. On laisse encore aux militaires le droit de tuer, à condition qu'ils le fassent sans haine, sans excitation, sans confusion. On veut des armes non létales, des vainqueurs sans vaincu, des guerriers sans guerre. Des chirurgiens impassibles et masqués face aux métastases de la violence.

Cette vision édulcorée et utilitariste des opérations militaires tend à se répandre au fur et à mesure que les nations cherchent à civiliser les outils qui servent à protéger la civilisation. L'engagement systématique des armées dans des missions autres que la guerre, qui donne bonne conscience aux Gouvernements et reçoit l'approbation si rare des médias, aboutit progressivement à périmer les notions de survie, de paroxysme et de lutte à mort. Dans certains pays occidentaux, et c'est malheureusement le cas en Suisse, les armées ont même biffé le mot « ennemi » de leur vocabulaire : les militaires doivent produire de la sécurité, pas du sang et des larmes. Le stand de l'armée lors de l'exposition nationale 2002, à Morat, a présenté pendant 6 mois des équipements de sauvetage, des moyens sanitaires, des avions pour policer les airs et des hélicoptères pour sauver des vies, et 2 semaines seulement des chars. Aimez-nous, nous sommes gentils !

Voilà pourtant bien longtemps que la haine est indissociable du combat, des soldats qui le mènent, des hommes qui affrontent une mort prenant les traits de l'autre. Même si Rommel comptait publier ses carnets de la Seconde guerre mondiale sous le titre « La guerre sans haine », l'image de divisions blindées exemplaires et commandées par un chef chevaleresque s'est avérée un mythe. Haïr l'ennemi parce qu'il tue vos camarades ou parce qu'il ne respecte pas les règles est naturel. Les militaires américains ont la haine en Irak, parce que leur ennemi est perçu comme lâche et méprisable ; la deuxième bataille de Falloujah a été une revanche personnelle pour de nombreux soldats et Marines, une revanche sur les explosifs improvisés, les tireurs insaisissables, les frustrations d'un long combat aux points - avec la possibilité d'infliger enfin des coups qui portent.

De toute évidence, le lieutenant-général Mattis fait partie de ces chefs qui s'imposent sur le champ de bataille, de ces officiers que leurs subordonnés suivraient jusqu'en enfer - parce qu'ils disent exactement ce qu'ils pensent, et parce qu'ils pensent exactement ce que pensent leurs soldats. La haine est mauvaise conseillère et peut mener aux pires abus, mais la bannir des cœurs et des esprits revient à nier par la même occasion l'amour des siens, et donc la nature même de l'homme.

Seules les machines ne haïssent pas. Pour l'instant...

COMPLEMENT I : Il peut être intéressant de lire les propos de l'analyste américain Ralph Peters, qui a participé comme intervenant au même forum durant lesquels le général Mattis s'est exprimé sur le combat. Comme d'habitude, Peters n'y va pas avec le dos de la cuiller !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h22 | Comments (7) | TrackBack

2 février 2005

Entre police et armée

Le Temps publie aujourd'hui (accès gratuit) une réflexion de Pierre Aepli, l'ancien commandant de la police cantonale vaudoise et coordinateur suisse pour la sécurité du Sommet du G8 d'Evian, sur la collaboration entre police et armée. Il n'aborde pas vraiment la polémique aiguë lancée par certains syndicalistes policiers, qui affirment envers et contre tout que la sécurité intérieure est une affaire purement civile (l'armée vient d'engager 4700 soldats pour le WEF...), mais propose plusieurs solutions pour harmoniser les forces. Extraits :

La Suisse a un déficit dans sa capacité de maintien de l'ordre. [...] Comme on ne saurait faire intervenir l'armée contre les citoyens, il en découle logiquement, si l'on veut éviter de faire appel à l'aide extérieure, que les polices soient renforcées et qu'à cette fin on convienne d'une réattribution organique des moyens de l'armée, budgétaires et en personnel, à leur profit.
[...]
Le développement d'une force mixte composée de militaires et de policiers pouvant être engagée dans ce cadre [maintien de la paix à l'étranger] mériterait d'être examiné; l'armée y jouerait un rôle prépondérant.
[...]
D'autres convergences sont envisageables entre armée et police [...] pour permettre à des membres professionnels de la sécurité militaire de rejoindre, au terme de leur engagement, les rangs de la police ou à des soldats accomplissant un service long de le faire comme gendarmes auxiliaires dans une police cantonale.

Les arguments de Pierre Aepli ont l'immense mérite de dépassionner le débat et de montrer que des solutions sont possibles. Maintenant, si je vois bien - comme l'armée d'ailleurs - l'intérêt à un rapprochement dans le domaine de l'instruction, je vois mal comment l'armée accepterait de transférer à la police sa sécurité militaire, puisqu'elle en a besoin (et à quelle police, fédérale ou cantonale ?), alors qu'une unité civilo-militaire à l'étranger sera tiraillée entre les chaînes de commandement civiles et militaires - au Kosovo, les policiers CIVPOL sont aux ordres de la MINUK, alors que les militaires - y compris les policiers militaires de la MSU - sont aux ordres de la KFOR.

Il faut se rendre à l'évidence : on ne fera rien d'autre que du bricolage aussi longtemps qu'il n'y aura pas un nouveau Rapport sur la Politique de Sécurité pour définir une stratégie adaptée à notre époque.

Posted by Ludovic Monnerat at 7h50 | Comments (2)

1 février 2005

Au-delà des conventions

L'adaptation des lois de la guerre aux conflits actuels est un sujet de première importance, et un point de vue intéressant a été donné aujourd'hui dans le Los Angeles Times par les 2 juristes américains qui ont écrit en janvier 2002 l'avis de droit sur lequel s'est basée l'administration Bush pour refuser le statut de prisonnier de guerre aux combattants irréguliers capturés en Afghanistan, puis ailleurs. La question qu'ils posent d'emblée est essentielle : comment s'adapter au déclin des Etats-nations comme acteurs principaux des conflits ?

Pour eux, la transformation de la guerre doit naturellement avoir pour corollaire la transformation du droit de la guerre :

A treaty like the Geneva Convention makes perfect sense when it binds genuine nations that can reciprocate humane treatment of prisoners. Its existence and its benefits even argue for the kind of nation-building that uses U.S. troops and other kinds of pressures in places like Somalia, Afghanistan and Iraq; more nation-states make all of us safer. But the Geneva Convention makes little sense when applied to a terrorist group or a pseudo-state. If we must fight these kinds of enemies, we must create a new set of rules.

Voilà un domaine dans lequel la Suisse pourrait lancer une initiative vraiment utile : reconsidérer tout le droit international humanitaire en fonction des conflits contemporains et mettre en discussion de nouvelles conventions, plutôt que des protocoles additionnels supplémentaires, à même de réguler ces conflits au lieu d'en être un facteur dérégulateur. On espère que le DFAE ou le CICR verront l'intérêt général d'une telle initiative.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h41 | Comments (31)

31 janvier 2005

Un lent reflux en Asie

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, où la situation s'est très nettement améliorée au Sri Lanka et en Thaïlande, mais reste difficile dans la province d'Aceh, où 5000 cadavres ont été retrouvés et enterrés la semaine passée. C'est dire à quel point le cataclysme a dévasté la région, alors même que des combats - somme toute dérisoires - ont lieu entre les rebelles du GAM et les forces indonésiennes. Malgré cela, la vie retrouve peu à peu une certaine normalité, dans ces lieux où la malnutrition et l'épidémie menacent toujours. Un nouveau tremblement de terre s'est produit, le vingtième depuis celui du 26 décembre.

Du côté militaire, le repli progressif du dispositif a commencé, à l'exception des moyens de transport héliportés ; d'après le dernier rapport du Département britannique pour le Développement, pas moins de 350 mouvements d'hélicoptères ont désormais lieu quotidiennement. Une partie d'entre eux est certainement accomplie par les militaires américains, qui avaient dépassé les 80 vols journaliers, et dont les effectifs actuels vont diminuer avec le départ prochains de leurs 2 porte-avions. Les moyens français fonctionnent à plein régime, même si la Jeanne d'Arc devrait être remplacée par un bâtiment de commandement et de ravitaillement à la mi-février. Les navires japonais déployés après le tsunami viennent d'arriver sur zone.

On assiste donc à une relève entre contingents, avec en même temps une diminution des effectifs totaux déployés dans les jours qui ont suivi le séisme, et donc un transfert de l'aide humanitaire d'urgence entre les contingents militaires nationaux - notamment sous coordination américaine - et l'Organisation des Nations Unies, qui rassemble des moyens civils et militaires. Parmi ces derniers figurent naturellement les 3 Super Puma de l'armée suisse, qui effectuent leur mission apparemment sans problème, d'après ce briefing du HCR qui décrit plus en détail les tâches rendues possibles par l'action du contingent helvétique.

J'écris apparemment, néanmoins, parce que ces derniers temps je ne me suis pas spécialement renseigné à ce sujet. Dans quelques jours, je serai cependant amené à le faire, puisque j'ai reçu tout récemment la confirmation de mon déploiement à la fin février au sein de la Task Force SUMA, parmi le troisième contingent, pour une durée de 4 à 6 semaines. Ma demande de visa est même partie aujourd'hui à l'ambassade d'Indonésie à Berne. Ce sera donc l'occasion de vérifier par soi-même la situation sur place, de contribuer à soulager les populations locales, de vérifier l'organisation mise à place par l'ONU... et de vivre une expérience opérationnelle sans doute passionnante !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h55 | Comments (3)

30 janvier 2005

Les leçons de l'élection

Les bureaux de vote ont fermé en Irak, et cette journée semble vouée à entrer dans l'histoire : les témoignages et les déclarations convergent en indiquant une participation massive aux élections, dans un climat de fête à Bagdad et dans d'autres grandes villes. Seules quelques zones particulièrement affectées par les attaques terroristes et par les menaces de la guérilla n'ont pas connu de vote ; mais à l'échelon national, la participation témoigne d'un intérêt généralisé pour ce vote, malgré des attentats qui ont entraîné la mort d'au moins 44 personnes - dont 9 terroristes. La violence n'a pas empêché les Irakiens de se rendre très nombreux aux urnes.

Comment estimer leur participation ? Le chiffre avancé de 72% avant la fermeture des bureaux semble une base crédible, puisque seules 2 provinces n'ont pas été intégrées à ce calcul - dont celle de Ninive, où la ville de Mossoul a connu une affluence respectable ; la participation annoncée à 60% dans la province de Salahuddin, en plein triangle sunnite et avec la ville symbolique de Tikrit, semble révélatrice. Les élections irakiennes ont donc été plébiscitées par la population, et au-delà des résultats qui seront certifiés dans une dizaine de jours, cet événement doit être analysé.

En premier lieu, cette journée montre l'impuissance de la guérilla sunnite à peser de manière décisive sur le destin du pays. Cela ne surprendra pas ceux qui suivent de près l'Irak et qui ne se laissent pas abuser par la couverture partiale et partielle des médias occidentaux. Jamais cet assemblage hétérogène de baasistes, d'islamistes, de criminels et d'opportunistes n'a représenté une volonté populaire à l'échelon national, et le qualificatif de "résistance" dont l'honorent une partie des commentateurs internationaux est un contresens particulièrement honteux. Les terroristes peuvent faire illusion en manipulant les médias, mais les élections donnent la parole à toute la population, et quelques bombes n'ont pas réussi à étouffer la clameur démocratique et l'hymne à la liberté des Irakiens.

Deuxièmement, les forces de sécurité irakiennes et les troupes de la coalition ont su fournir une protection suffisante pour la tenue d'élections dans les 4 provinces sur les 18 du pays qui sont vraiment menacées par la guérilla sunnite, et notamment à Bagdad. Cela devrait mettre un terme aux spéculations ridicules selon lesquelles seuls 4000 hommes seraient opérationnels et fiables dans les forces irakiennes. Aucun des 9 attentats suicides perpétrés aujourd'hui n'a pu avoir lieu devant les locaux de vote, là où des files d'attente de plusieurs dizaines de mètres auraient permis un carnage. Le bain de sang promis par Zarqaoui a été empêché par un dispositif imposant, par des forces locales présentes en masse, par une collaboration étroite avec la coalition, mais aussi par la campagne offensive lancée voici 4 mois par les unités US.

Troisièmement, ces élections lèvent le voile partisan qui dissimule l'Irak réel et jettent une lumière aussi crue qu'impitoyable sur l'Irak virtuel que nous servent les médias européens. Toute cette succession de bombes, de kidnappings, d'exécutions et de fusillade qui permet à des rédactions presque exclusivement opposées à l'opération Iraqi Freedom de parler de chaos, de bourbier et de désastre est aujourd'hui contredite par l'image du véritable Irak, par un pays en plein essor, dont la majorité des citoyens sont par exemple satisfaits des conditions de sécurité. Sur près de 5500 bureaux de vote irakiens, 99% d'entre eux n'auront pas été attaqués, et la concentration des "informations" sur le 1% devient plus ridicule que choquante. L'Histoire se fera sans les médias.

Quatrièmement, ces élections confirment - après l'Afghanistan, et dans une moindre mesure la Palestine, encore que l'espoir renaisse - que la liberté et la démocratie sont des valeurs universelles, et constituent les meilleures conditions de coexistence entre individus quels que soient les lieux et les populations. Comme les islamistes l'ont parfaitement identifié, le monde entier est désormais engagé dans une lutte mortelle entre le fondamentalisme musulman et la démocratie libérale, entre le droit divin et le droit humain, entre l'obsession de la mort et l'amour de la vie. Les Irakiens ont choisi aujourd'hui leur camp avec détermination. J'aimerais qu'il en soit fait de même, et aussi clairement, en Europe.

Ces quelques leçons stratégiques tirées à chaud ne remplacent pas une analyse plus détaillée. Mais elles indiquent que ces élections constituent un formidable révélateur des enjeux propres à notre époque.

COMPLEMENT I : En parlant de l'Europe, Madrid a connu aujourd'hui une manifestation pour protester contre la tenue d'élections en Irak, sous le prétexte qu'elles auraient lieu sous une prétendue occupation américaine. Est-ce que ces gens seront un jour capables d'ouvrir les yeux et de voir le véritable Irak ? Est-ce qu'ils vont un jour accepter d'écouter les Irakiens ? Pendant ce temps, quelque 90% des expatriés irakiens inscrits en France pour les élections ont participé à ces élections...

COMPLEMENT II : La participation a été revue à la baisse pour s'établir aux environs de 60%, avec plus de 8 millions de scrutins. Ces chiffres sont toutefois provisoires, même s'ils sont basés sur l'ensemble des provinces du pays. En l'état, ils constituent donc un beau succès pour la démocratie, et un plébiscite contre ceux qui la combattent.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h24 | Comments (9)

28 janvier 2005

Irak : un retrait éminent

La presse occidentale a souvent tenté de montrer la population irakienne sous l'angle d'un rejet absolu de la coalition, et on peut encore lire ou entendre très régulièrement le terme d'occupation alors même qu'une résolution du Conseil sécurité de l'ONU (1546) a légalement mis un terme à celle-ci. Un article du Christian Science Monitor paru aujourd'hui met cependant le doigt sur le sentiment majoritaire de la population à cet égard :

"Iraqis are struggling with exactly the same paradox," adds the diplomat. "They want the multinational forces to leave, but ask them if they want them to leave tomorrow, and they say 'no.' "

Les forces de sécurité irakiennes, qui depuis l'automne 2003 sont plus nombreuses et subissent davantage de pertes que les forces de la coalition, ne sont pas encore en mesure de faire face seules à la guérilla sunnite : on ne peut pas demander à un policier à la fois de lutter contre la criminalité et de se battre comme un soldat, alors que la formation de la nouvelle armée irakienne s'est faite bien plus lentement que prévu par le Central Command. Par conséquent, c'est dans ce sens qu'il faut interpréter les discussions anglo-américaines sur une "stratégie de retrait" : la stratégie de contre-insurrection actuelle sera poursuivie, et les forces coalisées maintiendront leur présence pour l'accomplir.

Cette analyse publiée par USA Today montre en effet que la stabilisation de l'Irak exige avant tout la prolongation, et parfois l'intensification, des efforts produits. Les expériences faites après la Seconde guerre mondiale sont une indication intéressante :

American efforts in postwar Europe practiced what military planners called the "disease and unrest formula." They outlined three tasks to keep a defeated nation from chaos: (1) avoiding a humanitarian crisis; (2) setting up a legitimate government; (3) establishing domestic security forces.
Security took the longest, but by 1948, the government [of Austria] could stand by itself.

De toute évidence, les élections qui auront lieu dans 2 jours constituent une étape essentielle de tout processus de stabilisation, et un succès stratégique pour les Etats-Unis. Mais il est probable que ceux-ci devront encore contribuer longtemps à la consolidation de leurs succès pour empêcher leurs adversaires de reprendre l'initiative. Autrement dit, tous les discours souvent recyclés sur un plan de retrait (on parlait déjà de retrait imminent en novembre 2003...) servent un intérêt politique en terme de perception publique, et ne correspondent pas à la réalité stratégique.

Il me paraît probable que les Forces armées américaines soient encore présentes en Irak dans 10 ans, avec un volume certes fortement réduit, mais en ayant maintenu une capacité d'intervention au service des Gouvernements irakiens successifs. Nous verrons...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h45

26 janvier 2005

De nouvelles conventions

L'un des penseurs stratégiques les plus stimulants de notre époque est Thomas P. Barnett, qui a écrit un livre fameux (The Pentagon's New Map), qui répond à nombre d'interviews (une a été traduite par mes soins) et qui vient de rédiger une colonne pour le magazine Wired consacrée au droit de la guerre. Son propos est direct : le droit actuel, centré sur les Conventions de Genève, n'est plus adapté aux conflits contemporains, et il est nécessaire de constituer une nouvelle organisation pour définir les bases légales permettant aux Etats de se défendre sans tomber dans des limbes juridiques. Extraits :

Unless we want to spend the rest of this conflict trying to rationalize police brutality and torture, the US needs to acknowledge (1) that it's not above the law; and (2) that it needs a new set of rules for capturing, processing, detaining, and prosecuting such nonstate actors as transnational terrorists. In short, we need Dirty Harry to come clean. Frontier justice must be replaced by a real justice system.
The new rules need to define how the core countries cooperate to suppress terrorist activity within the core using police methods. And they'll lay out how and under what conditions it's OK for those same states' militaries to go into the unconnected regions of the world - what I call the nonintegrating gap - to snatch or kill suspected terrorists. [...] What am I talking about here? A WTO-like entity for global counterterrorism.

On notera avec intérêt que la Suisse lui paraît une base de discussion pour un lieu susceptible d'emprisonner des terroristes, au lieu de la base US de Guantanamo. En matière de réforme juridique, ou plus exactement d'emploi dépoussiéré de textes existants, il vaut la peine de relire les réflexions d'Arnaud Dotézac à ce sujet. Cependant, l'organisation dépositaire des Conventions de Genève - le CICR - ne semble guère encline à tolérer la moindre contestation à l'endroit de textes qui fondent aujourd'hui des interprétations de plus en plus tendancieuses...

COMPLEMENT I : On ne sait trop comment appréhender cette dépêche AP qui décrit la "torture" pratiquée à Guantanamo sous la forme de tentations sexuelles, et qui semble efficace. Ce n'est pas la première fois que des témoignages parlant de femmes légèrement vêtues lors des interrogatoires apparaissent. On peut donc logiquement penser qu'il y a du vrai dans tout cela...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h37 | Comments (3)

Les élections comme une arme

Le premier scrutin démocratique de l'Irak aura lieu dans 4 jours, et l'événement est devenu la préoccupation centrale des Irakiens. La perception donnée à ces élections diffère grandement entre ce que les médias européens en disent et ce que la population irakienne ressent, au point que les premiers ont par avance tenté de délégitimer le vote alors que la seconde s'est inscrite en masse pour voter. Mais la notion centrale ici est celle de la légitimité : l'élection - comme le référendum - est le principal outil permettant à une majorité d'exprimer une opinion, et donc d'indiquer une orientation ou une représentation politique claire. Ce qui constitue une arme des plus efficaces.

Comment un simple bulletin en papier pourrait-il vaincre les voitures piégées, les enlèvements, les assassinats et les décapitations qui forment les reflets quotidiens - et partiels - de l'Irak aujourd'hui ? C'est que les conflits dépassent largement le cadre des apparences, malgré l'emprise des terroristes sunnites sur la couverture médiatique, et les éléments déterminants sont parfois les moins visibles. Les hommes, les armes, les équipements et l'argent fondent la capacité d'agir, et sont la pointe émergée des ressources combattantes ; les sentiments, les sensations et les désirs fondent la volonté d'agir, étudiée avec éloquence par Ardant du Picq. Mais ces deux notions ne limitent pas les ressorts des conflits, malgré les affirmations de certaines théories modernes (comme les Effects-Based Operations).

Il faut en effet prendre en compte la légitimité d'agir, qui découle des valeurs, des lois et des coutumes, pour cerner la dimension éthique des acteurs, alors que c'est leur dimension cognitive - fondée par les connaissances, les concepts, les interprétations - qui détermine leur opportunité d'agir. Il ne suffit plus d'être le plus fort ou le plus décidé pour l'emporter : lorsque les actions sont instantanément retransmises à des millions de spectateurs, il faut également être le plus juste et le plus sage. Telles sont les particularités des conflits contemporains, à l'ère de la médiatisation globale et de la démocratie conquérante. La conquête du terrain a fait place à la conquête des esprits, parce que les champs de bataille se sont élargis à la dimension des sociétés. Impossible de vaincre sans convaincre.

Et c'est là le rôle crucial d'élections dans un Etat encore en partie virtuel comme le Nouvel Irak. L'expression populaire qui devrait en résulter, par l'élection d'une assemblée constituante et de pouvoirs régionaux, va donner une légitimité sans précédent aux autorités et à l'ensemble de leurs services. Pour la première fois depuis des décennies, les Irakiens seront réunis par les urnes en un événement fondateur et catalyseur, qui leur fera prendre conscience d'eux-mêmes en tant qu'entité nationale (d'où l'opportunité), en tant que majorité composite (d'où la légitimité) et en tant que peuple souverain (d'où la volonté). En d'autres termes, ces élections donneront un élan et une force renouvelée à tous ceux qui luttent pour créer une nation libre et démocratique.

L'impact des scrutins populaires en situation de crise ou de conflit est une chose que l'on a tendance à oublier en Europe, et notamment en Suisse, où le ronronnement des votations bien huilées et peu fréquentées concourt à les banaliser, alors même qu'elles représentent un sommet de maturité civique et sociétale. Mais le bulletin de vote est une arme de légitimation massive face à laquelle ni les menaces des terroristes islamistes, ni les critiques des lointains commentateurs ne font le poids. La marche de l'Histoire se poursuit.

COMPLEMENT I : Cet autre sondage semble confirmer le succès annoncé de ces élections, mais aussi la différence entre la perception des Irakiens et celles des médias occidentaux quant à la sécurité. Extrait :

53.3% said the security is good in their area.
21.7% said that security was average in their area.
25% said that security was bad in their area.

Dommage que la source ne fournisse pas le découpage de ces réponses en fonction de la province.

COMPLEMENT II : Les Forces armées américaines en Irak annoncent une chute de 50% du nombre d'attaques, et interprètent cela le calme avant la tempête. En même temps, la chute d'un hélicoptère lourd en raison probablement du mauvais temps et plusieurs attaques ont provoqué la mort de 37 soldats. Il vaut la peine de noter que l'expression "le calme avant la tempête" précède le crash de l'hélico...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h15 | Comments (1)

25 janvier 2005

Irak : la présence américaine

Alors que de nombreuses discussions ont eu lieu ces derniers jours sur une possible "stratégie de sortie" américaine en Irak, quand bien même ce terme n'appartient pas à la pensée militaire (on parle d'état final attendu ou recherché, ce qui n'est pas du tout la même chose), le chef des opérations de l'US Army a déclaré aujourd'hui qu'il comptait sur le maintien d'une présence en Irak identique à aujourd'hui jusque dans le courant de 2006, soit 120'000 militaires ; ce qui, avec la contribution des Marines et des autres services, aboutirait à un contingent de 140'000 à 150'000 Américains sur le sol irakien.

Ces prévisions concordent avec les propos du Premier ministre intérimaire irakien, Ilyad Allaoui, qui refuse d'exiger un plan horaire pour le retrait de la coalition internationale. Mais elles montrent surtout que le Pentagone reste décidé à poursuivre les opérations de contre-insurrection en Irak sur une intensité égale, et même à les étendre géographiquement en fonction de la diminution ou du retrait de plusieurs contingents européens (Pologne et Pays-Bas notamment). La question est de savoir s'il en a la capacité.

Voici plus d'une année et demi que l'on entend des avertissements sur l'essoufflement supposé des Forces armées américaines. Actuellement, c'est l'état de la Réserve et de la Garde nationale qui inspire des inquiétudes, puisque ces soldats de milice alimentent plus de 40% des effectifs en Irak et que le volume susceptible d'être déployé apparaît inférieur aux besoins. Et les appels se multiplient pour augmenter le volume de l'armée d'active, tombé il est vrai de 750'000 à 500'000 soldats dans le courant des années 90. Au risque d'ailleurs d'augmenter considérablement les frais de fonctionnement.

Qu'en est-il réellement ? Les Etats-Unis sont confrontés aujourd'hui à l'inadaptation de leur outil militaire, qui a subi une diminution au lieu d'une reconfiguration durant la décennie précédente - ce nouvel entre-deux guerres. Les divisions d'active qui passent 12 mois en Irak et 12 mois dans leurs bases (moins le temps pris par les déploiements...) ne représentent qu'une partie des effectifs ; de même, les brigades de la Garde nationale qui partent en mission ne représentent qu'une partie des unités existantes. Certains soldats vont et viennent, alors que d'autres sont vissés à leurs bases. Un déséquilibre structurel qui commence seulement d'être corrigé.

Le problème est le suivant : les conflits de basse intensité n'exigent pas des armées les mêmes tâches dans les mêmes proportions que les conflits de haute intensité. En Irak, il y a un besoin impérieux de troupes de mêlée polyvalentes, capables de s'adapter rapidement à leur environnement, appuyées par des spécialistes dans des domaines tels que le génie, la police militaire, les affaires civiles ou encore les opérations psychologiques. Les besoins en logistique et en transmissions sont constants, et le renseignement ainsi que les opérations spéciales gagnent en importance. Mais l'artillerie - et l'aviation à aile fixe - ne sont que ponctuellement utiles.

Or les Grandes unités US restent structurées en vue de mener une guerre symétrique de haute intensité, et possèdent notamment des moyens de feu totalement disproportionnés même dans un tel cas. La Garde nationale possède ainsi 6 brigades d'artillerie prévues pour une guerre totale, et tellement inutiles qu'une petite partie a déjà été transformée en police militaire, dans des divisions maintenues à un bas niveau de disponibilité précisément parce que leur emploi est prévu pour un conflit de ce type. C'est toute la structure de l'US Army qui doit être repensée, et qui est en train de l'être, ainsi que les effectifs entre les services - l'US Air Force apparaissant de toute évidence surdotée.

Les Etats-Unis ont la capacité de maintenir indéfiniment leur engagement en Irak. Mais pour ce faire, ils devront rapidement réorganiser leurs Forces armées afin de les rendre aptes à mener les conflits dépareillés, dispersés et prolongés de ce siècle.

COMPLEMENT I : Un bel exemple d'information biaisée sur le même thème est fourni par Le Monde aujourd'hui, qui estime que "L'armée américaine souffre de graves problèmes de budget et d'effectifs" alors que rien ne permet de justifier pareille affirmation. La méthode de l'article est simple : accumuler les aspects négatifs en écartant soigneusement les aspects positifs de la situation (comme la rétention extraordinairement élevée dans les unités d'active, ou l'absence de problèmes de recrutement/rétention dans la réserve) pour donner une impression d'échec ou de crise imminents. Des distorsions qui expliquent pourquoi la confiance envers les médias est vouée à continuer sa chute...

COMPLEMENT II : Zut, j'ai oublié le lien de cet article. Le voici donc. Caramba !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h16 | Comments (3)

Les options face à l'Iran (2)

Pour approfondir la question des options militaires disponibles face au programme nucléaire l'Iran, je recommande la lecture de la synthèse réalisée à ce sujet sur GlobalSecurity.org. Une grande quantité d'informations y est compilée ou listée, et permet de mieux imaginer les défis d'une opération essentiellement aérienne destinée à ralentir ce programme. Les autres options militaires sont également mentionnées, mais le site possède bien moins d'informations disponibles à leur sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h40 | Comments (3)

24 janvier 2005

Vers l'euthanasie stratégique

Plusieurs réflexions et échanges ont eu lieu ci-dessous au sujet du programme nucléaire iranien. Le problème de la non-prolifération a été abordé, avec son double visage, à la fois restriction salutaire des pires armements et préservation du monopole nucléaire ; on peut d'ailleurs noter que Mohammed El-Baradei, le directeur de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, peine parfois à conserver sa mission à l'esprit et confond les deux éléments. La spécificité des ambitions iraniennes a également été soulevée, en particulier par rapport aux détenteurs actuels d'un arsenal nucléaire dans le sud et le sud-ouest asiatique. Pourtant, il me semble que l'aspect central reste celui de la dissuasion.

Pendant toute la guerre froide, les armements nucléaires avec l'ensemble de leurs vecteurs ont constitué l'épine dorsale de la dissuasion et du statu quo est-ouest. Les raisonnements qui prévalaient à l'époque ont d'ailleurs largement cours aujourd'hui, comme le rappellent les investissements de la France dans sa composante nucléaire. Pourtant, un facteur ne doit pas être oublié : l'URSS pouvait être dissuadée uniquement parce que ses dirigeants pensaient avoir tout à perdre d'un échange de missiles. L'idéologie constituait leur grande force et leur principale faiblesse, parce qu'ils étaient persuadés que le monde marchait inéluctablement vers l'idéal socialiste puis communiste, et qu'ils se trouvaient par conséquent du « bon côté » de l'histoire.

C'est d'ailleurs lorsque cette conviction s'est avérée manifestement fausse, durant la première moitié des années 80, que le risque de guerre ouverte entre le Pacte de Varsovie et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a été le plus élevé. Les dirigeants occidentaux de cette époque - Reagan, Thatcher, mais aussi Mitterrand - ont su rester fermes, braver les ires de la rue gauchisante (« Plutôt rouge que mort », criait-on alors) lors de la crise des euro-missiles et adapter leurs capacités de dissuasion. Il est d'ailleurs probable qu'un conflit conventionnel est-ouest, dès le milieu des années 80, aurait tourné à l'avantage de l'OTAN - comme l'a décrit Tom Clancy dans Tempête Rouge. Les Soviétiques eux-mêmes estimaient que la supériorité technologique occidentale rendait nécessaires les armes non conventionnelles.

En d'autres termes, la tâche de l'Occident voici 20 ans consistait essentiellement - même si peu l'ont pensé - à simultanément précipiter et accompagner l'agonie du bloc communiste. Et c'est à mon sens la même tâche qui nous attend aujourd'hui avec les mouvances islamistes, dont l'Iran est le constituant le plus solide. Avant les attentats du 11 septembre, la planète comptait 2 Etats islamistes : l'Iran et l'Afghanistan. Ce dernier ayant été rendu à sa population par des élections triomphales, il ne reste plus que les mollahs de Téhéran et leur révolution islamiste en panne pour jouir des outils qui demeurent l'apanage des Etats : les relations diplomatiques, les recherches scientifiques, l'appareil militaire ou encore l'exploitation des ressources. La nébuleuse islamiste sunnite qui gravite autour d'Al-Qaïda rêve encore d'accomplir une prise de pouvoir analogue à celle des chiites de Khomeini.

Je pense que les dirigeants iraniens n'ont aucune illusion sur leur sort et sur celui de leur idéologie, au vu des revendications croissantes et enthousiastes d'une jeunesse majoritaire et pro-occidentale, qui a accueilli avec euphorie le discours d'investiture de George W. Bush. Ils se sont donc lancés dans une course contre la montre endiablée, comptant obtenir par l'arme nucléaire une sanctuarisation de leur fief et un gel stratégique de la région ; en même temps, ils ont affirmé à plusieurs reprises qu'un échange nucléaire avec Israël serait certes dommageable pour le monde islamique, mais qu'il occasionnerait au moins l'éradication définitive de l'Etat juif. En d'autres termes, la bombe atomique et les missiles à longue portée forment l'arme de la dernière chance, celle qui doit être jouée pour l'emporter en définitive - fût-ce dans la tombe. Et les islamistes sunnites partagent sans aucun doute ce point de vue.

L'Occident doit donc être en mesure de procéder à l'euthanasie stratégique de l'islamisme, lui assurer progressivement une mort tranquille : vivre et laisser mourir. L'engagement féroce des islamistes contre des élections démocratiques en Irak montrent qu'ils ont parfaitement identifié la menace mortelle que font peser les libertés humaines sur leur idéologie totalitaire. Ils n'ont pas d'autre place dans le monde individualiste qui prend forme sous nos yeux que celle d'une secte archaïque et dispersée. Ils sont en train de perdre, et c'est cela qui les rend dangereux.

J'espère simplement que la Vieille Europe n'est pas autant moribonde.

COMPLEMENT I : La pression se maintient sur la question du programme nucléaire iranien, puisque le chef du Mossad vient d'affirmer que celui est devenu autosuffisant. Extrait :

He said Iran is currently in the most advanced stage among countries in the region aiming to become nuclear powers. It has the capability to produce industrial quantities of enriched uranium and is advancing with the technology that will enable it to produce military quantities. When this technology is achieved, the "path is clear" for its nuclearization, and this is excepted to occur at the end of the year. Dagan said that the Iranian program is therefore at an important juncture, and now is the time to put pressure on the government to halt its development.

Entre temps, sur The Belgravia Dispatch, on peut lire comment une éditorialiste vedette du New York Times manipule les propos de Dick Cheney pour donner l'impression d'une offensive militaire en préparation contre l'Iran. Un classique, puisque l'éditorialiste en question - Maureen Dowd - a vu sa méthode recevoir son nom, à savoir la "dowdification", qui consiste à extraire des propos et à les mettre en forme pour corroborer une ligne prédéterminée.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h32 | Comments (5)

23 janvier 2005

Irak : SMS contre insurgents

Cette dépêche d'AP montre une nouvelle facette de la contre-insurrection en Irak : les messages textuels des téléphones portables sont de plus en plus utilisés pour transmettre des informations à la police concernant les activités des insurgents. Depuis quelques mois, un numéro de téléphone pour des appels anonymes avait déjà été mis en place par la 1ère division de cavalerie US à Bagdad, qui a reçu plus de 400 appels, mais les SMS semblent une manière encore plus discrète de contourner les menaces mortelles pesant sur tous les Irakiens, dans le triangle sunnite, qui collaborent avec les forces de sécurité et les troupes de la coalition.

Bien entendu, la dénonciation anonyme - car les réseaux ne semblent pas permettre d'identifier la source - comporte toujours des risques considérables de manipulation, que ce soit pour instrumentaliser les forces de l'ordre en vue de régler des comptes, ou au contraire pour tenter de leur tendre un piège, comme cela s'est produit à la fin décembre. Mais cette méthode s'explique également par l'explosion des communications dans l'après-Saddam : selon l'Iraq Index (document PDF), le nombre d'abonnés au téléphone est passé de 833'000 à 2'152'000, dont un tiers de portables, alors que le nombre d'abonnés à Internet a pour sa part été multiplié par 10 (ils étaient 110'000 en novembre dernier).

Cette évolution modifie très largement les rapports de force dans un conflit de basse intensité : elle permet à la population, aux masses silencieuses et inquiètes, de contribuer sans grand risque aux efforts des forces de sécurité, et donc de réduire l'effet psychologique des assassinats et des attentats terroristes. La montée en puissance de l'individu, en soi un phénomène neutre, aboutit ici à favoriser la grande majorité d'Irakiens qui soutiennent leur Gouvernement provisoire et aspirent à la liberté. Et si l'on ajoute à cela la multiplication des antennes satellites dans les villes irakiennes, on mesure mieux la nature privée des échanges - et l'impossibilité pour les médias, surtout étrangers, de les appréhender.

La guerre en Irak est bien annonciatrice du siècle qui vient. Un conflit de basse intensité qui mêle le courrier électronique, les carnets en ligne (les blogs, quoi !), les sites sur la Toile, les téléphones portables avec SMS puis MMS ou encore les télévisions par satellite génère un environnement nettement différent des conflits précédents. On peut d'ailleurs imaginer qu'un système de vote électronique fiable réduirait drastiquement l'impact des attaques de la guérilla sur les élections à venir, et bien entendu susciterait d'autres actions pour déjouer celles-ci... Une raison supplémentaire pour s'efforcer d'étudier en détail ce conflit.

COMPLEMENT I : Dans un registre différent, les rapports de force après les élections sont remarquablement analysés par Chester, qui indique que la majorité chiite va probablement s'impliquer de manière décisive dans la réduction de la guérilla sunnite.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h14

22 janvier 2005

L'enfer du Darfour

Tel est le titre d'un reportage de L'Express qu'il vaut la peine de lire pour mesurer l'ampleur du massacre qui se déroule dans l'inaction caractérisée de la communauté internationale. La politique de la terre brûlée choisie par le Gouvernement soudanais et appliquée par des milices sanguinaires qui pillent, détruisent, tuent et violent dans l'impunité générale est particulièrement insoutenable. Et pendant ce temps, on trouve des beaux esprits qui imaginent confier l'affaire à la Cour pénale internationale, comme si une quelconque justice - au demeurant non reconnue par le Soudan - pouvait éviter la décision politique consistant à intervenir pour mettre un terme à une tuerie qui fait 10'000 morts par mois !

Si l'on cherche à deviner quels remords contrits viendront demain nous hanter, le Darfour en fournit un aperçu édifiant. On ne fait rien, mais on est prêt à juger les crimes contre l'humanité lorsque ceux-ci auront été pleinement accomplis. Une sorte d'attaque postemptive qui calmera les consciences et ne troublera pas les fosses communes.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h24 | Comments (1)

21 janvier 2005

Le courage des soldats

J'ai pris le temps ces derniers jours de lire dans leur intégralité Les Etudes sur le Combat de Charles Ardant du Picq, dont je connaissais la pensée grâce à des extraits glânés au gré de plusieurs anthologies. Ce livre n'a guère vieilli, même si plusieurs considérations tactiques sont bien entendu périmées : le fait de prendre l'homme face au combat comme sujet d'étude assure naturellement la pérennité de l'analyse, et l'époque (1868) était déjà marquée par la mécanisation de la guerre, par la démultiplication des capacités destructrices. Les parallèles et différences entre combat antique et « moderne » du colonel du Picq restent presque intégralement valables. Et continuent de nourrir la réflexion.

L'un des aspects cruciaux de son propos reste la notion d'esprit de corps, la solidarité dans les rangs, la cohésion issue de la connaissance mutuelle, qui d'après lui constituent l'essentiel de l'organisation militaire. Ce ne sont pas les plus braves qui l'emportent, mais les plus tenaces, les plus disciplinés, les plus solidaires. Toute formation doit être articulée en vue de gérer la peur du combat, la crainte de la mort, l'instinct de conservation qui disloque et rend vulnérable. Pour Ardant du Picq, seule l'expérience et l'entraînement intensif permettent de donner aux soldats le courage qui leur sera nécessaire sur le champ de bataille pour supporter le risque de mourir. Surtout si la mort vient de loin et sans prévenir.

Cette importance centrale du courage et de l'esprit de corps amène naturellement à se demander si les priorités de l'armée suisse en matière d'instruction sont les bonnes. Même si certains excès en ce domaine ont été jugulés (cf AFUCO), les écoles de recrues et de cadres restent articulées autour de matières à inculquer et de normes de performance à accomplir, dans des programmes constamment surchargés qui obligent à rester superficiels. Le métier de soldat est à peine survolé, et les objectifs fixés par les échelons supérieurs et liés aux nécessités tactiques - atteindre le niveau compagnie - limitent au strict minimum l'instruction au niveau du groupe, voire de l'individu. On ne forge pas le courage des soldats. On fuit d'ailleurs ces facteurs psychologiques si difficiles à mesurer.

La nouvelle armée a certes réintroduit la notion d'éducation militaire, mais l'encadrement semble insuffisant pour l'inculquer de manière convenable. Et je me demande si nous n'avons pas perdu, par manque d'expérience et suite aux pressions civiles, des valeurs infiniment plus importantes que la maîtrise technique. En écoutant les anciens de mon bataillon aujourd'hui dissous, les officiers de ma génération restaient parfois sidérés devant les activités coutumières des cours de répétition dans les années 70 et 80, qui commençaient par des exercices de mobilisation générale (enfin, de mob G, quoi !) pouvant fort bien comprendre - du moins pour l'infanterie - une marche de 50 km avec paquetage complet avant la prise du dispositif assigné, toujours le même.

L'effort physique n'implique par la peur, mais il permet certainement de mesurer l'esprit de corps et le courage des formations. Or je me rappelle d'une semaine d'endurance vécue comme sous-officier à l'été 1996, dans l'école de recrues d'infanterie de Colombier, qui avait commencé par une marche de 35 km avec paquetage complet (quoique sans les armes collectives) sous une pluie intermittente et dans la boue glissante qui entourait le lac de Morat (si mes souvenirs sont bons, on marchait de Sugiez à Kleingurmels). La compagnie avait tant bien que mal réussi à rallier l'objectif de la marche, mais près de la moitié des soldats avaient été déclarés littéralement hors de combat, incapables de participer aux exercices du lendemain, et évacués par la voie sanitaire le surlendemain.

Ces recrues avaient été entraînées convenablement par des marches de 5, 10, 15 puis 20 kilomètres, et par l'habitude porter l'équipement régulier du fantassin. Le parcours avait certes été rendu difficile par les intempéries, quoique sa dénivellation ait été modeste. Mais c'est surtout le manque de détermination, d'orgueil et d'émulation qui m'avait frappé et qui expliquait ces défaillances nombreuses, et limitées à des hommes du rang pourtant pas pires ou meilleurs que d'autres. Dans ces conditions, on peut légitimement se demander ce qu'il serait advenu au cours d'une situation de combat, et donc s'interroger sur les capacités réelles de l'armée. Nous avons certainement l'équipement, les connaissances et les bases légales pour défendre le pays. Mais qu'en est-il du moral ?

Généralement, on part du principe qu'en cas de guerre menaçant la survie de la nation, les Suisses retrouveraient instantanément la détermination de leurs ancêtres et feraient front sans discontinuer. En d'autres termes, on estime que l'importance des enjeux suffirait à générer les ressources et les actions nécessaires, que les causes à elles seules produiraient les effets demandés. Je crains qu'il ne s'agisse là d'une illusion. Nos soldats font tous les jours preuve d'une générosité et d'un engagement remarquables, et pour rien au monde je n'échangerais l'armée de milice contre une armée de métier ; mais il y a une grande différence entre protéger des installations durant le WEF, crapahuter à Walenstadt sous le feu unidirectionnel des mitrailleuses ou distribuer des vivres à Sumatra, et affronter la mort pour remplir sa mission.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (2)

19 janvier 2005

Asie : premières rotations

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, et les actions initiées par l'ONU semblent lentement monter en puissance ; en même temps, on ne peut guère être satisfait d'apprendre que « les mécanismes destinés à améliorer la coordination entre l'ONU et les ONG sont en train de prendre forme ». La situation reste dramatique : près de 2000 corps sont déterrés chaque jour dans la province d'Aceh, et l'Indonésie a brusquement révisé le bilan des victimes à la hausse - de 115'000 à 166'000 morts. Un travail considérable de réhabilitation et de préservation doit encore être fourni avant de songer à la reconstruction.

L'action des contingents militaires reste cruciale : ce reportage de la Marine nationale l'indique clairement, surtout si l'on considère que la majorité des biens de première nécessité sont encore transportés par hélicoptère, contre 20% par camion. Les Super Puma suisses effectuent ainsi des vols Medan-Meulaboh-Calang-Banda Aceh-Medan pour transporter du matériel au profit du HCR, qui permet la construction de camps pour les dizaines de milliers de réfugiés que compte la région.

Cependant, les premiers retours sont annoncés, notamment par les Forces armées singapouriennes, qui vont prochainement redéployer leur contingent en ne laissant sur place que des hélicoptères lourds, ainsi que par les Etats-Unis, qui effectuent une rotation entre le navire d'assaut amphibie USS Bonhomme Richard - qui emmène ses Marines en Irak avec son groupe - et son sister-ship, l'USS Essex, qui revient seul du Golfe. On peut donc voir une rotation entre les premiers arrivés sur les lieux et les détachements dépêchés plus tard, notamment d'Europe.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h18

Les options face à l'Iran

On trouve sur StrategyPage une très bonne analyse des options disponibles pour les Etats-Unis face à l'Iran et sa marche vers l'arme nucléaire : l'attaque aérienne pour interrompre ou ralentir le programme, et le changement de régime pour y mettre un terme - que ce soit par la subversion ou par l'invasion. L'auteur conclut en affirmant que les dividendes de la paix perçus durant les années 90 ont un prix élevé :

The options against Iran are limited, in large part due to the "peace dividend" of the 1990s, in which eight active-duty and four National Guard divisions were disbanded. [...] The Air Force and Navy suffered similar cuts (the navy lost over 200 ships, including three carrier battle groups, and the Air Force lost a dozen fighter wings and retired the entire force of FB-111A and B-52G bombers). The peace dividend is proving to be very costly three years into the war on terrorism.

Ce qui pose la question très ardue de la planification stratégique en temps de paix, c'est-à -dire entre deux conflits. Les Forces armées américaines ont procédé à un dégraissage massif sur la base de la stratégie dite des 2 conflits majeurs : se tenir prêt en permanence à repousser simultanément une attaque de l'Irak et une attaque de la Corée du Nord. Les plans n'avaient pas pris en compte le fait de mener des offensives en Irak et en Afghanistan, qui mobilisent actuellement près de 200'000 hommes, et donc n'avaient pas imaginé la guerre globale qui a lieu aujourd'hui. Pour leur part, les pays européens n'avaient pas pensé devoir déployer en permanence plus de 50'000 hommes pour des missions de stabilisation.

Mais le manque d'options n'est pas une cause d'inaction, simplement une limitation de la surprise, de la flexibilité ou de l'efficacité des actions. Quelles sont aujourd'hui les options stratégiques de l'Europe face au problème iranien ? Voilà une question à laquelle il serait souhaitable de répondre. A condition d'admettre qu'un Iran nucléaire puisse un problème, naturellement...

COMPLEMENT I : Cette dépêche de UPI sur l'entraînement de forces spéciales américaines et britanniques au Pakistan, avec apparemment un intérêt particulier en direction de l'Iran, est particulièrement intéressante. Quelle que soit la véracité de ses affirmations, elle participe à une pression et à un bruit croissants.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h59 | Comments (3)

Une contre-insurrection classique

Le journal Stars and Stripes est certainement l'une des meilleures sources pour obtenir des comptes-rendus factuels et dépassionnés sur les activités des Forces armées américaines. Produit pour un public militaire largement captif, il se contente de décrire le quotidien des différentes unités, et forme ainsi à la longue une image d'ensemble très réaliste - et très éloignée des médias grand public. On en trouve un excellent exemple avec ce reportage sur la 2e brigade de la 2e division d'infanterie déployée actuellement à Ramadi.

Le texte décrit la situation telle qu'elle est vue à l'échelon de la brigade, et fournit de nombreux faits pour appuyer ou nuancer cette analyse. Il montre surtout que les officiers US sont pleinement conscients d'être au coeur d'une contre-insurrection classique, qui exige du temps et des efforts quotidiens pour progressivement prendre l'avantage. Les élections constituent ainsi une étape cruciale dans un processus long et pénible, qui a amené la brigade à perdre 36 soldats de la brigade - soit 1% de ses effectifs. Mais l'initiative est entre ses mains :

"Four months ago, we were doing 'movement to contact' patrols every day. We were an obtrusive presence," Col. Gary S. Patton, brigade commander, said Saturday. "Now, we've established a security base in the city, and we're doing more precision raids. We're getting good intel from the local population. When we first got here, that wasn't happening."
Patton points to two recent examples. Last week, acting on a tip, 2nd Brigade forces swept up 20 "named targets" in a single raid. A few weeks earlier, members of the unit performed something even more unthinkable when they first arrived. "We staged ambushes out of people's houses and killed nine-man terror squads," Patton said. Before, he said, someone would have alerted the insurgents to their presence.

Cependant, les actions offensives et la sécurité fournie par les mesures défensives ne sont pas décisives dans ce type de conflit. L'essentiel consiste en effet à restaurer et à préserver la normalité du secteur d'engagement afin d'obtenir le soutien de la population :

The brigade, which includes 3,500 soldiers, has completed $1.5 million worth of civil projects during that time and helped create 800 new jobs, officials said. Universities and schools opened on time this fall, and city officials are returning to their jobs.

En définitive, les officiers de cette brigade affichent un optimisme prudent : ils ne voient pas encore la lumière au bout du tunnel, mais ils ont effectué des progrès importants et connaissent les intentions comme les moyens de leurs adversaires. Et seuls des articles qui rendent compte de cette situation à la fois complexe et claire dépassent l'information brute pour livrer une véritable connaissance au lecteur.

Posted by Ludovic Monnerat at 0h11

17 janvier 2005

L'Iran, plus que jamais

Le programme nucléaire iranien reste plus que jamais la préoccupation des Etats-Unis : un article du reporter Seymour Hersh dans le New Yorker affirme ainsi que des opérations clandestines sont en cours sous le commandement direct du Pentagone, avec des unités spéciales ultrasecrètes, afin d'exercer une action décisive sans recourir à une offensive militaire conventionnelle - ou sans laisser Israël effectuer celle-ci. Le coeur de l'article insiste sur les conséquences de cette subordination directe en vue de mener la guerre contre le terrorisme islamiste :

"It's a finesse to give power to Rumsfeld-giving him the right to act swiftly, decisively, and lethally," the first Pentagon adviser told me. "It's a global free-fire zone."

Il faut cependant signaler que les articles de Seymour Hersh sont d'une fiabilité douteuse, et que sa renommée date de la révélation de My Lai, ce qui ne rajeunit personne. Non seulement c'est un opposant féroce et déclaré à l'administration Bush, qui n'a pas hésité à déformer les faits pour mieux vendre ses prétendues révélations sur les sévices commis à Abu Ghraib (nombreux sont ceux qui croient encore que l'armée américaine n'a ouvert d'enquête et annoncé ces maltraitements qu'après ses révélations, alors qu'elle a informé le public des semaines auparavant), mais ses méthodes sont éminemment dangereuses : elles consistent à donner la parole à tous les mécontents, les frustrés et les évincés de l'administration américaine, sans les ancrer dans un contexte solide pour donner une vue d'ensemble exacte.

De ce fait, Hersh est particulièrement susceptible d'être manipulé à des fins politiques auxquelles il accorde son appui. Il s'est en particulier ridiculisé à l'automne 2001 lors de la campagne d'Afghanistan, lorsqu'il a accusé les opérations spéciales américaines d'avoir été un désastre et a propagé de nombreuses erreurs factuelles pour ce faire. Toutefois, ses propos sur l'Iran et les autres informations parvenues ces dernières semaines laissent penser qu'une action de première importance est en cours ou est considérée, et que ses opposants utilisent Hersh pour tenter d'alerter l'opinion publique et la classe politique afin d'y mettre un terme ou de l'empêcher. On peut notamment penser que la CIA tente par ce biais de préserver son monopole des opérations clandestines.

Quoi qu'il en soit, il apparaît logique que l'action indirecte et subversive soit retenue dans le cas de l'Iran : non seulement implique-t-elle bien moins de moyens et de risques qu'une opération aérienne de grande envergure, ou même qu'une offensive aéroterrestre durable, mais elle permet peut-être d'éviter le rapprochement autour du régime de Téhéran et cultiverait l'opposition que ce dernier suscite. Il faut espérer pour les Américains que leurs renseignements seront meilleurs qu'à propos de l'Irak...

COMPLEMENT I : Une récente étude d'un think tank israélien affirme que la destruction du programme nucléaire iranien est au-delà des possibilités de l'aviation israélienne, et que seuls les Etats-Unis ont les capacités de s'en charger. Mais l'auteur affirme également que désormais, l'Iran menace davantage les intérêts américains qu'israéliens, une manière de souligner que la démocratisation et la modernisation du Moyen-Orient trouvent à Téhéran leur principal obstacle !

COMPLEMENT II : Le Pentagone a publié hier un communiqué absolument dévastateur pour Seymour Hersh, en soulignant clairement que les sources uniques et anonymes ne sont guère une méthode adéquate pour traiter des sujets aussi complexes. Plusieurs éléments factuels sont ainsi réfutés, ce qui devrait être facile à contrôler, et donc indique que le Pentagone est sûr de son fait.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h06 | Comments (2)

16 janvier 2005

Asie : où est l'ONU ?

Trois semaines après le tsunami qui a ravagé l'Asie du Sud, qui assure la coordination de l'aide humanitaire et des moyens engagés dans le domaine du transport, du génie et de la logistique ? On se rappelle que l'ONU, par la voix de l'omniprésent Jan Egeland, avait émis la prétention exorbitante de diriger les opérations, avant de prendre conscience de la réalité et d'avoir une peine considérable à déployer des éléments au sol capable de jouer un rôle effectif. Habile à influencer les médias et obtenir des reportages favorables, l'ONU a ainsi été vilipendée et ridiculisée par des gens présents sur place.

Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Il semblerait que l'ONU a consenti à diminuer ses prétentions et ne plus trop s'approprier les actions planifiées, préparées et exécutées par d'autres. Dans sa dernière conférence de presse, Jan Egeland a ainsi renoncé à ses rodomontades et montré la vraie dimension de l'engagement onusien :

The United Nations was now negotiating with governments for the use of 10 helicopters, which would slowly take over the work being done by the huge contingent of international military forces on the ground. Mr. Egeland commended the excellent relationship between relief organizations and those military assets in the region, and he had been pleased by reports that no government planned to pull out their assets until they could be assured there was no longer any need for them.

Finies les envolées lyriques sur le recours à des porte-hélicoptères : les Nations Unies ont enfin commencé à faire des demandes précises pour obtenir les moyens d'agir concrètement, et ont renoncé à faire pression sur les militaires américains et australiens pour qu'ils portent un drapeau bleu et se rangent sous le commandement de fonctionnaires cosmopolites. Le déploiement des 3 Super Puma suisses permet justement à l'ONU, par l'entremise du HCR, de commencer à mener de son propre chef des opérations aériennes qui restent indispensables dans la région. D'autres hélicoptères permettent à l'OMS de procéder à des évaluations précises de la situation sanitaire. La lente machinerie onusienne a démarré.

Pendant ce temps, les opérations militaires se poursuivent à un rythme constant. Le pont aérien mis en place par les Etats-Unis, Singapour ou encore l'Australie pour livrer des biens de première nécessité aux nombreux endroits inaccessibles continue de fonctionner à plein régime. Les navires déployés par la France et l'Allemagne sont arrivés sur zone. Pour sa part, l'Indonésie a renoncé à imposer une date limite pour la durée de ces opérations, reconnaissant aux Etats-Unis le rôle de "colonne vertébrale" pour toute l'aide humanitaire dans la province d'Aceh.

Le fonctionnement des principaux contingents militaires n'a pas changé : ce sont toujours les nations hôtes qui transmettent leurs besoins à la Combined Support Force 536, laquelle se charge de coordonner les actions en intégrant l'ONU à son fonctionnement, comme l'indique cette transcription :

Q Vicky O'Hara from National Public Radio. When you have a relief effort like this that involves assets from so many different countries, who coordinates the command and control component? Who plays traffic cop?
MR. FRY [de USAID, NDR] : That's -- I better take that one because that's one of the issues that -- one of the reasons I'm here.
There's a -- definitely within the military there's always the command-and-control element, but within the relief organizations and within any, in a sense, coalition partners or other countries that come to coordinate these relief efforts, I think that's the magic word, coordination. It's coordination, cooperation, consensus. There is no one in charge except for the host nation. They are in charge. They're ultimately responsible for this -- for coordinating -- I shouldn't say coordinating, but managing and telling us what to do and what their needs are, and if we can meet them we'll probably do that.
One of the unique things about CSF-536 is there's other representatives from at least five or six different nations' militaries as well as U.N. representatives, and we meet several times a day to coordinate our efforts with the understanding that we realize we have to work together to solve these problems and there is really no grand relationship other than coordination.

La réalité a donc fini par rattraper l'ONU. Il semble heureux qu'elle ait décidé de l'accepter et de mettre en sourdine son activisme pour s'occuper des populations dans le besoin.

COMPLEMENT I : Cet article fort intéressant d'un journal australien décrit la réaction des Etats-Unis et de l'Australie immédiatement après le tsunami, et comment le "groupe noyau" s'est formé. Une lecture hautement recommandée.

COMPLEMENT II : Décidément, il est difficile de trouver un impact positif de l'ONU dans la conduite des opérations ! Suite à la surcharge de l'aéroport de Banda Aceh, qui compte 200 mouvements par jour, les Forces armées indonésiennes ont décidé d'ouvrir un aérodrome militaire situé 20 km au nord, à Sabang, pour faciliter les choses. Pourtant, l'ONU a tenté de s'y opposer, et avoue maintenant le bienfondé de cette décision :

The opening of a military airport to relief planes on a small island off the northern tip of the devastated province of Aceh is easing the inflow of relief materials, a United Nations official said Monday.
"We were probably against the idea in the first instance," said Michael Huggins from the United Nations World Food Programme. "But it became obvious that the aid inflow was beyond the capabilities of the airports in Medan and Banda Aceh. It has taken a huge burden off the air shipments to Medan and Banda Aceh."

Une fois de plus, les capacités de l'ONU en matière de planification - notamment du transport aérien - sont vraiment lamentables. Ou faut-il comprendre que les fonctionnaires onusiens renâclaient à quitter leurs logements à Banda Aceh pour les baraquements spartiates d'un aérodrome militaire ? En tout cas, la plupart des vols de C-130 australiens se font désormais depuis Sabang.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h10

La dissuasion nucléaire française

Une intéressante série d'articles a été publiée hier dans Le Figaro sur les armes nucléaires françaises, soit la modernisation des missiles et le débat des mini-bombes pour faire face aux menaces actuelles. Ce reportage rappelle que la France continue de dépenser des sommes considérables dans le maintien de ses capacités de dissuasion nucléaire, malgré l'abandon de la composante sol-sol : 8 milliards d'euros sont ainsi investis dans les missiles M51 d'une portée de 6000 kilomètres. Et ceci en dépit de contestations émises par l'opposition ou des doutes sur la finalité de telles armes.

A priori, investir autant dans des vecteurs conçus pour ne pas être employés peut sembler inutile. Pourtant, Isabelle Lasserre se trompe en affirmant que le débat sur l'évolution des doctrines nucléaires est tabou en France : il existe bel et bien, comme le montre les réflexions autour du concept de pressuasion - visant à rapprocher la prévention et la dissuasion - élaborées dans la revue Défense Nationale de janvier 2003, revue qui ne publie pas de texte sans approbation du Ministère de la Défense. La diminution des charges nucléaires et l'augmentation des charges classiques devraient ainsi permettre de rétablir la continuité de la dissuasion.

C'est donc vers une augmentation de la possibilité d'emploi de l'arme nucléaire que l'on se dirige, et non de sa probabilité : le problème reconnu de la prolifération et des installations souterraines diminue l'utilité de l'arsenal nucléaire actuel, conçu pour un conflit entre puissances nucléaires établies, et non pour faire face à des capacités nucléaires en mains d'Etats émergents ou de groupes non étatiques. Le développement des armes mininucléaires aux Etats-Unis, bien que suspendu par le Congrès, est ainsi observé avec attention de ce côté-ci de l'Atlantique. La nature même de la dissuasion exige la prise en compte des perceptions que véhiculent les capacités et les intentions.

Le nucléaire exerce-t-il une dissuasion sur les menaces asymétriques comme le terrorisme islamiste ? A une reprise au moins voici quelques mois, Michèle Alliot-Marie a indiqué que la France n'hésiterait pas à servir de l'arme nucléaire pour défendre l'Europe contre des Etats-voyous. La Grande-Bretagne a émis des intentions proches. Du côté américain, plusieurs analystes affirment que l'administration Bush a menacé de vitrifier La Mecque pour dissuader Al-Qaïda et Oussama ben Laden de poursuivre leur escalade d'attentats terroristes. L'emploi de l'arme nucléaire n'est donc pas un sujet tabou.

On peut se demander si ces affirmations sont fondées ou non, mais cela reste accessoire : le doute peut contribuer à nourrir la dissuasion. Et la force spirituelle qui meut une mouvance dispersée comme le fondamentalisme musulman reste suffisamment terrestre pour être vulnérable à l'arme nucléaire. La démarche française en la matière apparaît donc cohérente sur le plan capacitaire. Reste la volonté des dirigeants politiques...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h46 | Comments (10)

15 janvier 2005

Entraînement urbain en Israël

Ce reportage du Jerusalem Post décrit la nouvelle installation pour l'entraînement au combat en milieu urbain de Tsahal, située à la base de Tze'elim dans le désert du Neguev. Il s'agit apparemment d'un véritable village d'exercice, comprenant plusieurs rues et une casbah centrale, qui permet d'exercer cadres et soldats jusqu'au niveau compagnie avec des exercices à double action ou à munitions réelles. Les combattants palestiniens violant les lois de la guerre, les non combattants utilisés comme boucliers humains et les journalistes aux inclinations militantes sont représentés.

Il est intéressant de relever que sur la même base, un terrain plus vaste permet d'entraîner les formations jusqu'au niveau brigade dans un environnement de commandement et contrôle entièrement digitalisé. Pourtant, les offres de collaboration à d'autres armées sont restées sans réponse, alors que la nouvelle cité d'exercice suscite davantage d'intérêt, tout comme les compétences de Tsahal dans les conflits de basse intensité :

This March 7, the IDF is to hold its second annual conference on low-intensity conflict. According to Ron-Tal, hundreds of military and security officials from abroad have already registered for the conference, more than triple the number at last year's.
"We have a lot of experience with a certain type of terror, more than other countries, even more than the Americans," Ron-Tal says. "It's right to share this with other nations. We will share everything that is not classified, like new weapon systems, or certain operation methods we'd like to keep to ourselves."

Coopérer avec l'Etat d'Israël sur le plan militaire est aujourd'hui tabou pour de nombreux pays européens ; dans le cas de la Suisse, la coopération se poursuit à un rythme ralenti, et essentiellement parce qu'elle est très largement unilatérale - l'armée suisse ayant acheté plusieurs systèmes israéliens de première qualité. Pourtant, l'évolution de l'environnement stratégique amène aujourd'hui déjà les Etats démocratiques à se rapprocher les uns des autres, et la diplomatie militaire joue un rôle important dans ce cadre. Les Israéliens d'ailleurs en ont aussi besoin, comme un témoigne la fin de l'article :

As we make our way down one street to observe a company slowly advancing, a "Palestinian" gunman mingles among us and then opens fire at soldiers. The officer in command leads a charge in what turns out to be a nasty gun battle of blanks and shouts.
"You just killed all of the journalists!" says a brigade commander acting as an instructor.
"So what," replies the young officer.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h24 | Comments (2)

La malédiction du terrorisme

Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour vérifier l'impact limité des élections palestiniennes : non seulement leur participation modeste a montré la puissance des groupes terroristes ayant appelé à son boycott, contrairement aux louanges unanimes des médias, mais ces groupes se sont manifestés jeudi soir par un attentat suicide qui a abouti à la mort de 6 civils israéliens, et qui a nécessité une préparation considérable. Et l'on retrouve immédiatement les rôles traditionnels : Israël qui affirme avoir la preuve que l'Autorité palestinienne est liée à l'attentat, celle-ci qui condamne officiellement l'attentat sans s'attaquer à ses auteurs, et la majorité des médias qui refusent d'appeler le terrorisme par son nom.

Le conflit israélo-palestinien se poursuit donc, et la décision immédiate d'Ariel Sharon de fermer les points de passages de la bande de Gaza et de suspendre ses contacts avec Mahmoud Abbas montre bien que la tolérance visant à faciliter la campagne électorale a cessé. C'est simplement une nouvelle phase d'une guerre que la société palestinienne ne peut plus s'empêcher de mener : le fanatisme diffusé dans les écoles, la réécriture de l'histoire et la haine systématique ont fait du djihad l'exutoire à toutes les frustrations d'une population jeune, démunie et jalouse. Continuer à se battre est plus important que gagner. Quitte à prendre en otage tous ceux qui aspirent à une vie normale.

Le favoritisme choquant des journalistes occidentaux pour la cause palestinienne ne doit pas nous aveugler : le terrorisme palestinien est un chancre maudit qui menace bien plus que la sécurité des Israéliens. Il représente l'archétype de la fanatisation idéologique, à la fois nationaliste et religieuse, qui aboutit à justifier et à célébrer les pires horreurs. Et comme l'Etat d'Israël a pris des mesures radicales pour en limiter les effets sur son territoire, tout en admettant progressivement que le retrait des colons est inévitable, les groupes palestiniens finiront par mettre en cause la stabilité - ou l'existence - d'autres Etats.

On voit mal comment le Proche-Orient pourrait trouver une paix durable sans l'élimination du Hamas et du Djihad islamique, et sans l'intervention armée d'un Etat arabe pour ce faire. Voilà des mois que l'Egypte est sollicitée pour prendre en charge la Bande de Gaza, ce que ni Israël, ni la communauté internationale ne seraient en mesure de faire. Peut-être une solution négociée entre Etats offre-t-elle de meilleures chances qu'une feuille de route partant du principe utopiste que tout le monde souhaite la paix...

COMPLEMENT I : Le problème de la participation modeste aux élections palestiniennes sera-t-il admis par les médias qui ont clamé une mobilisation massive ? L'annonce de démissions dans la commission électorale palestinienne, suite aux pressions du Fatah pour artificiellement augmenter la participation, confirme en tout cas la manipulation survenue le 9 janvier.

COMPLEMENT II : L'attentat de jeudi soir a été célébré par les groupes terroristes palestiniens comme une victoire. Voilà qui en dit long sur leur volonté d'accepter une solution négociée. Et les membres du Fatah ont récemment exécuté deux "collaborateurs" présumés sans autre forme de procès. Les Palestiniens semblent condamnés à poursuivre une existence misérable...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h48 | Comments (6)

14 janvier 2005

Pas de drone pour Genève

La demande faite par l'Etat de Genève pour obtenir un drone de l'armée afin de détecter les incendies de voiture, après avoir suscité des commentaires pour le moins ridicules, a finalement eu un effet positif : les bases juridiques et les capacités techniques n'autorisent pas, pour l'heure, les Forces aériennes suisses à répondre positivement à une telle demande. Le risque à engager un ADS-95 sur la ville de Calvin pour des missions de longue durée - jusqu'à 4 heures - était tout simplement trop grand. Les accidents de drone n'amusent personne !

Dès que les textes légaux auront été adaptés et complétés, ce type d'engagement sera néanmoins une possibilité croissante. Il se trouve en effet que armasuisse a développé une console mobile pour le drone ADS-95 qui permet de fournir très rapidement une capacité de commandement et contrôle aux forces de sécurité, sans devoir installer à chaque fois les grandes antennes nécessaires aux liaisons entre l'appareil et l'emplacement où ses images sont reçues en temps réel. L'interconnexion des systèmes favorise ainsi la coopération civilo-militaire et élargit les options des exécutifs cantonaux, voire communaux. Même si l'emploi de minidrones offre encore plus de souplesse technique et permet d'utiliser des altitudes réduisant les coordinations dans l'espace aérien.

Certes, la Cité de Calvin a dans l'immédiat davantage de souçis avec ses policiers qui manifestent pour leurs salaires qu'avec d'éventuels avions sans pilote...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h32

13 janvier 2005

Asie : soldats armés ou non ?

Le Temps a annoncé ce matin que les soldats suisses déployés en Indonésie ne seraient pas armés, affirmant que Berne avait initialement prévu le contraire. Le texte laisse en effet penser que les quelque 50 soldats suisses, qui devaient initialement être armés pour leur propre protection, laisseront finalement leur fusil à domicile et seront protégés par l'armée indonésienne durant toute leur mission.

Il s'agit ici d'un contresens du à une mauvaise compréhension de la protection des forces. Imagine-t-on des soldats travaillant à des tâches logistiques ou sanitaires au profit d'une population civile et portant l'arme en bandoulière, prêts à prendre la position de contact à la moindre alerte? Non : la majorité au moins des soldats suisses travailleront sans la moindre arme sur eux. Mais si les conditions de sécurité devaient brusquement se dégrader, ce qui est tout à fait possible, les armes maintenues sous clef dans un conteneur dédié seront rapidement distribuées à la troupe.

Cette disposition est absolument normale : les Australiens ont certainement adopté une pratique identique, alors que les Marines débarquant en Indonésie ont laissé leurs armes à bord de leurs navires. Toutefois, ce qui est logique pour un soldat suisse ne l'est pas nécessairement pour un militaire australien, et moins encore pour un Marine américain : les islamistes désireux de "faire un carton" sur leurs ennemis trouveront des cibles nombreuses en Indonésie, et la présence d'un porte-avions au large ne peut en aucun cas les dissuader.

Dans ces conditions, est-il permis d'espérer que les ennemis des puissances occidentales fassent la différence entre un soldat américain, français, australien, hollandais ou suisse ? Déployer un contingent militaire helvétique en terre musulmane, même pour une mission d'aide humanitaire absolument limpide, rappelle que nous ne sommes pas indifférents au monde - et réciproquement. Dans une planète qui rapetisse au fur et à mesure que l'effet de la distance s'amenuise, la solidarité implique également la similarité.

COMPLEMENT I : Eh bien, les conditions ont changé le temps de mon bref déplacement ! Le contingent suisse sera effectivement dépourvu de toute arme, et le conteneur spécifique prévu initialement - et jusqu'il y a peu - restera bel et bien en Suisse. L'exigence très précise du Gouvernement indonésien ne laisse pas de choix. Et l'article du Temps était tout à fait correct, même si la politique suisse n'a aucun rapport avec cette décision.

En revanche, plusieurs autres contingents auront bel et bien leurs armes à disposition en-dehors du territoire national indonésien, et donc le plus souvent sur des bateaux croisant dans les eaux internationales.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h30

10 janvier 2005

La pingrerie de l'Europe

Un jour après le tsunami qui a frappé l'Asie du Sud, et alors que l'ampleur de la catastrophe était loin d'être apparue, un haut fonctionnaire de l'ONU a jugé bon de reprocher aux nations développées leur « pingrerie » après les premières annonces de dons. Piqués au vif, les Etats-Unis ont immédiatement doublé leur contribution, et décuplé par la suite ; il peut être intéressant de relever que George Bush était alors en vacances, tout comme Kofi Annan, ce qui explique certainement leur lenteur à réagir dans les médias et à satisfaire leurs exigences (dans un autre registre, on notera que la Ministre suédoise des Affaires étrangères a jugé bon d'aller voir une pièce de théâtre le soir de la catastrophe, ce qu'elle doit à présent amèrement regretter).

Aujourd'hui, il est temps de se demander si ce n'est pas l'Europe qui devrait être accusée de pingrerie au vu des moyens somme toute restreints qu'elle déploie en Asie du Sud pour venir en aide aux populations touchées et réhabiliter leur environnement. Les promesses de dons sont en effet moins importantes en situation d'urgence que les hommes et femmes, les moyens de transport et les prestations logistiques disponibles sur place. Pour un article qui sera mis en ligne ce soir sur CheckPoint, j'ai ainsi procédé à un dénombrement des déploiements militaires effectués ou en cours dans la région, et la comparaison n'est pas favorable aux Européens. Et malgré l'orientation des médias, cela commence à se voir.

Globalement, on peut estimer le volume global de moyens militaires en action ou en transit à environ 80'000 hommes, 100 navires, 180 hélicoptères et 80 avions de transport, sans compter un pont aérien qui a impliqué près de 75 avions de transport supplémentaires. Sur ce total, l'Europe fournit à peu près 3100 hommes, 8 navires, 22 hélicoptères et 11 avions de transport, avec un levier aérien qui compte en tout 37 avions, mais dont moins d'une dizaine volent encore régulièrement aujourd'hui. C'est peu, surtout si l'on considère que 4 de ces navires et leurs 5 hélicoptères ont été retirés à la Task Force 150 engagée dans l'opération Enduring Freedom, alors que 2 autres - le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, la frégate Georges Leygues et leurs 6 hélicoptères - devaient de toute manière croiser à proximité de la région.

Retirer des moyens à une force multinationale en cours de mission n'est pas une pratique bien considérée, loin s'en faut, au sein des armées. Et ceci d'autant plus que ce ne sont pas les navires, les hélicoptères et les soldats européens qui manquent, ni les tâches à accomplir, ni les bénéfices à en retirer sous forme d'expérience opérationnelle, de contacts multinationaux et bien entendu de réputation nationale. Les Etats-Unis pour leur part déploient 16'500 militaires, 27 navires, 90 hélicoptères et 42 avions de transport, et au moins un tiers de ces moyens n'étaient pas positionnés dans le Pacifique Sud lorsque la catastrophe s'est produite ; un navire-hôpital géant offrant 1000 lits a d'ailleurs quitté la Californie et ne sera qu'à la fin du mois dans les eaux indonésiennes.

Cette pingrerie européenne face à un drame de dimension planétaire et à une mission qui durera plusieurs semaines montre les limites du soft power. Les Européens peuvent être fiers de leur générosité, et les 1,5 milliards d'euros promis seront très utiles à long terme, s'ils sont effectivement versés et employés à relancer les activités économiques locales, et non renforcer l'assistanat des populations. Mais dans une situation de crise, c'est bien le hard power et la volonté politique de l'utiliser qui font la différence. Et la véritable démonstration militaire américaine qui se déroule depuis plus d'une semaine, et qui commence à être comparée avec le pont aérien sur Berlin, montre bien que la puissance se conjugue toujours dans ses 4 dimensions majeures - politique, économique, culturelle et militaire.

COMPLEMENT I de 2145 : L'article mentionné ci-dessus est désormais disponible sur CheckPoint. Pour compléter cette lecture, je vous conseille de consulter ce communiqué du Pentagone sur la conduite des opérations militaires en Asie du Sud. Comme je l'affirmais précédemment, les Etats-Unis assurent bel et bien le leadership des contingents militaires en coordonnant leurs actions :

Initially the responsibility of a U.S. joint-service task force, the job of picking up the pieces was turned over to a combined support force comprised of the United States and 12 other countries - Australia, Austria, China, France, Germany, India, Japan, Korea, Malaysia, New Zealand, Pakistan and Singapore.
[...]
"This is a very unique organization here in that it's more of a cooperative arrangement," Krieg said. "It's not a command structure."
The nations comprising the CSF are pooling their resources to support Operation Unified Assistance, the name given the post-tsunami relief efforts focused on Indonesia, Sri Lanka and Thailand.
"We're really approaching it as almost three separate operations," Krieg said.
To work these operations, diplomats from the three countries are communicating their nations' needs through CSF liaisons, who in-turn divvy up the tasks according to the country with the greatest capabilities. The requests are then relayed to the operational base at Utapao Thai Royal Naval Air Base here for action.

Est-ce que les médias qui ont fidèlement relayé les prétentions de l'ONU à diriger les contingents militaires vont corriger cette assertion pour le moins erronée, et décrire objectivement la lutte d'influence que se joue en ce moment ?

COMPLEMENT II : Ce bref reportage du Monde fournit un aperçu très intéressant des activités sur l'aérodrome de Banda Aceh.

COMPLEMENT III : Ce commentaire dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung est certainement plus accusateur que mes propos : "Amerika handelt, Europa diskutiert" (trouvé sur Davids Medienkritik).

Posted by Ludovic Monnerat at 11h02 | Comments (10)

7 janvier 2005

Une nouvelle ère au Proche-Orient ?

Voici quelques semaines, j'ai eu l'occasion d'écouter l'un des plus proches conseillers d'Ariel Sharon s'exprimer devant une petite assemblée sur la situation stratégique de son pays. Une expression revenait sans cesse dans ses propos : « une nouvelle ère ». La mort de Yasser Arafat et la campagne électorale en Palestine étaient synonymes de nouvelle ère, de nouvel espoir pour une solution négociée au conflit israélo-palestinien. Tous les pays de la région en convenaient, et un optimisme prudent s'était installé dans les esprits - la première fois depuis 2000, voire plus tôt encore.

Pourtant, le déroulement de la campagne électorale palestinienne et le double langage de Mahmoud Abbas semblent contredire pareil optimisme : comme argumente avec éloquence Charles Krauthammer, la signature des Accords d'Oslo s'était faite dans la même atmosphère optimiste, et tous les experts ou presque avaient écarté les preuves de l'intention réelle de Yasser Arafat :

What of Abbas' vaunted opposition to violence? On Jan. 2, he tells Hamas terrorists firing rockets that maim and kill Jewish villagers within Israel, "This is not the time for this kind of act." This is an interesting "renunciation" of terrorism: Not today, boys; perhaps later, when the time is right. Which was exactly Arafat's utilitarian approach to terrorism throughout the Oslo decade.

Ce qui est surprenant, c'est que le Gouvernement Sharon semble décidé à faire confiance à Mahmoud Abbas et à effectuer un retrait unilatéral de la Bande de Gaza, même au prix de vives dissensions internes. Le conseiller de Sharon expliquait ainsi que ce dernier est prêt à risquer sa vie pour accomplir sa volonté, et que seule la Knesset - et encore... - parviendrait à l'en empêcher.

Savoir si la méfiance de Krauthammer est justifiée est bien difficile ; en revanche, il est certain que la vie de Mahmoud Abbas dépend de sa disposition à ménager les groupes terroristes palestiniens - même si certains reportages de journalistes européens apparemment acquis à la cause palestinienne évitent soigneusement d'en parler. En d'autres termes, l'espoir de paix semble bien ténu, et il faut trouver ailleurs une explication au comportement d'Israël.

En définitive, l'Etat hébreu se trouve aujourd'hui en position de force après avoir gagné, quoique douloureusement, la guerre déclenchée par Yasser Arafat en 2000. Mais sa sécurité stratégique n'est pas pour autant assurée, et ses Forces armées vivent constamment dans un état d'alerte élevé, prêtes à réagir à une agression des pays qui l'entourent. De plus, le programme nucléaire iranien menace de rompre le monopole israélien, alors qu'au moins deux de ses voisins - l'Egypte et l'Arabie Saoudite - vont vivre une transition de pouvoir délicate ces prochaines années.

On peut donc en conclure qu'Ariel Sharon cherche aujourd'hui à poser des jalons destinés à consolider l'existence de son pays - car c'est bien de cela qu'il s'agit. Obtenir un cessez-le-feu avec les Palestiniens pour légitimer le retrait des territoires aux yeux de son public, tout en renforçant les mesures de protection pour réduire les capacités des groupes terroristes ; normaliser les relations avec les pays du Moyen-Orient en les aidant - discrètement - sur la voie de la démocratisation et de la modernisation, et ainsi déjouer les visées subversives des islamistes ; et reprendre vigoureusement l'immigration pour compenser le déséquilibre démographique de la région.

Il est donc un peu tôt pour affirmer qu'une nouvelle ère est venue. Si Mahmoud Abbas survit et si les groupes terroristes palestiniens réduisent leurs activités, des conditions plus favorables seront créées. Pas davantage.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h43 | Comments (5)

Déploiements militaires en Asie

Mieux vaut tard que jamais : la plupart des médias soulignent désormais le rôle vital joué par les armées dans le sauvetage et l'aide en Asie du Sud, et on peut par exemple trouver dans Le Monde une liste des différentes contributions fournies dans ce domaine par les nations. Cette liste reste incomplète, n'établit pas de différence entre déploiements ponctuels et durables, n'aborde pas la question du commandement et n'offre pas vraiment de perspective à court terme, mais c'est toujours mieux que rien !

Le cas de l'Asie du Sud aura ainsi imposé l'importance des armées dans les situations de crise les plus graves et mis sur le devant de la scène les problèmes liés à la projection. On espère que l'Union européenne parviendra à en tirer des leçons utiles pour le développement de ses capacités de transport aérien et maritime, et conclura à la nécessité d'agir plus tôt et plus rapidement. Les armées européennes, pour leur part, récolteront nombre d'enseignements en termes de logistique, d'aide au commandement, d'interopérabilité et de coopération civilo-militaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h13 | Comments (1)

6 janvier 2005

Irak : un claquement de doigts

Un excellent reportage dans Stars & Stripes sur une patrouille américaine à Bagdad montre la dualité des soldats dans les conflits de basse intensité : à la fois militaires et humanitaires, bienfaiteurs et interrogateurs, souriants et menaçants, en passant de l'un à l'autre le temps d'un claquement de doigts. Cet article ne donne que la perspective américaine, mais il résume bien les activités quotidiennes des troupes.

Pour être plus précis, les formations militaires modernes doivent être capables de simultanément déployer trois types d'actions dans un secteur donné : la coercition (ou l'usage décisif de la force), la contention (ou la maîtrise de la violence) et la coopération. Les Forces armées américaines ont désigné sous le terme de "three-block war" cette réalité qu'elles vivent au quotidien en Irak et en Afghanistan.

La principale difficulté consiste non seulement à réussir le passage délibéré d'un type d'engagement à l'autre, mais à le faire également en guise de réaction à des activités hostiles. Le claquement de doigts peut fort bien provenir d'une attaque ennemie, ou de la suspicion d'une telle action, au cours d'activités planifiées. Et ce sont d'un seul coup d'autres comportements, d'autres positions et d'autres règles d'engagement qui doivent être adoptées - ce qui exige une doctrine claire, un entraînement intensif et des soldats de qualité pour être maîtrisé.

Le point essentiel à ne pas perdre de vue est le suivant : l'emploi des armes, l'acquisition du renseignement ou les chasses à l'homme ne sont pas des mesures offensives dans un tel contexte, mais au contraire défensives ; c'est la reconstruction, l'aide humanitaire, le développement économique, l'éducation et la participation politique qui forment la véritable offensive, celle qui touche le coeur et l'esprit de la population, et donc le centre de gravité de toute opération de stabilisation.

Une compréhension qui manque à la plupart des "bilans" que l'on peut lire, entendre ou voir sur l'Irak, parce qu'ils se concentrent sur quelques incidents marquants au lieu de prendre en compte l'essentiel.

COMPLEMENT I : Pour souligner mon propos, l'agence AP rapporte qu'un groupe islamique radical s'est rendu dans la province d'Aceh pour contribuer à l'aide humanitaire en cours. Une offensive mineure, mais à prendre en considération.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h57 | Comments (1)

La roquette et l'Empire

Sur Tech Central Station, Ralph Kinney Bennett raconte brièvement l'histoire des roquettes au sein des armées occidentales, qui existent depuis près de 200 ans aux côtés de l'artillerie traditionnelle. Il établit également un parallèle avec les roquettes Qassam tirées par des organisations palestiniens sur terre israélienne, en montrant bien le caractère ancien d'une telle arme. On peut également trouver des informations complémentaires sur les systèmes lance-roquettes modernes sur Army Technology.

Un point de son exposé mérite le détour : le premier commandant occidental à faire l'expérience terrifiante d'un tir de roquettes sur ses troupes était un certain Arthur Wellesley, qui sera connu plus tard comme duc de Wellington. Il rappelle que l'Empire britannique, un siècle avant son apogée, envoyait ses soldats de métier sur des théâtres d'opérations les plus divers et les plus éloignés en vertu d'une vision stratégique, qui à l'époque comprenait l'extension du commerce et le contrôle des voies maritimes.

C'est une réflexion assez proche qu'émet aujourd'hui Ralph Peters, dans un éditorial du New York Post, en montrant l'importance à ses yeux déterminante de l'Océan Indien et la nécessité pour la marine américaine de se concentrer sur la maîtrise des mers. Son nouveau livre sera d'ailleurs consacré à ce sujet, et il contribuera certainement à réorienter la pensée stratégique américaine sur d'autres lignes directrices - au même titre d'ailleurs que Thomas P. M. Barnett et sa nouvelle carte du Pentagone.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h35

5 janvier 2005

Les Canadiens en rade

Le Canada a récemment annoncé qu'il va déployer en Asie du Sud le DART (Disaster Assistance Response Team), une formation de 200 militaires spécialisés dans l'aide en cas de catastrophe. Cette annonce survient dans une atmosphère de polémique, en raison de la lenteur prise par la décision et par l'exécution de ce déploiement. En clair, les Canadiens ont une unité de réaction rapide incapable de réagir rapidement. Plutôt problématique.

Le problème est lié au transport : le DART exige une capacité de 225 tonnes pour être engagé quelque part, et il compte des équipements lourds (înstallation de purification d'eau) ainsi que des véhicules. Or les 5 Airbus A310 des Forces armées canadiennes peuvent embarquer le personnel, le matériel sur palettes mais pas les véhicules, alors que leurs 32 C-130 Hercules sont difficilement en état pour projeter une telle unité. La solution classique, louer des gros transporteurs russes Antonov, s'est révélé vaine : la crise due au tsunami a multiplié les demandes pour ces appareils et donc imposé des retards. De toute manière, ces avions géants ne peuvent atterrir n'importe où.

L'exemple canadien doit servir de leçon pour la Suisse : seuls des moyens de transport aérien propres, modernes et suffisants constituent un outil efficace en cas de crise. Faire appel à un pool d'avions militaires ou louer des avions civils fonctionne à merveille, sauf lorsque l'on en a le besoin le plus urgent. Autrement dit, les avions de transport dont la Suisse a besoin ne peuvent pas se limiter aux 2 petits Casa C295M que le Parlement rechigne à accepter pour un coût de 109 millions de francs : d'autres avions de transports, de taille supérieure, seront probablement nécessaires dans un deuxième temps. Comme par exemple 2 Airbus A400M, à 125 millions la pièce...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h41

4 janvier 2005

Vieille Europe et Nouvelle Delhi

Un texte venant d'être mis en ligne sur CheckPoint décrit la position actuelle de l'Inde par rapport aux Etats-Unis, et notamment le rapprochement rapide qui s'est produit sous l'administration Bush. Il conclut en indiquant qu'un déplacement de pouvoir se produit en direction de l'Orient, et laisse entendre que l'Europe avec sa position presque "non-alignée" pourrait en faire les frais. Cela écrit sans une once de regret ou de triomphalisme, mais comme une tendance irrémédiable.

De telles réflexions doivent nous interpeller. Si l'Europe donne d'elle-même l'image d'une entité dont l'unique stratégie consiste à tenter - souvent sans succès - de contrer les actions et les initiatives américaines, est-ce que cela correspond à une stratégie réfléchie, à un objectif délibéré ? On peut certes imiter Emmanuel Todd et consorts en croyant dur comme fer au déclin des Etats-Unis pour minimiser le problème, mais une telle attitude ne prend en compte qu'une évolution possible et donc n'est pas responsable.

Le plus dangereux me semble l'adhésion spontanée aux institutions et processus mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et la ferveur presque religieuse qui aujourd'hui les entoure. Peut-on vraiment penser que les outils nécessaires à la gestion de la planète au XXIe siècle puissent être ceux fondés dans l'immédiat après-guerre, alors même que la redistribution du pouvoir déclenchée par l'évolution technologique menace les fondements des Etats-nations ?

S'accrocher aux acquis en leur conférant de manière arbitraire une supériorité morale censée tout justifier, y compris l'abandon généralisé de l'esprit critique, n'est pas une manière de penser l'avenir. Il est ainsi frappant de constater à quel point, au sein des élites européennes, on préfère évoquer avec regret les années 90 et ses espoirs que construire de nouvelles bases pour cette décennie et les suivantes.

Par conséquent, il est probable que plusieurs idoles largement considérées comme intouchables fassent ces prochaines années les frais d'un tel passéisme : le Traité de Kyoto, les régimes de non-prolifération ABC, le Conseil de Sécurité à 5 membres permanents et les Conventions de Genève sont menacés par la seule impossibilité de leur adaptation. Douleureux déchirements en perspective...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h09

Avions US sur l'Iran

La pression sur l'Iran n'est pas relâchée : après la publicité accordée à un jeu de guerre visant à simuler une invasion du pays, des incursions ont apparemment été effectuées par l'aviation militaire américaine. La presse iranienne - du moins celle contrôlée par le Gouvernement - accuse ainsi les Etats-Unis d'espionner les sites nucléaires avec des avions de combat F-16 (basés à terre) et F/A-18 (basés en principe sur porte-avions : l'USS Truman est actuellement dans le Golfe).

Si ces survols ont bel et bien eu lieu de manière délibérée, ce qui semble probable, cela n'a cependant rien à voir avec un quelconque espionnage - un avion militaire portant une identification nationale n'a rien d'un espion - mais suggère au contraire un "jeu" classique visant à tester les défenses antiaériennes adverses, et notamment les radars utilisés. On peut ainsi parier que des avions d'exploration électronique couvrent soigneusement ces incursions afin de récolter le plus de renseignements possible.

On ne peut certes pas écarter que ces survols soient déjà des actions de déception, destinées à habituer l'Iran à une présence régulière d'avions de combat américains prompts à pénétrer son espace aérien. Ce qui pourrait aboutir à réduire progressivement la méfiance et l'attention suscitées par ces incursions, jusqu'au jour où l'une d'entre elles constitue une attaque aérienne. Une technique utilisée à merveille par les armées arabes à l'occasion de la guerre du Yom Kippour en 1973...

COMPLEMENT : Un article du Jerusalem Post, écrit par son chroniqueur militaire, affirme que l'Iran est en train de renforcer ses défenses antiaériennes autour de ses sites nucléaires, et cherche notamment à acquérir un radar indien capable de détecter des objets volant à très basse altitude.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h23 | Comments (5)

3 janvier 2005

Des officiers au lycée

Un article du Christian Science Monitor décrit le débat qui se déroule actuellement en Israël sur un programme original : l'envoi d'officiers supérieurs dans les lycées afin de rencontrer les étudiants, de leur parler du rôle de l'armée et des devoirs du citoyen, avant de les emmener pour visiter une unité militaire dans le terrain. Pas moins de 70 établissements scolaires participent au programme, qui déclenche néanmoins de vives résistances, avec - sans surprise - des accusations d'endoctrinement et de militarisation.

Que les militaires d'une armée de conscription se soucient de l'éducation civique est logique : sur les bancs des lycées se trouvent effectivement les chefs de demain, comme le nom du programme ("The Coming Generation") l'indique. Année après année, il est aisé de noter l'évolution des vertus essentielles à la vie militaire, comme l'aptitude à privilégier l'intérêt collectif et la disposition à accepter une fonction précise au service d'une organisation complexe. La création de ce programme en Israël semble donc répondre à un besoin tel qu'il est perçu par les militaires.

Mais les réactions de rejet exprimées au sein d'un pays en guerre montrent également à quel point les milieux de l'enseignement, dans les nations occidentales, restent viscéralement antimilitaires et prompts à la censure. Est-ce que la présence d'un lieutenant-colonel dans un lycée suffit à convaincre les étudiants d'embrasser une carrière militaire, ou est-ce qu'il ne serait pas en mesure de fournir des informations inédites à un public aussi intéressé que critique ? Le refus du dialogue trahit toujours un manque de confiance.

Ce débat va cependant au-delà des orientations idéologiques des milieux de l'enseignement, qui d'ailleurs évoluent rapidement au vu de la dégradation massive de la discipline et du respect dans les classes. Il porte sur la notion de service, sur l'acceptation de devoirs afin de garantir les droits d'autrui, y compris le devoir d'employer la coercition armée pour défendre et protéger. C'est bien l'un des piliers de l'Etat-nation qui est en jeu dans l'éducation des adolescents aux problèmes de sécurité.

Si demain un gymnase m'invite à donner un exposé pour expliquer le rôle de l'armée de milice suisse dans notre société et dans le cadre stratégique, je m'y rends sans hésiter. En uniforme de lieutenant-colonel, naturellement.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h09

Des Alouettes III à vendre

Sur le site d'armasuisse, l'ancien groupement de l'armement de l'armée suisse, la liquidation de la flotte d'Alouette III a commencé (mais uniquement en allemand). Ces hélicoptères achetés dans les années 60 doivent être remplacés d'ici la fin de la décennie, et il désormais possible d'adresser des bulletins de commande directement à RUAG Aerospace à Alpnach pour acquérir tout ou partie d'une Alouette III.

En se penchant sur les éléments disponibles, on constate que pour l'heure aucun hélicoptère complet n'est proposé à la vente et qu'une grande quantité de pièces détachées est listée. En revanche, il est possible d'acquérir pour respectivement 120'000 et 180'000 francs des Alouette dont il ne manque que les pales du rotor principal, il est vrai plutôt importantes, alors que des carcasses vidées de tout contenu mécanique - preuve d'une cannibalisation passée - sont vendues au prix de 6000 francs.

Le remplacement des Alouette III constitue un projet important au sein des Forces aériennes. Au nombre de 72 voici quelques années, ces appareils jouaient un rôle important de liaison et de transport, mais aussi de surveillance au profit des forces de sécurité civiles. Un candidat potentiel serait l'Agusta A109M, qui a d'ailleurs été développé pour la recherche et sauvetage dans les Alpes suisses. Mais le volume de la flotte, autant que le choix de l'appareil, sera un aspect déterminant.

La flotte de 27 Super Puma / Cougar doit être complétée par un hélicoptère offrant des possibilités similaires à l'Alouette III - bonnes capacités d'observation, transport de personnel équipé et au besoin de matériel - mais avec des moyens de communication, de vision nocturne et vol tous temps adaptés aux missions actuelles. De quoi renforcer l'apport de l'armée dans la sécurité intérieure et lui donner une flexibilité adaptée à la dimension élargie des secteurs d'engagement.

Et si les successeurs de l'Alouette III donnent moins le mal de l'air que les Puma et Cougar sur des longues distances, personne ne s'en plaindra !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h34 | Comments (4)

1 janvier 2005

L'aide militaire en Asie du Sud

Les effets dévastateurs du tsunami en Asie du Sud ont rapidement nécessité l'intervention de plusieurs forces armées, qui disposent de capacités cruciales en matière de logistique et de reconnaissance. Les armées des pays touchés ont naturellement été appelées à se déployer dans des régions coupées du monde, comme au Sri Lanka et en Indonésie, afin de venir en aide aux survivants. Pourtant, leurs capacités limitées en regard des standards en la matière laisse un très large rôle aux nations occidentales.

L'Australie a été la première à intervenir, et son Ministère de la Défense a d'ailleurs créé une page spécifique pour décrire les efforts entrepris. L'armée australienne a ainsi déployé 7 avions de transport C-130 (dont 1 fourni par la Nouvelle-Zélande), 1 avion de transport Boeing 707 et 1 avion léger Beech 350 dès le 28.12, ainsi que plusieurs installations de purification d'eau et du personnel spécialisé dans le génie et la logistique.

Après un accord international qu'il serait fort intéressant de connaître, l'Australie a décidé de se concentrer sur l'île de Sumatra, en Indonésie, qui comprend la péninsule d'Aceh en proie depuis une année et demi à un conflit de basse intensité entre indépendantistes et forces de sécurité indonésiennes. Les moyens supplémentaires déployés par l'Australie comprennent un hôpital de campagne de 55 lits (dès le 2.1), 4 hélicoptères de transport UH-1 (dès le 3.1) et le navire amphibie HMAS Kanimbla, qui sera positionné au large d'Aceh dès le 14.1 en guise d'appui logistique avancé, voire d'élément de commandement. Au total, les effectifs engagés par l'Australie vont dépasser les 1000 militaires.

Les Etats-Unis, par le biais de leurs moyens prépositionnés dans le Pacifique et l'océan Indien, ont la capacité d'intervenir massivement. Une force de circonstance a été formée pour l'occasion, la Joint Task Force 536, sous le commandement de la 3e Force Expéditionnaires de Marines, et elle a établi son commandement sur la base d'Utapao, en Thaïlande. Dès le 29.12, 9 avions de reconnaissance maritime P-3 Orion ont été déployés pour la reconnaissance et la recherche de personnes, alors que 10 avions de transport C-130 ont commencé à livrer des marchandises de première nécessité, comme l'eau potable et les médicaments. Au moins 4 ravitailleurs KC-135 sont également engagés pour transporter des palettes de matériel. Tous ces moyens sont basés au Japon et à Guam.

Sur le plan maritime, le groupe aéronaval centré autour du porte-avions USS Abraham Lincoln est arrivé le 31.12 au large d'Aceh, et emploie ses moyens aériens - dont 12 hélicoptères de transport - pour la recherche et sauvetage. De plus, 7 navires de transport prépositionnés à Diego Garcia ou à Guam devraient arriver à la fin de la semaine prochaine à proximité des zones les plus touchées avec une grande quantité de matériel, chacun emmenant un équipement de purification d'eau capable de produire près de 400'000 litres par jour. Enfin, le groupe d'assaut amphibie centré autour de l'USS Bonhomme Richard devrait arriver le 6.1 au large du Sri Lanka ; ses 25 hélicoptères seront utiles dans le transport, mais ce sont surtout ses 2100 Marines embarqués - la 15e Unité Expéditionnaire de Marines - qui fourniront la principale contribution. Au total, les Etats-Unis vont donc employer entre 10'000 et 12'000 soldats pour cette mission.

Les pays européens sont naturellement moins impliqués, en raison de leur éloignement par rapport à l'Asie du Sud. Malgré cela, la France a déployé dès le 27.12 un avion de transport Airbus A-310 pour emmener du personnel et du matériel, puis ramener des citoyens français en détresse, mais aussi un avion de reconnaissance Atlantique 2 basé à Djibouti pour la recherche de personnes ; d'autres moyens ont été mis en alerte, notamment dans le transport aérien.

L'Allemagne, pour sa part, a engagé 3 Airbus A-310 - dont 2 en version sanitaire - pour le rapatriement de ses citoyens et transporté un grand volume de matériel. Elle déploie également le navire d'appui logistique Berlin, qui dispose de capacités dans le domaine sanitaire (45 lits), du ravitaillement (purification d'eau à raison de 25'000 litres par jour) et du transport aérien (2 hélicoptères Sea King). Ce navire était précédemment engagé dans le Golfe d'Oman au profit de l'opération Enduring Freedom.

La Grande-Bretagne, enfin, déploie une frégate et un navire logistique dans la région, où ils seront opérationnels dès le 4.1, ainsi qu'un avion de transport lourd C-17.

Ces engagements militaires d'aide humanitaire sont aujourd'hui une pratique habituelle, même si l'ampleur de la catastrophe accroit leur importance ; les troupes américaines du Pacifique sont d'ailleurs rentrées le 23.12 d'une mission de plusieurs jours aux Philippines, après les dégâts considérables entraînés par de violentes intempéries. C'est le principe même des Forces armées - se tenir prêtes à agir dans des contextes et face à des dangers divers - qui les rend aptes à remplir ponctuellement ce type de mission. Lorsque toute l'infrastructure nécessaire à la vie ordinaire s'effondre, les éléments capables de fonctionner dans une situation extraordinaire sont naturellement de première importance.

Une autre dimension vient cependant s'ajouter à cette utilité pratique autant qu'économique : l'impact politique de ces missions. Les promesses de dons et la solidarité publique sont dignes d'éloges, mais la présence sur le terrain de militaires engagés jour et nuit dans des tâches vitales au profit de populations démunies possède une valeur stratégique propre. Le déploiement militaire massif des Etats-Unis est une manière opportune de montrer que sa puissance peut aider et sauver plus que toute autre dans des circonstances dramatiques. Les images et vidéos mises en ligne par l'Australie participent d'une même intention.

COMPLEMENT : Précisons que le navire australien HMAS Kanimbla sera essentiellement engagé dans des travaux du génie en plus de la logistique. L'Australie planifie par ailleurs un engagement militaire à long terme dans la reconstruction.

COMPLEMENT II : Le dispositif militaire américain se précise, comme l'indique ce communiqué : le groupe amphibie Bonhomme Richard devrait plutôt être engagé autour d'Aceh, et arrive aujourd'hui à destination, alors que des avions de transport lourds C-17 sont également mis à disposition de la JTF.

COMPLEMENT III : La France a décidé d'engager également des navires en déployant dans la région le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc et la frégate Georges Leygues.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h29 | Comments (2)

31 décembre 2004

Les sentinelles flottantes

Au seuil d'une nouvelle année, on pourrait croire que le monde entier se focalise sur les festivités ou sur les drames récents qui l'ont frappé. Les reflets de l'actualité sont tellement abupts et brûlants que l'on en vient parfois à perdre de vue la normalité, les activités routinières et pourtant importantes qui rythment les journées. C'est en particulier le cas en matière de sécurité : les sentinelles déployées en permanence par les armées pour patrouiller, policer et surveiller les régions troublées ou sensibles de la planète échappent à l'attention médiatique par le seul fait de leur régularité.

Puisque l'élément aquatique occupe les esprits ces jours-ci, il faut rappeler l'importance de la protection des voies maritimes que fournissent en permanence les grandes marines du monde. Au-delà de l'intervention en cas de crise, sécuritaire ou humanitaire, le fait que le transport par mer reste de loin le plus économique au niveau global impose des déploiements constants, indifféremment aux jours fériés comme le Nouvel An, pour garantir la poursuite des échanges économiques sans lesquels toute vie moderne rapidement cesse.

Prenons le cas de la Marine nationale française, dont les déploiements à la date du 17 décembre sont décrits selon 4 zones distinctes (Atlantique / Mer du Nord, Méditerrannée, océan Indien et océan Pacifique). Concrètement, cela signifie que la France dispose en permanence d'une capacité de surveillance, de reconnaissance et d'intervention - sous la forme le plus souvent d'une frégate - le long des voies maritimes majeures ou dans ses territoires d'outremer, sous commandement national (Atlantique, Pacifique) ou dans le cadre d'opérations multionationales (Méditerranée avec l'OTAN, océan Indien avec le CENTCOM).

En lisant les mouvements des unités navales françaises, on s'aperçoit que la République conserve actuellement au port une grande part de ses moyens les plus importants (notamment des bâtiments à propulsion nucléaire : porte-avions et sous-marins d'attaque). En revanche, cette liste omet fort logiquement de préciser la localisation des 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins qui constituent la composante maritime de sa dissuasion nucléaire. Aujourd'hui, les sous-marins jouent pourtant aussi le rôle de sentinelle grâce à leurs équipements d'écoute électronique et sonore.

Les déploiements permanents sont naturellement plus massifs dans la Marine américaine, qui engage constamment des groupes aéronavals et amphibies à proximité du Golfe persique et dans le Pacifique. De ce fait, les autorités américaines ont annoncé le 28 décembre le déploiement rapide de moyens importants pour une mission d'aide humanitaire en Asie du Sud, soit le porte-avions géant Abraham Lincoln et le navire d'assaut amphibie - en fait un porte-avions moyen - Bonhomme Richard avec leurs groupes respectifs. Précédemment situés autour de Hong Kong, ces moyens donnent au Gouvernement US une capacité de réaction adaptée au rythme médiatique moderne.

Le plus important reste cependant la perspective planétaire que fournit le déploiement permanent de sentinelles flottantes, mises en réseau et interopérables, capables de remplir toutes les missions allant de l'aide en cas de catastrophe à la protection de convois en cas de conflit.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h07

28 décembre 2004

Les fabriques à mercenaires

Un bref article publié dans Le Point rappelle l'origine de l'essor spectaculaire qu'ont connu les sociétés militaires privées depuis une décennie. Les brutales coupes budgétaires imposées aux Forces armées suédoises vont provoquer le licenciement de nombreux officiers, et une société privée s'est rué sur l'occasion pour recycler ce personnel qualifié et lui proposer des contrats de sécurité au profit de sociétés américaines sur des théâtres d'opération à haut risque. Les protestations de l'armée ne parviendront pas à entraver ce phénomène.

La Suède n'est pas un cas isolé, puisque la plupart des pays occidentaux ont procédé à d'importantes réductions d'effectifs depuis la fin de la guerre froide. L'ampleur et la rapidité du problème proviennent du fait que les Forces armées suédoises ont procédé à des investissements trop ambitieux pour leurs ressources à terme, comme la commande de 204 avions de combat Gripen ou la digitalisation accélérée de toute l'institution. Les réalités budgétaires imposent l'abandon de capacités et du personnel afférent, pour économiser jusqu'à 500 millions de francs par an sur un budget de 7 milliards.

Une conséquence encore sous-estimée de ces réductions reste la mise sur le marché de compétences rares et coûteuses. Instruire et entraîner un opérateur de forces spéciales, par exemple, coûte entre 1 et 3 millions de francs selon les armées ; or ces militaires d'élite, particulièrement recherchés par les sociétés militaires privées, se font offrir des salaires somptuaires - plus de 40'000 francs par mois - pour travailler dans les mêmes régions où leurs unités les envoient aujourd'hui, en gagnant 20 fois plus et en maîtrisant davantage le rythme et la durée des missions.

Le fond du problème est le suivant : le monopole de la coercition armée a été volontairement abandonné par les Etats au profit de l'économie privée. L'idéologie antimilitaire en vogue depuis 80 ans, qui affirme encore à tout va que les guerres sont la conséquence des armées, a abouti à faire perdre tout contrôle démocratique sur des capacités opérationnelles vitales, et potentiellement dangereuses. Nous ne sommes pas très loin d'un retour à l'époque des condottieri, où la guerre était une activité lucrative que les populations impuissantes subissaient constamment !

Cet essor des sociétés militaires privées n'a pas que des désavantages ; il pourrait même permettre de remédier à l'incurie dramatique des contingents engagés sous la bannière de l'ONU. D'ailleurs, vu la considération limitée dont ils jouissent au sein de leur société, on peut comprendre les officiers suédois qui acceptent des contrats privés. Mais la décadence semi-consciente des Etats suscite une inquiétude majeure. Le caractère suicidaire du pacifisme n'a pas fini de nous surprendre!

Posted by Ludovic Monnerat at 15h42 | Comments (1)

26 décembre 2004

Barrière et autonettoyage ethniques

Un bref compte-rendu d'un divisionnaire israélien fournit une perspective intéressante sur l'efficacité future de la barrière de séparation destinée à empêcher le terrorisme palestinien. En s'appuyant sur son expérience de la bande de Gaza entre 2000 et 2003, le major-général Almog affirme en effet que les quelque 400 tentatives d'infiltration palestiniennes ont déjouées à 30% par la barrière qui entoure Gaza et à 70% par les actions offensives des Forces de défense israéliennes.

Ces chiffres rappellent une vérité stratégique ancienne : les lignes fortifiées ne sont jamais un but en soi, une panacée durable, mais doivent avoir pour effet principal de libérer des forces et de favoriser des actions offensives ponctuelles. Se contenter d'attendre derrière ses murailles aboutit inévitablement au contournement ou à la rupture de celle-ci, comme le rappellent les lignes Maginot et Bar-Lev. Ceinturer l'Etat d'Israël d'une barrière de 720 km améliorera les conditions de sécurité à l'intérieur, mais pas davantage :

« As the fence prevented terrorists from leaving Gaza, they decided to change tactics - developing rockets and initiating focused attacks on Israeli settlements. When we finish the fence around the West Bank, the Palestinian terrorism model may change there as well and follow the same pattern. »

L'exposé du major-général Almog est cité par l'éditorialiste Caroline Glick dans le Jerusalem Post pour contester le plan de retrait de la bande de Gaza défendu par Ariel Sharon : à son avis, l'évacuation des implantations juives privera les militaires israéliens des bases de départs indispensables aux raids aéroterrestres menés pour juguler la menace terroriste. Elle établit ainsi un parallèle avec la situation vécue au Sud Liban jusqu'en 2000, lorsque les offensives de Tsahal restaient impuissantes, pour contester la justification sécuritaire de ce plan.

La perspective de voir la bande de Gaza se transformer en une paradis islamiste, en une enclave taliban située à quelques kilomètres de villes et d'infrastructures majeures, suscite des craintes palpables parmi les dirigeants israéliens. Mais Caroline Glick va plus loin et affirme que cette évacuation constitue un exemple unique et funeste d'autonettoyage ethnique :

« Israel is the first Western state to call for the forced removal of Jews from their homes, simply because they are Jews, since the Holocaust and [!] there is something morally atrocious about the notion that for peace to come -- to Israel and to those bombing Israel -- it is necessary for entire regions to be rendered Judenrein. »

Ces réflexions ne peuvent être écartées à la légère par les groupies des différents processus de paix. Elles montrent que l'inclination aux compromis peut être une incitation à une extension ou à une prolongation des hostilités, surtout lorsque le successeur de Yasser Arafat a la tête du Fatah proclame son refus de tout compromis. Aussi longtemps que les Palestiniens crieront haut et fort leur intention de détruire l'Etat d'Israël par les armes ou par la démographie, même si leurs supporters feignent d'ignorer ces intentions, aucune paix n'est possible dans cette région.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h26

24 décembre 2004

Des miliciens pour l'Irak

Un reportage très intéressant de l'agence AP sur une cérémonie de déploiement d'une brigade de la Garde nationale en partance prochaine pour l'Irak. Le récit en soi des événements est peu significatif, mais plusieurs éléments d'information montrent comment les miliciens de l'US Army, qui effectuent en temps normal un week-end d'entraînement par mois et une séquence annuelle de 2 semaines en général, sont préparés et organisés en vue d'une mission de combat asymétrique.

Premièrement, la force de circonstance (traduction helvétique de task force ou combat team) est constituée autour d'une brigade blindée renforcée, pour un effectif global de 4000 hommes, qui va se déployer avec un minimum d'équipement : tous les véhicules, toutes les armes lourdes seront échangées sur place, au Koweït, avec une unité sortant du théâtre d'opérations entre janvier et février. Les véhicules légers - comme les HMMWV, ou Humvee - seront donc blindés, et tous équipés de moyens de communication uniformes. A condition, naturellement, de procéder aux échanges avec une unité de taille et de composition équivalentes, ou de disposer d'un pool d'équipement sur place.

Deuxièmement, les unités ont été mobilisées au mois de juin et ont donc suivi 6 mois d'instruction axée sur l'engagement (pour reprendre un autre terme helvétique) avant d'être considérées comme prêtes au déploiement, et donc ayant atteint leur disponibilité opérationnelle (« fit for the mission ») à l'exception de l'équipement et de la logistique. Cette instruction a nécessité un mois d'exercices à double action au National Training Center de Fort Irwin, contre une force d'opposition calquée sur l'environnement irakien. Un temps d'instruction considérable, et qui montre combien il est difficile de reconvertir une formation de combat lourde aux activités et aux menaces des conflits de basse intensité.

Troisièmement, si l'on part du principe que la brigade sera déployée pendant 12 mois en Irak à partir de fin janvier - début février, et que le processus d'échange d'équipement, de redéploiement et de démobilisation prend environ un mois, cela signifie que les soldats de la Garde resteront en service actif pendant 20 mois, avec peut-être 4 semaines de congé hors théâtre. Cela explique pourquoi la Garde est la seule composante de l'US Army à avoir manqué ses objectifs de recrutement (de 12%) cette année : les militaires d'active préfèrent rempiler dans leurs unités plutôt que risquer des déploiements encore plus longs dans une unité de la Garde.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'US Army vient de tripler les primes pour l'engagement à poursuivre son service dans la Garde nationale...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h03 | Comments (1)

23 décembre 2004

Fin de la conscription à Prague

Les Forces armées de la République tchèque ont abandonné aujourd'hui la conscription, après 140 ans de service militaire sous cette forme. Pour ce pays de 10 millions d'habitants, près de 2 fois plus grand que la Suisse, c'est l'occasion de pleinement exploiter l'entrée dans l'OTAN en poursuivant la transformation de son armée vers les standards occidentaux actuels.

Cet abandon de la conscription et des services de 12 mois aboutira à une augmentation des troupes disponibles : d'ici à 2011, le Ministère tchèque de la Défense passera de 23'800 militaires (dont la moitié de conscrits) et 16'000 civils à un total de 26'200 militaires et 8800 civils, soit 35'000 employés permanents. Une augmentation des salaires et une amélioration des conditions de vie devraient permettre de recruter les quelque 14'000 militaires professionnels supplémentaires.

Actuellement, les Forces armées tchèques déploient environ 1300 soldats à l'étranger, dans le cadre de l'OTAN (KFOR au Kosovo, ISAF en Afghanistan), de l'Union Européenne (EUFOR en Bosnie) ainsi qu'en Irak.

Les effectifs fixés par cette armée, en voie d'intégration rapide à l'OTAN et qui a renoncé à une partie de ses missions de défense ou de sécurité intérieure, devraient faire réfléchir les responsables politiques suisses qui croient que 15'000 militaires constituent un chiffre crédible pour notre armée...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h35

Analyse de la guérilla irakienne

Le spécialiste français du renseignement Eric Denécé, connu pour ses livres sur Al-Qaïda ou les forces spéciales, livre ce matin dans Le Figaro une bonne analyse de la guérilla irakienne : son volume, son articulation et ses actions principales. Il confirme par ailleurs que le renseignement militaire américain, que l'on devine être une source majeure de son analyse, a atteint un niveau de connaissance respectable de cette guérilla.

On peut simplement regretter que ce type d'article soit rangé dans la rubrique "Débats et opinions", alors qu'elle constitue une analyse factuelle rédigée par un expert de qualité. Il est vrai que les articles écrits par les membres des rédactions sont de plus en plus entachés d'opinions qui les amènent à s'éloigner des faits. Comment par exemple expliquer le traitement de l'Irak fait hier dans Le Temps ou Le Monde, ainsi que le souligne François Brutsch, où un attentat commis par un groupe terroriste islamiste est présenté comme une action de la "résistance", alors que son objectif est de s'opposer à la tenue d'élections démocratiques ?

Les réflexions d'Eric Denécé montrent au contraire que cette supposée "résistance" n'est qu'une nébuleuse de mouvements disparates minoritaires, presque exclusivement sunnites, qui n'a jamais réussi à prendre une ampleur nationale - ainsi que je l'avais jugé en février de cette année. Ce qui augure mal de son avenir, voire même de sa survie, dans l'Irak qui se construit actuellement...

COMPLEMENT DE 1310: Cette colonne de Thomas Friedman dans le New York Times a l'immense mérite de cerner l'enjeu central, aujourd'hui, en Irak et au Moyen-Orient.

Extrait :

« However this war started, however badly it has been managed, however much you wish we were not there, do not kid yourself that this is not what it is about: people who want to hold a free and fair election to determine their own future, opposed by a virulent nihilistic minority that wants to prevent that. That is all that the insurgents stand for. »

Posted by Ludovic Monnerat at 8h59 | Comments (3)

20 décembre 2004

Israël dans l'OTAN ?

Un coup de chapeau à 24 Heures, qui aborde aujourd'hui la proposition explosive évoquée la semaine passée lors d'une conférence en Israël : l'adhésion de l'Etat juif à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord dans le cadre d'un possible règlement du conflit israélo-palestinien et d'une stabilisation accrue de toute la région. Pour appronfondir le sujet, il est toutefois préférable de consulter le remarquable article écrit par le spécialiste militaire du quotidien d'obédience travailliste Haaretz et le développement que lui consacre le Jerusalem Post, le quotidien le plus proche du Likoud.

En effet, contrairement à ce que laisse entendre 24 Heures, l'OTAN ne fait que poursuivre sa quête vers un renforcement des coopérations dans le pourtour immédiat de ses 26 pays membres, et les contacts avec Israël se font avant tout dans le cadre du « dialogue méditerranéen » qu'elle mène avec pas de moins de 7 pays. De plus, l'Alliance dite atlantique - et dont la dénomination devient chaque année plus problématique - a également étendu son influence aux républiques d'Asie centrale, qui avoisinent le secteur de son engagement militaire le plus important après le Kosovo - la Force Internationale de Sécurité et d'Assistance en Afghanistan.

Les dirigeants de l'OTAN font preuve d'une grande prudence dans leurs démarches au Proche-Orient. Ils s'efforcent de définir leur rôle stratégique comme une lutte contre le terrorisme international, et prennent soin d'exclure toute action contre un terrorisme régional - désignant par là celui des organisations palestiniennes. Malgré cela, il est indéniable que les nombreuses invitations transmises récemment aux Israéliens témoignent d'un intérêt nouveau. Le secrétaire général de l'Alliance, Jaap de Hoop Scheffer, a d'ailleurs déclaré que l'OTAN était prête à considérer une mission en Israël et en Palestine si les deux parties lui demandaient d'appuyer un accord de paix mutuel.

L'entrée d'Israël comme pays membre, avec toutes les obligations de protection mutuelle que cela implique, représenterait toutefois un bouleversement. Pour Jérusalem, une telle adhésion serait une aubaine, à condition de ne pas entraver sa lutte contre le terrorisme palestinien : elle augmenterait clairement son influence stratégique et constituerait une assurance-vie contre les agressions symétriques. Même avec la mise sous tutelle d'une partie de ses Forces armées, Israël parviendrait à institutionnaliser le rôle que perçoit aujourd'hui la majorité de ses citoyens : un avant-poste de la civilisation occidentale face au monde arabo-musulman.

Mais qu'est-ce que l'OTAN - et l'Europe - auraient à gagner avec une telle adhésion ? Faire sienne la lutte pour la survie et l'intégrité de l'Etat juif, face aux menaces proférées notamment par l'Iran, placeraient Mons et Bruxelles aux premières loges des conflits du Moyen-Orient. Seul un accord de paix global et consensuel pourrait justifier pareille prise de risque, en admettant que l'Alliance soit en mesure de déployer les contingents nécessaires pour le faire respecter - ce qui est actuellement très improbable. De plus, il reste également à démontrer que la politique intérieure de plusieurs Etats membres s'accorde à pareil élargissement. Ce dont on peut douter.

Le point sous-jacent et néanmoins central de ces discussions est cependant celui-ci : les Etats-nations tendent à se rapprocher et à se coordonner dans leur lutte contre les non-Etats. De moins en moins capables de protéger leurs citoyens sur le territoire national, les Etats voient dans l'extension de leur domaine d'influence la seule réponse aux menaces transnationales, comme les Etats-Unis, l'Union Européenne et donc l'OTAN le démontrent depuis quelques années. Au risque de perdre toute raison d'exister, toute identité commune, par la faute d'un élargissement trop vaste.

Il est fort possible que, dans quelques décennies, les Etats-nations sous leur forme actuelle aient largement disparu et apparaissent comme des entités surannées et étranges, au même titre que les fiefs féodaux ou les royaumes moyen-âgeux...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h38

19 décembre 2004

L'Europe militaire et l'espace

Grande journée pour l'Europe militaire : la fusée Ariane-5 a réussi le lancement à Kourou du troisième satellite d'observation Helios, qui vient doper les capacités européennes d'exploration dans le domaine visible. La mise hors service le 21 octobre dernier de Hélios IB, lancé en 1999, est ainsi plus que compensée par l'arrivée du modèle IIA, plus performant en termes de résolution, de ciblage et de guidage.

Naturellement, l'Europe reste loin derrière les Etats-Unis dans ce domaine : la résolution légèrement inférieure à 1 mètre des Hélios I faisait pâle figure par rapport au 0,1 m des KH-12 américains, ces observatoires spatiaux dotés d'une optique de 4,5 mètres pour un poids de 18 tonnes. Pourtant, Hélios IIA a une résolution qui dépasse certainement celle des meilleurs satellites commerciaux, et il sera complété l'an prochain par des satellites radars allemand et italien. Bientôt, l'Europe disposera donc de plates-formes spatiales fonctionnant de jour comme de nuit, indépendamment de la nébulosité.

Tout aussi intéressant, la fusée Ariane emmenait également 4 micro-satellites Essaim, qui sont des démonstrateurs militaires visant à étudier les possibilités en matière de renseignement électronique dans l'espace, ceci dans le but à plus long terme d'identifier les départs de missiles balistiques. Autrement dit, ce lancement constitue aussi un pas vers la création d'une défense antimissile européenne, un projet qui s'approche discrètement de sa concrétisation.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h47

La sécurité des euro-élites

Une critique percutante du concept de sécurité humaine de l'Union Européenne a été mise en ligne sur le site britannique non conformiste Spiked, sous la plume de Philip Cunliffe.

Ce document, qui constitue une opposition vaguement dissimulée à la doctrine américaine, remplace en effet la sécurité collective comme objectif-clef des forces de l'ordre par la sécurité individuelle, par essence plus large et non liée à une zone géographique. Elle définit également le principe d'interventions civilo-militaires, sous la forme d'une "force de réponse en sécurité humaine", visant à policer des secteurs donnés et non à imposer la paix. Elle se veut également une manière de populariser l'idée européenne face à l'essor du nationalisme exprimé dans les urnes.

Cunliffe affirme que cette doctrine semble la tentative désespérée des élites européennes pour créer des liens avec leurs concitoyens dispersés et indifférents. Il montre également l'assemblage étrange de lois disparates censé fonder sa légitimité, et le fait que transformer les opérations militaires en actions apparemment policières dénie à tout Etat visé le droit d'appliquer la légitime défense et de résister. Il conclut en expliquant que ce concept de sécurité humaine est plus lié aux enjeux électoraux qu'aux vrais problèmes de sécurité.

Un énoncé du document doit cependant susciter une attention particulière au sein des forces de l'ordre - pardon, les forces de sécurité humaine :

« the lives of those deployed cannot be privileged. The aim should be to protect people and minimise all casualties. This is more akin to the traditional approach of the police, who risk their lives to save others, even though they are prepared to kill in extremis, as human security forces should be. »

J'aimerais bien savoir comment les chefs militaires européens vont expliquer à leurs subordonnés que durant la prochaine mission, s'ils font partie de la division de 15'000 hommes prévue comme force de réponse, leur propre survie ne constitue pas une priorité !

Inutile de se demander pourquoi, dans ces conditions, l'Europe et les Etats-Unis soient si éloignés dans la perception de la chose militaire...

COMPLEMENT DU 20.12 : Le commandement européen des Forces armées américaines applique en tout cas des méthodes différentes, avec des opérations basées sur les effets, pour prévenir les crises et déployer des contingents polyvalents.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h14 | Comments (2)

18 décembre 2004

L'Iran dans la ligne de mire

D'après la dernière édition du magazine Atlantic Monthly, citée par World Net Daily, le Pentagone a récemment effectué des simulations d'une attaque américaine des installations nucléaires de l'Iran, avec des jeux de guerre qui comprenaient également une invasion terrestre. L'opération projetée serait ainsi articulée en trois phases : frappes aériennes sur les éléments de commandement de Téhéran, et notamment les bases des Gardes de la Révolution ; frappes aériennes sur les sites liés aux programmes nucléaires et missiliers iraniens, mais aussi biologiques et chimiques ; puis offensive terrestre visant à opérer un changement de régime.

Cette annonce ne doit pas être confondue avec une décision stratégique : des jeux de guerre impliquant des membres du Département de la Défense, du Département d'Etat et des services de renseignements sont pratiqués toute l'année aux Etats-Unis. Ils visent autant à vérifier des concepts d'opération qu'à entraîner les responsables probables de telles actions. De plus, les tentatives de la communauté internationale en vue de suspendre durablement le programme nucléaire iranien peuvent expliquer la publicité donnée à ces simulations. La pression exercée sur Téhéran implique nécessairement une forte dose de dissuasion.

Malgré cela, ce scénario rappelle un élément important : contrairement à une opinion assez répandue, les Forces armées américaines conservent une liberté d'action stratégique suffisante pour mener des offensives aéroterrestres de grande ampleur, en dépit de leur engagement majeur en Irak (150'000 hommes). Le Pentagone a parfaitement la possibilité de déployer les 4 à 6 porte-avions, les 500 à 800 avions de combat et d'appui, et les 75'000 à 120'000 hommes nécessaires pour abattre le régime des ayatollahs et mettre un terme à la révolution islamiste de 1979. Si l'Iran n'est pas l'Irak, aucune armée ne peut actuellement vaincre l'armada US.

Mais la victoire militaire n'est qu'une composante des succès stratégiques, et la chute des ayatollahs pourrait bien provoquer en Iran un chaos à côté duquel le triangle sunnite irakien passerait pour une zone d'entraînement. Envahir l'Afghanistan pour renverser les Taliban et en faire un pays stable et démocratique était un projet ambitieux, et pourtant en bonne voie ; envahir l'Irak pour renverser Saddam Hussein et en faire un pays stable et démocratique était un projet plus ambitieux encore, et néanmoins en train de se concrétiser pour la majorité des Irakiens. En revanche, appliquer la même méthode et les mêmes moyens en Iran semble certainement voué à l'échec.

Pourquoi le Pentagone envisage-t-il pourtant une opération de ce type ? En mettant de côté les éléments de dissuasion et de déception, on peut penser que le Département de la Défense veut fournir des options stratégiques au Gouvernement, ou du moins des réponses quant à leur faisabilité. Toutefois, il est également possible que l'offensive militaire soit la seule option valable aux yeux de la Maison-Blanche. La duplicité de Téhéran face à l'ONU et son ardeur à développer son arsenal non conventionnel suggèrent qu'une guerre apparaît inévitable aux yeux de Washington, compte tenu de son projet au Moyen-Orient, et que prendre les devants s'impose.

Ce d'autant plus qu'Israël est prêt à agir. Les Israéliens voient aujourd'hui l'Iran comme leur principale menace, et la perspective de perdre le monopole nucléaire dans la région leur fait craindre un effondrement de l'équilibre stratégique existant depuis 30 ans. Ils définissent ainsi un « point de non retour », soit l'enrichissement de l'uranium à qualité militaire, et ne dissimulent pas leur détermination à utiliser tous les moyens disponibles pour empêcher Téhéran de l'atteindre. Ils n'ignorent pas que l'option militaire ne connaît pas d'intermédiaire entre le succès et le désastre, et ne cachent pas cette réalité à leurs alliés américains - au risque de leur forcer la main!

Il paraît intéressant de relever que les missiles iraniens susceptibles de porter une charge nucléaire pourront fort bien, dans un proche avenir, atteindre la moitié de l'Europe, une bonne partie de la Russie et même la Chine ou l'Inde. Le problème de l'Iran nous concerne aussi.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h50 | Comments (5)

17 décembre 2004

Ni chars, ni avions

Ainsi donc, le Conseil National a fini par refuser l'avis de sa Commission de sécurité et retranché du programme d'armement 2004 à la fois les chars du génie et les petits avions de transport demandés par l'armée. L'objet va certes repasser au Conseil des Etats, mais cette décision sans précédent des représentants du peuple, quoique non surprenante, appelle quelques réflexions.

En premier lieu, cette décision de la Chambre basse n'a aucune justification militaire. Les 12 chars du génie sur châssis Leopard correspondaient à une quantité minimale, suffisante pour autoriser l'instruction dans les écoles et la maîtrise du savoir-faire, mais pas pour équiper tous les bataillons de sapeurs de chars de l'armée. De plus, assurer la mobilité des formations militaires face à des obstacles divers, allant de la barricade au champ de mines en passant par les abattis ou les glissements de terrain, s'applique à tout le spectre d'engagement de l'armée, et non à la seule compétence de défense.

Il en va de même pour les 2 avions de transports Casa C-295, qui donneraient à la Suisse une meilleure aptitude à la sauvegarde de ses intérêts à l'étranger, tels que l'évacuation de citoyens suisses gravement menacés ou la protection de bâtiments consulaires, et qui permettraient au pays de participer à la coopération européenne en matière de transport aérien militaire. D'ailleurs, si cet objet est définitivement exclu du programme d'armement 2004, il réapparaîtra avec insistance car il joue un rôle central dans le développement des engagements à l'étranger.

D'autre part, ce désaveu du Conseil fédéral n'a aucune perspective politique. Le Parlement ne pourra plus indéfiniment donner des missions à l'armée tout en lui refusant les moyens de les mener à bien, et appeler à grands cris une réforme de l'armée sans oser aborder de front les tabous qui aujourd'hui bloquent tout le système : le maintien de la neutralité, l'adhésion à l'Union Européenne ou encore l'adaptation de la sécurité intérieure. La voie de la « sécurité par la coopération » tracée par le Conseil fédéral n'est qu'une impasse si la coopération extérieure est refusée par la droite et la coopération intérieure refusée par la gauche.

Le problème semble actuellement insoluble : le pays a besoin au plus vite d'un nouveau rapport sur la politique de sécurité, soit d'une nouvelle stratégie pour faire face aux risques et dangers du monde de l'après 11 septembre, mais l'absence de consensus politique interdit la rédaction d'un tel document. Comment vaincre l'immobilisme et remettre la Suisse en marche si les directions préconisées sont à l'opposé l'une de l'autre ? Or des défis tels que la montée de l'islamisme, le terrorisme d'ordre religieux, la subversion par l'information ou encore les fractures dues au communautarisme sont aujourd'hui largement absents de notre politique de sécurité. La surprise et le drame nous guettent...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h14

16 décembre 2004

Le somnambulisme stratégique suisse

L'annonce récente du concept de stationnement de l'armée et le traitement au Parlement du programme d'armement 2004 ont une nouvelle fois mis la chose militaire au cœur du débat politique.

Dans un entretien publié aujourd'hui dans Le Temps (accès gratuit), le conseiller aux Etats valaisan Simon Epiney appelle ainsi à une réforme rapide de l'armée, à son engagement accru dans la sécurité intérieure, tout en reconnaissant que la classe politique est coupable de n'avoir pas fixé des priorités dans les missions de l'armée. Il affirme notamment que la concentration sur la défense, ce cœur de compétence voulu en 1998 par le rapport Brunner, n'a plus lieu d'être :

« Les risques d'aujourd'hui sont liés par exemple à la montée des intégrismes, au commerce d'armes nucléaires, chimiques et bactériologiques ou à de possibles catastrophes écologiques dans les pays de l'Est. Ces menaces sont diffuses mais bien plus réelles que le risque d'une invasion militaire. On devrait donc commencer par dire clairement que la défense du territoire national ne constitue plus une priorité. »

Le même jour, un autre politicien valaisan certes officiellement en retraite, Peter Bodenmann, interpelle Samuel Schmid dans L'Hebdo (le texte n'est pas en ligne) et lui reproche les emplois supprimés par l'armée, sans une seule fois mentionner les coupes budgétaires - exigées par son parti - qui en sont la cause principale. Mais il affirme surtout que l'armée ne sert à rien, puisque personne ne nous menace :

« La grande majorité des Suissesses et des Suisses ne souhaite pas guerroyer à l'étranger, ni faire partie de l'OTAN. [!] L'armée suisse est donc militairement superflue, non seulement pour cette raison, mais aussi parce que nous sommes encerclés par des amis - et allons le rester! »

On comprend aisément la perplexité des responsables militaires contraints de faire face à des discours pareillement opposés, auxquels il convient naturellement d'ajouter la volonté de l'UDC de conserver l'armée d'antan, nombreuse et exclusivement concentrée sur la défense du pays. Entre une gauche qui conserve son obsession antimilitaire malgré l'évolution des conflits, un centre-droit qui se focalise sur l'utilisation quotidienne de l'armée au service des autorités civiles et une droite nationaliste qui refuse tout changement au principe du hérisson militaire fondé sur une stricte neutralité armée, comment obtenir une vision claire et consensuelle du futur ?

Le problème s'avère cependant plus vaste : la division incapacitante de la classe politique n'a d'égale que sa propension à s'estimer compétente en matière de planification stratégique et opérative. Simon Epiney définit à peine les missions devant selon lui être confiées à l'armée, mais il en déduit aussitôt son volume (environ 15'000 hommes) et son alimentation (professionnelle). Nombreux seraient les officiers à souhaiter connaître le raisonnement sans doute profond et détaillé qui sépare ces deux éléments-clefs, les missions et les moyens (la méthode n'étant ici pas abordée).

Il faudrait tout de même un jour expliquer à M. Epiney que 15'000 hommes suffisent à peine à protéger durablement son propre canton, et notamment ses infrastructures en matière de transport et d'énergie, face à une menace terroriste sérieuse. Comment fait-il pour ne pas intégrer le problème de la durée des engagements militaires, et donc de l'endurance qu'ils nécessitent ? Une division de 15'000 hommes permet certainement de protéger les transversales ferroviaires et routières de Bâle à Chiasso, mais pas indéfiniment ; quant au reste du pays, il devrait prendre son mal en patience!

L'aspect le plus inquiétant du discours politique par rapport à l'armée, néanmoins, reste ses certitudes concernant l'avenir. La guerre est exclue, et les militaires doivent faire du maintien de l'ordre, affirme M. Epiney. Aucune guerre ne menace parce que la Suisse arme moins vite, souligne M. Bodenmann. Mais de quelle guerre parlent-ils ? Une guerre conventionnelle entre Etats en Europe occidentale paraît effectivement très improbable ; l'usage de la force armée comme moyen de pression, par exemple sous forme de blocus aérien et terrestre, est moins improbable, mais reste lointain.

En revanche, une guerre civile asymétrique et transnationale, déclenchée par des haines idéologiques ou identitaires, mêlant des populations ostracisées, des réseaux criminels et des groupes terroristes, face à des forces de sécurité civiles et militaires chargées avant tout de conjurer le chaos et de préserver la normalité fragile de bulles sécuritaires, apparaît tout à fait plausible en Europe occidentale dans les 25 prochaines années. C'est d'ailleurs la forme de conflit aujourd'hui la plus répandue, de l'Irak au Cachemire en passant par la Côte d'Ivoire, le Congo ou la Colombie.

Rendre les armées capables de prévenir, de mener et d'interrompre une guerre asymétrique sera probablement le défi militaire du siècle. Et croire que nous pourrons y échapper, blottis au cœur d'une Europe en pleine recomposition économique, sociale, ethnique et culturelle, serait une erreur funeste. Espérons que la classe politique suisse en prendra conscience avant que des événements dramatiques n'interrompent son somnambulisme stratégique.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h40

15 décembre 2004

Entre réservistes et professionnels

Une analyse approfondie de James Joyner sur Tech Central Station met le doigt sur les questions posées par le recours prolongé aux réservistes ou le maintien en service actif de soldats ayant dépassé le terme de leur contrat au sein des Forces armées américaines.

Ce texte résume bien les injustices que peuvent engendrer ces prolongations, et le caractère de plus en plus trompeur du recrutement dans la Garde nationale, mais aussi l'intérêt en termes de cohésion et d'efficacité que revêt le blocage des rotations individuelles.

La récente annonce du Pentagone concernant les unités prévues pour être déployées en Irak et en Afghanistan, entre mi-2005 et mi-2006, rappelle cependant une réalité stratégique de taille : c'est uniquement grâce aux formations et soldats non professionnels que les militaires américains ont aujourd'hui la capacité de maintenir indéfiniment un volume de 200'000 hommes au Moyen-Orient et en Asie Centrale.

Ainsi, en mai 2003, les unités américaines ayant envahi l'Irak comptaient environ 5% de soldats incorporés dans la Garde nationale ou dans la réserve ; depuis l'été 2004, ceux-ci forment le 40% des effectifs, et sont très nettement majoritaires dans des fonctions spécifiques comme la police militaire ou les affaires civiles. En d'autres termes, la capacité à durer au-delà de quelques mois dépend des réserves.

L'US Army compte actuellement quelque 160'000 réservistes et gardes nationaux en service actif sur un total de 550'000. Pour le Corps des Marines, ces chiffres sont respectivement 10'500 sur 39'600. Les deux autres composantes traditionnelles, l'Air Force et la Navy, en font un recours bien inférieur, dans la mesure où les opérations actuelles sont avant tout terrestres. Quant aux forces d'opérations spéciales, les chiffres concernant leur emploi sont classifiés.

A une époque où la majorité des armées européennes ont adopté le principe d'une armée de métier concentrée sur les soldats d'active, ce rôle majeur de la réserve jette une note discordante. Le profil des opérations militaires contemporaines nécessite de plus en plus une grande flexibilité dans l'emploi des armées, une capacité à la fois de réaction et d'endurance pour répondre aux crises et stabiliser une région donnée.

Les Forces armées américaines sont pour l'heure capables d'atteindre presque tous leurs objectifs de recrutement et de rétention, dans toutes leurs composantes, ce qui indique un moral solide dans leurs rangs. Pourtant, afin d'éviter des difficultés dans ce domaine, des mesures ont été prises pour faciliter le recrutement, comme la réduction de 92% à 90% de lycéens dans les quotas pour les hommes du rang de l'US Army.

Aucune armée professionnelle européenne ne parvient aujourd'hui à recruter et à conserver suffisamment de soldats, malgré l'ouverture croissante à des recrues étrangères (Sud-américains dans l'armée espagnole, etc.) et l'admission de candidats mentalement attardés (une étude a montré que 70% des soldats britanniques, dans une caserne donnée, avaient les capacités de lecture d'un enfant de 11 ans).

Et qu'en est-il en Suisse ? La formule de l'armée de milice, avec une petite composante professionnelle axée avant tout sur l'instruction, reste certainement la plus économique et la plus souple sur le plan du personnel. Toutefois, les pénuries d'effectifs dans les rangs des instructeurs et la difficulté à trouver suffisamment de candidats pour les missions à l'étranger - environ 250 militaires - montrent qu'il existe bien une fracture entre l'Europe et les Etats-Unis dans la perception de la chose militaire.

Une différence qu'il s'agit d'appréhender...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h21

Piège déjoué en Côte d'Ivoire

Un entretien publié hier dans Le Figaro avec le général Henri Poncet, commandant des forces françaises en Côte d'Ivoire, mérite l'attention. Il revient sur la fusillade du 9 novembre devant l'hôtel Ivoire, à Abidjan, au terme de laquelle les militaires français ont été accusés d'avoir tiré dans la foule et tué une vingtaine de manifestants.

Pour le général Poncet, c'est une véritable embuscade politique qui a été tendue au contingent français : les milices contrôlées en sous-main par le pouvoir ivoirien ont tenté de provoquer un massacre le jour même où le président africain Thabo Mbeki arrivait à Abidjan pour faire office de médiateur.

Des vidéos de l'incident ont circulé sur la toile, et prouvent apparemment que les troupes françaises ont fait un usage minimal de leurs armes : l'absence de détonation d'armes lourdes (mitrailleuses et canons des blindés) et la rareté des blessures par armes à feu suggèrent effectivement, comme le général Bentégeat l'a affirmé au Monde le 5 décembre, que la plupart des morts sont dus à des mouvements de foule.

Quoi qu'il en soit, la question du maintien de l'ordre par des troupes de combat se pose avec acuité. Le général Poncet aborde en premier lieu le type de moyens déployés :

« Notre escadron de gendarmerie était déjà engagé. Quant aux engins blindés, si nous les avions utilisés devant l'hôtel Ivoire, car nous en avions dix, il y aurait eu davantage de morts. Le dispositif global de Licorne était adapté à nos différentes missions : protéger les ressortissants français et éviter des affrontements entre le Nord et le Sud. »

Il souligne ensuite les enjeux de l'affrontement :

« On se retrouve très vite dans une configuration où l'adversaire utilise des techniques de guérilla. Les grenades lacrymogènes ne suffisent pas. Le but de l'adversaire n'est pas de casser des vitrines, il est d'atteindre un objectif majeur sur les plans politique et militaire. Si nous n'avions pas réussi à prendre le contrôle de l'aéroport ou à faire descendre en renfort nos unités déployées dans le Nord, il y aurait eu davantage d'exactions contre les ressortissants français. »

Le point central, ici, est constitué par l'utilisation classique d'une foule excitée et manipulée comme arme médiatique face à une formation militaire : la supériorité matérielle des forces armées devait être contrebalancée par la supériorité morale des manifestants, transformés en victimes innocentes et jetant ainsi l'opprobre sur les unités françaises. La présence de caméras dans la masse populaire aurait multiplié l'effet psychologique de chaque décès, déchaîné la fureur anti-française et mis en péril la poursuite de la mission.

Oubli regrettable ou pudeur complice, l'entretien n'explique pas comment les troupes françaises ont réussi à déjouer le piège tendu par les milices. La méthode utilisée a probablement consisté à utiliser des tireurs d'élites pour éliminer les meneurs identifiés et limiter leur emprise sur la foule. Une séquence de la vidéo montre en effet un cadavre dont la tête totalement éclatée suggère l'impact d'une balle de calibre moyen, ce qui ressemble à l'usage ciblé de fusils de précision de la gamme FRF1!

Il est assez piquant de relever que le général Poncet déplore la couverture médiatique à son sens exagérée de l'événement, soulignant à juste titre qu'un contingent de l'ONU placé dans la même situation aurait bien moins attiré l'attention. A la même période, les images d'un Marine abattant un homme apparemment désarmé dans une mosquée de Falloujah ont pourtant eu une couverture bien différente !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h41 | Comments (3)