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10 janvier 2005

Palestine : succès démocratique ?

La grande majorité des médias ont aujourd'hui célébré sans mélange les élections palestiniennes, qui ont vu la victoire du supposé modéré Mahmoud Abbas, mais aussi tissé des éloges nombreux à l'endroit des Palestiniens :

"Les Palestiniens ont démontré hier une très grande maturité démocratique. [...] En se rangeant massivement sous la bannière de Mahmoud Abbas (Abou Mazen), la population n'a pas seulement élu un homme, elle a surtout dit, et avec quel enthousiasme, sa confiance dans la capacité de la démocratie à exprimer leur souffrance et leurs espoirs. Pour un peuple soumis depuis quatre ans à une occupation impitoyable, la leçon est exemplaire", écrit Pierre Meyer dans la Tribune de Genève.
"Les Palestiniens se sont rendus en masse dans les bureaux de vote dimanche pour élire le successeur de Yasser Arafat. [...] Dimanche matin, les électeurs n'étaient pas nombreux à se presser devant les urnes. Parce que l'Autorité palestinienne (AP) avait décrété un jour de congé dont beaucoup voulaient profiter? Peut-être. En tout cas, le taux de fréquentation des urnes qui était évalué à 15% est passé à 30% trois heures plus tard avant d'entamer une ascension exponentielle dans le courant de la soirée", explique Serge Dumont dans Le Temps.
Les Palestiniens se sont mobilisés massivement pour élire le successeur du chef historique des Palestiniens, Yasser Arafat. Dans toutes les villes des territoires palestiniens occupés, les citoyens ont fait la queue en famille devant les bureaux de vote. Les Palestiniens n'ont pas laissé passer cette occasion de choisir démocratiquement leur futur dirigeant et de s'offrir un nouveau départ après la mort du symbole de la cause palestinienne. [...] Environ 1,8 million de Palestiniens avaient le droit de participer à ce scrutin. La Commission électorale centrale (CEC) estimait hier soir la participation à 70%", raconte Patrick Saint-Paul dans Le Figaro.

Mais est-ce que ces appréciations visant à démontrer un succès démocratique incontestable correspondent à la réalité ? On peut, on doit en douter si l'on tient à l'honnêteté intellectuelle. Dès dimanche matin, et comme d'ailleurs le signale Serge Dumont, une faible affluence a été relevée aux urnes. Devinant que la légitimité de l'élection était menacée, le Fatah a alors exercé une pression intense sur la commission électorale pour prolonger de 2 heures l'ouverture des bureaux de vote, mais aussi permettre à n'importe quel Palestinien de voter n'importe où, ce qui constitue un changement non négligeable des règles en pleine journée de votation. Peut-on y voir la cause de l'augmentation "exponentielle" des bulletins ?

Qu'en est-il donc de cette participation, essentielle dans un tel scrutin ? Les envoyés spéciaux du Monde constatent "une affluence honnête" dans la bande de Gaza. Leur homologue du Figaro visite 2 bureaux : "sur 1 500 inscrits, nous n'avons eu que très peu de gens", entend-il au premier ; "sur 1 266 inscrits, nous n'avons pas eu plus de 200 personnes", écoute-t-il au deuxième - ce qui ne l'empêche pas de titrer "Gaza n'a pas boudé les urnes" ! En est-il de même en Cisjordanie ? Les accusations de fraude du Fatah et de manipulation des listes ne sont guère rassurantes.

Une participation de presque 70% comme annoncée serait certainement un succès démocratique. Mais si ces 70% s'appliquent aux 1,1 millions d'électeurs enregistrés initialement, et non aux 1,8 millions qui ont finalement été autorisés à voter, alors ce pourcentage tomberait à environ 42%, et la légitimité de ces élections serait pour le moins douteuse. Et le vote présumé massif des Palestiniens, que les correspondants sur place n'ont guère vu, ne serait qu'une chimère de plus suscitée par l'adhésion si répandue à la cause palestinienne au sein des rédactions.

On notera au passage que de nombreux correspondants francophones ont jugé que les forces de sécurité israéliennes entravaient fortement la capacité des Palestiniens à aller aux urnes, alors que les observateurs internationaux ont conclu au contraire, comme l'a relevé Michel Rocard :

"On ne peut pas dire que la présence de trois policiers se livrant à des contrôles soit une entrave à la libre circulation."

Affaire à suivre...

COMPLEMENT I : On peut lire ce matin dans 24 Heures un portrait de Mahmoud Abbas qui à l'honnêteté de rappeler que celui est un révisionniste, mais qui confirme surtout le problème de l'élection :

Le taux de participation parmi les quelque 1,1 million de personnes inscrites sur les listes électorales s'est élevé à 70%.

Et comme 1,8 millions pouvaient voter, ce taux tombe donc à 42%. Quand donc le nombre de suffrages sera-t-il annoncé ?

Publié par Ludovic Monnerat le 10 janvier 2005 à 23:35

Commentaires

Saine analyse totalement partagée comme toujours , merci , meilleurs voeux pour 2005 . Que cette nouvelle année apporte un peu plus d'honnêteté intellectuelle et morale aux responsables des médias en général et des nôtres en particulier

Publié par André Aïoutz le 12 janvier 2005 à 15:12