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26 janvier 2005

De nouvelles conventions

L'un des penseurs stratégiques les plus stimulants de notre époque est Thomas P. Barnett, qui a écrit un livre fameux (The Pentagon's New Map), qui répond à nombre d'interviews (une a été traduite par mes soins) et qui vient de rédiger une colonne pour le magazine Wired consacrée au droit de la guerre. Son propos est direct : le droit actuel, centré sur les Conventions de Genève, n'est plus adapté aux conflits contemporains, et il est nécessaire de constituer une nouvelle organisation pour définir les bases légales permettant aux Etats de se défendre sans tomber dans des limbes juridiques. Extraits :

Unless we want to spend the rest of this conflict trying to rationalize police brutality and torture, the US needs to acknowledge (1) that it's not above the law; and (2) that it needs a new set of rules for capturing, processing, detaining, and prosecuting such nonstate actors as transnational terrorists. In short, we need Dirty Harry to come clean. Frontier justice must be replaced by a real justice system.
The new rules need to define how the core countries cooperate to suppress terrorist activity within the core using police methods. And they'll lay out how and under what conditions it's OK for those same states' militaries to go into the unconnected regions of the world - what I call the nonintegrating gap - to snatch or kill suspected terrorists. [...] What am I talking about here? A WTO-like entity for global counterterrorism.

On notera avec intérêt que la Suisse lui paraît une base de discussion pour un lieu susceptible d'emprisonner des terroristes, au lieu de la base US de Guantanamo. En matière de réforme juridique, ou plus exactement d'emploi dépoussiéré de textes existants, il vaut la peine de relire les réflexions d'Arnaud Dotézac à ce sujet. Cependant, l'organisation dépositaire des Conventions de Genève - le CICR - ne semble guère encline à tolérer la moindre contestation à l'endroit de textes qui fondent aujourd'hui des interprétations de plus en plus tendancieuses...

COMPLEMENT I : On ne sait trop comment appréhender cette dépêche AP qui décrit la "torture" pratiquée à Guantanamo sous la forme de tentations sexuelles, et qui semble efficace. Ce n'est pas la première fois que des témoignages parlant de femmes légèrement vêtues lors des interrogatoires apparaissent. On peut donc logiquement penser qu'il y a du vrai dans tout cela...

Publié par Ludovic Monnerat le 26 janvier 2005 à 22:37

Commentaires

eh bien... ce monsieur a en tous les cas le mérite d'avoir des idées originales (voir son interview avec le FrontPageMagazine). Sa proposition d'envoyer "Nixon à Téhéran", n'est pas dénuée de sens en soi. Cependant, la situation actuelle présente quelques différences importantes par rapport à celle des années 70, quand Nixon est allé serrer des mains en Chine communiste. Notamment le fait que l'Iran menace Israël depuis le tout début est un élément important. À l'époque, la Chine ne menacait pas (ou plutôt plus [le Viêt-Nam du Sud indirectement!]) un allié américain aussi important que l'est Israël de nos jours. Ensuite, et indépendament de cela, c'est bien en Iran que l'islamisme a eu son premier grand succès politique avec la prise de pouvoir en 1979. L'Iran continue depuis à soutenir des mouvements islamistes et terroristes (certains les appellent "militants") qui déstabilisent toute la région. À côté de cela, l'Iran menace directement ou indirectement les intérêts nationaux d'un grand nombre d'autres pays (Irak et Etas-unis, pour n'en citer que deux). Par ailleurs, et bien que shiites, les mollahs sont soupçonnés de donner refuge à un certain nombre de Talibans et de membres d'Al-Qaeda.

À mon sens, le danger n'est pas qu'un pays du poids de l'Iran ait la bombe. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, c'est le fait que ce soit un régime à charactère intégriste et agréssif qui gouverne ce pays puissant et qu'il risque justement en plus de se doter d'armes nucléaires. Si, par contre, le régime venait à changer de manière positive (au sens du discours récent de Bush?), il serait bien moins grave qu'il détienne la bombe. Car en ce cas, la question posée ressemblerait beaucoup à celle du 12 septembre 2001: s'allier ou non au Pakistan. Il faudrait alors veiller à stabiliser le nouveau régime en place. Il n'est par contre pas utile de récompenser l'attitude agréssive dont l'Iran fait preuve actuellement.

ceterum censeo: on ne badine pas avec les Mollahs.

Publié par Robert Desax le 27 janvier 2005 à 18:06

D'accord avec toi, Robert.
Le problème, c'est qu'en disant : "Si, par contre, le régime venait à changer de manière positive (au sens du discours récent de Bush?), il serait bien moins grave qu'il détienne la bombe", tu ne parles pas de la réalité actuelle, qui est toute différente.
1. Le régime ne change pas
2. La bombe est à leur portée de main
Si le régime ne change pas TRES vite, ce sera la catastrophe. Je ne suis pas en train de dire qu'il faudrait une intervention militaire à tous prix, mais que l'on ne peut pas ne pas intervenir d'une manière ou d'une autre.
Quant à dire, comme je l'ai entendu, que l'Iran ne menace "que" Israël, c'est prermièrement faux, et deuxièmement intolérable moralement comme genre de discours. Selon la perspective que l'on prend, et en dehors de toute éventuelle sympathie, Israël est soit le fer de lance de la démocratie, soit le bouclier de la démocratie. Les beaux parleurs anti-sionistes feraient bien d'y réfléchir une demi seconde avant de s'acharner sur le seul état de droit de toute la région. La chute d'Israël serait une première énorme défaite de la civilization face à la barbarie verte. Et, loin de calmer les gangsters théocrates, cela ne ferait que les inciter à poursuivre leur oeuvre de carnage rétrograde et de suicide culturel.

Tout ceci pour dire que le temps presse, et qu'il y a urgence à propos de l'Iran. Les USA ne semblent pas posséder des capacités aussi illimitées que l'on pourrait le croire, et ils emploient déjà une bonne partie de leurs ressources en Irak. Pourtant l'Occident, dans la mesure où l'on ose encore y inclure l'Europe, a encore largement les moyens de prendre les mesures qui s'imposent...

C'est juste la volonté qui manque.

Publié par Ruben le 27 janvier 2005 à 20:42

Ruben, je partage ton pessimisme quand aux perspectives en la question. En matière d'affaires étrangères je n'ai jamais fait preuve d'un optimisme particulier, au contraire!

Je ne pense pas que l'Iran n'est qu'une menace pour l'Etat hébreux. Contrairement à la Syrie par exemple, l'Iran constitue un authentqiue danger "suprarégional". Les missiles iraniens pourraient en principe bientôt nous tomber sur la tête.

Je laisse de côté l'effet tout à fait catastrophique qu'aurait une chute ou même "seulement" une défaite israëlienne.

Ce qui m'inquiète beaucoup, sans être bien-sûr expert en la matière (contrairement à notre cher webmaster!), c'est le fait que les Etats-unis risquent d'avoir perdu leur liberté d'action pour l'instant. Les Américains étant massivement occupés et absorbés en Irak, mais également ailleurs, comme dans une certaine mesure en Afghanistan et peut-être pas last mais encore moins least en Asie orientale (Japon, Corée, Taiwan?), ou ils doivent garder une bonne "bargaining position", j'ai peur qu'ils ne soient pas à même de pouvoir agir ou au moins réagir de manière adéquate à la survenance d'une nouvelle crise géostratégique. Quant aux Européens, il leur incombe toujours de prouver leur capacité durable (et efficace!) d'agir au niveau international. Ce n'est ni cette bonne vieille force de frappe gaullienne, ni un membre permanent allemand au conseil de securité qui vont changer la donne. Tant que les Européens ne sauront pas expliquer à leur opinion publique que, oui!, l'intérêt national compte toujours, et que sans vouloir le défendre et le préserver, on ne participe pas au "great game", ils devront toujours se contenter d'un billet de deuxième classe. La Realpolitik n'a jamais été "inventée". On respecte ses règles ou on se tait.

Publié par Robert Desax le 28 janvier 2005 à 1:23