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4 janvier 2007

Entre fossé et découplage

Un rapport de l'Agence européenne d'armement du 19 décembre dernier (reçu par courriel en PDF, merci à PS) fournit des comparaisons intéressantes entre l'Europe et les Etats-Unis sur le plan militaire pour l'année 2005. J'ai en particulier relevé les éléments suivants (Europe et Etats-Unis, dans cet ordre) :

Les chiffres mis en gras sont à mon sens les plus révélateurs. L'existence d'un fossé atlantique entre l'Europe et les Etats-Unis n'est certes pas nouvelle, et elle inspirait déjà une grande inquiétude dans les années 90, notamment lors des opérations de combat au-dessus des Balkans. Ce qui a changé depuis 2001, et qui est représenté dans les chiffres sur les déploiements, c'est que désormais l'expérience opérationnelle et expéditionnaire est également d'une tout autre ampleur. Non seulement les Américains investissent bien plus et se donnent les moyens de moderniser leurs armées, mais ils les engagent également davantage et sont en train de former toute une génération de cadres ayant l'expérience du combat. En Europe, à l'exception notable de la Grande-Bretagne (qui le paie cher) et dans une moindre mesure de la France (dont le budget militaire reste fragile), les armées sont comparativement vieillissantes, statiques et inexpérimentées.

A mon sens, cette réalité a peu de chances d'être corrigée rapidement, car les initiatives de modernisation en cours, sous la houlette de l'UE (les battlegroups) ou de l'OTAN (la force de réaction), n'affectent qu'une petite partie des armées. Du coup, il est bon de se demander si ce fossé atlantique ne mène pas à un découplage interne, tant il paraît difficile de suivre la locomotive américaine sur la voie high tech qu'elle s'est choisie, en l'absence d'une augmentation substantielle des budgets de la défense. Car au rythme actuel, les armées européennes vont se retrouver avec une élite interopérable et expérimentée (comprenant notamment les forces spéciales, les unités terrestres numérisées, les chasseurs-bombardiers de dernière génération et les navires de combat modernes), capable d'exécuter tous les types d'opérations après projection, et une majorité moins équipée, moins entraînée, moins intégrée, vouée à des missions de sécurisation et de stabilisation avant tout sur le sol national.

Un modèle qui me paraîtrait cohérent si cette majorité était constituée de conscrits...

Publié par Ludovic Monnerat le 4 janvier 2007 à 13:31

Commentaires

L'Europe va peut-être aller crapahuter en Somalie... Bien du plaisir! Ludovic, tu te rappelles la présentation à ce sujet par un membre des Rangers?

Publié par dahuvariable le 4 janvier 2007 à 14:30

Pas besoin !
La Somalie est déjà en Europe.

Publié par Three piglets le 4 janvier 2007 à 14:38

pb de chiffres :
le PIB US 2005 est de 12 370 md$ donc 406 md de dépenses militaires = 3,2 % du PIB
si les autres chiffres sont du même tonneau, la source n'est pas fiable !
PIB US de 2005 sur : http://research.stlouisfed.org/fred2/series/GDP
en 10
si les investissements militaires sont de 2,5 % les dépenses de fonctionnement sont certainement supérieures à 0,7 % du PIB !
il y a donc en + un certain manque de cohérence dans ces chiffres !

Publié par JPC le 4 janvier 2007 à 14:50

les dépenses d'investissement militaire représentent maintenant 2,3 % du PIB aux USA,
elles augmentent depuis 2001 où elles étaient tombées en dessous de 2 % du PIB
pour avoir les chiffres :
http://research.stlouisfed.org/fred2/series/DGI

Publié par JPC le 4 janvier 2007 à 15:15

Au dahuvariable : bien sûr que je m'en souviens !

A JPC : merci pour les précisions concernant le PIB. Cependant, même si les chiffres sont imprécis, je crois que les disproportions entre Europe et Etats-Unis demeurent, et donc que mon propos reste justifié ! :-)

Publié par Ludovic Monnerat le 4 janvier 2007 à 16:55

pas de problème : vos analyses sont justes !
mais il y a un peu de désinfo de la part de cette "agence européenne d'armement" pour inciter les gouvernements à dépenser + pour les armées !
sur 2 points j'ai noté un biais !
par contre les dépenses de fonctionnement US ont l'air d'être minimisées !

Publié par JPC le 4 janvier 2007 à 17:57

Mais pourquoi faudrait-il forcément suivre la "locomotive américaine", si nous ne sommes pas militairement menacés? Objectivement, je ne saurais citer une seule menace de type militaire (donc nécessitant une réponse de type militaire) pouvant concerner notre continent.

Et pourquoi faudrait-il aussi s'engager forcément toujours plus avant dans les structures de l'OTAN, car cette organisation reste avant tout, ce qu'elle a toujours été, un moyen de maintenir l'Europe dans un état de mineur stratégique.

Pourquoi ne pas plutôt imaginer un grand concept de défense continentale impliquant logiquement et naturellement notre voisin russe?

Publié par fass57 le 4 janvier 2007 à 20:00

"Pas besoin !
La Somalie est déjà en Europe."

Oui, si je regarde la situation par le petit bout de la lorgnette de mon coin de pays, je constate surtout que les guerres américaines, censées pacifier tous ces pays lointains, se concrétisent essentiellement par l'arrivée en Europe de réfugiés en provenance de ces pays, entraînant de fait une dégradation sécuritaire et une menace identitaire s'exerçant dans nos environnements immédiats.

Publié par fass57 le 4 janvier 2007 à 20:10

"Pas besoin !
La Somalie est déjà en Europe."

A Mineapolis également:

http://www.frontpagemag.com/Articles/ReadArticle.asp?ID=26233

Donc, pour recentrer ceci avec l'objet du billet, à quoi bon former toute une génération de cadres militaires à l'engagement sur des théâtres d'opération extérieurs, si la mère-patrie n'est pas défendue, si l'intégrité de la nation n'est pas maintenue?

Joe Doe ne peut-il se demander à quoi peut bien lui servir une armée du 21ième siècle gorgée de F-22, de F-35, de MX313 ou de rayon vert de la mort, si son quartier est perdu?

Je rappelle que l'administration américaine n'a pas trouvé de budget pour renforcer ses unités de gardes-frontières dans le sud des USA.

Publié par fass57 le 4 janvier 2007 à 21:09

"Mais pourquoi faudrait-il forcément suivre la "locomotive américaine", si nous ne sommes pas militairement menacés?"

La question n'est pas de savoir si nous sommes militairement menacés aujourd'hui, mais bien si nous le serons dans les 25 prochaines années : telle est la portée moyenne des décisions majeures dans la doctrine, la structure et l'équipement des forces armées. Sans compter que renoncer à se prémunir d'une menace militaire ne fait qu'augmenter la rentabilité, et donc la probabilité, de celle-ci !

Publié par Ludovic Monnerat le 4 janvier 2007 à 21:32

Oui, je comprends bien, mais il conviendrait d'abord de définir cette menace, au tout au moins d'essayer d'en cerner ses contours plausibles et non fantasmés, afin de déterminer les stratégies envisageables et les programmes d'équipement adéquats.

Bien que j'ai déjà voté deux fois non à l'Europe de Bruxelles, je suis bien entendu conscient qu'à terme, il faudra faire l'Europe de la défense et que la Suisse, géographiquement en Europe, devra y participer activement.

En revanche, je ne vois pas sur le long terme ce que pourrait nous apporter l'OTAN, sinon la continuation d'une sujetion aux intérêts américains et un oreiller de paresse nous épargnant de prendre notre propre défense en main. Car il n'est pas dit que dans 25 ans, les intérêts du continent européen coïncident forcément avec les intérêts américains.

Non, plutôt une grande politique continentale, comme la décrivait très bien Mackinder, avec le "hearland".

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mackinder

Publié par fass57 le 4 janvier 2007 à 22:53