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9 août 2007

La dissonnance des enjeux

Un billet de Stéphane Montabert sur le site de la Revue Militaire Suisse pose une problématique aussi difficile à aborder qu'elle est importante, suite au cas de soldats israéliens refusant les ordres de leurs chefs militaires pour suivre ceux de chefs religieux :

On peut penser que ces défis sont circonscrits à Tsahal, l'armée nationale d'un Etat imprégné du parfum de la théocratie. Mais on peut aussi estimer que ces problèmes sont exacerbés, non par la piété des soldats, mais par les missions de combat auxquelles il font face. Dans d'autres pays du monde, combien de conscrits ou de volontaires accepteraient d'accomplir une mission frappée d'un interdit religieux? Tant que l'armée se cantonne à des exercices et des simulations, nul ne peut y répondre.

Il s'agit donc ici de l'obéissance des militaires dans des missions coercitives autres que le conflit symétrique de haute intensité dans un cas de défense nationale, c'est-à -dire de l'usage de la force alors que les enjeux des donneurs d'ordres entrent en dissonnance avec d'autres enjeux pour tout ou partie des soldats. Le thème n'est pas nouveau ; Napoléon savait à merveille jouer du nationalisme et de l'honneur pour entraîner ses soldats dans des campagnes dont les enjeux les dépassaient entièrement. Mais l'avènement de la guerre totale, qui culminera avec les deux conflits mondiaux du siècle dernier, a justement abouti à mélanger dans les esprits la capacité, la volonté, la légitimité et l'opportunité d'employer la force - alors que ces quatre éléments sont précisément distincts.

C'est devenu un lieu commun que de voir les armées comme des institutions tournées vers le passé, repliées sur un précarré tactique et technique, largement indifférentes à l'évolution de la société qu'ils ont pour mission de défendre, de protéger et d'aider ; dans une large mesure, c'est pourtant tout à fait exact. De nos jours, la plupart d'entre elles s'efforcent d'exploiter au maximum les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour augmenter leur propre efficience matérielle, et des sommes phénoménales sont investies dans l'acquisition de réseaux sur lesquels seront centrées les opérations. Mais les armées n'ont toujours pas intégré le fait que les guerres modernes se gagnent dans l'esprit des populations, comme le disait déjà le colonel Roger Trinquier voici longtemps. Et encore davantage lorsque ces populations alimentent les armées en effectifs.

Ce qui nous ramène à l'obéissance de soldats confrontés à des enjeux dissonnants. En partant du principe que la volonté de défense assurait le fonctionnement des armées, on a oublié que la menace militaire classique n'est qu'une forme possible de la guerre, voire qu'une singularité, et que l'adhésion des soldats doit être obtenue autrement que par l'excitation nationaliste ou par l'esprit de corps exacerbé (lesquels aboutissent au rejet et à la haine de l'autre). En d'autres termes, une armée engagée dans des opérations coercitives autres que la guerre conventionnelle, et qu'elle seule peut effectuer, doit assurer une consonnance entre les enjeux perçus au niveau des dirigeants politiques et ceux perçus par ses soldats, développer la loyauté envers l'intérêt général du souverain (c'est-à -dire du peuple, car nous parlons ici de démocratie) et non envers les intérêts particuliers, et donc faire un effort tout particulier dans l'aptitude psychologique et éthique à servir, au lieu de se concentrer sur l'aptitude physique et cognitive.

Il existe des troupes qui intègrent cette dimension humaine, qui visent à développer l'indépendance et la maturité de l'individu ; dans l'armée suisse, c'est en particulier le cas des grenadiers, où sont inculquées des valeurs qui renforcent l'instruction militaire et permettent de former des citoyens-soldats qui, ensuite, seront les sentinelles et les gardiens d'un pays, d'un peuple, d'une histoire, et qui sauront les servir en toute circonstance. Du moins le conçoit-on ainsi, car effectivement seule la réalité du conflit et de l'opposition permet de vérifier ces facteurs psychologiques autrement impossibles ou presque à quantifier...

Publié par Ludovic Monnerat le 9 août 2007 à 18:11

Commentaires

Grêves au sein d'une armée occidentale:
J'attendais avec impatience une analyse sur ce sujet délicat.
Bien que convaincu de la justesse de l'analyse de Ludovic Monnerat (soldat idéal, indépendant et mature, motivé par son propre système de valeurs) je dois préciser que mon expérience au sein de l'armée professionnelle d'un pays voisin me laisse des doutes sur le niveau de motivation réelle des armées professionnelles.
Quelques faits marquants:
- Les soldats d'une compagnie d'Infanterie d'élite refusent en bloc de se rendre à un rassemblement régimentaire (il y a 5 ans).
- Tout l'effectif d'une base de contrôle aérien se met en grêve (il y a 10 ans environ).
- Des soldats refusent de partir en camp de manoeuvre et se mettent massivement en arrêt de travail (à hauteur de 60% de l'effectif de la compagnie, il y a 2 ans)
Il ne s'agit là que de quelques phénomènes que j'ai pu observer, ces comportements font évidemment l'objet d'un black out total (pas de sanctions, peu de comptes rendus hierarchiques).
Il est certain qu'en cas de défense du territoire la motivation des troupes serait très élevée, mais il faut avouer qu'en ce qui concerne les opérations à l'extérieur les professionnels ont le niveau de motivation de simples mercenaires.
Des refus d'obeïssance peuvent arriver dans nos armées pour des raison bien moins honorables que des croyances religieuses (revenus insuffisants, risques trop élevés...)
A l'opposé, l'obeïssance de ce type de soldat a été remarquable lors de certaines opérations de maintien de l'ordre "musclé" où le tir à balles réelles a été déclenché sur des manifestants armés de pierres.
En conclusion, il est difficile de motiver un soldat sans le fanatiser. L'homme est ainsi fait qu'il ne dépasse son intérêt personnel que s'il perçoit une cause comme étant éminemment supérieure.
le fond du problême me parait être le suivant: comment motiver des soldats envoyés par une poignée d'oligarques pour défendre des intérêts douteux?

Publié par Damien le 10 août 2007 à 0:07

De mon côté je suis un peu circonspect quant à la valeur "respect" figurant sur les site des Grenadiers. On y lit que "Les grenadiers adoptent un profil bas,(...) et respectent (...) les personnes issues d'autres horizons, religions et cultures." Je prends une "autre religion" au hasard ;-) : l'islam envers laquelle je dois faire preuve de respect avec profil bas et j'obtiens les valeurs du parfait dhimmi, étrange non?

Publié par louis le 10 août 2007 à 7:56

Louis, je pense qu'il y une différence entre le profil bas envers des personnes autres et la reddition face à une religion autre, non ? Il faut également comprendre ces valeurs par rapport à l'état d'esprit général des grenadiers les années précédentes, qu'elles visent en partie à corriger et à optimiser.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 août 2007 à 8:02

"En conclusion, il est difficile de motiver un soldat sans le fanatiser. L'homme est ainsi fait qu'il ne dépasse son intérêt personnel que s'il perçoit une cause comme étant éminemment supérieure."

Je trouve que ces deux phrases s'excluent mutuellement. En même temps, se demander comment motiver un soldat pour une opération extérieure de longue durée est tout à fait logique - c'est une perspective que je n'avais pas forcément traitée dans mon billet, réflexe suisse oblige.

Tout à fait d'accord pour la cause supérieure, celle-ci était bien souvent plus liée à la camaraderie et à l'esprit de corps qu'aux objectifs fixés par le commandement militaire ou les dirigeants politiques. Mais je pense que la fanatisation des soldats revient à les éloigner de leur mission et à en faire un danger ; étant en train de lire les mémoires du colonel Trinquier, je ne peux qu'être frappé par la volonté des parachutistes, en mai 1958, de marcher sur Paris et d'aller enfumer le Sénat pour y provoquer un coup d'Etat...

Publié par Ludovic Monnerat le 10 août 2007 à 8:15

Je lis:

"les grenadiers.....respectent les personnes issues d'autres horizons, religions et cultures"

Je ne comprends pas l'opportunité pratique et symbolique de ce passage (1).

Non qu'il ne faille pas respecter les personnes "issues d'autres horizons etc...", mais pourquoi l'impérieux catéchisme du "vivre-ensemble" doit-il aujourd'hui se glisser partout, même dans ce qui fait la struture symbolique d'une troupe de choc?

Franchement, croyez-vous que l'on bondit dans une tranchée, avec la certitude de devoir y faire des choses horribles ou de les subir, en se basant sur un discours de dame-patronnesse ou de militant d'une association de sans-papiers?

Sans oublier l'incohérence théorique de base: la volonté de défense, à fortiori quand on appartient à une troupe d'élite, naît de la distinction claire et consciente du soi et de l'autre (encore une fois, je ne saurais trop recommander la lecture de Julien Freud). Or, on constate ici que cette volonté, cette volonté de défense, serait censée être agissante, tout en étant structurée sur des valeurs inclusives, alors que par définition une réaction de défense relève d'un mouvement excluant.


(1) le texte accompagnant la carte d'identité militaire étant tout à fait suffisant pour cadrer de façon précise le comportement correct et honorable d'un soldat en temps de guerre, que ce soit vis à vis de l'ennemi ou du civil.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 8:53

"(c'est-à -dire du peuple, car nous parlons ici de démocratie)"

Pourquoi le peuple serait-il forcément lié à la démocratie? Je ne dis pas que la démocratie n'est pas un système de gouvernement appréciable, mais ce n'est qu'un système, pas une fin en soi.

On le voit bien dans nos pays démocratiques que la démocratie, ou plutôt le démocratisme, peut très bien devenir une menace pour le peuple ou une partie du peuple (puisque la fragmentation ethno-communautaire est désormais à l'oeuvre, même chez nous). On peut penser à Micheline Calmy-Rey affirmant, sur une prairie du Grütli louée par des entreprises privées, que la patrie appartient à tous (encore une incohérence du point de vue de la formalité logique du discours), même aux clandestins invités à cette manifestation!

Ou encore si j'étais un chrétien irakien, que serais-je censé préférer? La démocratie qui entraînera à terme ma disparition ou alors un gouvernement autoritaire qui garantissait ma sécurité?

http://www.catholicnews.com/data/stories/cns/0704487.htm

Ce petit apparté pour dire qu'il ne faut donc pas confondre un outil (la démocratie) et une fin en soi (le peuple).

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 9:08

Deux citations de Julien Freud (qui fut lui-même résistant contre l'occupant allemand) pour illustrer mon propos:

*****************************
Le Résistant, c'est un combattant, il fait en situation d'exception la discrimination entre l'ami et l'ennemi et il assume tous les risques. Son image ne cadre pas avec l'amollissement que l'on veut cultiver. C'est peut-être pourquoi on lui préfère aujourd'hui les victimes.

La Résistance est partie prenante de l'ancien monde, celui des réflexes vitaux qui se mettent en branle lorsque le territoire est envahi par l'ennemi. Les nouvelles de Maupassant montrent très bien cela dans un contexte où le nazisme n'avait pas cours. Or, c'est ce lien quasiment paysan à la terre que l'on prétend aujourd'hui abolir parce que les élites, elles, se sont affranchies de ces attaches... Elles deviennent transnationales et discréditent des liens qui sont pour elles autant d'entraves. Dans ce contexte, le maquisard devient un personnage encombrant... Trop rivé à son sol, à ses forêts, à sa montagne...
*****************************

*****************************
La xénophobie, c'est aussi vieux que le monde ; une défiance de groupe, d'ordre comportementale, vis à vis de l'étranger. L'expression d'un ethnocentrisme universel comme l'a rappelé Lévi-Strauss. On veut aujourd'hui la confondre avec le racisme qui est un phénomène moderne ; la confondre pour lui appliquer à elle aussi le sceau de la réprobation. Certes, il y a aussi des expressions chauvines de l'ethnocentrisme qu'il convient de combattre, mais prétendre le réduire absolument, c'est parier sur un avenir où l'idée de société différenciée avec ses particularismes aurait complètement sombré. Il n'y a d'ethnocentrisme et de xénophobie que dans la mesure où il y a pluralité des mondes. On peut imaginer - pur exercice d'utopie - que l'effacement des communautés et des identités collectives aboutirait à l'extinction de la xénophobie ; mais en fait à quoi ressemblerait cet Eden ? Selon la fiction de Hobbes, ce serait le retour à la lutte de tous contre tous... une lutte implacable et continuelle, dont seule nous protège la constitution de l'humanité en sociétés organisées et rivales.
*****************************

Or, il me semble que les "valeurs" du grenadier, telles qu'exprimées plus haut, sont l'antithèse absolue de ce que dit Julien Freud, la négation même des "réflexes vitaux", éléments indispensables à toute défense efficace et résolue.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 9:28

"Franchement, croyez-vous que l'on bondit dans une tranchée, avec la certitude de devoir y faire des choses horribles ou de les subir, en se basant sur un discours de dame-patronnesse ou de militant d'une association de sans-papiers?"

Il suffit de voir des grenadiers en action pour se dire qu'une telle n'a pas grand sens. Ne prenez pas une valeur en ignorant les autres, et surtout en ignorant le mot d'ordre des grenadiers : SEMPER FIDELIS. La troupe de l'armée suisse la plus attachée aux traditions ne mérite pas de telles interrogations. Et les valeurs aujourd'hui inculquées doivent être évaluées par rapport à la situation de départ lorsqu'elles ont été identifiées...

Publié par Ludovic Monnerat le 10 août 2007 à 9:48

Je comprends les soucis que la découverte de la valeur "Respect" aux Ecoles gren à pu provoquer chez F ass 57. Je tiens à le rassurer : nous ne sommes pas devenus une institution caritative ou tout le monde est gentil. Relisez simplement cette réponse du Maître de céans : "Il faut également comprendre ces valeurs par rapport à l'état d'esprit général des grenadiers les années précédentes, qu'elles visent en partie à corriger et à optimiser."

Il s'agit de çà et de rien d'autre.

P.S. à l'intention du Maître de céans : on devrait peut-être transmettre une invitation à F ass 57 pour l'une ou l'autre des démos de fin novembre...?

Publié par Moineau Hardi le 10 août 2007 à 11:05

Ludovic, la question que je me pose touche à l'impact de ce slogan à l'égard des tiers. Pas des grenadiers eux-mêmes. Elle est donc plus projective, dans un champ sémantique général qui est donc réinterprétable selon la symbolique qu'il véhicule. Et cette symbolique me parait toucher l'Etat d'accueil éventuel d'une force projetée hors des frontières suisses. Or aujourd'hui les théatres d'opérations sont essentiellement imbibés d'islam. Je ne peux pas m'imaginer que le dessein de projeter une force armée hors de ses frontières et donc de parler à l'un de ces pays, est absent de ce slogan, dans un absolu total. Rien de plus. Rien de moins :-)

Publié par louis le 10 août 2007 à 11:07

Euh, quel était le problème de "l'état d'esprit général des grenadiers les années précédentes"?

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 12:01

Personnellement, je perçois plutôt ces valeurs comme des garde-fous pour empêcher des troupes d'élite de glisser vers un esprit de clan, nuisant finalement à l'accomplissement de leurs missions.
Les valeurs qu'on leur demande de respecter reflètent en partie une diversité propre à la Suisse. C'est aussi un moyen de tenir à l'écart des "brutes" qui seraient plus attirées par l'aventure et la violence que par un engagement pour la défense d'un Etat démocratique.
Finalement, cette démarche cohérente, vise, comme nous l'a démontré à plusieurs reprises LM, à responsabiliser les grenadiers.

Publié par Alex le 10 août 2007 à 12:16

Belle question qui met la lumière là où elle ne parvient souvent pas.

Israel a connu de nombreux cas similaires comme, au début des années 80, le refus d'un commandant d'entreprendre la prise de Beyrouth car il estimait le risque pour les civils trop élevé.

Ce qui est intéressant est que la plupart des refus d'ordre de tsahal sont fondés sur des questions d'éthique, voire dans le cas cité par Ludovic d'éthique religieuse (dans le regard de ceux qui ont refusé).

C'est en fait l'incohérence perçue par le soldat (tous grades confondus) entre l'ordre et les racines de sa motivation de soldat qui crée le conflit intérieur, suivi du refus d'ordre.

Il est aussi intéressant que la personnalité du donneur d'ordre joue un rôle majeur. Lorsque Sharon a fait évacué les implantations de Gaza, les soldats ont exécuté, parfois en pleurant, parfois à l'opposition de leur conviction (une minorité israélienne revendique le territoire de la bande de Gaza arguant une présence juive ancienne prouvée par de nombreux sites archéologiqes). Mais c'est Sharon qui a dit et Sharon est reconnu comme fort et visionnaire. Les soldats ont obéi.

On voit donc deux tenseurs majeurs dans ces cas: les racines plongées dans un système de valeurs et le respect du donneur d'ordre.

La fanatisation rend très fort le donneur d'ordre qui établit un nouveau système de valeurs (souvent Dieu mais parfois un guide, pour ne pas dire un Führer) Il y a peut-être là un ingrédient de la définition du fanatisme.

Les combattants qui ont résisté à l'occupation française étaient pour la majorité marqué par un fort développement du système de valeurs et ont d'ailleurs souvent pris de nombreuses précautions pour épargner les civils et autres acteurs non volontaires. En lisant le livre d'Herbert Herz "mon combat dans la résistance FTP-MOI", on voit des résistants qui amochent des gardiens civils ou travailleurs sur le lieu du sabotage pour leur éviter des ennuis ultérieurs.

Je ne crois pas que le fanatisme ait la moindre place dans nos armées occidentales, même comme simple outil de motivation. La conviction par les racines est bien plus forte et c'est sans doute la seule capable de s'opposer au fanatisme religieux.

Amicalement.

Publié par respire le 10 août 2007 à 12:30

Pour fass57 : je pense qu'Alex a répondu à la question que vous m'avez posée...

Publié par Ludovic Monnerat le 10 août 2007 à 12:46

A moineau hardi : oui, une visite des grenadiers s'impose pour mieux connaître cette troupe. Je suggère à F ass 57 de s'annoncer auprès de moi pour que l'on puisse lui adresser une invitation...

Publié par Ludovic Monnerat le 10 août 2007 à 12:52

"Les valeurs qu'on leur demande de respecter reflètent en partie une diversité propre à la Suisse."

Achtung, glissement sémantique ;-)

La diversité suisse, car la Suisse est effectivement un pays divers (c'est même une nation d'intention), n'a rien à voir avec la "diversité" énoncée plus haut.

Comme quand le système essaie de nous faire croire que la diversité entre un jurassien et un schwytzois est de même nature que la diversité entre un valaisan et un soudanais régularisé par exemple.


"...que par un engagement pour la défense d'un Etat démocratique."

A mon sens, un soldat doit d'abord défendre son pays, avant l'état ou la forme d'organisation politique qui le structure; d'ailleurs, que faire quand les intérêts de l'état et les intérêts de la nation commencent à diverger? C'est pourquoi le soldat de carrière sera toujours un mercenaire de l'état (je parle ici évidemment des armées uniquement professionnelles), tandis que le citoyen-soldat est lui un fils de la nation.

En outre, le résistant, tel que décrit par Julien Freud, ne défendait pas un système politique, que celui-ci soit démocratique ou non, il défendait son pays, le sol de son pays et les gens qui en étaient issus.
On ne meurt pas pour un système, fût-il démocratique, on meurt pour une terre et pour les gens dont on se sent proche. Les fusillés ne criaient pas "vive le parlementarisme démocratique", mais "vive la France", ce qui est fondamentalement différent!

"C'est aussi un moyen de tenir à l'écart des "brutes" qui seraient plus attirées par l'aventure et la violence..."

Mais on oublie ici que tuer quelqu'un est un acte fondamentalement anti-naturel que la majorité des gens, fort heureusement, n'évoque qu'avec effroi (1). Cela me fait penser à une publicité qui était passée récemment à la tv française à des fins de recrutement: on aurait dit qu'on engageait des gens pour une ONG ou une expédition sportive ou scientifique. Alors qu'il n'y a que deux choses à demander à un militaire: es-tu prêt à mourir, es-tu prêt à tuer? C'est peut-être abrupt comme concept, mais n'est-ce pas l'âpre vérité?


"...pour empêcher des troupes d'élite de glisser vers un esprit de clan..."

Autre avatar du modernisme, de la fin du monde ancien: le refus des hiérarchies. N'étant moi-même pas grenadier, je n'avais pourtant aucune réticence, admettant le principe hiérarchique, à considérer que les grenadiers appartenaient à une classe supérieure, dans l'ordre de la fonction militaire.


@Ludovid Monnerat: merci de l'invitation, je la garde sous le coude ;-)

(1) j'ai lu récemment un article très intéressant (que je vais essayer de retrouver) indiquant que près de 80% des soldats engagés dans la seconde guerre mondiale n'arrivaient pas à tirer pour tuer.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 13:38

"..."mon combat dans la résistance FTP-MOI"..."

Je me demande à quoi auraient bien ressemblé les valeurs des FTP-MOI si la machine totalitaire soviétique avait pu pousser jusque à l'Atlantique. Que seraient-ils devenus? Des gardiens de camp, des commissaires politiques, des préposés à l'épuration, comme dans l'Europe occupée par les armées de Staline?

Et pour les autres résistants, les patriotes dirons-nous, ils défendaient non pas en premier des valeurs abstraites, mais la patrie contre un envahisseur. C'est d'ailleurs pourquoi la figure du résistant est peu à peu effacée du discours public et du champ symbolique général, car résister à un envahissement, c'est objectivement un mécanisme de défense qui s'apparente implicitement à de la xénophobie au sens étymologique du terme.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 13:54

Nuance Fass57

Personnellement, et de nombreux Suisses partagent certainement cet avis, je ne battrai pas pour une Suisse qui ne serait pas démocratique...

La Suisse est surtout définie (tous les débats politiques le confirment) par son système fédéraliste qui permet notamment à des gens assez différents (plusieurs votations le démontrent) de cohabiter sur le même territoire.

Quant aux différences de personnes, et contrairement à votre opinion, cela dépend surtout du lieu de naissance et des valeurs transmises.
Si j'étais né à Moscou, je serais sans aucun doute une personne assez différente de celle que je suis actuellement (histoire de relativiser certaines de vos convictions)...

Publié par Alex le 10 août 2007 à 15:27

" je ne battrai pas pour une Suisse qui ne serait pas démocratique..."

La patrie tient de la filiation, de la lignée. Abandonne t-on quelqu'un de sa famille, même s'il tourne mal? Non, on le défend, toujours et de façon inconditionnelle, et ensuite on fait en sorte qu'il retrouve le droit chemin.

La véritable fidélité n'est pas conditionnelle.

Comme disait le major-général Schultz: "my country, right or wrong, if right, to be kept right; and if wrong, to be set right."

Dans cette optique, la seule situation qui me verrait abandonner la patrie serait que celle-ci m'aurait abandonné elle-même en premier. En effet, comment encore défendre quelque chose qui n'existe plus. Nous n'en sommes encore pas là en Suisse, mais certains pays s'avancent dangereusement sur cette voie sans retour.


Publié par fass57 le 10 août 2007 à 15:39

"Personnellement, et de nombreux Suisses partagent certainement cet avis, je ne battrai pas pour une Suisse qui ne serait pas démocratique..."

A ce sujet, je pense à une interview d'un jeune étudiant iranien diffusée récemment sur la RSR. Celui se disait pro-occidental, affirmait conspuer les mollahs, souhaitait une société plus libre, moins archaïque. Mais de préciser qu'en cas d'attaque de l'extérieur, il se rangerait sans hésitations au côté des forces de défense de son pays.

Je comprends parfaitement ce jeune iranien.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 15:43

Autrefois, les soldats se limitaient certainement à défendre leur coin de terre. J'espère que l'humain a entre-temps évolué et qu'il est capable de s'affranchir de données purement géographiques pour y intégrer des notions de valeurs. Après avoir connu la Seconde Guerre mondiale peut-on encore prendre les armes pour défendre un territoire sans se demander si le combat mené est juste, sans s'interroger sur la finalité des opérations en cours ?


PS. L'attachement du peuple helvétique aux valeurs démocratiques est certainement bien plus grand que vous pouvez ne l'imaginer.

Publié par Alex le 10 août 2007 à 15:46

@Fass57

Certes, les FTP-MOI étaient d'obédience communiste mais à cette époque et d'après les quelques témoignages que j'ai entendus, le recrutement n'avait aucun filtre politique.

Lui comme d'autres résistants auraient été recrutés par une organisation à l'affiliation très différente de celle à laquelle ils ont appartenu qu'ils se seraient battus avec la même énergie.

Ces orientations politiques ont par contre certainement joué leur rôle à un niveau hiérarchique plus élevé que celui des simples combattants et leurs chefs de terrain.

Publié par Respire le 10 août 2007 à 15:51

"Après avoir connu la Seconde Guerre mondiale peut-on encore prendre les armes pour défendre un territoire sans se demander si le combat mené est juste..."

En poussant à son terme ce raisonnement, on aboutit fatalement à dire que le résistant qui luttait pour libérer son pays du joug nazi..... est un nazi lui-même, puisque mû par une réaction nationale.


"L'attachement du peuple helvétique aux valeurs démocratiques est certainement bien plus grand que vous pouvez ne l'imaginer."

Mais je n'ai jamais dit que les valeurs démocratiques étaient négligeables. Elles sont d'ailleurs celles qui sont le mieux fonctionnelles dans une société homogène, permettant un véritable débat sur des enjeux politiques (étant admis que la démocratie dans une société diverse ne conduit plus à un débat politique, mais à un jeu de tension ethnique).

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 16:01

Votre approche privilégie une vision dans laquelle les gens se battent plus par réflexe territorial que par conviction. Elle déresponsabilise également les hommes, dans le sens où la réflexion est laissée de côté au profit de l'appartenance (non choisie) à une communauté.
Autrement dit (en suivant votre raisonnement), si vous étiez né en Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale, vous auriez certainement été un grand défenseur du IIIe Reich. Pour ma part, j'ose prétendre qu'avec mes connaissances actuelles j'aurais fait tout ce qui me semblait possible pour combattre cet infâme régime, même s'il pour cela il fallait liquider des compatriotes!

Publié par Alex le 10 août 2007 à 16:06

"...plus par réflexe territorial que par conviction."

Mais l'homme est un mammifère éminemment territorial et la conviction se nourrit du substrat ethno-géographique, dans une vision nationaliste. Or, quand c'est la conviction qui supplante les apparentemments concrets, on sombre dans la vision impériale, forcément expansionniste. C'est pourquoi je préfère un très sain et naturel nationalisme à la vision impériale, promesse de troubles et de guerres.


"...j'aurais fait tout ce qui me semblait possible pour combattre cet infâme régime..."

Mais il y a une différence fondamentale entre combattre un régime, un état, et trahir sa nation.

Que je sache, Klaus von Stauffenberg est tombé, en vrai nationaliste, en criant "que vive l'Allemagne éternelle", pas en appelant la venue d'une monde sans appartenances.

Publié par fass57 le 10 août 2007 à 16:18

__j'aurais fait tout ce qui me semblait possible pour combattre cet infâme régime__

Vous l'auriez certainement fait parce que ce régime était néfaste pour l'Allemagne.
On revient au même but.
C'est la raison , d'ailleurs, que je suis que moyennement républicain par exemple : ce régime est criminogéne pour la France.
Concernant les valeurs, elles doivent immanquablement être incarnées quelque part.
Autrement dit, les valeurs doivent être au service d'une population, d'un pays, d'une nation.
Sinon, c'est la dérive stalinienne qui guette : envoyer des millions de gens au goulag pour "la justice" par exemple.
D'ailleurs, on remarque que les gauchistes et autres nihilistes possédent un discours hyper-moral, justement parce qu'ils pensent leur combat pour "des valeurs", ce qui leur permet de trahir leur pays et leur peuple sans avoir mauvaise conscience.
Le résistant ne se battait contre le nazisme ou contre le racisme, il se battait pour être libre sur sa terre.

Publié par Three piglets le 10 août 2007 à 17:52

(@ fass57 ) j'ai lu récemment un article très intéressant (que je vais essayer de retrouver) indiquant que près de 80% des soldats engagés dans la seconde guerre mondiale n'arrivaient pas à tirer pour tuer.

Le voici : USA / Machines à tuer

http://www.armees.com/article.php?id_article=351

"...Les chercheurs savent que pendant la Deuxième Guerre mondiale, de 15 à 20 % seulement des soldats envoyés sur les fronts de l'Europe et du Pacifique tiraient sur l'ennemi lorsqu'on tirait sur eux..."

"...Alors qu'il n'y a que deux choses à demander à un militaire: es-tu prêt à mourir, es-tu prêt à tuer? ..."

Aussi vrai que si vous portez une arme, c'est pour tuer et non pas pour intimider...

Publié par Yves-Marie SÉNAMAUD le 10 août 2007 à 20:16

« !les valeurs doivent être au service d'une population, d'un pays, d'une nation.
Sinon, c'est la dérive stalinienne qui guette : envoyer des millions de gens au goulag pour "la justice" par exemple.
D'ailleurs, on remarque que les gauchistes et autres nihilistes possèdent un discours hyper-moral, justement parce qu'ils pensent leur combat pour "des valeurs", ce qui leur permet de trahir leur pays et leur peuple sans avoir mauvaise conscience.
Le résistant ne se battait contre le nazisme ou contre le racisme, il se battait pour être libre sur sa terre! »

Merci Three piglets pour ce paragraphe qui pourrait être notre crédo à tous, sauf pour les Félons biens entendus !
Comme m'a toujours dit mon père qui a fait 5 ans de guerre, des Casemates au débarquement en Corse avec des troupes musulmanes : On se foutait pas mal du nazisme, on voulait seulement sortir les Boches de France !

@ fass57, pour avoir parlé avec mon père de l'article : « USA / Machines à tuer », il m'a assuré que les Tirailleurs et Goumiers du Maghreb n'avaient aucune inhibition pour tirer sur l'ennemie. Certainement un effet secondaire de l'héritage Judéo-chrétien pour nos troupes occidentales!

Publié par Yves-Marie SÉNAMAUD le 11 août 2007 à 4:25

Grèves dans l'armée et corps des grenadiers.

[contenu déplacé censuré par le taulier]

J'ai effectué mon premier CR en 73 à la cp gren mont 5, basée à Frutigen. Avec comme objectif, la cabane de la Blümlisalp, tenue sauf erreur par le père de Adolf Ogi. La 1ère remarque qui me vient à l'esprit, c'est le malaise que j'ai ressenti lorsque LM a indiqué être à la tête d'un bataillon (4 compagnies) de grenadiers. Il n'y a pas de bataillon de grenadiers, mais des bataillons de fusiliers. La notion de bataillon et de grenadier est simplement incompatible. Ceux qui ont inventé cela n'ont simplement rien compris à ce que sont ou que peuvent ou doivent être les grenadiers.
A cette époque, il y avait une compagnie (environ 150 hommes) par régiment d'infanterie (4 bataillons de 4 compagnies chacun). Notre rôle était celui attribué aux forces spéciales actuellement et nous fonctionnions par groupe de 10 ou moins sous la direction d'un simple caporal. Dans le bataillon auquel nous appartenions, il y avait aussi une compagnie « rens », une compagnie DCA et une compagnie affectée à la garde de l'EM. Les trois autres bat étaient des bat.fus. Aussi honorables que nous, je n'ai pas le moindre doute à ce sujet.
Notre compagnie est donc montée à cette cabane, sac au dos et à peaux de phoques. Cela s'est plus ou moins bien passé. Comme prise de contact, c'est assez violent mais passons. Ce qui est intéressant, c'est que la neige a continué de tomber. Pour le week-end, il fallait redescendre dans des pentes vertigineuses et extrêmement avalancheuses des luges canadiennes (3) d'environ 400 kg de matériel parfaitement inutile. Quand la situation est devenue particulièrement critique, (juste avant d'aborder de grandes pentes où les risques étaient évidemment maximum) les cadres, (appuyés par des guides professionnels) ont repris contact avec le commandant de cp : pouvons-nous abandonner les luges ? Réponse : ou les remonter à la cabane (simplement impossible), ou les descendre. OK. Une première équipe est partie, un conducteur et deux freineurs (avec des cordes) à l'arrière. Au 1er virage, l'avalanche est partie. Un des trois était père de deux gosses. Personne n'est mort ni même n'a été blessé. Mais la rage des types face à la stupidité de cet ordre était telle que le cdt de cp (par la suite attaché militaire à Bruxelles) a sauté dans sa jeep et on ne l'a pas revu de la journée, heureusement pour lui. Une pétition a été signée par tous les grenadiers demandant plus de pouvoir pour les guides, ce qui nous a valu un blâme du colonel cdt le régiment, dans l'indifférence générale.
Ce que je veux exprimer par là , à l'attention particulière de Fass57, c'est que les grenadiers sont largement au-dessus des théories qu'ont évoquées LM et Mh. Je suis certain qu'ils en rigolent entre eux. A l'évidence, ces cadres n'ont pas saisi l'esprit de corps des grenadiers. LM a -t-il même fait son ER dans ce corps ? On peut légitimement en douter!
LM : je ne doute pas que vous allez supprimer mon message aussi vite que possible. Auriez-vous cependant l'honnêteté de le transmettre à Fass 57 ? J'ai quitté la Mauritanie et je pense habiter à un jet de pierre de chez lui. Je serais très heureux de casser du sucre sur votre dos en sa compagnie!

Publié par Roland le 11 août 2007 à 20:14

Roland, la démocratie n'est pas un argument à même de justifier des insultes, raison pour laquelle la censure s'est abattue sur une partie de vos propos. Et j'y recourrai à chaque fois que vous franchirez la ligne, conformément à mon courriel à ce sujet.

Vos considérations sur les grenadiers sont marquées par la méconnaissance ; il serait pour moi trop long de les rectifier dans le détail. Sachez néanmoins que l'élément d'engagement des grenadiers actuels va de la patrouille à la compagnie ; que l'on effectue un retour aux années 70 dans certaines formes de missions ; et que le profil de recrutement des grenadiers a évolué.

Enfin, pour ce qui me concerne, même constat ; vous n'avez meme pas recherché le billet où je racontais mon ER à Colombier...

Publié par Ludovic Monnerat le 11 août 2007 à 22:48

Vous n'avez pas censuré l'essentiel. Peut-être devrais-je vous remercier. Mais j'ai tendance à croire que celui qui ouvre un blog devrait laisser les avis contraires s'exprimer. Il est vrai qu'il existe dans ce milieu une véritable racaille: il ne me traverse même pas l'esprit de vous comparer à eux. Mais vous qualifiez d'"injures" ce qui ne l'est pas. Vous avez toujours défendu l'intervention américaine en Irak. J'estime pour ma part que c'est un scandale géopolitique et les faits nous donnent à moi et à tous ceux qui voulaient empêcher cette stupidité raison tous les jours. "Injure" signifie contraire au droit. N'avez-vous pas soutenu cette intervention ?

Publié par Roland le 12 août 2007 à 13:06

"Vous n'avez pas censuré l'essentiel. Peut-être devrais-je vous remercier. Mais j'ai tendance à croire que celui qui ouvre un blog devrait laisser les avis contraires s'exprimer. [...] Vous avez toujours défendu l'intervention américaine en Irak. [...] N'avez-vous pas soutenu cette intervention ?"

Bien entendu, et mes analyses m'ont toujours amené à conclure que cette option était la meilleure de celles alors disponibles. Mais être d'accord ou non sur un tel sujet est bien autre chose que ce dont vous m'avez accusé, et qui relevait du procès d'intention...

Publié par Ludovic Monnerat le 12 août 2007 à 15:00