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24 mai 2005

La paix ou le marasme ?

Les opérations de soutien à la paix - traduction littérale du terme Peace Support Operation (PSO), désormais synonyme de crisis management operations - sont la priorité et l'avenir de l'OTAN. C'est l'un des points importants que j'ai vus et entendus ce matin, durant un exposé consacré à la doctrine et aux lignes directrices de l'Alliance en la matière. Il faut cependant relever que les PSO recouvrent un spectre d'engagement dépassant de loin les seules missions de stabilisation menées sur mandat de l'ONU ou de l'OSCE, puisqu'elles intègrent également l'aide humanitaire d'urgence, l'application de sanctions et d'embargos, la recherche et sauvetage, l'évacuation de non combattants et l'imposition de la paix. Malgré cela, ce sont bien les grandes missions classiques de maintien de la paix qui représentent les efforts les plus importants par le volume des troupes ou la durée de leur engagement. La Bosnie jusqu'à la transmission de responsabilité à l'UE, le Kosovo depuis 1999 avec la KFOR et l'Afghanistan depuis 2002 avec l'ISAF ont montré le rôle changeant d'une Alliance originellement défensive.

Cela ne signifie pas pour autant que ces missions soient un succès, bien que les conflits n'aient pas redémarré dans les secteurs où elles se déroulent. L'ancien commandant de la KFOR, le général allemand Klaus Reinhardt, nous a ainsi expliqué en milieu de matinée les situations respectives des territoires concernés. En presque 10 ans de présence militaire internationale visant à imposer l'application des Accords de Dayton, la population bosniaque s'est notablement appauvrie et la contribution de la communauté internationale ne se distingue pas par son efficacité. L'état économique du Kosovo s'est considérablement dégradé, avec un taux de chômage passant de 40% en 2001 à 73% actuellement, et atteignant même 90% dans la ville de Mitrovica. Quant à l'Afghanistan, la volonté des forces internationales de combattre la production de drogue a augmenté les violences armées dans le pays. On peut légitimer se demander si ces missions, qui impliquent des effectifs importants, ne contribuent pas au marasme autant qu'à la paix.

Il est vrai que les militaires ne sauraient assumer la responsabilité de cet état de fait. La mission d'un contingent engagé dans une PSO consiste en effet à garantir un environnement sécuritaire sans lequel aucune reconstruction, aucun redémarrage, aucune activité durable ne seraient possibles. Dans la conception de l'OTAN, la force multinationale crée les conditions nécessaires à la normalisation ; elle ne peut faire en sorte que celle-ci ait lieu. Les outils politiques et les opportunités économiques relèvent avant tout d'efforts civils, entrepris notamment par les agences de l'ONU, les programmes d'aide au développement et les actions de diverses ONG. Et c'est là que le bât blesse. Au Kosovo, l'ONU avait par exemple l'idée de diriger toute la province par l'intermédiaire de ses représentants pendant 2 à 3 ans, avant de transmettre le pouvoir aux autorités locales, au lieu d'intégrer d'emblée et progressivement celles-ci à la direction des affaires. Une forme d'occupation administrative qui a fait la preuve de son inefficacité.

Dans ces conditions, on comprend d'autant mieux pourquoi les Etats-Unis n'ont confié aucune responsabilité à l'ONU en Irak : la venue de celle-ci, acclamée à grands cris dans certains cercles pour des raisons avant tout idéologiques, aurait probablement encore rajouté aux difficultés, à la confusion et au chaos. Les dérives et inconséquences politiques sont d'ailleurs librement abordées et fustigées par la plupart des officiers de l'OTAN qui ont donné des exposés durant la journée, que ce soit à propos du financement incertain des opérations ordonnées, de la transmission tardive des ordres de déploiement ou de la micro-conduite doublée d'un refus d'assumer toute responsabilité. Pour un officier venant d'un pays non membre, il apparaît clair que les militaires de l'Alliance ont accumulé depuis 10 ans un grand nombre de déceptions et de frustrations à l'endroit de leurs maîtres politiques. Ce qui ne les empêche pas de continuer à appliquer la stratégie devisée par ceux-ci ; un déploiement de l'OTAN au Darfour, pour mettre un terme au génocide qui s'y déroule, apparaît ici comme une possibilité! Comme l'a dit un conférencier, à partir de combien de morts, et de quelle couleur, doit-on commencer à défendre les droits de l'homme ?

Ce cours s'annonce passionnant.

Publié par Ludovic Monnerat le 24 mai 2005 à 18:57