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13 mars 2007

Les homosexuels et l'armée

Une polémique a éclaté hier aux Etats-Unis sur la question de l'homosexualité dans les armées : le président des chefs d'états-majors interarmées, le général des Marines Peter Pace, a en effet déclaré que les homosexuels sont immoraux, qu'ils ne devaient pas être autorisés à servir s'ils déclarent leur homosexualité (la politique "Don't ask, don't tell") et que celle-ci est comparable à l'adultère dans l'immoralité. Des propos pour le moins carrés et inhabituels, que le militaire américain du plus haut rang a d'ailleurs dû corriger aujourd'hui par le biais d'un communiqué. Sans qu'il n'aborde, comme l'indique l'article mis en lien ci-dessus, le problème des licenciements pour cause d'homosexualité (plus de 10'000 soldats, dont des spécialistes de première valeur) alors que les forces armées américaines cherchent à augmenter en personnel.

Cette condamnation très puritaine des homosexuels est assez exceptionnelle au sein des armées occidentales, et reste une particularité américaine : généralement, l'orientation sexuelle des soldats est une affaire privée, et à l'exception des unités chargées des missions les plus difficiles, il est rare qu'elle soit un critère déterminant. C'est à plus forte raison le cas dans les armées de conscription, où les unités reflètent l'évolution des sociétés et manifestent dans leurs rangs - là encore, à quelques exceptions près - les tendances qui caractérisent les citoyens lambda. Il n'y a guère que dans des unités imposant une sélection drastique que l'homosexualité est officieusement bannie et officiellement déconseillée, en expliquant que l'on ne mélange pas "les serviettes et les torchons" ; la Légion étrangère française en est un exemple. La mixité des sexes n'y est d'ailleurs pas bienvenue.

Une telle réalité éclaire mieux la problématique. A l'origine, dans les armées masculines dévolues à la guerre classique, l'homosexualité était en contradiction avec les valeurs et la camaraderie viriles qui participaient à la cohésion des groupes. L'homosexuel introduit nécessairement des interrogations, des doutes, qui nuisent à celle-ci. Mais avec la féminisation des armées et l'évolution des opérations militaires, dans lesquelles les combats de haute intensité sont le plus souvent de brève durée, par opposition à des stabilisations presque interminables, les choses ont bien changé. La présence des femmes introduit à une tout autre dimension ces interrogations et ces doutes, qui peuvent effectivement nuire à la cohésion. En même temps, la place croissante accordée à la sphère privée et la sédentarisation des unités ont diminué les tensions potentielles.

Il en découle que la discrimination par l'orientation sexuelle est une chose périmée, et que les remarques fondées sur la morale individuelle sont contre-productives dès lors qu'elles réduisent l'efficacité de l'institution militaire. A l'exception des unités les plus performantes, où le succès repose sur un petit nombre d'hommes - et d'hommes seulement - soudés comme les doigts d'une main, les hommes et les femmes, homos et hétéros, ont leur place dans les rangs. A condition naturellement de ne pas perturber la marche du service par leur orientation sexuelle, quelle qu'elle soit, de pleinement s'intégrer aux groupes dans lesquels ils sont engagés, et d'avoir une conduite personnelle basée sur une éthique militaire irréprochable. De toute manière, même les armées de métier sont condamnées à une telle ouverture par leurs besoins qualitatifs...

Publié par Ludovic Monnerat le 13 mars 2007 à 22:18

Commentaires

"dans les armées masculines dévolues à la guerre classique, l'homosexualité était en contradiction avec les valeurs et la camaraderie viriles qui participaient à la cohésion des groupes."


.... euh ... jamais entendu parlé d'Achille et son copain?


... et de Sparte?

... et les Gurkas?

... sans parler du "bugging" dans les public school anglaises d'où sortaient la majorité des officiers

Publié par Mikhael le 13 mars 2007 à 23:33

"A l'origine, dans les armées masculines dévolues à la guerre classique, l'homosexualité était en contradiction avec les valeurs et la camaraderie viriles qui participaient à la cohésion des groupes."

L'amitié charnelle entre guerriers n'était pas inhabituelle chez les grecs ou auprès de certaines tribus amérindiennes.

En outre, l'exemple de Mishima illustre bien que l'inversion n'exclut pas la martialité la plus rigoureuse.

C'est plutôt l'inclusion de l'élément féminin dans les unités combattantes qui pose un problème de fond quant à la définition classique de la fonction guerrière.

Publié par fass57 le 13 mars 2007 à 23:45

D'accord, ma perspective historique ne remontait pas à l'Antiquité et commençait essentiellement à partir de l'époque moderne. J'aurais dû le préciser.

Publié par Ludovic Monnerat le 14 mars 2007 à 0:01

Les Gurkhas en étaient (ou en sont) ?

Publié par Stauffenberg le 14 mars 2007 à 1:05

Et dire que les forces armées de sa Gracieuse Majesté en sont à payer les frais d'opérations de militaires transexuelles tandis que l'Eglise Satanique est reconnu dans celles d'Outre Atlantique ;)

On vit une drole d'époque.

Publié par Frédéric le 14 mars 2007 à 9:39

L'église satanique, sans majuscules sous ma plume, est reconnue aussi dans la marine de guerre britanique.

A part ça, je suis encore une fois d'accord avec Fass57. Et je pose même la question de savoir si toute troupe combattante ne devrait pas chercher à voir ses hommes unis comme les doigts de la main (pour reprendre les termes de M. Monnerat), à l'instar des troupes spéciales et autres unités particulières?

Cette cohésion fraternelle me semble possible entre hétéros hommes ou femmes, mais séparés. Par contre, elle me semble exclut dès lors qu'il y a possibilité (même théorique) de se metre en couple au sein de la même unité.

Publié par Piotr le 14 mars 2007 à 10:16

"Et dire que les forces armées de sa Gracieuse Majesté en sont à payer les frais d'opérations de militaires transexuelles tandis que l'Eglise Satanique est reconnu dans celles d'Outre Atlantique ;)"


Pendant ce temps, le dragon de Saint-Georges, symbole immémorial du pays, est interdit dans les lieux publics, parce qu'il pourrait irriter les minorités, en rappelant trop l'identité historique de la Grande-Bretagne.

Publié par fass57 le 14 mars 2007 à 11:40

Il me semble aussi que l'incorporation de femmes dans les armées induisent des difficultés. Si les troupes d'élites adoptent un personnel unisexe, il a bien des raisons.
Cela donne l'impression qu'il a maintenant des corps d'armée sérieux, et d'autres vaguement efficaces mais politiquement corrects.

La suite de mon message est un petit peu hors-sujet, mais pas complètement ! (cela va dans le sens de ce que viennent de dire fass57 et Piotr)


Je parle sur mon blogue du dernier texte de Michel Drac.
Il y a un lien entre ces analyses et les thèmes abordés ici.
Il me semble de plus que Michel Drac oublie la notion de "conquête des esprits" chère à L. Monnerat.

mon blogue :

http://avenirdufutur.hautetfort.com/archive/2007/03/14/anticipation-et-post-apocalyptique.html

Le texte de drac :

http://avenirdufutur.hautetfort.com/archive/2007/03/14/anticipation-et-post-apocalyptique.html

Publié par Juan_rico le 14 mars 2007 à 11:50

Bonsoir,

Je corrige le lien donné précédemment.

Le texte de Michel Drac :

http://www.salutpublic.fr/spip.php?article235

Je pense que cela intéressera tout le monde ici.

Cordialement

Publié par Juan_rico le 14 mars 2007 à 19:09

Il me semble que, à l'époque moderne, le prince Eugène de Savoie, son cousin (et adversaire) le duc de Vendôme, le roi de Prusse Frédéric II, qui, comme grands capitaines, n'étaient pas du pipi de casoar, n'étaient pas non plus portés sur les dames! N'est-ce pas Lyautey, enfin, dont Cle-menceau, apprenant la promotion, avait dit : «Enfin un général qui a des couilles au cul ! Enfin, dommage que ce ne soient pas les siennes! »

Publié par Albert le 15 mars 2007 à 11:00

@Albert,

On ne peut pas comparer la vie interne d'une unité au sein d'une armée contemporaine avec ce qu'ont vécu les personnages que vous citez alrs qu'ils étaienté la têtes de grand corps de troupe.

Publié par Piotr le 15 mars 2007 à 15:26

A Piotr

Il ne me semble pas que les exemples du prince Eugène, du duc de Vendôme et du roi Frédéric II aient constitué des exceptions, même en leur temps. De façon plus large, la cohabitation forcée, jour et nuit, d'individus de même sexe, soudés autour d'un idéal ou d'un destin communs, offre un terrain et une ambiance très favorables au développement et à l'épanouissement de l'homosexualité. Voir, dans un autre milieu, ce qu'il en est des ecclésiastiques, notamment dans ces cercles très fermés que sont les séminaires ou les monastères (et ce qu'en dit, par exemple, Jacques Lacarrière dans «L'été grec»). Voir ce qu'il en est en prison ou dans ces expériences de captivité que furent les camps. Pourquoi les militaires échapperaient-ils à la règle ?

Des unités d'élite spartiates, thébaines ou macédoniennes jusqu'aux commandos des armées contemporaines, en passant par la Garde prussienne des armées wilhelmiennes ou les services d'espionnage austro-hongrois (voir colonel Redl, d'Istvan Szabo - pardon pour les accents), tout concourt à ce développement : l'esprit de corps soudé par l'élitisme, le fait que, des phalanges ho-plitiques à nos jours, et malgré le développement des armes, la caractéristique essentielle des corps d'élite soit la maîtrise du combat au corps à corps, la coupure durable d'avec la société lo-cale (pour des raisons que l'on comprend) lors des missions lointaines, l'enjeu existentiel très fort encouru à chaque instant (risque d'être tué, mutilé, capturé ou torturé), le parrainage, enfin, des plus anciens sur les plus jeunes : tout concourt à faire de certains corps (si j'ose dire!) des bouil-lons de culture de l'homosexualité. Je ne vois là rien de répréhensible ni même - bien au contraire - de préjudiciable à la valeur combative des unités.

Publié par Albert le 15 mars 2007 à 16:26

A Albert,

Vous semblez très bien renseigné.

Je persiste cependant à dire que l'image qu'ont d'eux-mêmes la plupart des commandos et des fantassins est celle d'un hétérosexuel.

Je ne nie pas que des homosexuels puissent faire partie de troupes d'élite, ni même que certaines unités soient connues pour compter nombre d'homo dans leurs rangs. Cependant, l'hétérosexualité demeure majoritaire, dans la société et dans l'armée.

La cohabitation homo/hétéro dans la promiscuité peut troubler le moral d'une troupe. Pour finir, et c'est à mon avis le plus important, les ruptures et jalousies de couple sont quant même plus fréquentes que les disputes entre presque frères.

Autre chose : Le truc des prêtres homo fait un peu cliché. Il y en a, mais je pense que de nombreux prêtres rompent leurs voeux avec une femme.

De plus, les prisonniers ne sont, la plupart du temps, pas soudés par un idéal ou une préférence sexuelle commune. Ils en viennent souvent à l'homosexualité par frustration. Il est des cas recensés où des militaires ont agi de même entre eux, mais ceux-là n'étaient peut-être pas tous homo à la base.

En résumé, les homo peuvent être de grands guerriers et certaines troupes d'élite composées majoritairement d'homos, mais cela n'est pas la règle de nos jours et la présence d'homo déclarés dans des troupes combattantes mine certainement la cohésion du groupe, à court ou moyen terme. Enfin, je crois...mais je n'ai jamais servi que dans des unités exemptes d'homosexuels déclarés. L'avenir nous dira peut-être quoi en penser.

Publié par Piotr le 15 mars 2007 à 22:16

Je peux comprendre théoriquement le raisonnement relatif aux cinq doigts d'une main.

Ma première question est: est-il fondé sur l'expérience et la froide observation?

Ma deuxième question: si c'est le cas, pouvez-vous me certifier que les histoires d'affection extrême, de jalousie, de rivalité etc. ne se produisent pas entre des hommes a priori hétéros et sélectionnés pour être les cinq doigts d'une main?

En prenant la question dans l'autre sens: Est-ce que les individus au clair sur l'orientation de leurs désirs et qui l'assument représentent une plus grande menace pour la cohésion d'une groupe?

Publié par Guillaume Barry le 16 mars 2007 à 0:50

A Piotr

Je vous remercie de votre réponse, pleine de courtoisie et d'urbanité. J'y réponds à mon tour ainsi que suit :

1. La vision que nous nous faisons de l'homosexualité est marquée par deux millénaires de menta-lité judéo-chrétienne, qui a jeté un interdit sur cette pratique. Cette mentalité n'était pas la même dans le monde hellénique (et même romain), qui avaient une tout autre conception, non seulement de la morale, mais aussi, et bien plus largement, du corps et du rapport à la nature.

2. Il est possible que, si l'on ne mettait pas ces interdits, une partie des individus iraient avec l'autre sexe, une partie avec le même sexe et une partie avec les deux. Je formule l'hypothèse qu'il en va de la sexualité comme de la latéralisation. La majorité des gens est droitière, une mino-rité conséquente gauchère, une plus petite minorité ambidextre. Or, dans mon jeune temps, et dans nombre de milieux, les gauchers étaient stigmatisés et persécutés. La main droite et la main gau-che avaient une valeur morale : on se signait avec sa «bonne» main, on tendait la main droite pour saluer, etc. De tels interdits sont toujours observés, encore plus sévèrement, en Inde par exemple. L'hypothèse que je formule est que, si la société élargit sa tolérance, il en ira peut-être de même avec les orientations sexuelles.

3. Il n'y a pas de raison que les couples homosexuels se comportent différemment des couples hé-térosexuels : les différences de classe, d'éducation, de culture, de fortune, de tempérament (qui font l'harmonie ou la disparité d'un couple) y sont aussi prégnantes dans un cas que dans l'autre. Ce qui, dans une cellule donnée (armée, école, profession civile, club sportif) cause du trouble, ce sont les liens amoureux, quels qu'ils soient. Dans une cellule de format réduit (de quelques dizai-nes de personnes au maximum) l'existence de liens amoureux (ceux d'un couple normal ou adul-térin, hétéro ou homosexuel) est perturbante non en raison de la nature des sexes mais du rapport fusionnel dû à la passion.

4. A propos des ecclésiastiques, j'ai bien évoqué un cas particulier : celui des ordres réguliers cloî-trés (masculins ou féminins d'ailleurs), qu'ils soient bénédictins, trappistes, camaldules, chartreux, etc. Je n'ai pas mentionné, précisément, celui des prêtres «séculiers» qui, comme leur nom l'indique, vivent dans le «siècle», c'est-à -dire parmi la société et non parmi leurs pairs (si j'ose ce calembour calamiteux!). Il est donc tout naturel que les prêtres en charge d'une paroisse aillent vers ce qui se présente à eux naturellement, quotidiennement (c'est-à -dire vers une femme, si les préférences sexuelles sont réparties chez eux comme chez les laïcs). La seule exception que je fai-sais, pour ces séculiers précisément, était le séminaire, période durant laquelle ils cohabitent en un même lieu.

5. En mettant dans un même ensemble militaires, ecclésiastiques et prisonniers, j'ai bien pris soin de préciser : un «idéal» ou un «destin communs». Les ecclésiastiques et les soldats se retrouvent ensemble par idéal, les prisonniers par destin. [Encore que l'on pourrait dire aussi que les ecclé-siastiques et les soldats se retrouvent ensemble par «destin» puisque, dans leur cellule (monastère ou caserne), c'est ce camarade-ci ou ce frère-ci et non ce camarade-là ou ce frère-là qu'ils cô-toient]. Ce que j'ai voulu établir de commun, c'est la cohabitation presque 24 h/24 en un lieu clos.

6. Les soldats ou les ecclésiastiques n'appartiennent pas seulement à leur micro-société, ils appar-tiennent aussi à la société tout entière, dont ils partagent l'éducation, les goûts, les savoirs, les opi-nions, les préjugés, etc. Sous Louis XIV, des clercs aussi différents entre eux que Mabillon, Ri-chard Simon, Jean Meslier, Jacques Bossuet, Fénelon, Massillon n'en étaient pas moins des hom-mes du XVIIe siècle, et, à ce titre, infiniment plus proches de leurs contemporains laïcs que de leurs homologues de 2007. Si donc la société change, l'armée changera aussi. Si, pour une période du Moyen Age, l'Eglise a pu imprimer ses valeurs à la société, si on a pu dire de la Prusse de Fré-déric II que ce n'était pas «un Etat qui possédait une armée mais une armée qui possédait un Etat» (et qui, donc, imprimait à la société civile des valeurs militaires), il est constant qu'en France, et depuis longtemps, les valeurs prégnantes, les valeurs dominantes, sont des valeurs civiles.

Publié par Albert le 16 mars 2007 à 2:07

A Albert,

Merci de toutes ces informations. Je constate seulement que les principes et autres schèmes de pensée chrétiens influencent encore beaucoup une société qui s'en défend parfois avec violence. La lutte pour la reconnaissance des homosexuels n'influence que partiellement la vision qu'en a l'opinion.

Par contre, je constate avec plaisir que vous soulignez une chose intéressante : on est bien souvent plus proche des hommes de son temps que de ceux d'autres époques. Indépendamment de tout jugement de valeur, cela doit être pris en compte par l'historien. Il évitera de plaquer ses idées sur des réalités sociales qui lui demeurent en partie étrangères.

Mais nous nous éloignons du sujet. Pour m'en rapprocher, je m'en vais lire une biographie de Mishima, un guerrier, un écrivain, un père de famille et un homosexuel patenté.

Publié par Piotr le 16 mars 2007 à 13:02

A partir du moment où l'homosexualité est admise dans la société et quoi qu'on en pense personnellement il me paraît beaucoup plus dangereux pour la cohésion d'une troupe de pratiquer une chasse aux sorcières que de s'en désintéresser complètement.
Chaque individu devant être jugé sur ses qualités propres et il est clair qu'un efféminé ou un poussif n'a pas grand chose à faire dans l'armée quelles que soient par ailleurs ses moeurs privées.
Je trouve beaucoup plus déstabilisant le régime particulier qui est fait aux couples hétérosexuels mariés, en tous cas dans l'armée française que je connais bien qui par le jeu du rapprochement familial lèse d'autres militaires n'ayant en rien démérité.

Publié par Paul-Emic le 17 mars 2007 à 11:52