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17 juin 2005

Les brumes de l'avenir

L'orientation, la structure, la doctrine, le volume ou encore l'alimentation des forces sont des sujets âprement débattus. Ils impliquent des choix difficiles, dont les conséquences portent sur plusieurs décennies, et qui reposent sur des projections par définition contestables. Après la grande compression des années 90, justifiée par la disparition d'une menace présente et non par l'absence de menace future, les armées occidentales sont aujourd'hui toutes confrontées au dilemme consistant à choisir la meilleure combinaison entre ces différents paramètres. Et le désir de répondre aux défis de demain est toujours conjugué à celui de préserver les réponses qui ont fait leurs preuves. Transpercer les brumes de l'avenir sans tirer les fausses leçons du passé est à peu près impossible, surtout lorsque les débats sont marqués par l'émotion.

On trouve un bon exemple dans l'article virulent que l'historien Arthur Herman a publié aujourd'hui dans le New York Post. Les réductions de la flotte américaine, et notamment de ses sous-marins, sont pour lui la meilleure recette pour un désastre à venir :

After World War One, British bureaucrats decided the Royal Navy no longer needed to be biggest in the world, and to save money shrank away the fleet that defended the world's seaways. The result was the rise of totalitarian Japan in the Pacific, fascist Italy in the Mediterranean and Hitler's U-boat wolf-packs roaming the North Atlantic.
In 1922, the United States signed the Washington naval treaty, thereby limiting the growth of its fleet in order to promote world peace. The result was Pearl Harbor.
Now short-sighted Pentagon planners are determined to repeat history. The drastic cuts they are making in our navy's size, strength and support are unprecedented for a nation at war. And nowhere will the new Incredible Shrinking Navy be more apparent, and do more harm, than in our dwindling submarine fleet.

Les arguments tirés du passé sont toujours à double tranchant : ils peuvent effectivement illustrer une réalité historique et révéler des phénomènes toujours actuels, mais ils peuvent également ne représenter qu'une accumulation de faits tronqués, choisis pour mieux appuyer une réflexion contemporaine ou une opinion tranchée. Les propos d'Arthur Herman semblent recouvrir ces deux aspects, notamment le second lorsqu'il affirme que l'Amirauté britannique pensait compenser la réduction de sa flotte par la qualité de ses navires - alors que le croiseur de bataille Hood avait des faiblesses bien connues depuis les destructions subies par la Royal Navy au Jutland, avec des bâtiments de conception similaire. On peut mettre sur le compte de la longueur restreinte de son texte de telles approximations.

Il est tout aussi intéressant de considérer l'image de la menace qui justifie, aux yeux de l'auteur, le maintien d'une flotte sous-marine qui reste de loin la plus puissante du monde :

For the threats out there are real, and already at sea. North Korea has the fourth largest submarine fleet in the world. China's much publicized military expansion has concentrated on building up its submarines. The Chinese already have more conventional subs than we do, and will build 20 more advanced ones by the end of the decade.
China's naval-warfare gurus and high-ranking officers see their nation's underwater fleet as crucial to victory if war breaks out over Taiwan. With swarms of attack subs roaming at will in the Pacific, American aircraft carriers would have to think twice before entering the conflict. What the Pentagon planners would do then, without enough subs to fight back, is not clear.
Iraq and the War on Terror demand the headlines and our strategic attention right now, and rightly so. But just how vulnerable do we want to be in the face of long-term threats like China or a nuclear-armed North Korea?

Mentionner la Corée du Nord ne sert pas à grand-chose : une accumulation de vieux sous-marins de type soviétique ne peut strictement rien contre des modèles occidentaux récents, qui sont en mesure de rester indétectables bien plus longtemps et feraient des ravages dans la flotte sous-marine nord-coréenne en cas de confrontation. Le cas de la Chine n'est pas très différente : malgré tous ses efforts, la marine chinoise n'a pas encore réussi à maîtriser la propulsion nucléaire, condition sine qua pour produire des sous-marins capables de mouvements aussi rapides et prolongés que les navires combattant en surface, alors que les sous-marins russes à propulsion anaérobie dont elle fait l'acquisition restent plus bruyants que leurs possibles adversaires américains.

Pourtant, ces quelques lignes mettent le doigt sur un élément essentiel : est-ce que la Chine représente effectivement la menace majeure, à moyen terme, pour les Etats-Unis ? Est-ce qu'il s'agit là d'une projection basée sur des tendances avérées, ou au contraire un réflexe issu de la guerre froide et consistant à trouver un ennemi tangible ? Ou, pour aller plus au cœur du sujet : est-ce la plus grande menace future peut être incarnée par un Etat que l'ambition ou l'idéologie opposent, ou est-ce que les Etats dans leur totalité ne sont pas davantage menacés par des structures sociales différentes, reposant par exemple sur d'autres dénominateurs communs que l'identité nationale ? Si effectivement les Etats deviennent tellement affaiblis et interdépendants qu'ils doivent lutter pour préserver leur légitimité, et donc leur existence, une flotte sous-marine conçue pour affronter celle d'un autre nation ne saurait revêtir un aspect prioritaire.

Publié par Ludovic Monnerat le 17 juin 2005 à 16:56

Commentaires

La Chine ne maitrise pas la propulsion nucléaire ???

Je sais bien que les 5 SNA "Han" et les 2 SLBN de la PLAN ne sont pas trop performant mais ils fonctionnent bien avec un réacteur atomique ;)

Et cette marine est voie de modernisation trés rapide, les vieux "Roméo" et autre bateaux de l'ére soviétique sont en cours de retrait et la flotte sous marine chinoises devrait se concentrer auteur d'une dizaine d'unité nucléaire et de 40 diésels électrique. Voir le n= 29 de "Navire & Histoire" qui consacre un large dossier sur celle ci. L'Etat Major de Pékin prévoie qu'en 2010, tout groupe aéronaval qui s'approche à moins de 600 milles des cotes sera détruite par attaque de saturation.

Il y aura méme une maquette à l'échelle 1/1 d'un "Nimitz" construite pour l'université militaire de Shangai !!!

Les grands "Los Angeles" et "Virginia" sont parfait pour la lutte en haute mer mais pour les zones cotiéres les SM classiques avec les nouvelles propulsions AIP ont de gros avantages. De méme les midgets nords coréens sont parfait pour les sabotages, minages et les missions suicides dans les ports. Ne pas oubliez les exploit des nageurs de combats de la 2eme guerre qui avec leurs torpilles humaines ont pénétré dans les ports les mieux protégés et on envoyer en autre plusieurs cuirassés par le fond ;)

Lutte assymétrique, les petits doivent trouver le défaut de la cuirasse des grands.

Quand a savoir si on risque un retour de la guerre froide entre les USA et la RPC. Cela est possible au niveau politique et cela permettra de justifier de gros budget sur les armes conventionnelles des 2 cotées (le CMI Chinois est de loin celui qui emploie le plus de personnes dans le monde et celui des USA à un poids que tout le monde connait) mais cela n'enpecheras pas le bussiness entre ces 2 géants...


Publié par Frédéric le 17 juin 2005 à 20:44

Il est vrai que la Chine connait des problémes sociaux avec le décalage entre les villes et les campagnes, et que ceux ci peuvent tourner à l'émeute meurtriére (lien sur une vidéo des affrontements extrémement violent entre la population et les forces de l'ordre) :

http://www.sky.com/skynews/article/0,,30200-13371337,00.html

Au niveau militaire, je vous propose ce site Chinois ou l'on montre en autre leur 1er destroyers AEGIS et leur proto de soldat "digitaux" (et oui, ils nous copie méme le "Félin") :

http://user1.7host.com/drno/military.shtml

Les vieilles frégates et sous marins de conception ancienne partent rapidement à la ferraille.

L'écart technologique se resserent peu à peu grace nottament à l'aide Russe, l'espionnage, et l'achat de technologie à l'Ouest (rachat d'une division d'IBM...), d'ici 10 ou 15 ans, ils sont au méme niveau qu'en Europe.

Et pour débarquer des troupes sur une ile à 200 km de ses cotes, nul besoin de transport higt tech, les LST construit à la chaine (8 par an) suffisent pour cela.

Une image sur l'évolution de la flotte entre 1975 et 2010 que j'ai scannée :

http://img218.echo.cx/img218/7796/flottechinoise1hx.jpg

Et une carte des bases aéronavales prise sur navire & histoire :

http://img49.echo.cx/img49/5640/plandesbasechinoise3yx.jpg

Publié par Frédéric le 17 juin 2005 à 20:56

À court terme, il ne fait aucun doute que la Chine soit le grand ennemi non seulement des États-Unis, mais également de l'Europe (et de la Suisse, la Norvège et l'Islande...). Mais je ne suis pas sûr que, pour la guerre qui a déjà commencé, les sous-marins soient les armes les plus indiquées.

Publié par LolZ le 17 juin 2005 à 22:12

Pour répondre à Frédéric, je n'ignore pas les sous-marins chinois à propulsion nucléaire, mais à quoi bon mettre un réacteur dans un submersible si cela le rend comparativement très bruyant? Les sous-marins AIP sont effectivement plus intéressants pour les nations qui ne maîtrisent pas la technologie nucléaire comme les 4 grandes marines (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, et bien entendu la Russie). Mais la défense côtière ne suffit pas à donner la maîtrise du détroit de Taiwan. Et une marine forme un tout, avec une combinaison de forces qui doivent compenser les faiblesses des différents navires. Tout comme les différentes armées se combinent : qu'est-ce que la Chine peut par exemple opposer à des avions furtifs?

Personnellement, j'ai donc tendance à croire que la Chine est quelque peu montée en épingle outre-Atlantique pour justifier le maintien d'armes traditionnelles dont l'utilité immédiate est restreinte. Ce qui en soi est un objectif louable, sans devoir pour autant influencer notre jugement. Quant à la modernisation effectivement rapide des forces armées chinoises, il faut rappeler qu'elle n'en concerne vraiment qu'une petite partie - un peu d'ailleurs à l'image du pays...

Publié par Ludovic Monnerat le 17 juin 2005 à 22:22

Je ne pense pas mais la Chine à déja ses navires furtifs ;) Des patrouilleurs catamarans "Cat-14".

Cette puissance n'a pas (pour la decennie qui vient en tout cas) la capacité de projeter vite et loin ses forces dans d'autres continents mais elle commence à établir un petit réseau de base sur les cotes asiatiques du Pacifique et de l'Océan Indien. Birmanie en autre mais aussi un projet de base pour sous marins au Maldives !

- Projet approuvé par l'Inde qui inciterait le gouvernement de petit archipel à accepter-

Les principaux risques de conflit armées entre la RPC et ses voisins sont maintenant Taiwan, les Iles Spratleys (si les gisement de pétrole que l'on pressent depuis des années est confirmé) et éventuellement la Corée en cas d'embrassement (il y a méme des scénarios ou Pékin intervient pour déposer le mégalo nord coréen car trop instable ;).

Pékin a enterrer la hache de guerre avec Moscou depuis les années 90 et avec New Delhi depuis son rapprochement de 2003 et peut concentrer ces forces sur sa facade maritime.

Elle n'a pas encore tout à fait les moyens d'envahir à coup Taiwan en cas de besoin mais il est loin le temp ou des armées étrangéres pouvait débarquer sans coup férir et marcher sur Pékin ("les 100 jours de Pékin")

Je vous conseille ce petit commentaire des SR Canadiens sur le CMI Chinois écrit en 2003 ;)

http://www.csis-scrs.gc.ca/fra/comment/com84_f.html

Elle n'est pas une menace planétaire comme feu l'Armée Rouge mais ce pas une puissance de 3eme ordre à sous estimer.

Publié par Frédéric le 18 juin 2005 à 0:48

Il serait peut-être intéressant de mettre en parallèle au débat technologique les armes économiques dont la Chine s'est dotée ces dernières années.
Explication avec un cas concret dont j'ai été le témoin : je vis dans le sud de la France où une chaîne d'hôtels a décidé de faire faire l'intégralité des travaux de réféction de ses établissements par une entreprise chinoise. Les matériaux, les équipements et même la main d'oeuvre(!) proviennent de Chine. J'ignore les dispositions économiques qui permettent ce genre de choses mais le fait est que ce chantier échappe désormais aux artisans locaux et risque de faire tâche d'huile.
Un guerre a entre autres objectifs celui d'affaiblir économiquement l'adversaire.
Le blocus contre l'Irak ou l'entraînement de l'URSS dans la course aux armements ont démontré l'importance de ces leviers.
En s'appropriant par les lois du marché international la production quasi-exclusive des industries du textile, du jouet, de l'électroménager, etc., la Chine prive d'emploi toute une population peu qualifié d'Europe et des USA et lui soustrait des capitaux puisque cette même population à bas revenus consomme des produits chinois.
Cette dimension est-elle prise en compte dans les calculs de rapports de forces établis par les armées ?

Publié par EmmanuelA le 18 juin 2005 à 11:50

Excellente question. Les rapports de forces entre nations doivent naturellement intégrer la dimension économiques, et les armées ne considèrent généralement ceux-ci que dans leurs liens les plus directs avec leurs missions (par exemple la sécurisation des voies maritimes). Cependant, la question des délocalisations ou des sous-traitances doit à mon avis être envisagée sous un angle plus large, et montrer notamment les emplois - certes différents - créés en Occident lorsque des travaux exigeant une qualification moindre sont confiés à d'autres.

Cela dit, la dépendance énergétique de la Chine et sa vulnérabilité sous cet angle en cas de conflit avec les Etats-Unis est certainement un facteur qui explique pourquoi elle ne sera pas avant longtemps une puissance globale, et pourquoi c'est le rôle de puissance régionale qu'elle ambitionne (une puissance globale a besoin d'autre chose, en mer, qu'une flotte sous-marine : les groupes aéronavals sont aujourd'hui les clefs du contrôle des océans).

Publié par Ludovic Monnerat le 18 juin 2005 à 12:02

Je ne sait pas trop, mais j'ai lut qu'un peu plus, les uniformes des US Marines auraient étaient "Made in China" :)

Un parlementaire s'en est apercu et fait capoter ce projet.

L'aspect militaire n'est plus qu'un des trés nombreux aspects de la compétition entre les nations.

Economie, culture, influence politique, tout est interconnecté... la mondialisation est passé par la.

Publié par Frédéric le 18 juin 2005 à 12:07

Les Marines ne sont pas les premiers : il y a eu un petit scandale voici quelques années lorsque les nouveaux bérets noirs introduits par l'US Army se sont révélés être en partie "made in China"...

En matière de fournisseurs étrangers, j'avais l'habitude lorsque j'avais une compagnie d'infanterie de présenter mon char de commandement - un Piranha II - sous cet angle : une conception suisse, un moteur américain, une tourelle allemande, une mitrailleuse belge, des pneus français, des suspensions américaines, des casques anglais, des écouteurs hollandais et des radios françaises... :)

Publié par Ludovic Monnerat le 18 juin 2005 à 12:46

Les remarques de Frédéric sont pertinentes. Des essais en mer sont en cours de réalisation pour deux destroyers type 054, dont le prix unitaire est estimé à 230 millions d'euros, soit une facture totale s'élevant à 460 millions d'euros. Deux bâtiments de même type sont par ailleurs en phase de production avancée.

Selon les récentes informations, les moteurs Diesel utilisés pour propulser ces navires auraient fait l'objet d'un transfert de technologie. Le montant avancé pour le coût de fabrication unitaire de ces quatre bâtiments apparaît raisonnable, compte tenu du fait qu'il s'agit de produits innovants et dotés d'équipements de la toute dernière génération (comme des radars de détection air-mer de type sphérique).

Autre exemple, la Chine a procédé aux essais en mer d'un nouveau sous-marin nucléaire classe 94, armé de missiles stratégiques, et au moins un sous-marin nucléaire d'attaque de type 093, d'une valeur estimée à 460 millions d'euros, est en cours de construction.

Ici, dans l'estimation de la valeur, il faut prendre en considération plusieurs éléments : certes, comme il s'agit de sous-marins nucléaires de la nouvelle génération, les coûts visibles de conception et de recherche et développement sont très élevés, d'autant plus que les besoins quantitatifs sont très limités, mais ils ont sans doute été en partie contrebalancés par le recours à une main-d'œuvre et à des matériaux locaux bon marché.

L'utilisation massive de systèmes de propulsion occidentaux ou ukrainiens et de systèmes d'armes russes explique la tendance générale à la hausse des coûts de l'armement fabriqué en Chine, qui, désormais, n'est plus vraiment bon marché.

Publié par Laurent le 18 juin 2005 à 16:23

Merci à Laurent pour ces chiffres, pourriez indiquez la sources de ces prix ?

D'aprés divers analystes, la RPC veut surtout une marine défensive capable de contenir les interventions extérieure et à surtout Taiwan en ligne de mire.

Elle n'a pas une tentation "impériale" mondiale comme avait l'URSS, mais veut retrouver la zone d'influence qu'avait l'Empire Chinois au temp de sa splendeur - En gros, l'Asie de l'Est de la Corée à Singapour -.

Publié par Frédéric le 18 juin 2005 à 21:05