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8 avril 2005

La menace immanente

Un attentat terroriste a été commis hier en Egypte, dans un bazar de la capitale, lorsqu'une bombe bardée de clous et posée sur un vélomoteur a explosé devant une parfumerie. Le bilan n'en est pas moins assez lourd : au moins 3 morts, dont une ressortissante française, et 18 blessés, pour moitié étrangers. Du coup, la crainte du terrorisme refait surface dans le pays, dont l'industrie touristique avait été touchée de plein fouet au cours des années 90 ; même s'il n'a pas fallu longtemps par exemple pour que le massacre de Louxor soit oublié et que le volume de touristes, notamment suisses, revienne à un niveau très important. Alors que la criminalité entraîne des violences et des meurtres sans commune mesure par leur nombre et leur effet objectif, le terrorisme reste un spectacle destiné à frapper les esprits.

Il n'en ira peut-être pas toujours ainsi. Malgré la tendance à l'hypertrophie symbolisée par les attentats du 11 septembre, le terrorisme a depuis longtemps délaissé ses origines parfois idéalistes pour se rapprocher du crime, au moins dans ses actes préparatoires. Les djihadistes qui font couler le sang en Irak, en Afghanistan, en Thaïlande ou au Pakistan sont analogues à des criminels endurcis : il est vain d'espérer les voir reprendre une vie normale aussi longtemps qu'ils ont la capacité de combattre. La désagrégation de la société palestinienne illustre assez bien le seuil à partir duquel l'objectif de la violence armée se confond à la violence elle-même, tout comme la pratique systématique du crime rend à peu près impossible le retour à la légalité. Le terrorisme est devenu une forme de guerre qui s'autoalimente, un phénomène consubstantiel à certaines sociétés ou à certaines communautés.

Cette nature parasitaire, et non utilitaire, réduit l'effet principal du terrorisme classique : l'aliénation des êtres, c'est-à -dire l'influence de leur comportement à travers la manipulation de leurs perceptions. L'impact psychologique d'un attentat n'est pas le même lorsque ses auteurs pratiquent le meurtre de masse à des fins politiques, ou lorsqu'ils tuent pour suivre un mode de vie sectaire et fanatique. La bombe qui a explosé hier au Caire a fait un cratère profond d'un mètre et large de deux, tout en projetant des éclats augmentant son effet létal ; mais c'est avant tout l'unicité d'une telle attaque qui explique son effet, et non la volonté de tuer le plus grand nombre dont elle témoigne. La répétition aboutit immanquablement à une banalisation, à une relativisation statistique. L'escalade de l'horreur récompense le pire par une couverture médiatique globale, mais ignore le reste.

Le terrorisme n'est pas une menace imminente en soi, à l'exception des visées apocalyptiques conjuguées aux armes de destruction massive : son potentiel de destruction est inversément proportionnel à son potentiel de persuasion. Il constitue de plus en plus une menace immanente, un chancre qui ronge le sens civique et érode la légitimité des structures étatiques. Il peut apparaître n'importe où, n'importe quand, tout comme une maladie infectieuse dont les foyers se déplaceraient brusquemment. Cela ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire : au lieu de pousser les sociétés à accepter un sens politique par une violence exacerbée, il s'attaque aux sociétés elles-mêmes, à leur cohésion, à leur constitution, et donc aux fondements de la civilisation.

Publié par Ludovic Monnerat le 8 avril 2005 à 19:31

Commentaires

Oui, la civilisation a rarement été plus menacée qu'aujourd'hui. Le mélange d'extrémisme et de nihilisme qui accompagne ce flottement entre les ismes de toutes sortes et la sensibilisation à une conscience globale (je préfère le global des écono-anglophones aux mondial des humano-francophones, il est plus rond, plus vrai, plus concret et finalement plus honnête à la fois) et à l'affrontement enfin solidaire des vrais problèmes de la planète peut vraiment mener au désastre.

Mais d'un autre côté, nous vivons tout de même une époque fantastique! Pleine d'idéal, d'aspiration au dépassement, à la grandeur, à la transcendance. Tant de gens, aujourd'hui, peuvent réaliser des rêves si grands. Tant de gens volent au-dessus des nuages, communiquent par-delà des océans, se déplacent à des vitesses vertigineuses. Tant de gens sont savants, aussi, et intelligents, habiles, rapides, efficaces, novateurs.

Il y a là quelque chose de si enthousiasmant. Il ne manque que très peu de chose, certainement, pour que les gens s'éveillent vraiment, pour qu'ils voient enfin le ciel à travers les parois peintes de l'église.

Même ces dévoyés qui se sont sauter au nom de n'importe quelle ânerie (http://infos.aol.fr/info/ADepeche?id=382098&cat_id=3) en sont la manifestation, quelque part, de ce désir de dépasser le connu, d'incarner des valeurs universelles, de changer le monde.

Le monde a besoin d'un nouveau projet, peut-être, qui puisse absorber les énergies éparses et concentrer les efforts bienveillants. Un projet de nouveau monde. Assez nouveau pour que le passé ne l'encombre pas, assez respectueux de l'histoire pour que l'avenir ne l'égare pas. Quelque chose comme ça.

Publié par ajm le 8 avril 2005 à 20:50

Entièrement d'accord avec votre remarque optimiste. Toute appréciation des menaces et risques se doit d'être complétée par celle des chances et opportunités, qui entretiennent généralement une relation symétrique. C'est un élément important à prendre en considération, qui explique pourquoi les analyses alarmistes sont souvent démenties par les faits.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 avril 2005 à 21:46

Les autoritées Egyptiennes ont identifié le kamikaze, un étudiant qui apprés la mort de son pére en aout dernier s'est convertie à l'extrémisme :

http://www.reuters.fr/locales/c_newsArticle.jsp?type=topNews&localeKey=fr_FR&storyID=8144577

Publié par Frédéric le 11 avril 2005 à 23:17

J'ai trouvé sur un autre blog (http://politiquearabedelafrance.blogspot.com/2005/04/attentat-en-gypte-la-piste-moubarak.html)
l'interprétation, selon moi assez convaincante, comme quoi ce sont les services de sécurité de Moubarak qui ont probablement commis l'attentat. Thèse selon moi convaincante, que la revendication loufoque du groupe inconnu vient renforcer (c'est moi qui ajoute, pas le blog).

Beau travail, Ludovic.

Publié par André Campeau le 13 avril 2005 à 2:54