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20 avril 2007

Les mégapoles du chaos

Les grandes villes de notre ère forment le milieu le plus complexe et le plus exigeant pour toute force chargée d'y maintenir la sécurité ou d'y imposer leur supériorité. Cela n'a rien de nouveau, mais la croissance démesurée des cités et leur transformation en mégapoles tentaculaires multiplient les difficultés. La ville d'Alger en 1957, lors de la bataille remportée par les troupes françaises au prix de méthodes contre-productives, comptait environ 884'000 habitants (lu dans le livre de Pierre Pellissier). C'est 5 fois moins qu'aujourd'hui, et 6 fois moins que Bagdad, sans que la densité des troupes américaines et des forces irakiennes n'égale celle des forces françaises. Un autre exemple de mégapole chaotique est celui de la ville de Rio de Janeiro, où la violence a pris de telles proportions que le déploiement de l'armée y est demandé. Extrait d'un article de RFI :

Le regain de violence soulève à nouveau la question de la militarisation de Rio de Janeiro. Au mois de juillet prochain, la ville doit accueillir les Jeux panaméricains. Entre la sécurité des athlètes et celle des spectateurs, les policiers seront sur les dents. Le président Luiz Inacio Lula da Silva pourrait décider de déployer l'armée d'ici cette date.
[...]
Ce n'est pas la première fois que le pouvoir central est appelé à la rescousse. Mais les opérations précédentes menées par les militaires consistaient à envahir en force les favelas (bidonvilles). Ces opérations provoquent souvent de violents affrontements avec les bandits et les trafiquants, semant la terreur dans la population. L'attitude des soldats entraîne aussi des réflexes d'autodéfense de la part des habitants des favelas et les opérations dégénèrent en bataille rangée.
[...]
Rio de Janeiro, avec son agglomération de 11,3 millions d'habitants et ses 752 favelas, est considérée comme l'une des villes les plus violentes d'Amérique du Sud. En 2005, le Brésil a enregistré 55 312 homicides, dont 6 438 dans l'État de Rio. La mort violente est la principale cause de décès des hommes âgés de 15 à 44 ans.
Amnesty International comptabilise une moyenne de 50 homicides pour 100 000 habitants, tout en signalant que 7% sont dus à des «hommes en uniforme».

Les causes de la violence sont une chose ; les dimensions de la ville en sont une autre. La concentration d'une population aussi nombreuse dans un espace multidimensionnel s'oppose obligatoirement au maintien d'une autorité publique et crée des conditions dans lesquelles celle-ci se trouve contestée et combattue comme lors d'un conflit armé. Lorsqu'il est nécessaire d'engager des formations militaires pour reconquérir des quartiers entiers et que celles-ci font face à une ripose acharnée, on se situe en effet dans une logique de guerre et de non droit, dans un milieu non permissif où d'autres formes d'autorités se sont substituées à l'État affaibli. Et la croissance anarchique qui caractérise la plupart des mégapoles renforce cette tendance forte, de Lagos à Karachi, de Bombay à Bogota.

Que la nature chaotique des mégapoles affecte puissamment le devenir des États-nations et favorise l'avènement d'autres légitimités n'est pas une conclusion originale...

Publié par Ludovic Monnerat le 20 avril 2007 à 21:34

Commentaires

C'est effectivement la combinaison explosive de la taille "démesurée" et des favelas, puisque la plus grande ville du monde, Tokyo, semble assez loin de ces problèmes ...

Au fait, je viens justement de voir le film de 98 que vous recommandiez ("The Siege" de Edward Zwick avec Denzel Washington et Bruce Willis, "Couvre-feu" en français)

http://en.wikipedia.org/wiki/The_Siege

et c'est effectivement intéressant pour les problèmes soulevés (surtout 3 ans avant le 11/9), même si, pré-11/9 justement, l'Armée n'y est pas montrée sous un très bon jour et l'idée de "blowback" (retour de bâton ?) ou "Manchurian blowback" n'est pas très convaincante ...

Publié par jc durbant le 21 avril 2007 à 7:10

En parlant de "blowback" ("retour de bâton"), je viens justement de retrouver quelques citations intéressantes:

"La mondialisation est entrée dans une phase très critique. Le retour de bâton se fait de plus en plus sentir. On peut craindre qu'il ait un impact fort néfaste sur l'activité économique et la stabilité politique de nombreux pays.
In Ignacio Ramonet (Géopolitique du chaos)

"La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l'Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans morts. Apparemment [...] Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde."

Mitterrand

http://jcdurbant.blog.lemonde.fr/2007/04/21/mondialisation-retour-sur-le-concept-de-retour-du-baton-beyond-blowback/

Publié par jc durbant le 21 avril 2007 à 9:07

En parlant de chaos probable et même prévisible, il semble - et c'est une très bonne chose, que l'on s'inquiète enfin aux USA des implications stratégiques de l'arabo-africanisation de l'Europe:

http://www.infoguerre.com/article.php?sid=1142

Il est clair que si le substrat ethnique européen change selon ces paramètres, nos mégapoles connaîtront les problèmes de sécurité et de maintien de l'ordre de Rio, de Bagdad ou de Lagos!

Publié par fass57 le 21 avril 2007 à 11:00

On peut par exemple penser à ce type de "brèves"....

"Incendie criminel dans les Yvelines
lefigaro.fr (avec AFP)
Publié le 18 avril 2007
Actualisé le 18 avril 2007 : 15h59 A Buchelay, huit bus ont été détruits après avoir été aspergés d'essence.


La nuit dernière, les habitants de Buchelay ont été réveillés par un spectaculaire incendie criminel qui a eu lieu dans un entrepôt de bus de la commune. Les criminels ont aspergé d'essence quatre bus avant d'y mettre le feu. Par propagation, quatre autre engins ont été détruits. Deux autres ont été retrouvés arrosés d'essence mais n'ont pas été incendiés.
"Tout laisse à penser qu'il s'agit d'un incendie volontaire mais pas nécessairement en lien avec des violences urbaines", a indiqué une source judiciaire. Le vigile a déclenché à l'alerte à 1h30 du matin sans toutefois pouvoir voir le ou les incendiaires. Les pompiers ont réussi à éteindre l'incendie au bout de 4h."


... qui passent désormais inaperçues, tellement elles sont devenues banales.

P.S. Au passage, admirons la profonde sagacité de la "source judiciaire" qui évoque seulement la possibilité d'un incendie volontaire (quand l'on sait que des criminels ont aspergé d'essence des bus), tout en ne sachant pas si cela peut être relatif à des "violences urbaines" (non, il s'agit probablement de conducteurs de locomotives inquiets de la concurrence, banane). On se sent vraiment défendu face au chaos qui s'avance!

Publié par fass57 le 21 avril 2007 à 11:06

Ce qui me fait peur, c'est qu'à force de ne pas assurer ses tâches sécuritaires élémentaires, la police contraindra les gens à se murer et à recourir à des services de sécurité privés, transformant ainsi les villes en amas d'espaces murés et ultra-sécurisés entourés de zones de chaos -et non pas d'anarchie.

Ce qui est grave, avec cette tendance, c'est que seuls les gens assez fortunés pourront s'offrir les murs et la sécurité que l'état ne pourra plus assurer. On le voit en Afrique du Sud, par exemple. Ceux qui ont le plus souffert des émeutes de 2005 en France sont aussi probablement les habitants des cités qui s'efforcent de mener une vie honnête et qui sont les premières victimes de la délinquance.

Le racisme n'est pas où l'on croit.

Publié par pan le 21 avril 2007 à 13:30

wi... je voulais citer le cas de Tokyo : les pb dans les grandes connurbations ne viennent pas de leur taille mais des réactions de certains de leurs habitants
il y a eu de gros pb aux US dans certaines grandes villes, et ils ont été + ou - résolus

Publié par JPC le 21 avril 2007 à 14:55

fass57, je croyais que t'étais suisse ?

Publié par m16 le 21 avril 2007 à 15:50

Oui, mais je pense que cette problématique est avant tout européenne et même occidentale (même dialectique aux USA, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande).

C'est, à mon avis, faire preuve d'une vision bien courte que de croire que ces problèmes peuvent être contenus dans des cadres strictement nationaux.

Les sub-sahariens que les espagnols relâchent dans la nature, ils vont où? Les asiatiques de toute provenance qui passent par les poreuses frontières de l'est, ils vont où?

Il suffit de se promener dans les rues de n'importe quelle ville d'Europe pour comprendre ce qui se passe, malgré le manque (volontaire?) de statistiques officielles sur le sujet (1).

(1) tiens, j'aimerais bien savoir, juste par curiosité, combien il y a d'africains en Suisse? Cela fait tout bizarre, quand on se retrouve, à un arrêt de bus ou dans le hall d'un magasin, comme minoritaire, en tant qu'européen! D'ailleurs, j'ai l'impression que plus on vote, et de façon restrictive sur la question, plus les flux se renforcent, sans que les autorités n'interviennent dans le sens exprimé par la volonté populaire!

Publié par fass57 le 21 avril 2007 à 16:48

D'ailleurs, les problèmes évoqués dans ce billet ne concernent pas que les zones urbaines:

http://www.visaliatimesdelta.com/apps/pbcs.dll/article?AID=/20070414/NEWS01/704140363

En effet, la question se posera aussi de savoir comment assurer la sécurité des zones péri-urbaines et rurales, avec des effectifs qui ne seront probablement pas suffisants (pour la France, il est significatif de constater que le corps de la Gendarmerie voit ses effectifs constamment renforcés).

La question n'est pas inintéressante, si l'on envisage un scénario de type argentin pour l'hexagone, avec banqueroute financière et perte d'autorité du pouvoir central.

Publié par fass57 le 21 avril 2007 à 16:54

"si l'on envisage un scénario de type argentin pour l'hexagone, avec banqueroute financière et perte d'autorité du pouvoir central"

On a le même genre de réflexions prospectives. Ca sera l'un des grands problèmes : la flambée de violence surviendra à un moment où l'état sera exsangue et tout à fait incapable de faire face financièrement.

Publié par pan le 21 avril 2007 à 17:08

+ : certains, parmi ceux qui vivent dans des montagnes désertiques posent de gros pb sécuritaires et militaires...
"Les mégapoles du chaos", ça me semble plutot un thème pour journaleux gaucho-antilibéral-anti US

Publié par JPC le 21 avril 2007 à 17:15

Non, car les barbus en montagne, pour faire parler d'eux, agissent en ville ;)

Et les gangs de rues ont parfois des effectifs supérieurs à ceux des forces de l'ordre.

En apparté, les "gaucho-antilibéral-anti US" ont prit une raclée électorale se soir, du moins les plus à gauche de la gauche.

Publié par Frédéric le 22 avril 2007 à 20:44