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2 décembre 2005

Un point focal stratégique

En Irak, la prise en otage de militants pacifistes et l'attentat suicide d'une femme convertie à l'islamisme - tous occidentaux - ont montré, à quelques jours d'intervalle, combien ce pays reste aujourd'hui un point focal à l'échelle de la planète. Que des personnes s'y infiltrent individuellement ou en groupe révèle aussi bien leurs convictions que leur impression de pouvoir agir, d'avoir une influence. Nous ignorons à quoi pensait la femme belge qui s'est faite exploser à proximité d'un convoi US, et qui comme souvent n'a réussi à provoquer que sa propre mort, mais ce n'est certainement pas en désespoir de cause. Bien au contraire : l'Irak est bien un symbole causal de l'affrontement en démocratie libérale et fondamentalisme musulman.

Ce point focal a naturellement été choisi par les Etats-Unis, et aurait fort bien pu se trouver ailleurs ; depuis quelques mois, l'augmentation des accrochages en Afghanistan rappelle d'ailleurs que cet autre secteur avait le potentiel symbolique nécessaire. Mais nulle part ailleurs qu'en Irak ne sont autant cristallisées les luttes que superpose la mutation accélérée de notre monde, ce combat acharné entre la modernité, la liberté, l'ordre et leurs contraires. Que les Etats-Unis et Al-Qaïda aient simultanément identifié ce pays comme un point décisif à l'échelon stratégique confirme cet énoncé. De plus, dès lors que la « guerre contre le terrorisme » se déroule en premier lieu dans l'espace sémantique, il est en outre logique que l'intérêt des médias favorise le passage à l'acte des individus.

Dans le cas présent, il est bon de souligner qu'une bonne dose d'endoctrinement islamiste ou pacifiste a très certainement été nécessaire. Ce n'est pas sur un coup de tête que l'on décide ainsi de jouer sa vie dans un pays qui abrite un conflit aussi déstructuré. Il faut ainsi reconnaître que l'Irak est devenu une cause planétaire, un enjeu susceptible d'être exploité par l'ensemble des belligérants, un arrière-fond où se succèdent en un kaléidoscope effréné des images telles que le procès de Saddam Hussein, les sévices d'Abu Ghraib, les doigts encrés des électeurs, les visages implorants des otages, ou encore l'apparence tour à tour imposante et impuissante des Forces armées US. Le conflit irakien va largement faire entrer notre époque dans l'histoire, tout comme le conflit vietnamien voici 40 ans.

Une lutte d'une telle importance, par le verbe et l'image, par les idées et les valeurs, transperce inévitablement toute société et toute communauté, indépendamment des frontières géographiques et culturelles. Le passage à l'acte de quelques dizaines ou centaines d'individus vivant en Europe ou en Amérique du Nord n'est que la portion la plus visible de réactions dont l'ampleur est encore ignorée. Et le fait que les médias occidentaux aient majoritairement pris position dans ce conflit, et soient donc entrés de plain pied dans la lutte pour les cœurs et les esprits, nous condamne à l'éclatement du sens, au morcellement mimétique, à la reproduction sur notre sol et à échelle réduite des affrontements érigés en symboles.

Publié par Ludovic Monnerat le 2 décembre 2005 à 18:57

Commentaires

Je trouve que la comparaison entre l'Irak et le Vietnam n'est pas appropriée. Dans le rpemier cas, il s'agit d'une cinglante défaite, et quoiqu'on en dise, pour les deux parties. Dans le second cas, le conflit sent bon la victoire et le progrès de la démocratie dans une région qui en manque cruellement.
Le seul point commun est que les Etats-Unis ont été le moteur sur ces théâtres d'opérations.

Publié par Ares le 2 décembre 2005 à 20:33

Oui, mais tel n'était pas mon propos. Je voulais dire que la guerre du Vietnam était devenue une cause majeure à la fin des années 60 et au début des années 70, et qu'elle était en phase avec les transformations sociales survenant à l'Occident en parallèle. Je pense que le conflit en Irak a aujourd'hui un rôle similaire, et que la démocratisation est un phénomène parallèle.

Publié par Ludovic Monnerat le 2 décembre 2005 à 20:38

"reproduction sur notre sol et à échelle réduite des affrontements érigés en symboles" ... un ici et un là -bas qui se confondent ... un territoire que les USA violent et un territoire où les forces de l'ordre font de la provocation par leur simple présence ... des images qui arrivent et des individus qui partent ... une osmose entre les différentes zones qui crée un cycle s'auto-alimentant ... un sens d'action à long terme "instinctif" ne nécessitant pas de direction structurée face à des structures sans "sens" vivant au jour le jour quittes à avoir un demian encore pire ... des maëlstrom de destruction qui attirent de plus en plus d'individus perdus qui cherchent leur mort ... une communication qui a perdu ses repères et qui ne transmet plus que des messages soporifiques

Ca laisse prévoir rien de bien bon alors.

vous pouvez l'effacer si vous voulez

Publié par Mikhaël le 2 décembre 2005 à 23:31

Pourquoi effacerais-je ce commentaire, qui en touches éparses offre une description des conflits modernes bien plus éclairante que nombre de théories contemporaines ? Cela dit, il ne suffit pas de décrire un phénomène pour en déduire une évolution négative. Disons simplement que l'inertie intellectuelle et le confort des habitudes finissent toujours par se payer au prix fort.

Publié par Ludovic Monnerat le 3 décembre 2005 à 8:32

Parce que je n'étais pas satisfait, "touches éparses" et pas d'analyse, des impressions, si c'est bon comme ça, OK.

Publié par Mikhaël le 3 décembre 2005 à 9:58

Cette focalisation, voulue ou pas, prevue ou pas par les strateges americains, permet ds une certaine mesure un "brisure de l'asymetrie" de la guerre contre le terrorisme islamique, en attirant l'ennemie sur un terrain definie.
Pour achever cette brisure de l'asymetrie et rendre la guerre symetrique au detriment de la terreur, aux americains de definire un territoir, en Irak, de non intervention, ou les forces terrorites puissent prendre pied, se concentrer, grouper leur forces et les faire evoluer de la guerrilla a une formation plus classique: ce qu'a fait Arafat en Jordanie puis au sud-liban, alors appelle "Fatah-land" .

Pour plus de details sur la "brisure de l'asymetrie", voici le commentaire que j'ai poste cette nuit sur PAF=politiquearabedelafrance (http://politiquearabedelafrance.blogspot.com/)

""Briser l'asymétrie" de la guerre:
C'est rendre la guerre ... symetrique!
C'est a dire char contre char, fantassins contre fantassins etc... Donc revenir a une guerre "classique".
Le probleme de la guerre de "guerilla" ou de terreur telle qu'elle est menee en Irak, c'est cette assymetrie: les chars n'ont pratiquement pas de role a jouer si ce n'est donner une protection blindee aux intervenants. Les grandes unitees ne peuvent se mouvoir et agir contre des cibles dont la destruction entrainerait la destruction ou l'immobilisation de l'ennemie. Les limites morales citees par Michel empechent une utilisation maximisee des moyens de la guerre qui sont aux mains de la coalition: blindes, avation etc..

pour resoudre ce probleme il exsite IMO, 2 solutions:
1 ) la solution israelienne
2) la symetrisation du conflit
La solution israelienne, IMO, n'a pas ete la symetrisation de la guerre par Israel, ... mais plutot le retournement de l'assymetrie au profit d'Israel: cela ce traduit par une utilisation des outils de la guerre comme l'aviation, les helicopteres de combat, les unites speciales (plutot que les grandes unitees), et le renseignement, telle qu'on le voit ds les executions ciblees des chefs et decideurs ennemis, les ateliers d'explosifs etc...

La 2eme voie c'est celle qui a donne l'avantage a la Wermacht ds le Vercors, ou Israel ds le Fatahland en 1982: la guerre de guerilla telle quelle a ete decrite par Che Guevare et Mao, passe du stade "du poisson ds l'eau" au stade de la forterresse. A partir d'un moment, la direction veut une base solide, qui lui offre des arrieres, lui permet une meilleure gestion des forces et des moyens. Cela est obtenu en grouppant les forces sur un meme point geographique. La resistance en France l'a fait au Vercor. Arafat la fait en Jordanie ds la Valle du Jourdain puis de nouveau ds le sud du Liban ds ce qu'on a appelle le "Fatah-Land". Une fois la concentration des troupes - ce qui est un des principes directeurs de la guerre classique- obtenue, la guerrilla s'organise en armee classique, y compris artillerie, grosses unites d'infanterie, et meme chars d'assault. La guerre se trouve donc "symetrisee". Le probleme de la guerrilla c'est qu'a ce stade elle n'a pas encore l'experience du deploiement, direction et action des grosses unite. Elle ne sait pas combiner tous ses moyens artillerie, chars et fantassins ds l'action. Sa situation geographique se precise au lieu de la dillution ds les etapes precedentes, dilution qui lui donnait avantage. La guerrilla n'est plus guerrilla et elle perd donc tous ses avantages, sans avoir eu le temps de gagner les avantages de la guerre classique. C'est pourquoi la resistance s'est faite ecrasee ds le Vercors, Arafat en Septembre 1970 (Septembre Noir) en Jordanie puis au Liban en 1982.

Donc aux americains de laisser une region isolee devenir le point d'attraction des groupes terroristes en Irak, pour qu'ils y concentrent leur troupes, leur moyens etc! et symmetrisent d'eux meme la guerre.

Au niveau strategique globale, de la guerre contre la terreur islamique, l'attaque de l'Irak est un pas vers la symetrisation de la guerre ds le sens ou l'Irak est devenu un pole d'attraction des groupes terroristes internationaux. Maintenants aux americains de trouver le moyen de le faire au niveau regional.""

Publié par Ram Zenit le 3 décembre 2005 à 10:14

PS: IMO c'est ds cette perspective que l'on peut annalyser le retrait d'Israel de la Bande de Gaza. De plus je supppose que c'est aussi ce qui c'est passe a Faludja, en Irak, cette annee - mais je ne connais pas les details

Publié par Ram Zenit le 3 décembre 2005 à 10:19

Voilà : parce que ça faisait trop style "Libération", des articles en "touches éparses", jouant plus sur le registre "impressions-sensations-émotions" véhicule prioritaire pour faire passer vraiment n'importe quoi, au contraire d'une analyse qui pour faire passer du n'importe quoi doit effectuer des sauts logiques discernables.

Pour "assaisoner" ce commentaire on aurait pu y rajouter au choix soit "les road block, des soldta suramés, des enfants pleurants dans la poussière, des vieux au regard millénaire" soit "des femmes annullées dans leur bourka suivies à l'oeil par des gardiens des moeurs agitant un baton, des visages de femmes brûlés par l'acide, des victimes de viol lynchées, des "fornicatrices lapidées ..."

savament agité ces deux cocktails auraient eu des valences médiatiques (guerre moderne? petit livre rouge? De bello gallico? Machiavel?) totalement opposées.

Publié par Mikhaël le 3 décembre 2005 à 10:22

Pour Ram Zenit : voici un peu plus d'une année, j'ai publié une analyse du conflit israélo-palestinien qui affirmait précisément que le succès israélien s'expliquait par la resymétrisation du conflit. Ce texte est disponible ici.

Publié par Ludovic Monnerat le 3 décembre 2005 à 17:46

Merci Ludovic
:-)

Publié par Ram Zenit le 3 décembre 2005 à 20:58