« Irak : combat à sens unique | Accueil | 50 ans de Bundeswehr »

27 mars 2005

L'ONU au pied du mur

L'Organisation des Nations Unies, malgré le silence complice de nombreux médias sur le sujet, s'est décidée à prendre des mesures énergiques pour mettre un terme aux abus sexuels commis par ses fonctionnaires et ses Casques Bleus dans les missions de maintien de la paix. Il est vrai que les abus commis au Congo ne sont pas uniques, et des méthodes similaires pratiquées au Timor oriental par des Casques Bleus jordaniens ont été révélées ces derniers jours en Australie, après avoir à l'époque été étouffées par Sergio Vieira de Mello, pourtant presque canonisé suite à sa mort en Irak.

La correspondante du Monde à New York résume sans les commenter les mesures proposées pour lutter contre ces pratiques dont l'ONU reconnaît le niveau endémique. On peut énumérer ainsi ces mesures : créer un fonds d'indemnisation pour les victimes et les enfants conçus, grâce à des retenues sur les salaires onusiens ; augmenter la prévention, grâce à des distractions offertes aux Casques Bleus, et durcir la répression en obligeant les pays contributeurs à mener des procédures judiciaires ; former un corps d'enquêteurs spécialisés et établir des cours martiales dans le pays de la mission.

Nul besoin d'être grand clerc pour voir que ces mesures ne touchent pas un aspect central du problème, à savoir la qualité insuffisante - en termes de discipline et d'éducation - des soldats qui servent sous les couleurs de l'ONU. De plus, leur faisabilité est douteuse : comment forcer des Etats à juger des soldats attribués aux Nations Unies au-delà de la mission, ou même établir des tribunaux indépendamment de la législation du pays hôte ? On voit bien les inclinations supranationales d'une organisation qui n'a pas les moyens de ses ambitions, et dont le fonctionnement déresponsabilisant reste une faiblesse majeure.

Un excellent reportage signé Jean-Philippe Rémy, également dans Le Monde, montre pourtant que l'ONU est au pied du mur concernant l'efficacité même de ses missions de maintien de la paix. Avec des efforts méritoires, la MONUC tente activement de mettre un terme aux combats en Ituri, qui ont déjà fait 60'000 morts depuis 1999 ; une réorganisation militaire unique lui fournit apparemment une chaîne de commandement claire, des unités homogènes et des capacités d'intervention diverses - forces spéciales ou encore hélicoptères de combat. En même temps, des lacunes notamment en matière de renseignement limitent son efficacité :

Quelques jours après l'assassinat des casques bleus, une opération a été lancée contre le village de Loga, près de Bunia, un important centre de regroupement de miliciens du Front nationaliste et intégrationniste (FNI). Sur place, les 600 soldats de la paix étaient attendus de pied ferme, comme l'explique un haut responsable de la Monuc à Bunia : "Les miliciens étaient parfaitement au courant et les casques bleus ont été surpris par l'intensité du feu qui les a accueillis. Pendant six heures, les miliciens ont attaqué sans relâche. Nos troupes ont été obligées d'appeler en renfort des hélicoptères de combat sud-africains pour pouvoir se dégager. Les casques bleus pakistanais ont eu beaucoup de chance de ne pas avoir de grosses pertes ce jour-là ."

La conclusion de ce reportage est limpide : le succès de l'ONU en Ituri montrera que l'organisation est capable d'imposer la paix, alors qu'en cas d'échec "la leçon serait que l'organisation n'est capable que de faire du gardiennage amélioré." Dans cette perspective, les mesures visant à lutter contre les abus sexuels peuvent être perçues comme une tentative de restaurer l'image de l'ONU, et non comme une volonté d'appliquer les principes qui forment l'efficacité des armées occidentales en opérations extérieures : instruction de haut niveau, entraînement intensif, indépendance logistique, salaires très élevés et bien entendu discipline sévère.

Il faudra apparemment encore du temps avant que les hauts fonctionnaires des Nations Unies comprennent que le maintien de la paix passe par la capacité à faire la guerre.

COMPLEMENT I (27.3 1530) : Dans un autre registre, on peut lire à présent des rumeurs sur une possible démission de Kofi Annan. Ce n'est pas tant le problème des abus sexuels des Casques Bleus que l'implication personnelle - et jusqu'ici niée - du secrétaire général avec un acteur majeur du programme pétrole contre nourriture qui serait la cause d'une telle possibilité. La publication du rapport Volcker pourrait en effet révéler un rôle bien plus grand qu'annoncé de Kofi Annan dans ce processus corrompu. Si tel devait être le cas, le choix de son successeur serait certainement des plus intéressants.

COMPLEMENT II (28.3 1900) : Cette autre reportage, publié dans le Washington Post, complète utilement la perspective sur la situation du contingent onusien en Ituri. Il montre notamment que l'absence d'Etat est une difficulté majeure : tout ce que les Casques Bleus peuvent faire, c'est empêcher une extension des violences et massacres à l'endroit de la population civile, au lieu d'imposer progressivement l'ordre. Cela dit, c'est déjà beaucoup...

COMPLEMENT III (29.3 2020) : En tout cas, on pourra difficilement compter sur la TSR pour traiter objectivement le thème de l'ONU et de son secrétaire général! A l'occasion de la publication du rapport Volcker, ce soir au 19h30, le présentateur Darius Rochebin n'a pas hésité à opposer le "gentil Annan" au "méchant Bush" pour passer la parole au commentateur Hubert Gay-Couttet, lequel a commencé par dire que "on aime bien" Kofi Annan! Voilà qui a au moins le mérite de lever toute ambiguïté.

Malheureusement, M. Gay-Couttet n'a pas pu s'empêcher de parsemer son discours laudateur d'erreurs factuelles grossières, prétendant ainsi que Kofi Annan a "réglé le problème du Timor" (alors que l'ONU a préparé un référendum au Timor-Est sans aucune mesure de sécurité, et que c'est l'intervention décidée de l'Australie qui a mis un terme aux massacres commis par les milices pro-indonésiennes!) et qu'il a été nommé Prix Nobel de la Paix (c'est évidemment l'ONU qui a reçu ce prix, et son secrétaire général qui l'a touché au nom de l'organisation).

Avec des médias pareillement amicaux, il faut vraiment que l'ONU soit particulièrement mal gérée pour voir sa réputation être à ce point entachée !

Publié par Ludovic Monnerat le 27 mars 2005 à 10:09

Commentaires

Désormais, on l'appelera Kofin "Téflon" Annan.

Publié par Robert Desax le 30 mars 2005 à 6:42