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24 août 2005

De l'amputation stratégique

Les médecins des armées pratiquent depuis des siècles les amputations du champ de bataille, afin de prévenir une généralisation des infections contractées par les membres blessés. Cette pratique connaît quelque part son pendant stratégique lorsqu'une nation décide d'abandonner des territoires - voire des populations - qui mettent en danger la cohésion ou la survie de l'ensemble, ou qui plus simplement créent plus de problèmes que d'avantages. Je pense ici naturellement à l'évacuation des colonies qui se produit en Israël, et qui n'a pas mené à la guerre civile parfois brandie comme un épouvantail, et plus généralement au processus de décolonisation qui a amené les Etats occidentaux à abandonner même des territoires qu'elles considéraient comme faisant partie intégrante d'eux-mêmes, à l'exemple de l'Algérie pour la France.

Le processus décisionnel qui aboutit à de telles amputations territoriales est ainsi douloureux, sujet à maints tiraillements et déchirements au sein des dirigeants comme de la population. Les arguments qui l'emportent sont généralement de nature économique et politique, face à des résistances identitaires ou affectives, et font en quelque sorte le bilan de la situation. L'évacuation de la bande de Gaza est un exemple typique de décision difficile dont les effets à terme peuvent largement compenser ceux à court terme, en fonction de l'évaluation d'une situation donnée. En même temps, ce raisonnement de préservation - tellement fréquent dans le monde économique - est aussi une manière de minimiser les risques, de renoncer à un pari sur l'avenir, de se replier sur des acquis. De mettre un terme au mouvement et aux fluctuations.

Renoncer à une portion de territoire ou à une part de marché ne sont toutefois pas deux choses équivalentes, car la première abrite généralement des populations. Et c'est dans ce sens que l'amputation stratégique est un phénomène en mutation : dans la mesure où les identités sont de moins en moins définies par l'emplacement géographique, et de plus en plus par les idées ou les valeurs (le cas israélo-palestinien restant un contre-exemple extrême), ces renonciations à des territoires entiers perdent progressivement leur sens. A l'exception des ressources naturelles - ou des symboles spirituels - qu'il abrite, le sol n'est plus le point focal des intérêts. Puisque la colonisation des esprits a progressivement supplanté celle des terres, c'est bien dans cet espace-là que la renonciation ou l'expansion deviennent décisives.

Un exemple frappant de cette mutation est la volonté de créer des chaînes de télévisions susceptibles de contrebalancer la domination anglophone sur les médias audiovisuels planétaires, avec les cas Al-Jazeera ou plus récemment Telesur. A contrario, la décision de renoncer à swissinfo - héritage de l'information vers les Suisses de l'extérieur - est une véritable amputation stratégique pour un petit Etat comme la Suisse, à ceci près que les arguments économiques invoqués ont certainement été surévalués par rapport à d'autres facteurs. Il manque bien entendu une carte de l'espace sémantique pour tracer les contours des territoires fluctuants et incertains que tracent les médias, mais l'importance de cet espace ne saurait être mise en doute.

Publié par Ludovic Monnerat le 24 août 2005 à 8:32

Commentaires

"! Renoncer à une portion de territoire ou à une part de marché ne sont toutefois pas deux choses équivalentes, car la première abrite généralement des populations!"

Identique pour les parts de marché qui abritent virtuellement des travailleurs, des consommateurs et des investisseurs ;-)

Le capital humain n'a d'intérêt que dans ce qu'il peut produire ou consommer aussi la démocratie est importante pour tempérer les lois du marché. En cela on peut dire que faire la guerre répond aussi aux lois du marché. Il est idiot de dire que l'on fait la guerre pour posséder le pétrole mais il est certain qu'orienter le marché qui le sous entend favorise certains acteurs économiques. En fait la démocratie ne sert le capital humain que dans la mesure ou elle joue mieux ce rôle stabilisateur de l'économie de marché. En régulant les idées ou en pratiquant l'amputation de celles qui fonctionnent moins bien la démocratie est plus adaptée que tout autre système à favoriser l'économie de marché.

http://www.grep-mp.org/cycles/liberalisme/economie-marche.htm

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 24 août 2005 à 16:44

Renoncer à une portion d'idée !

Sunnis study Shia plan on Iraq charter

http://english.aljazeera.net/NR/exeres/0AEF3879-DCF5-4839-92B6-5E829BB7723C.htm

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 27 août 2005 à 0:35

Une petite remarque:
pourquoi vous employez le mot "colons"?

Parce qu'ils ont fait fleurir les dunes du litoral désertique (et y produisaient la plupart des laitues du pays dans des systèmes hydroponiques d'avant garde, dans le Goush Katif)?

Ou parce que c'est difficile de traduire "setlers" en français?


;)

Publié par Mikhaël le 29 août 2005 à 19:33

Pour moi, le mot "settler" se traduit par colon... et ce nom ne possède a priori aucune connotation péjorative.

Publié par Ludovic Monnerat le 29 août 2005 à 20:26