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4 mai 2006

L'inertie dans le changement

Voici plusieurs années que l'armée suisse vit à l'heure du changement permanent, des adaptations dictées par l'évolution de l'environnement stratégique, par les infléchissements des équilibres politiques, et plus encore par les coupes budgétaires ; on a d'ailleurs conçu l'Armée XXI comme une organisation évolutive, susceptible d'être optimisée pour mieux répondre aux besoins sécuritaires en Suisse et à l'étranger. En théorie, je suis entièrement favorable à une telle perspective, et je conçois tout changement comme étant une opportunité d'amélioration. Il se trouve cependant que tout le monde n'a pas la même confiance en l'avenir, voire la même naïveté, et que les réactions collectives en sont même très éloignées.

La résignation est une conséquence inévitable de profondes et fréquentes mutations : la remise en question, la perte des repères, le brassage des relations et l'impression d'être insignifiant peuvent ronger la motivation, le courage comme l'enthousiasme. Je pense que ce phénomène est bien connu, et qu'une grande mobilité professionnelle est la manière la plus logique de le prévenir ; ce qui n'est pas exactement le genre des administrations militaires. Dans les faits, le meilleur remède à la résignation réside dans la qualité des rapports humains, dans l'aptitude des cadres et des collègues à créer des liens qui sont plus forts que les aléas de l'organisation. Les armées sont en général renommées sur ce point, dès lors que l'ascension hiérarchique ne se fait pas au détriment du relief des caractères.

Une autre conséquence de l'instabilité, qu'il m'a fallu constater par moi-même pour l'appréhender dans sa vraie dimension, est toutefois l'indiscipline. C'est un chancre qui ronge l'armée à tous les échelons : à force d'avoir reçu de multiples directives, présentations, concepts, règlements et autres documents successivement évolutifs, et trop souvent contradictoires, le personnel peut facilement en venir à juger chaque ordre comme étant provisoire, c'est-à -dire en attente d'être modifié, et à relativiser son importance. Certains peuvent ainsi les interpréter dans un sens conforme à leurs inclinations et à leurs intérêts, et donc à désacraliser le mission ; « les ordres ne sont pas les options », nous disait-on à l'école d'officiers pour nous prémunir d'une telle tentation. Mais d'autres peuvent également se tenir à distance, faire le strict minimum, dans l'attente d'une confirmation ou d'un contenu moins provisoire. Et ce sont probablement les plus nombreux.

Nous en parvenons ainsi, à mon avis du moins, à une situation quelque peu paradoxale : le changement permanent provoque peu à peu une inertie qui parvient en définitive à largement le contrecarrer, et la multiplication des impulsions autoritaires ne fait que saper un peu plus leur effet. La question est de savoir comment rétablir la situation ; j'imagine que mettre un terme à ce que d'aucuns nomment la « réformite aiguë », et donc accepter qu'une armée ayant un état de préparation relativement bas - comme toute armée de conscription - évolue à un rythme compatible avec ceux qu'elle emploie et met sur pied, est la solution à étudier de plus près. Tout en acceptant les mesures pragmatiques que dictent les carences menaçant la pérennité de l'ensemble. Autant dire que l'écrire est bien plus facile que le faire !

Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2006 à 9:20

Commentaires

Très juste. Cela suggère que, pour faire face à un environnement rapidement changeant, la bonne solution n'est pas un corps de procédures rapidement changeant, mais plutôt des orientations générales pérennes et une organisation capable de s'auto-adapter à l'environnement.

Publié par FrédéricLN le 4 mai 2006 à 9:46

Publié par David Descamps le 4 mai 2006 à 10:27

Oui, excellent article, bien que sans grand rapport ? avec le billet du jour.

Publié par FrédéricLN le 4 mai 2006 à 11:17

Je suis conscient que le sujet ci-dessous n'est pas en relation avec votre billet. Toutefois, je me disais qu'en intervenant ici j'avais d'avantage de chance d'obtenir une réponse à mon interrogation:

L'exercice « Zeus » va débuter la semaine prochaine (lundi 8 mai). Il réunira quelque 8000 hommes et prévoit un scénario dans lequel la troupe sera engagée pour faire face à des actes visant à déstabiliser les structures la société civile et l'Etat.

Question : exerce-t-on également la présence éventuelle d'éléments subversifs au sein de l'armée. Dans le contexte d'une armée de milice et de ma montée de l'individualisme (et même si une bonne part des réfractaires peuvent actuellement échapper au service militaire), il faut être certain de pouvoir compter sur des troupes qui obéiront aux ordres donnés!


Publié par Alex le 4 mai 2006 à 11:43

Oui c'était sans rapport, mais ce genre d'article intéresse le bloggeur et ses lecteurs. Donc je me suis permis :)

Publié par David Descamps le 4 mai 2006 à 14:49

A Alex : pas à ma connaissance, et je juge la chose très improbable. Il est vrai toutefois que la problématique intéressant, même si les individualistes forcenés ne sont précisément que rarement dans les rangs...

Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2006 à 15:26

« Pas à ma connaissance, et je juge la chose très improbable ». (LM)

Ah! Il est vrai que si l'on se place dans le cadre de troubles provoqués par des extrémistes islamistes, ça ne devrait pas poser de problème. Mais si la problématique à l'origine de ces tensions ne suscitait pas une certaine union, ce pourrait être fort différent. Historiquement, l'éclatement de la Première Guerre mondiale a par exemple provoqué pas mal de tensions! Certainement aussi au sein de la troupe.

Autrement dit : quelles sont les raisons qui vous permettent de répondre de façon si affirmative ?

Publié par Alex le 5 mai 2006 à 8:29

Supprimons l'armée, elle ne sert qu'à nourrir des bouches inutiles.

Publié par aymard de St-Senestre le 7 mai 2006 à 0:16

Supprimons les Hommes, ils sont de trop sur cette planète ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 7 mai 2006 à 6:13

Des bouches inutiles ? Que voilà une vision étrangement discriminatoire de l'existence humaine... et une compréhension bien limitée du principe de la milice ! :-)

Publié par Ludovic Monnerat le 7 mai 2006 à 10:42

"Supprimons l'armée, elle ne sert qu'à nourrir des bouches inutiles"

Ca fait très genre "désarmement unilatéral" et autres bombes psychologiques lachées sur l'Europe par le kominform!

Maintenant ça pourrait bien arranger des autres. Mêmes cibles d'autres bénéficiaires?

A part ça quand est-ce qu'on va traiter d'un quelque argument plus "dense" et immanent (pour les non Suisses)? Genre les "étranges" analogie entre l'islamisme (son implémentation) et les doctrines de l'insurgence léniniste, maoïste ... coeurs et esprits, violence, prise du pouvoir le tout peut-être à la lumière des textes français et autres?

Ou bien la dégénération de la situation iranienne, et ses implications geo-bidules (pour en rester aux définitions qui remplissent si bien les phrases)?

Ou bien, comme ça fait longtemp que j'en ai parlé au web master, se lancer un petit coup dans le "coeur de ténèbres" ou "derrière le mirroir", dans une réalité sousjacente dont le pouvoir explicatif et prédictif est bien plus puissant par rappot à la bouilli pseudo-intello, riche de "complexité" qui ne le sont pas.

Bien à vous


Publié par Mikhaël le 7 mai 2006 à 19:05

Pour rebondir sur Zeus :)

Petites questions en vrac:

- Comment avez-vous appris la tenue de cet exercice ?
Subsidiaire: avez-vous l'impression d'avoir été plus informé par les médias traditionaux de la nouvelle initiative du GSSA ?

- De façon générale, pensez-vous que cet exercice est à même de dévolopper un sentiment de sécurité dans la population ? le contraire ?

TX. :o)

Publié par Deru le 8 mai 2006 à 1:34

« Pas à ma connaissance, et je juge la chose très improbable ». (LM)

Ah! Il est vrai que si l'on se place dans le cadre de troubles provoqués par des extrémistes islamistes, ça ne devrait pas poser de problème. Mais si la problématique à l'origine de ces tensions ne suscitait pas une certaine union, ce pourrait être fort différent. Historiquement, l'éclatement de la Première Guerre mondiale a par exemple provoqué pas mal de tensions! Certainement aussi au sein de la troupe.

Autrement dit : quelles sont les raisons qui vous permettent de répondre de façon si affirmative ?


Publié par Alex le 8 mai 2006 à 8:21

Merci pour votre patience, Alex... :-) Voici mes raisons : la notion de subversion interne est une chose largement étrangère à une armée dont l'état d'esprit reste encore axée sur la défense du territoire face à une menace militaire grave -et donc censée souder l'ensemble des citoyens autout du Commandant en Chef. Mettre en question la loyauté des soldats engagés dans un exercice revient à ouvrir une boîte de Pandore absolument redoutable, mais qui dépasse la cadre de l'armée.

Publié par Ludovic Monnerat le 8 mai 2006 à 11:46

Les nouvelles missions de l'armée impliquent de plus en plus cette dernière dans des engagements sécuritaires (par ex. Davos - G8). En cas d'utilisation de la troupe dans un contexte politiquement troublé, même si je suis en gros d'accord avec vous, il serait souhaitable d'être certain que tous les soldats tirent à la même corde.

Alex

Publié par Alex le 8 mai 2006 à 13:43