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15 mars 2005

Le retour de la raison

Les élections irakiennes, après celles d'Afghanistan et de Palestine, la révolte populaire du Liban face à la Syrie, les ouvertures en Arabie Saoudite et en Egypte, et les discussions farouches sur le thème de la démocratie dans les médias arabes ont fini par imposer le retour de la réalité dans les propos des commentateurs. Les médias occidentaux les plus farouchement opposés à l'opération militaire américaine en Irak commencent le travail de mémoire salutaire consistant à dépasser leur opposition pour prendre conscience de la situation véritable ; après le New York Times et d'autres journaux américains, contraint de corriger leur négativisme incohérent, après le Spiegel et sa couverture « No blood for oil », amené à se demander si Bush n'avait pas finalement raison, c'est Le Temps et son très militant correspondant aux Etats-Unis, Alain Campiotti, qui se livrent aujourd'hui (accès libre) à un examen de conscience bienvenu.

Campiotti commence par moquer l'hebdomadaire de gauche The Nation, qui reste totalement silencieux sur l'actualité du Proche-Orient, pour bien montrer le désarroi des rédactions les plus critiques face à l'administration Bush. Cela nous rappelle en passant le silence de L'Hebdo pendant 2 semaines sur les élections en Irak (la troisième semaine, c'est Jacques Pilet qui a pris sa plume la plus amère pour écrire que ces élections n'étaient qu'une mascarade insignifiante!). Il énumère également les arguments catastrophistes de ceux qui, comme lui, annoncent depuis 2 ans l'échec imminent du projet américain. Mais il reconnaît surtout que la couverture médiatique de l'Irak, dans les rédactions opposées à l'intervention militaire, ne correspondait pas à la réalité :

« Ce scepticisme bizarre est déconnecté du réel. L'Orient compliqué est en mouvement, et Bagdad, comme au temps du califat, est bien son épicentre. Les commandos sunnites peuvent exécuter en un jour quarante compatriotes d'une balle dans la tête: avant comme après le 30 janvier, ce n'est pas un programme politique pour l'Irak. Pendant ce temps, les élus chiites, kurdes, et aussi des sunnites, cherchent un compromis sur le premier gouvernement issu d'élections après la dictature, et sur les principes d'une constitution. Il n'est pas sûr qu'ils échouent. »

Cet aveu est de taille. Il marque le début d'une entreprise salutaire : le retour de la raison et de la déontologie au sujet d'un événement qui a suscité comme rarement des passions aveuglantes. Depuis l'été 2003, mes analyses sur la situation en Irak ont constamment affirmé le succès de l'entreprise stratégique américaine, quelle que soit sa lenteur et son prix en vies humaines, parce que toutes les lignes d'opérations stratégiques - politique, économie, société, sécurité - indiquaient une telle tendance. Plus important encore : j'ai toujours pensé que les Irakiens accepteraient les bienfaits de la démocratie, et donc qu'une action militaire fondée sur une idée avait de grandes chances d'atteindre une grande partie de ses objectifs. Cette compréhension commence à apparaître dans les rédactions, au vu des propos de Campiotti :

« Quand l'histoire tressaille, faut-il faire son examen de conscience? Ou peut-on, comme au moment de l'effondrement du communisme soviétique, passer d'une vague empathie romantique à un antitotalitarisme farouche sans piper mot? Mieux vaut regarder dans le miroir. Chacun a le sien. J'ai le mien. Le viol américain de l'Irak a conduit à un enlisement peut-être programmé. Mais ce n'était pas le Vietnam. Une majorité d'Irakiens veulent mettre fin sans violence (celle des guerres, ils l'ont subie) à la longue dictature d'une minorité, et d'un homme qui serait encore à la tête de ses polices - 100% des voix! - sans une intervention extérieure. »

On notera sans peine la contradiction consistant à voir un enlisement en Irak (au moins, on ne parle plus de bourbier!) tout en parlant d'un Orient en mouvement. Il faudra encore bien des efforts à Alain Campiotti - dont il faut louer l'honnêteté apparemment retrouvée - et à d'autres pour dépassionner leur vision, mais ils en prennent le chemin. Tout le monde en bénéficiera certainement. Espérons simplement que l'actualité de ces prochains mois, à propos de l'Iran ou d'un autre point chaud, ne provoque pas de rechute !

Publié par Ludovic Monnerat le 15 mars 2005 à 7:00

Commentaires

Encore merci d'avoir été

- surtout du côté francophone

et avec la cerise sur le gâteau d'une RÉELLE et DIRECTE connaissance des enjeux et de l'art militaire ! -

l'une de ces si rares - et précieuses ! voix qui ont su raison garder

(et nous aider à raison garder)

pendant ces longs mois de...

"passions aveuglantes" !

Publié par jc durbant le 15 mars 2005 à 9:18

Pensez-vous vraiment que ne serait-ce qu'un seul des journalistes que vous citez aurait réellement changé d'avis? Mais vous vous berceriez alors d'illusions. Non seulement ils sont indécrottables, mais s'il leur venait la folie de se renier, ils démissionneraient de leur poste ou seraient jetés dehors par leur rédaction. Une des caractéristiques de l'idéologie, c'est d'être imperméable à la réalité.

S'il y a du nouveau, c'est que les faits (qui sont têtus, on le sait bien...) forcent ces journalistes à adopter une posture défensive. Ils n'ont certainement pas changé d'avis: autrement ils feraient un mea culpa, et il y a de quoi. Ils ont simplement, à titre temporaire, comme une ouverture contrainte et forcée, donné droit de cité à la réalité dans leurs compte-rendus.

Ils s'empresseront de s'en débarasser dès que la moindre faiblesse américaine sera perceptible à l'horizon: catastrophe particulière en Irak, nouvel attentat quelque part, refus de la Syrie de se retirer complètement ou mise sous conditions de ce retrait, piétinement dans le processus de paix israélo-palestinien... Ou simplement des chiffres de l'économie américaine moins bons que d'habitude, permettant une fois de plus de prévoir son effondrement prochain.

Les occasion de se (re)jeter dans un gouffre d'anti américanisme ne manquent pas, Bush est toujours un crétin, et l'Amérique est plus que jamais manipulée par un complot judéo-maçonnique chrétien fondamentaliste soumis à Wall Street. Dans ces conditions, comment pourraient-ils obtenir plus qu'un répit temporaire dans leur trajectoire vers l'échec?

Un peu de patience!

Publié par Stéphane le 15 mars 2005 à 14:25

En tous cas, je me suis appercu que l'on a donné plus d'échos dans certains médias à la manifestation pro Syrienne qui conspuait la France et les USA qu'a la manif monstre de l'opposition qui réclamer le départ des Syriens.

Comme quoi, il y a du boulot...

Publié par Frédéric le 15 mars 2005 à 18:26

Je ne pense pas que cela soit le cas bien au contraire. Si l'on compte le relais des manifestations presque quotidiennes pour l'opposition, et le fait que les pro-Syriens n'avaient quasiment pas de visibilité médiatique avant leur manifestation, le déséquilibre est très en faveur de l'opposition.

Avant ce WE, la presse à tellement fait l'amalgame Liban - révolution orange, rose, etc. que l'on a eu l'impression par moment que l'on ne parlait pas du moyen orient, que le Hezbollah n'existait pas, et que la paix sociale coulait de source au Liban.

Bref, l'action des diplomaties occidentales n'a pas été remise en cause ou évaluée de façon critique à un seul moment... et en cas d'issue négative, tout ce beau monde a déjà montré qu'il n'hésiterait pas une seconde pour faire rentrer à la maison leur paras et leur Marines respectifs!

Bref, ce serait sans doute à la réalité qu'il faudrait donner un peu plus d'écho non ?

Un sujet sur le Liban dans le cadre de l'éventuelle euphorie accompagnant le « retour à la raison » serait bienvenue il me semble...

Publié par nobody le 15 mars 2005 à 23:10