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9 février 2005

Le prix de la victoire

Il devient aujourd'hui extrêmement difficile de nier qu'Israël a gagné la deuxième Intifada, et donc une nouvelle guerre contre ses voisins arabes : la relance spectaculaire du processus de paix, favorisée par l'élection modeste mais claire de Mahmoud Abbas, n'aurait jamais eu lieu si les Palestiniens n'étaient pas majoritairement habités par un sentiment d'épuisement et de lassitude qui sape leur volonté de combattre. Malgré la conscience effarouchée de certains journalistes à l'endroit d'un tel jugement, l'usage offensif et ciblé de la force armée s'est révélé la solution : en un peu plus de 4 ans, il a permis à Israël de mettre au point des tactiques (élimination aérienne ou terrestre de leaders terroristes, raids mécanisés en milieu urbain) et des dispositifs (barrière de séparation, multiplication des checkpoints) contre lesquelles les Palestiniens sont totalement impuissants. La logique paradoxale du conflit a été rompue : cette phase du conflit israélo-palestinien s'achève par une victoire sans appel. Mais il est temps pour les Israéliens de se préparer à la prochaine phase.

Dans un pays où la normalité reprend ses droits, il sera en effet difficile de préserver le degré de mobilisation qui a forgé le succès israélien. Le temps n'est pas loin où la menace des attentats suicides sera suffisamment distante pour réduire les enjeux perçus par le public, et donc la légitimité des actions effectuées par les forces de sécurité. Progressivement privée de bombes humaines à désamorcer et de redoutes terroristes à nettoyer, Tsahal reprend l'image d'un Goliath omniprésent, impassible et haï ; en retrouvant un rapport du fort au faible, et non plus du fort au fou, le conflit peut fort bien repasser de la dissymétrie à l'asymétrie, au fur et à mesure que la population israélienne ne s'estime plus uniformément mise en péril, et donc que la validation morale des mesures de sécurité diminue. Tel est le prix de la victoire pour l'Etat d'Israël : la mise hors combat - littéralement - de ses principaux ennemis le rend plus vulnérable à la division, à la subversion, aux pressions et aux contradictions. Avec le risque de créer des conditions menant directement à une nouvelle offensive palestinienne, après une pause de quelques mois ou quelques années - conformément d'ailleurs à la signification du mot « hudna ».

De nombreux Israéliens croient déjà revivre le cauchemar d'Oslo : l'obligation de mener des négociations de paix difficiles, avec des dirigeants affaiblis, en subissant des attaques terroristes pas assez nombreuses ou visibles pour justifier la fin d'un processus factice. Nous n'en sommes pas encore là , mais la brutale diminution des attaques et des accrochages ne doit pas faire oublier que l'affrontement est inéluctable aussi longtemps que l'on programmera les esprits à nier le droit de l'autre à l'existence, ce qui reste flagrant dans la société palestinienne. L'inclination naturelle des êtres humains pour la normalité risque rapidement de faire oublier aux Israéliens la précarité de leur survie ; malgré les nuages sombres qui viennent de Téhéran ou de Syrie, les sirènes pacifistes gagnent en vigueur, l'ultraminorité autoflagellatrice retrouve un accès disproportionné aux médias, et le temps où la victime redeviendra coupable s'annonce déjà . Le Gouvernement Sharon a gagné une bataille contre les Palestiniens, et assisté à la fin symbolique de Yasser Arafat, mais le conflit continue. Et il pourrait un jour apparaître aux yeux des dirigeants israéliens, étrange et troublant constat, que la guerre est préférable à la paix.

Le temps leur est compté. L'union nationale résultant de la campagne terroriste palestinienne commence à s'effilocher. Les Palestiniens eux-mêmes restent otages de leurs extrémistes, et le resteront tant que ceux-ci n'auront pas été éliminés - par les troupes d'Abbas ou par un pays arabe mandaté pour s'interposer. Seul Israël a la possibilité de gagner la paix, c'est-à -dire de rendre impossible un renouvellement des hostilités en continuant de retirer à ses ennemis les moyens de combattre, et en empêchant la restauration de leur légitimité en supprimant plusieurs causes apparentes de conflits. L'autre alternative est la poursuite d'une guerre sans nom.

COMPLEMENT I : Le meilleur éditorial de la presse romande à ce sujet est celui de Jan Marejko dans L'Agefi. Il met en évidence l'absence de l'ONU et s'en félicite :

Cela signifie-t-il que nous allons revenir au multilatéralisme onusien? C'est peu probable. Hier à Charm el-Cheikh, en Egypte, Mahmoud Abbas et Ariel Sharon annonçaient un accord pour mettre fin aux violences entre Israéliens et Palestiniens. On ne voit pas que l'ONU ait joué un rôle dans cet accord et l'on ne peut s'empêcher de noter avec un certain soulagement la disparition de la funeste expression de «processus de paix».

Lisez le reste.

COMPLEMENT II : Grâce à l'excellent weblog de Melanie Phillips, j'ai découvert un article d'un lieutenant-colonel israélien qui analyse froidement le cessez-le-feu palestinien et montre que ce dernier est avant tout un changement de méthode, et non la fin du conflit.

COMPLEMENT III (10.2) : La télévision palestinienne, totalement indifférente aux discussions et promesses internationales, continue de parler ouvertement de la destruction d'Israël comme but ultime du conflit. Il ne faut donc pas confondre un cessez-le-feu avec une paix durable. D'autant que le feu ne cesse pas, comme le montre le tir de 30 obus de mortier la nuit passée à partir de la bande de Gaza...

Publié par Ludovic Monnerat le 9 février 2005 à 10:15

Commentaires

Ah désolé! Movable Type ne sait pas lire l'encodage UTF8 que je regrette, pour ma part, d'avoir choisi pour mon blog (voir http://swissroll.info/index.php?2005/01/20/89-- )...

Publié par François Brutsch le 9 février 2005 à 18:09

C'est pas grave : on voit des petits carrés qui ne font qu'accroître l'envie de deviner la suite du texte ! :)

Publié par Ludovic Monnerat le 9 février 2005 à 18:19

Si l'on peut parler de victoire militaire assez claire, et pratiquement inespérée sinon miraculeuse, je ne suis pas certain qu'Israël puisse se targuer d'un bilan aussi positif sur d'autres plans relatif aux émeutes et aux attentats arabes de ces dernières années.
En effet, la perception du problème en occident, au sortir de ces violences, en ressort on ne peut plus biaisée; voici quelques exemples très élémentaires :

- Il semble admis dans les esprits que les Juifs habitant Gaza, et mêmes certaines parties de Samarie ou de Judée, doivent être déportés à l'intérieur des lignes de cesser-le-feu de 1948, afin de créer des zones "judenrein", mais personne ne se demande pourquoi les arabes vivant à l'intérieur de ces mêmes lignes peuvent, eux, rester où ils sont. C'est très étonnant; voici un nettoyage ethnique (au sens littéral du terme) à sens unique mis en oeuvre par la "communauté internationale", que personne ici ne semble pouvoir remettre en question. La réciprocité n'existe plus.

- Charles Manson, Jack l'éventreur et Ted Buny étaient-ils plutôt des "radicaux" ou des "acivistes"?

- Avant d'irriguer Gaza, d'y construire des maisons, des écoles et tout ce qui permet à des gens normaux de vivre quelque part, les Juifs ont acheté la terre aux Arabes. Pourquoi serait-ce encore à Israël d'indeminiser les habitants transférés?

- ...

- etc...

Ceci pour expliquer qu'Israël a encore bien des progrès à faire en matière de communication pour que l'on puisse parler d'une véritable victoire.

Le pays, c'est vrai, n'a pas été brisé, le peuple a tenu bon au chantage et au meurtre, l'économie reprend et le chômage baisse. Malheureusement, cela ne compense en rien la nouvelle orientation idéologique de l'occident qui vient d'être décrite, et en considérant la propagande arabe, j'ai bien peur que la "paix" au sens franco-allemand du terme ne soit pas pour ces prochaines cinquantes années...

Publié par Ruben le 9 février 2005 à 19:06

Je trouve détestable cette façon de présenter les faits de manière unilatérale. Vous pratiquez de la même façon que les médias que vous dénoncez. Autrement dit, vous vous décrédibiliser totalement !

Alex

Publié par Alex le 11 février 2005 à 13:18

"Je trouve détestable cette façon de présenter les faits de manière unilatérale. Vous pratiquez de la même façon que les médias que vous dénoncez. Autrement dit, vous vous décrédibiliser totalement !"

Quel est le sujet de votre indignation?

Publié par mik le 11 février 2005 à 13:36

Alex, c'est bien gentil à vous de vous soucier de ma crédibilité, mais ne serait-il pas préférable d'expliquer en quoi mon analyse est unilatérale, et donc trompeuse ?

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2005 à 22:10

La victoire militaire de l'Etat Hébreux est une évidence ! Et n'est d'ailleurs nullement mise en doute! Faut-il rappeler(désolé), que la force armée reste un moyen au service de la politique! Et LA question politique reste ouverte (LA difficulté reste là ).

Pour en revenir à l'aspect militaire, je nuancerai « l'efficacité » et la doctrine. Le résultat est là , mais elle reste encrée dans un type de conflit « 2ème vague », avec une combinaison (très occidentale) puissance de feu/technologie est une nouvelle foi mise en avant (sans oublier la formation et la qualité de la troupe). Mais les contraintes de ces types de conflits sont toujours présentes. Vulgarisons par : « On a remplacé le sniper à 300m, par un Apache à 3000m.» Mais « la révolution » des états-majors reste une vue de l'esprit! La nature et la persistance du conflit sont de nature à privilégier l'émergence d'une nouvelle « vision », alors que nous assistons plutôt à l'amélioration de ce qui existe déjà !

COMPLEMENT I : On peut suivre le développement de diverses armes non-létales, par Israël, mais au mieux elle se présente comme un « vitrine » technologique.

COMPLEMENT II : L'aspect partisan est plus que présent sur une majorité de BLOG. Celui-ci, n'est pas différent, il suffit, comme dans la vie, de lire qui dit quoi, pour ce faire une idée (possiblement fausse, sait-on jamais) sur les intervenants ou « partis » en présence. Ici, nous avons à faire à M. Ludovic Monnerat, Lt. Col. Suisse de son état, traitant de : « stratégie, prospective et infosphère ». Le tableau est planté, certes parfois l'on peut noter de la publicité pour du matériel technologique habilement dissimulée ici et là ! Et personnellement, j'attends tjrs la première de la rubrique « cuisine et art culinaire ». Libre à chacun d'interagir, ou de passer sont chemin, cela reste une parole « perdue » dans la cacophonie du web. A chacun de lui porter l'attention et/ou l'importance qu'il souhaite! et de ce prendre au sérieux ou non.

Publié par ZC le 13 février 2005 à 23:26