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31 mai 2006

Pour qui sonne le glas

Le 553e anniversaire de la chute de Constantinople, ce lundi, a inspiré plusieurs colonnes tirant des parallèles avec la situation de l'Europe contemporaine, confrontée à une forte immigration en provenance de pays musulmans. Au détour d'un texte de Paul Belien, on peut ainsi se rendre compte d'un phénomène alarmant sur le plan migratoire :

Many Dutch, however, do not seem to have much confidence in their country's chances of survival. Last year a record number of 121,000 people emigrated from the Netherlands, the largest number ever, while only 92,000 immigrated in. This emigration figure is the highest figure in the entire history of the country so far. The Netherlands is today also the European nation with the highest proportion of emigrants. Since 2003 more people have been leaving the country than entering it. The numbers are rising. In the first quarter of this year 29,000 people left the Netherlands - 5,000 more than in the same period last year.

Bien entendu, le thème de la fuite des cerveaux est connu depuis fort longtemps, et les complaintes européennes en la matière, en raison de l'émigration vers les Etats-Unis, n'ont d'égal que les récriminations de pays d'autres continents pour l'émigration (notamment choisie) vers l'Europe. Cependant, l'accumulation de décisions isolées et motivées par de meilleures conditions de vie ou de plus grandes opportunités ne peut être confondue avec la fuite d'un pays jugé sur une mauvaise pente, et dont l'avenir semble chaque année s'assombrir un peu plus. En sommes-nous là dans plusieurs pays européens ? Est-ce que ce remplacement de citoyens européens partant pour d'autres cieux par des immigrants africains ou asiatiques n'est pas aussi important que le vieillissement de l'Europe ?

On peut donc se demander si la circulation des personnes et celle des idées ne forment pas le cadre d'un gigantesque contre-la-montre, avec pour enjeu la pérennité de ce continent...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h27 | Comments (6) | TrackBack

Revue Militaire Suisse : avril 2006

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement initial, 3 trois articles extraits de l'édition d'avril 2006 ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h09 | TrackBack

30 mai 2006

La menace islamiste en Suisse

Il vaut la peine de feuilleter le rapport sur la sécurité intérieure 2005 que vient de publier l'Office fédéral de la police. On y trouve, exprimé dans un langage prudent, dépassionné par l'ancienneté relative des faits considérés, des jugements alarmants sur les menaces contemporaines, et notamment la menace islamiste. Extraits :

Depuis le début de l'année 2005, une encyclopédie de plus d'un millier de pages circule dans les milieux islamistes. Cette oeuvre intitulée «Appel à la résistance islamique mondiale» a été rédigée par l'idéologue syrien Mostafa Sitmariam Nassar, alias Abou Mossab as-Souri, arrêté au Pakistan fin 2005. Il s'agit du traité le plus complet jamais écrit sur l'idéologie et la stratégie djihadistes. Il appelle tous les musulmans du monde à commettre des actes terroristes contre les Etats européens qui coopèrent, sur le plan politique, avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël contre le monde arabo-islamique.
Il propose un développement tactique de la stratégie djihadiste, partant d'une argumentation complexe du droit islamique. Il développe l'idée que les djihadistes prêts à l'action ne doivent plus constituer des structures de groupe solides et reconnaissables mais, idéalement, agir individuellement ou en petits groupes. D'après lui, il n'est pas nécessaire qu'ils partent vers des zones de combat comme l'Irak: ils doivent agir là où ils se trouvent. Il n'est plus nécessaire non plus qu'ils suivent une formation pour devenir terroristes. Ils doivent agir aussi vite que possible, selon leurs capacités. En 2005, plusieurs attentats terroristes planifiés et exécutés en Europe correspondaient à cette nouvelle tactique.
[...]
Le passage de l'Europe occidentale du rôle de zone de repli et de base arrière à celui de terrain d'opération pour les djihadistes touche aussi directement la Suisse. Elle est également concernée par la nouvelle méthode djihadiste, qui veut que l'islamiste violent ne soit plus forcément originaire de l'étranger, mais agisse de manière inattendue et invisible dans le pays où il vit. Si, à l'avenir, ces deux tendances se confirment, la menace terroriste portant sur la Suisse pourrait augmenter, dans la mesure où elle est un Etat d'Europe occidentale comptant des milieux islamistes actifs.
[...]
L'exemple des attentats de Londres montre qu'il est plus difficile que jamais de repérer les auteurs d'attentats terroristes lorsqu'ils agissent individuellement et indépendamment d'une grande structure d'organisation. Parallèlement à cette tendance à des cellules de terroristes islamistes plus petites agissant dans l'indépendance, il y a eu une mise en avant des justifications idéologiques d'attentats terroristes partout dans le monde. Malgré une grande autonomie de décision et d'action, les terroristes djihadistes peuvent compter sur un réseau transnational de soutien fort de nombreuses connexions, et aussi de nombreux points d'ancrage en Suisse. Les exemples actuels confirment le rôle de la Suisse en tant que base arrière logistique et de propagande et en tant que zone de repli pour les activistes islamistes. Aucune action concrète de préparation d'actes terroristes n'a pu pour l'instant être pleinement prouvée en Suisse, mais la situation de la menace peut changer rapidement et à tout moment.
[...]
Il faut s'attendre à ce que la tendance idéologique du djihadisme que l'on constate aujourd'hui, celle d'un combat mondial et intemporel, mais à mener localement, si possible seul, s'impose. Cette décentralisation fait que les attentats terroristes islamistes sont en principe possibles partout, également en Suisse, qui fait partie du champ d'opération en Europe. Plus les djihadistes agissent individuellement et en fonction de leurs capacités, plus il devient difficile de les identifier avant leur acte.

Difficile d'émettre un signal d'alarme plus clair dans un rapport officiel rendu public. Mais si l'on admet que la Suisse est un "champ d'opération" d'une guerre "sainte", force est d'admettre que nous sommes bel et bien en guerre.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h32 | Comments (36) | TrackBack

29 mai 2006

Désertions et manipulations

Etrange affaire que celle de la BBC quant à son traitement du nombre de militaires britanniques absents sans autorisation du service. Avec le slogan frappant "au moins 1000 désertions" depuis le début de la guerre en Irak, la chaîne a tenté de faire accroire un exode croissant dans les rangs britanniques ; mais plusieurs blogueurs veillaient au grain, et n'ont pas tardé à rétablir la vérité des faits, notamment en puisant dans les archives de la BBC elle-même, pour montrer que les chiffres disponibles écartent toute influence majeure des opérations en Irak. Du coup, la BBC a discrètement revu sa copie, nuancé sa formulation et retiré la signature du texte disponible. Un peu comme si rien ne s'était passé.

Que les blogs jouent le rôle de contrôle qualitatif et déontologique des médias traditionnels n'est pas une nouveauté. Que des médias traditionnels tentent de présenter les absences sans autorisation comme des désertions liées à une opération militaire qu'ils réprouvent n'est pas non plus une nouveauté. Mais l'honnêteté la plus élémentaire consisterait au moins à ne pas essayer de corriger le tir en douce, comme si de rien n'était. La transparence est bien une exigence que le public doit développer vis-à -vis des médias comme d'autres fournisseurs commerciaux. A quand la traçabilité de l'information à travers la mention systématique des sources et des modifications ? :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 11h58 | Comments (5) | TrackBack

27 mai 2006

Le prisme de l'accoutumance

Est-il possible de faire du journalisme de qualité lorsque l'on est juge et partie, lorsque l'on s'est engagé pour une cause et que l'on doit en décrire l'évolution ? Est-il possible de rester avant tout objectif lorsque l'on reste des années au même poste, à mener chaque jour le même combat pour l'imposition de son opinion ? Telles sont les questions que je me pose à la lecture du dernier article d'Alain Campiotti sur l'Irak, dans Le Temps, suite aux déclarations communes de George Bush et Tony Blair. La propension de ces deux chefs d'Etat à admettre des erreurs dans la conduite de la guerre tranche ainsi désagréablement avec l'absence de remise en question dont souffrent leurs adversaires dans les médias tels que Campiotti. Au point que ces derniers sont désormais lancés dans une dérive qui confine à l'accoutumance, sans grand intérêt pour l'exactitude des faits et pour le plus grand tort des opinions publiques, dont les préjugés sont confirmés et le sens critique anesthésié.

Prenons ce texte presque d'anthologie paragraphe par paragraphe.

Des adieux? Tony Blair et George Bush ont peut-être tenu jeudi soir leur dernière conférence de presse commune sur l'Irak. Le Britannique vient de subir une défaite électorale, et le Labour aimerait qu'il parte. L'Américain va en subir une autre dont on mesurera l'ampleur en novembre, et une partie des républicains sont déjà en opposition.

En quoi ceci constitue-t-il un article de fond, et pas un éditorial prolongé sans que le lecteur en soit clairement averti ? Prédire le résultat d'élections ayant lieu dans presque 6 mois revient à tirer des plans sur la comète, pas à faire du journalisme. Prendre ses désirs pour des réalités n'est pas nouveau, que ce soit pour Campiotti ou d'autres journalistes-combattants, mais le précédent de 2004 devrait inciter à la prudence.


Le salaire de la guerre est lourd: les deux hommes qui l'ont voulue sont des «lame ducks», comme dit l'anglais, des canards boiteux qui n'ont plus guère prise sur les événements. Si l'Irak trouve une forme de stabilisation, ils ne seront plus en mesure de s'en féliciter derrière les pupitres du pouvoir.

Le propre d'un chef d'Etat est d'avoir toujours prise sur les événements ; le développement de la situation en Iran pourrait contredire brutalement Campiotti, tout comme l'initiative de George Bush sur la surveillance de la frontière sud le condredit déjà . Admettons que Tony Blair ait une marge de manoeuvre bien plus restreinte ; de telles affirmations, absolues et déconnectées des faits, relèvent également de l'éditorial polémique. Quant à une "forme de stabilisation" pour l'Irak, on se demande bien ce que Campiotti veut dire. Une forme de stabilité aurait un sens.


Mais jeudi, dans les velours de l'East Room à la Maison-Blanche, les deux chefs de guerre - Blair rentrait tout juste de Bagdad - ont fait une nouvelle tentative pour convaincre leurs opinions rétives que la poursuite de l'effort militaire et financier était indispensable. Le message s'adressait surtout aux Américains: ils ont plus confiance dans la parole du lieutenant britannique que dans celle de leur propre président. Et à 1h du matin à Londres, il ne devait pas y avoir grand monde devant les écrans.

Tout ceci a-t-il un sens ? Pourquoi parler d'une audience-cible avant tout américaine pour ensuite mentionner l'heure de Londres ? Et comment fonder une affirmation selon laquelle le public américain accorde davantage de crédit à Blair qu'à Bush ? Est-ce que des enquêtes fondent cette assertion ? De plus, est-ce que les opinions sont si rétives que cela ? En étudiant ces chiffres, issus des derniers sondages US, on obtient une image bien plus nuancée, avec un public critique à l'égard du président Bush, mais loin de refuser l'effort entrepris en Irak et d'exiger le départ immédiat des troupes.


Pour obtenir ce résultat, George Bush et Tony Blair avaient choisi un registre inédit: une sombre humilité. Leur prestation ressemblait à une cérémonie des aveux. Non pas l'admission que la guerre fut une erreur. L'utilité de renverser le régime de Saddam Hussein est toujours au cœur de leur conviction. Ils étaient humbles sur les fautes commises. Manière de répondre à tous ceux (beaucoup de démocrates aux Etats-Unis) qui n'ont au départ pas désapprouvé l'intervention armée, mais se sont déchaînés contre l'exécution quand les choses ont mal tourné.

On pourrait dire que l'humilité n'est pas le propre du très militant Campiotti, à de rares et éphémères exceptions près. Nous sommes ici au coeur du problème : il est juste, légitime et souhaitable de critiquer la conduite de la guerre et la décision de lancer l'opération en Irak, mais il est malhonnête de passer sous silence ses propres prédictions apocalyptiques en la matière et donc de s'ériger en juge indépendant et intègre. Que fait Campiotti de son affirmation du 9 juin 2004 selon laquelle "La force multinationale devra avoir quitté l'Irak dans dix-huit mois au plus tard" ? Ne voit-on pas à quel point mélanger journalisme et militantisme est néfaste ? Enfin, comment peut-on dire que les choses ont "mal tourné" si toutes les hypothèses catastrophiques avancées pour s'opposer à cette opération ne se sont pas réalisées ?


Le Britannique était le plus direct. Ce qui se passe en Irak chaque jour est «horrible», convient-il. Ce qui s'est produit après la prise de Bagdad était prévisible, mais n'avait pas été envisagé, alors que «ç'aurait dû être évident pour nous». En disant cela, Tony Blair plaidait sa cause. C'est le Pentagone qui dirigeait la manœuvre, c'est lui qui a décidé l'expulsion de leurs fonctions de tous les membres du parti Baas et le démantèlement de l'armée, sur les bons conseils d'Ahmed Chalabi. Cette politique de la table rase, alors qu'aucun plan sérieux de remplacement n'avait été préparé, a fourni un formidable aliment à la résistance contre l'occupant.

Voyez comme l'explication est commode : le Pentagone, officine diabolique s'il en est, porte toute la responsabilité. Mais les faits soint autres : la décision de licencier l'armée irakienne de Saddam a été prise personnellement par Paul Bremer, tout comme l'exclusion des baasistes ; et rares sont ceux qui s'aventurent à décrire les conséquences de décisions inverses, au lieu de les invoquer superficiellement comme des erreurs grossières. Enfin, comment expliquer ce terme d'occupant alors que voici presque 2 ans que les résolutions de l'ONU légitiment la présence militaire internationale en Irak, et que les gouvernements successifs ont demandé sa continuation ? De tels travers sont indignes de tout travail journalistique.


L'Américain, lui, comprend maintenant la consternation et la colère de ses concitoyens qui voient chaque jour les images de massacres à Bagdad. Il dit que le coup le plus terrible porté à l'entreprise fut l'affaire de la prison d'Abou Ghraib, «que nous paierons longtemps».

Voilà : le président "comprend", il "suit" enfin la ligne que les médias imposent en donnant une vision tronquée, biaisée et intéressée de l'opération en Irak. Mais Campiotti prend encore ses désirs pour des réalités : si Bush juge Abou Ghraib aussi néfaste, c'est bien parce qu'elle a fourni de vraies munitions aux adversaires acharnés de cette opération, et donc eu un impact clair sur l'opinion publique américaine. Moyennant quoi celle-ci n'est pas spécialement en colère ou consternée : où seraient dans ce cas les manifestations et les protestations incessantes, alors que les Américains au contraire se sont largement habitués à cette guerre qui reste lointaine et dont les coûts humains et financiers semblent limités ?


Et il s'en veut de son propre vocabulaire, que Laura lui a déjà reproché. Il n'aurait pas dû dire «bring'em on» (amenez-les moi), ou qu'il voulait Ben Laden mort ou vif. Ce rude langage texan, admet-il, est «un mauvais signal».

Une fois de plus, Bush est placé dans la position de l'imbécile qui "admet", qui "comprend", qui "s'en veut", face à ses critiques qui avaient raison depuis le début. Est-ce une manière objective et raisonnable de présenter le discours d'un chef d'Etat ? Est-ce que cela ne relève pas davantage de la vendetta personnelle ?


Ces aveux ne sont pourtant pas un recul. Les deux hommes défendent toujours leur décision. Et Tony Blair, vendredi matin devant les étudiants de la Georgetown University, a répété que le reste du monde avait désormais le devoir d'aider le nouveau gouvernement irakien contre les poseurs de bombes. Seuls, les deux alliés n'y arrivent pas.

Nous voilà donc un peu plus près de la réalité : Bush et Blair concèdent des erreurs, mais ne renient rien sur le fond, et ramènent au contraire le débat sur la réalité de l'Irak, sur un Etat incertain où naissent dans la douleur une démocratie inédite et une économie libérée. Mais c'est justement une perspective qui n'intéresse pas Campiotti : tout doit être ramené à la décision d'envahir l'Irak, tout doit servir à justifier la position que lui-même a passionnément défendue, et qui reste éminemment contestable au vu de l'opinion des Irakiens comme de la morale. On reste scotché à un débat vieux de presque 4 ans, comme si rien ne s'était passé dans l'intervalle.


Il n'y a toujours pas de calendrier de retrait, même si le Britannique croit «possible» le contrôle du pays par les forces irakiennes dans dix-huit mois. Les reporters sur place en sont moins sûrs: la myriade de groupes politiques armés est le principal facteur d'insécurité.

On finit sur la même note : ce retrait annoncé maintes fois par Campiotti n'a toujours pas lieu, et ce dernier en est réduit à invoquer des "reporters sur place", dont une bonne partie sont calfeutrés dans leurs chambres d'hôtel faute de pouvoir faire leur métier, pour appuyer ses dires, pour trouver des arguments fondant une opinion apparaissant au gré de ce "toujours pas" si révélateur.

Conclusion : qu'un homme intelligent comme Alain Campiotti sombre pareillement sur le plan déontologique témoigne à mon sens d'une accoutumance, d'une disposition sans cesse plus impérieuse à projeter ses opinions, ses convictions et ses aspirations sur les événements, au lieu d'essayer d'abord de les décrire honnêtement et sans fioritures. Le lecteur du Temps, à la place d'un article de fond, se trouve ainsi confronté à une interprétation des discours de deux chefs d'Etat, et non à un résumé ou à une mise en perspective complétés par un éditorial qui, lui, autoriserait l'expression d'opinions personnelles. La question de l'Irak, ces prochaines années, sera peut-être vue comme un tournant dans la crédibilité des gouvernements et des médias, comme une lutte de perceptions dont l'ensemble des protaganistes sortira perdant.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h03 | Comments (11) | TrackBack

26 mai 2006

La fluctuation des perceptions

C'est un truisme parfois sous-estimé de dire qu'un conflit existe à partir de l'instant où un acteur donné se sent en conflit ; de même, aucun belligérant n'est défait aussi longtemps qu'il ne reconnaît pas sa défaite et continuer d'exister - une réalité essentielle au dénouement des conflits de basse intensité. En d'autres termes, les perceptions des enjeux jouent un rôle déterminant dans le déclenchement, la conduite ou l'interruption d'un conflit, de sorte que leur évolution est un indice prioritaire. Et le conflit majeur de notre ère, la lutte à mort entre les démocraties libérales et l'intégrisme musulman (faute d'espace pour cohabiter sans grande interaction), voit justement une évolution différenciée au sein du monde occidental - et souvent à l'inverse de l'effet recherchée par les dirigeants politiques.

Aux Etats-Unis, les sondages relativement peu flatteurs pour le président Bush ne sont en effet pas une condamnation de sa politique étrangère et de sa conduite de la guerre, mais bien la conséquence d'une attention réduite pour celles-ci - tout comme avant le 11 septembre 2001 ; comme l'indique cette analyse, la population américaine s'est focalisée au fil des mois sur les enjeux de politique intérieure, et l'Irak ou l'Afghanistan importent moins que le prix du carburant ou la polémique sur les mesures visant à lutter contre l'immigration illégale. Il ne s'agit pas que d'une tendance bien connue à l'isolationnisme des Américains, peuple traditionnellement peu versé dans la connaissance du monde ; il s'agit aussi d'une normalisation des enjeux, de la tolérance envers des conflits lointains dont les pertes restent somme toute faibles. Une moitié d'entre eux continue d'ailleurs de prôner le maintien des troupes US en Irak.

En Europe, où les opérations militaires lancées après le 11 septembre sont souvent décrites comme des aventures évitables, on assiste à une évolution contraire des perceptions, à une augmentation des enjeux. Sur le plan extérieur, l'élargissement des tâches de l'OTAN en Afghanistan et l'intérêt accru des islamistes pour ce pays, après les déceptions subies en Irak, fait que les Européens sont de plus en plus engagés dans un conflit de basse intensité et commencent à s'en rendre compte, avec les effets potentiels sur leur opinion publique ; on notera d'ailleurs que les pertes non américaines en Afghanistan commencent à approcher celles subies par les Etats-Unis en Irak, proportionnellement au nombre de troupes bien entendu (7 morts en mai pour 15'000 militaires non US, contre 59 pour 150'000 pour les unités US engagés dans OIF). Ceci n'est pas une surprise : l'Afghanistan n'est qu'un secteur d'engagement parmi d'autres dans le cadre d'une guerre planétaire, et l'argumentaire développé contre l'intervention en Irak ne peut rien face à cette réalité.

Sur le plan intérieur, la perception d'une menace semble claire au regard de ce sondage réalisé en Allemagne, et qui est concordant avec d'autres enquêtes menées ailleurs en Europe : la méfiance accrue envers la minorité musulmane se double d'une conviction plus large d'être entré dans un conflit inévitable, fondé avant tout sur des motifs religieux. Les tentatives de l'UE pour édulcorer le vocabulaire et masquer les divergences d'intérêt se heurtent donc à des perceptions déjà clairement forgées, et certains événements récents - attentats de Londres, violences suite aux caricatures de Mahomet - ainsi que certains événements constants - « crimes d'honneur », arrestations d'islamistes suspectés de terrorisme - concourent à orienter ces perceptions dans un sens toujours plus conflictuel.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h41 | Comments (6) | TrackBack

25 mai 2006

Le spectre des U-Boote

Saint-Nazaire.jpg

De passage à Saint-Nazaire, dimanche dernier, j'ai eu la possibilité de visiter le port, afin de voir de plus près le lieu où s'est déroulé l'opération "CHARIOT" menée par les commandos britanniques en 1942, mais aussi de contempler la base sous-marine construite par les Allemands, élément-clef de la bataille de l'Atlantique. L'aspect toujours redoutable de ce bunker géant tranche avec la quiétude qui régnait ce jour-là sur le port breton...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h31 | Comments (1) | TrackBack

Les aspects militaires du soulèvement de 1832

La dernière communication de la journée a été présentée par Thérèse Rouchette, présidente de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique.

En 1832 devait se produire le soulèvement de Vendée théoriquement le mieux organisé sur le plan militaire, à l'instigation de la duchesse de Berry, princesse de la maison de Bourbon, avec comme commandant en chef le maréchal de Bourmont, qui avait rejoint Louis XVIII à la veille de la bataille de Waterloo. Cependant, l'articulation minutieuse du commandement se heurtait au fait que les forces royalistes - c'est-à -dire légitimistes - se résumaient à des bandes armées jouant un rôle mineur et que leur recrutement se faisait parmi des conscrits réfractaires. Par ailleurs, les communications étaient difficiles entre l'Italie, là où résidait la duchesse, un deuxième cercle légitimiste à Paris, et un comité à Nantes ; le maréchal s'était en outre installé en juillet 1831 à Nice. De plus, les chefs n'étaient pas toujours à la hauteur, parfois obligés de vivre dans la clandestinité, parfois privés de toute expérience. Le 24 septembre 1831, une conférence entre les chefs et les généraux révèle en outre les dissensions entre eux, sans que cela aboutisse à des trahisons.

L'intervention directe de puissances étrangères n'était pas souhaitée. Les lacunes béantes du plan étaient censées se voir compensées dès les premières prises d'armes, par des ralliements spontanés de troupes régulières. Mais il n'existait pas d'enthousiasme en Vendée pour un nouveau soulèvement. Le débarquement de la duchesse était prévu pour le 3 octobre 1831, il aura lieu le 29 avril 1832. Le lendemain, seules 60 personnes se sont rassemblées à Marseille en guise de soulèvement. La duchesse part néanmoins pour la Vendée, où a été donné l'ordre du soulèvement aux 3 et 4 juin, mais tous les plans furent découverts le 27 mai lors d'une perquisition ; ainsi s'acheva cette tentative fondée sur la théorie et l'illusion. On n'était plus en 1793, lorsque le soulèvement était mu par la population ; en 1830-32, la cause de Dieu n'était plus assez menacée pour entraîner un soulèvement.

Commentaire du scribe : cet essai d'insurrection peut prêter à sourire ; il n'en demeure pas moins que bien des actions militaires ont été fondées sur des illusions, sur des préjugés et sur des croyances irrationnelles. La connaissance du terreau humain, dans lequel prospèrent ou disparaissent les idées, est ainsi la condition sine qua non de toute opération reposant au moins partiellement sur le soutien populaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h42 | TrackBack

1805 : le soulèvement qui n'a pas eu lieu

La sixième communication de la journée a été présentée par Frédéric Augris, membre de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique et du Souvenir Vendéen.

En 1796, le général vendéen Forestier décide de partir à l'étranger - et quitte son armée d'Anjou devenue fantômatique - afin d'obtenir un soutien, et rencontre en Angleterre le duc de l'Orge ; ils établissement un plan, qui sera approuvé par le comte d'Artois, en vue d'un nouveau soulèvement en Vendée, et si possible également la Bretagne et le Bordelais, avec Forestier prévu pour diriger l'armée de Vendée et le duc de l'Orge l'armée de Guyenne. Dès 1797, une réunion des forces royalistes via des sociétés secrètes se produit en Guyenne, et des actions visant à développer cela dans tous les départements sont menées en Suisse avec le soutien de l'Angleterre.

Tout est prêt en 1798-1799, et une tentative de soulèvement est menée en Vendée avec environ 1000 hommes par le général Forestier ; le soutien est limité, car le comte d'Artois - faute de moyens - ne donne pas l'ordre pour le déclenchement de l'insurrection. L'arrivée victorieuse des armées françaises en Suisse interromp le fonctionnement des sociétés secrètes ainsi que le financement via l'Angleterre et son agent en Suisse, lord Wickham. Forestier sera très gravement blessé fin 1799, alors que l'insurrection devient massive en Vendée, mais ceci n'est qu'un feu de paille et l'armistice est signé en 1800.

L'idée néanmoins demeure : il est possible de soulever une nouvelle fois l'Ouest, via les sociétés secrètes (les réseaux philanthropiques), mais avec davantage de prudence. Henri Forestier revient en 1803, avec l'aide du général de brigade Elie Papin, et met en place un second réseau de financement secret passant par l'Espagne, à travers ce que l'on nommerait aujourd'hui les valises diplomatiques anglaises. Des armes et des munitions sont transportées en Vendée par le biais du commerce de vins et liqueurs basé à Bordeaux. Mais le complot a été découvert : durant l'été 1804, la gendarmerie trouve curieuses les allées et venues de certains officiers vendéens, et les arrestations se multiplient ; les noms des principaux officiers impliqués sont révélés, le réseau découvert à Bordeaux (une armée secrète comptant jusqu'à 30'000 hommes, strictement organisés et inspectés). Tout s'écroule.

Henri Forestier décide cependant en janvier 1805 de tenter le coup, en envoyant son second - le chevalier de Céris - sur le continent. La population de Vendée est préparée à la révolte, mais Fouché laisse traîner le procès du complot pour trouver les têtes. Au printemps 1805, le début de l'insurrection inquiète, des bandes armées se constituent, et la présence de plusieurs chefs est signalée ; mais aucun plan précis n'existe, des attaques isolées se multiplient pendant 2 ans, et petit à petit tout est étouffé, le volcan n'explose pas. Les soldats se mobilisaient au nom d'Henri Forestier, mais ce dernier est mort assassiné en 1806. Tout ne va cependant pas être perdu : le 12 mars 1814, le duc d'Angoulême entre à Bordeaux et est accueilli par des partisans royalistes, qui sont des membres des sociétés secrètes organisées en vue de ces insurrections.

Commentaire du scribe : ce récit des manœuvres visant à provoquer un soulèvement rappelle les difficultés à prendre le pouvoir dans un Etat qui contrôle de plus en plus fermement la force et l'information. Un soutien extérieur souvent ne suffit pas, mais une intervention militaire court le risque de voir les insurgés passer pour le parti de l'étranger. Ce problème de légitimité et d'identité se pose également de nos jours.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h35 | TrackBack

24 mai 2006

La dimension maritime des guerres de Vendée

La cinquième communication de la journée a été présentée par Paul Roger, docteur en histoire de l'Université de Nantes. Elle aborde une composante méconnue du conflit : les actions en mer des différents acteurs, entre républicains, Vendéens, royalistes immigrés et Anglais.

L'absence d'un véritable affrontement naval au cours des guerres de Vendée fait que leur dimension maritime est peu connue. Il peut paraître étonnant que les Vendéens n'aient pas songé à se doter de navires de guerre ; ils n'ont pas non plus cherché à conquérir et à tenir fermement un port permettant la réception de troupes et de munitions. Les Vendéens sont coupés du reste du monde par la Loire, et les ports de Nantes, Painboeuf, St-Gilles et Sables d'Olonne restent en mains des républicains.

Le 1er février 1793, la Convention déclare la guerre à l'Angleterre et à la Hollande. La marine reçoit comme mission majeure et ambitieuse l'invasion de l'Angleterre, soit en faisant directement voile sur les côtes anglaises, soit en s'attaquant indirectement aux colonies anglaises, ce qui rend nécessaire l'armement rapide d'une flotte de haute mer. Le soulèvement de la Vendée a un effet immédiat sur l'organisation militaire républicaine : les troupes basées à Brest en vue de l'invasion sont chargées de réprimer l'insurrection, et une flotte est formée pour croiser aux larges des côtes et empêcher tout débarquement et renfort possible par mer. Des opérations amphibies sont montées pour reprendre des ports, dont Noirmoutier. De ce fait, l'insurrection vendéenne a eu une influence considérable sur l'emploi de la marine, et sur la mobilisation navale exigée pour la lutte contre l'Angleterre. Les localités de Vendée menacées par les insurgés demandent ainsi l'appui de la marine républicaine, sous forme de canons, munitions, vivres et hommes.

En 1794, l'anéantissement de l'armée catholique et royale à Savenay modifie la nature des opérations militaires, et le danger pour la république réside toujours dans les difficultés d'approvisionnement pour ses ports. Les Vendéens engagent un blocus intérieur qui vient se superposer au blocus extérieur, et toujours plus dur, mis en place par l'Angleterre contre les ports de l'Atlantique.

Les préparatifs d'un débarquement d'immigrés royalistes au sud de la Bretagne, avec une centaine de transports escortés par des navires anglais, est un autre événement maritime majeur ; il se produit le 25 juin 1795. La marine de la république, la Royal Navy et l'ancienne marine royale sont mobilisées par cette opération et les mesures prises pour s'y opposer. Finalement, la bataille de Quiberon a été un désastre, et de nombreux officiers royalistes ont été tués.

L'expédition de l'île d'Yeu découle du désastre de Quiberon. Le gouvernement britannique, décu par son expédition en Bretagne, se tourne vers les Vendéens pour trouver un port permettant de débarquer en sûreté. Le comte d'Artois participe à l'expédition et espère joindre rapidement Charette ; il perd néanmoins 12 jours pour entraînement les manœuvres de débarquement. Les républicains en profitent pour se renforcer. Le 30 septembre, le comte d'Artois débarque à l'île d'Yeu en ignorant que Charette a été battu 2 jours plus tôt et son armée dispersée. Le 18 novembre 1795, le comte d'Artois s'en retourne en Angleterre, faute d'avoir pu débarquer afin de venir en aide aux Vendéens ; il met sur le compte des Anglais cette décision. La résistance vendéenne avait toutefois fléchi, et le pouvoir républicain contrôlait mieux la situation ; les Anglais avaient 6000 hommes et 50 canons sur l'île d'Yeu, mais ne se sentaient pas en sécurité parmi les 1500 immigrés débarqués. Cet épisode a en fait empêché de constituer sur l'île d'Yeu une base d'attaque pour les troupes anglaises et royalistes.

De ce fait, la dimension maritime des guerres de Vendées a pris une forme particulière d'intervention, apparentées au blocus des ports de l'Atlantique, conséquence des relations entre la France et l'Angleterre. Le soulèvement vendéen semble une manière pour les Anglais de contrecarrer les excès de la révolution, d'où l'engagement massif - 5 escadres - pour l'expédition de Quiberon. Le cours de la Loire est resté libre, mais le blocus anglais a contribué à l'impréparation de la marine de la République aux affrontements subséquents et réels avec l'Angleterre.

Commentaire du scribe : bien que Charette fut officier de marine, les Vendéens n'ont pas cerné la dimension stratégique du conflit ; il est vrai que les Anglais n'étaient pour eux que des alliés de circonstance. Cette cécité s'est pourtant avérée fatale, parce que les Vendéens n'ont jamais eu de sanctuaire, de bastion inexpugnable et de refuge hors de portée, pour assurer la pérennité de leurs entreprises - alors qu'il s'agit d'une condition pour le succès de toute insurrection.

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Jomini, analyste des guerres de Vendée

La quatrième communication, en fin de matinée, a été présenté par Bruno Colson, professeur aux Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix à Namur ; elle revêtait un intérêt tout particulier pour le spectateur helvète, étant donné que le chercheur belge est l'un des grands spécialistes contemporains de Jomini, et qu'il n'a manqué de décrire l'origine broyarde de ce dernier.

L'objectif de Jomini reste inchangé : il s'agit de décrire les événements dans le but d'en tirer des principes. Il étudie les guerres de Vendée sans être venu sur le terrain, mais sur la base de ses lectures et des témoignages recueillis ; il commence par décrire le théâtre de la guerre - il perçoit d'abord la guerre en terme d'espace - et affirme que le pays vendéen diffère des autres régions de France, à la fois sur le plan géographique et sur le plan de la population ; un pays labyrinthe pour tout autre que ses habitants. Il énumère les causes des succès vendéens : fanatisme religieux, respect pour les chefs, inexpérience des premiers adversaires, mésintelligence entre généraux républicains. Le soldat vendéen est fin tireur, audacieux, fort capable de harcèlement ; un chef comme Bonchamp avait le génie d'un grand capitaine.

Pour Jomini, la ligne centrale de la Loire était la clef de tout le théâtre de la guerre ; pour les républicains, la tenir permettait de couper la Bretagne de la Vendée, alors que pour les royalistes, elle permettait de conserver l'accès à la mer et d'utiliser le fleuve. Jomini analyse la guerre de Vendée en suivant ses propres critères de la grande guerre, étudie l'évolution des opérations en fonction de sa vision de la guerre. Les chefs républicains ont oublié l'absence d'unité de commandement (armées de Canclaux et de Rossignol), d'après Jomini, mais il recourt à des schémas géométriques pour donner la solution au plan républicain, comme acculer les insurgés dans le cul-de-sac de Pornic. L'erreur de la division des forces sera corrigée à l'instigation de Carnot par le Comité de salut public. A l'issue de 1793, Jomini met néanmoins les chefs vendéens au-dessus des chefs républicains, tel La Rochejacquelein.

Du point de vue républicain, la guerre visant à soumettre un pays oblige à disperser les troupes, ce qui est difficile et expose à des défaites locales. Dans son histoire critique des guerres de la révolution, Jomini insiste sur la concentration des forces et l'unité de commandement, mais est également horrifié par les violences commises. Dans son précis de l'art de la guerre, il rangera ensuite les guerres de Vendée dans les guerres nationales, tout comme le soulèvement des Espagnols et des Tyroliens contre Napoléon - les guerres les plus redoutables de toutes, une guerre faite à une majorité d'une population animée par le noble feu de l'indépendance. Il ajoute donc des réflexions qu'il n'avait pas formulées initialement, notamment en raison de son expérience en Espagne ; il a compris les difficultés d'une armée régulière dans une guerre nationale.

Pour lui, deux facteurs favorisent la résistance nationale : la proximité de la mer et sa domination par une puissance alliée, ainsi que la nature même du pays. La tâche d'un général commandant une armée est difficile, surtout lorsque la population est appuyée par un noyau de troupes disciplinées. Quels sont les moyens de réussir ? Déployer une masse de forces proportionnée à la résistance et aux obstacles ; user du temps comme d'une arme ; déployer un grand mélange de politique, de douceur et de sévérité.

En définitive, Jomini a d'abord analysé les guerres de Vendée comme les autres campagnes de la révolution, en fonction de sa réflexion théorique (théâtre, clef du pays, ligne de communication, concentration), puis ajoute des éléments politiques qui ne sont cependant pas développés. Il reste attaché aux opérations régulières, entre armées organisées.

Commentaire du scribe : cette analyse de Bruno Colson montre bien pourquoi les armées ont tant de difficultés à réussir une opération de contre-insurrection ; elles ont une tendance irrépressible à penser les termes même du conflit en fonction de principes, de formules et même d'un vocabulaire hérités des opérations de combat classiques. Il est vrai que, à l'époque de Jomini, les conflits de basse intensité semblaient évitables, et que la primauté des conflits de haute intensité était incontestée.

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Deux attaques républicaines manquées

La troisième communication de la journée d'études sur l'histoire militaire des guerres de Vendée, présentée par l'abbé Chantreau, membre de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique, a porté sur deux attaques des troupes républicaines sur la ville de Legé, les 30 avril et 5 mai 1793.

Ces deux attaques se sont inscrites dans un plan d'ensemble et ne sont pas des actions isolées ; leur échec est digne d'intérêt. Les troupes républicaines sont commandées par des anciens officiers de l'armée royale. Les chefs des insurgés vendéens ont la même origine, la même formation et la même expérience, et parfois fraternisent avec eux, mais leurs troupes sont des paysans qui retournent à domicile après les batailles.

Les opérations que les armées républicaines ont à mener au sud de la Loire visent à maintenir l'ordre en pays insurgé, et elles évolueront ensuite en guerre de répression (Turreau) puis de pacification (Hoche). Il n'y a pas de jacquerie en Vendée, et les habitants ont initialement bien accueilli la Révolution ; mais les événements de la Révolution ont ensuite suscité la révolte. Dès 1792, la guerre ne fait plus de doute dans l'esprit de plusieurs dirigeants, et elle promet d'être cruelle, car ce sera une guerre de religion.

Legé est entré en révolte le 11 mars 1793, le lendemain de l'annonce de la levée de 300'000 hommes en France. Il s'agit d'une place importante, en plein pays insurgé, positionnée sur une colline mais non fortifiée, encadrée par des forteresses distantes ; elle se trouvait sur la route royale Nantes - Les Sables, avec deux chemins qui la traversaient, de sorte que tenir Legé permettait d'empêcher toute communication entre la côte et l'Ouest.

Les attaques de Legé se sont soldées par un échec. Dans la nuit du 29 au 30 avril, une colonne de 600 hommes - dont 40 cavaliers et 2 canons - part s'emparer de Legé ; mais le chemin n'a pas été assez reconnu, notamment le passage d'un gué. Le chef vendéen Charette a été averti de l'arrivée de la colonne républicaine sur des grands chemins par des paysans, et il prend position sur une hauteur dominant le gué des Boulains ; il dispose d'environ 1500 hommes. Les insurgés commencent par être bousculés par les républicains qui ont traversé, mais sont regroupés par Charette, puis parviennent à repousser les républicains qui laissent leurs 2 canons en prenant la fuite. Les causes de l'échec républicain sont l'absence de renforts, le chef du détachement prévu à cette fin ayant reçu le plan de bataille après le déroulement de celle-ci, mais aussi la reconnaissance insuffisante du terrain, et le fait que les troupes avaient parcouru 20 km avant d'arriver au gué.

Par la suite, Charette veut poursuivre l'ennemi mais doit affronter une révolte des paysans, qui ne veulent pas s'éloigner de leurs habitations, et une avancée sur Machecoul s'achève par le désordre et le repli face aux dragons républicains.

Le général Canclaux, arrivé le 1er mai, réunit dans l'intervalle les armées républicaines et préparent l'investissement de Legé par 4 colonnes différentes, chacun comptant entre 600 et 1300 hommes. Elles arrivent à Legé le 5 mai à 11 heures du matin, après un signal de l'attaque déclenché par deux salves de canons. La résistance est inexistante, et on renonce à faire des prisonniers, sinon des chefs ; 20 soldats républicains sont libérés dans l'hôpital. Dans l'après-midi, on renonce à poursuivre Charette et on décide de laisser une garnison de 300 hommes et 2 canons, mais la troupe se rend vite insupportable, malgré les ordres allant dans le sens inverse. Le jeudi 9 mai, la garnison quitte Legé, et le soir même Charette rentre à Legé où il choisit d'établir son quartier-général.

Commentaire du scribe : ces premières attaques infructueuses menées par des troupes régulières recherchant un combat frontal et décisif avec des troupes irrégulières résument les difficultés de la contre-insurrection ; difficulté à trouver l'ennemi et à le forcer au combat dans des conditions favorables, difficulté à connaître le terrain et à l'exploiter au mieux, difficultés à tenir le pays et à s'appuyer sur la population. L'application des manœuvres militaires conventionnelles, dans une telle situation, mène inévitablement à l'échec.

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23 mai 2006

Du terrorisme islamiste en Suisse

La normalité de la Suisse en matière de lutte contre le terrorisme islamiste a reçu une confirmation exemplaire, si l'on croit les révélations du Blick : le coup de filet mené dans les milieux islamistes le 12 mai dernier à Bâle et à Zurich a mené non seulement à la capture de plusieurs individus soupçonnés de préparation d'acte terroriste, mais également à la saisie d'un lance-roquettes de type RPG-7 apparemment venu de Tchétchénie. La participation des réseaux islamistes algériens à la mouvance Al-Qaïda étant connue depuis longtemps, et la découverte d'un projet d'attentat contre un avion de ligne El Al ne surprend guère. Cependant, le fait que cette information ait apparemment été fournie par l'informateur du service d'analyse et prévention auprès du Centre islamique de Genève montre que cette action a été plus efficace que jugé initialement. Même si les zones d'ombres restent fort nombreuses.

Il n'en demeure pas moins que l'on a semble-t-il prévenu un acte terroriste sur territoire helvétique. En tant que telle, une arme antichar rustique comme le RPG-7 peut paraître insignifiante, et effectuer un tir réussi sur un avion de ligne en phase de décollage suppose non seulement un accès rapproché à la piste, mais également un tir d'une précision certaine. Cependant, même une tentative manquée aurait déjà des effets considérables, étant donné l'identité de la compagnie d'aviation visée, la représentativité de la cible et la nouveauté de l'acte en Suisse. Et l'infiltration d'une arme de guerre en provenance de l'est, conjuguée à son stockage discret, soulignent la dimension sociétale des conflits modernes, l'impossibilité de mettre en oeuvre des mesures de sécurité totalement efficaces, et partant la nécessité de compléter celles-ci par des actions offensives - comme par exemple l'emploi d'agents infiltrés dans les milieux islamiques.

Espérons que les arrestations et les enquêtes menées en Suisse feront davantage prendre conscience des menaces qui nous touchent, et que les services de sécurité recevront le soutien qu'ils méritent de la classe politique.

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Les premiers troubles en Vendée

Décrivant les événements entre l'automne 1791 et l'hiver 1792, le professeur Jean-Pierre Bois a présenté la deuxième communication de la journée. En 1791, une armée est mobilisée pour tenir la Vendée, pays sur le point de se révolter mais qui ne passe pas encore à l'acte. La perception de la situation est analysée d'après la perspective du général Dumouriez (autorité militaire) et de Gensonné (autorité civile).

La Révolution crée les guerres de Vendée. Le général Dumouriez est nommé en Vendée en août 1789, afin de rétablir l'ordre dans une région troublée, avec une force armée de 12 bataillons et 6 escadrons, soit quelques milliers d'hommes. Quels sont les troubles qui rendent nécessaires l'envoi d'un militaire ayant de très larges pouvoirs ?

L'agitation dans le courant l'année 90 s'est peu à peu apaisée, mais plusieurs événements raniment l'agitation - la Constitution civile du clergé, l'absence de réaction à cette constitution, la qualification du serment et la condamnation par le Pape. C'est à l'instant précis où l'on exige des prêtres le serment que commencent les troubles ; la fureur est issue des Français de base. Lors du changement d'évêque, les troubles ont débuté - avec violences - en avril 91, nourris et entretenus en-dessous des évêques par le grand vicaire, les missionnaires du St-Laurent. Le sang coule, un prêtre constitutionnel est blessé en avril ; une émeute contre l'élection d'un maire se produit en mai, les Dragons interviennent et font 4 morts.

La Constituante désigne Dumouriez le 1er avril pour rétablir l'ordre dans l'ouest, mais le général n'arrive à Nantes que le 19 juin (après être parti le 16) : il cherche à savoir dans quelle direction souffle le vent, attend à Paris l'événement qui va relancer la révolution - et faute de le voir venir finit par faire ses bagages. Dumouriez s'impose fin juin pour prendre la direction des événements dans toute sa région militaire ; il agit en homme de guerre, s'intéresse à sa troupe (inspections, réorganisations, rétablissement des hommes et du matériel), notamment sur le plan de l'armement et de l'équipement. Il se soucie de l'artillerie (14 canons disponibles à Nantes, 12 à La Rochelle), remet en route une fonderie pour produire des boulets. Il prépare une armée capable d'intervenir pour le rétablissement de l'ordre, mais il n'a pas à la faire agir dans l'immédiat.

L'Assemblée envoie ensuite 2 commissaires civils (Gallois et Gensonné), chargé d'inspecter, de conseiller les autorités ; le 29 juillet, ils rencontrent Dumouriez et sympathisent. Dumouriez et Gensonné ont le souci de ne pas commettre l'irréparable, d'en rester à une mission de maintien de l'ordre, de ne pas déclencher une guerre civile. Ils se déplacent dans la région, observent les événements, conseillent les autorités, dans le sens de la tolérance ; comme le fait d'accepter le service des deux cultes - avec et sans serment. Les autorités civiles prennent cependant des décisions dans un sens hostile aux prêtres n'ayant pas prêté serment. Dumouriez montre sa force, mais n'a pas à agir ; les priorités changent. D'autres événements se produisent, dont le passage de l'Assemblée constituante à l'Assemblée législative ; les élections pour la législative occupent Dumouriez, qui surveille les élections à Nantes - une action politique plus importante que l'action militaire.

En octobre, Dumouriez reprend l'action militaire, montre sa troupe et évite de l'utiliser : il n'a pas confiance en elle (il ignore si ses membres seront plutôt des futurs contre-révolutionnaires ou s'ils seront des partis d'une révolution qui va se radicaliser), la disloque en petites unités pour éviter que l'armée ne se transforme en force politique. La tactique fonctionne, mais uniquement parce que les événements de la fin 1791 ne sont plus les mêmes (insurrection de Saint-Domingue, puis menace de guerre avec les puissances étrangères). Dumouriez part à son tour, constatant qu'il a réussi dans sa mission, étant très inquiet (Gensonné dit la même chose le 9 octobre dans son rapport, il était parti plus tôt), car il n'y a même pas de chef dans tous les mouvements qu'il a eu à contrôler ; il pressent une guerre dans laquelle chaque habitant peut devenir un combattant, sans que l'on sache contre qui on se bat, une guerre de partisans. Enfin, la raison réelle de tous les troubles est religieuse. C'est uniquement la conscience religieuse qui fait agir les habitants.

En février 1792, Dumouriez est nommé lieutenant-général et ne revient plus en Vendée.

Commentaire du scribe : la situation décrite en Vendée, pour la force armée déployée, correspond à une mission de stabilisation intérieure sans influence majeure sur le déroulement des événements. Elle montre la difficulté de faire usage de la troupe lorsqu'une fracture sociétale menace de rompre son intégrité, et lorsque son recrutement en fait le reflet de la société dont elle est pourtant chargée d'empêcher l'éclatement et l'éruption.

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22 mai 2006

De la petite guerre à la guérilla, le soulèvement vendéen

La première communication a été présentée par Sandrine Picaud, agrégée et docteur en histoire, membre de la Commission Française d'Histoire Militaire. Elle vise en particulier à déterminer la meilleure qualification des guerres de Vendée entre petite guerre, guérilla et guerre de partisans, puis à montrer successivement leurs similitudes et leurs différences avec la petite guerre du XVIIIe siècle.

La pensée militaire française s'est tarie durant la Révolution, et les guerres de Vendée n'ont par exemple pas été traitées par le maréchal de Marmont, dans son traité sur l'art militaire, seul maréchal de l'Empire à avoir écrit un ouvrage de ce type. En tant que guerre civile, elles ont une charge émotionnelle qui réduit l'incitation à en tirer les leçons tactiques ; à part Le Mière de Corvey, ce sont surtout les écrivains prussiens qui ont abordé les guerres de Vendée - Karl von Decker, Valentini, Boguslawski et Clausewitz.

En premier lieu, les guerres de Vendée ne relèvent pas de la petite guerre pour Decker et Valentini, ce qui est curieux puisque la forme de la guerre s'y apparente, mais bien d'une guerre de partisans : elles utilisent des « inspirations du génie » et non des procédés mécaniques - expéditions de partisans, mouvements isolés et soudains. Le partisan n'existe pour Decker que s'il a une grande liberté de manœuvre, un lien très lâche avec les opérations de l'armée dans leur ensemble. Dans ce contexte, le chef a une importance considérable - encore plus dans un conflit comme la Vendée : audace et ténacité sont nécessaires, et rarement réunies dans le même homme.

Par ailleurs, les modes d'action privilégiés des guerres de Vendée étaient les embuscades et les surprises de postes. Les chefs vendéens surent s'adapter au terrain et à leurs combattants, des paysans connaissant bien la région mais n'ayant que peu de formation militaire. Au passage des colonnes républicaines dans les chemins creux, les Vendéens tiraient sans être vus sur les flancs et tentaient de percevoir le moment où la troupe républicaine commençait à chanceler, pour à cet instant se précipiter sur elle et l'achever au corps-à -corps ; les républicains essayaient bien d'utiliser le feu notamment d'artillerie pour répliquer, mais ce dernier était inefficace. Les Vendéens étaient capables de disparaître dans la nature, dans les bois environnants, jusqu'au point de ralliement.

De ce fait, la petite guerre des Vendéens était une action d'infanterie, la cavalerie vendéenne étant très modeste, mais sinon tout à fait dans la ligne des méthodes employées au siècle précédent.

Il existe un paradoxe entre la clémence et la cruauté dans ces guerres. Les paysans vendéens s'étaient levés pour défendre leur religion, leurs usages, leurs seigneurs, la royauté, et dès lors la voie catholique les a engagés à faire preuve de clémence ; cette attitude peut paraître étonnante dans une guerre civile, alors que les guerres mettant aux prises des populations ayant des motifs personnels de se battre sont souvent réputées plus cruelles, parce que la défense de ce à quoi on tient le plus encourage le jusqu'au-boutisme, mais aussi parce que le droit des gens n'existe pas - les combattants étant jugés des brigands, et leurs actes de pure sédition relevant du droit de commun. Le sort des prisonniers de guerre devient très incertain.

Après 1793, il s'est agi pour les Républicains d'éradiquer la population soutenant les Vendéens, alors que les Vendéens ont également commis des excès par vengeance, et les principes de noblesse ont disparu. Les mêmes motifs personnels des combattants ont ainsi pu aboutir à des résultats largement opposés du point de vue moral.

La tactique de petite guerre était utilisée en partie parce que les paysans combattants avaient peu de formation militaire ; les chefs vendéens n'avaient pas d'a priori par rapport à la petite guerre, mais n'avaient pas le choix de la tactique. Seule une minorité de Vendéens possédaient des armes à feu, les non armés se contentant au début de recharger les armes disponibles et confiées aux meilleurs tireurs - jusqu'à ce que les victoires fournissent des fusils en nombre.

En conclusion, l'étude des guerres de Vendée a profité de la guerre d'Espagne, de sorte qu'elles ont été considérées comme une guérilla. Les deux sont souvent citées conjointement dans la réflexion sur l'art de la guerre tout au long du XIXe siècle.

Commentaire du scribe : ce conflit peut être décrit comme un exemple typique d'insurrection populaire, tel qu'il s'est produit à réitérées reprises au cours des siècles, mais dans un contexte politique, géographique et sociétal particulier. C'est la nature du terrain et des combattants qui a dicté la forme de guerre, mais ce sont ses enjeux - de niveau sociétal, car touchant aux convictions religieuses et idéologiques - qui en ont dicté l'ampleur, la durée et l'âpreté. Comme de juste, une solution purement militaire au conflit n'existait pas.

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Etudier les guerres de Vendée

Samedi dernier, j'ai assisté à une journée d'étude sur l'histoire militaire des guerres de Vendée, au Musée Dobrée de Nantes. Organisée par la Commission Française d'Histoire Militaire et notamment son [ancien] président, Hervé Coutau-Bégarie, qui conclura la journée, avec l'Association du Souvenir Vendéen et la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique, elle s'inscrit dans une démarche comprenant d'autres journées du même type pendant l'année en cours.

Sept communications ont été présentées samedi, sous la présidence de Jean-Pierre Bois, professeur à l'Université de Nantes. Leur angle d'approche était une perspective militaire du conflit, non pas en vue d'une réécriture des événements militaires, mais comme comme une manière d'étudier l'art de la guerre, l'espace des guerres de Vendée et plusieurs événements marquants durant les 40 ans (1792-1832) qu'elles ont duré.

Présent dans la salle avec mon fidèle portable, j'ai tenté de prendre des notes en vue de résumer l'essentiel de ces communications. L'absence de connexion confortable m'a dissuadé de mettre en direct le tout sur ce site, et mes notes - sommairement revues et corrigées - sont donc mises en ligne ci-dessus, avec quelques lignes de commentaires personnels.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h10 | TrackBack

19 mai 2006

Autour des Souris d'Or

Jeudi soir avait lieu la cérémonie de remise des prix pour le concours la Souris d'Or, dans le cadre duquel ce blog a été nominé. Je m'y suis rendu sans aucune attente particulière, étant donné le profil de ce site, mais en me réjouissant par avance de rencontrer plusieurs collègues, ce qui n'a pas manqué d'être le cas. Parmi les gagnants des 5 prix mis en jeu, on notera Une voix pour la Boillat, dont le caractère exemplaire en matière de lutte sociale en ligne méritait d'être distingué ; parmi les autres prix, à l'exception de Bruno Giussani, j'aurais probablement vu d'autres vainqueurs, mais la tendance alternative/sociale du jury en a jugé autrement. Peu importe : il est tout de même intéressant de voir que les blogs éclosent progressivement comme des médias à part entière dans la société helvétique.

PS : Comme je suis parti en voyage juste après la cérémonie, en train puis en avion, ce n'est que maintenant que je suis en mesure de mettre en ligne ce billet. Mais je ne dévoilerai pas ma destination : cela fera l'objet d'une nouvelle devinette ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h24 | Comments (5) | TrackBack

18 mai 2006

Jeux vidéos et réalité

Le réaliste sans cesse accru des jeux vidéos tournant sur des ordinateurs individuels a suscité depuis plusieurs années l'intérêt des armées, que ce soit à des fins d'instruction, d'information ou même de recrutement. Une étape a cependant été franchie avec l'intégration de soldats réels, en l'occurrence issus des forces spéciales américaines, dans un logiciel reproduisant des combats contemporains :

In the latest version of the game, called America's Army: Special Forces (Overmatch), the military is adding the experiences of nine soldiers who served in Afghanistan or Iraq.
The title has a so-called real heroes section when players can learn about the real-life troops.
In a virtual recruiting room, gamers can click on a soldier to hear them tell their story. They can also compare their achievements in the game to those of the GIs.
"It gets our stories out there about what the army is doing," said Sergeant Matt Zedwick, who served and was wounded during a tour of duty in Iraq in 2004.
"It is a good communications device to introduce people to what is really going on, rather than what you see on the news."
"It shows we are not robots, that we're not trained killing machines. We're just people," said the 25-year-old who is now studying graphic design at a college in Oregon.

Cette démarche logique fait ainsi du jeu vidéo une interface supplémentaire entre le grand public et les opérations militaires, avec l'avantage de l'interactivité et de l'origine. Etant donné qu'il ne faut aujourd'hui que quelques semaines pour reproduire dans un logiciel des actions de combat réelles, voire même imaginer des actions possibles, on mesure mieux à quel point cet espace médiatique peut jouer un rôle croissant dans la formation des perceptions et des opinions. Et si l'Occident n'a pas le monopole de tels vecteurs, comme le montrent certains logiciels produits au Proche-Orient, l'utilisation des ordinateurs individuels - et plus rarement des consoles de jeux - pour véhiculer un sens politique ou social est un développement à terme important.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h36 | Comments (2) | TrackBack

17 mai 2006

Donner forme à l'informe

L'Illustré a publié aujourd'hui un reportage (non disponible en ligne) de bonne qualité sur l'exercice « ZEUS », que les Forces Terrestres ont conduit la semaine dernière en Suisse romande avec la brigade d'infanterie 2 comme troupe exercée. Le texte comme les images rendent bien compte des incertitudes que soulève une opération de sûreté sectorielle, avec ses tâches de protection fixes et mobiles ; le titre, en affirmant que l'armée considère terroristes et manifestants comme ses nouveaux ennemis, va toutefois au-delà des faits : d'après nos règlements, on les désignerait dans une telle situation comme respectivement adversaires et partie adverse. Qu'à cela ne tienne : l'hebdomadaire a bien rendu la réalité, celle d'une opération mobilisant 8700 hommes bien visibles, notamment dans la protection d'objets sensibles avec des formations de combat mécanisées.

Cette première application concrète d'un type d'opération visant à garantir la capacité de conduite et de fonctionnement civile et militaire ainsi que le contrôle du territoire en cas de menace asymétrique, et dans laquelle les secteurs d'engagement sont placés sous responsabilité militaire (une disposition qui reste à démontrer dans la pratique : les exercices ne sont jamais assez impérieux pour convaincre les autorités cantonales que, parfois, dans certaines situations extrêmes, le passage sous commandement militaire est la seule solution pour stabiliser un secteur), a ainsi réussi à ramener la troupe dans les villes et les villages, à l'instar des grandes manœuvres qui étaient effectuées dans l'Armée 61. Avec une différence de taille : il ne s'agit plus aujourd'hui de prendre des dispositifs de défense préparés contre des ennemis clairement identifiés, et dont les modes d'action sont connus.

Les méthodes des acteurs asymétriques ne sont pourtant pas un mystère : la guerre d'Algérie ou le conflit du Vietnam en ont rappelé l'essentiel, et les missions qu'effectuent aujourd'hui la KFOR au Kosovo ou l'ISAF en Afghanistan en fournissent une version actualisée. C'est d'ailleurs une conséquence de l'affaiblissement des frontières nationales que de voir des missions pareillement semblables de part et d'autre : entre une opération de sûreté sectorielle et une opération de maintien de la paix, les prestations à fournir au niveau du soldat et des petites formations en matière de sécurité (patrouilles, checkpoints, fouilles de secteurs et de bâtiments, arrestations, contrôle des foules, etc.) sont très similaires. A deux exceptions près : au niveau des règles d'engagement, avec les bases légales impliquées, et plus encore au niveau du renseignement.

Car la difficulté de ces opérations de basse intensité, et souvent de longue durée, réside dans la capacité à donner forme à l'informe, à trancher dans le flou d'une menace dispersée, destructurée, intermittente, pour en saisir des éléments tangibles, susceptibles de donner prise, d'être affectés par les actions militaires. C'est la raison pour laquelle une armée de milice opérant sur son propre sol possède - en principe - des avantages substantiels par rapport à un corps expéditionnaire professionnel : son acculturation est, logiquement, bien moins difficile, et donc ses membres sont davantage susceptibles de faire office de senseurs grâce aux contacts qu'ils peuvent établir avec la population. Mais cela suppose des soldats instruits et équipés en vue d'une telle mission, dotés d'un savoir-être qui les rend humainement crédibles, et non gavés d'un savoir-faire technique et tactique déconnecté de la réalité.

J'attends mon prochain retour à la troupe pour juger à quel point ceci est possible dans notre armée...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h56 | Comments (5) | TrackBack

16 mai 2006

Le nouveau site de la RMS

Aujourd'hui a eu lieu l'assemblée générale de la Revue Militaire Suisse, qui fête cette année son 150e anniversaire. Parmi les développements que connaît cette publication renommée figure une nouvelle édition papier en cours de préparation, qui sortira pour le début 2007, mais aussi un nouveau site Internet en cours de développement, dont j'ai d'ailleurs l'honneur d'être le responsable. Et comme ce projet commence à prendre forme, il est temps d'en faire ici une courte mention.

Pour l'instant, on trouve sur le nouveau site de la RMS quelques articles extraits des éditions 2006 de la revue papier, un historique de la revue ainsi qu'une liste de liens. D'autres éléments seront ajoutés au fil des mois : des dépêches d'actualité, sur un mode très proche de celui employé ci-contre, mais aussi de brefs textes de commentaires et d'analyse sous la forme d'un weblog, des articles non publiés dans la revue papier, ainsi que des archives dont le volume devrait devenir considérable.

L'an prochain, la totalité de la revue devrait également être disponible - sur abonnement - via le site, à des tarifs qui restent encore à définir. Une manière de transformer cette institution vénérable et de la rendre davantage en phase sur la forme avec son temps, et aussi de lui trouver un nouveau public.

Une précision : le graphisme du site est pour l'heure aussi provisoire que rudimentaire, puisqu'il va reproduire la maquette de la nouvelle édtion papier lorsque celle-ci aura été acceptée.

COMPLEMENT (17.5 1030) : Pour ceux qui ne connaissent pas encore la Revue Militaire Suisse, je vous conseille de demander un exemplaire gratuit via le nouveau site et de considérer sérieusement un abonnement !

Posted by Ludovic Monnerat at 23h02 | Comments (2) | TrackBack

15 mai 2006

Les troupes à la frontière

Selon des sources anonymes de la Maison Blanche (ensuite confirmées), le président Bush devrait annoncer ce soir le déploiement de quelque 10'000 soldats de la Garde Nationale à la frontière sud des Etats-Unis. Ces militaires de milice seront engagés de façon subsidiaire, et les gardes-frontière conserveront leur mission d'origine, pour prendre un vocabulaire helvétique ; il n'en demeure pas moins que l'engagement des armées aux frontières en vue d'assurer la sécurité intérieure reste un symbole fort, à défaut d'être rare. Un pays comme l'Autriche emploie en effet depuis plus de 15 ans environ 2000 militaires pour surveiller ses frontières, et l'Union européenne largement constitué une forteresse pour protéger des intérêts en premier lieu économiques, mais à terme également identitaires. Pour ne citer que des pays démocratiques.

Cet emploi accru de formations militaires pour le contrôle des frontières tend à prouver que les flux migratoires restent une arme stratégique de première importance, mais que les moyens de projection planétaires jadis l'apanage des puissances coloniales sont aujourd'hui disponibles aux plus démunis, parfois sous une forme dégradée ou improvisée. Il est d'ailleurs assez piquant de voir le terme d'El Dorado, issu des conquistadores, s'appliquer aujourd'hui naturellement au continent européen. Dans le cas américain, mis à part la préoccupation électorale pressante du parti républicain, l'immigration clandestine en provenance du Mexique est une problématique qui a fait l'objet de nombreux livres, certains voyant dans ce flux hispanique une véritable reconquista menée avec l'assentiment officieux du gouvernement mexicain.

Les flux migratoires de notre époque prennent cependant du temps pour faire effet, et il est intéressant de constater que les troupes déployées à la frontière sont avant tout celles ayant un statut de réserviste et donc coûtant moins cher, ce qui augmente l'endurance des dispositifs créés. En même temps, ce type de troupe augmente l'implication sociétale de l'opération militaire et renforce donc la sensibilité politique du sujet. En Suisse, le déploiement de l'ancien corps des gardes-fortifications puis de la sécurité militaire à la frontière nourrit bien moins de discussions que la possibilité de l'envoi de la troupe à la frontière ; ma propre et brève expérience en la matière m'a pourtant montré que la chose peut être utile et efficace, si l'on y recourt aux bons endroits, avec le bon équipement et durant la bonne période.

Il n'en demeure pas moins que le recours à l'armée n'est que rarement accompagné de déclarations franches sur le sens de leur mission, à savoir la menace économique et/ou identitaires des flux migratoires incontrôlés.

COMPLEMENT (16.5 0815) : En définitive, ce sont 6000 soldats de la Garde Nationale qui devraient être déployés à la frontière, selon l'annonce télévisée de George W. Bush, et ceci uniquement pendant une année, le temps d'augmenter de 50% les effectifs des gardes-frontière.

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14 mai 2006

Une petite devinette (2)

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Ma première devinette n'ayant tenu que quelques minutes face à la sagacité de mes lecteurs, en voici une autre bien plus ardue : où ai-je donc pris cette photo ce matin, au retour d'une petite sortie en France couronnée par un repas gastronomique ? Le nom de la localité sera suffisant pour ce faire !

COMPLEMENT (15.5 1550) : Merci de bien vouloir noter que cette devinette n'a pas tenu bien longtemps !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h22 | Comments (6) | TrackBack

12 mai 2006

Vaincre un ennemi intérieur

Que faire face à 900 individus suspectés de terrorisme islamiste et implantés sur son propre sol ? Voilà la situation dans laquelle se trouvent les services de sécurité britanniques, d'après les révélations de la presse. Ceci n'est pas propre à la Grande-Bretagne : les chiffres articulés ces dernières années dans d'autres pays laissent imaginer des proportions comparables, et donc un problème identique : l'ennemi intérieur. Dans une perspective militaire, justifiée par le fait que les terroristes islamistes se considèrent comme des combattants, on pourrait voir cette situation comme l'insertion réussie de l'équivalent d'un bataillon de forces spéciales engagées en mode clandestin, la qualité (formation, savoir-faire) en moins et la protection (légale, émotionnelle) en plus ; c'est-à -dire un ensemble d'individus cloisonnés par cellules et agissant néanmoins dans une direction commune, selon des fonctions de combat (attentat, endoctrinement) ou d'appui (logistique, communications).

L'impossibilité d'empêcher les attentats du 7 juillet à Londres, malgré les informations dont disposaient les services britanniques, montre bien les limites qu'imposent le nombre et l'incertitude : même une augmentation drastique des ressources - certes insuffisantes - allouées à la sécurité intérieure ne parviendrait pas à garantir la prévention de toute attaque terroriste, et la marche vers un Etat policier serait de toute manière terriblement contre-productive. En revanche, la résilience de la société britannique et l'effet stratégique restreint de ces attaques (en mettant, donc, de côté la perspective de leurs victimes directes et indirectes) indiquent une ligne de défense plus décisive, celle des perceptions, des opinions et des convictions. Neutraliser les centaines de terroristes potentiels qu'abritent les grands Etats européens passe donc par l'affermissement de leur population, par sa mobilisation autour des valeurs qui fondent son identité.

Même si cette perspective défensive ne peut être qu'une partie de toute action, comme je l'ai écrit - et bien d'autres plus illustres que moi - à plusieurs reprises (je ne traite dès lors pas ici de l'offensive en-dehors des frontières), la question des valeurs a donc une importance centrale. Elle a été abordée ci-dessous dans les commentaires, et a également été soulevée par l'affaire des caricatures de Mahomet. Avons-nous des convictions suffisamment fortes pour résister aux effets de la violence armée, réelle ou potentielle, proche ou distante ? Est-ce que nos sociétés européennes réagiront aux attaques paralysantes ou aux revendications conquérantes issues de l'irrédentisme islamiste par l'unité ou par la division, par la réaction ou par la renonciation ? En d'autres termes : est-ce que notre armure sera suffisamment unie pour donner à notre glaive le temps de faire son œuvre ?

En poursuivant sur l'idée d'une collision des mondes, et en prenant en compte les fulgurances offensives de notre substrat civilisationnel (c'est pompeux, je sais, toutes mes excuses !), il faut en effet s'interroger sur notre propre cohésion. Personnellement, je pense que l'on sous-estime toujours l'énergie et la détermination des peuples vivant en démocratie, et dont la réaction attend généralement le dernier instant pour s'exprimer - sous la forme d'un basculement des esprits. Mais cette force peut tout aussi bien être sapée par l'impéritie et l'infâmie de nos dirigeants, et aboutir à une perte de confiance telle que l'éventail des possibles s'élargit au-delà du raisonnable. Ce qui nous montre une recette permettant de vaincre un ennemi intérieur déjà en position, aux aguets, décidé à combattre : la vertu, la droiture, la franchise, la transparence, la mesure, la proportionnalité. Parce que l'adhésion des cœurs et des esprits n'est jamais aussi efficace que librement consentie.

Personne ne sort inchangé d'un conflit. Il serait intéressant, dans une perspective historique, que l'Occident émerge plus vertueux de sa lutte avec l'islamisme.

COMPLEMENT (14.5 1730) : Selon une autre source, le nombre d'extrémistes islamistes présumés posant un risque de sécurité nationale en Grande-Bretagne s'élève en fait à 1200. Le fait que ce nombre ait augmenté de 50% depuis les attentats de Londres est assez révélateur sur les limites de la surveillance menée hors d'un sentiment d'urgence impérieux (au niveau politique, s'entend).

Posted by Ludovic Monnerat at 22h22 | Comments (28) | TrackBack

11 mai 2006

Le dôme des Invalides

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Cette construction majestueuse, qui abrite notamment le tombeau de Napoléon Bonaparte (au sujet duquel un merchandising impressionnant est organisé) et les sépultures des maréchaux Foch et Lyautey, mérite sans conteste d'être visitée. Elle exprime à merveille la grandeur de la France.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h12 | Comments (12) | TrackBack

10 mai 2006

La soumission ou la mort

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a le mérite de la clarté : après son appel à l'éradication d'Israël - resté sans conséquences malgré son caractère « inacceptable », et qu'il n'a jamais renié - et ses multiples rodomontades sur la puissance de l'Iran, voilà qu'il vient tout bonnement de demander au président de la première puissance mondiale de se convertir à l'islam. Compte tenu des valeurs actuellement en conflit - démocratie contre islamisme - dans notre monde, et des convictions religieuses très fortes de George W. Bush, cette lettre « privée » n'est rien d'autre qu'un appel à la soumission, à la reconnaissance d'un pouvoir spirituel qui trouve son incarnation temporelle dans la république islamique d'Iran. En toute logique, il faut d'ailleurs admettre qu'il s'agit largement d'une réponse aux appels à la soumission devant l'idéal démocratique que les Etats-Unis - et au second plan l'Europe - lancent avec insistance depuis 2001.

Le mérite de la clarté, disais-je. La rhétorique belligérante d'Ahmadinejad met à mal toutes les tentatives de relativisation qui ont cours en Occident, et notamment celles visant à exclure la religion musulmane de la problématique. Ce mérite est évidemment limité : les plus grandes inquiétudes doivent au contraire être suscitées par le comportement d'un homme fanatique qui tente par tous les moyens d'acquérir l'arme nucléaire et proclame son intention de l'utiliser. Malgré cela, l'escalade de la confrontation verbale et idéologique avec l'islamisme de Téhéran impose la reconnaissance d'un conflit d'intérêt majeur, ce que des hordes de diplomates se sont escrimées à nier pendant des années. Nous devons nous poser la question consistant à accepter ou non l'avènement d'un Iran nucléaire aux mains des mollahs, et donc trancher dans un sens ou dans l'autre. Pour autant que nous en ayons encore le temps, bien entendu.

Face à un appel à la soumission jeté comme un défi prenant à témoin - et à partie - la planète entière, cette question renvoie aux oubliettes de l'histoire les discours multiculturalistes et pacifistes visant à faire cohabiter des entités mortellement antagonistes. Que nous l'acceptions ou non, nous assistons à la collision de deux mondes opposés dans leur identité, leur orientation et leur ambition, à l'interpénétration de deux ensembles de collectivités qui ne peuvent cohabiter, et qui ne peuvent plus - comme pendant des siècles - largement s'ignorer. Les lignes de fracture qui séparaient par le passé les grands empires ont aujourd'hui été projetées dans chaque société, dont chacune ou presque est par ce biais un reflet du monde entier. Nous sommes donc tous concernés.


NB : Je reçois régulièrement des appels à reprendre notre expérience de planification participative en source ouverte. Malheureusement, mon emploi du temps hyper chargé ne me permet pas de garantir cela, en raison des exigences qualitatives que je m'impose dans un tel travail. Qui vivra verra !

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9 mai 2006

Ballon rond et atome

Mon esprit est sans doute mal tourné, mais je trouve plutôt ironique que l'équipe iranienne de football s'entraîne en vue des mondiaux dans la ville de Spiez. C'est en effet dans ce lieu que se trouve le laboratoire ABC, un centre de compétences mondialement reconnu notamment dans la détection des menaces atomiques. Dans le climat actuel, voilà qui méritant d'être relevé... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 17h22 | Comments (6) | TrackBack

Nomination aux Souris d'Or

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Un courriel officiel et plusieurs liens m'ont appris hier la nomination de ce site pour le concours les Souris d'Or 2006, dans la catégorie politique, aux côtés de collègues illustres et appréciés - et qui plus est avant tout romands ! Je m'étais inscrit suite à la recommandation d'un collègue de travail, mais sans grand espoir au vu des catégories existantes, et cette optique n'a pas vraiment changé, mais j'aurai au moins le plaisir de rencontrer des gens avec lesquels je corresponds depuis des années ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 8h55 | Comments (5) | TrackBack

8 mai 2006

Fait divers et sens unique

Comme de juste, l'affaire Rey-Bellet a relancé le débat sur la possession des armes de service : le meurtrier de l'ancienne skieuse et de son frère, capitaine de milice et ancien commandant d'une batterie de DCA, a en effet accompli son double crime et son suicide avec son arme de service, en l'occurrence un pistolet SIG 220 au calibre 9 mm. Du coup, les adversaires habituels des armes à feu en possession des citoyens suisses ont profité du choc créé par ce drame passionnel pour réessayer de faire passer leurs idées, alors que leurs défenseurs - et notamment le Département de la Défense, de la Protection de la population et des Sports - se sont attachés à relativiser l'affaire en rappelant la proportion statistiquement très faible de tels cas. Bien entendu, un débat préalable à une votation populaire aurait certainement une autre dynamique, notamment parce que le dépôt exigé des armes militaires personnelles s'oppose de front à une tradition bien ancrée. Il n'est cependant pas interdit de s'interroger à ce sujet.

En premier lieu, il faut remarquer que le débat est faussé par l'incertitude, par le manque de faits au niveau du pays. Lorsque Le Matin - sous la plume de Ludovic Rocchi - écrit dimanche qu'il y aurait 180 meurtres et suicides chaque année avec des armes de service en Suisse, j'aimerais bien connaître la source d'un tel chiffre, qui me paraît incroyablement élevé ; lorsque l'on parle de crimes commis avec des armes à feu, de même, j'aimerais bien savoir quelle proportion de toutes les armes présentes en Suisse, légalement ou non, concerne les armes remises aux militaires pendant leur obligation de servir ou à l'issue de celui-ci. Il n'est pas utile de s'accrocher à des arguments reposant sur des émotions ou sur des chiffres biaisés, et seule une étude dépassionnée du sujet - avec des experts évitant d'être juge et parti ou ne mélangeant pas science et politique - permettrait de mener un débat que j'estime justifié.

Il reste cependant possible de débattre du principe consistant à confier une arme conçue pour le combat à chaque citoyen-soldat entre ses périodes de service. L'argument de la disponibilité, qui justifierait l'entreposage à domicile de l'arme et de ses munitions, pose la question de la menace et ne peut être tranché d'un trait de plume : l'augmentation de la violence asymétrique est une incitation cohérente au maintien du principe de la milice, une population en armes étant un puissant contre-poids à nombre de dérives. L'argument de la menace domestique, qui voit dans chaque arme entreposée le symbole d'une domination machiste et d'une coercition indirecte, fait abstraction de la proportion ultraminoritaire des violences impliquant des armes militaires, et donc de l'injustice faite à la majorité par une telle conception. Les arguments simples s'appliquent mal à ce sujet.

Il n'est toutefois pas contestable que les armes militaires soient un symbole : le droit de porter des armes étant historiquement le privilège des hommes libres, par opposition aux serfs, les Suisses se sont longuement battus pour le conserver ; que la hallebarde soit aujourd'hui remplacée par des SIG 220 ou 550 ne change rien à la chose. Ce n'est pas pour rien que l'on remet aux recrues leur arme personnelle au cours d'une cérémonie sobre et digne devant le drapeau suisse : entrer en possession d'une arme militaire et avoir le droit de la conserver sa vie durant, ou du moins jusqu'à la libération de l'obligation de servir, définit le citoyen-soldat, le protecteur des siens, le pilier de la défense nationale et sociétale. Et il sera impossible de la lui retirer - comme de me retirer mon fusil d'assaut 90, mon pistolet 75 et mon mousqueton 31 - sans qu'une majorité de nos concitoyens ne votent dans ce sens, en leur âme et conscience, loin des passions et des intérêts fouettés par un fait divers interprété à sens unique.

COMPLEMENT (10.5 1520) : En parlant d'hélicoptères Apache, les Pays-Bas ont déployé plusieurs appareils en Afghanistan, dans le cadre de leur engagement croissant au sein de l'ISAF.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h50 | Comments (20) | TrackBack

Haute technologie, basse utilité

Dans son édition du 1er mai dernier, l'hebdomadaire Defense News a décrit un aspect intéressant de la confrontation entre les systèmes d'armes ultramodernes et les menaces contemporaines. Il apparaît en effet que les hélicoptères de combat AH-64D Apache Longbow américains sont engagés en Irak sans le radar millimétrique qui donne son nom à ce modèle : cette excroissance spécialisée dans la détection des véhicules blindés et reliée aux missiles antichar Hellfire n'étant d'aucune utilité pour les missions d'appui-feu rapproché qui ont cours depuis la fin de l'invasion, les brigades d'aviation US la démontent pour réduire le poids et la consommation de carburant au quotidien. De ce fait, ce sont les armes les plus rudimentaires de l'Apache - le canon 30 mm et les roquettes de 70 mm - qui sont avant tout employées.

Depuis 2001, l'emploi en mode dégradé des hautes technologies est devenu une chose assez courante : au-dessus de l'Afghanistan, des avions de guerre électronique EA-6B Prowler ont régulièrement été engagés pour brouiller des téléphones portables et de petites radios, au lieu d'installations radar sophistiquées ; en mer Méditerranée comme le long de la Corne de l'Afrique, des frégates et des destroyers aux capteurs dernier cri traquent des navires improvisés transportant pirates potentiels ou immigrés clandestins ; autour des bases US en Irak, des radars de contrebatterie essaient tant bien que mal de localiser les tirs ponctuels d'obus de mortier petit calibre. Les conflits de basse intensité, aujourd'hui comme hier, voient donc les armées conventionnelles mettre en œuvre des équipements conçus pour les conflits de haute intensité, et parfois constater que ceux-ci sont trop lourds, trop coûteux, trop sensibles - c'est-à -dire inadaptés.

Cet écueil n'est pas en soi rédhibitoire : un désavantage dans une situation donnée ne signifie pas nécessairement un résultat similaire dans une autre situation. De plus, aborder un conflit de haute intensité avec des équipements conçus pour une intensité moindre peut mener à des déconvenues majeures - comme l'ont par exemple constaté les Britanniques au début de la Seconde guerre mondiale, avec leurs chars de combat trop légers issus des opérations coloniales. Par conséquent, c'est bien la spécialisation excessive des systèmes et des formations qui réduit la flexibilité des deux, notamment en recherchant une performance excessivement coûteuse face à la probabilité d'emploi. L'annulation récente de plusieurs programmes majeurs de l'US Army, comme l'obusier blindé Crusader et l'hélicoptère de reconnaissance Comanche, indique probablement une réflexion allant dans un sens proche.

Une leçon importante de ces applications dégradées est celle-ci : les militaires doivent être prêts à fonctionner dans des modes successivement différents, high tech et low tech, concentrés et dispersés, visibles et camouflés, réactifs et préventifs, décisifs et proportionnels, selon le milieu et les acteurs parmi lesquels ils sont engagés. La numérisation du commandement, la robotisation des systèmes ou encore l'automatisation des analyses ne sont donc que l'extrémité d'un spectre opérationnel - et doctrinal - qui comprend également les fonctionnements les plus simples, à l'ancienne, avec des hommes en face-à -face, des systèmes manuels et des cartes annotées. Ceci n'a d'ailleurs rien de nouveau : l'évolution des armes individuelles n'a jamais diminué l'importance du combat rapproché à mains nues. C'est simplement l'augmentation des espaces d'engagement qui renforce le phénomène.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h17 | Comments (10) | TrackBack

Une petite devinette...

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... à tous ceux qui se sont demandés les raisons de mon silence depuis vendredi dernier, alors que j'étais en voyage : où a été prise cette photo ? Dans quelle ville et sur quel édifice ? La première ou le premier à donner la réponse exacte recevra une copie des images originales que j'ai prises ce week-end ! :-)

COMPLEMENT (8.5 1500) : L'ami Variable, après un premier essai peu concluant, a correctement identifié le lieu où a été pris cette photo. Cependant, je remercie aussi Deru pour ses explications, et je me permettrai également - s'il me fait parvenir l'adresse nécessaire - de lui envoyer quelques images prises de l'Hotel des Invalides, visité ce week-end à Paris. ;-)

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Posted by Ludovic Monnerat at 11h36 | Comments (6) | TrackBack

4 mai 2006

L'inertie dans le changement

Voici plusieurs années que l'armée suisse vit à l'heure du changement permanent, des adaptations dictées par l'évolution de l'environnement stratégique, par les infléchissements des équilibres politiques, et plus encore par les coupes budgétaires ; on a d'ailleurs conçu l'Armée XXI comme une organisation évolutive, susceptible d'être optimisée pour mieux répondre aux besoins sécuritaires en Suisse et à l'étranger. En théorie, je suis entièrement favorable à une telle perspective, et je conçois tout changement comme étant une opportunité d'amélioration. Il se trouve cependant que tout le monde n'a pas la même confiance en l'avenir, voire la même naïveté, et que les réactions collectives en sont même très éloignées.

La résignation est une conséquence inévitable de profondes et fréquentes mutations : la remise en question, la perte des repères, le brassage des relations et l'impression d'être insignifiant peuvent ronger la motivation, le courage comme l'enthousiasme. Je pense que ce phénomène est bien connu, et qu'une grande mobilité professionnelle est la manière la plus logique de le prévenir ; ce qui n'est pas exactement le genre des administrations militaires. Dans les faits, le meilleur remède à la résignation réside dans la qualité des rapports humains, dans l'aptitude des cadres et des collègues à créer des liens qui sont plus forts que les aléas de l'organisation. Les armées sont en général renommées sur ce point, dès lors que l'ascension hiérarchique ne se fait pas au détriment du relief des caractères.

Une autre conséquence de l'instabilité, qu'il m'a fallu constater par moi-même pour l'appréhender dans sa vraie dimension, est toutefois l'indiscipline. C'est un chancre qui ronge l'armée à tous les échelons : à force d'avoir reçu de multiples directives, présentations, concepts, règlements et autres documents successivement évolutifs, et trop souvent contradictoires, le personnel peut facilement en venir à juger chaque ordre comme étant provisoire, c'est-à -dire en attente d'être modifié, et à relativiser son importance. Certains peuvent ainsi les interpréter dans un sens conforme à leurs inclinations et à leurs intérêts, et donc à désacraliser le mission ; « les ordres ne sont pas les options », nous disait-on à l'école d'officiers pour nous prémunir d'une telle tentation. Mais d'autres peuvent également se tenir à distance, faire le strict minimum, dans l'attente d'une confirmation ou d'un contenu moins provisoire. Et ce sont probablement les plus nombreux.

Nous en parvenons ainsi, à mon avis du moins, à une situation quelque peu paradoxale : le changement permanent provoque peu à peu une inertie qui parvient en définitive à largement le contrecarrer, et la multiplication des impulsions autoritaires ne fait que saper un peu plus leur effet. La question est de savoir comment rétablir la situation ; j'imagine que mettre un terme à ce que d'aucuns nomment la « réformite aiguë », et donc accepter qu'une armée ayant un état de préparation relativement bas - comme toute armée de conscription - évolue à un rythme compatible avec ceux qu'elle emploie et met sur pied, est la solution à étudier de plus près. Tout en acceptant les mesures pragmatiques que dictent les carences menaçant la pérennité de l'ensemble. Autant dire que l'écrire est bien plus facile que le faire !

Posted by Ludovic Monnerat at 9h20 | Comments (15) | TrackBack

3 mai 2006

De curieuses leçons

Le temps me manque pour en faire une analyse détaillée, mais j'ai été pour le moins surpris de lire cet article du New York Times sur la préparation des soldats US en partance pour l'Irak au National Training Center de Fort Irwin. Après avoir décrit l'action d'un adversaire (joué par un soldat américain) se faisant passer pour un marchand de hot dogs irakien afin de tuer par surpris des GI's, les autres écrivent ces lignes :

The lesson for American solders [sic] is clear: never trust any Iraqis, no matter how friendly they seem. It is a lesson that, unlearned, has killed many American soldiers on combat duty in Iraq.

Voilà une bien étrange manière de se préparer à un conflit de basse intensité où il s'agit de convaincre en vue de vaincre, où les esprits plus que les territoires doivent être conquis ! La primauté de la protection des forces sur l'accomplissement de la mission stratégique est un travers traditionnel des forces armées américaines, mais la profonde transformation vécue ces dernières années n'a semble-t-il pas encore réussi à s'en débarrasser entièrement.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h11 | Comments (14) | TrackBack

1 mai 2006

Le bilan d'avril

Conformément aux usages adoptés ici, je profite du bilan mensuel pour remercier cordialement celles et ceux qui le consultent et qui contribuent aux débats. La fréquentation au mois d'avril a connu une diminution dans le nombre quotidien de visites (2284 contre 2500), de pages (4971 contre 5289) et des hits (8557 contre 10513). Le long silence dû à mes activités professionnelles et à mes déplacements explique ce recul, dont l'ampleur réduite souligne cependant la fidélité que suscite ce carnet. Je m'en réjouis !

Bien sûr, ce bilan sommaire et toujours relatif se doit d'être adouci par quelques traits d'humour. Voici donc mes commentaires à nombre d'entrées grâce auxquelles les moteurs de recherche ont envoyé par ici de très honorables visiteurs :

Bref, merci à tout le monde !

Posted by Ludovic Monnerat at 16h08 | Comments (3) | TrackBack

L'anachronisme des antimilitaires

Le Groupe pour une Suisse sans armée refait parler de lui : sèchement remis en place par la population lors de sa dernière initiative visant à s'attaquer frontalement à l'institution militaire, il tente désormais un retour par la bande, en lançant une initiative populaire visant à l'interdiction des exportations du matériel de guerre. En capitalisant sur les polémiques vécues l'an passé à propos de la vente de matériel périmé, et notamment des chars de grenadiers, ce groupuscule dont l'assemblée générale réunit quelque 60 militants a semble-t-il choisi un thème ancien à même de lui redonner un élan nouveau. Ses connexions privilégiées dans les médias n'ont d'ailleurs pas disparu : hier, l'agence télégraphique suisse a ainsi jugé l'événement suffisamment important pour en faire une dépêche urgente, que j'ai reçue avec un brin d'amusement par SMS!

Le soutien affiché par des mouvements de gauche et d'extrême-gauche n'empêche pas cette initiative d'être marquée par un anachronisme criant : d'une part, en affirmant que la Suisse exporte des armes qui servent dans la « prétendue guerre » contre le terrorisme, paraît-il exclusivement mue par des intérêts énergétiques, le GSSA perpétue sa vision caduque d'un monde où les guerres sont le fait des armées, alors que ces dernières sont très majoritairement engagées pour les empêcher, les circonscrire ou les stopper ; d'autre part, en se focalisant sur l'exportation d'armes produites dans un pays donné, le GSSA propage l'illusion que les frontières nationales jouent encore un rôle déterminant dans les conflits armés de notre ère, alors que la différence entre sécurité extérieure et intérieure s'est partout réduite à néant ou presque. Seuls des idéologues convaincus peuvent ainsi professer des théories à ce point éloignées de la réalité.

Cela dit, la gauche - et la gauche de la gauche - n'ont pas le monopole de l'idéologie passéiste, et une partie de la droite nationaliste pourrait être tentée de soutenir cette initiative au nom d'une application toujours moins pragmatique de la neutralité ; une telle alliance contre nature ayant déjà eu raison du programme d'armement 2004, on ne saurait l'écarter ainsi d'un revers de manche. Du coup, si les signatures nécessaires sont récoltées à temps, ce qui semble hautement probable, ce sont probablement des arguments économiques - avec une note d'autarcie pour l'industrie de défense suisse - qui devraient être les plus efficaces contre une telle coalition, en plus naturellement des dispositions restrictives de la loi actuelle. Avec à la clef la possibilité de mener un débat enrichissant sur la nécessité de produire des armements de haute qualité, et sur l'impossibilité de le faire uniquement avec les commandes raréfiées de l'armée suisse.

Comme quoi le GSSA, avec ses échecs en série lors des votations populaires, joue tout de même un rôle positif en démocratie!Il faut juste espérer que la transformation des conflits armés et leur extension au sein des sociétés ne soient pas supplantées, dans l'esprit des décideurs, par des débats théoriques ancrés dans le siècle dernier.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h00 | Comments (9) | TrackBack