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24 mai 2006

Jomini, analyste des guerres de Vendée

La quatrième communication, en fin de matinée, a été présenté par Bruno Colson, professeur aux Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix à Namur ; elle revêtait un intérêt tout particulier pour le spectateur helvète, étant donné que le chercheur belge est l'un des grands spécialistes contemporains de Jomini, et qu'il n'a manqué de décrire l'origine broyarde de ce dernier.

L'objectif de Jomini reste inchangé : il s'agit de décrire les événements dans le but d'en tirer des principes. Il étudie les guerres de Vendée sans être venu sur le terrain, mais sur la base de ses lectures et des témoignages recueillis ; il commence par décrire le théâtre de la guerre - il perçoit d'abord la guerre en terme d'espace - et affirme que le pays vendéen diffère des autres régions de France, à la fois sur le plan géographique et sur le plan de la population ; un pays labyrinthe pour tout autre que ses habitants. Il énumère les causes des succès vendéens : fanatisme religieux, respect pour les chefs, inexpérience des premiers adversaires, mésintelligence entre généraux républicains. Le soldat vendéen est fin tireur, audacieux, fort capable de harcèlement ; un chef comme Bonchamp avait le génie d'un grand capitaine.

Pour Jomini, la ligne centrale de la Loire était la clef de tout le théâtre de la guerre ; pour les républicains, la tenir permettait de couper la Bretagne de la Vendée, alors que pour les royalistes, elle permettait de conserver l'accès à la mer et d'utiliser le fleuve. Jomini analyse la guerre de Vendée en suivant ses propres critères de la grande guerre, étudie l'évolution des opérations en fonction de sa vision de la guerre. Les chefs républicains ont oublié l'absence d'unité de commandement (armées de Canclaux et de Rossignol), d'après Jomini, mais il recourt à des schémas géométriques pour donner la solution au plan républicain, comme acculer les insurgés dans le cul-de-sac de Pornic. L'erreur de la division des forces sera corrigée à l'instigation de Carnot par le Comité de salut public. A l'issue de 1793, Jomini met néanmoins les chefs vendéens au-dessus des chefs républicains, tel La Rochejacquelein.

Du point de vue républicain, la guerre visant à soumettre un pays oblige à disperser les troupes, ce qui est difficile et expose à des défaites locales. Dans son histoire critique des guerres de la révolution, Jomini insiste sur la concentration des forces et l'unité de commandement, mais est également horrifié par les violences commises. Dans son précis de l'art de la guerre, il rangera ensuite les guerres de Vendée dans les guerres nationales, tout comme le soulèvement des Espagnols et des Tyroliens contre Napoléon - les guerres les plus redoutables de toutes, une guerre faite à une majorité d'une population animée par le noble feu de l'indépendance. Il ajoute donc des réflexions qu'il n'avait pas formulées initialement, notamment en raison de son expérience en Espagne ; il a compris les difficultés d'une armée régulière dans une guerre nationale.

Pour lui, deux facteurs favorisent la résistance nationale : la proximité de la mer et sa domination par une puissance alliée, ainsi que la nature même du pays. La tâche d'un général commandant une armée est difficile, surtout lorsque la population est appuyée par un noyau de troupes disciplinées. Quels sont les moyens de réussir ? Déployer une masse de forces proportionnée à la résistance et aux obstacles ; user du temps comme d'une arme ; déployer un grand mélange de politique, de douceur et de sévérité.

En définitive, Jomini a d'abord analysé les guerres de Vendée comme les autres campagnes de la révolution, en fonction de sa réflexion théorique (théâtre, clef du pays, ligne de communication, concentration), puis ajoute des éléments politiques qui ne sont cependant pas développés. Il reste attaché aux opérations régulières, entre armées organisées.

Commentaire du scribe : cette analyse de Bruno Colson montre bien pourquoi les armées ont tant de difficultés à réussir une opération de contre-insurrection ; elles ont une tendance irrépressible à penser les termes même du conflit en fonction de principes, de formules et même d'un vocabulaire hérités des opérations de combat classiques. Il est vrai que, à l'époque de Jomini, les conflits de basse intensité semblaient évitables, et que la primauté des conflits de haute intensité était incontestée.

Publié par Ludovic Monnerat le 24 mai 2006 à 21:30