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30 décembre 2005

L'aveuglement des convaincus

Suite à mes réflexions sur le mythe du journalisme, certains commentateurs n'ont pas manqué de renchérir sur les professionnels des médias, jusqu'à mettre en doute ou nier leur honnêteté ; par ailleurs, on peut lire régulièrement sur la blogosphère des réquisitoires accusant les organes de presse d'avoir pris parti, contre leur camp, et donc d'être des ennemis. C'est un jugement que je ne partage en rien. Bien entendu, lorsque certains journalistes se transforment en combattants de l'infosphère, en soldats de la persuasion, ils deviennent de facto des belligérants ; mais je reste persuadé que, dans la plupart des cas, ce comportement découle avant tout de convictions profondes qui affectent leur vision du monde, et non d'une volonté délibérée d'usurper le statut journalistique afin d'influer sur le déroulement d'un conflit. L'idée de pouvoir se tromper vient si rarement à l'esprit des convaincus qu'elle explique à elle seule l'essentiel de leur aveuglement.

Ce matin, Le Temps en a livré deux exemples sous la plume prolifique du très militant Alain Campiotti. Les lecteurs de ce carnet savent à quel point cet individu constitue un fardeau pour ce quotidien francophone de qualité avec ses distorsions à sens unique, ses éditoriaux délirants, ses obsessions de défaite américaine, voire ses mensonges caractérisés. Mais une boussole indiquant constamment le sud a bel et bien son utilité, et Campiotti le démontre par un petit texte, accessible uniquement aux abonnés de l'édition électronique (qui le reçoivent par courrier électronique), décrivant une mésaventure qu'il a vécue en voulant aller au cinéma à New York ; suite à une bousculade, une altercation se produit :

Ce chahut n'intéresse pas les spectateurs que l'escalator continue de déverser au 3e. Sauf un type à la casquette plantée jusqu'aux sourcils: «Go back to Europe!» Il a entendu un accent étranger. Pas celui de Cécile - anglais parfait - mais mon bredouillement. Et pendant que nous redescendons vers la sortie, poursuivis par le videur furieux dans l'escalator, d'autres s'y mettent: «Go back to Europe!»
[...]
Devant l'impassibilité hostile du manager, je lui ai jeté les billets à la tête: «Rien à faire de votre argent!» C'était une erreur. Il est devenu fou. «Get out! Get out! Et vous ne remettrez plus jamais les pieds ici!» Après une dernière protestation, il s'est lâché: «Fuck yourself, fucking European!» On vous épargne la traduction. Il a appelé son service d'ordre.
C'était un conte de Noël, triste et lamentable. Cinq ans à New York, ville tendue, violente et douce. Mais jamais cette explosion de xénophobie haineuse. Cécile, en visite, en était malade. Et juste au pied de la nouvelle tour que construit le si poli New York Times!

On souhaite bien évidemment à Alain Campiotti de commencer à sérieusement s'intéresser aux petites gens qui font l'Amérique, et pas seulement à ceux qui orbitent dans la galaxie démocrate si présente à New York. Mais ce qui me frappe le plus, c'est la déduction de xénophobie qu'il fait de cet incident : comment fait-il pour ne pas voir que c'est son origine européenne qui est directement visée ? Encore peut-il s'estimer heureux de ne pas avoir été pris pour un Français, puisque son accent semble marqué. Mais est-il donc si difficile que cela que parvenir à la conclusion que certains Américains ont une haine de l'Europe ? L'universalisation spontanée de Campiotti, dans ce cas précis, est l'un des traits des élites européennes toujours persuadées d'être au centre du monde, d'avoir raison sur tous les points, d'être un exemple reconnu par la planète entière. Il leur faudra du temps pour ouvrir les yeux et accepter que l'Europe est détestée ou méprisée en raison de ses actions comme de ses inactions, de ses déclarations comme de ses silences. Tout comme le sont les Etats-Unis.

Un autre exemple d'aveuglement du même Campiotti est livré dans cet article publié aujourd'hui. Décrivant une nouvelle stratégie des démocrates pour les élections du mid-term et consistant à mettre en évidence des vétérans des conflits actuels, sans d'ailleurs qu'une unité apparaisse à ce sujet dans le parti d'opposition, le correspondant new-yorkais du Temps juge que "l'impopularité de la guerre" est un bon argument électoral. De toute évidence, il partage - une fois de plus, diront les mauvaises langues - l'avis des démocrates en la matière. Le problème, c'est que cette impopularité est plutôt difficile à percevoir comme majoritaire du côté de l'opinion publique américaine : contrairement au basculement maintes fois annoncé de cette opinion, les sondages les plus fiables montrent un soutien constant pour la gestion de la guerre en Irak (40% positif, 39% négatif) ainsi que pour le Président lui-même. On peut naturellement s'insurger contre l'opinion des Américains, mais l'ignorer est plutôt risqué en matière de politique intérieure...

Ces deux exemples décrivent brièvement, à mon sens, une tendance des croisés de l'information tels que Campiotti : la foi en leurs convictions occupe tellement de place qu'elle les amène à rechercher partout les signes permettant de lui accorder crédit et à interpréter dans ce sens nombre d'événements. Une démarche plus rationnelle et plus objective consisterait en premier lieu à rechercher les faits, dans leur totalité et leur complexité, pour ensuite en tirer un jugement d'ensemble rendant effectivement compte d'une situation et de son développement possible. En même temps, remplacer l'acte de foi par l'analyse est très déstabilisant, certainement sur le plan intellectuel, mais peut-être aussi sur le plan financier. Tôt ou tard, un organe de presse doit trouver son lectorat et répondre aux attentes de ce dernier. Si les rédactions européennes abritent des journalistes-combattants, c'est aussi parce que leurs publics respectifs partagent leurs causes. Les uns comme les autres sont mutuellement dépendants et influents. Et l'aveuglement des convaincus répond bel et bien à une demande.

Publié par Ludovic Monnerat le 30 décembre 2005 à 11:55

Commentaires

MANQUE D'HUMILITE:

"L'idée de pouvoir se tromper vient si rarement à l'esprit des convaincus qu'elle explique à elle seule l'essentiel de leur aveuglement."

NOMBRILISME PATHOLOGIQUE:

"l'un des traits des élites européennes toujours persuadées d'être au centre du monde, d'avoir raison sur tous les points, d'être un exemple reconnu par la planète entière."

AVEUGLEMENT IDEOLOGIQUE / DOGMATIQUE:

"la foi en leurs convictions occupe tellement de place qu'elle les amène à rechercher partout les signes permettant de lui accorder crédit et à interpréter dans ce sens nombre d'événements."

Tout est dit.

Toutefois je ne suis pas aussi certain que vous que cela réponde forcément à une demande réelle des lecteurs.
Je crois que ces derniers n'ont en fait guère le choix... au regard du consensus qui règne au sein de la plupart des organes de presse sur ces sujets. Il est en effet difficile de trouver aujourd'hui en France et surement aussi en Suisse, un quotidien national ou régional qui soit "atlantiste", sinon réellement objectif dans son traitement de l'actualité. Les journaux sont désormais soit les supports de la pensée unique, soit des outils contestataires atypiques et marginaux non moins orientés...

Quant à la volonté du "français moyens" de s'informer autrement que par le biais des soupes du prêt à penser des grands éditoriaux, elle n'est guère remarquable. Au risque d'être pédant et présomptueux, je dirai même qu'il ne perçoit même pas le phénomène, ça lui passe au dessus.

Publié par Winkelried le 30 décembre 2005 à 14:32

Je pense que la sélection des journalistes dans une rédaction se fait par cooptation avec ceux qui sont déjà en place. Cela fait des années que j'ai continuellement entendu que pour percer dans ce milieux, il valait mieux avoir des connaissances que des diplômes.

Parlant de formation, l'idéologie qui prévaut dans les journaux mainstream est distillée dès les écoles de journalisme, par les mêmes qui ont ailleurs la mainmise sur l'éducation nationale. Comment s'étonner que les mêmes embrigadements produisent les mêmes effets?

De plus les rédactions font assez fortement respecter la "ligne directrice" de leur publication facve à d'éventuels dissidents, allant jusqu'à chasser de leur équipe ceux qui osent remettre en question les postulats idéologique de la maison. Par exemple, Alain Hertoghe a été remercié pour son livre "La guerre à outrances", alors que ce livre - critique certes - n'est nullement entaché de la moindre erreur factuelle. Cela aurait pu se comprendre si l'auteur était poursuivi pour diffamation, mais en l'occurrence il n'a fait que porter un regard sans concession sur les tentatives de manipulation de la presse française.

En Suisse romande nous ne sommes pas mieux lotis, nous avons Esther Mamarbachi qui a été promue présentatrice du journal télévisé de 19:30, après avoir brillamment montré sa teinte idéologique lorsqu'elle "animait" avec une partialité toute affichée les débats politiques sur la TSR...

Heureusement qu'il nous reste internet!

Publié par Stephane le 30 décembre 2005 à 15:24

"Il est en effet difficile de trouver aujourd'hui en France et surement aussi en Suisse, un quotidien national ou régional qui soit "atlantiste", sinon réellement objectif dans son traitement de l'actualité. Les journaux sont désormais soit les supports de la pensée unique, soit des outils contestataires atypiques et marginaux non moins orientés..."

J'y souscris totalement et j'avoue que cela me fait peur. Je suis peut-être négatif et peu objectif dans mon analyse, mais je suis de de plus en plus dérangé par les médias (et leurs journalistes) soit disant objectifs et neutres qui ne sont que les vecteurs d'une forme de pensée unique. Le plus dérangeant vient du fait que ces supports de la "pensée unique" se veulent populaires (pour ne pas dire populistes) et surtout objectifs. Je prèfère nettement des médias clairement orientés. La couleur politique, puisque c'est ce cela qu'il s'agit, y est clairement annoncée. En se positionnant ouvertement dans une mouvance, le média en question ne revendique pas d'objectivité absolue et nous pourrions même dire qu'il se reconnaît une certaine forme de partialité. Que cela plaise ou non, ça a l'avantage d'être clair (je n'ose pas dire "honnête" parce ce que je me demande à quel point cela l'est vraiment).

La blogosphère et les dépêches d'agences permettent de se fonder une opinion en dehors du chemin tracé par les médias et leurs reporters (elle n'est pas pour autant moins partiale, à en juger certains sites et les commentaires de certains intervenants sur ce blog ces derniers jours) Il ne faut pas se leurrer, si les journalistes ont des convictions qui les amènent à être partiaux dans leurs prises de positions et dans leurs analyses de l'information, les lecteurs ont également des convictions. L'accès à une information brute permet de se forger son opinion sans qu'elle soit influencée d'une manière ou d'une autre; la partager permet de l'étayer (et aussi de se sentir moins seul), c'est la chance que nous offrent les blogs.

Ceci dit, je rejoins ce qui a été dit plus haut: le citoyen moyen ne cherche probablement guère à s'informer. Le sport et les loisirs l'intéressent plus que les problèmes du monde (l'information larmoyante serait alors un dernier sursaut d'humanité nous reliant à nos semblables). Finalement, ces gens ont peut-être raison et sont peut-être plus heureux que nous...

Publié par Louis-Henri le 30 décembre 2005 à 15:26

@ Stéphane

Vous m'avez pris de court...
Je n'osait pas mentionner de nom de médias, mais j'ai aussi un problème avec le traitement de l'information en Suisse Romande. Heureusement, il nous reste Le Temps et le Matin Bleu ;-)

Publié par Louis-Henri le 30 décembre 2005 à 15:32

Je ne peux que recommander l'interview de Nicolas Sakozy par Libération (http://www.liberation.fr/page.php?Article=347064) mentionné dans les chroniques de l'extrême centre (http://extremecentre.org/?p=194).

Publié par Louis-Henri le 30 décembre 2005 à 15:47

Dans tout ce pessimisme, largement justifié, il faut dire qu'une attitude plus éveillée se fait lentement jour sur la "grande presse" par microsursauts (vite rattrapés sur Le Monde ou Libération) plus consistants sur Le Figaro.

Pour Libération je citerais comme exemple le 8 mars 2005 quand les manifs d'étudiants furent attaquées et pillées par des "jeunes" des "quarties défavorisés/sensibles". Libération publia l'inavouable:
1 - des déclarations extrèmement racistes des "jeunes" qui définissaient les étudiants des "français" (et oui), de "petits blancs", "têtes blondes" qualifiés de "sans force" (tiens, une valeur), "qui ne savent pas se battre" (tiens, encore une autre), bref des petits blancs qui n'avaient pas le courage de défendre le leur (après 50 ans d'éducation à la passivité ... le tout assaisoné d'angélisme) ... etc
2 - les étudiants victimes des razias des "jeunes" définissants leurs aggresseurs de "racaille" ... sans que personne ne s'indigne

La "normalisation" reprit le dessus avec la mise au pilori d'une dénonciation de ce racisme anti-blanc de la part d'un groupe de parents d'élèves et d'intellectuels, condamnation de la pilotée par ces "polices de la pensée" qui réglementent le "correct", sur le modèle de cette communauté qui "impose le bien et interdit l'impur" ;-) .

D'une façon plus consistente Le Figaro semblerait jetter un oeil plus critique sur la situation en devenir avec aujourd'hui, deux articles dignes de note:
- "Pas de mesures spéciales dans les cités, mais les élus prient pour qu'il neige"
http://www.lefigaro.fr/societe/20051230.FIG0078.html
où on peut lire une phrase témoin de la libanisation en cours «On va pas se laisser faire, on est les maîtres ici»

- "Le multiculturalisme des imbéciles" (publié sur le Figaro)
http://www.jerome-riviere.fr/article.php3?id_article=63
dont voici quelques extraits qui auraient déchainés les furies de la police de la pensée, mais qui lentement semblent se faire de la place dans les consciences:
... "L'immigration que nous connaissons est-elle réellement une chance pour la France, ou seulement une colonisation à l'envers ?"... "Les Français, qui ne furent jamais consultés sur l'immigration de peuplement, subissent ces changements avec surprise et sans adhésion. Leur colère éclatera un jour ou l'autre." ... "La France est, depuis plus de mille ans, un pays d'héritage judéo-chrétien. A titre personnel je ne veux pas qu'elle devienne une « terre d'Islam ». Nos 100 000 demandeurs d'asile par an (chiffre 2003), qui pour la plupart s'évaporent dans la nature, et les 130 000 arrivées régulières formées pour l'essentiel du regroupement familial ou de leur lien de famille avec des Français (l'étranger naturalisé qui va chercher son épouse dans son pays d'origine), sans parler des clandestins, viennent profondément modifier la nature de notre société."..."Mais les effets directs de l'islam sur la société restent inexplicablement tabous. A rebours des endormeurs médiatiques, ..." ..."Comme si l'islam, projet politico-théologique « totalisant », était un sujet neutre."..."nouveaux minarets, étendards d'un islam conquérant et d'une charia contraire aux lois de la République. "...

Je suis globalement pessimiste, vu les interrêts en jeux (des milliards de pétrodollars), le travail de sappe des "endormeurs médiatiques" et les projets de matrice soit religieuse islamiste (voir Sylvain Besson - livre "la conquête de l'Occident") soit nationnaliste (Eurabia) pour lesquels ces "endormeurs médiatiques" travaillent consciemment ou pas.


ps
un article interessant sur la gestion de l'opposition à l'abri du regard des "police de la pensée" (c'est un dirigeant tiermondiste, donc à ne pas déranger) et des sanctions ONU (bloc anti-occidental aidant):
Les bidonvilles de Harare détruites au bulldozer
Pour réprimer l'opposition, le pouvoir n'a pas hésité à raser des banlieues, faisant plusieurs centaines de milliers de sans-abri.
http://www.lefigaro.fr/international/20051230.FIG0101.html

Publié par Mikhaël le 30 décembre 2005 à 17:22

Il n'y a plus un seul journaliste qui ne soit pas progressiste dans les rédactions francaises. Même un quotidien comme Nice-matin qui fut très logntemps situé à droite et pro-américain est une réplique fidèle des journaux parisiens bien-pensants.

Ludovic Monnerat a raison.
"ce comportement découle avant tout de convictions profondes qui affectent leur vision du monde, et non d'une volonté délibérée d'usurper le statut journalistique afin d'influer sur le déroulement d'un conflit. L'idée de pouvoir se tromper vient si rarement à l'esprit des convaincus qu'elle explique à elle seule l'essentiel de leur aveuglement."

J'ai rencontré il y a quelques jours un ancien camarade de fac qui travaille dans une revue parisienne. Il était absolument convaincu que Sarkozy était responsable des émeutes en raison de ses déclarations irresponsables sur la racaille.
J'ai essayé de faire appel à son bon sens et à avancer une explication plus équilibrée des évenements. Il en fut choqué et il m'a regardé comme si j'arrivais directement de la planète Mars.

Toute discussion était vaine. Vraiment déprimant.

Publié par Rogemi le 30 décembre 2005 à 20:25

En fait, ce n'est que depuis les blogs qu'apparaît clairement la désinformation des médias établis. Une nouvelle dialectique de l'information leur doit l'existence (voir l'affaire Dan Rather et lgf). Vive donc l'Internet, et point de pessimisme, même s'il charrie le meilleur comme le pire!

Publié par al le 31 décembre 2005 à 0:34

Il y a des tas de colabos qui ont fait le jeux des Nazis sans le savoir et je dis qu'il y a des tas de journalistes qui tiennent des propos terroristes sans le savoir parce que la bêtise est une valeur sur laquelle on peut compter. Si tous les crétins du monde se donnaient la main, la terre tournerait à l'envers et le monde penserait que ç'a toujours été ainsi sauf les Blogueurs bien entendu ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 1 janvier 2006 à 5:51

Quel que soit notre opinion sur la politique de l'administration américaine actuelle, force est d'admettre avec Laurent Murawiec (http://www.menapress.com/article.php?sid=1254) que l'année 2005 fut très mauvaise pour le Président Bush.

Beaucoup de choses risquent de changer si l'opposition Démocrate parvenait à reconquérir le Congrès aux mid-terms de novembre 2006 ?

Via http://www.europelibre.com/CL2006/etl060102.htm (l'auteur évoque aussi l'évolution qui serait en train de se produire actuellement dans les cercles militaires américains (CIFA, Northcom) à propos de l'Islam)

Publié par Alex Keaton le 2 janvier 2006 à 11:31