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2 mars 2007

La future coalition des Etats

En 2005, le monde comptait 32 conflits armés ayant fait au moins 1000 victimes. Aucun de ces conflits n'opposait directement 2 Etats l'un à l'autre, même si plusieurs d'entre eux voyaient un affrontement à distance entre Etats, par "proxy" interposés, et la plupart voyaient des acteurs non étatiques jouer un rôle déterminant. Comme l'écrivait voici 10 ans déjà le général de la Maisonneuve dans La Violence qui vient, les Etats ne sont plus les maîtres de la guerre, et leur capacité de maintenir à la fois l'ordre et la paix (deux terme de plus en plus proches) est en durablement affectée. Cette perte de pouvoir devrait logiquement être une source majeure d'inquiétude, et sa préservation une priorité stratégique.

Pourtant, les opérations militaires coercitives lancées depuis la fin de la guerre froide par la communauté internationale ont souvent été dirigées contre des Etats pour bénéficier directement à des non-Etats ; c'est notamment le cas de la guerre du Kosovo et de la guerre en Irak, qui ont tous deux abouti à davantage de démocratie dans les Etats pris pour cible, mais également davantage d'instabilité, de corruption, de criminalité, et finalement de chaos. Si la Serbie affaiblie est en train de remonter la pente, grâce à une conscience nationale intacte, il n'en va pas de même en Irak, où la faiblesse de l'identité nationale et les divisions sociétales fondent une grande partie des violences. Un tel chaos est naturellement décourageant pour les puissances internationales qui tentent de créer un ordre nouveau et juste, mais il est surtout effrayant pour les pays voisins, qui en redoutent la contagion. Seule l'hégémonie d'une puissance ennemie est encore plus effrayante.

Naturellement, la stabilité à tout prix est dans la plupart des cas pire que l'instabilité, puisqu'elle aboutit à exporter la violence qui ne peut s'exprimer à l'intérieur de l'Etat concerné ; de plus, la stabilité d'un Etat éminemment dangereux n'est pas un objectif souhaitable. C'est la raison pour laquelle la destruction de la dictature baasiste en Irak, soutien massif du terrorisme palestinien et arabe, et la déstabilisation de la théocratie khomeiniste en Iran, ont été retenues comme options stratégiques par les Etats-Unis. Cependant, l'extension du chaos à outrance revient à ouvrir un gouffre capable d'engloutir des régions entières, et l'action des Etats se dirige de plus en plus vers la préservation de l'autorité étatique, à travers la construction de nation, chère à la rhétorique onusienne et parée de vertus toutes théoriques, mais aussi à travers le renforcement de nation (expression que j'introduis par opposition).

Ce communiqué issu des Forces armées américaines et décrivant l'action du Commandement des opérations spéciales montre bien en quoi consiste ce renforcement : afin d'éviter la formation de vides stratégiques qui peuvent rendre nécessaires des actions d'interdiction aussi coûteuses et incertaines que l'opération coalisée en Afghanistan, il s'agit de renforcer les capacités sécuritaires et l'assise économique d'Etats fragiles par l'envoi de ressources limitées mais ciblées, afin d'influencer l'action de ces Etats dans le sens des intérêts américains et d'augmenter leur dépendance, c'est-à -dire leur docilité. La récente offensive éthiopienne en Somalie montre la multiplication de forces qu'autorise une telle stratégie. Une application exemplaire de la "puissance douce".

Je pense donc que ces coalitions discrètes et permanentes, formelles ou non, vont se multiplier à l'avenir. L'extension stupéfiante de l'OTAN va d'ailleurs dans un tel sens. Les Etats ont suffisamment pris conscience de leur vulnérabilité pour se rapprocher, pour se liguer contre les non-Etats, pour préserver leur légitimité à travers l'ordre, la stabilité et la prospérité. Il n'y a de toute manière rien de tel que la concurrence d'autres structures politiques et sociétales pour amener une évolution significative dans l'assise et le fonctionnement des Etats-nations actuels. Le déclin inévitable de ceux-ci appelle donc une transformation à même de renouveler leurs capacités, leur volonté et leur légitimité. Pas sûr cependant que la liberté et la justice y gagnent, notamment à court terme...

Publié par Ludovic Monnerat le 2 mars 2007 à 21:51

Commentaires

32 conflits pour environ 200 états ? Le nombre de guerres est en baisse depuis le début du siécle, il me semble que l'on dépassait les 40 conflits armées en 2000.

Publié par Frédéric le 3 mars 2007 à 8:01

Le billet de M. Monnerat m'inspire les remarques suivantes :

1. L'usage du mot coalition. D'après le dictionnaire historique Robert de la langue française (tome 1, p. 786), le terme, employé de façon courante à partir du XVIIIe siècle, eut divers sens, politiques ou économiques. Néanmoins, pour le lecteur francophone frotté d'histoire, le mot se réfère à une époque précise, celle des guerres de la Révolution et de l'Empire, qui vit sept coalitions successives se former pour écraser la France issue de 1789. Même si Napoléon, dans un certain sens, restaura l'ordre ancien, ce furent bien les coalisés qui ramenèrent la Contre-Révolution en 1814/1815.

2. Par rapport à d'autres mots voisins (entente, ligue, union, alliance) également liés à un contexte bien précis (la Grande Alliance de La Haye, la Triple Entente), le mot coalition, depuis le début du XIXe siècle, est connoté sémantiquement : c'est celui d'une remise au pas, par des Etats soucieux d'ordre, d'un Etat qui, non seulement présente un danger pour ses voisins, mais surtout, qui bous-cule des hiérarchies, des traditions, on pourrait presque dire : des bonnes manières. Le souci s'apparente moins à l'élimination d'un adversaire dangereux (même si cet adversaire est effective-ment dangereux), qu'à la remise au pas d'un subalterne, d'un domestique, d'un manant qui a osé se rebeller contre sa condition. Il n'est donc pas innocent (même si on ne peut solliciter à l'excès le sens du terme) que les alliances menées contre Saddam Hussein aient été traduites, en français, par «coalitions».

3. J'ai eu, à lire ce billet, une curieuse impression : celle que la mission de la coalition des Etats (ou de l'OTAN) ne consistait pas tant à affronter un adversaire à parité (comme ce fut le cas de 1949 à 1991 face au pacte de Varsovie) que de réprimer (au niveau mondial) des atteintes à l'ordre public (ordre public conçu comme le maintien des hiérarchies internationales), d'écraser des révoltes servi-les. Jadis - surtout d'ailleurs en 1789 et au XIXe siècle - les classes privilégiées, en France, avaient la terreur des errants, des gueux, des pauvres («classes laborieuses, classes dangereuses»). Depuis 150 ans, en Europe, les luttes syndicales, les lois sociales, l'emprise plus grande de l'Etat, les pro-grès techniques ont amélioré la vie des plus pauvres. Tout se passe donc comme si ces craintes, ces haines sociales s'étaient transférées à l'échelon mondial, les populations des zones grises (surtout aux confins du premier monde) étant vues sous un mode social : comme des masses grouillantes, envieuses, paresseuses et méchantes de «partageux». Mais le mépris social ne se disant pas, ce sen-timent inavoué (et inavouable) se pare d'oripeaux nobles : la défense de la religion, de la civilisa-tion, de la démocratie de marché, des droits de l'homme (et de la femme)!

4. Je relève à cet égard, dans le billet de M. Monnerat, un certain nombre de termes qui, isolé-ment, sont anodins, mais qui, mis bout à bout, révèlent une conception très conservatrice (pour ne pas dire droitière) de la société : «ordre» (trois fois), «maître», «préservation», «coercitive», «sta-bilité» (trois fois), «autorité», «interdiction», «dépendance», «docilité», «légitimité» (deux fois), «prospérité», «volonté», «liberté». Certes, M. Monnerat pourrait à bon droit me rétorquer que j'ai choisi mes termes, mais ceux-ci me paraissent assez proches du champ lexical défini par René Rémond comme étant celui de la droite («La droite en France, Aubier 1968, tome 2, page 322). Ce champ lexical relève d'ailleurs moins du domaine militaire (comme il s'était agi, d'affronter un adversaire style pacte de Varsovie) que du domaine hiérarchique ou policier. Je note aussi que M. Monnerat emploie le terme «se liguer», qui possède une connotation très réactionnaire : la Li-gue - sous Henri III - qui préféra le roi d'Espagne au roi de France hérétique, la Ligue catholique de la guerre de Trente ans, la ligue des contribuables et les ligues fascistes de la France des années 1930 et, actuellement, la Ligue du Nord de Umberto Bossi.

5. Je subodore que les substantifs nobles relevés ci-dessus (et qui doivent sonner si bien dans les réceptions diplomatiques, au Forum de Davos ou aux réunions du Club de Bilderberg) cachent des réalités plus prosaïques (voire plus sordides) et qui ont nom approvisionnement en pétrole, ventes d'avions de combat, débouchés des multinationales, promotion de CNN, Fox News, MacDonald's, Coca Cola, etc., comme le déclarait, avec un cynisme tranquille, Thomas Fried-man : "La main cachée qui tire les ficelles du marché a besoin d'un poing caché pour être effi-cace. McDonald's ne saurait prospérer sans McDonnell Douglas... Et le poing caché qui assure un monde propice au développement des technologies de la Silicon Valley, c'est l'armée, les forces aériennes, la Marine et le Marine Corps américains".The Lexus and the Olive Tree : Un-derstanding Globalization, Farrar, Strauss and Giroux, New York, 1999, p. 373.

6. «La communauté internationale», c'est quoi ? C'est une expression codée, toujours associée à empêcheurs de danser en rond (tels que Saddam Hussein, Slobodan Milosevic, Fidel Castro, maintenant Hugo Chavez en attendant Evo Morales!) qui la «défient», et contre qui, rituelle-ment, elle s'indigne, se mobilise, etc. La Communauté internationale, comme son nom l'indique, ce sont tous les pays du monde. Tous les pays, moins! l'Afrique subsaharienne, moins les pays musulmans, moins l'Inde, moins l'Indochine et l'Insulinde, moins la Chine, moins l'Amérique la-tine, moins l'ancienne U.R.S.S. La communauté internationale, ce sont les pays anglophones et germanophones, plus le Japon, plus, sur des strapontins, quelques pays méditerranéens (avec un strapontin plus grand pour la France). S'agit-il de toute la population de ces pays ? Pas davantage. La communauté internationale, ce sont les riches et classes moyennes aisées de ces pays et leurs médias, gavés de calories, d'essence, de joules, d'actions en Bourse et de bonne conscience.

7. La stabilité d'un Etat éminemment dangereux. Mais qui fut dangereux pour l'autre ? Qui ren-versa le gouvernement Mossadegh, qui voulait se réapproprier le pétrole national plutôt que de vi-vre dans la dépendance des compagnies étrangères ? Qui, de 1953 à 1979, entraîna la sinistre SAVAK, police secrète du Shah ? Il ne faut pas inverser les rôles : c'est la Terre qui tourne autour du soleil, pas le contraire!

8. La dictature baasiste en Irak. Son existence n'a guère gêné les Américains, du coup d'Etat contre Qassem en 1963, à l'appui à l'élimination des communistes, et des livraisons de bombes contre les Kurdes aux plans, photos, armes et encouragements divers prodigués durant 10 ans durant la guerre contre l'Iran. Pas plus, d'ailleurs, que les appels à l'insurrection lancés aux chiites en février/mars 1991 (comme aux Hongrois en 1956), et les non moins habituels abandons de ces révoltés (avec remise, par le général Schwarzkopf, à la Garde Républicaine de Saddam Hussein, des armes prises aux Irakiens durant les jours précédents). La conscience morale des Américains n'a été assoupie que durant 38 ans, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire!

9. «Le soutien massif au terrorisme palestinien» : l'aveu est révélateur ! Si l'on comprend bien que ce soit une préoccupation israélienne, en quoi cela devrait-il être aussi une préoccupation américaine ? Il me semble - ou je me trompe - que depuis les années 1970, justement (détourne-ment d'avions, prises d'otages), l'action de la résistance palestinienne s'était centrée de nouveau sur les seuls territoires occupés. Normalement, les Américains devraient tenir la balance égale en-tre Israéliens et monde arabe. Quelle est cette connivence qui ne se cache même pas ? Et puis, at-tention au vocabulaire : pour la Wehrmacht, les F.F.I. étaient des terroristes, comme les Irlandais pour les Anglais, comme les Juifs du Mandat pour les Anglais, comme l'A.N.C. pour la police se-crète de l'apartheid! Les «terroristes» d'aujourd'hui sont les partenaires de demain. En 1948, en Palestine, les juifs assassinèrent le comte Folke Bernadotte. Aujourd'hui, lors des réceptions offi-cielles à Stockholm, les diplomates israéliens ont droit aux petits fours, comme les autres!

10. Le soutien massif au terrorisme arabe. Lequel ? Celui d'Al Qaida ? N'est-ce pas, entre autres, la commission Waxman de la Chambre des Représentants qui, le 16 mars 2004, un an après l'invasion de l'Irak, relevait 237 mensonges officiels des plus hauts responsables américains, du président Bush au vice-président Cheyney, du secrétaire à la défense Rumsfeld au secrétaire d'Etat Powell et à la conseillère Rice ? Ces mensonges portaient notamment sur les liens entre Saddam Hussein et Al Qaida, liens qui ne furent jamais avérés!

Globalement, ces conciliabules n'augurent rien de bon pour tous ceux qui contestent l'ordre néo-libéral, la morgue des riches, l'exploitation forcenée des ressources naturelles et la domination po-litique et militaire des Etats-Unis et/ou de leurs alliés. M. Monnerat le formule d'ailleurs avec un admirable sens de la litote : «Pas sûr cependant que la liberté et la justice y gagnent, notamment à court terme...»

Publié par Albert le 3 mars 2007 à 19:55

Vous savez, Albert, lorsque le commentaire à un billet est au moins 2 fois plus long que le billet lui-même, c'est en général que ce commentaire a quelques problèmes. Libre à vous de faire des recherches lexicales dans mes billets, de sélectionner certains mots pour les rattacher à des tendances politiques, puis de conclure par de vastes augures. Mais comme vous n'entrez pas en matière sur le sens de ma réflexion, vous ne contribuez pas au débat ; et je ne saurais investir de temps sur les points périphériques que vous relevez, bien qu'ils prêtent pour le moins le flanc à la critique, car ils s'éloignent précisément de la réflexion initiale.

Pour le surplus, je vous saurais gré de bien vouloir vous rappeler les thèmes que j'aborde principalement sur ce site, la perspective qui est la mienne, et de ne pas me prêter des inclinations politiques qui n'entrent pas en considération dans cette perspective.

Publié par Ludovic Monnerat le 3 mars 2007 à 22:55

Quand on n'a rien à dire... on utilise un dictionnaire et c'est le cas de certains groupes, peuples ou nation qui présentent des statistiques éloquentes sur le nombre d'exemplaires détenus par famille. Ce billet me renforce dans l'idée que nous aurions plus d'efficacité à utiliser "des Forces Supplétives" bien encadrés par des FS, formule moderne de l'officier français aidé de deux ou trois sous officiers à la tête d'un groupe indigène au fin fond du Sahara. Les moyens de communication actuels permettent des miracles et brisent l'isolement qui pesait sur les officiers ( capitaines ) des affaires indigènes de cette époque de pacification révolue.

Publié par Yves-Marie SÉNAMAUD le 4 mars 2007 à 2:44

Et que propose Albert comme synonime ?

l'Alliance des nations ? Il peut répliquer la Sainte Alliance :

"formée le 26 septembre 1815 entre les monarchies européennes victorieuses de la France révolutionnaire, afin de maintenir la paix dans un premier temps, puis de se protéger mutuellement d'éventuelles révolutions, et dissoute en 1825, à la mort du tsar Alexandre Ier." dixit le Wiki.

Alors que ce mot se rapporte plus pour moi aux "Nations Unies" de la seconde GM....

Publié par Frédéric le 4 mars 2007 à 9:02

A M. Monnerat et à tous.

Pour recentrer le sujet (et raccourcir les réponses) : dans votre renvoi (celui du 23 mai 2005, où vous traitez de votre cours à la NATO School), vous dites : «On se demande d'ailleurs quand la notion d'Atlantique Nord sera retirée d'une organisation qui est devenue un acteur global». N'aurait-il pas été plus normal que l'OTAN se dissolve, compte tenu que l'alliance n'avait plus de raison d'être ? L'Union soviétique avait disparu militairement, économiquement, politiquement, idéologiquement (surtout idéologiquement) et se trouvait (pour la Russie) dans une dramatique spirale de déclin démographique. Où était le danger ? Sauf à s'inventer sans cesse de nouveaux ennemis!

A Roland.

1. J'ai dit que, durant 40 ans et plus, les Européens - et, notamment les démocrates chrétiens - ont été bien heureux que les Turcs montent la garde au flanc sud de l'OTAN. Aujourd'hui, ils ne leur en sont guère reconnaissants, lorsque ces mêmes Turcs frappent à la porte de l'Europe. Qu'est-ce qui n'est pas «objectif» dans mes propos ? Je ne me positionne pas en faveur de l'entrée de la Turquie dans l'Europe (voir ci-après) je dis qu'en me plaçant dans la perspective même des dé-mocrates chrétiens (j'aurais aussi bien dit les sociaux-démocrates), ils se sont, à l'égard de la Tur-quie, comportés (passez-moi l'expression), comme de beaux dégueulasses!

2. Sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe, je n'ai pas de religion. Tout dépend de ce que l'on met sous le concept d'Europe. A prendre donc sous bénéfice d'inventaire. Le problème serait d'ailleurs autrement redoutable pour la Russie (qui pourrait faire valoir son ancrage européen) mais dont la taille, les problèmes, la pauvreté (ou la puissance) déséquilibreraient autrement l'Union européenne.

3. Qu'ai-je dit de faux ou d'erroné dans mes références militaires à la Turquie depuis la guerre de Crimée ? Les Occidentaux, objectivement, n'ont-ils pas plus souvent préféré les Turcs aux Russes (ou aux Soviétiques) ? Et les chrétiens occidentaux (surtout catholiques) n'ont-ils pas détesté da-vantage les orthodoxes que les musulmans ?

Publié par Albert le 4 mars 2007 à 16:06

"Qu'ai-je dit de faux ou d'erroné dans mes références militaires à la Turquie depuis la guerre de Crimée ?"

Là n'était pas la question. Vous évoquiez la symbolique à propos des envahisseurs de l'est ou du sud et je vous ai fait remarquer que cette symbolique reposait sur des faits bien réels qui ont bien marqué les esprits européens (Attila, Gengis Khan, les montagnes de têtes coupées...). Quand donc vous vous offusquez de la manière dont les Européens maltraiteraient ces pauvres Turcs, on peut vous trouver quelque peu subjectif et orienté. Il serait aisé de trouver quelques défauts aux Turcs aussi, non ? Ne s'est -il jamais rien passé du côté de l'Arménie en 1915 ?
De même que si les Américains ont de claires ambitions de domination du monde à leur profit, les Chinois n'augmentent probablement pas leurs dépenses militaires pour rien. Leur comportement en Afrique en particulier - le pillage des bois précieux, la recrudescence du trafic d'ivoire par exemple - me fait douter des apports positifs que vous évoquiez...

Publié par Roland le 4 mars 2007 à 22:36

A Roland

1. Même remarque qu'à Frédéric. Je ne me fais pas l'avocat de la Turquie (à laquelle je ne connais rien), j'instruis à charge des pays européens (sur lesquels j'ai un peu de lumières). Je reformule ma proposition : durant plus de 40 ans, les Européens, et, parmi eux, les plus atlantistes (démocra-tes-chrétiens et sociaux-démocrates) furent bien aises de trouver la Turquie pour immobiliser les troupes du pacte de Varsovie sur le flanc sud de l'OTAN. Aujourd'hui, lorsqu'elle frappe à la porte de l'Europe, on fait la sourde oreille. On prend bien les sous de la mémé à moustaches pour se payer la télé à plasma, mais on la convie pas à dîner parce qu'elle fiche la honte!

2. Pour les massacres, il y a ceux que l'on met en scène et ceux dont on détourne le regard. Par exemple :

- Autant la prise de Jérusalem par les croisés, le 15 juillet 1099, fut marquée par des tueries extra-ordinaires, autant sa reconquête par Saladin, le 2 octobre 1187, après un siège de 6 jours, ne se tra-duisit-elle que par le rachat d'un tiers de ses habitants pour 30 000 besants. Où furent les massa-creurs ?

- Le résultat le plus clair des deux siècles de croisades, outre le retour (presque) au point de départ des croisés, fut l'affaiblissement de l'empire byzantin (qui, ne l'oublions pas, fut à l'une des origines de la croisade). Lors de la prise de Constantinople par les croisés, le 13 avril 1204, les massacres ne le cédèrent en rien à ceux de Jérusalem, commis un siècle plus tôt, au point que le chroniqueur by-zantin Nicétas Choniatès put écrire : «Les Sarrasins eux-mêmes sont bons et compatissants» en comparaison de ces gens «qui portent la croix du Christ sur l'épaule». [Georges Ostrogorsky, « His-toire de l'empire byzantin, Payot, 1969, page 440]. Où fut la concorde entre chrétiens ?

- La seule dévastation de Rome, siège de la catholicité, après le sac de Genséric en 455, fut celle du très catholique roi d'Espagne, maître de la non moins catholique Espagne (berceau des domi-nicains et des jésuites, de Thérèse d'Avila et de Jean de la Croix). Où fut la piété filiale de Charles Quint envers le Saint-Père ?

J'arrête là les citations pour ne pas charger le blog. Pour la Chine, je ne souhaite pas entamer plus avant la discussion, ce qui porte sur l'avenir me semblant trop porter aux divagations. Juste une ob-servation : les éventuels desseins prédateurs de la Chine, ici ou là , ne sont pas contradictoires avec les apports dont sa recherche scientifique pourrait faire bénéficier l'humanité. L'Allemagne, c'est le pays où est né la monstruosité hitlérienne, mais c'est aussi un pays de compositeurs, de physiciens, de chimistes, de médecins, de théologiens, de philosophes, de peintres et d'écrivains de renommée universelle. Où est l'incompatibilité ?

Cordialement. Albert

Publié par Albert le 5 mars 2007 à 1:04

Exact pour la reprise de Jérusalem, lire le petit livre "Les Croisades vues par les Arabes" d' Amin Maalouf , qui bien que légérement partial (il oublie beaucoup les inventions Chinoises et les universités en Europe maintenant la culture gréco romaine en autre) dont une apercu de ce long conflit entrecoupé "d'arrangements" que l'on qualifierait de bizantins.

Et les derniéres pages ou il exposent les différences politiques et juridiques entre "les Croisés" et la société civile musulmane sont toujours d'actualité.

Publié par Frédéric le 5 mars 2007 à 8:26

"Je ne me fais pas l'avocat de la Turquie (à laquelle je ne connais rien), j'instruis à charge des pays européens (sur lesquels j'ai un peu de lumières)"

Et ce que je voulais dire, c'est que vous instruiriez à charge tous les pays sur lesquels vous auriez quelques lumières, parce que chacun défend ses intérêts avec bec et ongles, n'ayant pas le choix...

Publié par Roland le 5 mars 2007 à 9:45

A Frédéric

Vous me (re)donnez envie de lire Maalouf, que j'ai souvent feuilleté! mais jamais acheté.

Il ne faut pas accorder à la religion une influence démesurée. Deux éléments parmi d'autres :

La guerre de Trente ans fut, pour une part, une guerre religieuse (pas uniquement, et peut-être même pas principalement), la dernière grande guerre (la seule, d'ailleurs) ayant opposé catholiques et protestants. Néanmoins,

- L'Electeur Jean-Georges Ier de Saxe, tout luthérien qu'il fût (donc protestant) ne s'engagea pas moins, dans les premières phases de la guerre, aux côtés de l'Empereur catholiques (ce qui valut à ce dernier ses succès initiaux et sans doute aussi la limitation des dégâts aux Congrès de Münster et d'Osnabrück). Et, malgré un certain nombre de revirements, sa haine des calvinistes fut encore assez tenace pour qu'il s'opposât toujours, lors des congrès de Westphalie, à la reconnaissance officielle des calvinistes.

- La très catholique France, pays de Vincent de Paul, de Jeanne de Chantal, de Bérulle, de Rancé, de Marguerite-Marie Alacoque, etc., fut aussi le pays qui s'opposa à la non moins catholique Espagne, au pape et à l'Empereur, au point de soutenir une guerre épuisante durant toute la dernière phase de la guerre (et de consolider définitivement les positions acquises par le protestantisme en Allemagne).

Cette guerre, atroce, se déroula au cœur même des pays de chrétienté, avec des cruautés abominables (tuerie de Pasewalk, sac de Magdebourg, jeu de dés de Frankenburg, etc.), dont témoignèrent, entre autres, Callot et Grimmelshausen. Elle ne s'acheva que par l'épuisement financier - et physique - des combattants.

Par comparaison (et dans la même période, je le précise) les guerres contre la Sublime Porte durèrent 15 ans (pour la guerre du même nom, terminée en 1606 par la paix de Zsitva-Torok), 16 ans pour la guerre de la Sainte Ligue, terminée en 1699 par la paix de Carlowitz, 4 ans pour la guerre russo-austro-turque de 1735/39. Toutes ces guerres, pour le Habsbourg, furent des guerres périphériques, d'enjeu bien moindre que celles qui eurent lieu, dans le même temps, avec le roi Très-Chrétien. Certes, le siège de Candie dura 21 ans (jusqu'en 1669), mais les puissances occidentales montrèrent une certaine indolence à aider les Vénitiens!

Publié par Albert le 5 mars 2007 à 14:43

A Roland

Ne vous méprenez pas : si je marque quelque intérêt pour certains sujets, c'est pour des raisons «positives». La catholicité, par elle-même (par exemple), est passionnante à connaître par ses richesses, par ses arcanes, par ses pompes, par ses complications infinies, par ses turpitudes mêmes. Je ne fouille pas d'abord dans les poubelles, pas plus qu'un postulant à l'école de la magistrature ne se présente au concours dans le seul espoir, plus tard, de prononcer des réquisitoires (à supposer qu'il soit nommé magistrat du Parquet) : il est d'abord mû par la passion du droit et la forme d'esprit propre aux études juridiques. Mes «instructions à charge» ne sont qu'un sous-produit d'une inclination de plus vaste amplitude.

Publié par Albert le 5 mars 2007 à 15:08

http://precaution.ch/wp/?p=184

L'OTAN contre les djihadistes

[...]
Une étude brève, brillante et concrètement réalisable, intitulée NATO: An Alliance for Freedom (L'OTAN - une alliance pour la liberté) et publiée par le think-tank d'Aznar, la Fundación para el Análisis y los Estudios Sociales (FAES), nous apprend que la résistance à l'Union soviétique n'était pas le principe fondateur de l'organisation. L'OTAN avait en fait un objectif plus positif, à savoir de «sauvegarder la liberté, l'héritage et la civilisation commune des populations [des États membres], fondée sur les principes de la démocratie, des libertés individuelles et de l'État de droit».
[...]
Aznar et l'équipe de la FAES se sont basés sur cette décision cruciale pour déclarer que «le terrorisme islamiste est une nouvelle menace partagée d'envergure mondiale, faisant peser un risque sur l'existence même des membres de l'OTAN». Rappelant les idéologies totalitaires des années 1930, ils préviennent à juste titre que «nous devons prendre [les] ambitions [islamistes] très au sérieux, peu importe à quel point elles peuvent paraître ridicules ou délirantes». Animés d'une réelle inspiration, ils soulignent également que le terrorisme «n'est que la partie strictement guerrière d'une offensive beaucoup plus large lancée contre le monde libéral et démocratique».
[...]
L'étude NATO: An Alliance for Freedom avance une deuxième recommandation centrale: celle d'inviter les pays qui sont à la fois démocratiques, stables et désireux de contribuer à la guerre contre le djihadisme islamique, à adhérer pleinement à l'OTAN. Le document met l'accent sur l'adhésion d'Israël, qu'il présente comme «un pas extrêmement important», et il approuve d'emblée l'adhésion à part entière du Japon et de l'Australie. Je [Daniel Pipes] proposerais peut-être d'ajouter à cette liste Taiwan, la Corée du Sud et le Chili.
[...]
Un thème que la FAES se contente d'effleurer sans le traiter explicitement est la possibilité que l'OTAN remplace les Nations Unies dans son rôle d'organe mondial central. À mesure que les NU s'enfoncent, passant d'un niveau déjà très bas à des profondeurs toujours plus vaseuses, il devient de plus en plus manifeste que pour se comporter de manière adulte, une organisation internationale ne doit accepter pour membres que des États démocratiques. Bien sûr, il serait possible de créer une organisation entièrement nouvelle, mais il serait plus aisé, plus économique et plus rapide de construire sur la base d'une structure existante, surtout si celle-ci a prouvé sa valeur. L'OTAN est ici un candidat tout désigné, à plus forte raison après la révision conceptuelle proposée par la FAES

Publié par ajm le 5 mars 2007 à 16:17

Vous exprimez à merveille ce que l'on peut reprocher aux gens de "gauche"! Le problème de votre attitude, c'est que les exigences morales que vous avez sur votre propre monde, transformées en réquisitoires, vont servir d'arguments à des gens qui eux n'ont aucun de vos scrupules et vont s'en servir contre nos valeurs et nos intérêts.
Regardez par exemple le débat autour de Euskadi ta askatasuna ces temps...

Publié par Roland le 5 mars 2007 à 16:28

A Roland (oubli !)

Il me revient - esprit de l'escalier - ce que vous avez dit à propos des envahisseurs de l'est et du sud. Vous citez comme exemples Attila et Gengis Khan. Certes ! Mais Attila se manifesta vers 450 (fin de l'empire romain) et son empire s'effondra après lui. Gengis Khan vécut à la charnière des XIIe et XIIIe siècles et, au maximum de son expansion, son empire, à l'ouest, s'étendit jusqu'à la Caspienne (donc au-delà de l'aire de la chrétienté occidentale).

Depuis (car, depuis, l'eau a coulé sous les ponts!), les pays européens (excusez du peu) s'emparèrent sans partage de tout le continent américain et de l'Océanie. Ils soumirent, au XIXe siècle, la totalité du continent africain, et même les Etats formellement indépendants (Maroc, Ethiopie) connurent le poids de la France et de l'Italie. Ils mirent la main sur presque tout le monde musulman, sur l'Inde, sur l'Indochine, sur les Philippines et sur l'Insulinde. [Même la Chine, jamais formellement colonisée, connut l'humiliation des guerres de l'opium, des traités inégaux, le sac du palais d'été et de l'intrusion dans ses guerres civiles]. Ils imposèrent au reste du monde leur comput et leur calendrier, leur alphabet, leur vêtement et leurs institutions. Ils poussèrent enfin leurs métastases sur toutes les mers du globe (les Américains succédant aux Britanniques), s'enkystant sur toute île, cap, isthme, détroit ou promontoire qui présentait un caractère stratégique. Et le tout sans délicatesse excessive! Un exemple (parmi des myriades) : la construction des 1200 km de chemin de fer, par les Belges, dans leur Congo, se fit au prix de 3000 morts, la construction des 140 km de la ligne Congo-Océan, par les Français, sacrifia 17 000 indigènes (Albert Londres. Terre d'ébène, p. 268). C'est qui, les conquérants ? C'est qui, les prédateurs ? C'est qui les «Gengis Khan» ?

Publié par Albert le 5 mars 2007 à 18:32

Personne ne songe à nier les faits que vous soulevez. Ma vision des fonctionnements des sociétés humaines s'approche de la simple thermodynamique. S'il n'y a pas d'isolation, il y a échange entre corps chaud et corps froid. Il n'y a rien de moral là dedans. La nature n'est ni bonne ni mauvaise, elle est indifférente et les sociétés humaines obéissent aux lois naturelles, à la différence des individus qui eux doivent obéir aux lois humaines...Donc si on reste dans la symbolique, on peut ne pas respecter la vie de ceux que l'on a colonisés mais on peut continuer de craindre les invasions des autres. Les Français et les Belges ont passé de très mauvais moments lors de l'invasion allemande de 1914, par exemple. Or nous parlions de symbolique.
Et oui, les Européens ont représenté en thermodynamique civilisationnel un corps plus chaud que les autres...

Publié par Roland le 5 mars 2007 à 19:21

A ajm

1. L'ONU ne s'enfoncerait pas à «des profondeurs toujours plus vaseuses» si (entre autres!) les Etats-Unis ne réglaient pas systématiquement leurs cotisations en retard (alors qu'ils sont les plus gros contributeurs) et s'ils ne passaient pas tous les caprices des Israéliens. L'Assemblée générale prend des résolutions qui contrarient les Etats-Unis ? C'est la règle du jeu ! L'ONU a une autre vocation que d'être la chambre d'enregistrement des décisions de la Maison Blanche!

2. J'accorderais un peu plus de crédit à la FAES de M. Aznar :

- S'il n'avait pas cru (ou feint de croire ?) les histoires à dormir debout du gouvernement américain concernant les ADM (dont l'existence est à peu près aussi avérée que le complot de la CIA contre le World Trade Center!).

- Si son respect de la démocratie avait tenu compte du rejet massif, par les Espagnols, de l'aventure en Irak : le 15 février 2003, les Espagnols formèrent, en valeur relative et en valeur absolue, les cortèges de manifestants les plus nombreux du monde (de 4,8 millions - selon la presse - à 6,9 millions - selon les organisateurs). Certes, pourrez-vous me rétorquer, ces manifestants n'étaient pas élus et le pouvoir revenait légalement au Parlement espagnol. Tout à fait ! Mais lorsque, en 1984, un million de manifestants forcèrent François Mitterrand à enterrer la loi Savary, je n'ai entendu personne, à droite, se plaindre d'une atteinte à la démocratie!

Publié par Albert le 5 mars 2007 à 20:16

Sans doute. Et les sièges sont si durs à New York. Et les sandwichs -- avez-vous déjà dû goûter les sandwichs des Nations Unies, lorsque les États-Unis sont en retard de paiement? C'est terrible.

Publié par ajm le 5 mars 2007 à 21:09

En parle d'"empire", mais combien de temps les occidentaux ont voulut porter "le fardeau de l'homme blanc" ? Vous pensez que les Européens sont plus agressifs que les autres civilisations ?

Comparez la durée de la domination Ottomane sur la Gréce avec celle des Franco-Anglais en Afrique sub saharienne.

Pendant que les britanniques et les français se disputait pour des comptoirs dans les Indes, le Siam subissait 25 invasions de la part de la Birmanie en 220 ans.

Ayuthia, la capitale et la plus grande ville d'Asie du Sud Est, déja tombé en 1563 (population déporté comme esclave comme deux siécles plus tares.) tombe une derniére fois le 17 avril 1767 et sera dévasté à un point telle qu'elle ne pourrait étre rebati.

Du million d'habitants à cette date, 400 000 furent tués lors du siége et du massacre qui suivit sa chute et 400 000 autres furent déporté.

Nous ne sommes pas anges, mais admettait que pour le moment, seul les nations occidentales "confessent" leur exactions et les regrettent publiquement (le Japon est un cas mitigé); je n'avait lut de regrets officiel de la Turquie pour le massacre arménien, ni de demande de pardon des ex états barbaresques pour la piraterie et le commerce d'étres humains.

Au fait, pour "les croisades vue par les Arabes", l'auteur soulignait que l'équité et les mesures de justice étaient bien plus respecté du coté des "Franj" ou, hors guerre, les musulmans en territoire chrétien étaient sur le méme pied devant la loi que les immigrés Européens qu'en terre d'Islam (je ne parle pas de la Reconquista espagnol dont on connait tous les "débordements", des milliers Juifs expulsé se sont méme installé dans les Indes aprés leur expulsion d'Espagne).

Publié par Frédéric le 5 mars 2007 à 22:07

ps : Seul 32 pays sur 192 réglent en temps et en heure leur contributions financiéres obligatoire à l'ONU. Et les USA se rattrapent largement au niveau logistique (aide alimentaire, transport des casques bleus...)

Publié par Frédéric le 5 mars 2007 à 22:56

A Roland

Ai-je bien saisi le sens de vos propos ? Pour ne pas commettre d'impair, je vais essayer de reformuler, (en délaissant le style soutenu), une première version de ce que j'ai compris. J'essaierai, après, deux autres versions.

Première version. Vous déclarez, sans ambages : «Ce que vous dites n'est pas contestable, les Européens se sont comportés comme des forbans. Et alors ? Que voulez-vous que ça me fasse ? Je suis né Européen, du bon côté du manche, et rien ne pourra jamais faire qu'il en soit autrement. Si certains ont eu la malchance de naître Bantous ou Palestiniens, tant pis pour eux ! Qu'ils se démerdent, chacun sa vie ! ».

1. Le problème, avec cette version, c'est qu'elle repose sur un postulat faux. Il est impossible, dans l'infinité de déterminations dont nous sommes le croisement, d'en privilégier une, voire plusieurs. Etes-vous plus proche d'un Hottentot (représentant mâle de l'espèce) que de votre mère (représentante femelle) ? Un milliardaire français est-il plus proche d'un SDF français que d'un milliardaire chinois ? Etes-vous plus proche d'un trotskiste français que d'un Japonais de droite ? Un tétraplégique français est-il plus proche d'un Français en bonne santé que d'un tétraplégique algérien ? Durant la guerre de 1914-18, un officier français de vieille noblesse était-il plus proche de son ancêtre à la cour de Versailles que du tirailleur sénégalais avec lequel il fut écrabouillé par le même obus allemand ? Et qui mérita le plus de la patrie : les tirailleurs marocains envoyés au casse-pipe en Alsace, ou les bons Français «de souche», dont les lettres de dénonciation remplissaient les tiroirs de la Gestapo ? Et ainsi de suite! Et les déterminations changent sans cesse. Qui ne s'est dit, frémissant, en passant à côté d'un accident de la circulation : ça pourrait être moi ? [Et quelquefois, effectivement, c'est «moi»!]. Dès lors que nous ne pouvons privilégier une détermination, nous ne pouvons que les privilégier toutes : qu'on en change une seule, même infime, et notre vie est changée à l'infini.

2. C'est cette conscience du hasard de notre naissance qui fonde toute la vie en société, à commencer par ce qui en est son cœur, sa cause et sa conséquence : le langage. Si je parle, c'est que je me mets à votre place, c'est que j'imagine vos réactions à vos paroles. Si je ne me mettais pas à votre place, je vivrais un solipsisme radical. Si je n'imaginais pas, à chaque instant, que je puisse être à la place d'autrui, il n'y aurait pas de société, pas d'histoire possible (parce que nous ne comprendrions plus nos ancêtres), pas de philosophie, pas de psychologie et, surtout, pas de droit.

3. Si donc nous n'étions pas nous-même, nous pourrions être n'importe qui. Et n'importe qui, ce n'est pas seulement quelqu'un de notre entourage social, quelqu'un de nos relations (quelqu'un de blanc, bourgeois, hétérosexuel, instruit, aisé, propre sur lui), comme on se l'imagine paresseusement, mais n'importe qui, de n'importe quel sexe, en n'importe quel pays et n'importe quel temps.

4. C'est cette conscience qui fonde le droit international, c'est-à -dire des règles reposant sur l'universalité et la réciprocité. Sans elles pas d'institutions internationales (à commencer, par exemple, par celles qui définissent les normes de mesure, pas de traduction possible entre les langues).

Si donc vous admettez placidement que les Européens ont dominé le monde et que cela est dans la nature des choses et que tant pis pour les autres, ils n'avaient qu'à naître du bon côté :

- Tous vos propos sur les droits de l'homme, la démocratie, l'Etat de droit ne sont que du vent.
- Les seuls rapports possibles sont donc des rapports de force et, lorsque le vent aura tourné (la Chine, l'Inde, une coalition quelconque de pays extra-occidentaux auront, d'une façon ou de l'autre acquis une supériorité décisive sur les Occidentaux) vous ne viendrez pas vous plaindre!

Deuxième version. Tout ça n'était que chimères, je me suis trompé de A à Z, vous reconnaissez les torts (immenses) des Occidentaux, vous cherchez des réparations à la hauteur des préjudices qu'ils ont commis, etc. Je vous ai mal jugé et je vous présente mes excuses...

Troisième version : rien de tout ça. Quelle est la bonne ?

Publié par Albert le 6 mars 2007 à 0:01

Vous n'avez pas lu ce que j'ai écrit et confondez l'individu et la société. On assiste bel et bien à une tentative mondiale de codifier les rapports entre elles. On aimerait intervenir au Darfour, on ne le peut déjà pas. On oublie le Tibet depuis plus de 50 ans, Les Russes font ce qu'ils veulent en Tchetchenie et les Américains partout dans le monde.
Vous me parlez des Bantous, les premiers colons de l'Afrique, qui se sont conduit extrêmement cruellement avec les premiers occupants de ce continent, les Khois, les Sans et les Pygmées et continuent de le faire, par exemple au Congo.
Vous avez entendu dire qu'ils cherchent des réparations à la hauteur des préjudices qu'ils ont commis ? On peut faire de même avec toute la liste des peuples colonisés par l'Europe. Soit dit en passant, ce jeu de réparations est particulièrement ridicule et cela n'a pas l'air de vous déranger. Vous imaginez les Helvètes demander des compensations aux Italiens pour les invasions romaines ?

Publié par Roland le 6 mars 2007 à 8:35

A Frédéric

Remarques liminaires.

Le dossier de l'impérialisme occidental doit être bien difficile à plaider pour qu'on m'attribue, avec tant de libéralité, des sympathies pour des régimes (ottoman, chinois, khmer rouge, nord-coréen!) si antipathiques et si caricaturaux qu'ils ne peuvent qu'innocenter, par contraste, ledit impérialisme ! Hélas pour mes contradicteurs, je n'ai pas davantage de sympathie pour les uns que pour les autres (j'y reviens plus loin).

Ce genre de défense s'apparente au propos d'un médecin qui dirait à son patient : «Vous avez un cancer du poumon. Mais rassurez-vous : vous auriez pu avoir la maladie de Parkinson !». En quoi le patient en serait-il soulagé ?

Vous me demandez : les Européens sont-ils plus agressifs que les autres civilisations ? Je n'en sais rien et je pense que ce type de question n'a pas de réponse. Tout au plus puis-je avancer quelques remarques.

- Pour pasticher Descartes, j'ai crainte qu'à l'instar de la raison, la méchanceté ne soit la chose au monde la mieux partagée. Comme le dit Claudio Magris, c'est l'occasion qui révèle le méchant à lui-même.

- A dose de méchanceté égale, celui qui a le plus de moyens risque aussi d'être celui qui fait le plus de dégâts. A cet égard, le perfectionnement des armes n'incite pas à l'optimisme.

- Il est possible que si les musulmans ou les Chinois, ou les Indiens avaient découvert l'Amérique, ils se seraient comportés de la même façon que les Européens. Mais ce sont les Européens qui, depuis le XVe siècle, ont eu la chance (ou la malchance!) de dominer le monde!

Vous me demandez de «compare[r] la durée de la domination ottomane sur la Grèce avec celle des Franco-Anglais en Afrique subsaharienne». Cette durée de domination ne constitue pas un critère suffisant pour juger de la dureté ou de la cruauté d'un régime ou d'une domination. On peut accomplir des « exploits» en peu de temps!Par exemple :

- Le gros des massacres staliniens a eu lieu en 6/7 ans (1935-1941).
- Le gros des crimes nazis s'est déroulé durant les 6 ans de la Seconde Guerre mondiale.
- Le génocide khmer rouge s'est tenu dans l'espace de 4 ans (1975-1979).
- Le massacre du Rwanda s'est déroulé en quelques semaines.
- Les tueries du Grand Bond en avant se sont tenues de 1958 à 1962.
- Les massacres des Arméniens par les Turcs se sont étalés sur quelques mois de l'année 1915.

En ce qui concerne les Européens eux-mêmes, et pour le Nouveau Monde :

- Ils firent disparaître les civilisations aztèque et inca ainsi que, plus modestement, le genre de vie des tribus amérindiennes du sous-continent nord-américain. Ils ont également, dans les îles Caraïbes, exterminé la totalité de la population amérindienne (puisqu'on n'y trouve plus, actuellement, que les nuances du mélange entre la population européenne et la population noire transplantée d'Afrique). Deux grandes civilisations plus une population (au Nord) réduite à la clochardisation et à l'alcoolisme, ce n'est pas mal ! Il est caractéristique que l'on se soit extasié qu'Evo Morales ait été le premier chef d'Etat indigène de la Bolivie. Le premier en 500 ans, c'est un exploit!

- Dans l'Afrique sub-saharienne, il n'y eut pas que les Français et les Anglais. Il y eut aussi les Portugais, les Espagnols, les Néerlandais (Afrique du Sud), les Allemands et les Belges. Evoquons brièvement ces deux derniers colonisateurs.

- Dans le Sud-Ouest africain allemand (aujourd'hui Namibie) les Allemands réussirent, dans le bref laps de temps où ils le colonisèrent, à exterminer la quasi-totalité des 80 000 Herreros (dans une colonie dirigée par Heinrich Goering, père du futur maréchal, bon sang ne saurait mentir!). Après la Grande Guerre, les rares métis issus des viols des soldats allemands sur les femmes herreros et rapatriés en Allemagne, furent stérilisés pour ne pas abâtardir la race!

- Dans l'Etat libre du Congo, possédé à titre personnel par le roi des Belges Léopold II (sic), on estime que la moitié environ de la population fut exterminée par la mise en coupe réglée du pays. La population du pays étant difficile à évaluer, le nombre de victimes oscille de quelques centaines de milliers (au minimum) à quelques millions (au maximum). Et le tout en guère plus de 35 ans (de 1885 à 1914).

J'arrête là pour ne pas alourdir le blog. Si vous souhaitez poursuivre, je dirai ultérieurement quelques mots sur les Turcs et la piraterie en Méditerranée.

Publié par Albert le 6 mars 2007 à 23:14