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11 avril 2007

Le prix sanglant des otages (3)

C'est un sujet que j'ai déjà abordé par deux fois, de façon assez générale d'abord, puis avec un complément plus récent. La problématique a été rappelée par la libération du journaliste italo-suisse Daniele Mastrogiacomo en échange de 5 chefs taliban, ce d'autant plus que la polémique déclenchée par cet arrangement a révélé que le reporter Gabrielle Torsello avait également été libéré en novembre grâce au versement d'une rançon de 2 millions de dollars, après 3 semaines de détention aux mains des Taliban. Une libération que les collaborateurs et auxiliaires locaux ne peuvent guère espérer, puisque le chauffeur et l'interprète de Mastrogiacomo ont été assassinés par leurs ravisseurs.

Il vaut la peine de s'interroger plus en détail sur l'impact que peuvent avoir 2 millions de dollars pour une mouvance belligérante telle que les Taliban. Une partie de cette somme doit forcément servir à graisser quelques pattes, voire à enrichir les intermédiaires qui se proposent "spontanément" au Gouvernement vers lequel se tournent les proches de l'otage, mais une partie également doit bien être réinvestie dans la capacité de combattre. Avec l'évolution actuelle des prix des armes légères en Afghanistan, soit 600 dollars pour une Kalachnikov et 100 dollars pour un lance-roquettes antichar, la moitié de la rançon devrait probablement permettre d'armer et de munitionner entièrement un millier d'hommes environ (base de mon estimation : 1000 dollars pour un fusil d'assaut avec 30 magasins, compte tenu des économies d'échelle et des pratiques du belligérant en question). Les Taliban vivant largement sur le dos des populations, les autres frais doivent être très limités...

Combien d'attaques, combien d'assassinats, combien d'exécutions peuvent commettre un millier de fanatiques ? Voilà une question que certains dirigeants politiques devraient se poser avant de dépenser l'argent de leurs contribuables pour des otages individuels. Sans même parler des risques encourus par leurs propres soldats, déployés en Afghanistan pour combattre les même fanatiques et contrecarrer leurs effets désastreux sur la société afghane.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 avril 2007 à 10:24

Commentaires

On ne peut que regretter le bon vieux temps de Rudyard Kipling:

"Quand, blessé et gisant, dans la plaine afghane tu vois surgir la femme coupeuse d'entrailles, saisis ton fusil, fais-toi sauter la cervelle et rends ton âme à ton Dieu en soldat."

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 11:59

"....combien d'exécutions peuvent commettre un millier de fanatiques ? "

"Fanatiques", voilà une dénomination qui n'est, à mon avis, pas vraiment efficiente dans le cadre d'une opération de type colonial, car elle tient plus du jugement moral que de la description opérationnelle (de même que les dénominations de "résistants" et de "terroristes" qui décrivent souvent les mêmes individus, mais vu de l'un ou de l'autre camp) (1).

Il faudrait mieux faire le distinguo "combattants indigènes" versus "combattants allogènes", sans entrer dans des considérations trop subjectives ou trop politiques.

Par exemple, il y a maintenant dans les zones tribales du Pakistan des combats sévères entre tribus locales (qu'on pourrait certainement qualifier de "fanatiques" sous l'angle ici choisi) contre des étrangers combattants d'Al-Quaïda, donc des "fanatiques" également.

Ainsi, le discriminant "fanatiques" n'est ici pas opérant, alors que le discriminant "indigène/allogène" l'est. Comme l'est toujours tout discriminant simple basé sur le territoire ou l'origine, en opposition avec les discriminants complexes et relatifs basés sur des concepts abstraits.

(1) le terme neutre d'insurgé me paraît préférable.

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 12:14

Comme si la morale ne jouait pas un rôle dans les conflits s'appuyant sur les opinions publiques, fass57...

Le terme d'insurgé n'est pas indiqué, puisque les Taliban détenaient le pouvoir et en ont été délogés manu militari, et que les zones où ils combattent sont essentiellement leur fief ethnique (pachtoune). Leur comportement à l'endroit des populations tend d'ailleurs à les en distancer, ce qui n'est pas exactement le but d'une insurrection.

Par ailleurs, le mot de "fanatique" possède également un sens opérationnel : est réputé fanatique celui qui se comporte d'une façon étrangère aux us et coutumes de la guerre. Le fanatisme peut être d'origine religieuse ou idéologique (les Croisés en étaient, en tout cas les premiers), mais peut également être dû à l'ingestion de stupéfiants (chose commune dans certaines régions, et qui rend les combattants sous l'emprise de telles substances plus difficiles à neutraliser, puisque seule la mort immédiate ou imminente les arrête).

Publié par Ludovic Monnerat le 11 avril 2007 à 12:24

Quand ces mouvances islamistes combattaient l'occupant soviétique, en bénéficiant de l'aide occidentale, ils n'étaient pas "fanatiques".

Faut-il encore rappeler que le mouvement taliban est un golem ayant échappé aux magiciens de la CIA, peut-être est-il d'ailleurs toujours plus ou moins contrôlé par le magicien pakistanais, pourtant "allié" des USA!

On peut aussi penser au chef de guerre Gurgudin Hekmatiar, ultra-intégriste surnommé autrefois "le boucher de Kabul", bref un "fanatique", qui est aujourd'hui un allié des puissances occidentales contre les "fanatiques" talibans.

Oui, la morale et la guerre, drôle de couple.


Quant aux croisades, elles furent avant tout de très judicieuses contre-attaques préemptives, face à l'expansion du monde islamique.

Je me permettrais de laisser parler Chateaubriand:

""Les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. N'apercevoir dans les croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c'est montrer une vue très bornée en histoire. Il s'agissait non seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l'emporter sur la terre, ou d'un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l'ignorance, au despotisme, à l'esclavage, ou d'un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité et aboli la servitude. Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont [1095] pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n'avaient pas les petites idées qu'on leur suppose, et qu'ils pensaient à sauver le monde d'une inondation de barbares. L'esprit du mahométisme est la persécution et la conquête : l'Évangile au contraire ne prêche que la tolérance et la paix! Où en serions-nous si nos pères n'eussent repoussé la force par la force ? Que l'on contemple la Grèce et l'on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des Musulmans. Ceux qui s'applaudissent tant aujourd'hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d'Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ? Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes."


Enfin, je crois profondément qu'un soldat efficace doit avant tout être un soldat politique (comme l'étaient les croisés, sous une certaine forme), donc un individu qui sait pourquoi il combat, en bénéficiant d'une structure idéologique tout à la fois saine, cohérente et efficace.

Donc, sans me lancer dans la morale ou le jugement civilisationnel (j'en reste à mon ethno-différentialisme: que chacun soit maître chez soi), la structure idéologique du taliban, aussi étrangère qu'elle puisse nous paraître, est plus saine, plus cohérente, plus efficace (je décris là son efficacité opérationnelle, je ne la juge pas selon mes critères moraux d'européen) que la structure idéologique des troupes allogènes en Afghanistan (en gros, imposer le "vivre-ensemble", établir le règne de la "diversité" etc...).

C'est pourquoi les guerres coloniales ne sont pas "gagnables" sur le long terme, à moins d'exterminer les populations locales, comme au temps de César.

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 13:09

Avez-vous remarqué la distorsion entre la présentation médiatique des manifestations antiaméricaines en Irak et la réalité ?

La réalité, c'est que l'extrémiste Al-Sadr s'est pris une sacrée gifle, sa manifestation a été un échec retentissant, qui montre bien que les Etats-Unis sont en train de détruire sa milice :
http://leblogdrzz.over-blog.com/article-6347372.html

Publié par drzz le 11 avril 2007 à 13:22

En aparté, on pourrait aussi ajouter que la production d'opium a fortement repris depuis l'intervention alliée en Afghanistan.

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 13:27

C'est la production de terroristes qui était visée.

Publié par drzz le 11 avril 2007 à 13:29

La réalité concrète de l'intervention américaine, pour nous-autres européens, Drzz, c'est qu'il y a maintenant près de 15'000 réfugiés irakiens en Suède (avec la criminalité qui va avec, Oslo étant devenue une ville très dangereuse pour les femmes) et que le Système presse aussi la Suisse de faire "sa part" (encore heureux que le conseiller fédéral Blocher fasse son boulot), en acceptant sur notre sol un bon millier de ces moyen-orientaux!

Et c'est tout bénéf' pour l'Etasunie: en favorisant la propagation des mélanomes, le Système rend l'Occident européen solidaire, par force, de sa problématique cancéreuse. Pour pouvoir dire ensuite, "voyez, nous sommes tous dans le même bateau, il faut être solidaire, envoyez vos fils se perdre pour nous dans les sables..."

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 13:35

les petits producteurs du Pérou ayant "le label Max Havelaar, signe en principe d'un commerce équitable, et le label bio" doivent vendre combien de régimes de bananes pour acheter une Kalachnikov ?
sachant que ces producteurs mènent le même combat que Chavez, son camarade Fidel, leurs frères Musulmans, la gauche plurielle de tous les pays, y compris Chirak (il est encore là pour qq semaines !), les anciens communistes russes, etc
contre le capitalisme libéral symbolisé par les US
des kiwis dis-je...

Publié par JPC le 11 avril 2007 à 16:26

fass57, Oslo est en Norvège· Parlez-vous de Stockholm ou de la Norvège?

Publié par LolZ le 11 avril 2007 à 23:04

Argh, oui évidemment :-)))

Publié par fass57 le 11 avril 2007 à 23:10

Encore une fois les gouvernements occidentaux choisissent la solution la moins coûteuse à court terme, et la moins coûteuse de ce qui est visible de la guerre sur place puisque les medias ne montrent que bien peu d'images des affrontements sur place. Ainsi armons nous ce qui nous combattent, aussi bien concrètement en leur donnant de l'argent, que de manière plus indirecte en leur donnant trop fréquemment du grain à moudre, cf votre article sur les manifestations anti-américaines en Irak, mais il y a bien d'autres exemples. La situation en Afghanistan semble empirer chaque jour, au dire des unités qui en reviennent. Le plus simple (mais pas forcement le plus facile à accepter pour beaucoup) serait peut-être d'accepter l'idée que les nations qui y ont envoyés des contingents y sont en guerre (au delà des problème juridiques que posent la reconnaissance d'un tel état), et que les nécessités de la guerre étant telles, il faudrait limiter la présence d'élèctrons libres dans le pays (journalistes, ONG,...) pour ne pas avoir à recommencer ce type de marchandage à l'avenir. On peut toujours réver hélas...

Publié par Lirelou le 12 avril 2007 à 22:19