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12 août 2005

Les espaces hypersécurisés

Le débat ci-dessous consacré au retrait israélien de la bande de Gaza a brièvement soulevé la problématique des espaces fermés et hypersécurisés qui sont de plus en plus la règle face aux menaces modernes. Le développement spectaculaire de la vidéosurveillance et des portails de détection illustre en effet l'application routinière des technologies modernes en vue de renforcer la sécurité de secteurs donnés, et donc d'y empêcher l'emploi de la violence à des fins criminelles ou guerrières. Cela n'empêche pas la fouille corporelle à l'entrée des stades et des aéroports, la recherche systématique d'explosifs au voisinage d'événements importants ou encore l'introduction des identifications biométriques de se généraliser sans soulever de résistance majeure, alors qu'elles correspondent à des mesures très avancées dans la détection et la prévention de menaces. Sans que le caractère subjectif et fluctuant de celles-ci ne soit vraiment pris en compte.

Comme je l'ai évoqué dans cet article publié l'an dernier, les espaces ainsi délimités peuvent être de deux natures : protecteurs, s'ils empêchent une menace d'y pénétrer, ou carcéraux, s'ils empêchent une menace d'en sortir. Cette distinction prête parfois matière à débat, comme c'est le cas aujourd'hui au sujet de la bande de Gaza, parce que la prison des uns peut être la protection des autres. Cependant, toutes les entraves sécuritaires à la circulation des personnes possèdent cette propriété duale consistant à simultanément rassurer et exaspérer, à renforcer la sécurité d'une zone et l'envie de s'en jouer. Les lignes de séparation, fixes ou mobiles, provisoires ou définitives, deviennent presque inévitablement des symboles puissants, ainsi que la reconnaissance d'une menace que l'on redoute. On peut les voir comme un bouclier tendu devant une société, une collectivité ou une personne données, et qui n'exprime que la faiblesse s'il n'est pas complété par un glaive dont il prépare l'action. Une tentative d'échapper aux effets d'un conflit plutôt qu'en appréhender les causes.

L'augmentation constante des mesures de sécurité prend ainsi un caractère inquiétant si elle n'est qu'une réponse mécanique à l'évolution des menaces, si elle entretient une escalade des mesures et contre-mesures ; une telle méthode promet une transformation de nos vies sans pour autant garantir notre protection autrement qu'à court terme. En fait, se protéger toujours plus et s'en tenir à cela exige moins de courage qu'admettre l'existence d'un ennemi et la nécessité de le neutraliser. De plus, des mesures systématiques et non ciblées possèdent souvent un caractère arbitraire qui peut dans bien des cas les rendre contre-productives, comme la segmentation de l'espace public en fonction des activités d'une petite minorité criminelle ou délinquante. Mettre tout le monde dans le même panier parce que l'on refuse de se salir les mains est une injustice qui échappe à nombre de consciences. Dans de telles conditions, les dispositifs sécuritaires concourent grandement au morcellement des sociétés, et favorisent le développement d'un ennemi intérieur.

C'est donc à mon sens le principal danger des espaces hypersécurisés : imposer une ségrégation qui peut devenir en soi une cause de conflit, et ainsi renforcer la tentation d'une hyperviolence. La recherche du risque zéro ne doit pas nous faire croire que le terrorisme ou la criminalité peuvent disparaître moyennant des mesures sécuritaires drastiques.

Publié par Ludovic Monnerat le 12 août 2005 à 21:26

Commentaires

Par la bande, mon Colonel, je suis obligée de préciser que vous vous leurrez. Quand vous faites allusion à la «fouille corporelle à l'entrée des stades ». Etant fan de la Juventus de Turin, ville d'un pays exposé s'il en est, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de constater que j'aurais pu trimballer n'importe quelle arme sans être inquiétée. Paradoxalement, ce manque d'appréhension d'une menace directe va effectivement de pair avec le développement de réflexes sécuritaires purement défensifs. Et que cela ne soulève pas de «résistance majeure » est troublant. Pour ne pas dire inquiétant!

Publié par Myriam le 12 août 2005 à 22:46

Autant pour moi : mon intérêt somme toute mesuré pour le football m'aura amené à croire que certaines mesures prises face à un hooliganisme compulsif étaient appliquées de façon à peu près systématique dans les grands stades. Je pense cependant que cet élément au moins partiellement incorrect ne contredit pas le sens du billet... :)

Publié par Ludovic Monnerat le 13 août 2005 à 0:00

Je ne crois pas à une sécurité dont-on n'est pas parti prenante. C'est impossible à gérer et c'est de l'argent mal employé sauf pour le "cœur " comme les produits de beauté. Par contre je suis totalement pour les systèmes intelligents et robotisés afin de retracer ceux qui commettent des délits, les capturer et les soustraire à la liberté que nous partageons par la réclusion à vie pour les meurtriers et la mise à mort exceptionnelle ( décision non prévue à l'avance et décidée au coup par coup par un jury et preuves garanties par des tests d'ADN ) pour les meurtres de masse, en série ou particulièrement odieux. Bien sure le vieillissement de la population ne favorise pas une participation à la sécurité et l'habitude de porter un casque pour jouer au curling fait plutôt pencher la balance vers l'illusion de zones sécurisés que les baby boomers plein aux as vont se payer avec les risques d'hyperviolence dont vous avez bien décrit les rouages ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 13 août 2005 à 1:18

"De plus, des mesures systématiques et non ciblées possèdent souvent un caractère arbitraire qui peut dans bien des cas les rendre contre-productives, comme la segmentation de l'espace public en fonction des activités d'une petite minorité criminelle ou délinquante."

Moi, ce que je rêve comme société hypersécurisée, c'est un drone, pouvant détecté les substances opiacées, qui volerait au dessus de ma ville en permanence (enfin qui se relayerait en permanence).... Il paraît qu'on ne peut pas le faire, même en cas de présence de pyromanes...

Alors, je dois bien avouer que l'arrivée des prochains Marcbot et Toughbot ne m'inquiète pas plus que cela... et encore moins les conflits qui pourraient en découler... :)

Publié par X. le 13 août 2005 à 9:12

Concernant la sécurité et les risques d'attentats, on à poster sur le blog ci dessus un article concernant les attentats suicides (sans revendication "politique" ou "religieuse" précises) en Chine qui sont plus fréquents qu'on ne pense généralement :

http://chine.blogs.liberation.fr/pekin/2005/08/kamikaze.html#comment-8598316#comment-8598316

Comme je l'ai écrit dans un commentaire, aprés les Mass Murders, voici peut étre l'ére des Bomb Murders - Il est vrai qu'il semble plus facile de fabriqué des explosifs la bas que de se procurer une arme automatique -

Publié par Frédéric le 14 août 2005 à 15:53

La sécurité des stades et des grands événements ne peut pas être basée sur une fouille systématique et sur une surveillance de chaque supporteurs. Il faudrait encore plus d'heures pour remplir un stade, avec une grogne certaines des milliers de supporteurs « innocents », ce qui amènerait tôt ou tard à une diminution du nombre de spectateurs, les inconditionnels étant plus un noyau dur que rien n'arrêtera.

Les organisateurs de grandes manifestations du genre de la coupe d'Europe ou autre se basent sur des comportements préétablis, calculables et calculés avec des algorithmes de comportements et de mouvements de foule assez pointus. A cela s'ajout une surveillance visuelle (caméras, observateurs, snipers et unités d'intervention, ainsi que présence de personnel de sécurité en civile au milieu des foules). Les systèmes biométriques, à commencer par l'identification faciale permettent de réduire sensiblement la présence de sujets dangereux comme les hooligans récidivistes, sans empêcher des débordements réguliers.

Malgré des moyens impressionnants, on peut encore voir régulièrement soit un anglais qui travers le gazon nu comme un ver, poursuivi par une cohorte de policiers ou un arbitre ramasser une boite de bière sur le crâne.

Un espace hyper sécurisé correspond à un niveau de 80 à 90 % des risques couverts. Le reste ne peut être (malheureusement) que assumé. Le risque zéro est une illusion, quel que soir le secteur ou on veut l'appliquer, il s'agit donc trouver un bon équilibre entre une société sécurisée et pouvoir vivre normalement.

Publié par Daniel le 15 août 2005 à 16:10