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24 mars 2005

Irak : changement de ton

Il est intéressant de relever que la société d'analyse stratégique Stratfor a largement changé de perspective sur la situation en Irak, comme le montre TigerHawk sur son blog. La succession des événements depuis les élections du 30 janvier impose peu à peu une prise de conscience : la guérilla sunnite accumule les échecs depuis des mois, et se trouve désormais dans une situation sans issue - à moins d'une intervention extérieure. Le fait que les sunnites semblent changer d'avis sur le processus politique est également un indice intéressant.

La dernière colonne d'Austin Bay illustre une explication que j'avance depuis assez longtemps (voir cette très longue analyse), en rappelant les réflexions qui lui sont venues à l'esprit l'été dernier, lorsque ce colonel de réserve de l'US Army observait les nombreux écrans du centre d'opérations interarmées de la coalition à Bagdad :

The biggest display, that morning and every morning, was a spooling date-time list describing scores of military and police actions undertaken over the last dozen hours, The succinct, acronym-packed reports flowed like haikus of violence: "0331: 1/5 Cav, 1st Cavalry Division, arrests suspects after Iraqi police stop car"; "0335 USMC vicinity Fallujah engaged by RPG, returned fire. No casualties."
The spool spun on and on, and I remember thinking: "I know we're winning. We're winning because -- in the big picture -- all the opposition (Saddam's thugs and Zarqawi's Al Qaeda) has to offer is the tyranny of the past. But the drop-by-drop police blotter perspective obscures that."

Les changements de ton qui se produisent aujourd'hui sont ainsi dus à la superficialité des jugements exprimés depuis 2 ans : les tendances profondes du conflit ont été obscurcies par ses aspects les plus spectaculaires, sans égard à la représentativité ou non de ceux-ci. Scotchés à l'actualité, de trop nombreux commentateurs n'ont pas mesuré les dimensions exactes de la lutte et les véritables armes - les idées - dont elle dépend. Or l'effet d'une élection réussie consiste bel et bien à rappeler les perceptions et opinions majoritaires dans une société donnée, et donc à modifier potentiellement ses rapports de force subjectifs.

L'évolution du comportement des Irakiens face aux terroristes et aux guérilleros confirme un tel phénomène.

COMPLEMENT I (26.3 0800) : Ce bref article du Financial Times, qui affirme que les insurgés cherchent une "stratégie de sortie", fournit également des éléments allant dans ce sens. La dernière phrase du texte confirme l'impact des élections :

Sharif Ali said the success of Iraq's elections dealt the insurgents a demoralising blow, prompting them to consider the need to enter the political process.

COMPLEMENT III (27.3 2200) : Même les médias les plus farouchement opposés à l'intervention militaire en Irak commencent à publier des nouvelles positives pour l'entreprise américaine, comme le Guardian aujourd'hui, même s'il continue d'employer ce terme de "résistance" totalement contraire à la perception au sein de la population irakienne.

Publié par Ludovic Monnerat le 24 mars 2005 à 18:52

Commentaires

Ce qui me semble également remarquable, c'est que c'est aussi la grande défaite des médias de gauche. Contrairement à l'époque de la guerre du Viêt-Nam, ils n'auront pas réussi à faire basculer l'opinion publique pour faire perdre la guerre.

Publié par Robert Desax le 24 mars 2005 à 21:34

Ce que raconte l'auteur du blog http://healingiraq.blogspot.com est à cet égard effarant. La différence entre ce qu'il délivre de sa vie quotidienne, et ce qu'en rapportent nos soi-disant journalistes, est tellement énorme que j'ai l'impression que ce sont deux pays divisés par un océan, qu'ils décrivent.

Publié par Raphaël le 24 mars 2005 à 23:42

Pour Desax, rien n'est joué, il faut voir le tour que prendra la question Irakiennes dans les élections en Italie et au Royaume Unie.

Publié par Frédéric le 25 mars 2005 à 1:16

En Amérique du Nord la polémique est très mal vu, aussi on préfère laisser la presse délirer en se disant que le temps se chargera de remettre les pendules à l'heure. C'est tout le contraire en Europe de l'Ouest et plus particulièrement en France. Les Médias se sont enferrés faute de discussions et ce n'est pas seulement ceux de la gauche ( nous n'avons pas les même clivage en Amérique du Nord... ) car le bourbier et le mensonge ( on découvre que c'est payant et il va falloir le dire à nos enfants... ) se vent mieux qu'une étude objective de la situation qui nous montre une société " très ordinaire " en reconstruction...

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 25 mars 2005 à 1:22

Voici un article de l'Express, franchement, le plus désolant dans cette affaire Irakienne, c'est que les USA n'ont pas écouté Mitterand qui voulaient destituer S. Hussein en 91, malgré l'opposition des pays arabes de la Coalition de l'époque, je pense que l'on aurait pas eu autant de soucis :

Jeudi 24 mars 2005, mis à jour à 19:15

L'Irak se rappelle une fois de plus au bon souvenir de Tony Blair

LEXPRESS.fr avec AFP

La question de la légalité de l'intervention britannique en Irak a une nouvelle fois été posée jeudi avec la publication de la lettre de démission d'une conseillère juridique du gouvernement, qui avait qualifié la guerre de "délit d'agression".

A quelques semaines de législatives attendues le 5 mai, la publication de ce courrier relance le débat sur la justification de la guerre, sujet toujours embarrassant pour le Premier ministre travailliste Tony Blair.

"Il est certain que cette affaire affaiblit Blair en détournant l'attention (de l'opinion publique) de sujets sur lesquels il voulait se concentrer: l'économie et les services publics", a déclaré à l'AFP Mark Gill, un analyste de l'institut de sondage MORI.

Dans son courrier daté du 18 mars 2003 et obtenu par la BBC dans le cadre de la nouvelle loi sur la liberté de l'information, Elizabeth Wilmhurst expliquait que l'intervention en Irak constituait "une utilisation illégale de la force" assimilable à "un délit d'agression".

"Je ne peux pas approuver de tels actes dans des circonstances qui sont si préjudiciables à l'ordre international et à l'autorité de la loi", écrivait notamment cette conseillère juridique du Foreign Office.

La chaîne de télévision privée Channel 4 a pour sa part affirmé que dans une partie de la lettre non rendue publique, Elizabeth Wilmhurst laissait entendre que l'attorney general Peter Goldsmith avait dans un premier temps jugé la guerre illégale, avant de changer d'opinion.

Lord Goldsmith est le plus éminent conseiller juridique du gouvernement.

Un porte-parole de l'attorney general a rétorqué que Lord Goldsmith avait "très clairement" exposé son point de vue devant la chambre des Communes le 17 mars 2003 et que, selon lui, "une intervention militaire en Irak était légale".

Le Foreign Office a quant à lui indiqué que les parties de la lettre non rendues publiques étaient couvertes par des exemptions relatives au secret entourant la politique gouvernementale.

Ces explications n'ont guère persuadé l'opposition, convaincue que Tony Blair a fait pression sur l'attorney general dans le but d'arracher le soutien de députés travaillistes initialement hostiles à la guerre.

Pour lever toute ambiguïté, Dominic Grieve, principal conseiller juridique du parti conservateur, a une nouvelle fois appelé le gouvernement à publier l'intégralité du jugement de Lord Goldsmith, une chose que Downing Street a toujours refusé.

Il est "parfaitement clair que l'attorney general a changé d'avis", a-t-il affirmé jeudi à la BBC. "Initialement, la guerre était illégale en l'absence d'une deuxième résolution" des Nations unies, a-t-il dit. "Puis, il (Lord Goldsmith) semble avoir adopté un point de vue équivoque, disant que (la guerre) serait peut-être légale mais qu'il était préoccupé par le fait que cela présentait un risque sur le plan légal".

"En définitive, a ajouté Dominic Grieve, il semble qu'il ait dit au cabinet (principaux membres du gouvernement), juste avant la guerre, être arrivé à la conclusion qu'il y avait une base légale".

Le porte-parole libéral-démocrate pour les Affaires étrangères, Menzies Campbell, estime lui aussi que Lord Goldsmith a changé d'avis à deux reprises. Pour, finalement, se ranger à celui de Tony Blair. "Tout cela mérite une explication", a-t-il souligné.

"Il serait dans l'intérêt du gouvernement de lever toute ambiguïté et de mettre un terme à quelque chose qui est en train de devenir embarrassant et persistera aussi longtemps qu'ils (le gouvernement) continuent à tergiverser sur ce qu'on leur a dit", a pour sa part souligné jeudi à la BBC l'ancien ministre des Affaires étrangères Robin Cook.

Selon M. Cook, qui avait démissionné du gouvernement pour protester contre la guerre en Irak, les députés travaillistes n'auraient peut-être pas voté en faveur de l'invasion s'ils avaient su ce que pensaient les conseillers juridiques du Foreign Office.

Publié par Frédéric le 25 mars 2005 à 1:34

"le plus désolant dans cette affaire Irakienne, c'est que les USA n'ont pas écouté Mitterand qui voulaient destituer S. Hussein en 91"

C'est la meilleure de la journée! Mitterrand qui aurait voulu remplacer son meilleur client de l'époque? Celui qui avait acheté à la France son réacteur nucléaire Osirak? Le partenaire privilégié de l'Hexagone au moyen-orient? Le "régime laïque" cité en exemple? Celui qui avait fait les choux gras des usines d'armement françaises pendant les huit ans de guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988?

Les USA voulaient destituer Saddam Hussein en 1991. C'est l'ONU qui leur interdit de poursuivre jusqu'à Badgad - alors même qu'ils avaient encouragé les Kurdes du nord à se soulever pour prendre le régime entre deux feux. L'ONU, où la France était une voix parmi d'autres, mais dans le ton. La mission de l'ONU, à l'époque, était *exclusivement* de libérer le Koweit - pas de mettre un terme au régime qui s'était lancé dans cette guerre de conquête. Car voyez-vous, l'ONU est mal placée pour des opérations de politique intérieure; elle laisse chacun massacrer chez soi, n'intervenant que sur des conflits de frontières. C'était vrai en 1990 et ça le reste encore assez largement aujourd'hui, même si l'institution évolue - terriblement lentement.

La grande erreur des américains lors de cette première guerre du Golfe, ce fut de se plier aux décisions "multilatérales" de l'organisme international. En serrant les poings, ils virent se faire massacrer les rebelles qu'ils avaient lancés, pour rien. Ils obtinrent tout de même l'interdiction aérienne sur une grande partie du territoire d'Irak - cela n'empêcha pas les massacres, mais les limita peut-être.

Suite à la volonté de la communauté internationale de punir un de ses membres sans pour autant le condamner... Commença alors pour la population irakienne des tueries sans nom, une agonie lente, et le monde entier comme spectateur distrait ou consentant, jusqu'à un certain mois de mars 2003.

Certains, aujourd'hui encore, font peser sur les épaules américaines les morts Kurdes d'Irak des années 90 suites aux purges de Saddam Hussein. Ils n'ont pas complètement tort; mais si ces morts ont été provoqués par des initiatives américaines, c'est à l'ONU que revient l'inutilité de toutes ces victimes en ayant obligé les Américains à laisser le dictateur en place.

Publié par Stéphane le 25 mars 2005 à 22:04

La télévision suisse-alémannique SF DRS parle à ce propos de "soi-disant terroristes" ("sogenannte Terroristen").

Publié par Robert Desax le 28 mars 2005 à 10:20

Pourtant, qui à lancé "Il faut libérer l'Irak" lors d'un discourt ? - Il s'agit d'un lapsus révélateur- ;)
Quand à Osirak et autres joyeuseté, c'est malheuresement toutes les nations occidentales qui ont soutenut l'Irak contre le régime de Téhéran.
Quand aux révoltes Kurdes et Chi'ites, les USA sont aussi coupable que les autres voir plus de ne pas leur avoir apporté un soutien plus actif contre S Hussein.

Publié par Frédéric le 28 mars 2005 à 23:27