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5 février 2005

La fiabilité des médias

La valeur cardinale des médias grand public est la fiabilité de leurs informations : tous les journalistes - ou presque - y croient dur comme fer, en vertu d'une déontologie enseignée depuis des décennies, et affichent fréquemment un mépris non déguisé à l'endroit d'Internet et des informations que l'on peut y trouver. Pour mieux se distinguer de l'ivraie, la presse romande a par exemple une charte censée certifier la qualité du contenu mis en ligne par chaque adhérent. Une manière assez élégante de défendre les intérêts d'une corporation par des arguments largement éthiques. La presse est fiable, faites-lui confiance !

En réalité, la véracité des informations vendues au public - ou l'inclination des médias à la rétablir lorsqu'elle a été compromise par une erreur ou une déformation - sont de plus en plus souvent mises en doute. Une telle dérive a déjà été analysée ici sous l'angle des biais que portent en eux les journalistes qui se transforment en combattants de la persuasion. Un autre aspect du problème est la quantité brute d'informations disponibles, qui s'est multipliée sans que les rédactions ne suivent une évolution correspondante - en termes d'effectifs et de capacité de travail. Mais la confiance est bel et bien menacée.

Prenons quelques cas récents de contre-vérités propagées par les médias, et rarement corrigées lorsque leur nature a été révélée. La plupart des télévisions - dont la TSR, qui affiche fièrement une charte d'éthique - ont diffusé en début de semaine les images d'une vidéo tournée par la guérilla en Irak et censée montrer des tirs de missiles ayant abattu un C-130 britannique, puis la carcasse de celui-ci. Plusieurs experts affirment à présent que cette vidéo est un montage trompeur, destiné à faire accroire une embuscade au missile sol-air qui a peu de chances d'avoir eu lieu. Dans un registre presque comique, les agences de presse ont également diffusé les images d'un site islamique revendiquant la prise en otage d'un soldat américain qui n'était autre qu'un modèle réduit.

Secouée par les manipulations qui ont été révélées par l'affaire Kelly, la BBC semble avoir augmenté ses exigences de qualité : récemment, la chaîne publique britannique s'est ainsi excusée pour avoir fait croire, sur la base d'une interprétation erronée, que la majorité des morts violentes de civils en Irak étaient dues aux forces de la coalition. En revanche, CNN est aujourd'hui dans la tourmente, parce que l'un de ses dirigeants a affirmé au WEF la semaine passée que les militaires américains avaient délibérément ciblé et tué de nombreux journalistes en Irak - sans la moindre preuve pour fonder une accusation aussi grave. Lorsque l'on sait que le même dirigeant a avoué que CNN a dissimulé les crimes monstrueux du régime de Saddam Hussein pour continuer à travailler en Irak, on ne peut que s'interroger.

Pourtant, les médias ne semblent pas s'inquiéter au plus haut point de cette perte de confiance ; le souci est là et bien là , mais les habitudes et les réflexes prennent le pas sur la remise en question. Aux Etats-Unis, le paiement de journalistes pour la diffusion d'opinions commence à être un sujet de préoccupation ; deux éditorialistes ont ainsi reconnu avoir été payés par l'administration Bush pour promouvoir des projets précis, et sans rendre publics leurs honoraires. De même, on vient d'apprendre que la correspondante pour l'ONU de la chaîne NBC avait été payée par l'ONU pour écrire un livre très favorable à l'organisation. Le manque de transparence dans la production médiatique explique pourquoi la confiance automatique n'est plus de mise.

Mais ces révélations, qui succèdent au Rathergate, à l'affaire Blair et à d'autres, n'effritent pas les certitudes : les journalistes sont toujours persuadés être l'incarnation même de la vérité, et sont prompts à dénoncer comme une vile propagande toute information diffusée par les organes gouvernementaux - et notamment militaires. En d'autres termes, ils sont en train de passer à côté de la révolution de l'information. Le paysage médiatique va grandement changer ces 20 prochaines années...

COMPLEMENT I : Pour un bref historique de l'évolution des médias américains depuis presque 40 ans, cet article du très conservateur Pat Buchanan mérite d'être lu.

COMPLEMENT II : Concernant l'affaire du soldat en plastique montré comme otage, on notera que le modèle est à présent activement recherché et fait l'objet d'enchères sur eBay.

COMPLEMENT III (6.2) : Une excellente analyse du rôle joué par la manipulation des médias à propos de l'Irak a été publiée sous la plume de Jack Kelly. On notera d'ailleurs avec intérêt que ce dernier cite à plusieurs reprises des weblogs.

Publié par Ludovic Monnerat le 5 février 2005 à 8:39

Commentaires

Très intéressant, mais, dans ce climat de défiance généralisée, qu'est-ce que je réponds à un copain qu'arrête pas de me harceler pour savoir qui se cache derrière le mystérieux lieutenant, capitaine ou major (?) ... Monnerat ?

jc
Paris

Publié par jc durbant le 5 février 2005 à 14:25

Publié par ajm le 5 février 2005 à 15:24

On pourrait également donner ce CV relativement complet :

http://www.aso-organisation.ch/rdv2628oct04/cvmonnerat.htm

Publié par Ludovic Monnerat le 5 février 2005 à 15:38

monsieur l'officier,

je crois que votre sens aigue des médias, vos analyses rigoureuses font que je ne peux vous oublier dans la liste de mes liens.
merci encore pour vos articles de grande qualité.
cordialement.

Publié par jugurta le 5 février 2005 à 16:53

Concernant les différents grades que j'ai portés, puisque cela semble susciter - à juste titre - un certain étonnement, il faut savoir que j'ai renoncé dès le départ à mettre à jour les pages de CheckPoint uniquement pour refléter mes promotions successives. Cette pratique est due au fait que je considère CheckPoint comme l'équivalent d'un journal, avec des articles censés être définitifs, à la différence des carnets ; d'ailleurs, mes articles pour la Revue Militaire Suisse traduisent également l'évolution de ma carrière militaire.

Publié par Ludovic Monnerat le 5 février 2005 à 17:20

Nous sommes témoins de l'agonie des médias. Ils sont tous en arrière de la nouvelle et je pense que la généralisation de la Haute Vitesse et la diffusion rapide de livres événementiels vont accélérer ce phénomène. Grâce à internet je viens de lire un discours d'Abdelaziz Bouteflika
( http://www.el-mouradia.dz/francais/discours/2003/12/D1071203.htm ) qui me semble avoir été passé sous silence par les médias à l'époque et qui contient tout ce que l'on devrait savoir sur le blocage de la pensée arabe et qui explique à mon avis cette fuite en avant que certains occidentaux honorent du vocable de résistance.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 6 février 2005 à 1:17

Je remercie Mr Senamaud de ce dernier, je vais le mettre sur un forum ou il y a topic en cours sur le blocage du monde Arabo-Musulman par rapport à l'évolution accéléré de la société dans le reste du monde.

Sinon, je souligne que le probléme de la fiabilité des informations sur le net est encore plus accrut par rapport au médias traditionnel car n'importe qui peut écrire n'importe quoi.

Le GI's Joe prit en otage à d'abort été mit sur le net avant d'étre reprit par d'autres médias ;)

Publié par Frédéric le 6 février 2005 à 11:03

Oui c'est vrai que la fiabilité des informations sur le net et dans les médias est un problème. J'ai pour habitude de vérifier toute mon information ( média y compris ) par des sondages systématiques avec les moteurs de recherche. Cela demande un petit effort vite récompensé car le lapin finit toujours par sortir assez rapidement. J'avoue que l'habitude de gober l'information ne prédispose pas la plupart des personnes à s'astreindre à cette technique qui oblige à certaines acrobaties avec les mots clefs et d'avoir un vocabulaire un peu élargi.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 12 février 2005 à 7:01

J'ai trouvé un article assez bizarre, les médias sont accusé de complicité des crimes contre l'humanité que font subir les ignobles impérialistes au peuple martyrisé d'Irak :[

Le Tribunal Mondial pour l'Irak déclare les médias coupables de duperie

ROME, 14 février 2005 (IPS) Un tribunal populaire a décidé qu'une grande partie des médias occidentaux étaient coupables d'incitation à la violence et de tromperie du public dans leurs reportages sur l'Irak.

Le Tribunal mondial pour l'Irak (WTI), une initiative populaire internationale recherchant la vérité sur la guerre et l'occupation en Irak, s'est prononcé dimanche, à la suite d'une session de trois jours. Le tribunal a entendu des témoignages de journalistes indépendants, de professeurs en médias, de militants, ainsi que du député du Parlement européen Michele Santoro.

La session de Rome du WTI succédait à d'autres sessions qui se sont tenues à Bruxelles, Londres, Mumbai, New York, Hiroshima-Tokyo, Copenhague, Stockholm et Lisbonne. La réunion de Rome s'est avant tout intéressée au rôle des médias.

Le panel informel des juges du WTI a accusé les gouvernements américain et britannique d'empêcher les journalistes de mener à bien leur tâche et de produire sciemment des mensonges et des informations trompeuses.

Le panel a accusé les grands médias traditionnels de filtrer et de supprimer certaines informations et de marginaliser et de mettre en danger les journalistes indépendants. Plus de journalistes ont été tués ces 14 derniers mois en Irak que durant la totalité de la guerre du Vietnam.

Le tribunal a déclaré que les reportages médiatiques traditionnels à propos de l'Irak violaient également l'article six du Tribunal de Nuremberg (instauré pour juger les crimes nazis), lequel stipule : « Les dirigeants, les organisateurs, les instigateurs et les complices participant à la formulation ou à l'exécution d'un plan commun ou d'une conspiration visant à commettre tout crime dont question plus haut (crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité), sont responsables de tous les actes perpétrés par quelque personne que ce soit lors de l'exécution de tel plan. »

Le panel qui a pris connaissance des témoignages comprenait François Houtart, directeur en Belgique du Centre tricontinental qui a soutenu divers mouvements populaires en Amérique latine, et le Dr Samir Amin, directeur du Forum tiers-mondiste à Dakar, Sénégal. Le Dr Haleh Afshar, qui enseigne la politique et les sciences féminines à l'université de York, en Grande-Bretagne, ainsi que l'écrivain et rédacteur en chef de presse italien Ernesto Pallotta, assistaient à la procédure.

« Ceci n'est pas simplement un exercice visant à dénoncer les médias traditionnels pour leur parti pris et leur incompétence », a déclaré le Dr Tony Alessandrini, un militant des droits de l'homme qui a publié plusieurs articles sur la colonisation de l'Irak par les Etats-Unis. « Ces dénonciations courent sur plusieurs mois. Ici, à Rome, il nous faut continuer. »

Alessandrini, qui a contribué à mettre sur pied le WTI, de poursuivre : « Ce qu'on nous demande de considérer n'est pas seulement le parti pris des médias, mais plutôt leur complicité active dans les crimes qui ont été commis et qui le sont encore, chaque jour, contre le peuple irakien. »

Plusieurs experts y sont allés de témoignages très forts. Le Dr Peter Philips, directeur de « Project Censured » (Projet censuré) à l'université d'Etat de Sonoma, en Californie, où il enseigne la censure médiatique, a fourni un témoignage sur bande. Il déclarait qu'à aucun moment depuis les années 30, les Etats-Unis n'avaient été si près d'un « totalitarisme institutionnalisé », ajoutant : « La société américaine est devenue la moins informée, et la mieux fournie sur le plan des distractions, dans le monde. »

Le WTI de Rome a également entendu le témoignage du Dr David Miller, d'Ecosse, auteur de « Tell Me Lies: Propaganda and Media Distortion in the Attack on Iraq » (Racontez-moi des mensonges : Propagande et distorsions médiatiques dans l'agression contre l'Irak). « Il y est question de la condamnation de la complicité des journalistes dans les crimes de guerre », a déclaré le Dr Miller, qui est également coresponsable de « Spinwatch », un groupe qui rédige des rapports sur les PR et la propagande.

Miller a affirmé que le Pentagone « ne reconnaît pas le concept du journalisme indépendant, parce qu'il fournit des informations peu amicales » et que les médias traditionnels aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne étaient « complices en favorisant la vente de l'invasion et de l'occupation en cours. Toutes les études réalisées sur les médias traditionnels montrent une soumission aux directives politiques gouvernementales et, sur les chaînes télévisées britanniques, une couverture de la guerre généralement favorable à la cause du gouvernement… »

Fernando Suarez, qui a perdu son fils Jesus au cours de l'invasion de l'Irak, s'est également décidé à témoigner devant le tribunal, dès qu'il a appris que son fils avait marché sur une bombe à fragmentation américaine, une arme considérée officiellement comme illégale.

Suarez a déclaré que le Pentagone lui avait d'abord dit que son fils était mort d'une balle dans la tête, ensuite qu'il était mort dans un accident, et enfin, qu'il avait été tué par une « balle amie ».

En examinant le corps de son fils, Suarez avait découvert qu'il était mort d'avoir posé le pied sur une bombe à fragmentation.

« Jamais je n'ai eu un mot de vérité de leur part », a-t-il ajouté. « J'ai découvert la vérité moi-même, et elle était très simple. Le 26 mars, l'armée a largué 20.000 bombes à fragmentation sur l'Iraq, mais 20 pour-cent à peine ont explosé. Les 80 pour-cent restants se trouvent dans les villes et les écoles et agissent comme des mines. »

Et Suarez de déclarer : « Bush a envoyé mon fils là -bas parce que, disait-il, l'Irak possédait des armes illégales, et mon fils est mort à cause d'une arme illégale américaine, et personne n'en a parlé. Les médias ne parleront pas des armes illégales des Américains. »

Plusieurs témoins ont témoigné sur la désinformation médiatique à propos du siège de Fallujah. Ils se sont vu remettre des exemplaires du documentaire (récompensé) intitulé « Weapons of Mass Deception » (Armes de tromperie massive), réalisé par le journaliste et cinéaste Danny Schechter, qui est également le directeur exécutif de Mediachannel.org, un réseau on-line sur les problèmes médiatiques.

Alessandrini a déclaré qu'il existait une incalculable pléthore de preuves de complicité active des médias traditionnels dans les exactions commises contre le peuple irakien et les autres exactions que constituent la tromperie, le mensonge et l'incitation à la violence.

« Nous travaillons en sachant bien que l'histoire se souviendra des crimes commis contre le peuple irakien par les Etats-Unis », a-t-il dit. « Il nous incombe de rapporter ces crimes afin de faire en sorte qu'ils ne se reproduisent plus jamais. »

Publié par Frédéric le 2 mars 2005 à 0:11