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18 janvier 2005

Médias : collusions inavouables

Un article explosif a paru aujourd'hui dans le Jerusalem Post, fruit d'une enquête certainement approfondie. Il analyse les liens qui existent entre les journalistes palestiniens travaillant pour des médias internationaux et l'Autorité palestinienne, et montre notamment que plusieurs journalistes sont payés par celle-ci ou sont liés à des partis politiques. Comment peut-on imaginer qu'un individu travaillant pour l'Autorité palestinienne puisse également fournir des reportages "objectifs" à une clientèle étrangère ?

Ainsi, il est particulièrement choquant d'apprendre que l'AFP, Reuters ou AP emploient des reporters qui s'engagent totalement dans la cause palestinienne, et que leurs textes ou leurs images sont intégrés et acceptés sans autre ; lorsque l'on sait à quel point les agences fournissent la base de l'information quotidienne, on mesure mieux les possibilités de manipulation que cela offre. L'article montre également comment les informations peuvent être sélectionnées pour systématiquement mettre un camp en accusation et négliger les aspects négatifs de l'autre.

Cependant, l'élément le plus intéressant reste le refus des médias de prendre en compte ce problème, et d'afficher la moindre transparence à ce sujet :

The AFP bureau chief in Jerusalem, Patrick Anidjar, refuses to discuss the issue, saying, "I don't understand why you have to have the name of our correspondents." Pressed to give a specific answer, he says: "I don't want our correspondents' names to go into print. I don't want to answer the question. What is this, a police investigation?"

Cette réaction hautement révélatrice n'est pas sans rappeler celle de CBS dans le Rathergate, pour laquelle l'idée même d'une infraction à la déontologie professionnelle était inconcevable. Aujourd'hui, tout l'édifice de la presse occidentale est basé sur la confiance, parce que les ressources manquent pour vérifier l'information reçue ou disponible : chacun reprend automatiquement ce que l'autre publie, pour être sur de ne pas manquer un sujet, et évite de se pencher sur la fiabilité des produits. Que cette confiance vienne à disparaître, et l'édifice menace de s'écrouler. Il n'est donc pas étonnant que la remise en question soit écartée brutalement.

Pareille attitude ne durera pas éternellement. Avec Internet, la vérification de l'information et la détection des manipulations sont grandement facilitées. Les consommateurs d'information deviennent également des producteurs. La valeur ajoutée n'est plus le fruit d'une caste professionnelle. Et les journalistes qui croient pouvoir s'abriter dans leur tour d'ivoire pour échapper à la critique et à l'exigence de transparence sont promis à des lendemains difficiles.

Quant aux produits des agences sur les événements en Palestine, force est d'admettre qu'ils deviennent a priori suspects. Sauf si elles prennent le soin de démentir l'article du Jerusalem Post et de démontrer l'objectivité de leurs employés.

COMPLEMENT I : Une réflexion intéressante sur l'évolution des médias et de leurs biais est disponible sur Evoweb, en particulier avec la phénomène de la rétroaction et l'accentuation des biais que l'on en redouter.

COMPLEMENT II : Cet exemple me paraît intéressant pour appréhender l'avenir. Une journaliste du New York Times peu informée fabrique un article médiocre, plein d'erreurs factuelles et de suppositions gratuites, enrobé de sensationnalisme pour attirer l'attention, et se fait littéralement défroquer - si j'ose dire - par plusieurs bloggers, certes de haute volée.

COMPLEMENT III : Le blog de Chester propose une initiative intéressante pour contourner le filtre des médias, en incitant les militaires américains en Irak à rapporter ce dont ils sont témoins. Extraits :

If you are in the US military and in Iraq, and have:
1. Witnessed an event that is notable, but not reported;
2. Been interviewed by a reporter, yet feel he didn't quite get it right;
3. Been present at a reported event, and have quite a different take on it than was reported;
4. Had someone in your unit awarded a Silver Star or higher for valor;
. . . then this is the series for you. Email what really happened to Chester, and include a link to any news stories you reference, or at least a headline and date, or a citation excerpt if a decoration was awarded.

Le résultat ne manquera pas d'être instructif. Pour les armées modernes, la difficulté à communiquer par l'entremise des médias est en effet devenue telle que les soldats sont devenus le meilleur vecteur pour transmettre au public, via les familles et les amis, la réalité des opérations. A suivre.

COMPLEMENT IV : On trouvera une autre analyse dévastatrice d'un article médiocre au possible de Stern sur Davids Medienkritik. Ou quand les stéréotypes racistes et sexistes sont acceptables lorsqu'ils sont appliqués à Condoleeza Rice.

COMPLEMENT V : Une version en français de cet article du Jerusalem Post est disponible sur le site www.upjf.org, grâce à une traduction de Menahem Macina.

Publié par Ludovic Monnerat le 18 janvier 2005 à 12:28

Commentaires

Le média « pur » présentant des faits sans aucune orientation commerciale ou politique n'est que douce utopie. Aujourd'hui, plus que jamais, l'information est un produit à écouler. Il est intéressant de constater que des chaînes de télévision, tant décriée, comme FOX News ou Al Jazeera obtiennent des cotes d'écoutes faramineuses et devances des médias plus traditionalistes. On y « découvre » une vision et une « information » orientée ou/et formatée pour son public cible, d'où une popularité sans faille. Il suffit souvent, comme pour une étude, de savoir de qui émane l'information, qui est son commanditaire et où elle est diffusée pour connaître l'orientation et la véracité des propos. Que ce soit une dépêche AFP ou un article dans le 24 Heures l'auteur reste humain avec tout ce que cela comporte, même si cela n'excuse rien (sans oublier le « diktat » de la direction et de la population). De plus, à notre époque d'abondance de l'information, et comme souvent souligné ici, il est aberrant de constater le manque de sérieux/objectivités de l'information en général.

Publié par ZC le 19 janvier 2005 à 0:41

Une objectivité complète reste naturellement utopique. Mais je pense aujourd'hui que le problème est double : d'une part, les médias sont (re)devenus des organes d'opinion sans oser l'admettre ou le dire ; d'autre part, ils refusent d'adopter une démarche transparente et interactive. Cela me semble donc dépasser le manque de sérieux : nous sommes bel et bien confrontés à une fabrication permanente de représentations destinées à influencer les décisions.

Publié par Ludovic Monnerat le 19 janvier 2005 à 10:42