« Vers des soldats invisibles ? | Accueil | Les Canadiens en rade »

5 janvier 2005

Coordination ou ventilation ?

Un article hagiographique publié dans Le Monde contribue partiellement à éclaircir le rôle de l'ONU dans l'aide humanitaire en Asie du Sud. Le texte est consacré aux efforts de Jan Egeland, présenté comme le grand coordinateur de toute l'aide déployée actuellement, et ce même si ses bureaux onusiens à New York étaient désertés le 3 janvier pour cause de jour férié...

Malgré le ton éminemment laudateur et l'absence totale de sens critique quant aux déclarations de M. Egeland, cet article fournit matière à réflexion. Ses véritables activités laissent en effet pantois :

Depuis qu'il a été prévenu du séisme du dimanche 26 décembre, Egeland n'a pratiquement plus quitté son bureau. Tous les jours, il reçoit des centaines d'offres d'assistance, plus ou moins réalistes. Un pilote d'hélicoptère s'est mis à sa disposition avec un appareil. C'est formidable, dit-il. "Mais ce sont des porte-hélicoptères que nous cherchons pour l'instant. Nous devons penser en grand." D'après lui, même en travaillant 23 heures sur 24, les personnels qui organisent la logistique (à Genève), les apports militaires (à Bangkok) et les opérations (à Djakarta) ne parviendraient pas à répondre à toutes les propositions et à les coordonner.

Quelle pauvre organisation pourrait-elle fonctionner dans ces conditions ? Apparemment, la planification n'existe pas au sein de l'ONU : on sépare artificiellement les opérations de la logistique ou les moyens civils et militaires, et on attend scotché à son bureau les propositions, au lieu d'établir un plan horaire, de séparer les problèmes partiels et de créer un concept opérationnel pour les régler. En fait de coordinateur, M. Egeland n'est qu'une sorte de centrale d'appels susceptible de mettre en contact les demandeurs et les fournisseurs de prestations. Et croire que penser à un porte-hélicoptère est un exploit intellectuel montre bien le degré zéro des compétences onusiennes en matière opérationnelle.

Pourtant, cet homme sans doute bien intentionné n'a aucun doute sur l'importance de sa tâche :

Tous les soirs, à 22 heures, Jan Egeland participe au briefing des quatre pays du "groupe central" ("core group"), constitué par l'Inde, le Japon, et l'Australie, et dirigé par les Etats-Unis. [!] Dans ce contexte, Jan Egeland n'exprime que des éloges pour la contribution de Washington, qui a répondu avec "efficacité" aux 12 points de sa liste de vÅ“ux (avions, contrôleurs aériens). Et il n'a rien contre les groupes. Il y a celui de l'Union européenne, coordonné par la France etc. "Tout le monde est d'accord sur un point : c'est l'ONU qui dirige les efforts", a-t-il souligné, lundi, pendant sa conférence de presse.

Une belle bravade que seule l'indulgence de la journaliste du Monde permet de faire passer. Qu'est-ce que M. Egeland peut bien diriger, lui qui n'a aucun état-major autour de lui pour concevoir et conduire une opération ? En fait, la coordination des actions militaires entre les nations se fait de manière traditionnelle, par l'échange d'officiers de liaison et par interaction directe dans le secteur d'engagement. Est-ce que l'ONU dirige les opérations américaines, conduites depuis la base d'Utapao en Thaïlande, ou les opérations australiennes conduites depuis le pays ? Non seulement elle ne le fait pas, mais elle n'a pas le droit de le faire : seule une résolution du Conseil sécurité peut décider de la création d'une force multinationale avec une chaîne de commandement onusienne.

Finalement, cet article souligne crûment le parti pris pro-ONU dont témoignent spontanément une grande part des médias. Les explications de M. Egeland appelleraient des dizaines de questions critiques sur la manière avec laquelle ONU tente de s'impliquer dans cette crise, mais pas une seule d'entre elles ne lui est posée. Le message est on ne peut plus clair : l'ONU s'occupe de tout, elle compte des gens formidables, donnez votre argent - et vos porte-hélicoptères - et tout ira pour le mieux.

En fait de coordination, les Nations Unies semblent plus habiles à se charger de la ventilation. Avec 2 conférences de presse par jour, M. Egeland parle infiniment plus qu'il n'agit.

COMPLEMENT I : Cet article du Temps (accès gratuit) rédigé par un envoyé spécial à Banda Aceh montre bien le manque d'organisation de l'ONU sur place. Pourtant, au fur et à mesure que les opérations passent du sauvetage et à la réhabilation, c'est bien l'ONU qui devra assumer la conduite de l'affaire, et plus le noyau de nations mené par les Etats-Unis. Preuve supplémentaire que les propos de M. Egeland n'étaient que du vent, et que la vraie action de l'ONU commencera prochainement.

COMPLEMENT II : Un éditorial du Telegraph résume aujourd'hui à merveille le contexte de l'affaire, et le caractère défi de la réponse de l'ONU pour sa propre survie.

COMPLEMENT III : Ce remarquable reportage du New York Times décrit la planification et la conduite de l'opération américaine à partir d'Utapao en Thailande. Il confirme encore une fois que l'ONU n'est pas impliquée dans l'aide humanitaire fournie par les armées :

In Sri Lanka, Brigadier General Frank Panter of the Marine Corps, the ranking American military commander, meets daily at 10 a.m. with aid representatives of Britain, Canada and India. He is inviting Russia and Bangladesh to join.

"It is a coordinating meeting," Blackman said. "There is no formal command structure." The purpose, he said, "is to ensure that the resources of the U.K., Russia, India - those big world powers - are being applied most effectively and most efficiently."

With the United Nations expected to emerge as a major source of aid, potentially rivaling the $350 million promised by the United States, Blackman plans to offer the United Nations a desk in his planning room.

Est-il imaginable qu'un média européen fasse une enquête critique sur le rôle de l'ONU et sa prétention à prétendre "diriger" une opération lorsque de toute évidence elle est absente ?

Publié par Ludovic Monnerat le 5 janvier 2005 à 12:48

Commentaires

Les USA ont annoncé ce mation que leur groupe de travail avec le Canada, Inde, ect.. à été dissous.

Pour les Nations Unies, il y un comité d'état major qui est en sommeil depuis la création de l'organisation, pourquoi ne tenter de l'activer pour cette crise humanitaire ?

Publié par Frédéric le 6 janvier 2005 à 17:39

Cette annonce précède la réalité : d'autres informations montrent que l'ONU va "probablement" assurer la conduite des opérations, et dans les faits ce sont toujours les armées et les ONG qui se chargent du travail. Mais l'engagement d'un état-major serait pour le moins bienvenu.

Publié par Ludovic Monnerat le 6 janvier 2005 à 17:49

L'OTAN a créer en 98 un Centre Euro Atlantique de Coordination en Cas de Catastrophe (EADRCC).

Il pourrait donner un coup de pouce au Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires qui semblent dépassé.

Une micro ONG françaises (2 personnes) au Sri Lanka depuis 2 ans pour à l'origine batir des écoles n'a toujours rien vue de l'aide dans la région ou elle est installée.

Publié par Frédéric le 6 janvier 2005 à 18:36