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10 février 2006

Une question de loyauté

En devisant librement avec un camarade engagé dans l'autre grand état-major de l'armée, j'ai été amené à me faire des réflexions sur le thème a priori intouchable de la loyauté. La discussion était purement théorique, mais tournait autour de ceci : à une époque de menaces transnationales susceptibles de dégénérer en choc des civilisations, faut-il encore et toujours se résoudre à servir une nation et sa population si celles-ci refusent, malgré l'ampleur des enjeux, de prendre part à la lutte ? Le citoyen persuadé d'assister aux étapes initiales d'un conflit décisif pour l'avenir de l'humanité doit-il s'en tenir à distance si son gouvernement et ses concitoyens choisissent de le faire ? Dans quelle mesure le fait de s'engager par le verbe, par l'image, par diverses méthodes constitue-t-il un acte déloyal, au même titre que collaborer avec un service de renseignement étranger ou prendre les armes sous des couleurs étrangères ?

En théorie, l'engagement à la patrie épargne à un officier ce type de questionnement. Dans la pratique, certaines situations vont à l'encontre de cette clarté confortable ; les officiers français y ont été confrontés en 1940, depuis l'appel du 18 juin et l'armistice, et leurs homologues suisses n'ont pas échappé à des réflexions allant dans un sens similaire - comme le montre la conjuration des officiers, ce groupe lancé par des jeunes officiers d'état-major général et qui aurait tenté un coup d'Etat si le Conseil fédéral avait adopté une politique pro-nazie. Il existe toutefois une différence entre la contestation du pouvoir légal au nom d'une légitimité supérieure, allant jusqu'à la prise du pouvoir, et la désobéissance individuelle au service d'une cause que sa propre nation ne défend pas ou pas assez. Surtout lorsque l'exécutif national paraît toujours plus faible, toujours plus décalé.

L'affaiblissement des frontières géographiques et des identités nationales aboutit nécessairement à l'érosion de la loyauté envers son pays ; la globalisation est ainsi à mon sens un facteur très influent. Le phénomène est assez intéressant à vivre du point de vue militaire : alors que l'armée suisse a mis 130 ans à abolir les troupes cantonales (1874-2004), en retirant progressivement aux cantons toutes les prérogatives liées (armement, entraînement, commandement, mise sur pied - seule reste une administration symbolique), les militaires suisses engagés individuellement - l'adverbe importe ici beaucoup - dans des missions multinationales de maintien de la paix tendent souvent à percevoir leur nationalité comme l'équivalent d'une appartenance cantonale. Le cosmopolitisme, le brassage des origines, des cultures et des représentations mettent le patriotisme à rude épreuve.

Mais la loyauté nationale est également minée par le communautarisme et le régionalisme, par la division des sociétés selon des lignes de fractures religieuses, ethniques, linguistiques, géographiques ou socio-économiques. La méfiance fluctuante envers les autorités centrales se conjugue au déclin du civisme, de l'intérêt général, pour favoriser une tendance inverse à la globalisation. En forçant le trait, on pourrait donc dire que les nations sont tiraillées entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, et que les loyautés oscillent entre le sang, le clan, le lieu d'une part, et l'idée, la croyance, la foi d'autre part. Et c'est exactement lorsque ces deux tendances se rejoignent, comme le montre aujourd'hui l'islamisme en Occident, que les nations sont le plus en danger.

Telle est la raison pour laquelle, à mes yeux, la question de la loyauté ne se pose pas : les nations doivent être protégées et défendues, sur terre, en mer, dans les airs comme dans l'infosphère, aussi longtemps qu'une autre structure n'accordera pas davantage de liberté, de stabilité et de prospérité.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 février 2006 à 16:55

Commentaires

Si on pousse votre raisonnement à sa conclusion ultime, il me semble que vous être en train de dire que dans la mesure où vous considérez que la démocratie suisse est engagée dans une voie que vous rejetez et qui vous semble mettre la Suisse en tant que structure nationale en péril, vous envisageriez non pas de renier votre appartenance à l'état Suisse à titre individuel, mais bien plutôt d'organiser un coup d'état?
Peut-être vous ai-je mal compris, pouvez-vous préciser?

Publié par Damien le 10 février 2006 à 17:31

Une précision effectivement s'impose, si mes propos peuvent être interprétés dans ce sens ! L'essentiel de mon billet est une réflexion et une interrogation sur la question de la loyauté, et ma conclusion est celle exprimée au dernier paragraphe : dans la mesure où il n'existe pas actuellement et dans le futur proche de structure meilleure que l'Etat-nation, il faut s'engager pour celui-ci. Je n'envisage donc AUCUNE entorse à ma loyauté d'officier et de citoyen.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 février 2006 à 17:41

De toute façon, je suppose que vous vous êtes engagé en tant qu'officier à respecter et protéger la constitution fédérale, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que le pays; peut-on trouver quelque part le texte de l'engagement tel qu'il est prononcé?

Publié par Damien le 10 février 2006 à 18:32

ça doit être dans le règlement de service

C'est quelque chose du genre:

«Je jure:

- de servir la Confédération suisse de toutes mes forces;
- de défendre courageusement les droits et la liberté du peuple suisse;
- de remplir mon devoir, au prix de ma vie s'il le faut;
- de rester fidèle à ma troupe et à mes camarades;
- de respecter les règles du droit des gens en temps de guerre."

Ok, j'avoue, j'ai trouvé le lien entretemps:
http://www.admin.ch/ch/f/rs/510_107_0/a8.html

Publié par Deru le 10 février 2006 à 20:09

Lorsque notre pays trahis l'idéal dans lequel il nous a bercé, on ne le reconnaît plus, il est donc normal de le défier.

Publié par FrenchBoy le 10 février 2006 à 20:24

J'ai été fasciné par la courte référence à la "conjuration des officiers", qui m'était totalement inconnue -et très déçu que Google ne m'ait presque rien apporté de plus. Même si je sais que ce n'est pas vraiment au centre des thématiques de votre blog, j'exprime un voeu de lire un jour un article plus détaillé à ce sujet...

Publié par Anselmeuh le 10 février 2006 à 20:48

Un commentaire qui n'est plus disponible sur le net mais seulement ici fait en 2004:

http://web.archive.org/web/20041012010549/www.intellfrance.info/Confidentiel.htm

Je cite:

"Selon des militaires français et des proches des milieux du renseignement, le recrutement dans l'armée française serait actuellement du "n'importe quoi", de jeunes recrues musulmanes ayant déclaré lors d'entrevues qu'elles n'étaient pas sûres de vouloir défendre la France en cas de conflit. Plus inquiétant, en cas de conflit avec leur pays d'origine, elles hésiteraient encore plus. Dans certaines unités de l'armée française, le pourcentage de musulmans parmi les nouvelles recrues atteindrait les 40%."

Publié par pierre le 10 février 2006 à 20:51

Comme l'a indiqué Deru, le serment formel se fait lors du passage au service actif, qui correspond à la mise sur pied de la troupe pour des opérations de défense ou de sûreté sectorielle. Dans la formation de l'officier, en Suisse, il n'y a pas de serment à proprement parler, mais une éducation et des règles ; lors de la cérémonie de la remise de la dague, cependant, des principes sont énoncés et ce symbole de liberté - par le port de l'arme - les incarne. Sinon, il existe un code d'honneur à l'école d'état-major général...

Concernant la conjuration des officiers, l'une des meilleures sources reste certainement le livre de Willi Gautschi, Le général Guisan: le commandement de l'armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, Lausanne, 1991.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 février 2006 à 21:03

Intéressant, ce thread. J' en profite pour soulever une petite interrogation :
Avez-vous remarqué que de manière générale les militaires professionnels trahissent leur cause, celle de leur pays, pour se concentrer sur leur intérêt personnel ?
Quelques exemples :
En Suisse, une écrasante majorité d' officiers de carrière se contentent d' instruire leur troupe de manière médiocre, voire en abaissent le niveau d' efficacité, pour satisfaire des critères quantitatifs qui n' ont rien à voir avec l' efficacité de la troupe entrainée (cela était particulièrement manifeste et scandaleux avec les moyens mis en oeuvre pour "briller à l' inspection" dans l' école gren chars 21/221 à l' époque d' armée 95). Ce sont ceux qui correspondent le mieux à ces critères irréalistes qui montent le plus vite.
Un officier instructeur a quasiment sacrifié sa vie de famille et son "acceptabilité sociale" pour offrir à la Suisse (bientôt l' Europe ?) le meilleur système d' instruction aux armes légères au monde (je pèse mes mots et plus je voyage plus je sais de quoi je parle). Il est en général farouchement détesté par les militaires moyens.
Toujours en suisse Ludovic se démarque car il n' hésite pas à s' exposer, voire à être politiquement incorrect (impensable pour un of de carrière moyen, qui plus est EMG !) pour garantir une information libre et accessible. C' est tout à son honneur, qu' il en soit remercié.
Mais ces deux-là sont des exceptions, une écrasante majorité d' instructeurs suisses ne sont que des fonctionnaires bornés, sans esprit critique ni véritable volonté de faire du bon travail. Et je vais encore en faire les frais dès lundi, grrrrrr!
Mais cela fonctionne pareillement partout ailleurs (sauf peut-être Israel ?). Autre exemple, les Forces Spéciales US en Afghanistan, dépeintes dans le livre Beast 85 : tributaires d' un gouvernement qui se contrefout de la guerre contre le terrorisme pour se focaliser sur le pétrole irakien, d' un état-major empêtré dans des kilomètres de procédures insensées, elles ont vu les réservistes contourner le règlement, mentir à leurs supérieurs, pour finalement passer à l' action et faire un boulot efficace (capture de très hauts chefs terroristes). Pendant que les "pros" ne faisaient rien, de peur qu' une entorse au règlement n' entache leur carrière.

Conclusion :

LE MILICIEN SE BATTRA POUR UNE CAUSE. LE PROFESSIONNEL IRA JUSQU' A CONTRER LES INTERETS DE SON PAYS POUR SA CARRIERE.

Publié par Arnaud le 10 février 2006 à 21:33

Si la réflexion sur la loyauté est intéressante, elle mélange à mon avis certains points. Par exemple, vous parlez de fractures sous de multiples formes (linguistiques, cantonales, etc... La Suisse est particulièrement bien lotie à ce sujet) tout en concluant sur la nécessité de défendre la nation - vous écrivez même les nations, ce qui est à mon sens une dangereuse éxagération, car toutes sont loin de se valoir.

Fort bien, mais même pour les meilleures d'entre elles, comment les définir? La constitution? La culture? Les institutions? Les frontières?

Je crois que toute la difficulté est là : tant qu'on a pas clairement établi (et cela vaut à titre personnel) les limites de "la nation" qu'on souhaite défendre, tant géographiquement que culturelleme ou politiquement, on est en eaux troubles. Lorsqu'un cas de conscience s'impose, tels ceux que vous évoquez, est-on un traître ou un héros continuant à défendre une patrie trahie par ses élites? Qui est objectivement le mieux placé pour en décider? Les alter-machinchose qui prônent la "désobéissance civique" sont-ils des traîtres ou des héros?

Je crains que l'on se retrouve dans le paradigme de l'histoire écrite par les vainqueurs... En tous cas, savoir comment agir selon son âme et conscience est une certitude qui ne peut être que personnelle.

Publié par Stéphane le 10 février 2006 à 21:45

Pour rajouter un complément aux questions soulevées par Stéphane, j'aimerais savoir si la désobéissance est requise des militaires dans certaines situations car le guide de conduite semble insister au contraire sur l'obéissance inconditionnelle au supérieur. Autrement dit, existe-t-il un article équivalent à un "devoir de désobéissance" comme c'est le cas dans les armées françaises depuis 1972?

Publié par Damien le 10 février 2006 à 22:14

""devoir de désobéissance" ? "

Rien ne vous interdit de faire une petite recherche par vous-même :)

http://www.admin.ch/ch/f/rs/510_107_0/a80.html

80 Obéissance

1 Dans les affaires de service, les militaires doivent obéissance à leurs supérieurs et aux autres militaires investis d'un pouvoir de commandement. Ils doivent exécuter les ordres reçus de toutes leurs forces, complètement, sérieusement et à temps.

2 Les subordonnés n'exécutent pas un ordre lorsqu'ils reconnaissent que celui-ci leur impose un comportement réprimé par la loi ou le droit des gens en temps de guerre. S'ils collaborent néanmoins sciemment à une telle action, ils devront en répondre.

Publié par Deru le 10 février 2006 à 22:30

200% d'accord avec le commentaire d'Arnaud (posté plus haut à 9:33 PM)

Publié par Ruben le 10 février 2006 à 22:43

Le concept de loyauté recouvre une sémantique assez pragmatique en fait. Au moyen âge, il est synonyme de légal, de conformité à la loi et/ou aux engagements.

C'est plus tard que les sens de fidélité et probité s'ajoutent.

Ce n'est donc pas le concept de loyauté en lui même qui importe mais son référentiel.

A quel système de valeurs me suis-je voué en m'engageant? C'est à lui que je demeure fidèle. S'il est contraire à mes convictions profondes au moment de l'engagement, c'est que j'ai trompé celui qui reçoit le serment ou l'engagement. Là commence la traitrise.

Dans tous ces débats sous jacents sur les affrontements potentiels prochains, c'est le choc des valeurs qui s'annonce, pas celui des blocs de civilisations. Un défi beaucoup plus individuel et dispersé. Au fait, je me suis toujours demandé dans quelle unité Tarek, Hani et les autres frères Ramadan avaient fait l'armée? Quelqu'un le saurait ?

Publié par louis le 10 février 2006 à 23:28

"LE MILICIEN SE BATTRA POUR UNE CAUSE. LE PROFESSIONNEL IRA JUSQU' A CONTRER LES INTERETS DE SON PAYS POUR SA CARRIERE."

C'est un peu excessif, pour ne pas dire tout à fait excessif...A ce titre, je ne suis guère surpris du soutien de notre sacriPAN à cette affirmation casi diffamatoire!

Loin de moi l'idée de rentrer dans une querelle de chapelle qui n'a pas lieu d'être en les réservistes ou miliciens et les militaires d'actives.
Le format des armées modernes, la charde opérationnelle, les besoins en personnels qualifiés font que ces deux composantes ne sont pas concurentes, mais désormais nécessairement complémentaires.

Quant au principe d'édicter une loi générale et universelle sur la valeur supposée des officiers d'actives à partir d'exemples pour le moins particuliers...c'est sans commentaire. Je pourrai passer le restant de la nuit à vous relater autant de contre-exemples.

Le débat est toutefois intéressant, mais comme l'a souligné Stéphane, il est très complexe, et les comparaisons hasardeuses en raison de la différence du concept même de "nation" qui se rencontre d'un Etat à l'autre.

Quoiqu'il en soit, la conclusion de Ludovic me laisse un goût amère...
"les nations doivent être protégées et défendues, ... aussi longtemps qu'une autre structure n'accordera pas davantage de liberté, de stabilité et de prospérité".

Autrement dit, notre motivation à combattre pour cette nation se résumerait de facto à un simple pis-aller.
Je ne suis pas certain que cela suffise au "GI" de base, lorsqu'il se retrouve au pied du mur.

Ceux qui servent de manière volontaire, au vu d'un quelconque engagement ou d'un contrat, même à temps partiel doivent théoriquement s'attendre à devoir se trouver en situation, un jour, de "payer le prix", celui du sacrifice.
Pourquoi? Tout simplement parce que c'est dans le contrat!! Faut il réellement trouver une raison supplémentaire ?
Lorsque le sentiment de patrie s'étiolle un peu plus chaque jour, que les contours de la nations deviennent de plus en plus flou pour ne pas dire abstraits, il devient effectivement dangereux de d'astreindre sa motivation à ces idées là ...

Si le milicien, selon le raisonnement d'Arnaud, à besoin de celà pour avancer, le "professionnel" se bat pour sa peau et celle des siens, pour son honneur qui est celui de ses armes et de son uniforme. En vertu de quoi, il obéit aux ordres (légaux) pour remplir sa mission. Question d'amour propre. Cela paraitra désuet, idéaliste. Sans doute, mais c'est au moins un bastion de l'esprit qui est sûr et qui ne désarmera pas, quelque soit les évolutions politiques ou idéologiques! Il est inexpugnable car propre et attaché à chacun.

Quoiqu'il en soit, je me garderai bien de faire de ce mode de fonctionnement assez personnel un sentiment générale partagé par tous les militaires de France.

Publié par Winkelried le 10 février 2006 à 23:53

Winkelried, essayez de comprendre que nous n'avons pas vu les mêmes choses.

C'est un fait, que les recrues que j'ai formé en tant qu'officier milicien étaient bien mieux formées que celles qui sortent actuellement des écoles entièrement aux mains de professionnels que j'ai peu voir au cours de mes derniers cours de répétitions. J'ai entendu plusieurs militaires de métiers dire des "je m'en fous" devant la troupe. Jamais, nous ne l'aurions dit, nous autres "réservistes".

Enfin, il n'a pas été dit que les militaires de métier étaient forcément moins loyaux, mais il est clair que l'idéal, quand un salaire est en jeu, est moins spectaculaire que dans le cas d'un de ceux qui abandonnent leur métier, leur famille pour faire des jours de service que d'autres ne font pas, après avoir passé toutes les vacances d'été de leur cursus universitaire sous les drapeaux pendant que leurs camarades de classe faisaient la fête à Ibiza.

Publié par Ruben le 11 février 2006 à 0:44

Winkelried, ma conclusion visait à souligner le fait que l'existence des Etats-nations n'est pas garantie, et que d'autres structures pourront peut-être un jour avantageusement les remplacer ; cela ne change rien à la situation actuelle. Je ne voulais donc pas laisser l'impression d'un pis-aller.

Maintenant, je suis très largement d'accord avec vous quant à votre objection sur le jugement des militaires professionnels, et je m'inscris en faux par rapport aux lignes d'Arnaud. Au cours de ma carrière déjà assez variée, j'ai croisé pas loin de 10% des officiers instructeurs de l'armée, avec une plus forte proportion issue des armes de combat (forcément : j'ai d'abord servi dans des écoles et cours verts et jaunes). Le portrait qui en est fait ci-dessus ne correspond pas à cet échantillon tout de même assez large, et qui de mon point de vue peut être résumé sur le plan qualitatif à une courbe de Gauss dont la moyenne est bonne. Il y a des individus exceptionnels, Arnaud a fait allusion à l'un d'entre eux (lequel m'a invité à une séance de tir prochainement, cela promet !), il y a aussi des abrutis finis, mais le niveau général me paraît bon.

Bien entendu, la critique des officiers instructeurs est justifiée sur plusieurs points, et le général Guisan n'était pas le dernier à s'y livrer pour des raisons fondées. Mais ce corps de métier est aujourd'hui soumis à une situation quasi intenable, et son traitement indigne menace l'avenir de l'institution. Car une armée de milice ne peut pas exister sans un noyau d'instructeurs capables de développer et de transmettre le savoir-faire.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2006 à 1:01

Je suis d'accord sur le fait que les instructeurs vivent quelque chose d'horrible. Seulement il y a ceci : en se comportant mal, ainsi que j'ai personnellement vu des dizaines d'entre eux le faire, ils perdent le soutien "traditionnel" de l'armée au sein de la population.

Je pense que le regard de gens comme Sisyphe ou moi, par exemple, a beaucoup changé. Et nous votons.

Publié par Ruben le 11 février 2006 à 1:19

Enfin, le caractère versatile des forces professionnelle a été relevé bien avant ce billet de Ludovic.

"The Greeks and Romans had no standing armies, yet they defended themselves. The Greeks by their laws, and the Romans by the spirit of their people, took care to put into the hands of their rulers no such engine of oppression as a standing army. Their system was to make every man a soldier and oblige him to repair to the standard of his country whenever that was reared. This made them invincible; and the same remedy will make us so."
--Thomas Jefferson to Thomas Cooper, 1814. ME

"Standing armies [are] inconsistent with [a people's] freedom and subversive of their quiet."
--Thomas Jefferson: Reply to Lord North's Proposition, 1775. Papers

Publié par Ruben le 11 février 2006 à 9:21

J'aime bien la question de Ludovic; un portail vers deux champs de réflexion.

Une resymétrisation des conflits par le bas.

La consolidation par le désordre constructif (un bouillonnement tendu vers les objectifs ou la charte constitutive), un système qui peut fonctionner dans les petites équipes de performance. Mais l'armée, n'est-elle pas la somme organisée d'un grand nombre de petites équipe ?

A réfléchir...

Publié par Respire le 11 février 2006 à 9:32

Faut il comprendre qu'en Suisse, l'instruction est confiée à un corps "sépcialisé", composé de militaires qui ne font et ne feront que ça?

Si c'est le cas, c'est à mon sens une erreur...

D'une manière générale, il convient d'avoir un turn over important dans les instructeurs. c'est vrai au sein des écoles comme au sein des régiments. Cela permet un afflut de sang neuf, des remises en questions fréquentes, l'apport de nouveaux points de vue, de nouvelles idées. Il est clair que des instructeurs "à vie" trouvent rapidement les limites de leur motivation pour une tâche certes fondamentale, mais rapidement routinière et ingrate. C'est la sclérose assurée.

En France, à l'exception de certaines "berniques" accrochées à leur "planque" et qui souffrent effectivement, en quelque sorte du syndrôme de forteresse, la plupart des instructeurs proviennent d'unités de terrain et y retourneront à l'issue de leur temps en école.

Pour enfoncer le clou sur l'affirmation et l'exemle d'Arnaud relatif à l'Afghanistan: Le comportement de "semiè-pro" qu'il met en exergue est à mon sens triplement irresponsable.
La mise oeuvre d'opérations casi clandestines se passant des autorisations et d'une planification par la VH est totalement contre productive:

1 - Une mission à caractère non officiel, n'ayant pas d'existence légale, ne repose donc sur aucun cadre légale. A ce titre l'arrestation de responsable terroriste ne tiendra devant aucune juridiction et le premier avocat stagière pourra les faire libérer pour vice de forme.

2 - Les éventuelles blessures reçues ou pire, infligées à des tiers au cours de ces "barbouzeries" ne sont couvertes par aucune assurance. Leurs auteurs, privés de facto d'un emploi autorisé de la force font usage de violences et seront à juste titre assimilés à des assassins ou des meurtriers.

3 - Au regard du résultat final, ces actions constituent une atteinte à la crédibilité des des forces armées et du droit international. Sont ils alors loyaux à la cause qu'ils prétendent servir?

Elles sont donc l'oeuvre d'exaltés, de "cow-boys" et en l'espèces "d'intermittents du spectacle", pas de réservistes responsables qui sont, eux, des professionnels, certes à "temps partiel", mais des professionnels respectueux des procédures opérationnelles, judiciaires et des réglements.
Si s'inscrire dans le respect des dites procédures pour une efficacité calculée, c'est être un "fonctionnaire, alors oui, je veux bien être traité de fonctionnaire!

@ Ruben:
"essayez de comprendre que nous n'avons pas vu les mêmes choses."

Ma réponse est NON :) ;)

Publié par Winkelried le 11 février 2006 à 10:12

A Winkelried : l'instruction dans l'armée suisse a récemment changé, mais les principes essentiels restent les mêmes ; le corps des officiers et sous-officiers de carrière sont avant tout des enseignants en uniforme, qui ont certes une culture militaire, mais qui n'ont que rarement été engagés dans une opération réelle.

Sans entrer dans trop de détails, il y a plusieurs raisons à cela : le petit nombre d'instructeurs (sous-effectif chronique depuis des décennies), qui empêche leur envoi dans des missions à l'étranger (sur 269 militaires suisses en mission hors des frontières, actuellement, seuls 10 sont instructeurs) ; l'hermétisme des missions à l'étranger (une chasse gardée du centre de compétences SWISSINT, dont le savoir-faire n'est pas communiqué ou presque au reste de l'armée), et le fait qu'elles desservent la carrière plus qu'autre chose ; le petit nombre de telles missions, qui ne s'est élargi que depuis quelques années (mais qui va augmenter, selon la volonté du Conseil fédéral) ; mais aussi l'esprit fonctionnaire d'une partie des instructeurs, qui refusent de partir en mission et préfèrent la vie de caserne (ils sont de moins en moins nombreux).

Maintenant, qui instruit quoi et à qui dans l'armée ? L'instruction des cadres est exclusivement l'affaire des officiers et sous-officiers instructeurs ; l'instruction des soldats est principalement l'affaire des officiers et sous-officiers contractuels, qui signent en principe un contrat de 5 ans renouvelable 1 fois à cette fin. Par le passé, l'instruction des soldats était l'affaire des cadres de milice, mais c'est justement l'une des choses qui a changé avec l'Armée XXI. Le bilan de cette professionnalisation de l'instruction est globalement très positif ; en revanche, ce que l'on gagne en savoir-faire a peut-être en partie été perdu en savoir-être.

Il faut préciser que l'armée suisse compte également des militaires professionnels qui ne sont pas instructeurs, et qui sont axés sur l'engagement : les pilotes d'avions de combat et d'hélicoptères (une partie d'entre eux), les opérateurs du détachement de reconnaissance de l'armée (forces spéciales) ou encore les membres de la sécurité militaire (police militaire). Une autre catégorie (à laquelle j'appartiens, à côté de mes activités de milice) est celle des officiers d'état-major du quartier-général de l'armée, qui ont un contrat civil mais qui portent l'uniforme et sont soumis à un fonctionnement militaire dans leur fonction opérationnelle.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2006 à 10:32

Oui, Winkelried, les seuls professionnels que nous avons sont les instructeurs (+ les militaires contractuels instructeurs). La "vraie" armée est formée par les formations de milice, dans lesquelles les instructeurs sont astreints au service au même titre que n'importe quel citoyen. Il y a bien sûr quelques exceptions, mais elles restent assez marginales. Le grade des militaires pofessionnels (les instructeurs) sont toujours les mêmes que les grades qu'ils portent dans leurs unités de milice, et l'avancement ne se fait qu'à travers le milice.

Pour ma part, j'ai toujours trouvé amusant d'entendre des militaires professionnels dire "je vais à l'armée" à l'occasion de leurs cours de répétition. :)

Dans la pratique, il y a bien sûr quelques zones grises, mais dans l'ensemble, cela fonctionne ainsi. Plus pour très longtemps j'imagine.

Publié par Ruben le 11 février 2006 à 10:34

Ruben, les instructeurs disent aller "en service de troupe" pour parler de leurs activités de milice ; je n'ai jamais entendu "je vais à l'armée". Par ailleurs, il n'est plus vrai de dire que l'avancement ne se fait qu'à travers la milice ; il y a au contraire eu un découplage, presque systématique en défaveur des instructeurs, pour assurer la correspondance entre la classe d'engagement (E1, E2, etc.) et le grade. Par exemple, un officier instructeur qui dans la milice occupe un poste de colonel ne peut pas être promu aussi longtemps qu'il n'a pas un poste de E4 sur le plan professionnel. Enfin, on peut ajouter que les instructeurs portent des insignes supplémentaires pour indiquer leur statut.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2006 à 10:39

"1 - Une mission à caractère non officiel, n'ayant pas d'existence légale, ne repose donc sur aucun cadre légale. A ce titre l'arrestation de responsable terroriste ne tiendra devant aucune juridiction ...."

Vous revez... :o)

Du moment qu'il y a officiellement un mandat d'arrêt, aucune juridiction ne regardera sur les moyens employés pour ramener son destinataire devant son juge naturel... même aux USA. :)

Publié par Deru le 11 février 2006 à 10:42

Cela est correct est la tendance correspond à ce que je disais : plus pour longtemps. Il est clair qu'avec la réduction des effectifs, nous avons beaucoup de colonels "en trop".

Pour ce qui est des insignes, mon ancien cdt de brigade demandait aux instructeurs de ne pas les porter en service.

Publié par Ruben le 11 février 2006 à 10:44

Petite remarque en passant:

"les officiers français y ont été confrontés en 1940"

1. pas que les officiers ....

2. dans un des ouvrages sur les premiers parachutés en opérations en France occupée, on raconte que la dotation financière (car parachutés en civil) était proportionnelle au grade et qu'un des moins gradés à fait remarquer qq chose comme
'si on est pris c'est 12 balles pour tout le monde'

3. l'instruction, c'est très bien, il en faut, mais les rapports avec la réalité des conflits sont du même ordre que entre l'escrime olympique actuelle et le duel à l'épée des temps anciens, qui plus est avec des pirates

4. quand à l'éthique et à la morale dans l'engagement, on s'y prépare, on y prépare, et on ne sait pas ce que ça donnera en cas de besoins

Publié par marcu setti le 11 février 2006 à 13:12

La discussion a commençé avec le maitre de céans car j'avais parlé de loyauté avec une personne qui bossait très certainement pour les services américains: puisque les menaces actuelles mettent en péril non plus les pays, mais bien un certain type de culture (en l'occurence la nôtre), il serait donc justifié et justifiable de lutter contre ces menaces dans le cadre de n'importe service d'un pays partageant la même culture que nous. Un Suisse bossant pour les services français, américains ou anglais, why not? Le FBI est d'ailleurs déjà chaque service européen pour les aider dans leurs investigations... La lutte commune est la seule issue possible, car en face, ils font fi des nations.

Publié par dahuvariable le 11 février 2006 à 16:58

Ruben, c' est marrant je me reconnais en grande partie dans tes récits de service. On parie que je suis loin d' être seul ? ;) Car ça n' aurait pas d' intérêt si nous étions des exceptions, je suis au contraire persuadé que c' est la règle. Le seul problème étant que cela ne se quantifie pas, aucune statistique officielle n' en fera jamais état.
Tout au contraire des critères de "réussite" de l' armée. Ainsi, Ludovic affirmant que le "bilan est globalement positif", c' est un truc qu' on entend après CHAQUE activité militaire quelle qu' elle soit. Eh bien non le bilan en vérité est négatif, car sur le terrain les gars n' ont plus le droit à la créativité et à la rage de servir des cadres de milice qui perdent leurs vacances resp. leur temps de travail pour servir leur pays. C' est (c' était?) ça, la loyauté. Ils n' ont plus droit qu' à des exercices ultrastandardisés sanctionnés d' un "halte" quand ils dégénèrent trop (la guerre ça dégénère sans arrêt à mon humble avis, alors pourquoi mal la simuler ?). Oui le bilan est négatif. Encore une fois, je tire des généralités de faits, mais pas de faits très isolés.
Sinon tout-à -fait d' accord pour regretter l' hermétisme à l' expérience de la Swissint.
Winkelried je t' assure que nous ne voyons pas les mêmes choses. Je t' aime bien mais tu me sembles tout-à -coup très théoricien. Enfin tu as sûrement vu plus de conflits que moi vu ta nationalité...
C' est l' éternel problème, le conflit entre les théoriciens et les gens pratiques...c' est bien pour cela que j' aime fréquenter ce blog, il y a tant de gens qui ont la tête dans les étoiles, c' est intellectuellement stimulant ;) et c' est toujours intéressant de se confronter.
Et pour revenir au topic, de toutes façons je pense qu' il n' y a que des gens loyaux sur ce blog.

Publié par Arnaud le 12 février 2006 à 23:10