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11 février 2005

Le grand silence de L'Hebdo

Comment appelle-t-on un hebdomadaire d'information et d'actualité qui en vient à ignorer l'une et l'autre ? C'est la question que je me pose désormais, puisque L'Hebdo n'a consacré aucun article, aucun éditorial, aucune colonne et aucune brève aux élections irakiennes, qui constituent pourtant l'un des événements charnières de notre époque. La semaine dernière, 4 jours après le scrutin, le journal qui porte toujours le slogan « bon pour la tête » a totalement évité d'en parler. Le rédacteur en chef, Alain Jeannet, préférait se concentrer sur « les médicaments qui tuent », en reprenant une rumeur invérifiable sur le décès de Jacques Villeret pour ancrer son propos dans l'actualité. Rien dans la rubrique « Monde », rien dans les nouvelles en bref, rien dans les commentaires. Cette semaine, rebelote : les Irakiens sont aux oubliettes, et Jeannet parle du déclin de la Suisse faute de libéralisme et simultanément de la « superpuissance » que doit devenir l'Europe. La démocratie en Irak ? Aucun intérêt !

Il est naturellement permis d'en douter. Après tout, si L'Hebdo décrit la tournée européenne de Condoleeza Rice comme une reconnaissance américaine de l'importance qu'est censée prendre l'Europe, cela ne fait que confirmer son orientation pro-européenne et son penchant à influencer les opinions dans ce sens. La rédaction n'a pas peur des contradictions : dans le même numéro, elle fustige le fait que la Suisse renonce à faire des réformes nécessaires à la relance de son économie, et tresse des louanges à l'Union européenne en dépit de sa nature largement antilibérale et de son futur assombri - et soigneusement écarté des statistiques mentionnées. Et le recours à des « intellectuels américains » pour certifier la supériorité de l'Europe prête à sourire, tant ce procédé naïf et sempiternel - se focaliser sur les représentants de « l'autre Amérique », celle de John Kerry, de l'aile gauche du parti démocrate, des quartiers cosmopolites de New York, et qui s'est ramassée aux dernières élections - reflète mal la réalité.

Mais la réalité ne semble justement pas une priorité pour L'Hebdo. Les élections irakiennes n'ont aucune importance parce qu'elles n'ont tout simplement aucune place dans l'Irak virtuel que ses lecteurs découvrent depuis presque 2 ans. A l'été 2003 déjà , le journal faisait sa couverture sur un GI en pleurs et glosait sur la « défaite américaine », en expliquant que les soldats de l'Oncle Sam étaient au bout du rouleau, incapables de remplir leur mission et voués à l'échec. Le chef de la rubrique internationale du journal, Serge Michel, avec lequel j'ai des contacts professionnels, m'a d'ailleurs écrit voici quelques mois que j'étais bientôt le dernier dans le milieu des médias romands à ne pas comprendre que l'Irak était un désastre. Autrement dit, c'est une véritable profession de foi qui est contredite par les élections irakiennes : l'Irak doit être un désastre, parce que la guerre est la pire des solutions, parce que les militaires sont uniquement capables de détruire, parce que les Américains ne comprennent rien au Moyen-Orient et parce que Bush est un pantin menteur.

La foi peut être éclairante lorsqu'elle n'altère pas le raisonnement. Dans le cas présent, elle est aveuglante : comme admettre avoir reçu huit millions de gifles à force de ne pas écouter les Irakiens est un brin difficile, L'Hebdo préfère ignorer les élections irakiennes et le succès incontestable qu'elles représentent pour la stratégie américaine, ce qui l'amène ensuite à percevoir la diplomatie US en situation d'échec alors qu'elle est au contraire en position de force. C'est dire à quel point la perception des médias européens est biaisée par leur opposition à la guerre en Irak, et à la transformation au pas de charge du Moyen-Orient. Même les esprits censés être supérieurement intelligents, comme Jacques Pilet, n'y font pas exception : voilà 8 jours et 2 colonnes que Pilet n'a rien à dire sur la démocratie en Irak, sur la propagation d'idées nouvelles, sur les prémisses d'une transformation historique. Il est vrai que Jacques Pilet, une semaine après le début de l'opération Iraqi Freedom, écrivaient que tous les Irakiens se dressaient contre « les envahisseurs anglo-américains » !

En fait, L'Hebdo parle cette semaine des élections irakiennes : un dessin de Mix & Remix montre un isoloir à caractère religieux pour symboliser la mobilisation chiite. Voilà tout ce que le lecteur de ce journal pourra lire comme analyse et perspective à ce sujet. Mais rien n'est perdu, puisque les mauvaises langues affirment que Mix & Remix est la meilleure partie de L'Hebdo ! Quant à désigner ce dernier comme un hebdomadaire d'opinion et de partialité, l'éditeur devrait y réfléchir.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2005 à 9:50

Commentaires

Bonjour

Pourrait-on savoir ce que vous entendez par : et tresse des louanges à l'Union européenne en dépit de sa nature largement antilibérale et de son futur assombri » ??

Merci d'avance

Alex

Publié par Alex le 11 février 2005 à 12:34

A mon sens, l'Union Européenne souffre d'un déficit au niveau des libertés individuelles, que ce soit sur le plan politique (un Suisse est forcément attaché à la démocratie directe) ou économique (le moteur franco-allemand est plutôt marqué par un chômage élevé et par une inertie inquiétante). Quant au futur assombri, les éléments suivants m'inspirent ce jugement : le marasme démographique, l'immigration mal maîtrisée, le communautarisme exacerbé, l'élargissement à outrance et la faiblesse militaire.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 février 2005 à 21:40