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3 mars 2005

Le rôle troublé de l'ONU

Mi8BandaAceh.jpg

MEDAN - La question a été posée voici quelques jours sur ce carnet quant à mon avis sur le rôle de l'ONU dans l'aide humanitaire en Indonésie, notamment au vu des critiques que j'ai émises et relayées dès la fin du mois de décembre à ce sujet. J'ai essayé d'en savoir autant que possible à ce sujet ; j'en ai parlé longuement avec le responsable de la coopération civilo-militaire au sein de la Task Force SUMA, qui a participé à tous les rapports de coordination CIMIC conduits par l'ONU à Banda Aceh ; j'ai également eu des conversations avec plusieurs responsables de l'ONU, notamment le responsable logistique du HCR qui a géré l'emploi de nos Super Puma ; j'ai même brièvement visité le QG de l'ONU à Banda Aceh, malheureusement un dimanche (jour de repos pour l'ONU). Cela m'a permis une vue d'ensemble suffisante pour en parler aujourd'hui.

En premier lieu, il faut relever que mes affirmations critiques sur ce carnet - et le fait que l'ONU a revendiqué une importance qu'elle n'avait pas - ont été entièrement confirmées par les gens présents sur place dès le début janvier : ce sont bel et bien les militaires américains, et dans une moindre mesure australiens et singapouriens, qui ont mis en place la colonne vertébrale de l'aide humanitaire d'urgence et créé les conditions autorisant les activités qui se déroulent actuellement. La contribution des hélicoptères de la Marine américaine a par exemple été décisive dans la livraison des biens de première nécessité, alors que c'est la coordination militaire multinationale mise sur pied par le Combined Support Group 536 qui a permis un emploi efficace des moyens militaires. Ces derniers ont fait sentir de manière croissante leur impact tout au long du mois de janvier ; le pic d'activité à Banda Aceh a ainsi été vécu le 31 janvier, avec un total de 450 mouvements d'hélicoptères.

Les prétentions des hauts fonctionnaires onusiens étaient par conséquent bel et bien destinées à sauvegarder les apparences, avec la complicité de médias abandonnant tout sens critique au sujet de l'organisation, alors que la situation sur le terrain démontrait de manière criante la lenteur et l'inefficacité de sa structure bureaucratique. Pourtant, le contingent suisse a fait une expérience très positive en travaillant directement avec le HCR : celui-ci a mis sur pied à Sumatra une équipe réduite et flexible, capable de s'adapter à la capacité de transport considérable des Super Puma (en raison des 7 heures de vol quotidiennes par appareil engagé) et de remplir ceux-ci jusqu'à atteindre souvent la pleine charge. Le partenariat avec le HCR, conjugué au concept opérationnel développé par la TF SUMA, a même permis au transport aérien suisse de battre un record : le taux de charge moyen des hélicoptères s'est élevé à 92% dans les dernières semaines de l'opération.

J'ai constaté moi-même comment le HCR fonctionnait. Sur chaque place d'atterrissage utilisée pour le transport de personnes et de marchandises, un responsable du HCR officiait en permanence et décidait rapidement, en liaison téléphonique avec ses collègues et en discutant personnellement avec le pilote suisse, du chargement de l'hélicoptère venant d'atterrir. Un plan de vol général était établi par le HCR pour chacun des 2 Super Puma engagés, puis adapté constamment durant la journée en fonction de besoins urgents (comme la livraison de médicaments pour l'OMS) ou d'événements inattendus (comme un incident technique réduisant l'efficacité d'un hélicoptère). Avec un effectif moyen de 5 cadres et un dépôt principal à Banda Aceh, le HCR parvenait à réagir en quelques minutes à l'évolution de la situation, et donc à employer au mieux la capacité de transport que la Suisse a déployé pendant 7 semaines à son profit.

C'est un responsable du HCR qui me l'a expliqué : l'ONU et son agence spécialisée dans la logistique (UNJLC) ont mis sur pied une structure trop grosse et trop lente à Sumatra, avec 20 personnes employées uniquement à la planification des opérations aériennes effectuées avec des moyens mis en commun, et nécessitant des délais de préparation supérieurs à une demi-journée. Cette gestion des ressources a abouti soit à des retards dans l'exécution, soit à des appareils volant à mi-charge ou moins. Le principe d'un rapport de coordination quotidien pour communiquer les besoins et les offres n'est tout simplement pas adapté aux exigences d'une aide humanitaire en situation de crise. De plus, l'absence de moyens propres a rendu l'ONU dépendante des armées occidentales (les Etats-Unis, l'Australie, mais aussi plusieurs pays européens n'ont pas témoigné d'une grande volonté de répondre aux demandes onusiennes), tout en l'amenant à faire pression sur les contingents militaires pour mettre leurs ressources sous le contrôle de l'UNJLC, peindre en blanc leurs hélicoptères et inscrire "ONU" sur leur carlingue.

Confrontée à son impuissance, l'UNJLC a conclu des contrats de location avec des sociétés privées pour jouir d'une capacité de transport autonome. Mais ces contrats, toujours selon le responsable du HCR, étaient au mieux dangereux, au pire inutiles. D'une part, l'ONU a loué 2 hélicoptères Mi-8 [et au moins 1 Puma, voir ci-dessus] à une société sud-africaine, qui s'est rendu compte qu'il était plus intéressant pour ses pilotes de faire acte de présence à Banda Aceh en volant le moins possible (le paiement n'était pas lié aux heures de vol) ; j'ai vu et entendu moi-même ces hélicoptères décoller le matin vers 0700 de Sabang (afin de prendre les meilleures places à Banda Aceh!) puis passer l'essentiel de la journée à attendre (voir la photo ci-dessus). D'autre part, l'ONU a loué des avions de transport Il-76 effectuant tous les 2 jours des rotations entre la Jordanie et Banda Aceh pour livrer du matériel (notamment des tentes), mais ces avions sont dans un état tellement délabré (pneus usés jusqu'à la corde, etc.) qu'ils représentent un risque certain.

Un élément, en revanche, m'a surpris en arrivant à Sumatra : il existe entre les agences de l'ONU une concurrence féroce qui contribue sans aucun doute à réduire l'efficacité de leurs activités. Ainsi, le fait que le contingent suisse appuie directement le HCR a suscité certaines récriminations, même si cette solution a démontré son efficacité. Entre OCHA, UNJLC, UNHAS, UNHCR, WHO, WFP et j'en passe, l'ONU tend à importer ses propres divisions dans une zone de crise. Son rôle troublé à Sumatra devrait l'inciter à une réforme structurelle en profondeur.

Publié par Ludovic Monnerat le 3 mars 2005 à 11:57

Commentaires

Enfin un témoignage critique et non complaisant sur ces agences de l'ONU, merci d'avoir le courage de rapporter votre vision et d'exprimer vos impressions sans à priori ou animosité. Très curieux de voir que les reflexions faites dans un des commentaires n'a pas été oubliée et mise "sous la pile" parce qu'embarassante. Après le scandale de l'Irakgate et d'autres témoignages similaires sur ce qui se passe au Moyen-Orient et en particulier à l'UNWRA le moment est venu d'une refonte complète de cette organisation qui perd une part de sa crédibilité. Votre témoignage sur l'opération SUMA est intéressante à vous lire c'est comme si nous étions avec vous, bravo!

Publié par Marcel le 3 mars 2005 à 16:27

Je signale juste que c'est un Super Puma sur la photographie ;)

Publié par Frédéric le 3 mars 2005 à 18:47

Exact : je me suis emmele les pinceaux avec une autre photo !

Publié par Ludovic Monnerat le 4 mars 2005 à 12:02

Bonjour,
Je cherche les noms de sociétés d'hélicoptères en australie, pourriez vous m'aider svp?
merci beaucoup
Salutations

Publié par messina le 14 mai 2006 à 10:00