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27 septembre 2007

Le conformisme des faits divers

Avec l'enterrement de la petite Ylenia, un fait divers qui a tenu des semaines durant le public suisse en haleine entame sa marche vers l'oubli. On en parlera encore pendant quelques années, à l'occasion, mais il n'y aura probablement plus de première page dans la presse de boulevard, plus de critiques acerbes adressées directement au Conseil fédéral, plus de polémique sur l'efficacité de la police à retrouver des corps. Les cris les plus stridents, surfant sur la vague d'émotions, ont déjà révélé leur nature éphémère. Et toute une série d'autres faits divers, plus ou moins prenants, plus ou moins tragiques, attendent de prendre la relève et de distraire le public apparemment de la façon la plus innocente qui soit, puisqu'ils sont bien réels. Même s'ils sont gonflés au-delà de toute proportion logique.

L'affaire Ylenia est évidemment un drame qui mérite empathie et respect, mais chaque affaire de ce type ne devrait pas être montée en épingle comme un fait national. Les moyens considérables engagés dans la recherche de son cadavre (même l'armée y a contribué avec hélicoptères et troupes au sol) ou les exigences pour un système d'alerte en cas d'enlèvement sont-ils vraiment proportionnels avec l'importance du ou des cas considérés ? Le propre d'un fait divers reste d'être placé sous les feux de la rampe sans guère de relativisation, mais les autorités n'ont-elles pas pour mission de se prémunir contre toute émotivité déplacée et de priviliégier en toute chose l'intérêt général ? Les actions d'un psychopathe suicidaire en liberté étant par définition parmi les plus difficiles à empêcher, pourquoi ne pas au contraire prendre des mesures en amont et mettre plus sûrement de tels individus hors d'état de nuire ?

Ceci nous amène à la réalité des faits divers : alors qu'un événement peut être perçu de différentes manières et susciter des réflexions opposées, il est souvent traité et vendu par la presse d'une manière unique et conformiste, correspondant aux réflexes et aux convictions des rédactions. Il suffit de voir le désintérêt général, à quelques fameuses exceptions près, pour les faits divers impliquant des catégories privilégiées par les médias, tels que les ressortissants étrangers en situation irrégulière. L'affaire Ylenia s'est rapidement imposée par son caractère sordide, par l'opposition entre le visage angélique de la victime et le comportement supposé de son assassin, mais n'importe quel fait divers reposant sur un drame humain peut très bien être pareillement monté en épingle. L'attribution possible des rôles entre coupable et victime étant à mes yeux une variable essentielle en la matière.

Lorsque je parle de distraction, enfin, j'ai bien en tête la surface informative qui aura été investie dans cette affaire et qui n'a pas servi à autre chose. Il est bien clair que nous ne pouvons pas passer notre temps à nous nourrir uniquement d'informations "sérieuses", mais les excès de ce genre amènent à s'interroger. Combien de sujets graves n'ont pas été abordés ou identifiés parce que l'on s'est focalisé sur le sort d'une petite fille de 6 ans présumée morte presque dès le début de l'affaire ? Quelles peuvent être les conséquences à long terme d'une information publique conçue comme un spectacle individualisé et émotionnel sur notre compréhension des enjeux de notre vie, de notre société, de notre pays ? Et pourquoi nos autorités, même celles qui ne sont pas survoltées par les affres de la réélection (c'est-à -dire le Conseil fédéral), se sentent-elles obligées de jouer ce jeu inconséquent ?

Publié par Ludovic Monnerat le 27 septembre 2007 à 6:54

Commentaires

Votre intervention fait indirectement référence aux journaux gratuits. Ces derniers sont en effet les champions du fait divers.
En revanche, je ne comprends pas votre remarque concernant le Conseil fédéral...

Publié par Alex le 27 septembre 2007 à 8:39

Votre combat, aussi légitime qu'il soit, est perdu d'avance. C'est la nature humaine, ses émotions (et les media n'en sont que les amplificateurs) qui donnent à un fait, divers ou non, son retentissement. C'est quelque chose qui a existé de tout temps. Depuis les bijoux de la reine, l'assassinat de Sissi, en passant par Stavisky, Bony and Clyde, et j'en passe, l'actualité les siècles passés a été marquée par des affaires qui ont profondément marqué l'opinion quand bien même les media n'avaient pas l'impact qu'ils ont aujourd'hui. Vous pouvez déplorer ce comportement; pour le changer, il faudrait changer les hommes (et les femmes !).

Publié par jeambi le 27 septembre 2007 à 9:18

Je ne connaissait pas ce drame.

Mais s'il y a le moindre espoir de retrouver une personne disparue, on ne doit pas lésiner sur les moyens.

Lors d'inondations dans mon village, une dame que je connaissait s'est emporter par le courant, tous les habitants ont cherché pendant une dizaine de jours son corps car nous savions qu'elle n'avait pas eu de chance de survie avec le torrent qu'il y a eu cette journée la,

Elle a été finalement retrouvé dans un étang a 8 kms de notre commune,

Et les médias n ont pas eu les projecteurs braqués sur cette histoire...

Publié par Frederic le 27 septembre 2007 à 10:06

Ce que je trouve pour ma part le plus frappant, c'est que ce genre de drames réapparaît périodiquement et que les journalistes dans leur grande majorité - à l'exception notable d'une chronique de Myriam Meuwly dans la version dominicale du Matin il y a 15 jours - cherchent absolument à nous faire croire qu'il n'est pas permis par les traités internationaux d'interner à vie les criminels dangereux - quel escroquerie !-, que l'on ne peut interdire les chiens dangereux (et pourquoi donc ?? Autre escroquerie !) et que donc que les drames qui en découlent sont inévitables. Peut-être parce qu'ils aident à faire vivre leurs ignobles feuilles de chou ? Je le pense de plus en plus sérieusement.

Publié par Roland le 27 septembre 2007 à 11:21

Tout cela pour nous amener un prochain billet sur les armes à feu, la munition et la prétendu nécessaire relativité du drame de la famille Rey-Bellet réexploité aujourd'hui au National? Non, cela ne se peut... Je dois faire un excès de débilité, n'est-il pas ?

Publié par T. le 27 septembre 2007 à 19:31

In caude venenum. Le billet tout entier est d'une pertinence coutumière à son auteur, mais l'interrogation qui constitue la dernière phrase du billet mérite de ne pas être que rhétorique.

Publié par Guillaume Barry le 27 septembre 2007 à 21:21

In cauda venenum

Publié par Anon le 27 septembre 2007 à 22:45

In cauda venenum

Publié par anon le 27 septembre 2007 à 22:46

Il ne faut pas oublier l'audience. Le nerf de la guerre. Pour faire du chiffre d'affaires publicitaire, il faut faire de la masse d'audience (ou de lectorat), il faut gagner des "parts de marché", calculées en points d'audience dans les média. Or , où se trouve la plus grande quantité dans une pyramide d'audience? A sa base. Quel est le dénominateur le plus commun de cette base: l'émotion des besoins vitaux (la thymie dans le language technique). La pyramide d'audience de la presse de masse est comparable à celle de Maslow. J'appelle cela de l'audience votive. C'est un culte, dont les journalistes et leurs producteurs, sont les sacrificateurs. Regardez ce qui se passe en France avec William Leymergie qui n'en serait pas à sa première incartade mais qui fait 40% de part de marché sur la Tv du matin! Il a fallu qu'il manque de tuer un collaborateur pour être seulement suspendu. L'immunité du hiérophante.

Publié par louis le 28 septembre 2007 à 9:51