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20 mars 2006

L'interopérabilité avec l'OTAN

Un élément essentiel de l'exercice auquel j'ai participé réside naturellement dans la connaissance des procédures, des acronymes et de la doctrine de l'OTAN. Le sujet reste très sensible en Suisse sur le plan politique, et les adversaires de l'Armée XXI dénoncent régulièrement une supposée volonté d'adhérer à l'OTAN qui gangrènerait nos rangs. Cette accusation a pour principal argument les objectifs de l'armée en termes d'interopérabilité, c'est-à -dire dans sa capacité à coopérer étroitement avec les états-majors et les formations de l'Alliance. Pourtant, pareille interopérabilité est différenciée : si les Forces Aériennes et les impératifs de la sauvegarde de l'espace aérien exigent une compatibilité jusqu'à l'élément individuel, il n'en va pas de même avec les Forces Terrestres, où ce sont avant tout les états-majors - et partant les systèmes de commandement - qui sont concernés.

Est-il cependant dans l'intérêt de la Suisse de se rapprocher de l'OTAN, notamment en envoyant ses officiers d'état-major suivre des formations ? Au vu de mon expérience personnelle, forcément limitée, je trouve que la participation aux cours et aux exercices de l'Alliance apporte beaucoup, parce que celle-ci a une expérience opérationnelle ayant abouti à un savoir-faire précieux ; toutes les facettes d'une opération militaire moderne sont couvertes par ses règlements, par des formulaires standards, par ses briefings routiniers. En revanche, les spécificités suisses font que ce savoir-faire doit être adapté à nos besoins et à notre rythme : on ne peut pas copier/coller, mais prendre le meilleur et le convertir. De ce fait, je considère que l'OTAN offre à l'armée suisse un environnement favorable pour sa propre transformation, mais que le transfert doctrinal et opérationnel doit se faire en fonction de notre spectre d'engagement, de notre système de milice et de nos intérêts nationaux.

Aujourd'hui, cette démarche reste cependant largement empirique, et des décalages nous confrontent à des situations déstabilisantes ; nous ne sommes pas loin de devoir choisir, lors de chaque planification - en vue d'une opération ou lors d'un exercice -, si nous appliquons les règlements OTAN, les règlements suisses, ou un mélange des deux. Les tiraillements sont d'une double nature : d'une part, une coopération avec des armées étrangères exige une compatibilité avec leurs procédures, et les nations neutres du continent ont toutes adopté les principes de l'Alliance (c'est d'ailleurs l'un des objectifs des exercices VIKING), alors même que les formations de milice suisses et leurs états-majors ne sont pas en mesure d'être OTAN-compatibles ; d'autre part, si ces principes érigés en standards ont de nombreuses qualités, ils répondent aux besoins d'opérations multinationales de grande ampleur et/ou de longue durée, et non à ceux d'opérations nationales. Un compromis est donc inévitable.

Et ceci répond à mon sens à l'accusation mentionnée ci-dessus : l'interopérabilité ne doit pas être confondue avec le mimétisme, et elle relève de la disponibilité militaire, et non de décisions opérationnelles. La capacité à coopérer étroitement et après une courte préparation avec des forces armées étrangères revient à élargir la palette d'options militaires susceptibles d'être proposées au Conseil fédéral, et non à lier ce dernier par une dépendance systémique ou matérielle.

Publié par Ludovic Monnerat le 20 mars 2006 à 23:50

Commentaires

Otan-compatible ou pas?

Ouais, y-a-t'il ou non un ennemi "potentiel"? Si oui, où est-il? L'armée Suisse peut-elle faire face seule ou pas pour règler cette "éventuelle" menace? Il me semble qu'en répondant à ces questions basiques, la nécessité ou pas de l'Otan-compatibilité devrait se résoudre d'elle-même.

Les guillemets expriment mon humour noir parce que j'ai la furieuse impression que la nature de l'ennemi "potentiel" se révèle de manière explosive en déchiquetant de temps en temps, mais assurément aussi souvent qu'on lui en laisse la possibilité, les corps de simples citoyens, comme vous et moi, empruntant les transports en commun.

Publié par elf le 21 mars 2006 à 3:14

Ne se définir que par rapport à un ennemi.
Voilà qui me semble un peu réducteur.

Publié par Ruben le 21 mars 2006 à 9:06

Tout système communiquant avec un autre doit parler le même langage. C'est autant valable pour des êtres humains que des machines ou des processus.

Sans interopérabilité de communication, il ne peut pas y avoir de dialogue, donc pas d'échange et pas de coopération.

L'importance des standards internationaux se démontre chaque jour. Pensez simplement comment serait les choses, si votre téléphone mobile ou votre carte Wireless Lan n'était pas compatible avec les autres pays, ou si votre carte de crédit n'était utilisable que dans un magasin!

Dans une ère de globalisation, il est indispensable de pouvoir communiquer, mais surtout de comprendre et d'être compris.

Publié par Daniel Mangold le 21 mars 2006 à 11:59

J'ai surtout l'impression que la crainte essentielle des adversaires de l'interopérabilité se situe plutôt sur le plan d'une prétendue "subordination" aux américains. Pourtant il suffit de "pratiquer" un peu les états-majors de l'OTAN pour se rendre compte que le "grand frère" américain n'est de loin pas aussi omniprésent et encore moins aussi important qu'on veut bien le croire.

Les temps de la guerre froide et de l'hégémonie militaire américaine par rapport à l'Europe sont révolus. L'OTAN n'est pas les USA. Et plus on sera de membres, plus on sera à même de contrer certains courants d'outre-atlantique.

Le premier pas vers l'interopérabilité consiste à savoir s'exprimer couramment en anglais, d'accord. Mais çà s'arrête là en ce qui concerne l'hégémonie anglo-saxonne. Ceux qui ont la chance d'être impliqués dans des exercices ou mieux encore dans des opérations de l'OTAN remarquent très vite le poids que les nations européennes pèsent réellement dans les processus de décision et de conduite.

L'avenir pour notre armée est intimement lié à ses capacités à devenir réellement interopérable au niveau européen, que celà s'appelle OTAN ou pas, çà peut se discuter... mais en anglais ;-)

Publié par Dominique Crittin le 21 mars 2006 à 12:44

En ce qui me concerne, ce qui me dérange dans l'OTAN, ce ne sont pas les Américains mais bien les Européens.

Cela dit, je suis tout à fait favorable à ce genre d'éxercices ainsi qu'à une manière commune de communiquer.

Publié par Ruben le 22 mars 2006 à 10:00