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6 janvier 2006

La canonisation compulsive

Les morts, c'est connu, ont bien moins d'ennemis que les vivants ; ils ne les gênent plus assez pour cela, et laissent d'ailleurs leur vécu se faire aisément récupérer, retravailler, reformater en vue d'un usage nouveau. Ceux qui ont le malheur d'être entre la vie et la mort subissent ce traitement avant même d'avoir mis un terme à leur existence terrestre, surtout si leur héritage - matériel ou non - suscite les convoitises. Ce qui est le cas aujourd'hui avec Ariel Sharon : depuis l'annonce de son opération et de sa plongée dans le coma, on peut lire nombre de commentaires qui relèvent de la canonisation compulsive et qui prennent des libertés étonnantes avec la réalité de l'homme, de son action et de ses perspectives. De fait, lorsque le quotidien le plus populaire de Suisse se demande si la mort de Sharon n'aboutirait pas à une nouvelle guerre, on s'interroge sur sa vision de la situation actuelle.

La notion de processus de paix est au centre de cette transfiguration. Déjà apparaissent les comparaisons avec Ithzak Rabin, les métaphores du faucon transformé en colombe, les allusions au fait qu'il aurait finalement compris les vertus du compromis, de la paix avec les Palestiniens. L'un des meilleurs éditoriaux sur le sujet s'aventure même à parler de processus de paix "à l'unilatérale", apparemment sans mesurer toute l'antinomie de ces termes. Honni de son plein vivant, fustigé comme criminel de guerre, blâmé pour ses méthodes tranchées et meurtrières, Ariel Sharon s'amuserait beaucoup de ces reconversions spontanées, de ces tentatives pour faire entrer le général rebelle dans le moule préfabriqué du converti. Qu'on lui prête l'intention de "restituer" des territoires aux Palestiniens souligne l'ampleur de l'incompréhension.

En réalité, Sharon était et est toujours resté un combattant, un homme de guerre, parce qu'il a compris voici belle lurette que face à un ennemi irréductible, seule la victoire et la supériorité peuvent mener à la paix et à la sécurité. Parvenu au sommet du pouvoir par une guerre qu'il a pressentie et non déclenchée, il a dû sa popularité renouvelée et sa stature de rassembleur à sa volonté et à sa capacité de mener cette guerre et de la gagner, imposant aux Palestiniens une défaite autoalimentée qui restera la plus belle manoeuvre offensive de sa carrière. Sa conduite efficace d'un conflit asymétrique, remporté lorsqu'il a été "resymétrisé", sera d'ailleurs à n'en pas douter l'objet de nombreuses études dans les années à venir. Et ces études montreront qu'Ariel Sharon n'a fait aucun compromis avec la sécurité à terme de son pays, et qu'il n'aurait jamais ordonné le retrait de Gaza s'il ne promettait pas un avantage stratégique majeur. En se focalisant sur les antagonismes et non les apparences, les militaires font bien mieux la paix que les diplomates.

Cette réalité est naturellement impossible à admettre pour ceux qui ont fustigé pendant des années la politique d'Ariel Sharon, et affirmer que ce dernier a vécu une métamorphose ou un renoncement a pour but de dissimuler leurs propres erreurs et aveuglements. L'héritage intellectuel et pratique de l'actuel Premier ministre est trop dérangeant pour être accepté tel quel : il doit être filtré, corrigé et purifié pour recevoir l'onction bien-pensante et permettre à ceux que les faits ont contredits de recycler leur message. C'est ainsi que la canonisation partielle mais significative d'Ariel Sharon annonce déjà le dépoussiérage de ces concepts étranges, "Accords d'Oslo", "Initiative de Genève" ou "feuille de route", dont le même Sharon a démontré avec force la fondamentale inanité. Le vrai drame de sa disparition réside dans l'inachèvement de son oeuvre, dans le risque que la division intérieure amène Israël à perdre l'initiative et à manquer ce qui est à la portée de sa main : une imposition de la paix qui ne laissera à ses ennemis, pour un temps du moins, aucune chance de faire la guerre.

COMPLEMENT I (6.1 1545) : Pour avoir un aperçu de la vision que certains Israéliens se font de leur situation, cet éditorial de Caroline Glick - une voix critique à l'endroit d'Ariel Sharon ces derniers mois - dans le Jerusalem Post mérite d'être lu. Ses avertissements constants sur la création d'une enclave terroriste adossée à Israël et ses réflexions sur une frappe militaire contre les installations nucléaires en Iran, avec l'appui des USA et de l'OTAN, indiquent certainement une perspective un peu étriquée, mais représentative. Sinon, je conseille également cette analyse d'Amir Taheri, qui souligne avec éloquence l'anormalité du "processus de paix" de la communauté internationale, ainsi que ce jugement politique de John Podhoretz, également dans le New York Post, qui montre l'originalité de Sharon sur ce plan.

COMPLEMENT II (6.1 1730) : A lire également cette analyse de l'incertitude qui prévaut aujourd'hui en Israël, sur le blog Politique arabe de la France (qui annonce par là même son expansion). On y trouve notamment un élément stratégique que je partage et qui contredit les propos de Caroline Glick :

[E]n laissant le terrain aux Palestiniens, la possibilité pour eux de s'organiser en forces régulières, le retrait permettra une symétrisation de la guerre dans le cas où la société palestinienne continuera ce que certains appellent "la fuite en avant", et le soutien aux forces extrémistes palestiniennes comme le Hamas aux prochaines élections. Une telle symétrisation est à l'avantage d'Israël.

COMPLEMENT III (7.1 1600) : Pas de canonisation, mais une récupération éhontée commise sans surprise ce matin par Bernard Guetta dans Le Temps. Cet homme si prompt à dissimuler ses propres erreurs ne pouvait manquer de juger avec condescendance Ariel Sharon :

On peut rappeler toutes ses erreurs et tout le sang qu'il a fait couler mais le fait est qu'il en était venu, depuis deux ans au moins, à penser et dire ce que martelaient depuis toujours les plus clairvoyants des Israéliens - que la seule répression ne viendrait jamais à bout de l'aspiration nationale des Palestiniens, qu'Israël ne pouvait pas rester à la fois une démocratie et une puissance occupante et que, faute d'un Etat palestinien, la démographie aurait raison de l'ambition sioniste de créer un Etat juif.

On se demande comment un homme tel que Guetta ferait pour combattre le terrorisme palestinien, à supposer qu'il reconnaisse que la création de l'OLP précède la conquête des territoires aujourd'hui disputés, et donc que la présence israélienne sur ceux-ci a d'abord été une réponse à des attaques quotidiennes.

Publié par Ludovic Monnerat le 6 janvier 2006 à 11:34

Commentaires

Malheureusement, la canonisation pourrait bientôt devenir plus appropriée :

"""
11h37

Flash/Israël : Ariel Sharon subit une nouvelle hémorragie, transféré en bloc opératoire

L'hôpital Hadassah vient de confirmer il y a un quart d'heure que le Premier Ministre Ariel Sharon avait dû être transféré en bloc opératoire suite à une nouvelle hémorragie cérébrale. L'opération entamée vise à drainer le sang pour faire baisser la pression intra-cranienne et à cautériser l'artère défaillante. L'état du Premier ministre est extrêmement grave. """
(Source: ESISC)

Publié par Ares le 6 janvier 2006 à 11:49

"une imposition de la paix qui ne laissera à ses ennemis, pour un temps du moins, aucune chance de faire la guerre."

Peut-être. Mais je pense aussi qu'un éventuel "orphelinat" israélien renforcerait les mouvements terroristes arabes. Si l'Etat hébreux viendrait à montrer des faiblesses que Sharon n'avait pas, les terroristes se verraient incités à relancer leurs attaques.

Peut-être aussi que certains régimes relanceraient leurs mouvements de soutien à la "cause" Palestinienne - car ils auraient peut-être moins peur...? Gissin (conseiller proche de Sharon) le disait d'ailleurs pour cela sur CNN avant-hier à l'adresse des ennemis d'Israël: "It's not the moment to mess with us".

Publié par Sisyphe le 6 janvier 2006 à 12:06

@ Ludovic:

D'accord à 200% avec votre analyse de la situation et du personnage, et 400% avec la conclusion de votre billet. Halte au lyrisme des journalistes, verbeux et autres diseurs. La parole au réalisme, même s'il dérange les irresponsable et les incompétents, inconditionnels de la politique de l'autruche!!

Publié par Winkelried le 6 janvier 2006 à 13:36

Commentaire absolument parfait. C'est exactement ce que je crains : que le jet-set diplomatique ne reprenne le dessus et que le successeur de Sharon n'ait pas la capacité de ce dernier à imposer sa vision des choses.

Publié par Jean le 6 janvier 2006 à 15:59

Ludovic, à propos de C. Glick, pourquoi juge-tu son appréciation comme étant "certainement une perspective un peu étriquée"? Peut-être que les "vagues d'immigration de juifs européens" sont un peu exagérées, mais autrement je comprends assez bien son point de vue et le trouve assez complet.

Publié par Sisyphe le 6 janvier 2006 à 16:46

Ce qui m'a inspiré ce commentaire sur C. Glick, une éditorialiste qu'au demeurant je respecte beaucoup, c'est sa vision d'une action militaire contre l'Iran : Israël qui se lance dans une opération aérienne avec l'appui des Etats-Unis et de l'OTAN. On peut avoir une telle opinion en Israël, mais vu d'un peu plus loin, tout cela paraît trop "jérusalemocentrique", si j'ose dire... :)

Publié par Ludovic Monnerat le 6 janvier 2006 à 17:25

Vous imaginez ce principe adapté à nos banlieues... La République s'en retire cette fois officiellement pour que s'y organise le pouvoir des mafias ou/et des mollah et hop, au premier "pet" de travers, attaques de chars, hélicoptères...et reconquista des terres que nous avions "abandonnées" pour mieux en reprendre le contrôle. Echec et mat!

Y'a pas, vive le concept de symétrisation!

Publié par Winkelried le 6 janvier 2006 à 21:33

Cela aurait moins l'avantage d'une certaine clarté ! :)

C'est en tout cas une réflexion prometteuse, surtout sous l'angle "reconquista"... Bon, pour les frappes ciblées avec les hélicoptères Apache, je n'y crois pas trop !! ;)

Publié par Ludovic Monnerat le 6 janvier 2006 à 21:41

Israël n'est pas démuni en Hommes ou Femmes de valeur grace à la production des Kiboutz si je peux m'exprimer ainsi. Sharon peut partir, mission accomplie.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 6 janvier 2006 à 23:48

C'est étrange, j'aurai juré avoir lu et répondu à un exemple de canonisation compulsif...et puis pffuit!! Plus rien...

Un mirage sans doute, le reflet de la lune sur quelques sommets neigeux des alpages, n'est-ce pas monsieur Monnerat :)

Publié par Winkelried le 7 janvier 2006 à 0:05

Publié par al le 7 janvier 2006 à 1:56

Un troisième complément a été ajouté au titre de la canonisation compulsive d'Ariel Sharon, pour montrer également un exemple de la récupération éhontée dont certaines plumes se rendent coupables dans la presse francophone.

Publié par Ludovic Monnerat le 7 janvier 2006 à 16:07

"... à supposer qu'il reconnaisse que la création de l'OLP précède la conquête des territoires aujourd'hui disputés, et donc que la présence israélienne sur ceux-ci a d'abord été une réponse à des attaques quotidiennes."

S'il fallait résumer ce qui fait la perfide perception biasée de ce conflit par les médias c'est bien cette inversion du rapport cause à effet, c'est à dire prétendre que que c'est Israël qui provoque la terreur palestinienne. Cela fait preuve d'une méconnaissance alarmante de l'histoire de ce conflit. Ou alors c'est du négationisme.

Je crois que la grande séparation va entre ceux qui d'une part reconnaissent qu'Israël se trouve en situation de guerre défensive depuis au plus tard 1948, et ceux qui d'autre part ne le reconnaissent pas.

Publié par Sisyphe le 7 janvier 2006 à 19:09

@ Ludovic
"se rendent coupables ds la presse francophone" d'analphabetisme!!
Ce Guetta est un ignare, inculte de l'histoire qui se permet d'ecrire et d'analyser alors qu'il ne connait pas les faits et en plus un menteur!!

Je ne prendrai qu'un exemple de son mervielleux texte, exemple parfait de la suffisance intellectuelle, ethique, de l'onanisme intello de la journalistique guauloise:
"Lui qui avait été l'apôtre du Grand Israël, d'un Israël s'étendant dans ses frontières bibliques et ne laissant aux Palestiniens que la Jordanie, avait fini par faire évacuer une terre qu'il proclamait israélienne"

1) le concept de "Grand Israel" englobe toute la region du proche orient qui formait le Royaume de David: la Cis Jordanie,la Trans-Jordanie (aujourd'hui -Jordanie), remonte au nord presque jusqu'a la frontiere turque, englobant Alep, Damas bien suren Syrie, et tout le Liban.
2) Donc Guetta ecrit une chose et son contraire ds la meme phrase:"...d'un Israël s'étendant dans ses frontières bibliques et ne laissant aux Palestiniens que la Jordanie..."
3) Le mouvement sioniste a renonce au reve du Grand Israel bien avant la creation de l'Etat d'Israel! Ce que les revisionistes (Herout, aujourd'hui Likoud et Beitar) ont par contre continue a exige c'est :"Chetei gadot ayarden", les 2 rives du Jourdain! Donc Sharon n'etait pas un partisan du "Grand Israel": c'est simpliste, mensonge et inculte!
4) "ne laissant aux Palestiniens que la Jordanie"
Mr Gueta ne rappelle pas - il en est bien incapable -ce que personne ne rapelle:
: d en 1970 pendant le fameux "Septembre Noir" quand la Legion Jordanienne de Hussein de Jordanie, commandee et encadree par des officiers de Sa Majeste (anglaise) exterminait les combattants palestiniens ds les camps de refugiers, le General de Brigade Sharon, commandant une unite de blindee, a propose au gouvernement socialiste israelien, d'intervenir aupres des palestiniens, depose le "Petit Roi" et installer un Etat Palestinien!!! C'est le depart de la fameuse "Option jordaniene". Rappellons qu'a cette epoque Golda Meir et la formation socialiste refusait de reconaitre "unpeuple palestinien"
5)"....avait fini par faire évacuer une terre qu'il proclamait israélienne"
Mr Guetta ignore sans doute, comme l'ignorent tous ces ignares specialistes du moyen orient de la torchonerie francophone (dixit netchayev),c'est qu'une partie des colonies a ete elevee a la place des kibutzim, socialistes, eleves la bas avant la creation de l'etat d'Israel et conquis par l'armee egyptienne durant l'agression arabe de 1948

Cela fait beaucoup d'imprecisions, Mr Guetta!!!.
Et j'aimerai savoir pourquoi je ne peux pas laisser ce message sur le site du "TEmps" et repondre a ce Mr Guetta en personne!!!
DOnc non seulement ce torchon et son torchoniste sont des ignards et des falcificateurs mais en plus ce sont de peureux qui ont peurs de la discusion!!!

Alors merci Ludovic pour la possibilite que tu nous donnent a nous exprimer!

PS:
Je tiens a preciser que je nai jamais porte beaucoup d'estime a Mr Sharon, ni comme militaire ( le 8 Octobre 1973 est encore grave ds mon cerveau: toute armee "normale" l'aurait passe par les armes ce jour la), ni comme politique (ses mensonges durand la guerre du Liban),je n'ai jamais vote pour son parti.

Publié par Ram Zenit le 7 janvier 2006 à 19:33

J'ai esseye d'utiliser des tags HTML mais cela a fait du balagan("bordel" excuser du mot)

Publié par Ram Zenit le 7 janvier 2006 à 19:42