« Des fantômes assassins | Accueil | De nouveau dans le bain »

13 juin 2005

Sus au renseignement

L'attaque frontale et la critique acerbe des services de renseignements n'est pas spécialité suisse, mais mon pays semble les pratiquer avec entrain depuis de nombreuses années. On se rappelle qu'à l'été 1999, la présidente d'un parti gouvernemental - en l'occurrence le PS - avait tout bonnement demandé la suppression des services de renseignements, au motif sidérant que la Suisse n'avait pas "de grands secrets". De tels accents existent aujourd'hui encore, si l'on en croit cet article de Sylvain Besson publié ce lundi dans Le Temps :

A quoi servent les divers services de renseignement civils et militaires dont dispose la Suisse? A rien, ou bien peu de choses. C'est du moins ce qu'affirmait en janvier dernier une commission spécialisée du Conseil national.

Il est vrai que la communauté suisse du renseignement, balayée comme une malpropre au début des années 90 lors de l'affaire des fiches, et à nouveau clouée au pilori en 1999 lors de l'affaire Bellasi (un détournement de fonds sans rapport avec la qualité des produits du renseignement suisse), souffre de maux profonds, dont le manque de moyens et de directives politiques n'est pas le moins douloureux. Et les tensions marquées entre les différents services ne sont pas un secret, comme l'a révélé l'an passé la mise sur écoute par le SAP (renseignement intérieur) de membres du SRS (renseignement extérieur). Mais est-ce que cela justifie la poursuite des attaques insultantes contre ceux qui, dans l'ombre et sans aucune reconnaissance, continuent jour après jour d'essayer de détecter les menaces qui pèsent sur le pays?

La fin de l'article de Sylvain Besson, auquel l'usage de sources anonymes confère certes un grand potentiel de désinformation, est pour le moins difficile à avaler :

Une source proche du gouvernement raconte l'anecdote suivante: «Un examen a été fait pour voir combien de fois, ces dernières années, le Conseil fédéral a pris une décision sur la base d'informations fournies par les services de renseignement. Et la réponse, c'est zéro.»

Je ne suis pas membre de la communauté suisse du renseignement, mais laissez-moi vous dire que cette "source" omet un élément important : aucune décision opérationnelle sur le plan militaire, qui fait tôt ou tard l'objet d'une décision du Conseil fédéral, n'est prise sans utiliser les informations du renseignement militaire. Ce dernier est d'ailleurs curieusement oublié dans l'énumération faite par Sylvain Besson. Pour comprendre le texte de ce dernier, il s'agit donc d'appréhender les intérêts que défendent ses informateurs anonymes et les objectifs qu'ils visent à travers la diffusion de "faits" manifestement biaisés. Une démarche à laquelle cependant je ne suis pas en mesure de me livrer...

Publié par Ludovic Monnerat le 13 juin 2005 à 17:04

Commentaires

Il est également clair que le service d'analyse et de prévention (le SAP), fournit régulièrement des informations et des appréciations quant à la sécurité intérieure (extrémisme, terrorisme etc.). C'est lui par exemple qui avertit, s'il en a connaissance, les polices cantonales de manifestations interdites devant des ambassades "sensibles" ou qui receuille au niveau fédéral des infos sur des aspects de securité interieure que lui fournissent les cantons etc.

Ce qui m'étonne avec tout ça c'est que c'est à une période où l'extrémisme politique et religieux sont tout sauf démodés, qu'on demande l'élimination des instruments et des organes en mesure de combattre ces menaces...

Publié par Robert Desax le 13 juin 2005 à 18:06

"Un examen a été fait pour voir combien de fois, ces dernières années, le Conseil fédéral a pris une décision sur la base d'informations fournies par les services de renseignement. Et la réponse, c'est zéro.»

Même si le trait semble exagéré, la réalité n'en est pas très éloignée, que ce soit en Suisse où ailleurs en Europe. Bien entendu que le Renseignement est un outil indispensable à l'aide à la décision mais combien de fois y a-t-il eu sur un an une demande spécifique des autorités politiques ou militaires. L'article a raison...malheureusement.

Le glissement a commencé après la chute du mur et la désaffection des autorités n'a fait que croître depuis. Il ne faut pas toujours voir, Cher Ludovic, dans une idée différente de la nôtre une volonté délibérée de désinformation (j'ai bien étudié cette question surtout à la belle époque de la guerre froide). Ce serait trop réducteur.

Quand un journaliste pose une question aussi fondamentale, la réponse se doit d'être la plus scientifique possible sous peine d'enfermer les décideurs dans leur tour d'ivoire. En l'occurrence, oui, le monde du Renseignement en Suisse et ailleurs traverse des problèmes majeurs. Ne pas le voir serait stupide et autodestructeur. Le vrai courage serait de mettre à plat l'ensemble des problèmes et de proposer des solutions. Encore faudrait-il que le monde politique ait envie d'avoir des services de Renseignements performants. Lorsqu'un service annonce une évolution peu positive dans le cadre du terrorisme islamique radical, par exemple en Suisse, quelle va être la réaction du monde politique : mettre un couvercle sur l'information car ce n'est pas vendable électoralement!(et en ce sens ils sont dans l'erreur).

La Suisse possède d'excellents services de Renseignement, parmi ceux que j'estime le plus. La qualité de leurs analystes est vraiment à la hauteur des défis de ce début de siècle. Encore faut-il donner des moyens, développer une bonne coordination, définir les missions et les limites et, last but not least, utiliser le Renseignement dans le processus décisionnel ce qui n'est plus souvent le cas aujourd'hui.

Sylvain Besson a raison de soulever le problème. Il n'y a pas de question taboue. Seul le refus de répondre à la question de Besson a un effet désinformateur car il enferme l'opinion publique et les décideurs dans une quiétude dangereuse. Le problème du Renseignement est réel, les risques et menaces élevés et il est grand temps de s'atteler à la tâche en Suisse et ailleurs.

B.

Publié par B. le 13 juin 2005 à 18:48

On croit toujours que les Socialistes sont "moins pires" chez les autres.
Big mistake.

Publié par François Guillaumat le 13 juin 2005 à 23:29

Je ne connais les services de renseignements suisses que par la rumeur urbaine. Je sais que la diaspora suisse est une des plus importante et des plus active du monde occidentale. Aussi je crois que raisonnablement on peut penser que celle-ci continuera de générer des renseignements qui trouveront preneur et ce serait mieux que les Suisses n'arrêtent pas d'en profiter car on est jamais mieux servi que par sois même. Ces dernières années on a redécouvert la police de promiscuité et je pense que tôt ou tard le renseignement retrouvera ce contacte que la technologie a supplanté.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 14 juin 2005 à 4:45

Personnellement, j'ai surtout compris cet article comme une lecture critique de nos services de renseignements (manque de coopération, moyens limités du coordinateur des services de renseignements, etc.). Dans ce cadre, cet article était correct. Quant à sa conclusion, il est vrai qu'elle semble pour le moins caricaturale ou partielle (voire les deux à la fois).

Salutations

Alex

Publié par Alex le 14 juin 2005 à 13:03