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2 juin 2005

Le rôle des politiciens

Ce matin, nous avons eu droit à un exposé d'un lieutenant-colonel britannique sur le rôle de la classe politique dans le cadre des opérations de stabilisation. Après une description des différences principales entre les processus militaires et politiques (les premiers privilégient les objectifs clairement fixés à long terme, les seconds la faculté de manÅ“uvrer en tout temps à court terme), cet officier des Royal Marines a expliqué pourquoi les dirigeants politiques sont intéressés à des résultats immédiats et localement visibles, ne décident que lorsqu'ils sont obligés de le faire et généralement au dernier moment. Il faut dire que l'homme a passé 10 semaines à attendre l'ordre de déploiement de son bataillon prêt à embarquer, voici 11 ans, lors du génocide au Rwanda, et comme on le sait cet ordre n'est finalement jamais venu. Dans d'autres situations, les responsables politiques interdisent aux militaires de planifier une opération, puis soudain leur ordonnent de la déclencher et s'étonnent du temps nécessaire pour ce faire. D'où la conclusion que la planification, à la différence de l'exécution, doit relever d'une responsabilité militaire.

Ce sont des aspects que l'on conserve en tête lorsque l'on planifie une opération terrestre de grande ampleur. Aujourd'hui, nous avons ainsi terminé de développer nos variantes et nous allons demain les présenter au général jouant le rôle du commandant de la ZFOR. Celle à laquelle je me suis consacré - et qui sera proposée demain - vise du coup à déployer deux divisions ayant des tâches bien différentes, l'une concentrée sur la sécurité du secteur arrière et des infrastructures, et l'autre sur la sécurité des personnes et la dissuasion des menaces. En d'autres termes, les unités de la première - appelée Multinational Division West, comme c'est l'usage - se limiteront à maintenir la paix, alors que celles de la seconde seront appelées si nécessaire à l'imposer. Ce qui a des implications politiques évidentes, notamment dans le processus de génération des forces. Si une telle opération venait à être déclenchée, l'état-major chargé de la planifier établirait en effet une liste des besoins qui serait soumise à l'ensemble des nations lors d'une conférence visant à coordonner les engagements mutuels. Ce système basé sur le volontariat a bien entendu ses limites : voilà plus de 2 ans que l'ISAF quémande sans succès 8 hélicoptères de transport!

Cette particularité de l'OTAN complique également la planification opérative. Dans le cas présent, nous avons choisi de déployer une brigade aéromobile comme premier élément de manÅ“uvre, en même temps que les éléments de commandement ; mais comment savoir si cette brigade sera américaine, hollandaise, britannique, allemande ou même multinationale, et comment évaluer ses capacités ? Cette provenance incertaine a également un impact déterminant sur le plan horaire des déploiements : si un bataillon mécanisé doit être envoyé au cÅ“ur de l'Afrique à partir de l'Italie ou du Canada, cela peut produire une différence de 10 jours dans sa disponibilité à l'engagement ; le matériel, en effet, est avant tout transporté par bateau et les soldats par avion, alors que la réception, l'articulation, l'intégration et le mouvement doivent se faire dans des zones spéciales adaptées aux derniers réglages (le tir à munitions réelles étant l'un des plus importants). Une tabelle des déploiements aussi complexe que flexible est un outil essentiel pour gérer un tel défi.

Bien entendu, tout ce que la NATO School peut offrir, c'est un exercice sur papier - ou plutôt sur PowerPoint. Mais la présence d'officiers très expérimentés pour encadrer l'exercice assure une proximité avec la réalité. Je ne serais ainsi pas surpris, demain, que le plan soigneusement confectionné par mon groupe soit mis en pièces par le général. Nous n'aurons cependant pas à imaginer les réticences des différents gouvernements, leurs conditions à l'emploi de leurs forces et leurs règles d'engagement systématiquement nationales !

Publié par Ludovic Monnerat le 2 juin 2005 à 20:21