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26 mai 2005

Les stratégies de sortie

La partie pratique de mon cours a commencé aujourd'hui, et elle durera jusqu'à la fin de la troisième semaine. Sans entrer dans les détails, les étudiants - pour reprendre le terme ici usité - sont chargés de planifier une opération de maintien de la paix d'une durée minimale de 12 mois, au cœur d'un continent africain totalement fictif ; les pays et les factions belligérantes sont imaginaires, tout comme la géographie - puisqu'une mer immense occupe le centre du continent, avec un passage direct jusqu'à la Méditerranée. Le scénario est celui d'un conflit entre plusieurs Etats et des groupes non étatiques qui a été stoppé par l'intervention d'une force multinationale de l'OTAN, laquelle a permis la rédaction d'un accord de paix dont il s'agit de garantir l'application par une autre force, alimentée par les pays membres de l'Alliance ainsi que par des pays non membres.

La force multinationale en question, dont il est bon et charitable de taire l'acronyme totalement abscons, est largement articulée selon la structure CJTF standard (Combined Joint Task Force, ou force de circonstance interforces multinationale en langage militaire suisse) : une composante terrestre, une composante aérienne, une composante maritime, une composante d'opérations spéciales, une composante d'opérations psychologiques, ainsi qu'une composante de secteur arrière (essentiellement logistique). Son volume est important : l'équivalent de 2 divisions, plusieurs escadrilles d'attaque et d'appui, ou encore un groupe aéronaval complet. Cependant, les étudiants sont appelés à se concentrer sur la composante terrestre, qui porte le nom de ZFOR (ce n'est pas entièrement logique, mais cela facilite les choses pour la simulation qui aura lieu pendant la dernière semaine).

Fondamentalement, les tâches de cette force sont herculéennes : il s'agit non seulement de s'interposer entre deux Etats belligérants, mais également de neutraliser des tribus fanatisées pratiquant la guérilla et le terrorisme à partir de montagnes peu accessibles, tout en reconstituant les Forces armées du pays A, en dissuadant celles du pays V, en imposant les dispositions de l'accord de paix, en favorisant le retour des réfugiés et le redémarrage des activités économiques dans le pays A (avant tout par la réparation et la protection d'infrastructures pétrolières) et en y créant des conditions favorables à la tenue d'élections démocratiques, notamment par l'intégration d'ethnies régionales minoritaires précédemment défavorisées. Toute ressemblance avec des situations existant ou ayant existé est bien entendu un hasard absolu !

Il ne faut pas réfléchir bien longtemps avant d'admettre que toutes ces tâches ne peuvent en aucun cas être accomplies dans les 12 mois accordés par la résolution X du Conseil de sécurité de l'ONU, et que le mandat de la ZFOR sera, lui aussi, prolongé à réitérées reprises. Ce qui pose la question de la stratégie de la sortie lors de missions de maintien de la paix. Est-il possible de régler des situations de conflit ayant des causes identitaires ou économiques aussi aiguës en l'espace de quelques années ? Les exemples actuels indiquent le contraire. Quelle stratégie de sortie existe-t-il aujourd'hui en Bosnie, 10 ans après les Accords de Dayton ? Et au Kosovo, où nul n'ignore que le départ de la KFOR provoquerait une nouvelle guerre civile, sans que l'on sache quelle voie permet de l'éviter à long terme ? Certes, les troupes déployées en Bosnie sont passées de 60'000 (IFOR) à 7000 (EUFOR), et de 50'000 à 19'000 au Kosovo. Mais le bout du tunnel est loin d'être visible.

Pour l'OTAN, les missions de soutien à la paix consistent à garantir un environnement sécuritaire permettant un retour à la normalité ; leurs troupes mettent donc un terme à la guerre et l'empêchent de reprendre, sans que cela ne constitue autre chose qu'une condition initiale pour un règlement du conflit. Or non seulement cette suppression des symptômes du conflit est au moins autant propice au marasme qu'à la paix, mais elle aboutit à cacher des problèmes au lieu de les résoudre en les faisant simplement disparaître des médias, et donc des priorités des Gouvernements. Du coup, les missions se multiplient à la surface du globe et préservent tant bien que mal des statu quo néfastes, alors que faire la paix est bien autre chose qu'empêcher la guerre! Comme toujours, c'est la stratégie - ou plutôt son absence - qui pose problème. Et le terme « stratégie de sortie » ne désigne rien d'autre qu'un état final stratégique permettant le retrait de la force internationale après l'achèvement de sa mission. Si celle-ci n'est pas réaliste, aucune sortie n'est à espérer avant longtemps - sinon sous forme de capitulation.

Publié par Ludovic Monnerat le 26 mai 2005 à 18:32

Commentaires

Bonjour. Vous êtes militaire et c'est bien de prendre au sérieux ce genre d'évènement qui survient régulièrement dans les anciennes colonies africaines. Je vais vous donner le sentiment d'un simple citoyen, qui a vécu et participé à cette époque de colonisation et de son envers voilà quelques décennies. Pour tout les dirigeants africains, le malheur de leur pays, pour autant qi'il existait, était du à la présence chez eux de ces affreux colonisateurs. L'indépendance était, à leurs yeux ( à eux les hommes politiques ) l'unique espoir pour leurs pays de pouvoir progresser. Politiquement et économiquement. Ils ont "viré " tous les blancs. C'est parfait. Il ne faut pas le regretter. Cela étant, j'estime personnellement, que nous n'avons plus rien à f..... sur ce continent et qu'il faut laisser tous ces pays régler seuls leurs problèmes et les laisser éventuellement s'entretuer. Je suis un de vos lecteurs assidus et j'appécie beaucoup ce que vous écrivez. J'espère que l'armée suisse possède de nombreux officiers de votre qualité.

Publié par PBMARTIN le 26 mai 2005 à 19:19

Mais ce type de scénario s'applique également sur tout les continent, les états "faillits" (?) ne manque pas.

Nombre de gouvernements ne controle de facto que les grandes villes en Afrique et en Asie.

Et si l'effet "domino" n'a pas marché pour l'Indochine, un état en ruine entrainent dans sa chute ses voisins...

Donc si éviter la guerre ne veut dire faire la paix comme indiquer plus haut, c'est mieux que rien.

Publié par Frédéric le 26 mai 2005 à 21:22

"...Cela étant, j'estime personnellement, que nous n'avons plus rien à f..... sur ce continent et qu'il faut laisser tous ces pays régler seuls leurs problèmes et les laisser éventuellement s'entretuer..."

Un certain nombre d'habitants de ce continent seraient peut-être d'accord avec vos propos mais je doute fort que les " Blancs " acceptent de se passer de pétrole, de minerais divers, de produits agricoles, de marchés très intéressants pour leurs camelotes et d'une main d'œuvre pas chère. J'ai moi-même vécu du temps des colonies et je suis bien content de pouvoir prendre mon petit café pas chère et bouffer du chocolat sans me ruiner tout en fournissant à ma bagnole du pétrole bon marché et prendre des vacances de rêve pas chère. Conclusion on a beaucoup à faire la bas monzamie pour ceux qui veulent payer pas chère. :-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 27 mai 2005 à 0:50

Stephen Schwartz sur la Bosnie:


"il était beaucoup plus important d'avoir les yeux ouverts pour observer la Bosnie après la guerre. Pour sauter à l'essentiel, étant donné que c'était Belgrade qui était la cause des combats en Bosnie, une fois ce rôle neutralisé par la signature de Milosevic à  Dayton, et plus encore après sa chute, il n'y avait et il n'y a aucune raison pour que les combats reprennent en Bosnie.


Ainsi, à propos de la Bosnie, la plus importante histoire qu'on ne raconte jamais est l'absence de réel conflit une fois les troupes américaines en place.

"Çà et là , les Serbes ont organisé des émeutes contre le retour des réfugiés musulmans et la reconstruction des mosquées ; des Croates contre les activités de la police étrangère, et il y a eu de la grogne chez les Musulmans. cependant, ce n'étaient là que des protestations contre l'ingérence des autorités étrangères. Il n'y a pas eu une seule violation sérieuse de l'accord de Dayton depuis qu'il a été imposé - pas un seul soulèvement, pas une seule bataille, aucune nouvelle milice formée, ni scandale de trafic d'armes ni massacre.

"La raison en est simple, mais complètement inaperçue par les autorités étrangères en Bosnie : les Bosniens, qu'ils soient serbes, croates ou bosniaques, ne voulaient pas vraiment de la guerre, et une fois amené le moyen de mettre fin aux hostilités effectives, ils l'ont accepté.

"Malgré la rhétorique employée à  Sarajevo par des étrangers soucieux de conserver leurs postes lucratifs d'administrateurs de la paix, je ne crois pas qu'il y ait qui que ce soit, au sein de la population bosnienne autochtone, qui ait eu ou qui aurait le désir de recommencer une guerre - du moins à partir de la situation telle que je l'ai observée au début de 1997.

"Cela veut-il dire que l'Accord de Dayton et tout ce qui s'en est ensuivi était justifié ? Pas du tout. Ce qui aurait été justifié, c'est une trêve, peut-être (mais seulement peut-être) avec l'importation d'un corps de police étrangère pour l'imposer. La présence continue, depuis six ans, de soldats réguliers en grand nombre, ne servait à rien.

"Les administrateurs étrangers avaient besoin de comprendre que l'éventualité d'une reprise des combats après 1995 était et demeure pratiquement inexistante ; il leur fallait percevoir que les Bosniens de toutes ethnies étaient épuisés et dégoûtés par la guerre.

"Cependant, lesdites autorités étrangères ne pouvaient voir ce genre de chose parce que le faire aurait contredit le mensonge numéro deux : à  savoir que les troupes occidentales devaient rester en Bosnie pour empêcher une nouvelle flambée de violence. C'est ainsi que fut formulé le mensonge numéro trois : qu'en Bosnie, un retour à une forme ou à une autre de la coexistence interethnique d'avant-guerre serait une condition préalable au départ des troupes étrangères. De la sorte, on fixait à un niveau absurdement élevé le critère du retrait.

"On ne s'est pas borné à  exiger des Bosniens qu'ils évitent de nouveaux combats : on allait les forcer à faire comme si aucune dispute n'avait jamais eu lieu. Alors qu'il était patent que c'était là un objectif utopique, on allait mettre en oeuvre un vaste projet bureaucratique pour y parvenir, et dans cette expérience de Political Correctness obligatoire - qu'on ne tenterait jamais en Irlande du Nord, au Pays basque ni au Moyen-orient, a fortiori avec des étrangers - on allait dépenser des milliards de dollars en consultants, experts et administrateurs par milliers. "

[La Daytonie et les MINUKiens : L'odyssée de mes désillusions par Stephen Schwartz. Extrait de 'Exiting the Balkan Thicket' © 2002 Cato Institute]

Publié par François Guillaumat le 27 mai 2005 à 11:15

Pour Fréderic. Et bien voilà en quelques mots résumé le bon vieux temps des colonies. Vas donc mauvais profiteur qui ne pense qu'à son confort...Mais bon moi aussi et sans trop de scrupule. Quant au pétrole bon marché, je ne m'en aperçois pas lorsque je passe à la pompe. Maintenant justifier l'intervention des " blancs " en Afrique sous le prétexte de défendre ses privilèges économiques, il y a comme un hic...Si j'étais originaire de l'un de ces pays, je n'apprécierais pas du tout. Et à choisir, je pense qu'il serait plutôt d'accord avec moi.

Publié par PBMARTIN le 27 mai 2005 à 11:56