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21 janvier 2005

Les dérives de l'ONU

Les opérations d'aide humanitaire en Asie du Sud ont très largement disparu des journaux télévisés ou des premières pages. Pourtant, l'évolution de la situation mérite toujours d'être suivie, non seulement parce que les contingents militaires effectuent toujours un travail déterminant et préservent les conditions d'existence minimales des populations, mais également parce que l'Organisation des Nations Unies continue de démontrer ses capacités terriblement limitées dans la gestion de crises et son honnêteté intellectuelle restreinte.

Il faut presque se pincer pour le croire : c'est 26 jours après la catastrophe que l'ONU a établi un concept de base pour les opérations d'aide humanitaire et l'a fait approuver par les autorités indonésiennes. Et il suffit de lire le résumé qui en est fait pour se rendre compte que l'urgence ne semble pas précisément la priorité principale :

The overall concept was well received. Two TECHNICAL WORKING GROUPS (SEA transport and LAND transport) are to be formed in the coming week to align all information related to the primary relief delivery modes (GOI/UNJLC). Through these working groups information will be collated to better assess infrastructural/geographic obstacles. Subsequent to this the UNJLC with the GOI will seek solutions to the road deterioration/capacity on major relief routes; as well as identify coastal access issues/solutions.

Les besoins restent pourtant considérables : on recense au moins 350 camps de refugiés sur la péninsule d'Aceh, de sorte que les demandes en termes de logement de fortune, de nourriture conservable et soins sanitaires exigent un effort majeur. En fait, les zones touchées par le tsunami en Indonésie nécessitent toujours des secours d'urgence transportés par les hélicoptères des contingents militaires :

West Coast of Aceh Province: The ICRC reports that small pockets of communities have yet to be reached by international assistance. WFP says that long stretches of the coast between Banda Aceh and Meulaboh have been totally destroyed, and that survivors would only be found some 5 to 10 kilometers inland. WFP says helicopters are the only way to reach these isolated communities.

Mais cela ne dissuade pas l'ONU de revendiquer la conduite et la paternité de toute l'aide humanitaire, comme le démontre cette invraisemblable factsheet concoctée son Bureau pour le coordination des affaires humanitaires, qui ne mentionne pas une seule fois l'action des contingents militaires. Je pensais voici 5 jours que la réalité avait fini par rattraper l'ONU, mais force est de constater que celle-ci tente toujours d'influencer les perceptions pour dissimuler son incroyable lenteur.

Ce qui n'est d'ailleurs pas très surprenant lorsque l'on constate l'attitude désinvolte et arrogante des fonctionnaires onusiens, si l'on en croit le témoignage d'un officier de marine américain servant sur le porte-avions USS Abraham Lincoln ; ce dernier met en effet équipages, hélicoptères, chambres et subsistance à leur disposition afin qu'ils puissent enfin procéder à des évaluations de la situation sur la côte ouest de l'Indonésie. Sans guère obtenir de marques de gratitude, bien au contraire.

Dans ces conditions, il n'y a guère lieu de s'étonner qu'une organisation fasse campagne aux Etats-Unis pour l'expulsion de l'ONU hors du territoire américain. La démagogie de sa publicité, qui conjugue l'arrogance de Jan Egeland (et son accusation de "pingrerie") aux vacances de Kofi Annan, trouve en effet dans les dérives onusiennes des arguments aussi faciles que percutants.

COMPLEMENT I : On peut lire cet article de L'Express pour mieux cerner l'offensive anti-ONU lancée aux Etats-Unis. L'auteur n'est pas parvenu à se départir entièrement d'une préférence onusienne, omet totalement le fond du problème (les tentations supranationales de l'ONU et la résistance de plusieurs nations) et décrit sous le terme de "haine irrationnelle et xénophobe" les réactions américaines sans même envisager que l'ONU puissent haïr les Etats-Unis, mais le texte n'est pas dépourvu d'intérêt.

COMPLEMENT II : On verse vraiment dans la schizophrénie, à l'ONU. Voilà que la "coordinatrice spéciale" de l'organisation pour l'aide humanitaire s'inquiète de voir le contingent militaire américain partir trop vite :

Today the UN and aid groups warned that it might be too early for the US military to scale-back its relief operations. UN special coordinator for tsunami relief, Margareta Wahlstrom says she hopes the US military would not immediately depart because relief operations depend on its "resources and machinery." Walhstrom says the need for foreign militaries will diminish in the coming weeks as the UN and other aid organizations organize their own transportation.

Autrement dit, cette brave dame reconnaît que l'ONU n'a aucune influence sur le déploiement et l'engagement des moyens militaires américains, alors même qu'elle prétend diriger les opérations, mais en plus elle avoue que leur rôle reste décisif, alors même que l'ONU évite soigneusement d'en parler dans sa communication officielle. Faudrait savoir !

Publié par Ludovic Monnerat le 21 janvier 2005 à 19:42

Commentaires

Tout ce que fait l'ONU en plus d'offrir une salle de discussion feutrée, de l'eau minérale et des toilettes propres pour permettre aux diplomates de discuter est de trop.

J'ai 25 ans, et ma conscience politiques est née lorsque mon père m'a dit de me souvenir de ces images, en parlant du mur de Berlin que l'on abattait en direct à la télévision. Les nations unies auraient du être détruites en même temps que ce mur.

La cavalerie était une bonne façon de se battre pendant les guerres de l'ancien régime, mais ça n'a pas donné grand chose contre les divisions de chars. Les nations unies avaient certainement une raison d'être à l'époque de la guerre froide, mais vouloir résoudre les problèmes du terorisme international avec l'ONU, c'est comme charger une division blindée à la cavalerie.

Publié par Ruben le 22 janvier 2005 à 4:23

Je vous trouve particulièrement dur avec l'ONU. Il faut en effet prendre en compte toute la palette d'actions que l'ONU met en oeuvre, notamment dans le domaine de l'aide au développement, aux soins sanitaires, à l'éducation, etc. Sans idéaliser ces "bonnes oeuvres", pour reprendre le terme de certains dirigeants américains, car même les meilleures intentions peuvent s'avérer totalement contre-productives, je pense que l'ONU fait beaucoup de bien à de vastes franges des populations défavorisées. Pas en cas de crise, mais sur le long terme.

Cela ne justifie certainement pas l'existence de l'ONU, et je partage entièrement votre avis quant à l'inadaptation de l'organisation face aux conflits de notre ère, qui pour la plupart n'opposent plus deux Etats ou deux groupes d'Etats. Mais l'ONU n'a pas été créée pour cela : son objectif principal consistait à empêcher une réédition des guerres mondiales, et à cet égard elle a brillamment réussi. Si elle n'existait pas, il faudrait certainement l'inventer.

Le problème principal, à mes yeux, est cependant le fait que l'ONU est devenu un conclave essentiellement illégitime, qui à force de privilégier le dialogue a perdu tout sens moral, et qui est devenu davantage un mécanisme d'opposition aux Etats-Unis - et à Israël - qu'un lieu permettant de régler les conflits. L'affaire d'Irak a démontré l'inconséquence du Conseil de sécurité de l'ONU, incapable d'appliquer ses propres résolutions, et je pense que d'autres événements semblables auront lieu.

Cette organisation doit donc évoluer rapidement ou s'éteindre, pour être recréée sous une autre forme, sur des bases nouvelles.

Publié par Ludovic Monnerat le 22 janvier 2005 à 8:13

Ce que vous dites concernant les bonnes oeuvres des nations unies est vrai.

Cependant par principe, je ne peux pas admettre qu'une institutions dont la majorité des membres est constituée de dictateurs plus ou moins sanguinaires prétende définir ce qui est moralement "bien" ou pas.

Dans ce contexte-là , je ne peux que difficilement accorder les moindre crédit à l'institution. Le jour où ne siègeront que les pays libres...

Publié par Ruben le 22 janvier 2005 à 13:38

Je doute également d'une "légitimité" que pourrait représenter ou conférer une institution comme l'ONU, composée de membres qui en majorité ne sont eux-même pas légitimés par les peuples qu'ils gouvernent. L'ONU tire toutefois sa raison d'être du fait de réunir des Etats souverains sans but immédiat et direct de conclure des contrats de droit international (auxquels chaque Etat peut adhérer si ça lui chante). L'ONU apporte ou peut apporter un minimum de coordination et de concertation dans les affaires internationales. Là est sa justification originaire. L'ONU perd par contre beaucoup de sa crédibilité et de son sérieux par le fait d'avoir dans son organe executif des membres permanents comme la France. Je ne dis pas ça à cause de l'éclatante mauvaise foi qui régit de manière permanante la politique internationale de l'ère Chirac, mais parce que la France n'est tout simplement plus le poids international qu'elle était encore dans une certaine mesure du temps de de Gaulle. En même temps, des Etats comme l'Inde et le Japon avec leur capacités d'influence respectives n'y figurent pas. Là est donc à mon avis une grande partie du problème de manque de crédibilté et de capacité d'agir de l'ONU.

Le fait que des Etas souverains poursuivront toujours en premier lieu leurs propres intérêts nationaux et ne défendront la "legitimité internationale" uniquement tant et dans la mesure que celle-ci correspond à un but national fait partie des règles du "great game". On ne pourra jamais empêcher une pierre de tomber quand on la lâche. Je pense par contre que l'ONU est un peu comparable à la démocratie à l'échelon national: de tous les systèmes imaginables elle est le pire - à l'exclusion de tous les autres.

Publié par Robert Desax le 22 janvier 2005 à 15:04

C'est vrai que la composition des membres permanents du Conseil de sécurité, inchangée depuis 50 ans, est un problème majeur. En toute logique, l'Union européenne devrait céder l'un de ses sièges à l'Inde... mais cela ne résoudrait pas vraiment le problème des droits de veto, et de l'illégitimité des représentants. Je ne pense donc pas que l'ONU sous forme actuelle soit le seul système imaginable. Peut-être est-ce le seul réalisable, du moins pour l'instant...

Un autre problème doit cependant être pris en compte : l'ONU ne fait que rassembler des Etats, alors même que la puissance de ceux-ci et leur capacité à influencer les événements mondiaux ne cesse de diminuer, face à des organisations non gouvernementales de toute sorte - commerciales, militantes, criminelles ou terroristes. La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, par exemple, est complètement obérée par le fait que seuls les Etats signent les traités et conventions afférents (lorsqu'ils le font), alors que des zones croissantes de non-droit, dans des Etats effondrés, mettent totalement à l'abri de tels textes.

En d'autres termes, l'ONU date de l'âge d'or de l'Etat-nation, et ce dernier s'éloigne rapidement.

Publié par Ludovic Monnerat le 22 janvier 2005 à 17:51

Pour le lt col, Robert sait déjà que j'aime exprimer mes opinions politiques comme l'autre pratiquait la philosophie : au marteau.
Cela ne signifie aucunement qu'il n'y a pas une réflexion plus subtile en amont.

Mon opinion rejoint sur de très nombreux points les conclusions de ce rapport prospectif : http://www.foia.cia.gov/2020/2020.pdf . A savoir, comme le relève le lt col, l'affaiblissement des états au profits d'acteurs non étatiques tels que les ONG's, les communautés religieuses, ou même le grand banditisme.
Cet affaiblissement des états, je ne le vois pas comme un mal en soi, mais bien plutôt comme un défi énorme posé aux institutions actuelles nationales ou supra-nationales. Nous allons vers un monde beaucoup plus complexe que celui dont nous vivons la longue agonie en ce moment.
C'est pourquoi, outre les problèmes de légitimité morale évoqués plus haut, je reproche aux institutions "législatives" supra-nationale le fait de se comporter comme si les problèmes continuaient à provenir d'états-nations.
Aller braire et gesticuler dans la rue en répétant le credo du "droit international" n'empêche pas la réalité d'être ce qu'elle est : un monde empli de conflits non-étatiques dont les acteurs transfrontaliers ne dépendent en rien des éventuels traités liant les états entre eux.

Publié par Ruben le 22 janvier 2005 à 23:30