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15 janvier 2005

Armée : la surprise des médias

Le déploiement du contingent suisse en Indonésie, effectué hier, a reçu une couverture médiatique positive sous la forme de reportages montrant concrètement les activités des soldats. En revanche, les éditorialistes peinent à concilier leurs convictions avec la réalité des faits, soit celle d'une urgence humanitaire amenant une opération militaire multinationale inédite. Après Peter Rothenbühler hier, qui jugeait l'engagement suisse "un peu ridicule" et nuisible à l'image du pays, un certain Adrien Bron affirme aujourd'hui dans La Tribune de Genève que l'armée se rend enfin utile :

[O]n constate que pour la première fois depuis des décennies, l'armée suisse est engagée sur un terrain indiscutablement utile. Le déploiement des Super-Puma représente un effet spectaculaire de la réforme Armée XXI. En vigueur depuis un an, elle permet d'envoyer des troupes (limitées) à l'étranger sans suivre une longue procédure parlementaire.
Les opérations de maintien de la paix ne sont pas exemptes de critiques (hors de prix, ne seraient-elles pas mieux remplies par des civils?). L'engagement de l'armée pour les tâches de sécurité intérieure également (soldats insuffisamment formés). En revanche, la mission humanitaire semble cette fois inattaquable.

On ne peut qu'être surpris par l'incompétence crasse dont témoignent ces propos. Est-ce que leur auteur ignore les déploiements de 1999, lorsque l'armée a déployé en quelques jours 3 Super Puma en Albanie au profit du HCR ainsi qu'un détachement de sauvetage en Turquie - comprenant des soldats de milice - suite à un tremblement de terre ? Non seulement ces missions n'ont-elles pas attendu un débat parlementaire, mais elles répondaient également à une demande de tiers. De toute évidence, s'exprimer sur la chose militaire ne nécessite pas de connaissance particulière au sein de certaines rédactions.

Mais ces lignes laissent transparaître une vision encore plus éloignée de la réalité quant aux autres types de mission. Les civils seraient mieux adaptés aux engagements de maintien de la paix ? Allez donc expliquer cela à la MINUK au Kosovo, qui ne doit la poursuite de sa mission qu'à la réaction décidée et efficace de la KFOR suite aux émeutes de mars 2004, et alors que ses policiers ont subi ces violences. Au demeurant, j'aimerais bien savoir comment M. Bron compte remplacer les 18'000 militaires de la KFOR ou les 9500 de l'ISAF en Afghanistan. "Tout sauf des militaires" est une déviance bien helvétique.

De même, le rôle de l'armée dans la sécurité intérieure est considéré avec des oeillères étonnantes. Est-ce que Genève aurait pu être protégée comme elle l'a été - c'est-à -dire déjà insuffisamment - durant le G8 sans l'engagement massif de l'armée ? Est-ce que le WEF pourrait se tenir à Davos sans l'emploi de militaires par milliers ? Certaines lacunes ponctuelles en matière d'instruction, par exemple pour la garde des ambassades, n'empêchent pas l'armée d'être indispensable - et de répondre en cela au jugement puis aux ordres du Conseil fédéral, suite aux demandes des autorités cantonales.

En définitive, on doit admettre que ce M. Bron fait partie de ces journalistes viscéralement antimilitaires, incapables d'étudier le sujet mais prêts à le juger de façon définitive, qui peuplent encore les rédactions. Les faits l'intéressent moins que les mots. C'est dire à quel point il nuit à son métier !

COMPLEMENT I : Cet article du Matin dimanche retrace l'origine de l'engagement militaire, et montre que c'est la neutralité helvétique ainsi que la volonté du HCR de ne pas dépendre des Etats-Unis qui expliquent la demande d'appui faite à la Suisse. Il est intéressant de voir que ce texte ridiculise largement l'édito enflammé du rédacteur en chef publié 2 jours plus tôt... En revanche, ce qui est choquant à défaut d'être surprenant, c'est que le HCR n'a songé que le 3 janvier à demander l'appui d'hélicoptères, soit 8 jours après le cataclysme ! L'incapacité de l'ONU à réagir aux crises n'en est que davantage soulignée...

Publié par Ludovic Monnerat le 15 janvier 2005 à 10:52

Commentaires

Bonsoir,

Votre blogmentaire, dont j'ai pris connaissance grâce à mon ami François Brutsch, ne manque ni de pertinence ni de sévérité. En tant que responsable des pages Opinion et Dialogue de la TG je vous offre volontiers l'espace d'un invité pour remettre l'église militaire au milieu de la neutralité nationale (4500 signes max espaces compris). Est-ce que ça vous tente. Au plaisir de vous lire.

Bien à vous

Jean-François Mabut

Publié par Mabut le 16 janvier 2005 à 17:52

Bonsoir !


Merci pour votre message et pour votre intérêt à mes activités.

Je reconnais pleinement la sévérité de mes propos à l'endroit de votre collaborateur ; sans doute mon appartenance à l'armée et ma connaissance des efforts considérables consentis lors de certaines missions expliquent-elles mon agacement à son endroit.

Votre proposition m'honore, et je l'accepte. Je vous propose, afin d'élargir le débat, de décrire brièvement les activités de l'armée suisse ces dernières années, puis de montrer que le rôle de toutes les armées dans le monde évolue rapidement, consistant non plus à gagner des guerres - pour l'exprimer crûment - mais à préserver ou à rétablir la normalité de zones touchées par le chaos. Est-ce que cela vous convient ?

Avec mon cordial salut !

PS : J'ai tenté d'envoyer cette réponse à votre adresse électronique, mais celle mentionnée dans votre commentaire ne semble pas fonctionner...

Publié par Ludovic Monnerat le 16 janvier 2005 à 19:50