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30 mars 2008

D'un jour à l'autre en Irak

Les années passent en Irak, et l'équilibre des forces change. Au printemps 2004, une soudaine insurrection lancée par Moqtada Al-Sadr contre les forces armées américaines et coalisées, en pleine bataille de Falloujah, avait contraint le commandement américain à renoncer à prendre la ville sunnite pour combattre avec acharnement les milices sadristes. Quatre ans plus tard, celles-ci ont apparemment renoncé après moins d'une semaine de combats, après avoir combattu avant tout les forces de sécurité irakiennes - certes souvent encadrées par des forces spéciales américaines et britanniques - et avant de subir toute la puissance de feu des forces occidentales.

Les pertes subies par "l'armée du Mahdi", la milice sadriste subventionnée par Téhéran, sont probablement une explication de ce phénomène : avec près de 1000 combattants perdus en 5 jours, preuve a rapidement été faite que la force ne semblait pas une option très prometteuse. Surtout que contrairement à ce qui s'était passé en 2004, la proportion des forces irakiennes ayant renoncé à combattre et ayant pris les armes aux côtés des sadristes s'est révélée très limitée. Les efforts considérables de la communauté internationale pour le nouvel État irakien, qui vient de subir une épreuve importante, semblent donc porter leurs fruits. Même si cette brusque flambée de violence est également un bras-de-fer politique entre factions chiites.

Sur un plan strictement militaire, il apparaît que les miliciens sadristes n'ont pas fait le poids face à la combinaison essentiellement irako-américaine : les combattants à pied et embarqués dans des véhicules tout-terrain légèrement armés, mais progressant ouvertement et prennant des positions fixes, sont des cibles rêvées pour des forces conventionnelles locales en mesure, grâce à leurs conseillers "occidentaux", d'obtenir rapidement des feux de précision sur leurs ennemis. Et comme les forces de la coalition n'ont pas dû brutalement modifier leur dispositif militaire en Irak, contrairement encore une fois à 2004, on mesure mieux l'évolution des forces en présence.

Dans ces conditions, on voit mal comment les médias occidentaux (et tout ceux qui les croient encore) s'obstinent à ne voir encore et toujours dans l'Irak qu'un "bourbier" où toute chance de succès est perdue à jamais. On voit au contraire depuis des années, malgré des erreurs et des tâtonnements, que ce conflit de basse intensité provoque dans la douleur la naissance d'un acteur régional nouveau, un Irak nationaliste à majorité chiite, un État fragile et composite avec lequel il faudra certainement compter au Moyen-Orient, notamment sur le plan économique et militaire. A condition, naturellement, que les États-Unis ne renoncent pas soudain à le soutenir...

Publié par Ludovic Monnerat le 30 mars 2008 à 22:35

Commentaires

"... A condition, naturellement, que les États-Unis ne renoncent pas soudain à le soutenir..." Voilà soulevée une condition beaucoup plus intelligente et réaliste que de parler de bourbier. Effectivement cette condition me semble un effet secondaire de la très grande démocratie ( directe ) de ce pays et beaucoup de précédent comme le Vietnam qui fut loin d'être un bourbier. Il fut vidé en un temps record de toute présence américaine et les médias de l'époque on sut cadrer des images chocs pour étayer l'idée d'un bourbier et vendre leurs salades césar...

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 31 mars 2008 à 18:41

Vous oubliez une fois de plus l'essentiel. Dès que le rapport de forces militaires est en leur défaveur, les forces de guérilla décampent et donnent l'impresion d'avoir perdu la bataille. Mais ce n'est bien sûr qu'une illusion. Ils frapperont ailleurs, autrement et ils ont l'éternité devant eux. Il ne suffit pas de faire quelques cartons pour penser avoir le dessus. Je dirais : au contraire et vous en êtes, M.Monnerat, la preuve vivante. Si les stratèges américains pensent comme vous, ils ont perdu la partie, parce qu'ils croiront avoir gagné quelques avantages alors que leurs adversaires auront compris leurs erreurs...
Sur le plan politique, Mc cain ou un des démocrates, ils n'auront de cesse de faire ce que vous craignez : fiche le camp...
On devrait ouvrir des paris...

Publié par Roland le 31 mars 2008 à 20:37

A Roland : désolé, mais vous vous trompez totalement en voyant dans la milice sadriste une force de guérilla (au contraire d'Al-Qaïda en Irak et d'autres groupes d'obédience sunnite) ; il s'agit en fait de la branche armée d'une mouvance politique - et partiellement religieuse - qui agit en règle générale ouvertement, de manière à manifester par les armes un pouvoir qui n'existe pas dans les faits. L'Armée du Mahdi, c'est tout le contraire d'une guérilla ; c'est à la fois la police et l'armée d'un proto-État islamistes et chiite en Irak. Et cette armée n'a pas le temps, car les rivaux des sadristes consolident leur pouvoir.

Et si vous croyez que l'approche des militaires en général et des militaires américains en particulier consiste à faire du "body count", c'est que vous avez à peu près 40 ans de retard. Suivez la pensée militaire contemporaine ; cela fait 17 ans que Martin van Creveld a annoncé la transformation de la guerre. Lisez le manuel de contre-insurrection des forces armées américaines avant de vous exprimer aussi sommairement...

Quant à un retrait précipité d'Irak, cela fait bientôt 5 ans que certains l'annoncent avec gourmandise. On verra...

Publié par Ludovic Monnerat le 31 mars 2008 à 22:54

M.Monnerat@ je ne suis pas un expert militaire comme vous. Je pense cependant que des avis extérieurs peuvent avoir leur utilité. Avouez qu'il est incroyable qu'après cinq ans de présence américaine à Bagdad, des obus atteignent la zone verte. Cela prouve ce que j'ai écrit plus haut :
"Dès que le rapport de forces militaires est en leur défaveur, les forces de guérilla décampent et donnent l'impression d'avoir perdu la bataille. Mais ce n'est bien sûr qu'une illusion. Ils frapperont ailleurs, autrement et ils ont l'éternité devant eux."
Je n'ai jamais parlé des sadristes.

Publié par Roland le 1 avril 2008 à 9:49

Roland, vous n'êtes pas exactement de bonne foi, puisque mon billet parlait exclusivement des sadristes et que votre commentaire s'en prenait de fond au contenu.

Non, il n'y a rien d'incroyable à ce que des obus atteignent la zone verte. Des obus de mortier étaient également tirés par l'IRA à Londres. Le milieu urbain offre des possibilités à peu près infinies pour tout acteur. Ne pas parvenir à les empêcher n'est pas la marque d'un échec, même si c'est l'impression que vise à donner une telle action : il y a loin de l'acte isolé à la capacité de changer les événements...

Publié par Ludovic Monnerat le 1 avril 2008 à 10:30

Bonjour,
Sur la situation irakienne en particulier, je me permets de signaler à votre attention le blog de mon ami Stéphane Taillat, agrégé d'histoire et officier dans la réserve opérationnelle de l'Armée de Terre française.
http://coinenirak.wordpress.com/
Bonne lecture à tous.

Publié par François Duran le 1 avril 2008 à 13:14

Merci de cette analyse de Ludovic Monnerat. Puisque François se permet de me citer, à mon tour d'apporter des éléments supplémentaires à la discussions.
Les véritables enjeux de la contre-insurrection sont de deux natures:
PRIMO: un enjeu identitaire, c'est à dire l'avenir sur le moyen terme de la "réactualisation" de la contre-insurrection au sein des forces terrestres US. Pour faire court, la COIN n'est pas une "redécouverte" pour l'Army et les Marines, c'est une mission qui reprend des débats, des principes et des pratiques assez anciennes mais qui ont connu des périodes de marginalisation ou au contraire de mise en lumière. Nous sommes actuellement dans une phase où la contre-insurrection est "à la mode" pour des raisons évidentes.... Mais la peur qui taraude les "COIN-pundits" est de voir le "système se rebooter" une fois l'épisode Irakien/Afghan terminé.
SECUNDO: des enjeux de natures opérationnels. Le coeur de la COIN US repose sur la conquête progressive de la légitimité locale (un des moyens de ce que je nomme le "nécessaire équilibre entre centralisation et décentralisation". Or, comme Christian Olsson le dit fort justement, cette légitimité est ambigüe: comment en effet apparaître comme légitime lorsque l'on est un "extérieur"? Cela pose le problème des distinctions de plus en plus floues entre les paradigmes modernes de l'interne (Police) et de l'externe (Guerre). Dans le cas colonial et postcolonial -soit la dernière expérience en date des principes et pratiques de la COIN- cette légitimité dépendait de la capacité des sociétés "colonisées" à adhérer au projet unique du contre-insurgé. Or, dans le cas qui nous occupe, les populations ont déjà des loyautés et des obédiences peu compatibles avec la présence US.Je pense toutefois qu'il est possible de gagner cette légitimité au niveau "micro-local" (c'est déjà le cas en fait), voire au niveau de l'Irak entière (en stigmatisant la "violence religieuse" et en montrant la nécessité de la présence US pour la contrer. Solution alternative: en cooptant les Irakiens plutôt qu'en les contrôlant).
Cordialement
Stéphane TAILLAT

Publié par Stéphane T le 1 avril 2008 à 19:23

Bonjour, cela faisait longtemps :)

Selon cette article traduit sur ”questions critiques”, le fait que cela soit l’Iran qui est conclu le cessez le feu est une percée majeure pour ce pays dans le ”jeu politique” irakien :

http://questionscritiques.free.fr/edito/AsiaTimesOnline/M_K_Bhadrakumar/Etats-Unis_Iran_petrole_Irak_020408.htm

Publié par Frédéric du Wiki le 5 avril 2008 à 2:25

Roland dit :

"Mais ce n'est bien sûr qu'une illusion. Ils frapperont ailleurs, autrement et ils ont l'éternité devant eux."
____

1) Sur cette planete, personne n'a l'eternite devant lui.
2) De plus, une particularite commune a une majorite d'humains est le "ras-le-bol". C'est pourquoi dans le monde occidental d'aujourd'hui, on ne passe plus son temps a se raccourcir d'une tete ou a s'entretuer.

Publié par Fox le 11 avril 2008 à 15:04

Fox@ A votre avis : le dernier des irakiens verra-t-il le départ du dernier des américains ? Ou l'inverse ?

Publié par Roland le 13 avril 2008 à 19:53

"Un Irak nationaliste à majorité chiite..." Ah ben oui, c'est rassurant, assurément. Quasiment... révolutionnaire. A moins d'avoir manqué un épisode, j'aimerais bien que l'on m'explique en quoi cette "majorité chiite" serait prête à tolérer gracieusement le "soutien" américain...

Votre site a changé d'esthétique, M.Monnerat, mais l'habit ne fait pas le moine.

[...]

Vous dénoncez les médias occidentaux et leurs sources, orientées d'après vous selon ce qu'ils ont envie de croire. Je ne vous contesterai pas sur ce point-là, d'accord avec vous. Mais permettez-moi de vous dire que vous ne faites pas mieux. Vous vous persuadez de fonctionner dans le registre rationnel et analytique, quand en fait vous proférez une profession de foi substantiellement identique à celle que vous critiquez.

[les éléments les plus discourtois de ce commentaire ont été supprimés]

Publié par Et puis quoi encore ? le 13 avril 2008 à 21:20

Les éléments factuels mentionnés dans le billet ci-dessus peuvent être vérifiés, c'est notamment à cela que servent les liens. Libre à quiconque d'en tirer des conclusions opposées aux miennes, c'est même un aspect essentiel de la discussion, mais il faut justement faire ce travail d'analyse et remettre constamment l'ouvrage sur le métier.

Les combats menés ces dernières semaines ont révélé un équilibre des forces différent de celui de 2004 : voilà le fond de ma réflexion. Il est assez aisé, ce me semble, de démontrer que j'ai tort si les faits le montrent. Le reste n'est que susceptibilités individuelles et vieilles rancoeurs.

En ce qui concerne l'intérêt de l'Irak chiite à recevoir - et non pas tolérer - le soutien américain, il est plutôt évident : c'est ce soutien qui assure son développement notamment sur le plan militaire, et donc son indépendance comme sa stature dans la région (et notamment face à l'Iran). Ce mécanisme est d'ailleurs à l'oeuvre dans presque toute la péninsule arabe, et il sert même ponctuellement les intérêts de la France. Il n'y a donc rien là de surprenant.

Enfin, l'esthétique de ce site est due au hasard, et je n'ai pas le temps pour l'heure d'y travailler.

Publié par Ludovic Monnerat le 14 avril 2008 à 8:18

Libre à vous de supprimer ces parties de mon message que vous considérez comme "discourtoises" ou qui entrent selon vous dans ce que vous estimez "susceptibilités individuelles et vieilles rancoeurs", dès lors qu'elles vous dérangent parce qu'elles ne vont pas dans votre sens. Je ne vous suivrai pas sur ce terrain-là.

En revanche je constate que vous n'amenez pas de réponse crédible à une question essentielle. Je reprends: vous dénoncez les médias et leurs sources, auxquelles ils portent l'équivalent d'une croyance. Et vous, que proposez-vous de plus fiable? Vous mettez en avant des "liens", sur lesquels vous vous basez pour en tirer une analyse. En quoi ces liens auraient-ils plus de valeur que les sources des médias que vous décriez? Vous dites également qu'il est possible d'en extraire des conclusions contraires, pour autant que l'on se livre à une analyse. En quoi les analyses des médias qui vous embêtent auraient-elles moins de crédibilité que les vôtres?

Et c'est là que je suis chiffonnée. D'un côté je ne vois pas en quoi les liens que vous soulignez sont plus valables que les sources des médias - admettant clairement que les médias qui vous agacent sont ceux qui ne partagent pas vos conclusions. D'un autre côté, qu'est-ce qui me prouve que votre analyse devrait systématiquement emporter mon adhésion? Parce que vous êtes un spécialiste en stratégie militaire, que vous vous posez comme tel?

Admettons. Je suis d'accord de le reconnaître, quand moi je ne suis qu'une citoyenne lambda, sans aucune notion en la matière. Néanmoins, cela ne résoud pas ma problématique. Pourquoi est-ce que je devrais écarter systématiquement d'autres spécialistes en stratégie militaire, quand bien même ils ne seraient "que" journalistes?

Ces médias qui vous donnent de l'urticaire ont sans doute tendance à privilégier les analyses qui les confortent. Mais, je persiste à le dire, vous faites exactement la même chose. En privilégiant ce que vous pensez vrai.

D'autant plus que, si je me souviens bien... N'étiez-vous pas le premier à dénoncer ces journalistes qui donnaient des "comptes-rendus" de la guerre en Irak alors qu'ils étaient confinés dans leur chambre d'hôtel? Dites-moi quelle est la différence entre eux et vous, je suis toute prête à l'entendre...

Publié par Et puis quoi encore ?/2 le 15 avril 2008 à 20:08

Et puis quoi encore @
Il ne faut pas se laisser focaliser sur le propriétaire de ce blog, quoi que lui et ses partisans disent. M.Monnerat n'a pas raison sur tout mais amène beaucoup d'éléments utiles à notre réflexion. Libre à vous de le suivre ou non dans son idéologie. Il y avait dans son ancien blog un personnage qui énervait beaucoup de monde "qui auraient aimé rester entre copains", Albert, qui amenait systématiquement un point de vue critique de gauche, assez souvent très bien fondé historiquement.
Ce genre de choses ne se trouve pas facilement ailleurs.

Publié par Roland le 15 avril 2008 à 20:17

"Il y avait dans son ancien blog un personnage qui énervait beaucoup de monde "qui auraient aimé rester entre copains", Albert, qui amenait systématiquement un point de vue critique de gauche, assez souvent très bien fondé historiquement."

Ce n'est pas exactement ca ! Albert se servait des evenements historiques qui l'arrangeaient (comme tout gauchiste qui se respecte)afin de justifier voire de promouvoir la dissolution complete du monde occidental dans l'islamisme le plus dur. C'est a dire qu'il pronait, voulait que l'Occident se fonde dans l'identite du Moyen-Orient.

Tout etre humain sain d'esprit ne trouve pas cela simplement enervant, mais abject !

Et je m'arrete la pour eviter de devenir grossier...

Publié par Fox le 16 avril 2008 à 23:36

Fox@ Albert est certainement qqn de gauche, mais islamiste, j'avoue ne pas voir où vous êtes aller pêcher ça. Cela n'a pas une importance fracassante, sauf que cela montre à quel point ce que l'on écrit peut être interprété de façon assez variée (le fameux jeu du téléphone arabe...).

Publié par Roland le 17 avril 2008 à 14:58

"Albert est certainement qqn de gauche, mais islamiste, j'avoue ne pas voir où vous êtes aller pêcher ça."

Dans ses propres propos.

Publié par Fox le 19 avril 2008 à 21:14

Bonjour, les opérations contre AQI et le mouvement de Sadr continuent à vive allure en Irak. Voir :

http://coinenirak.wordpress.com/2008/05/16/quelques-nouvelles-du-front/

Publié par Frédéric du Wiki le 17 mai 2008 à 9:01