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2 mai 2007

Une schizophrénie funeste

La hiérarchie militaire américaine ne sait toujours pas comment exploiter les nouveaux espaces conflictuels ouverts par les technologies de l'information et de la communication, et le potentiel formé par ses combattants individuels. Elle adopte même en la matière une démarche schizophrène qui réduit très largement ses chances de progresser en la matière.

D'une part, le commandement de la force multinationale en Irak a récemment décidé de mettre en ligne sur des sites publics des vidéos tournées par ses équipes professionnelles :

"This effort was not designed to combat what ends up on extremist Web sites," said Lt. Col. Christopher Garver, a U.S. military spokesman in Iraq. "But we understand it is a battle space in which we have not been active, and this is a media we can use to get our story told."
[...]
"There are moments when there is no violence going on in Iraq," Garver said. "Even Baghdad is a neighborhood-by-neighborhood story. ... Unfortunately, news being news, you tend to get the car bomb of the day."
The YouTube channel is a way to get some other stories told by linking directly to a generation that gets its news from multiple sources, Garver said.
Even on a relatively quiet day, footage of soldiers handing soccer balls to delighted Iraqi children is unlikely to be featured on most newscasts. But, Garver said, "the soccer ball story is part of what is happening in Iraq ... and that needs to be recorded somewhere."

Cette initiative est mise en oeuvre par deux anciens membres du Corps des Marines, qui ont formé leur propre société commerciale et ont décroché le contrat auprès de la MNF-I. Le mois dernier, les vidéos sur YouTube ont été vues plus de 120'000 fois et ont obtenu 1900 inscriptions. Mais l'effort prend une autre dimension avec l'appel lancé aux soldats individuels déployés en Irak de fournir leurs propres vidéos pour soutenir cet effort. Et c'est bien là que la chose confine à la schizophrénie.

D'autre part, en effet, l'U.S. Army a émis le 19 avril dernier une directive interdisant à ses soldats de mettre en ligne un billet ou d'envoyer un courriel personnel sans avoir obtenu l'autorisation de leur supérieur, ce qui pourrait avoir pour effet de mettre un terme aux "milblogs" et à toute la communication personnelle et décentralisée qu'ils occasionnaient :

Army Regulation 530--1: Operations Security (OPSEC) restricts more than just blogs, however. Previous editions of the rules asked Army personnel to "consult with their immediate supervisor" before posting a document "that might contain sensitive and/or critical information in a public forum." The new version, in contrast, requires "an OPSEC review prior to publishing" anything -- from "web log (blog) postings" to comments on internet message boards, from resumes to letters home.
Failure to do so, the document adds, could result in a court-martial, or "administrative, disciplinary, contractual, or criminal action."

Sur la forme, ces deux décisions ne sont pas contradictoires : il est tout à fait possible de tourner ses propres vidéos et de les transmettre via la hiérarchie, comme il est possible d'écrire des billets décrivant la vie quotidienne en Irak et d'obtenir le feu vert des supérieurs pour la mise en ligne. Sur le fond, en revanche, c'est toute l'utilisation du soldat individuel comme média militaire, comme intermédiaire entre l'armée et la population, comme citoyen-soldat-reporter, qui est mise en difficulté par cette approche. Le meilleur vecteur possible pour accéder aux coeurs et aux esprits de l'opinion publique est amputé de la liberté d'action sans laquelle il perd toute son authenticité. Pour un bénéfice en terme de sécurité opérationnelle qui reste difficile à appréhender, dans la mesure où les sources d'information susceptibles d'être utilisées contre les troupes américaines en Irak sont avant tout humaines.

Ce n'est bien entendu par la première fois que les armées peinent à intégrer les opportunités des nouvelles technologies et les modifications qu'elles apportent aux rapports de force. Mais comme leurs adversaires exploitent à fond les premières et comprennent bien mieux les seconds, cette schizophrénie peut fort bien avoir des conséquences funestes.

Publié par Ludovic Monnerat le 2 mai 2007 à 7:29

Commentaires

L'âge des décideurs pourrait-il avoir une incidence? Quiconque a aujourd'hui plus de 40-45 ans est loin d'avoir les réflexes de la génération suivante (mais, bien entendu, elle en a d'autres, tout aussi utiles). Et une maladresse avec youtube ou un blog (qu'elle soit par trop laxiste ou trop censoriale) se paie bien plus vite qu'avec une poignée de journalistes: diffusion ou tollé. (De fait, aujourd'hui, il est presque impossible de retirer des données de l'internet. Réplication volontaire, mirroirs, caches etc.)

Les adversaires ont probablement aussi laissé plus de marge de manoeuvre aux plus jeunes pour promouvoir, à l'interne d'abord, ces technologies (inventées par leurs ennemis, soit dit au passage).

Publié par LolZ le 4 mai 2007 à 0:00

J'en profité pour faire un peu de pub au suget des vidéos sur quelques sites ;)

Publié par Frédéric le 4 mai 2007 à 7:47

D un côté les représentants de l'état occidental, bureaucratique, inflexible, et de l' autre ses adversaires, réactifs et audacieux, cherchant des solutions et exploitant a fond leurs moyens... meme schéma lorsque l'on observe les tactiques employées et meme les stratégies

tralali tralala

Pour ma part j'ai bien l'impression que l'état occidental a toujours un coup de retard pas vous?

Gros, gros probleme de fond et je ne vois pqs comment l'état pourrait le résoudre.

lalali lalala ...

Publié par Légionnaire Luc le 4 mai 2007 à 19:42

Le dianostic concernant l'armement est fait :

http://www.janes.com/defence/news/jdi/jdi070502_1_n.shtml

Bientot les GI's équipé de RPG accompagnant des T 55 ?

Publié par Frédéric le 5 mai 2007 à 21:55