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4 décembre 2005

Le culte de l'autoflagellation

Nous avons dans ce pays un don phénoménal pour monter en épingle chaque imperfection et lui donner l'apparence d'un échec flagrant, imminent ou même total. Prenez cet article publié aujourd'hui par Le Matin sur les chemins de fer fédéraux. Le trafic voyageurs augmente de 7%, voire de 10% sur les lignes principales, le 95% des trains sont à l'heure et le 99,87% des transports sont assurés. Cela n'empêche pas le journaliste de dépeindre le tout d'une manière outrageusement négative : « l'année des désillusions », « des trains qui disparaissent », « des billets trop chers », « un transfert de la route au rail à la traîne » et pour finir une « réputation détruite. » On pourrait vraiment croire que les CFF sont au bord du gouffre, avec une clientèle sur le point de se révolter !

Quels sont les faits permettant à Michel Jeanneret de porter ces jugements aussi tranchés ? Aucun ne résiste à l'analyse. En premier lieu, il parle d'une « forte grogne » du côté du public sans citer aucune preuve, aucune enquête d'opinion pour attester celle-ci, alors que l'augmentation du trafic voyageurs tendrait à prouver l'inverse. Son assertion quant à la perte d'image consécutive à la panne du 22 juin dernier, d'autre part, serait reprise d'un quotidien allemand érigé en référence (la Süddeutsche Zeitung) sans que les articles disponibles sur le Net (ici et ici) confirment ou fondent en quoi que ce soit ce jugement (fournir la source éviterait ce doute). Enfin, les déclarations de responsables politiques sont utilisées pour appuyer le propos, alors que tous appartiennent à des partis de gauche. Bel effort journalistique !

Bien entendu, on me rétorquera qu'il ne s'agit après tout que d'un article paru dans le quotidien de boulevard romand par excellence, que le public sait ne pas prendre au sérieux tout ce que les médias racontent pour tenter d'augmenter leur lectorat, et que de tels articles sont bien vite oubliés. La semaine dernière, lors du cours donné à nos fractions d'état-major d'armée à Berne, l'étude de plusieurs articles de FACTS a également amené certains spécialistes à dire que son contenu n'est que de l'infotainment, c'est-à -dire un mélange d'information et de distraction qu'il s'agit de ne pas trop prendre au sérieux. Pourtant, ces organes de presse n'en revendiquent pas moins une déontologie et une qualité identiques à tous les autres, avec toutes les garanties de précision, d'exactitude et de suivi que cela devrait supposer. Une manière de jouer sur les deux tableaux ?

Ce phénomène est naturellement présent dans tous les pays occidentaux, et le problème de l'impact à long terme du négativisme compulsif des médias, à motivation idéologique ou économique, ne peut être ainsi écarté d'un revers de manche. Mais j'y vois également une spécificité suisse, un culte de l'autoflagellation qui, au choix, assombrit le présent, idéalise le passé ou diabolise l'avenir. En termes de densité, de rapidité, de confort et de ponctualité, les CFF se situent au sommet de la hiérarchie mondiale, et un usager presque quotidien comme moi peut l'apprécier ; pourquoi ne pas faire le point à leur sujet avec nuance et précision, avec des informations transparentes et fondées ? Il est assez significatif de constater qu'un tel succès soit dénaturé de façon aussi délibérée et inavouée.

Relevons cependant qu'un seul article de cette nature, même décrypté et analysé de la sorte, ne suffit pas à juger l'ensemble d'un journal ou d'une corporation. Une vue d'ensemble des travers médiatiques commis en Suisse nous manque.

Publié par Ludovic Monnerat le 4 décembre 2005 à 11:58

Commentaires

"fournir la source éviterait ce doute", "Enfin, les déclarations de responsables politiques sont utilisées pour appuyer le propos, alors que tous appartiennent à des partis de gauche. Bel effort journalistique !"

Encore un exemple de l'effort de méthodologie qui devrait être appliqué au sein des rédactions pour imposer la pratique de l'open-source et le pluralisme dans la présentation des opinions politiques. Deux règles de bases largement répandues dans d'autres médias (notamment sur internet) et qui permettent de disqualifier les "coquilles vides" qui ont tout juste leur place en éditorial.

Publié par Mugon le 4 décembre 2005 à 13:32

Je ne peux me prononcer ni sur le journalisme suisse ni sur les trains suisses- bien que ces derniers sembles un excellent exemple de ce que l'on aimerai trouver ds nos regions ensoleillees.
Par contre tu a fais une remarque generale, applicable aussi au Moyen Orient: la deontologie des medias!!! Depuis quand existe-til une deontologie mediatique? Quel est le contenue du "Serment d'Hypocarte" du Journaliste debutant? Il semble qu'il fut un temps - entre les 2 guerres modiales- ou le journalisme ce voyait un role moral majeur. Mais cela fait belle lure que la vente et le rating prime toute deontologie.
Cela fait des annees qu'on le voit clairement ds les medias francais, ou la desinformation quant a Israel, est de regle: je me souviens de la manche du "Monde" en 1987 -"un jeune de 13 ans blesse par balle en Cis-Jordanie" sur 5 colones, en premiere page. Ds le meme numero, un entrefillet, entre la bourse et le sport, sur une colone le titre et l'article de quelques lignes; "5000 morts ds des villages kurdes bombardes par l'armee irakienne". Voila donc une relation des faits qui exprime bien que pour le Monde, la vie de 5000 kurdes est de moindre importance que l'integrite physique d'un jeune palestinien...
Je ne rappellerai pas l'affaire Enderlin, si bien traitee par d'autre scomme "Media-rating", ni l'affaire de la TV2, encore, a la fin de la 1ere intifada, l'equipe ayant "organise" l'execution d'un "colabo" palestinien, en direct... collabo qui s'est avere plus tard etre un drogue de Gaza...
Si il existait vraiment une ethique des media, les media watch francais ou anglosaxons n'existeraient pas.
Mais peut etre tu as raison: existe-t-il un media watch suisse?

Publié par Ram Zenit le 4 décembre 2005 à 14:19

[quote]aucun ne résiste à l'analyse. En premier lieu, il parle d'une « forte grogne » du côté du public sans citer aucune preuve, aucune enquête d'opinion pour attester celle-ci, alors que l'augmentation du trafic voyageurs tendrait à prouver l'inverse.[/quote]

Pour rester objectif, n'oubliez pas que le nouvel horaire CFF a augmenté l'offre et par conséquent à eu un effet mecanique que l'augmentation du nombre de voyageurs....

Publié par Deru le 4 décembre 2005 à 16:22

Coté grogne sur les chemins de fers, vous devriez faire un tour du coté de la SNCF, 6 gréves en un an, la derniére peu suivie car les employé la voyaient bien que le public en avait ras le bol...

Sinon, pour l'autoflagellation, il suffit de voir de quoi on à parler pour le bicentaine d'Austerlitz... Pas de la bataille et de ces conséquences, mais de l'esclavage, "Napéoléon est il le 1er dictateur raciste" dixit la présentatrice du jouranl de France 3 :(

Napoléon avait rétabli l'esclavage en 1800 mais personne n'a indiqué que durant les "cent jours" de 1815, il l'avait supprimé, mais qu'aprés sa chute, ce décret resta lettre morte.

Publié par Frédéric le 4 décembre 2005 à 16:46

A Deru : je ne suis pas vraiment convaincu par votre argument, ou alors je l'ai mal compris. Que l'offre accrue amène une augmentation initiale du trafic voyageurs, certes, mais que ce trafic se maintienne au même niveau après une année devrait tout de même indiquer que les voyageurs en question sont relativement satisfaits, non ? En tout cas, il devrait être possible de prouver l'existence ou non d'une grogne particulière en demandant aux CFF de fournir des chiffres sur le nombre de plaintes ou réclamations déposées... mais ce type de démarche est justement exclu d'un tel article.

Publié par Ludovic Monnerat le 4 décembre 2005 à 22:38

"On pourrait vraiment croire que les CFF sont au bord du gouffre, avec une clientèle sur le point de se révolter!"

La clientèle des CFF ne peut pas se révolter puisqu'elle est captive. Quant au gouffre, les CFF seraient dedans depuis longtemps s'il n'y avait les subventions fédérales pour assumer une partie de leurs dépenses, permettant à leur bilan ainsi truqué d'apparaître avec un beau bénéfice.

Mais comme il suffit de regarder à l'ouest de la Suisse pour voir bien pire, réjouissons-nous!

Publié par Stephane le 5 décembre 2005 à 14:26

Disons que la clientèle des CFF, pour être largement captive, n'en est pas moins en mesure de manifester sa grogne d'une facon perceptible pour les médias. Quant au bilan financier des CFF, c'est précisément ce thème-là qu'il faudrait approfondir pour tirer un bilan réaliste de la situation de la régie fédérale. Et s'il faut se remémorer les grèves en rafale de la SNCF pour être satisfaits, alors c'est que nous tombons bien bas (désolé pour les Francais qui liront ceci : la qualité des chemins de fer fédéraux font partie de l'orgueil national helvétique...).

Publié par Ludovic Monnerat le 5 décembre 2005 à 18:05

Publié par Deru le 9 décembre 2005 à 11:10