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30 avril 2005

Vietnam, 30 ans après

On peut lire ces jours nombre d'articles racontant la chute de Saigon et la fin de la guerre en Indochine. Mais la présence très marquée de ce conflit dans les esprits, au moins pour la période de l'engagement américain, ne suffit pas à expliquer pourquoi on use et abuse de comparaisons absurdes avec les événements de notre époque. Il se trouve simplement que l'image du conflit vietnamien a été tellement biaisée par le cadre idéologique de la guerre froide qu'aujourd'hui encore la méconnaissance à son sujet est flagrante. Y compris sur le plan militaire et stratégique.

Ce n'est pas la peine d'entrer en matière sur le conte de fées que l'on nous sert régulièrement, visant à opposer la gentille population vietnamienne et le méchant occupant américain. La répression du régime de Hanoi a suffisamment balayé ces illusions répandues par les mouvances pacifistes et communistes. Cependant, la notion de guerre impossible à gagner - centrale pour l'influence des dirigeants et des citoyens américains - continue d'être largement partagée, alors qu'elle ne correspond absolument pas à la réalité. Qu'elle constitue l'une des opérations d'information les plus réussies de l'histoire relève de l'évidence.

Dans les faits, les Etats-Unis ont obtenu au Vietnam ce que les nations démocratiques obtiennent spontanément dans les petites guerres : un succès militaire dans le théâtre d'opérations, avec la destruction de leurs ennemis, et un échec politique à domicile qui précipite la défaite. Une stratégie visant à réduire la vulnérabilité de l'opinion publique domestique aurait certainement permis de durer, et donc de ne pas perdre la guerre : c'est l'absence des unités américaines qui a permis aux divisions mécanisées nord-vietnamiennes d'envahir le Sud et de le vaincre en 1975. Un seul vote des parlementaires US, refusant tout soutien à Saigon, a suffi pour cela.

Les militaires américains sont très largement responsables de leur échec. Participer à une stratégie incohérente et ne pas comprendre les termes du conflit ont été des erreurs monumentales, qui ont durablement coûté à la société américaine. En même temps, cette guerre était particulièrement complexe au niveau opératif, parce qu'elle superposait un affrontement asymétrique (la guérilla vietcong, qui pratiquait le terrorisme et les massacres délibérés de civils à des fins idéologiques) et un duel symétrique (les forces armées nord-vietnamiennes, équipées par exemple des meilleurs équipements soviétiques au niveau de l'aviation et de la DCA). Le centre de gravité du conflit n'a jamais été localisé. Les GI's se sont battus au mieux dans un flou conceptuel, au pire dans un aveuglement politique.

Avec le recul, il convient cependant de nuancer le jugement. Les Etats-Unis ont perdu la guerre du Vietnam, mais les Nord-Vietnamiens ne l'ont pas gagnée pour autant (il suffit de voir l'état de leur pays aujourd'hui par rapport aux dragons de l'Asie du Sud-Est), alors que le bloc communiste a vu son expansion être largement stoppée. La lutte des perceptions toujours intense au sujet de ce conflit montre bien que le jugement de l'Histoire n'est pas encore rendu.

COMPLEMENT I (1.5 1740) : Concernant la situation au Vietnam dans les années 70 et les possibilités pour les Etats-Unis de finalement gagner la guerre malgré les erreurs commises, cet article fournit des éléments de réponse intéressants.

Publié par Ludovic Monnerat le 30 avril 2005 à 8:48

Commentaires

La guerre du Vietnam était une bataille perdue de la vraie guerre, idéologique, et pas encore vraiment gagnée, à vrai dire, contre ce qu'on appelait alors le communisme.

Car si l'Amérique a fini par laisser tomber ses soldats, et surtout les Vietnamiens, c'était à cause de pressions financées et alimentées par le mouvement communiste. Un mouvement très présent et mieux accepté, d'ailleurs, notamment, en France, dont l'importance actuelle de l'État dans l'économie (40% des emplois, au bas mot) constitue sans doute l'un des héritages, et l'un des plus pesants.

Alors comme aujourd'hui, le rouleau compresseur idéologique se présentait comme un effort de paix, très intellectualisé. Alors comme aujourd'hui, ses théoriciens promettaient un paradis après un bref effort permettant de prendre le pouvoir.

Le simple bon sens dictait de stopper le communisme, cette sombre ânerie. Pourtant, des millions de gens durent encore perdre leur vie, leur famille, leur liberté, leur dignité, leur honneur, leur culture, leur mémoire, tout, avant que les Américains, encore, nous donnent un nouveau sursis en s'armant plus vite et plus intelligemment qu'une certaine minorité.

Publié par ajm le 30 avril 2005 à 17:01

J'ai toujours eu assez de curiosité, de sens critique et d'imagination pour éviter de subir autant qu'il se peut l'endoctrinement permanent qui caractérise la vie en générale. Que le capitalisme d'état, affublé du nom de communisme, soit une sombre ânerie, j'en conviens mais déguiser le capitalisme outrancier, d'économie de marché m'invite à réfléchir sur une autre sombre ânerie. Bien sure je me raccroche à cette liberté de mouvement et au concept du droit de propriété et des droits ensachés dans nos merveilleuses chartres sans aucune considération d'ailleurs pour les devoirs que nous devrions avoir envers la société. Je dois avouer humblement que certains de mes contemporains me désolent mais heureusement les blogs d'Internet me font lire des écrits de qualité dont l'analyse rigoureuse tranche avec ces âneries dont on nous abreuve en continu sur la guerre du Vietnam, d'Algérie et de bien d'autres foyers de confrontation. Oui, c'est vrai " !des millions de gens durent encore perdre leur vie, leur famille, leur liberté, leur dignité, leur honneur, leur culture, leur mémoire, tout, avant que les Américains, encore, nous donnent un nouveau sursis en s'armant plus vite et plus intelligemment qu'une certaine minorité!"

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 30 avril 2005 à 19:17

Mais croyez-vous qu'il aurait vraiment été possible de "vendre" à ... une armée de conscrits (sans parler de l'opinion publique en général) une "petite guerre" qui, d'après les généraux américains, exigeait quand même... 500 000 hommes (pour entre autres vraiment couper la piste Ho Chi Minh) et... 5 ans ... ?

Par ailleurs, les responsables en question avaient-ils vraiment compris qu'un régime communiste peut se permettre de sacrifier! 3 ou 4 millions de ses sujets ?

Publié par jc durbant le 1 mai 2005 à 17:13

Oui, comprendre, tout est là . Une action résolue et correctement soutenue aurait permis d'éviter le plus fort de la tragédie. Mais on préférait croire qu'en laissant les communistes s'installer, on sauverait des vies.

Comprendre ou vouloir croire.

Devant une agression, le problème est souvent le même: réagir et déclencher une guerre plus ouverte encore, ou plier et espérer que l'agresseur s'assagira? Ou faire semblant de plier et préparer un piège? Ou tenter de saper le moral de l'ennemi de l'intérieur? Ou, !

Hélas, le gagnant est simplement celui qui impose sa stratégie. La guerre ne favorise pas des vainqueurs vertueux, mais uniquement des vainqueurs tout court.

Et il est si difficile à la vertu de se convaincre de l'utilité de la guerre, si aisé de la persuader d'espérer en la paix, alors que la lâcheté la flatte et que la perfidie la menace, en pensant aux bonnes grâces futures du vainqueur.

C'est lorsqu'on a vraiment compris qu'on croit à bon escient. Alors, la foi se nourrit du doute, les certitudes poussent sur les cendres des remises en question, et la vie a une chance.

Publié par ajm le 1 mai 2005 à 20:20

Vous me corrigerais si je me trompe, mais je pense que l'Amérique est prisonnière de sa constitution. Celle-ci fut pensée pour éviter à tout pris la prise en main de ce pays par un dictateur. Aussi le Président ne peut pas partir en guerre facilement et casser du soldat, ce qui sous entant que ce pays ne peut attaquer par surprise. L'Amérique menace longtemps à l'avance en décrivant presque ce qu'il vont faire subire à leur ennemi. Ce temps de " réflexion " est généralement mis à profit pour obtenir le OK des institutions et peut-être de rapprocher quelques unités des lieux probables de combat. Je me risque à échafauder l'idée que l'emploi massif des bombardements et de l'artillerie est un peu la conséquence de cette noble faiblesse.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 1 mai 2005 à 22:29

Je sais que je suis hors-sujet mais puisqu'on parle de bilans de guerres et que je vous ai sous la main (et que Ludovic m'a pas répondu), je voulais votre avis d'hommes de l'art (apparemment) sur ce récent rapport français sur la guerre... d'Irak.

"Erreurs lourdes de conséquence", "rigide", "contre-productive", "méconnaissance", "faiblesse", "désastreuses", "humiliant", "terroristes" (guillemets , SVP !) plus nombreux et beaucoup mieux organisés", "à l'israélienne" opposé à « à la britannique, « colonnes infernales », goût prononcé pour les solutions technologiques»,

je me demandais juste si on avait vu... le même "film" ? ...


Les militaires français dressent un bilan critique de trente mois d'opérations américaines en Irak
LE MONDE | 29.04.05 |
http://lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-644552@51-628964,0.html

Ce n'est parce que la France n'a pas participé à la guerre en Irak que ses experts militaires ne se devaient pas d'étudier la façon dont les Américains ont conduit les "opérations de stabilisation" menées de mai 2003 à décembre 2004. Ce travail critique a été réalisé par le Centre de doctrine d'emploi des forces (CDEF) que dirige le général Gérard Bezacier, et a fait l'objet d'un numéro spécial de la revue Doctrine. Il en ressort que les tactiques des forces américaines ont évolué à la lueur de l'expérience, mais que les erreurs des premiers mois ont eu de lourdes conséquences.

La première a été sans doute, pour le haut commandement américain, de ne pas changer de méthodes entre la fin du conflit et la phase de "stabilisation" . De plus, la tactique du quadrillage du terrain à partir de grandes bases protégées, "sortes de "forts" au milieu du territoire indien" , s'est révélée contre-productive : "L'attitude rigide de ces patrouilles, la mise en joue systématique des passants, les conversations sans ôter ses lunettes noires, la barrière de la langue" rendent le volet "immersion dans la population" très artificiel, peut-on lire notamment.

Parallèlement, la méconnaissance du milieu et la faiblesse d'un système de renseignement, qui n'a pas encore fait sa mue contre-insurrectionnelle, rendent ces opérations souvent désastreuses. "Il s'agit souvent de grands bouclages de zones où, avec des haut-parleurs crachant du hard rock, les soldats pénètrent en force dans des maisons et raflent en masse les hommes. Ils bafouent ainsi simultanément des traditions complexes d'hospitalité, l'honneur des hommes en les humiliant devant leur famille, la sainteté de certains lieux en y pénétrant en armes, etc" , indique la revue.

Les Britanniques ont manifesté dès le départ le souci d'établir de bonnes relations avec la population : "Les manières sont courtoises et les armes sont tournées vers le bas, ce qui n'empêche pas les réactions immédiates en cas d'agression, suivant le slogan : "Smile, shot, smile" ("Souris, tire, souris")" . Contrairement aux Américains, ils estiment que leur accessibilité, et donc leur vulnérabilité apparente, leur procure une sécurité indirecte supérieure grâce à une meilleure image dans la population.

Peu à peu, le haut commandement américain mesure que les "terroristes" sont plus nombreux et beaucoup mieux organisés que prévu. "Face à cette menace, relèvent les experts français, la seule voie possible était l'extermination complète. On en revient ainsi au "body count" -décompte des morts-...D'une part, il n'était pas question de négocier avec le "Mal" et, d'autre part, dans la logique protestante, on naît "bad guy" -mauvais garçon- plutôt qu'on ne le devient. Il suffit donc de mettre suffisamment de moyens pour les éradiquer."

Les Américains ont cependant vite découvert que leurs effectifs étaient insuffisants : pour avoir le même taux d'occupation en Irak qu'en Bosnie, il aurait fallu 364 000 hommes. Pour atteindre celui du Kosovo, il en aurait fallu 480 000. Or les troupes de la coalition sont d'environ 160 000 hommes. De plus, les tactiques employées sont souvent contradictoires. Alors qu'une division pratique une approche "britannique" , l'autre procède "à l'israélienne" : destruction de maisons, arrestation des familles, ripostes de l'artillerie aux attaques de mortier etc.

Avec un taux moyen d'un, puis de deux morts par jour, la situation des troupes américaines en Irak est encore loin de ressembler à celle du Vietnam (20 morts quotidiens de 1965 à 1972), ni à celle de l'armée française en Algérie (9,6 morts par jour pendant sept ans). (QUAND MÊME !)

Dans sa stratégie de "siège de la ville" , l'US Army emploie ce que certains officiers nomment des "colonnes infernales" - en souvenir des méthodes du général Sherman durant la guerre de Sécession - qui sont des phalanges interarmes très fortement blindées et appuyées par des bombardements. Toutes les unités américaines ont, d'autre part, augmenté le nombre de leurs tireurs d'élite, et les drones armés sont de plus en plus employés.

Le goût prononcé des Américains pour les solutions technologiques se manifeste à Fallouja : la division des marines qui prônait à son arrivée sur le sol irakien l'imbrication avec la population et le "gant de velours" , est en train de faire l'inverse, en mettant en place dans cette ville "des "centres de traitement des citoyens" où tous les hommes de la ville vont subir un test ADN, un enregistrement vocal, un scan des pupilles et des empreintes digitales. Les banques de données obtenues sont reliées à celles du FBI et de la CIA. Ils -les habitants masculins- devront porter sur eux en permanence une carte d'identité spéciale et n'auront plus le droit d'utiliser de voiture personnelle, arme favorite des kamikazes" .

Pour les militaires français, une autre grande faiblesse des opérations militaires américaines a été le problème du renseignement de contre-guérilla. Le principal frein apparaît comme d'ordre culturel : "La spécialisation des armes au sein de l'US Army fait que le soldat ne se considère pas comme un capteur d'informations. La communauté du renseignement a toujours affiché un goût prononcé pour le renseignement d'origine technique, au détriment du renseignement humain" .

Le personnel de la Military Intelligence (Renseignement militaire) est donc peu formé au traitement d'indicateurs ou de prisonniers civils. Lorsqu'ils ont compris leur erreur, les Américains ont fait venir des équipes du FBI pour conseiller les forces sur le terrain. (QUAND MÊME !)

Laurent Zecchini
Article paru dans l'édition du 30.04.05

Publié par jc durbant le 2 mai 2005 à 15:48

Désolé de ne pas avoir répondu, jc, j'ai beaucoup à faire ces temps ! :)

Justement, la contradiction est là : on ne fait pas une "petite guerre" avec 500'000 hommes, les Américains ont tenté de mener au Vietnam un conflit conventionnel sans avoir l'adversaire pour ce faire. En revanche, une petite guerre avec 50'000 hommes tous volontaires, dont une très forte composante de forces spéciales, avec un appui aérien important - sans la bride sur le cou - me semble jouable.

Concernant les sacrifices humains consécutifs à la stratégie du nord communiste, cela ne leur aurait servi à rien si les Forces armées US avaient pu rester durablement dans le pays...

Publié par Ludovic Monnerat le 2 mai 2005 à 19:15

Merci d'avoir pris le temps de répondre: c'est vrai que j'avais oublié tout ce surcroit actuel d'obligations ...

Publié par jc durbant le 2 mai 2005 à 23:29

Je n'ai pas le temps de pondre un roman, mais j'émettrai cependant un petit commentaire. Y'en a marre des pseudos connaisseurs du VN, des pacificistes sans cervelle et des sympatisants communistes!

Mon pays a été trahi par les Américains. Ils ont dit qu'ils nous aidraient, ils nous ont abandonné comme ils ont abandonné Chang Kai Check qui a du fuir à Taiwan. Dans les dernières années de la guerre, les Américains ont coupé les vivres du Sud-Vietnam. Les pertes de notre aviation n'étaient plus remplacées. De peur de perdre définitivement des avions, nos pilotes devaient larguer leurs bombes à une trop haute altitude pour être précis. Les munitions étaient rationnées, les obus d'artillerie, les seringues, tout. On manquait de pièces pour réparer nos véhicules, etc. Même les bandages devaient être réutilisés. L'aide américaine pour l'année fiscale 1975 s'élevait à 750M$ US alors que ça atteignait des milliards dans les années 60...

Dans tous les livres occidentaux, vous louangez les communistes et vomissez sur le Sud-Vietnam. Nous étions un régime corrompu, totalitaire, etc. Rien n'est plus faux! Notre armée est morte sur le champ de bataille et les Communistes nous ont tellement bien libérés des "chiens de capitalistes", des "saletés de bourgeois impérialistes" que nous avons fui le pays par millions en risquant nos vies sur les mers et dans la jungle cambodgienne... Il faut croire que nous avons adoré le paradis socialiste...

Pourtant, sous la présidence des Ngo Dinh Diem et de Nguyen Van Thieu, ces "odieux laquais des Américains", aucun parmi nous n'a tenté de rejoindre ce fameux paradis rouge au nord ou fui le pays...

Libérer l'Europe de l'Ouest des Nazis c'est bien (car il faut livrer l'Europe de l'Est aux Soviétiques), libérer l'Asie des Communistes, c'est mal... Nous les Jaunes, nous ne méritons pas de vivre dans la liberté et la démocratie... Les soldats morts en combattant les Nazis sont des héros, les soldats morts au VN contre les rouges sont des tueurs d'Enfants et des violeurs... Telle est votre logique stupide.

Les Américains, le Sud-VN et leurs alliés (Sud-Corée, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.)ont gagné la guerre! Aujourd'hui en 2005, nous avons le droit de brasser des affaires au VN. Les jeunes s'habillent comme en Occident, se déhanchent en écoutant de la musique pop japonaise et sud-coréenne. Les joints-venture avec les Occidents se multiplient. Que sont devenus les slogans "chiens de capitaliste", "bourgeois impérialistes", "musique décadente de l'ouest", "cinéma occidental dépravé"?

Quand je suis frustré et sous le coup de l'émotion, j'écris sans cohérence. Tout ce que je pense, je le couche par écrit. J'espère que vous avez compris quelque chose à mon charabia.

Publié par Nguyen Tran Bac le 31 août 2005 à 5:11