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7 février 2005

Alerte à la folie furieuse (4)

Depuis que François Brutsch avait rappelé que l'éditorialiste François Gross jugeait impossible la tenue des élections irakiennes le 30 janvier, en tirant de ce pays un portrait encore plus apocalyptique qu'à l'accoutumée, je me demandais comment il allait réagir aux 8 millions de gifles que lui ont accessoirement infligées les Irakiens. Eh bien, je ne suis pas déçu : celui qui officie curieusement comme médiateur de 24 Heures (juge et partie, cela existe ?) a rendu une colonne pour Le Temps (accès libre) qui dégouline de fiel et de rancoeur.

Gross commence d'abord par nier en bloc ce que tout le monde a été obligé de voir :

Des élections, ça? C'est galvauder le terme que l'utiliser pour la parodie démocratique que les Irakiennes et Irakiens ont, au risque de leur vie, offerte, il y a huit jours, à un monde lassé au point d'en être crédule. Aucune des conditions requises pour qu'un peuple puisse librement se forger une opinion au cours d'une campagne électorale et exprimer ensuite ses choix n'était remplie. Aucune des garanties fournies par des observateurs indépendants n'était assurée. Les médias, quand ils n'étaient pas emmaillotés par la force armée occupante, n'étaient pas en mesure d'accomplir leur tâche.

De toute évidence, l'opinion des Irakiens et la joie évidente qu'ont suscité chez eux ces élections ne comptent pas. L'extraordinaire mouvement démocratique en Irak, avec les premiers débats politiques télévisés, la multiplication des médias locaux, l'explosion des moyens de communication (antennes TV, téléphonie mobile, Internet) n'existent pas. Gross n'entre d'ailleurs pas dans les détails pour justifier son déni de démocratie ; cela l'aurait obligé à discuter par exemple la présence de 11'000 observateurs nationaux lors de ces élections. Et comme je doute qu'il parle et lise couramment l'arabe, je vois mal comment il peut oser évaluer l'activité des médias irakiens depuis son bureau, en Suisse, sans citer de source précise.

Mais on comprend mieux son aveuglement en lisant le paragraphe suivant :

Et pourtant, des femmes et des hommes n'ont tenu aucun compte des menaces et de ces insuffisances et sont allés jeter un bulletin dans l'urne. Pour user d'un droit, même bancal, mais dont ils ont été si longtemps privés; pour dire leur refus de la violence; pour signifier à l'envahisseur qu'ils souhaitent se passer de sa présence.

Vraiment ? Comment peut-il interpréter le vote de la population irakienne comme une volonté d'exiger le départ des troupes coalisées, qui d'ailleurs ne sont plus occupantes au regard des résolutions onusiennes (mais l'ONU ne compte que lorsqu'elle s'oppose aux Etats-Unis...), alors que précisément les élections semblent avoir eu l'effet inverse ? Comment d'ailleurs peut-il prétendre discerner un message aussi clair sorti des urnes sans contredire le déni de démocratie qu'il dénonce avec rage ? Ou même refuser de s'intéresser à ce que les Irakiens ont effectivement choisi, à savoir - au niveau national - des représentants d'une assemblée constituante... ?

François Gross est très respecté dans le milieu suisse des médias. Sur le base de cet article, ce respect est totalement immérité. Comment tant d'autres, hélas, cet homme préfère son opinion aux faits, sa vision à la réalité, ses propres imprécations à l'écoute des autres. Confronté au démenti de ses propres prédictions, il renonce à toute remise en question et s'enfonce toujours plus dans la folie furieuse. Où cessera cette fuite en avant ? A toute une génération dont la conception du monde est aujourd'hui périmée, je crains que seule la tombe n'apporte enfin un peu de paix.

COMPLEMENT I : On suggère à François Gross de s'intéresser d'un peu plus près à l'organisation indépendante mise en place avec l'aide de l'ONU et de l'UE pour les élections irakiennes, et qui avait - d'après cet article - 8000 personnes dans 80% des 5000 bureaux de vote du pays. Sous peine de figurer une parodie de journalisme face à une démocratie naissante mais réelle.

Publié par Ludovic Monnerat le 7 février 2005 à 9:43

Commentaires

En effet, c'est délirant d'auto-aveuglement! Je suis de ceux qui avaient beaucoup d'admiration pour Gross il y a longtemps, lorsqu'il était rédacteur en chef de "La Liberté" (il est vrai que je le lisais dans "Le Courrier"!). Mais j'en suis revenu avec ses chroniques du "Temps"...

Publié par François Brutsch le 7 février 2005 à 16:10

Petit motif d'espoir néanmoins dans Le Figaro de ce matin ... ? (nos valeureux journalistes seraient-ils en train de se réveiller de leur long coma ?),

ces quelques paroles de Palestiniens qui confirment l'article que vous repreniez (dans Checkpoint le 6 septembre 2004) du JP ("L'ABC de la guerre de l'information dans les conflits de basse intensité contemporains Caroline Glick, "Information warfare 101", The Jerusalem Post , 18 juin 2000") :

"A Naplouse, beaucoup sont prêts à accorder une chance à Mahmoud Abbas et estiment que la lutte armée était une erreur de stratégie qui n'a rien apporté
Des militants regrettent quatre ans d'intifada

Naplouse : de notre envoyé spécial Patrick Saint-Paul
[Le Figaro, 07 février 2005]

/!/ Comme une majorité de Palestiniens, les Awas souhaitent la fin de la lutte armée.

«La lutte armée ne nous a rien apporté, regrette Itaf Awas, 49 ans, la veuve de Zaher Awas. C'était une erreur de stratégie. Les Israéliens n'ont pas souffert. Ils sont venus ici avec leurs tanks et leurs hélicoptères prendre la vie de nos époux et nos enfants. C'est un immense gâchis. Le peuple palestinien s'est perdu. Il est détruit. Nous sommes devenus des morts-vivants. Pour rien.»


Même si bien sûr, on continue à rendre les Israéliens responsables de tout:


"Comme la plupart des Palestiniens, la famille Awas estime que l'intifada lui a été imposée par Israël. «Ils connaissent notre sens de la fierté et ont joué avec en nous humiliant chaque jour aux checkpoints, estime Imad. Les Israéliens ont réussi à nous attirer dans un cercle du combat sans espoir. J'étais dans la classe de Nasser, c'était un garçon comme les autres. Il n'a fait que réagir à l'humiliation » ...

Publié par jc durbant le 7 février 2005 à 23:55

ERRATUM

En fait, je me rends compte que l'article auquel je faisais référence dans mon envoi d'hier soir (sur la défaite de l'intifada armée que confirment les propos de Palestiniens cités par Le Figaro d'hier) était plutôt celui-ci:

Comment Israël a forgé la défaite des Palestiniens en brisant l'asymétrie du conflit

26 septembre 2004


Près de quatre ans après son déclenchement, la phase actuelle du conflit israélo-palestinien - aussi appelée Intifada d'Al Aqsa - témoigne de l'échec retentissant des méthodes terroristes. Elle montre également qu'un État et ses forces armées peuvent gagner un conflit asymétrique

Publié par jc durbant le 8 février 2005 à 7:43