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25 janvier 2005

Retour sur une extorsion

Dans Le Temps de ce jour, on trouve une colonne écrite par Marc-André Charguéraud, un historien qui publie un nouveau livre consacré à l'affaire des fonds en déshérence (La Suisse lynchée par l'Amérique, éditions Labor et Fides), 4 ans après un autre ouvrage consacré au même thême (La Suisse présumée coupable, édition L'Age d'Homme). Son objectif est de démontrer comment la faiblesse d'un dossier a été compensée par l'aspect émotionnel issue d'une cause juste pour procéder à une véritable extorsion de fonds dont ont été victimes les banques suisses, et par ricochet l'ensemble du pays, avec la complicité de l'administration Clinton.

Cette affaire a laissé un goût très amer dans la population helvétique. Voici presque 10 ans, le pays s'est soudain vu accuser d'avoir conservé des sommes colossales dans ses coffres, appartenant à des victimes du génocide juif, et ainsi d'avoir profité de la Shoah pour s'enrichir sans vergogne. Rapidement, l'opprobre s'est étendue à l'ensemble de la société sous l'action des médias domestiques et d'une partie de la classe politique, qui y ont vu une opportunité pour démolir certains mythes gênants et favoriser certains arguments militants. Le Conseil fédéral, après une résistance initiale littéralement fusillée par la presse (Jean-Pascal Delamuraz et ses accusations de chantage), a totalement capitulé et laissé faire la manoeuvre.

Car il s'agissait bien d'une manoeuvre, en l'occurrence une opération d'information visant à orienter les perceptions pour obtenir un bénéfice politique et financier, en utilisant l'accusation morale comme arme principale. Les sommes versées par les banques suisses - 1,25 milliards $ - n'étaient qu'une obole au regard des profits qu'elles ont continué d'enregistrer aux Etats-Unis. Mais la Suisse et les Suisses ont subi un "devoir de mémoire" particulièrement revanchard, organisé par des historiens regroupés dans la Commission Bergier, et dont les travaux ont sciemment écarté une partie des informations existantes (comme les travaux du professeur d'histoire suisse contemporaine Philippe Marguerat) pour publier un rapport accusateur, aujourd'hui déjà largement discrédité.

La réécriture de l'histoire à des fins d'ambition personnelle, politique ou idéologique, a cependant ses limites : la fameuse Fondation de solidarité, lancée par le Conseil fédéral au plus fort des attaques contre le pays pour reprendre l'initiative sur le plan éthique, a été refusée par près de 50% de la population le 22 septembre 2002. Et si le rapport Bergier a été vivement accueilli dans l'instruction publique par la frange la plus militante des enseignants, toute cette manoeuvre a abouti à accroître la méfiance des citoyens à l'endroit des médias, de la classe politique, et même des institutions internationales.

Manipuler les perceptions publiques a donc un prix.

Publié par Ludovic Monnerat le 25 janvier 2005 à 8:37