7 avril 2010

Les bavures de la presse en Irak

Les médias se sont faits l'écho hier et ce matin d'une vidéo diffusée sur Internet et montrant l'enregistrement - avec ajout de sous-titres - d'une caméra et de conversations radio à bord d'un hélicoptère de combat des forces armées américaines lors d'une mission menée au-dessus de Bagdad. Ce document est un peu réchauffé, puisque les faits datent de 2007 ; il n'est en est pas moins présenté dans la presse comme une bavure de l'armée américaine en Irak, et le fait que deux journalistes de l'agence Reuters aient été victimes - parmi d'autres - du feu déclenché par l'hélicoptère américain renforce le ton accusateur employé de manière générale, et donc le témoignage à charge qui est fait à propos de la séquence vidéo.

Malheureusement, comme c'est souvent le cas, une démarche pareillement unilatérale aboutit à une vision tronquée, et donc déformée, de la réalité, ce qui biaise gravement les jugements qui en sont tirés. Ceci est du reste souligné par le site Web diffusant la vidéo, lequel présente les actes des militaires américains comme un « meurtre indiscriminé », et par l'angle retenu dans la plupart des médias, qui parlent à répétition de « civils non armés ». Une analyse plus lucide de cet enregistrement montre ainsi que les accusateurs des troupes impliquées commettent au moins trois erreurs caractérisées, dont l'une représente incontestablement une bavure déjà relevée à maintes reprises.

Premièrement, il manque de nombreux éléments contextuels pour apprécier et juger le comportement des forces armées américaines dans ce cas de figure, et les images comme les communications radio - avec des indicatifs codés - ne fournissent somme toute que peu d'éléments. Quelles troupes étaient concrètement engagées, au sol et dans les airs, et avec quelle mission ? A quelle distance les troupes se trouvaient-elles de leur cible, que ce soit les éléments mécanisés ou l'hélicoptère de combat ? Quelles étaient les activités des troupes avant l'incident, respectivement leurs contacts éventuels avec l'adversaire ? Quelle était la chaîne de commandement, et quel processus était utilisé pour autoriser l'ouverture du feu ? Ce dernier visait-il uniquement à éviter un cas de « friendly fire », ou aboutissait-il à une procédure impliquant un commandant tactique responsable, au besoin assisté d'un juriste ? Sans réponse à ces questions, il est impossible et déraisonnable de porter un jugement crédible - à moins naturellement de se limiter à l'accusation, ce qui semble être le cas.

Deuxièmement, le comportement de l'équipage de l'hélicoptère semble effectivement coller à des règles d'engagement appropriées. Contrairement à l'affirmation de « civils non armés », on voit effectivement des armes sur la vidéo (voir en particulier le groupe à 02:05 sur la vidéo complète, où l'on peut clairement identifier un lance-roquette antichar et un fusil d'assaut), même si les outils de travail des journalistes situés plus avant ont également, de toute évidence, été pris pour des armes. De plus, l'équipage de l'hélicoptère a conditionné sa demande d'ouverture du feu au constat de la présence d'armes potentiellement dangereuses pour les propres troupes, et n'a jamais ouvert le feu sans une autorisation clairement donnée. Enfin, lors de la destruction du véhicule arrivant pour évacuer les blessés, aucun signe de reddition ou indiquant la présence de non combattants (bras levés, symbole sanitaire, etc.) n'a été donné par les cibles, aboutissant ayant à la conviction que l'on tentait de soustraire les corps et les armes d'adversaires.

Troisièmement, on se perd en conjectures sur la présence de journalistes au sein d'un groupe armé sans aucun signe d'identification. Pourquoi les deux employés de Reuters ne portaient aucun signe distinctif, alors que la proximité de l'hélicoptère et la qualité de ses optiques auraient garanti leur identification? Pourquoi personne dans les médias ne s'interroge sur la présence de journalistes « embarqués » aux côtés de personnes armées nettement au-delà de l'autodéfense, et ceci au cœur d'une zone de combat ? Quelle était la mission exacte de ces deux reporters, et pourquoi ces hommes armés se comportaient-ils comme des combattants, au point que l'équipage de l'hélicoptère a pensé qu'ils ouvraient le feu sur les troupes américaines au sol ? Comment se fait-il que ce dérapage éthique, que ce genre de bavure ne soient pas signalés et dénoncés au sein des médias, alors même qu'il met directement en danger la vie des journalistes ?

Bien entendu, ces erreurs gênantes ne sauraient exonérer les troupes américaines. Si l'ouverture du feu dans un tel cas de figure et le processus décisionnel en général semblent relever de l'application de règles d'engagement sensées, il n'en demeure pas moins que l'équipage de l'hélicoptère a eu pour le moins la main lourde, et que ses rafales répétées avec le canon de 30 mm embarqué paraissent clairement disproportionnées avec la menace effective, du moins tel qu'elle apparaît après coup et à la lecture attentive de l'enregistrement. Le recours abusif au feu d'appui est une caractéristique des forces armées américaines depuis de nombreuses décennies, et ce cas de figure le démontre une fois de plus. Le contexte manque pour porter un jugement fondé à propos de ce cas particulier, mais la tendance à l'exagération est évidente.

Rien de tout cela ne justifie cependant la perspective accusatrice et tronquée, voire carrément faussée et mensongère, que l'on peut lire ou entendre au sujet de cette affaire. Quant au refus des forces armées américaines de donner aux médias un tel enregistrement, il est on ne peut plus logique : de telles vidéos fournissent des indications précieuses sur les capacités, les procédures, les comportements et les limitations des unités tactiques concernées, et donc permettent de plus facilement les combattre. C'est la raison pour laquelle Reuters a pu voir de façon informelle l'enregistrement concerné en 2007, et non le diffuser de par le monde, via un compromis entre le devoir d'informer le public et la nécessité de protéger les troupes.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h45

5 avril 2010

Les idiots utiles et fiers de l'être

Ce qu'il y a d'intéressant en prenant parfois du recul sur l'actualité internationale et les conflits en cours, pour ensuite y revenir à l'occasion d'une disponibilité individuelle soudain retrouvée, c'est que certains développement apparaissent dans une clarté nouvelle et soulignent des mouvements de fond qui interpellent. On sait que les organisations non gouvernementales actives dans le domaine des droits de l'homme - ce qui comprend aussi une partie des médias - ont amorcé dès le début des années 2000 un virage significatif en prenant parti ouvertement pour les non-États face aux États, en particulier à l'encontre d'Israël et des États-Unis ; les dérives survenues dans ce cadre, comme lors du faux « massacre » de Djénine, sont encore dans les mémoires. La coopération existant aujourd'hui entre Amnesty International et la mouvance islamiste montre l'évolution du phénomène.

L'affaire a éclaté en février dernier, lorsqu'une dirigeante d'Amnesty International, Gita Sahgal, a dénoncé l'alliance existant entre l'ONG et l'organisation islamiste Cageprisoners montée par Moazzam Begg, ancien prisonnier de Guantanamo, qu'elle qualifie de plus « célèbre supporter des Talibans de Grande-Bretagne ». Cet exemple de libre expression n'a guère plu à Amnesty International, qui a suspendu illico sa dirigeante réfractaire. Une pétition lancée en soutien à celle-ci n'a pas convaincu le sécrétaire-général d'AI, Claudio Cordone, qui a répondu en estimant que les vues de Cageprisoners sur le « dialogue avec les Talibans » et sur le « djihad en légitime défense » ne sont pas incompatibles avec les droits de l'homme. Cordone cite même l'Église catholique pour désigner un autre partenaire avec lequel des désaccords existent, sans pour autant amener à cesser toute coopération.

Les comparaisons outrageuses (jusqu'à preuve du contraire, l'Église catholique actuelle n'ambitionne pas de convertir, au fil de l'épée s'il le faut, la planète entière et étendre l'autorité temporelle du pape) ne semblent pas exceptionnelles dans cette affaire : Moazzam Begg lui-même, qui se présente comme un travailleur humanitaire injustement arrêté au Pakistan en 2002 et torturé pendant trois longues années à Guantanamo, n'hésite pas à comparer les Talibans avec l'IRA pour justifier ouvertement le dialogue avec eux (jusqu'à preuve du contraire, les indépendantistes irlandais n'ambitionnaient pas la conversion de la Reine d'Angleterre et de tout le Royaume-Uni). La rhétorique des droits de l'homme semble ne pas faire grand cas de la logique et de la proportionnalité, voire même tolérer un fossé béant entre les déclarations et les actes.

Le partenaire d'Amnesty International dans sa croisade contre Guantanamo (le mot est piquant, mais pas injustifié) est en effet un personnage qui, à travers son livre « Enemy Combatant », a allègrement passé sous silence tout ce qui pouvait nuire à son image de victime de « l'impérialisme américain », laquelle est plus que jamais la clef permettant de s'attirer le respect des activistes humanitaires, la bienveillance des médias, voire même les prébendes des États-providence. Moazzam Begg excelle dans cette activité et a construit avec Cageprisoners une plateforme de communication et de propagande remarquable. Et comme l'ennemi de mon ennemi est mon ami, ou peut s'en faut, une organisation comme Amnesty International ne peut guère résister à l'attrait d'une alliance mutuellement bénéfique, fût-ce au prix d'un grand écart entre ses principes fondateurs et ceux de ses nouveaux amis.

Dans les faits, Moazzam Begg a reconnu avoir passé du temps dans deux camps d'entraînement islamistes en Afghanistan, soutenir les combattants islamistes, avoir acheté une arme, avoir « pensé » rejoindre le djihad en Tchétchénie (nous sommes alors avant le 11 septembre 2001) et connaître des individus convaincus d'actes terroristes islamistes, même s'il conteste d'autres accusations proférées contre lui, et même s'il affirme que ses aveux écrits dans ce sens ont été extorqués par le FBI. Finalement, si Moazzam Begg avait été capturé l'arme à la main en Afghanistan comme nombre de pensionnaires de Guantanamo, il n'aurait pas pu faire la carrière subséquente qu'on lui connaît ; son arrestation au Pakistan lui permet de faire jouer pleinement le bénéfice du doute sur son rôle exact dans la mouvance djihadiste, mais pas sur son appartenance à celle-ci.

Qu'une organisation aussi dépendante de sa réputation et de son attrait éthique pour sa survie comme Amnesty International se lie à un tel individu et fasse taire les voix en interne qui mettent en doute cette alliance indique donc un changement profond de paradigme. L'ère des « idiots utiles » de la guerre froide, de ces soutiens mollassons à l'idéologie communiste comme de ses relais bien intentionnés, est bel et bien terminée ; aujourd'hui, les idiots ne sont pas seulement utiles, ils sont également fiers de l'être, et ils n'hésitent pas à afficher ouvertement leur préférence envers ceux qui parlent le langage des droits de l'homme quels que soient leurs objectifs réels, pour mieux blâmer et combattre tout Gouvernement - notamment occidental - qui n'a pas encore placé leur idéologie au centre de ses préoccupations.

La fin justifie les moyens...

Posted by Ludovic Monnerat at 12h45

12 janvier 2010

Climat : une leçon de modestie

La vague de froid qui déferle depuis plusieurs semaines sur l'hémisphère nord n'est pas uniquement un argument périssable pour quiconque s'oppose au catastrophisme intéressé que distillent les croyants du réchauffement climatique d'origine humaine ; elle pourrait bien être la marque d'un basculement vers une période de refroidissement planétaire, en fonction d'un cycle mesuré dans les températures des océans, selon les recherches effectuées par plusieurs scientifiques faisant partie du sacro-saint GIEC :

'A significant share of the warming we saw from 1980 to 2000 and at earlier periods in the 20th Century was due to these cycles - perhaps as much as 50 per cent.
'They have now gone into reverse, so winters like this one will become much more likely. Summers will also probably be cooler, and all this may well last two decades or longer.
'The extreme retreats that we have seen in glaciers and sea ice will come to a halt. For the time being, global warming has paused, and there may well be some cooling.'

En d'autres termes, les modèles informatiques des années 90 reposant avant tout sur l'activité humaine pour « expliquer » le réchauffement climatique - et qui ont été sciemment corrigés pour éviter d'être contredits par les irrégularités des données - sont désormais dépassés par d'autres modèles informatiques, qui parviendraient bien mieux à expliquer les hausses et baisses de températures constatées au siècle dernier, et qui soulignent à la fois la complexité et l'inertie du système planétaire. Lorsque les faits ne confirment pas les théories, celles-ci doivent être adaptées, et non l'inverse - à moins de renoncer à un travail scientifique pour entrer dans le domaine de l'idéologie et des croyances. Ce qui est précisément la nature du discours ambiant en la matière.

A l'heure où la réduction de l'émission de gaz carbonique fait l'objet d'un large consensus au sein des partis politiques, à la différence de la communauté scientifique, il est donc essentiel de rappeler et de souligner la nature erronée et frauduleuse des raisonnements en la matière, et de reconnaître que l'homme ne fait pas - c'est l'expression la plus juste - la pluie et le beau temps. Toute décision politique prise ces dernières années sur la base du protocole de Kyoto ou des discussions de Copenhague, c'est-à-dire sur la base de la croyance réchauffiste, doit être déconstruite, réévaluée et corrigée, voire simplement annulée. La catastrophe planétaire illustrée par la fonte des pôles, par la hausse du niveau de la mer et par l'élévation constante des températures n'est qu'une fiction : il faut en tirer les conséquences.

Et surtout accepter la leçon de modestie selon laquelle nous ne savons pas tout...

Posted by Ludovic Monnerat at 12h35 | TrackBack

23 décembre 2009

Les manipulations des illuminés

Révisions Wikipedia MWP.pngMême si les médias traditionnels se gardent bien d'en parler en détail, on sait que l'idée d'un réchauffement climatique à la fois sans précédent et causé par l'homme est un mythe : la science ne permet pas de parvenir à des conclusions aussi absolues, et les courriels révélés au monde entier par un acte de piratage montrent bien à la fois les manipulations et les collusions de ce que l'on résume désormais sous le nom de Climategate (voir ici mon billet à ce sujet, et voir cet article pour un aperçu plus récent du phénomène). Ce scandale scientifique, médiatique et finalement politique - puisque nombre de décisions aujourd'hui sont prises en fonction de ce mythe - n'a pas fini de se dérouler et de nous poursuivre. Les intérêts en jeu sont d'ailleurs tels qu'il est aisé de comprendre pourquoi la déconstruction de ce phénomène est un pareil anathème.

L'une des objections les plus fortes au mythe n'a cependant pas été révélée ces dernières semaines : l'existence d'une période chaude au Moyen-Âge, suivie d'un petit âge glaciaire dont nous sortons, est connue depuis longtemps (on n'aurait sinon pas appelé « Groenland », pays vert, cette étendue de glace que l'on connaît aujourd'hui). Or cette période chaude a l'immense inconvénient d'apparemment contredire sans rémission le graphique dit de la canne de hockey sur lequel repose tout le mouvement du réchauffement climatique d'origine humaine. Dans une démarche scientifique, une telle contradiction n'a pas de conséquence drastique, parce que la compréhension des mécanismes responsables est incertaine et parce que les avancées se succèdent sans vérité absolue. Mais dans une démarche idéologique, et dans le cas présent carrément religieuse, cette période chaude est une menace, un blasphème, un déni qui risque de troubler les fidèles et qui ne peut simplement pas exister.

Les croisés du réchauffement climatique d'origine humaine s'escriment donc à minimiser le sens de la période médiévale chaude ou même à nier son occurrence (ce que fera le GIEC de l'ONU), et ont notamment utilisé l'encyclopédie en ligne Wikipedia - la source d'informations la plus utilisée au monde - pour propager leurs convictions. C'est ce que les courriels piratés ont révélé :

But the UN's official verdict that the Medieval Warm Period had not existed did not erase the countless schoolbooks, encyclopedias, and other scholarly sources that claimed it had. Rewriting those would take decades, time that the band members didn't have if they were to save the globe from warming.
Instead, the band members turned to their friends in the media and to the blogosphere, creating a website called RealClimate.org. "The idea is that we working climate scientists should have a place where we can mount a rapid response to supposedly 'bombshell' papers that are doing the rounds" in aid of "combating dis-information," one email explained, referring to criticisms of the hockey stick and anything else suggesting that temperatures today were not the hottest in recorded time. One person in the nine-member Realclimate.org team -- U.K. scientist and Green Party activist William Connolley -- would take on particularly crucial duties.
Connolley took control of all things climate in the most used information source the world has ever known - Wikipedia. Starting in February 2003, just when opposition to the claims of the band members were beginning to gel, Connolley set to work on the Wikipedia site. He rewrote Wikipedia's articles on global warming, on the greenhouse effect, on the instrumental temperature record, on the urban heat island, on climate models, on global cooling. On Feb. 14, he began to erase the Little Ice Age; on Aug.11, the Medieval Warm Period. In October, he turned his attention to the hockey stick graph. He rewrote articles on the politics of global warming and on the scientists who were skeptical of the band. [...]
All told, Connolley created or rewrote 5,428 unique Wikipedia articles. His control over Wikipedia was greater still, however, through the role he obtained at Wikipedia as a website administrator, which allowed him to act with virtual impunity. When Connolley didn't like the subject of a certain article, he removed it -- more than 500 articles of various descriptions disappeared at his hand. When he disapproved of the arguments that others were making, he often had them barred -- over 2,000 Wikipedia contributors who ran afoul of him found themselves blocked from making further contributions. Acolytes whose writing conformed to Connolley's global warming views, in contrast, were rewarded with Wikipedia's blessings. In these ways, Connolley turned Wikipedia into the missionary wing of the global warming movement.


Ce comportement digne de l'Inquisition est parfaitement documenté, puisque l'encyclopédie en ligne a pour immense qualité de conserver les traces des modifications apportées aux articles. Une manipulation aussi grossière et prolongée devait bien finir par éclater au grand jour, et la période chaude médiévale n'a pas pu être entièrement effacée de la connaissance humaine. Mais les illuminés du réchauffisme n'en restent pas moins déterminés à sauvegarder les reliques fondant leur culte : un contrôle effectué ce matin (voir ci-dessus) sur les révisions de la page en anglais consacrée à la période chaude médiévale les montre toujours à l'œuvre, bloquant les modifications mettant leur foi en doute, veillant au respect du dogme et agissant en quelques minutes pour la gloire de leur divinité planétaire et le salut de leur vision du monde. Nous voilà bien loin de la science et de la raison...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h45 | TrackBack

21 novembre 2009

La chute d'une citadelle idéologique ?

Le piratage d'un millier de courriels et de documents provenant du serveur d'un institut de recherche sur la climatologie situé en Grande-Bretagne, et qui joue un rôle de premier plan dans la polémique sur le rôle de l'homme dans le réchauffement planétaire, jette une lumière particulièrement crue sur les dessous politiques et claniques de cette croisade. La quantité des données et leur caractère a priori vérifiable vont fournir une ample matière pour ceux qui sont choqués par le comportement discutable d'une partie de la communauté scientifique, et à qui la technologie moderne offre des capacités d'action sans précédent. C'est toute une citadelle idéologique qui, suite à la brèche ouverte par les pirates (dont il serait intéressant de connaître l'identité et les motifs), est maintenant prise d'assaut.

Les extraits publiés montrent sans conteste des manipulations et des dissimulations conscientes dans la démarche consistant à montrer et à dénoncer, selon l'image bien connue de la « crosse de hockey », d'une part une hausse brutale et sans précédent des températures globales de la planète, et d'autre part une corrélation étroite entre cette hausse et l'accroissement des activités humaines. On sait que ces théories ont eu un succès retentissant et sont au cœur de nombreuses entreprises visant à promouvoir - sinon imposer - le « développement durable » dans nos existences. Même si la Terre était tout aussi chaude à une époque où l'homme ne polluait guère, même si le réchauffement planétaire est en panne depuis 10 ans, et même si les modèles informatiques utilisés ne sont, précisément, que des modèles.

Lorsque les scientifiques placent leurs convictions politiques au-dessus de l'éthique consubstantielle à leur activité, ils courent le plus souvent au désastre. Sélectionner les faits pour confirmer une opinion est apparemment devenu excusable dans les médias, au vu de ce que j'ai constaté ces dernières années (les archives de ce blog sont éclairantes, tout comme le manque de conséquences des manquements décrits), mais la communauté scientifique est tenue de suivre des pratiques irréprochables, en vertu de la nécessité de vérifier les travaux rendus publics et d'en reproduire ou d'en valider les résultats. Or, toute l'affaire du réchauffement climatique montre exactement l'inverse : des affirmations fracassantes érigées en vérités absolues, malgré des recherches fragmentaires et biaisées, et une lutte acharnée contre toute contestation.

Le fameux « consensus » prêté à la communauté scientifique au sujet du réchauffement planétaire et du rôle de l'homme, alors que l'unanimité n'a aucune place dans la science et lui est même contraire, est aujourd'hui démasqué par ces révélations. Il y a bien eu une collusion entre scientifiques, journalistes et politiques pour forger une nouvelle cause planétaire, les premiers fournissant les « faits », les seconds les assénant au public et les troisièmes orientant les décisions en conséquences (tout en finançant les premiers afin qu'ils poursuivent leurs recherchent dans ce sens, et tout en bénéficiant du soutien des seconds pour leurs orientations). Alors que la science est faite de doutes permanents, de théories provisoires, et d'errements sans cesse corrigés, on a tenté d'en faire un argument imparable pour nous clouer le bec. Quelle misère !

Ce qui est à la fois désastreux et scandaleux, alors même que l'homme a effectivement un impact majeur sur l'environnement et qu'il peut détruire par son ignorance des écosystèmes locaux, c'est qu'aujourd'hui l'on se retrouve avec sur les bras une idéologie collectiviste et autocratique qui n'a aucune chance de mieux fonctionner que toutes celles qui l'ont précédée au siècle dernier. Alors qu'une approche rationnelle et honnête aurait permis de conjuguer écologie et économie, respect de l'individu et respect de l'environnement, les croisés du réchauffement par la faute de l'homme ont pollué - c'est le mot - tellement d'esprits qu'il faudra longtemps pour atténuer la polarisation du débat et retrouver une vision plus juste, plus saine et surtout plus humble des problèmes climatiques, et donc de leur perception comme de leurs implications politiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h18

15 novembre 2009

Islamistes et féministes, même combat ?

Ce titre provocateur m'est venu à l'esprit en lisant cet article du Matin, consacré aux punitions qui sont infligées aux femmes somaliennes voulant porter des soutiens-gorges :

L'affaire a été confirmée dernièrement par un chef du mouvement fondamentaliste. Il a expliqué que ce sous-vêtement est anti-islamique, impur et offensant. «Les islamistes disent que la poitrine d'une femme doit être ferme naturellement, ou bien plate», a expliqué au journal africain Gabon Eco la mère d'une fille punie sévèrement en octobre par les extrémistes.
Convaincus que le port du soutien-gorge va à l'encontre de l'enseignement de l'islam, des militants d'Al-Chabab ont fouetté ces derniers jours en public plusieurs femmes qui portaient ce sous-vêtement. Selon eux, «le soutien-gorge trompe sur l'état naturel des seins, accentue les formes féminines et suscite des désirs sexuels». Les miliciens multiplient donc les points de contrôle pour exiger des femmes qu'elles sautent et secouent le torse, pour vérifier si les seins bougent naturellement...
[,,,]
Selon plusieurs témoins, les gardiens de la charia brûlent leurs trophées en public pour «donner l'exemple».

Un tel comportement ne peut que rappeler les récriminations des féministes à l'endroit des soutiens-gorges dans les années 70, même si l'autodafé de ceux-ci n'est qu'une légende urbaine : cet accessoire est perçu comme un objet de séduction oppresseur, confinant les femmes à un rôle imposé par la société. Le rejet du soutien-gorge reste d'ailleurs encore pratiqué de nos jours par des tenantes du féminisme pour des raisons inchangées, même si l'on peut trouver des arguments thérapeutiques pour fonder une approche similaire (le site en question n'est pas consultable en milieu professionnel).

Qu'y a-t-il de commun entre les islamistes et les féministes ? Les uns comme les autres s'opposent à la dimension séductrice de la femme, au moins dans un espace public. La cristallisation de leur rejet sur le soutien-gorge s'explique a priori par l'effet de celui-ci sur la silhouette féminine, encore que son absence puisse avoir, selon les circonstances, un effet similaire ou même accru. En tout état de cause, ces démarches visant à diaboliser une pièce de lingerie ou à lui prêter des visées tyranniques sont donc avant tout liées à la perception des relations entre hommes et femmes et à la place de celles-ci dans la société. Que l'on souhaite en faire des êtres inférieurs ou égaux, la négation de leur prééminence sexuelle est similaire.

Il va de soi que la culture audiovisuelle contemporaine, fondée largement par la libération des mœurs, place au premier plan de manière systématique - et parfois abusive - cette dimension séductrice. Pourtant, les affiches géantes pour les marques de lingerie qui ornent nos villes ne suscitent plus guère de remous par la semi-nudité qu'elles impliquent, par le désir qu'elles fouettent, mais bien par la perfection plastique et morphologique qu'elles scandent. Les femmes d'aujourd'hui veulent être séduisantes (ce qui n'est pas la même chose que séduire), bien qu'une partie d'entre elles contestent l'idéal inatteignable qu'on leur présente, et auquel les troubles de l'alimentation comme les retouches informatiques ne sont pas toujours étrangers.

Ce que les islamistes comme les féministes savent et redoutent, c'est que la femme a toujours tiré une puissance considérable de sa capacité de séduction, de l'empire que son corps lui donne sur les hommes (combien de décisions cruciales ont été prises pour une belle paire de seins ?). Les uns veulent donc briser cette puissance dangereuse et incontrôlable en plaçant la femme sous tutelle, en réduisant son impact à l'espace domestique, sous la coupe de l'homme ; les autres veulent que la femme ressemble à l'homme pour être son égale, qu'elle soit jugée selon les mêmes critères, et ce faisant la privent de ce qui la rend digne d'être à la fois aimée, désirée et respectée. Tant il est vrai qu'une femme peut être à la fois compagne, amante et mère.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h44

21 octobre 2009

L'étrange notion de bourbier

S'il est un mot qui revient avec une régularité de métronome à propos des conflits armés contemporains, c'est bien celui de bourbier. Référence immédiate et convenue au conflit du Vietnam (le mot en anglais, "quagmire", étant encore plus parlant), cette notion a depuis été appliquée indifféremment à la Somalie, à la Bosnie, dans les années 90, et bien entendu de nos jours à l'Irak comme à l'Afghanistan. On désigne ainsi une armée qui s'embourbe, qui s'enfonce, une opération qui va de mal en pis, un désastre en marche et dont l'interruption relève de l'évidence, quoi qu'en disent les cloportes galonnés qui s'en font les avocats.

Il est vrai que les militaires ont puissamment contribué à ce cliché en empoignant de manière hyper conventionnelle des conflits qui ne l'étaient pas, en promettant sans cesse des victoires insaisissables, en affirmant que la lumière était au bout du tunnel sans pouvoir apparemment s'en approcher. Rechercher l'affrontement décisif sur le champ de bataille alors que les centres de gravité sont ailleurs est une méthode éprouvée pour épuiser ses propres ressources, à commencer par son soutien populaire et politique (pour une démocratie). A employer des moyens lourds et des méthodes pesantes sur des sables mouvants, on s'enfonce inexorablement.

Il est également vrai que certaines guerres éclair (Guerre des Six Jours entre Israël et ses voisins en 1967, 100 heures de combats terrestres contre l'Irak en 1991) ont entretenu l'illusion que l'emploi des armes peut aboutir promptement à un résultat décisif, alors que cela suppose un adversaire militaire acceptant le combat symétrique. Mais dès lors que la victoire passe par l'adhésion des populations, c'est un travail en profondeur qui s'impose, avec d'une part une lente déstabilisation, un isolement progressif de l'adversaire, et d'autre part une intégration toujours plus poussée de ses propres forces dans l'environnement sociétal qu'elle sont chargées de défendre, de protéger ou de normaliser.

La notion de bourbier n'a donc pas de sens ; une opération de basse intensité se déroule forcément au ralenti, et l'absence de victoire immédiate n'est pas synonyme d'échec. Les armées contemporaines restent encore mal outillées, sur le plan des doctrines, des structures et des moyens, pour relever de tels défis, mais il en a toujours été ainsi ou presque ; cela n'a pas empêché les insurrections, guérillas et autres mouvances non conventionnelles de régulièrement mordre la poussière face à un adversaire certes plus fort, mais surtout plus intelligent et plus flexible qu'eux. Il n'y a pas de sables mouvants pour qui accepte de se plonger dans un environnement conflictuel et d'y rester le temps qu'il faudra.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h38 | TrackBack

12 octobre 2009

Une planète qui ne se réchauffe plus

On le sait, ces dernières années, les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ont été acclamés comme les preuves ultimes de l'origine humaine du réchauffement climatique. Ces conclusions scientifiques, présentées comme faisant l'objet d'un consensus unanime, ont ensuite été utilisées pour promouvoir au niveau international comme national différentes démarches éminemment politiques au titre du "développement durable". Et ceci même ce consensus n'a jamais été qu'une façade dissimulant mal la nature même d'une communauté scientifique, dont la mise en doute des théories comme des modèles est consubstantielle.

Un nouvel élément est à porter à ce dossier, à savoir le fait que le réchauffement climatique est maintenant en panne depuis 11 ans :

"This headline may come as a bit of a surprise, so too might that fact that the warmest year recorded globally was not in 2008 or 2007, but in 1998.
But it is true. For the last 11 years we have not observed any increase in global temperatures.
And our climate models did not forecast it, even though man-made carbon dioxide, the gas thought to be responsible for warming our planet, has continued to rise."

Ce démenti cinglant au fameux modèle dit de la crosse de hockey ne doit bien entendu pas être interprété avec autant de malhonnêteté que les thuriféraires de la fin du monde imminente : une observation empirique peut fonder une théorie nouvelle ou modifiée des mécanismes naturels, mais pas une orientation idéologique affectant jusqu'à la place de l'homme sur la planète. En d'autres termes, un arrêt du réchauffement climatique ne change rien au caractère néfaste de certaines activités humaines et à la nécessité de mieux les contrôler ; elle ne justifie pas un "après moi, le déluge" qui a défini le fonctionnement des sociétés industrialisées pendant l'essentiel du XXe siècle.

La fin du monde par la hausse du niveau des mers reste néanmoins une spéculation intéressée, et pas un constat soutenable.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h04

9 octobre 2009

Le prix Nobel de l'apaisement

L'attribution du prix Nobel de la paix 2009 à Barack Obama est l'un de ces événements qui montrent à quel point certains esprits laissent leurs inclinations teinter et gauchir leur perception du monde. Apparemment, il n'était pas possible au jury norvégien d'attendre qu'Obama fasse quelque chose avant de lui décerner cette récompense, dont le prestige est certes bien terni ; il fallait bien maintenant montrer à quel point l'élection du personnage annonçait à elle seule une ère nouvelle, une promesse de paix imminente, à l'opposé des 8 années précédentes de la présidence américaine.

Je pense que mon analyse de novembre 2008 expliquant la perception d'Obama par celle de Bush reste valable dans son diagnostic :

"Il est un aspect frappant du manichéisme médiatique qui retient l'attention : alors que depuis presque 8 ans George W. Bush est présenté comme le summum de la bêtise, de l'obscurantisme et de la haine, en bref comme la source de tous les maux, Barack Obama a rapidement été paré des attributs propres à l'intelligence, à la modernité et au respect, étant même érigé en symbole de tout ce que l'Amérique a de bien. D'un côté le Mal (et pas malin, en plus !) et de l'autre le Sauveur. Faut-il donc s'étonner qu'au lendemain de son élection certains de nos médias se demandaient si Obama pourra sauver le monde ?
Cette rhétorique messianique, qui justifie tous les raccourcis et tous les accommodements avec la réalité pour atteindre l'hagiographie, est ainsi le syndrome inverse de la diabolisation de Bush et consorts. Il lui succède de façon logique : pour tirer un trait définitif sur un Mal épouvantable, il fallait un Bien hors du commun - et peu importe que ce dernier doive beaucoup à l'imaginaire et s'applique à un homme dont finalement on ne sait pas grand chose. Le délire anti-Bush a mené à l'adoration pro-Obama."

Nous ne sommes pas encore sortis de cette phase pathologique, au vu de ce prix Nobel déconnecté du monde réel. Peu importe que le bilan de l'administration Obama en matière de paix internationale soit pour l'instant égal à zéro : cela ne peut être qu'un état tout provisoire. Peu importe que le mythe Obama repose sur les apparences, et que derrière se cache une machinerie politique et financière particulièrement rouée : les juges norvégiens se satisfont des promesses. Obama a été élu pour ce qu'il paraît être, et c'est sur la base de ses discours, de ses écrits ou des apparitions qu'il est "jugé". Les actes ne comptent pas.

A tout prendre, le jury du prix Nobel aurait pu mentionner que la Suisse s'est fortement engagée pour le rétablissement - désormais imminent - des relations diplomatiques entre la Turquie et l'Arménie, une initiative qui contribue effectivement, quoique de façon modeste, à la paix dans le monde. Mais ce n'est pas cette paix, faite de labeur discret et modeste, d'écoute et d'obstination, qui intéresse les bien-pensants d'Oslo : la paix qu'ils ont choisi de récompenser sur la scène internationale n'est autre que celle distillée par Barack Obama dans leur propre esprit.

Mais ce prix Nobel de l'apaisement ne sera pas de tout repos...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h10

15 octobre 2007

La forme au lieu du fond

Le prix Nobel de la Paix décerné à l'ancien vice-président américain et au GIEC pour leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique est sans doute révélateur d'une tendance de notre temps à privilégier le plus souvent la forme au fond. Nul besoin d'être grand clerc pour constater que l'action fracassante d'Al Gore ne relève pas de la science, au vu des énormes erreurs qui l'entachent, mais bien de la politique. Pourtant, ce n'est pas cela qui a dissuadé le comité Nobel de mentionner la "connaissance scientifique" pour justifier son choix, alors que ce dernier est lui aussi motivé par des raisons politiques. Un peu comme s'il était malgré tout impossible de dire que ce prix n'est que l'expression d'une conviction et le soutien à une action, comme s'il fallait tant bien que mal enrober le tout d'une caution rationnelle.

En soi, le prix Nobel de la Paix n'est bien entendu que le parent pauvre d'une démarche au demeurant louable, et parmi ses ratages les plus complets figure celui décerné en 1994 à Yasser Arafat (auteur d'une instrumentation monstrueuse du terrorisme comme moteur sociétal) et à Shimon Peres (initiateur du programme nucléaire israélien au mépris de la non-prolifération). On pourrait en citer bien d'autres, notamment ces dernières années. Cependant, cet élargissement spectaculaire de la paix à l'activisme contre le réchauffement climatique, alors que le lien entre les deux est précisément difficile à établir, montre que l'apparence prend clairement le pas sur la substance. Et l'outil médiatique qu'est devenu ce prix peut désormais être utilisé fort librement (on verra d'ailleurs s'il aura un effet sur la campagne électorale américaine, puisque l'on disait Al Gore tenté par une nouvelle tentative en cas de Nobel de la Paix).

Somme toute, l'ancien candidat à la présidence aurait pu raconter que des vagues de 100 mètres de haut allaient déferler sur nous, que des pays entiers allaient s'effondrer sous l'action déchaînée des eaux, que tout un pan de la vie terrestre allait se noyer, cela n'aurait pas changé grand chose à la démarche - et ne lui aurait guère valu moins de soutien. Après tout, si l'on peut exagérer d'un facteur 17.5 certaines prévisions "scientifiques" sans passer pour un charlatan, c'est bien que l'intérêt est ailleurs. Dans son propos millénariste, Al Gore dépasse en effet le discours rationnel et recours à des accents apocalyptiques qui relèvent du transcendant, des peurs profondément ancrées en nous, en même temps que de la repentance qui accompagne notre prospérité. En cumulant catastrophe et culpabilité, en juxtaposant évolution climatique et revendication politique, Gore ne fait que recycler (si j'ose dire) une approche rhétorique antédiluvienne (si j'ose... bis).

Sincérité plus que vérité, conviction plus que raison : nous revoilà dans une forme de superstition qui exclut le doute propre à toute démarche scientifique digne de ce nom. Et ce prix Nobel de la Paix, qui représente une adhésion et non une récompense, n'est que la partie émergée (si... ter) d'une dérive sous-jacente qui ne peut rassurer.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h28 | Comments (267) | TrackBack

27 septembre 2007

Le conformisme des faits divers

Avec l'enterrement de la petite Ylenia, un fait divers qui a tenu des semaines durant le public suisse en haleine entame sa marche vers l'oubli. On en parlera encore pendant quelques années, à l'occasion, mais il n'y aura probablement plus de première page dans la presse de boulevard, plus de critiques acerbes adressées directement au Conseil fédéral, plus de polémique sur l'efficacité de la police à retrouver des corps. Les cris les plus stridents, surfant sur la vague d'émotions, ont déjà révélé leur nature éphémère. Et toute une série d'autres faits divers, plus ou moins prenants, plus ou moins tragiques, attendent de prendre la relève et de distraire le public apparemment de la façon la plus innocente qui soit, puisqu'ils sont bien réels. Même s'ils sont gonflés au-delà de toute proportion logique.

L'affaire Ylenia est évidemment un drame qui mérite empathie et respect, mais chaque affaire de ce type ne devrait pas être montée en épingle comme un fait national. Les moyens considérables engagés dans la recherche de son cadavre (même l'armée y a contribué avec hélicoptères et troupes au sol) ou les exigences pour un système d'alerte en cas d'enlèvement sont-ils vraiment proportionnels avec l'importance du ou des cas considérés ? Le propre d'un fait divers reste d'être placé sous les feux de la rampe sans guère de relativisation, mais les autorités n'ont-elles pas pour mission de se prémunir contre toute émotivité déplacée et de priviliégier en toute chose l'intérêt général ? Les actions d'un psychopathe suicidaire en liberté étant par définition parmi les plus difficiles à empêcher, pourquoi ne pas au contraire prendre des mesures en amont et mettre plus sûrement de tels individus hors d'état de nuire ?

Ceci nous amène à la réalité des faits divers : alors qu'un événement peut être perçu de différentes manières et susciter des réflexions opposées, il est souvent traité et vendu par la presse d'une manière unique et conformiste, correspondant aux réflexes et aux convictions des rédactions. Il suffit de voir le désintérêt général, à quelques fameuses exceptions près, pour les faits divers impliquant des catégories privilégiées par les médias, tels que les ressortissants étrangers en situation irrégulière. L'affaire Ylenia s'est rapidement imposée par son caractère sordide, par l'opposition entre le visage angélique de la victime et le comportement supposé de son assassin, mais n'importe quel fait divers reposant sur un drame humain peut très bien être pareillement monté en épingle. L'attribution possible des rôles entre coupable et victime étant à mes yeux une variable essentielle en la matière.

Lorsque je parle de distraction, enfin, j'ai bien en tête la surface informative qui aura été investie dans cette affaire et qui n'a pas servi à autre chose. Il est bien clair que nous ne pouvons pas passer notre temps à nous nourrir uniquement d'informations "sérieuses", mais les excès de ce genre amènent à s'interroger. Combien de sujets graves n'ont pas été abordés ou identifiés parce que l'on s'est focalisé sur le sort d'une petite fille de 6 ans présumée morte presque dès le début de l'affaire ? Quelles peuvent être les conséquences à long terme d'une information publique conçue comme un spectacle individualisé et émotionnel sur notre compréhension des enjeux de notre vie, de notre société, de notre pays ? Et pourquoi nos autorités, même celles qui ne sont pas survoltées par les affres de la réélection (c'est-à -dire le Conseil fédéral), se sentent-elles obligées de jouer ce jeu inconséquent ?

Posted by Ludovic Monnerat at 6h54 | Comments (9) | TrackBack

19 septembre 2007

Rambo contre Robocop

Amusant compte-rendu, aujourd'hui dans Le Matin, de la manifestation anti-Blocher qui a eu lieu hier en parallèle au Comptoir suisse. L'auteur a de toute évidence un peu de mal avec les références cinématographiques :

Entre 18h 30 et 20h, les casseurs jouent avec les forces de l'ordre. A Beaulieu, tout d'abord, ils brisent des vitres en plexiglas, mais n'arrivent pas à pénétrer dans l'enceinte, protégée par quelque 50 policiers en tenue de Rambo. Les casseurs reculent, mais ne se découragent pas. Ils mettent le feu à des poubelles et balancent plusieurs dizaines de bouteilles en verre sur les forces de l'ordre. Pendant vingt minutes environ, ces dernières ne bougent pas. Puis elles décident d'avancer, lentement, pour éloigner les casseurs.
[...]
Selon notre estimation, une dizaine de casseurs ont ainsi été arrêtés. «Je n'ai rien fait, je n'ai rien fait, je vous le jure», crie un casseur alors que trois policiers le neutralisent au sol. «Tu as fait des conneries, il faut les assumer», lui répond le Rambo avant de l'embarquer. Vers 20h, alors que les pompiers sortent les lances à eau à la Riponne, les casseurs rangent les cagoules et les casquettes, changent de pull et se transforment en gentils petits écoliers. La récréation est terminée.

Est-ce que vraiment la police lausannoise s'est parée des atours de Rambo, ou est-ce que Robocop n'est pas plutôt l'image pour décrire la tenue anti-émeute ? On imagine assez mal les casseurs s'amuser très longtemps à défier des hommes équipés de mitrailleuses, de grenades et de lance-roquettes, sans parler des couteux de jungle !

Bien moins amusantes en revanche sont les déclarations publiées sous l'article, ou comment des politiciens nous jouent le grand frisson du fascisme et du nazisme sans une seule fois entrer en matière sur les thèses, pourtant populaires, de l'UDC...

Posted by Ludovic Monnerat at 6h09 | Comments (11) | TrackBack

12 septembre 2007

Comme un vent de folie

24HeuresBurki.jpg

L'Union Démocratique du Centre, parti de droite nationaliste dont la figure de proue reste le Conseiller fédéral Christoph Blocher (je précise pour les lecteurs peu au fait du microcosme politique suisse), n'a pas son pareil pour faire perdre la boule à ses adversaires. Regardez le dessin ci-dessus, publié aujourd'hui par 24 Heures, et qui associe ouvertement Blocher au nazisme : comment peut-on en parvenir à de telles extrémités ? Comment un quotidien grand public et son dessinateur Burki peuvent-ils traiter de nazi un membre du Gouvernement pour la simple raison qu'il ne partage pas leurs opinions et poursuit avec méthode une politique diamétralement opposée ? A croire que la presse suisse souffre toujours plus d'une sorte de Blocher Derangement Syndrome étrangement similaire au BDS original.

Sur Commentaires.com, Philippe Barraud décrit avec justesse ce phénomène régulièrement discuté par ici :

Dans une conception traditionnelle (et probablement dépassée) de la presse, les journalistes rendent compte de ce qui se passe, donnent la parole aux uns et aux autres, et s'efforcent de ne pas prendre parti, ni davantage de place que leurs interlocuteurs.
Journalisme d'un autre âge! L'immersion quotidienne dans les médias démontre ad nauseam à quel point le militantisme a remplacé la froide analyse, à quel point la haine peut faire écrire - pardonnez-nous - des conneries monumentales même à des éditorialistes d'hebdomadaires ordinairement versés dans le people anodin.
Il faut bien admettre malheureusement que même la presse réputée sérieuse se laisse aller. Rendant compte (façon de parler) de la conférence de presse de l'UDC du 11 novembre [septembre], Le Temps titre: «L'UDC est en pleine crise paranoïaque.» Certes, cela a un côté pratique pour le lecteur, qui a le commentaire avant d'avoir, éventuellement, l'information. D'ailleurs, à quoi bon l'information? L'opinion convenue du journaliste est bien plus importante que ce que les politiciens avaient à dire - d'ailleurs, c'étaient des UDC, donc inutile de les écouter...
Ce 12 septembre, le dessinateur Burki n'hésite pas à parer Christoph Blocher d'une croix gammée, ce qui constitue un autre dérapage déplorable (et peut-être un délit), aussi bien de la part du dessinateur que de sa direction. Mais à quoi bon se gêner? Tout le monde se lâche, car il faut à tout prix faire voir dans quel camp on est.

Ce vent de folie ne semble donc épargner personne ou presque. Et derrière les glapissements que multiplie la polémique, il y a fort à parier que c'est une fois encore l'UDC, en phase avec une grande partie de la population suisse et choisissant un terrain tabou (la criminalité des étrangers), qui va empocher des voix supplémentaires au vu du traitement inégal ou injuste que lui réservent les médias. Alors même que l'UDC manque singulièrement de pertinence sur le plan de la politique étrangère, où elle a déjà plusieurs fois subi l'échec populaire, et ses conceptions en la matière ne sont guère adaptées aux défis contemporains, spécialement sous l'angle militaire...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h51 | Comments (113) | TrackBack

11 septembre 2007

Alerte média : la RSR (10)

J'ai été invité ce matin à participer à l'édition du Grand 8, qui portait sur la guerre cybernétique, mais qui a également consacré du temps à la situation en Irak sous l'angle américain, au risque de récession de l'économie américaine ainsi qu'à l'Organisation des Nations Unies. Il est un peu dommage qu'aucune place n'ait été laissée au débat sur ce dernier sujet, car la légitimité de l'ONU et de ses actes au regard de la démocratie directe mériterait précisément des opinions autres que la vision cosmopolite des thuriféraires du "machin"... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 20h35 | Comments (6) | TrackBack

26 août 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h02 | Comments (61) | TrackBack

Une guerre de retard ou d'avance ?

Les résultats de l'enquête d'opinion annuelle menée par l'EPFZ, "Sécurité 2007", ont été rendus publics cette semaine. S'ils contiennent plusieurs paradoxes au sujet de l'armée, dont une propension à séparer l'outil militaire de ses prestations, ils ont été rapidement exploités par les médias pour revenir sur un thème actuel, la nécessité ou non de l'armée de milice. Mais il est intéressant de voir comment certains journalistes, à l'exemple d'Antoine Grosjean dans 24 Heures, abordent les problèmes de sécurité les plus graves :

Le monde politique suisse a-t-il une guerre de retard? Alors que l'opinion publique remet de plus en plus en cause les principes de l'armée de milice et de l'obligation de servir, le parlement élude pour l'instant ces questions. Les élus sont-ils vraiment en phase avec la population?
Selon l'étude annuelle «Sécurité 2007», publiée hier par l'EPFZ et l'Académie militaire, une majorité de Suisses seraient favorables à une armée de métier plutôt qu'à une armée de milice. Cette dernière ne convainc que 44% des 1200?personnes sondées, un taux en baisse de 7% par rapport à l'année dernière. De l'autre côté, 47% des sondés veulent une professionnalisation de l'armée (+1%). Cela fait deux ans que cette opinion est majoritaire.

Commençons déjà par une mesure de probité intellectuelle : comme écrire que l'opinion est depuis 2 ans majoritaire en faveur de l'armée de métier, alors que les chiffres de l'an dernier étaient de 51% pour la milice, n'a pas vraiment de sens ; disons plutôt que l'auteur a voulu dire que c'est la deuxième fois que l'enquête fournit une opinion davantage en faveur de la professionnalisation, sans pour autant que l'on puisse parler de majorité. Il serait d'ailleurs légitime de s'interroger sur les variations de ces chiffres en la matière, par exemple pour savoir si les jeunes hommes aujourd'hui astreints au service ont une influence sur ce processus, et donc si cette évolution pourrait être un barême de satisfaction interne.

Toutefois, le plus intéressant est cette question, savoir si la classe politique suisse n'a pas une "guerre" de retard sur la base d'une enquête d'opinion. Si on entend par guerre la lutte des idées faisant partie du débat démocratique, cela n'est bien entendu pas le cas, puisque certains partis jouent depuis des années la carte de la professionnalisation comme d'un atout électoral. Mais Antoine Grosjean veut probablement dire ici autre chose, puisque l'expression guerre de retard vise à mettre en cause un passéisme criant par rapport à l'évidence de l'armée de métier. Or il se trouve que la guerre n'a rien à voir avec ce raisonnement : ce n'est pas sur la base de l'appréhension des conflits futurs que la forme du service est évaluée, mais bien sur l'état actuel de l'opinion publique en février 2007. Ou comment répondre aux guerres de demains par les idées d'hier.

L'abus de lieux communs et la superficialité dont souffrent cet article sont révélateurs d'une démarche aujourd'hui majoritaire dans les médias et dans la classe politique, celle consistant à refuser de considérer l'incertitude de l'avenir pour fonder les décisions dans le domaine militaire. Il est bien entendu plus facile de réagir émotionnellement à l'obligation de servir et de plaindre les "pôvres" jeunes qui doivent suer sous l'uniforme que de poser la question d'une stratégie nationale en matière de sécurité, que d'analyser l'équilibre entre les missions, les moyens et les méthodes de l'armée pour défendre le pays et sa population. De ce fait, sans se prononcer sur le fait que la classe politique suisse a une guerre de retard ou d'avance, on peut sans grand risque affirmer que les médias sont bien partis pour les manquer toutes, quelles qu'elles soient.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h03 | Comments (14) | TrackBack

20 août 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, 4 articles ont été mis en ligne ces derniers jours :


Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h10 | Comments (52) | TrackBack

7 août 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h31 | Comments (4) | TrackBack

4 août 2007

La manipulation via l'auto-publicité

BlickRisiko.jpg

En parcourant rapidement le Blick, dans son édition électronique, je suis tombé sur une page décrivant un accident de la circulation impliquant des militaires qui, à sa droite, avait une animation auto-publicitaire comportant en particulier l'image ci-dessus. Et je n'ai pas manqué de trouver saisissant le raccourci "fusil d'assaut = risque", comme si un seul mot conçu pour toucher était en mesure de résumer le sujet, comme si cette composante importante de l'armée de milice se résumait à un danger pour chacun, et comme s'il y avait parfaitement lieu d'en tirer un argumentaire publicitaire ! On a beau me dire que le Blick relève de la presse de boulevard, voire de caniveau, une méthode de ce genre appliquée à la politique de sécurité comporte tout de même une certaine subversion.

Cette utilisation des images animées, qui s'approche du subliminal, m'a même fait penser à ce film loufoque de John Carpenter où le héros se rend compte que les panneaux publicitaires et autres messages ont un sens caché et convergent. On pourrait ainsi voir dans ce mot balancé sans crier gare, "Risiko", un résumé des innombrables articles écrits dans ce journal au sujet de l'arme de service à domicile, un mouvement médiatique qui a déjà abouti à la décision politique de retirer les munitions de poche et qui ne devrait guère s'arrêter là . J'attends de voir si le Blick fera des affiches géantes de sa nouvelle campagne et les placardera dans les rues ou les transports publics avant de juger définitivement le caractère subversif et émotif de ses signifiants politiques...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h39 | Comments (18) | TrackBack

31 juillet 2007

Le dernier numéro de la RMS

Ces derniers jours, les abonnés de la Revue Militaire Suisse ont reçu le quatrième numéro de l'année, consacré notamment à la violence infraguerrière, à l'ordre public, au droit international et aux systèmes de commandement. Pour recevoir gratuitement un exemplaire à titre d'essai ou s'engager dans un abonnement, il suffit de quelques clics par ici !

De plus, 3 articles ont été récemment mis en ligne :

Enfin, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h15 | Comments (41) | TrackBack

25 juillet 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h21 | Comments (12) | TrackBack

21 juillet 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h33 | Comments (8) | TrackBack

20 juillet 2007

La dernière minute de Tony

LastMinute.jpg

Lors de mon récent séjour à Londres, en pleine passation de pouvoir au 10 Downing Street, une société spécialisée dans les voyages réservés à très brève échéance a eu l'idée ingénieuse de monter des stands publicitaires et de demander aux passants de bien vouloir écrire ce que, à leur avis, Tony Blair devrait faire avec sa dernière minute au pouvoir. Voici quelques réponses lues à cette occasion :

On rigole bien chez les rosbifs...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h28 | Comments (2) | TrackBack

19 juillet 2007

La fin d'un scandale estival

Le scandale de l'été lancé la semaine dernière par la presse de boulevard a fait long feu : avec les déclarations tranchées de l'un des survivants de l'accident qui a coûté la vie jeudi dernier à 6 militaires dans l'Oberland bernois, les accusations d'incompétence, d'autoritarisme ou d'inconscience adressées à l'armée sont mal en point, et le soufflé n'a pas tardé à retomber. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si un Peter Rothenbühler bien peu inspiré, aujourd'hui dans Le Matin (pas de lien disponible), a contesté la crédibilité de l'appointé-chef Perusset : les déclarations du jeune spécialiste de montagne, témoin privilégié, viennent gripper la machinerie médiatique consistant à exploiter l'émotion populaire issue d'un drame. Et critiquer la communication de l'armée, qui a bon dos, n'est qu'un pis-aller. Le pilori va être rangé sans victime, et l'actualité va retrouver son rythme alangui.

Dans les faits, il faudra attendre la fin de l'enquête pour connaître la vérité sur cet accident, et donc en esquisser avec certitude les responsabilités : les déclarations du temoin susmentionné vont clairement dans le sens jugé probable, mais elles ne suffisent pas. La fin de la cabale médiatique et des allégations gratuites, parfois non dénuées d'intérêts propres (comme certains guides civils très critiques, et qui depuis quelques temps se plaignaient de ne plus recevoir de l'armée autant de mandats), risque hélas de précipiter le sujet dans les oubliettes, alors qu'il serait intéressant de revenir sur les comportements des uns et des autres dans les heures qui ont suivi le drame. Notamment pour voir comment les médias traditionnels, malgré leurs prétentions qualitatives, tombent à répétition dans le piège des informations partielles et biaisées. Et donc sont à la merci de la confusion comme de la manipulation.

Les scandales de l'été, qui prennent généralement au dépourvu une administration fédérale à moitié en vacances, ont déjà accouché de grandes comédies ; on se souvient en particulier de l'affaire Bellasi, épisode tragi-comique par excellence qui a régenté toute la vie politique pendant 8 jours, et qui aura fait porter d'injustes soupçons sur de grands serviteurs du pays. Il avait alors suffi d'une volonté exagérée de transparence et d'une maladresse sémantique pour offrir la possibilité de jouer sur les fantasmes de toute une frange de la société lorsque l'on mélange l'armée, le secret et le pouvoir. Force est d'admettre que les mêmes mécanismes restent aujourd'hui à l'affût, guettant la bonne affaire pour faire couler l'encre et augmenter l'audience, tout en plaçant quelques jalons idéologiques longtemps médités.

Dommage que les véritables questions de fond fassent toujours les frais de ces affaires exagérément montées en épingle...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h21 | Comments (6) | TrackBack

18 juillet 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, 5 articles ont été mis en ligne ces derniers jours :


Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h54 | Comments (34) | TrackBack

Secret défense à découvrir

Un tout nouveau blog mérite d'être suivi : celui créé par Jean-Dominique Merchet, le journaliste spécialisé dans les questions de défense de Libération. Les sites francophones consacrés à la chose militaire étant rares, et celui-ci paraissant prometteur, je me permets de le signaler derechef !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h21 | Comments (2) | TrackBack

16 juillet 2007

Deux poids, deux mesures

Près de deux mois après le début des combats entre l'armée libanaise et une milice islamiste palestinienne dans le camp de Nahr al-Bared, qui ont fait au moins 220 morts (dont 100 militaires libanais et 80 combattants islamistes), il vaut la peine de s'intéresser à la perception de cet événement.

La prise d'un secteur urbain fortifié de façon progressive est certainement l'une des opérations militaires offensives les plus difficiles qui soient. Les pertes très élevées subies par l'armée libanaise, certes peu entraînée à ce type d'engagement, en témoignent. Pourtant, ce n'est pas faute d'employer des moyens lourds : un feu indirect soutenu, avec entre 5 et 10 obus d'artillerie par minute dans le camp, un feu direct également important avec des chars de combat et des pièces antichars, des véhicules blindés transporteurs de troupes, ont tous contribué à des destructions considérables. Sans que les combattants islamistes ne soient pour autant contraints de cesser le combat, mais aussi sans que le Gouvernement libanais perde sa liberté d'action sous la pression internationale.

Cet investissement d'un camp de réfugiés palestiniens occupé par des combattants rappelle en effet celui d'un autre camp, à Jénine, lors de l'opération israélienne "Bouclier Défensif" au printemps 2002. A l'époque, une partie des médias avait repris les cris au massacre de Jénine, une grossière manipulation visant à qualifer de génocidaire une opération militaire au contraire précise et ciblée qui ne fera que 79 morts, dont 23 soldats israéiens et une majorité de combattants palestiniens. La pression médiatique sera d'ailleurs suffisante pour que l'ONU décide de former une commission d'enquête afin de vérifier les accusations de massacre, qui mettront environ un mois avant d'être entièrement démenties. D'autres démarches similaires ont également eu lieu ces dernières à propos d'autres opérations offensives israéliennes.

Rien de tout cela ne se produit aujourd'hui au Liban : la destruction même partielle d'un camp de réfugiés palestiniens par l'armée libanaise, avec son fardeau inévitable de dommages collatéraux, n'éveille pas la moindre accusation de force disproportionnée ou de génocide délibéré. Pourtant, les Israéliens n'ont pas employé d'artillerie à Jénine, au contraire des Libanais à Nahr al-Bared, une arme qui offre une précision très douteuse en milieu urbain non seulement par l'absence de munition guidée, mais également par ses trajectoires peu adaptées. Il n'est donc pas difficile d'en conclure que l'on assiste là à un bel exemple de ce traitement partiel et partial qui entache souvent la production médiatique, et que ce dernier serait bien différent si les forces attaquantes étaient israéliennes ou américaines. J'en veux d'ailleurs pour preuve que les Palestiniens n'ont guère tenté de mobiliser l'opinion publique occidentale à coups de manipulations médiatiques, contrairement à une pratique éprouvée.

Deux poids, deux mesures, et une leçon : laisser faire le sale travail à des forces locales, que ce soit au Liban, au Pakistan, en Somalie ou en Irak, est un avantage énorme pour les armées occidentales et leur redonne la liberté d'action perdue par la perception biaisée de leurs propres médias.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h19 | Comments (21) | TrackBack

15 juillet 2007

L'armée aux prises avec la victimitude

L'accident de haute montagne survenu voici 3 jours est l'un des plus graves subis par l'armée suisse ces dernières décennies. Il a également déclenché l'accès de victimitude le plus virulent, symbole d'une société malade du risque zéro et du maternalisme.

...

La suite ici !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h11 | Comments (66) | TrackBack

13 juillet 2007

Le blog de Phil

Un nouveau blog devrait ravir ceux qui s'intéressent aux questions théologiques et philosophiques (et je sais qu'il y en a par ici !) : le blog de Phil, autrement l'espace de dialogue ouvert par l'abbé Philippe Chèvre, le curé de la paroisse catholique de langue française en ville de Berne. Les récentes déclarations et décisions du pape, entre autres, y sont abordées. Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 9h16 | Comments (2) | TrackBack

9 juillet 2007

Le prix sanglant des otages (5)

Rien de nouveau sous le soleil : selon ces informations, le journaliste de la BBC Alan Johnston aurait été libéré contre une rançon de 5 millions de dollars et d'un million de cartouches pour Kalachnikov. C'est le premier chiffre qui apparaît sur cette affaire, mais il semble relativement cohérent avec les sommes versées pour libérer d'autres otages, comme les journalistes de Fox News Steve Centanni et Olaf Wiig dans la bande de Gaza (2 millions) ou le reporter Gabrielle Torsello en Afghanistan (également 2 millions). Il témoigne en effet d'une inflation parallèle à l'évolution de la situation, et aux besoins probables des ravisseurs. On espère que Alan Johnston, qui remercie les Palestiniens pour sa libération, sait le prix sanglant qu'elle coûtera...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h13 | Comments (10) | TrackBack

6 juillet 2007

Une capitulation lexicale (2)

Voici un peu plus d'une année, j'avais été effaré par les tentatives de l'Union Européenne d'interdire toute expression officielle liant l'islam et le terrorisme ; ces derniers jours, avec l'application de ces principes par Gordon Brown et son gouvernement à propos des attaques terroristes menées par des musulmans sur sol britannique, cet effarement s'est encore accru. Comment peut-on tenir un discours pareillement lénifiant au public, en parlant "d'usage abusif de l'islam" alors que ce dernier fonde le djihad mis en oeuvre, ou en parlant de "communautés" pour ne pas désigner les musulmans ? Comment ose-t-on prendre les citoyens d'un pays pour des égarés profonds en essayant de leur faire oublier que tous les terroristes ayant attaqué depuis 2005 la Grande-Bretagne sont musulmans et issus de l'immigration ?

Lorsque l'on subit des actes de guerre sur son propre sol, la moindre des choses pour un dirigeant politique serait d'en prendre acte, de les appeler par leur nom et donc de désigner les ennemis qui en sont les auteurs. Surtout quand les ennemis en question ne s'en cachent pas et au contraire redoublent de menaces. Il faut donc un gauchissement stupéfiant des esprits, un aveuglement confondant des élites, pour expliquer une telle autocensure, une telle capitulation lexicale, qui heureusement, à l'ère de l'information immanente et de l'éclatement du sens, n'ont pas une influence décisive...

Posted by Ludovic Monnerat at 23h09 | Comments (71) | TrackBack

5 juillet 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h50 | Comments (1) | TrackBack

3 juillet 2007

Alerte média : La RSR (9)

L'actualité sécuritaire en général et la menace terroriste en particulier ont fait que je participerai demain matin à la prochaine édition du Grand 8 sur RSR La Première, entre 0800 et 0830. Le contraste entre les États-Unis et l'Europe dans les mesures prises face au terrorisme seront au centre des interventions...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h01 | TrackBack

29 juin 2007

Entre faux enfants soldats et vraie distorsion

Jusqu'à quel âge est-on encore un enfant soldat, et quand devient un soldat à part entière, c'est-à -dire un adulte responsable de ses actes ? Si l'on en croit une partie de la presse britannique, qui tacle aujourd'hui le nouveau premier ministre suite aux nouvelles pertes subies en Irak, les 2 militaires de 20 ans qui ont été tués sont des « boy soldiers », et leur apparence juvénile renforce cette image. Pourtant, la définition généralement admise de l'enfant soldat ne s'étend pas au-delà de l'âge de 18 ans, qui reste considéré comme le seuil de la majorité et qui, par exemple, s'applique aussi bien aux armées de conscription (recrutement possible à partir de 18 ans, comme en Suisse) et aux armées de métier (engagement de jeunes hommes de moins de 18 ans uniquement avec l'accord écrit des parents, comme aux Etats-Unis).

Cette définition n'est pas nécessairement une constante : on rappellera que dans la Suisse primitive, les hommes étaient tenus de combattre de 16 à 60 ans. De même, les différentes initiatives en cours dans notre pays visant à abaisser le droit de vote à 16 ans, au demeurant âge de la majorité sexuelle, devraient également aboutir à s'interroger sur les devoirs qui en sont le corollaire, comme le devoir de servir. Toutefois, lorsque l'on sait qu'une grande part des enfants soldats sont enrôlés de force avant même leur adolescence et maintenus dans les rangs par la contrainte, le chantage ou l'addiction, on mesure bien l'extraordinaire distorsion consistant à nommer ainsi de jeunes militaires britanniques. La motivation derrière celle-ci, qui s'appuie sur une victimisation systématique, ne fait guère de doute.

Cette notion d'enfant soldat à géométrie variable et la critique explicite qu'elle véhicule ne sont pourtant guère appliquées aux adversaires des armées contemporaines. L'âge des djihadistes et insurgés tués par dizaines de milliers en Irak n'est ainsi pas un facteur auquel la classe médiatique porte une attention similaire, alors que les premiers sont bien souvent le fruit d'années d'endoctrinement et de préparation à la guerre sainte dans des écoles islamiques ; et celles-ci profitent en particulier de conditions économiques difficiles pou recruter en masse. Par ailleurs, la profusion de jeunes hommes désoeuvrés dans les zones de conflits actuelles, que ce soit en Irak, en Afghanistan ou dans les territoires palestiniens, facilite également le recrutement, même ponctuel. Ne peut-on pas parler d'un environnement infantilisant lorsqu'une vie adulte est rendue impossible ?

Les armées occidentales connaissent pour leur part des conditions diamétralement opposées, avec une concurrence impitoyable de l'économie privée et des courants antimilitaires qui, sous couvert de pacifisme louable, rongent la volonté de servir, de défendre et de combattre. Ce n'est pas pour rien que l'on présente souvent les jeunes soldats britanniques ou américains comme des victimes leurrées par l'appât du gain (les soldes et primes sont en hausse constante) ou par l'apparat de l'arme : la notion même de pouvoir donner sa vie pour son pays, pour sa patrie, pour les siens, est de plus en plus étrangère aux faiseurs d'opinions contemporains. Les soldats en question ne cachent d'ailleurs pas leur mépris pour ces derniers. Surtout lorsqu'ils tentent, chaque jour et de toutes leurs forces, d'influencer un conflit en cours en présentant comme inéluctable une défaite qu'ils souhaitent.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h48 | Comments (3) | TrackBack

24 juin 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 8h27 | Comments (1) | TrackBack

21 juin 2007

Des manipulateurs en faillite

La disparition d'un média est toujours un appauvrissement de l'expression dont on ne peut se réjouir ; de plus, le malheur d'autrui ne peut décemment être une source de satisfaction, à moins d'en être l'ennemi. Malgré cela, j'ai beaucoup de peine à manifester la moindre réticence à la prochaine fermeture de l'hebdomadaire "Facts". Bien sûr, il faut souhaiter que les 64 personnes perdant ainsi leur poste retrouvent un emploi à la mesure de leurs compétences, mais ce titre s'est distingué par de tels excès que bien des gens, notamment dans les rangs de l'armée, ne le regretteront pas. Certains articles outrageusement manichéens ne sont pas oubliés.

Sur un plan plus personnel, je reproche en particulier à Facts d'avoir fabriqué de toutes pièces un scandale à travers un article mensonger, d'avoir par la suite censuré des courriers de lecteurs protestant contre cette methode et d'avoir même manipulé des sondages en ligne pour protéger ses journalistes ne serait-ce que de l'impression d'une rancoeur populaire. Il se trouve que je connais bien les officiers instructeurs cités dans cette "affaire" de l'école d'officiers d'infanterie, que j'ai travaillé et servi avec eux, voir même accompli des services d'avancement dans leur compagnie ; mieux, j'ai invité une fois le major EMG Müller à s'exprimer sur ce cas devant un public choisi pour analyser en détail comme de nos jours se forge et se propage une manipulation médiatique, à coups de photos truquées, d'anecdotes sans rapport et pourtant combinées, de faits passés sous silence lorsqu'ils contredisent l'objectif.

Dans de telles conditions, et même s'il serait malhonnête de juger Facts par rapport à quelques articles consacrés à un thème qui m'est proche, la disparation de cet hebdomadaire ne revêt donc pas qu'une dimension économique, mais prend également un sens déontologique : un titre renommé comme exemple d'infotainment n'a pas sa place en tant que média payant, et la recherche perpétuelle de l'information choc pour en faire un spectacle n'est pas digne du prix affiché. La faillite de quelques manipulateurs ne saurait être un événement négatif.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h21 | Comments (10) | TrackBack

16 juin 2007

La rengaine des idiots inutiles

La guerre civile palestinienne et la transformation de la bande de Gaza en bastion islamiste sous la coupe du Hamas auraient logiquement dû amener certains commentateurs à réviser leurs jugements, émis ces derniers mois, sur le sujet. Je pensais en particulier à Bernard Guetta, qui tient une colonne hebdomadaire dans Le Temps, et qui avait déjà démontré un talent inouï à se mettre le doigt dans l'oeil quant aux Palestiniens. Eh bien, c'est sans surprise que je constate la persistance de ses errements : Guetta voit toujours dans les "accords" de la Mecque de février dernier "un moment décisif", alors que leur supercherie est aujourd'hui évidente, et parle d'un "espoir" qui ne reflète que ses propres opinions. Mais il va maintenant un pas plus loin et désigne les responsables de la situation actuelle :

Dans les pires embûches, ce chemin aurait peut-être pu mener à la paix mais la méfiance des Etats-Unis, la crise politique israélienne et la panne européenne ont privé ce gouvernement d'union de la reconnaissance et de la reprise de l'aide internationale qui auraient dû saluer sa formation.

La boucle est bouclée : tout est donc de notre faute, et plus encore de celle des Américains et des Israéliens. Si seulement on avait déversé les dizaines de millions de dollars revendiqués par les Palestiniens (mais cela n'a-t-il pas été fait ?), ils auraient bien vite oublié leur haine autodestructrice et délaissé leurs chefs islamistes ! Il fallait bien entendu subventionner toute cette population dans le besoin et ne pas se formaliser pour des détails, comme ces roquettes qui pleuvent sur les villes israéliennes ou ces tentatives d'attentat déjouées aux points de passage. Comment a-t-on pu avoir la moindre méfiance envers cet immense progrès que représentaient les accords de la Mecque, alors que tant d'accords par le passé avaient été respectés à la lettre par les Palestiniens ?

Trêve de plaisanterie. Les idiots inutiles tels que Bernard Guetta ne sortiront jamais de leurs constructions mentales, n'accepteront jamais qu'ils ont pu se tromper, n'intégreront jamais le fait que des criminels, des meurtriers et des ordures ne sont que cela, et rien d'autre, même s'ils combattent Israéliens ou Américains. L'orgie de violence qui a submergé la bande de Gaza n'est pas de nature à impressionner ceux qui, depuis longtemps, filtrent la réalité en fonction de leurs convictions et répètent celle-ci comme une rengaine.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h33 | Comments (145) | TrackBack

7 juin 2007

Des clowns en tenue 83

Au début d'un blog, je suis tombé sur cette image d'un manifestant apparemment membre d'une armée de clowns allemands opposés au G8. Triste clin d'oeil à l'armée suisse, le clown en question porte une tenue de camouflage 83, la machin rougeâtre qui était la règle avant notre excellente tenue de camouflage 90, et qui est en vente dans de nombreuses échoppes. On peut toutefois se dire que ce n'est pas pire que les combattants de l'UCK, eux aussi amateurs de la tenue 83 en question...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h26 | Comments (31) | TrackBack

5 juin 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h13 | Comments (10) | TrackBack

1 juin 2007

Une indignation très sélective

Dans la mesure où Guantanamo ou Abu Ghraib ont fait et font l'objet de milliers de reportages et d'articles enflammés, comment expliquer que la découverte d'un centre de torture islamiste en Irak, avec la libération de 41 prisonniers, suscite aussi peu d'intérêt dans les médias traditionnels ? Plusieurs hypothèses peuvent venir à l'esprit, entre le refus de mettre en évidence une action positive de la coalition (de peur de donner un argument pour son intervention militaire), le rejet de toute information issue des forces armées américaines (alors que les informations issues de leurs ennemis sont régulièrement reprises), ou encore le désintérêt devant la énième horreur de la mouvance islamiste (que l'on ne peut justifier par une action de ses ennemis). Mais quoi qu'il en soit, l'indignation très sélective des médias comme des ONG trouve une application supplémentaire qui réduit encore un peu plus leur crédibilité et leur bienfondé. Un peu comme s'ils comprenaient de moins en moins le monde qui nous entoure, faute de disposer du référentiel nécessaire...

Notre époque est vraiment impitoyable avec les structures et les hiérarchies surannées.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h13 | Comments (35) | TrackBack

31 mai 2007

Le temps des brigadiers de chars

Amusante coquille ce matin dans un article régional du Temps ; dans la présentation d'un candidat aux élections fédérales qui se trouve être officier de milice, Christophe Perron, le journaliste s'est un peu emmêlé les pinceaux dans les fonctions au sein de l'armée :

"Officier de milice, il a commandé pendant plusieurs années une unité de brigadiers de char et a été engagé au Kosovo, avec la Swisscoy."

On aura évidemment compris qu'il s'agissait d'une compagnie de grenadiers de chars, dont le commandant était d'ailleurs très populaire auprès de ces hommes - me suis-je laissé dire (je l'ai furtivement croisé lors d'un SFC I mémorable en 1999). Soit l'auteur de cet article ignore tout de la chose militaire, soit ses doigts ont fourché au mauvais moment... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 7h21 | Comments (8) | TrackBack

30 mai 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h12 | Comments (2) | TrackBack

16 mai 2007

RMS : guerres sans nom et politiquement correct

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h15 | Comments (5) | TrackBack

9 mai 2007

Les coulisses des médias

Un texte du correspondant à Paris du Temps, Sylvain Besson, distribué hier uniquement aux abonnés de l'édition électronique, revient sur les prédictions les plus extravagantes au sujet de l'élection présidentielle française sous le titre "bévue awards". Les errements des politiques, de Bayrou à Montebourg, sont bien entendu dignes d'intérêt, mais pas vraiment exclusifs ; en revanche, le passage concernant ses collègues journalistes mérite d'être cité :

Une myriade de récompenses moins prestigieuses devrait être donnée à tous ceux qui n'ont cessé de clamer que Ségolène Royal faisait une très bonne campagne. À cette correspondante de la TSR qui me jurait, au début de l'année, que Sarkozy le nerveux ne passerait jamais. A ce représentant de la Tribune de Genève qui m'assurait que l'effet femme serait irrésistible. A mes collègues du Temps qui ont trouvé convaincant le passage de Ségolène sur TF1 («J'ai une question à vous poser»).
Des «bévue awards», encore, pour cette journaliste lyonnaise qui pensait que la candidate ne ferait qu'une bouchée de son rival lors du débat télévisé. Pour Laurent Joffrin, le ponte de Libération, qui affirmait le lendemain que c'était bien ce qui s'était passé. Pour cette communicante parisienne qui me disait sentir une montée d'espoir à gauche après le médiocre discours du stade Charléty.
Dans tous ces cas, une règle d'or semble s'appliquer: on prédit souvent la victoire du candidat que l'on soutient en secret. Mais n'en déduisez surtout pas que j'ai voté Sarkozy.

Voilà une chose qui reste rare : un aperçu des coulisses médiatiques, des opinions personnelles affichées en petit comité ou ouvertement par ceux chargés d'informer, généralement indépendamment de cette même opinion (impossibilité à laquelle nul ne saurait être tenu, mais dont il faut bien prendre la direction). C'est le mérite de Sylvain Besson que de révéler ce dont tout le monde se doute, sans pour autant en mesure l'ampleur : la force des convictions parmi les journalistes, et les limites souvent flagrantes de leurs capacités analytiques. On espère bien entendu que ces quelques lignes ne lui vaudront pas des ennuis ; il est vrai qu'un homme qui a osé publier un livre sur les projets à long terme des islamistes n'est pas étranger au courage...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h43 | Comments (33) | TrackBack

8 mai 2007

Les brasiers et les pyromanes

Ce n'est pas le tout de parler des brasiers que l'on préfère oublier tout au long de l'année, il faut aussi s'intéresser à ceux qui, malgré leurs responsabilités politiques, se comportement en véritable pyromanes :

Une voiture ralentit et s'arrête devant le groupe d'une dizaine de jeunes adultes qui discutent, avec passion, des conséquences de l'élection de Nicolas Sarkozy. C'est le conseiller général PS, candidat aux législatives à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) : "Hé les gars, faut rester calme, hein ! Ils vont vouloir vous provoquer en face, ne répondez pas, faites leur un sourire", leur lance Gérard Ségura en parlant des policiers et CRS massés 200 mètres plus loin. Il est 21 h 30, la présidentielle vient à peine de se terminer, et la campagne électorale suivante bat déjà son plein dans le quartier des "3000".

Un élu qui dénigre ouvertement les forces de l'ordre rend-il vraiment service à la population ? Et si la suite de l'article vise de toute évidence à confirmer cette perspective de "provocation" sans jamais donner la parole aux forces de l'ordre, elle renforce encore cette interprétation toute particulière de l'autorité politique. Les cités du "9-3" qui se voient comme "villages gaulois" face à "l'envahisseur Sarkozy" : voilà une stupéfiante inversion qui en dit long sur la mécanique identitaire en marche dans ces zones où l'autorité de l'État français, avec la participation active et opportuniste de dirigeants politiques censés l'incarner, est ouvertement contestée. Comment se plaindre que la République soit en flammes si l'on attise sans cesse le brasier ?

Posted by Ludovic Monnerat at 20h27 | Comments (9) | TrackBack

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h09 | Comments (2) | TrackBack

2 mai 2007

Une schizophrénie funeste

La hiérarchie militaire américaine ne sait toujours pas comment exploiter les nouveaux espaces conflictuels ouverts par les technologies de l'information et de la communication, et le potentiel formé par ses combattants individuels. Elle adopte même en la matière une démarche schizophrène qui réduit très largement ses chances de progresser en la matière.

D'une part, le commandement de la force multinationale en Irak a récemment décidé de mettre en ligne sur des sites publics des vidéos tournées par ses équipes professionnelles :

"This effort was not designed to combat what ends up on extremist Web sites," said Lt. Col. Christopher Garver, a U.S. military spokesman in Iraq. "But we understand it is a battle space in which we have not been active, and this is a media we can use to get our story told."
[...]
"There are moments when there is no violence going on in Iraq," Garver said. "Even Baghdad is a neighborhood-by-neighborhood story. ... Unfortunately, news being news, you tend to get the car bomb of the day."
The YouTube channel is a way to get some other stories told by linking directly to a generation that gets its news from multiple sources, Garver said.
Even on a relatively quiet day, footage of soldiers handing soccer balls to delighted Iraqi children is unlikely to be featured on most newscasts. But, Garver said, "the soccer ball story is part of what is happening in Iraq ... and that needs to be recorded somewhere."

Cette initiative est mise en oeuvre par deux anciens membres du Corps des Marines, qui ont formé leur propre société commerciale et ont décroché le contrat auprès de la MNF-I. Le mois dernier, les vidéos sur YouTube ont été vues plus de 120'000 fois et ont obtenu 1900 inscriptions. Mais l'effort prend une autre dimension avec l'appel lancé aux soldats individuels déployés en Irak de fournir leurs propres vidéos pour soutenir cet effort. Et c'est bien là que la chose confine à la schizophrénie.

D'autre part, en effet, l'U.S. Army a émis le 19 avril dernier une directive interdisant à ses soldats de mettre en ligne un billet ou d'envoyer un courriel personnel sans avoir obtenu l'autorisation de leur supérieur, ce qui pourrait avoir pour effet de mettre un terme aux "milblogs" et à toute la communication personnelle et décentralisée qu'ils occasionnaient :

Army Regulation 530--1: Operations Security (OPSEC) restricts more than just blogs, however. Previous editions of the rules asked Army personnel to "consult with their immediate supervisor" before posting a document "that might contain sensitive and/or critical information in a public forum." The new version, in contrast, requires "an OPSEC review prior to publishing" anything -- from "web log (blog) postings" to comments on internet message boards, from resumes to letters home.
Failure to do so, the document adds, could result in a court-martial, or "administrative, disciplinary, contractual, or criminal action."

Sur la forme, ces deux décisions ne sont pas contradictoires : il est tout à fait possible de tourner ses propres vidéos et de les transmettre via la hiérarchie, comme il est possible d'écrire des billets décrivant la vie quotidienne en Irak et d'obtenir le feu vert des supérieurs pour la mise en ligne. Sur le fond, en revanche, c'est toute l'utilisation du soldat individuel comme média militaire, comme intermédiaire entre l'armée et la population, comme citoyen-soldat-reporter, qui est mise en difficulté par cette approche. Le meilleur vecteur possible pour accéder aux coeurs et aux esprits de l'opinion publique est amputé de la liberté d'action sans laquelle il perd toute son authenticité. Pour un bénéfice en terme de sécurité opérationnelle qui reste difficile à appréhender, dans la mesure où les sources d'information susceptibles d'être utilisées contre les troupes américaines en Irak sont avant tout humaines.

Ce n'est bien entendu par la première fois que les armées peinent à intégrer les opportunités des nouvelles technologies et les modifications qu'elles apportent aux rapports de force. Mais comme leurs adversaires exploitent à fond les premières et comprennent bien mieux les seconds, cette schizophrénie peut fort bien avoir des conséquences funestes.

Posted by Ludovic Monnerat at 7h29 | Comments (4) | TrackBack

27 avril 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h01 | Comments (3) | TrackBack

26 avril 2007

Autres temps, autre moeurs...

Comme 3 ans et demi peuvent changer les choses...

...

L'Europe dénoue la crise nucléaire iranienne (Le Temps, mercredi 22 octobre 2003)

Au cours de la visite des chefs des diplomaties allemande, française et britannique, Téhéran a accepté un contrôle renforcé de ses activités en signant le protocole additionnel au Traité de non-prolifération (TNP) et la suspension de tout enrichissement d'uranium. Washington reste prudent.

A dix jours de l'expiration d'un ultimatum de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Téhéran a accepté mardi de donner aux ministres des Affaires étrangères allemand, français et britannique les garanties prouvant la nature purement civile de ses activités nucléaires, comme le réclamait la communauté internationale depuis des mois. Les Iraniens semblent s'être rappelés qu'ils avaient des «amis» européens pour sortir de la crise sur leur programme nucléaire, alors que les relations s'étaient passablement refroidies au cours des derniers mois.

...

Tentative de l'UE de négocier avec Téhéran (Le Temps, jeudi 26 avril 2007)

Le négociateur iranien sur les questions nucléaires, Ali Larijani, et le haut représentant de la diplomatie européenne, Javier Solana, ont entamé mercredi une rencontre de deux jours à Ankara.

Ali Larijani a exprimé à son arrivée à Ankara l'espoir que ses discussions avec l'envoyé de l'Union européenne servent à évaluer de «nouvelles idées» qui pourraient être mises sur la table pour sortir le dossier nucléaire de l'impasse. Javier Solana, de son côté, a espéré que la rencontre permette «d'avancer sur la voie de discussions préparatoires qui puissent conduire le plus tôt possible à des négociations sérieuses». Il a confié aux journalistes à son arrivée à la réunion qu'il venait à ces discussions avec «une attitude constructive».

...

Un commentaire est-il vraiment nécessaire ?

Posted by Ludovic Monnerat at 0h41 | Comments (34) | TrackBack

25 avril 2007

Alerte média : la RSR (8)

Entre de multiples activités, le soussigné est à l'instant passé sur les ondes de RSR La Première à propos du billet ci-dessous, pour donner quelques explications sur cette France qui ne fait pas ou plus rêver. On ne pourra toutefois pas nier que la France suscite l'intérêt des Suisses ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 17h57 | Comments (2) | TrackBack

24 avril 2007

Le nouveau rêve français

L'un des éléments-clefs du discours victorieux prononcé par Nicolas Sarkozy au soir du 22 avril dernier était le lancement d'un « nouveau rêve français » comme thème de campagne. Sans entrer dans le débat politique, il vaut la peine de se pencher sur cette évocation onirique à l'échelle d'un pays, dans une perspective extérieure, helvétique, pour tout dire provinciale, mais aussi strictement personnelle. Est-ce que la France fait rêver, est-ce que la France peut demain faire rêver ?

En tant que francophile avéré, ayant le goût de la chose militaire, je peux naturellement dire qu'une certaine France fait rêver, la France des armes, la France du courage dans l'adversité, la France du panache dans le fracas. L'épopée de Leclerc vue par ses compagnons de combat, les carnets tragiques de Mouchotte ou le grand cirque à la fois enivrant et dégrisant de Clostermann ont marqué mon enfance ; la ténacité dans la défense de Bir Hakeim, l'allant dans l'intervention à Kolwezi, la lutte désespérée pour Dien Bien Phu, la solennité du serment de Koufra ont frappé mon imagination ; le bouclier mécanique du commandant de Gaulle, l'intoxication décortiquée par Pierre Nord, la clarté stratégique du général Francart, le récit dépassionné et factuel du colonel Langlais ont nourri ma réflexion. J'aurais pu revenir plus loin dans l'Histoire pour dire la même chose. Mais cette France, qui reste une nation militaire de premier plan, n'est de toute évidence pas celle qui est censée nous faire rêver.

La France des arts et de la culture possède bien entendu un pouvoir évocateur plus étendu, et il serait vain de tenter en quelques mots de la résumer ; mais cette aura qui scintille depuis le XVIe siècle est justement avant tout ancrée dans le passé, ce qui reste à la fois l'héritage et le fardeau de la grandeur. La France de l'architecture, des châteaux, des grands travaux, est également admirable, mais les constructions les plus impressionnantes restent des expressions largement figées. La France de la haute technologie, du TGV, du Concorde, du Rafale ou du Tigre est évidemment digne de respect, sans pour autant se distinguer à outrance d'autres nations européennes - ayant même collaboré avec elles pour certains projets. Enfin, la France des grands crus, des grandes tables, des grands parfums, de l'art de vivre, mérite certainement une attention particulière, et se laisse agréablement goûter, mais on ne peut rêver uniquement de plaisirs sensuels. Il faut autre chose, un mouvement, un élan, une projection. Un avenir, en fait. Et c'est là que le bât blesse.

Je vois mal, en effet, un avenir radieux à la France - et ce n'est pas faute de le vouloir. Le chômage élevé et durable, les déficits abyssaux et parfois cachés, la productivité artificiellement affaiblie, l'exode croissant des cerveaux, la subventionnite à tous les niveaux, les « troisièmes tours » sociaux à gogo, la légitimité limitée des institutions, la calcification de la classe politique, la multiplication des zones de non droit, la décadence profonde de l'autorité, les tabous sur l'identité nationale, la pratique d'une immigration incontrôlée, le dévoiement de la politique étrangère, le poids du politiquement correct - voilà autant de raisons qui me font douter de la France. Je ne prétends ni à l'objectivité, ni à l'exhaustivité, ni même à l'équité, mais la Suisse me paraît un pays très nettement mieux loti, et dont l'avenir, quoi qu'il en soit, s'annonce bien plus avenant, pour peu que l'on continue à se battre pour. J'aime la France, j'aime y aller, j'aime la découvrir et apprendre à la connaître, mais la France ne me fait pas rêver, et pour rien au monde ne souhaiterais-je y vivre.

Le nouveau rêve français de Nicolas Sarkozy n'est pas à portée de main. Peut-être est-il toutefois préférable de fixer une vision à long terme pour fédérer aujourd'hui les énergies!

Posted by Ludovic Monnerat at 21h58 | Comments (123) | TrackBack

22 avril 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, 4 articles ont été mis en ligne ces derniers jours :

Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h29 | Comments (3) | TrackBack

18 avril 2007

RMS : nouveaux billets

Ces derniers jours, le blog collectif de la Revue Militaire Suisse a abordé plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h42 | Comments (1) | TrackBack

13 avril 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, 4 articles ont été mis en ligne ces derniers jours :

Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h09 | Comments (5) | TrackBack

11 avril 2007

Irak : une intoxication stupéfiante

Hier, la presse francophone, suivant en cela les agences de presse qui l'abreuvent d'informations, a présenté certaines commémorations de la chute du régime de Saddam Hussein comme une marée humaine contre la présence militaire américaine, témoignant d'une indiscutable volonté populaire : des dizaines de milliers d'Irakiens, affirmait le Figaro sous le titre "Nadjaf, carrefour de la contestation antiaméricaine" ; des centaines de milliers d'Irakiens, renchérissait Le Temps, n'hésitant pas à titrer de façon définitive "Les chiites d'Irak disent 'Non à l'Amérique'". Peu importe que les différentes enquêtes d'opinion menées en Irak depuis 2003 aient au contraire montré un soutien à la présence militaire internationale, au moins à court terme : l'information se devait d'être vraie, puisqu'elle était attendue depuis longtemps.

Les images disponibles de la manifestation, pour la plupart prises en gros plan, sont loin de confirmer les chiffres avancés dans la presse. Mais c'est un communiqué de la coalition (merci à Drzz pour en avoir fait mention ci-dessous) qui a jeté le pavé dans la mare : les images aériennes prises de la manifestation montreraient qu'entre 5000 et 7000 personnes seulement ont défilé dans les rues de Najaf, à l'appel de Moqtada Al-Sadr. Il serait souhaitable que la coalition diffuse les images lui permettant d'estimer ainsi cette participation, mais il est assez stupéfiant de constater la différence qu'elle établit avec l'image donnée par les médias. On espère d'ailleurs que ceux-ci oseront se pencher sur le cas pour rétablir la vérité, même si on n'y croit plus guère...

COMPLEMENT (13.4 2140) : D'après le lieutenant-général américain Ray Odierno, cité dans ce communiqué des forces armées US, les manifestants étaient moins de 15'000, au lieu du million revendiqué par les organisateurs.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h12 | Comments (40) | TrackBack

6 avril 2007

La voix des apostats

Intéressante information en provenance d'Allemagne (merci à CB pour le lien) : un mouvement nommé "Nous avons abjuré" a été créé pour regrouper des ex-musulmans et pour lutter contre l'influence croissante de l'islam :

Actif, déterminé et ferme dans ses convictions «pour réveiller la conscience de ceux qui n'ont jamais été confrontés réellement aux dangers que représente l'intrusion de l'islam dans la vie politique et sociale». Mina Ahadi, cette femme de 50 ans, d'origine iranienne, se dit «outrée» de constater que l'islam s'impose chaque jour davantage à la société allemande et dénonce «l'intolérable indulgence» des pouvoirs publics face à ce péril, au nom de la relativité culturelle. Comme, pour elle, cette attitude est «inacceptable dans un pays laïc européen», elle ne manque pas une occasion de dénoncer à la fois les pratiques et traditions islamiques et la position «bienveillante» du gouvernement allemand vis-à -vis de celles-ci.
[...]
Dès que l'existence du «Conseil central des ex-musulmans» a été rendue publique, des menaces de mort anonymes se sont multipliées à son encontre. Depuis ce jour, Mina Ahadi vit, en permanence, sous surveillance policière. Mais elle mène avec la même opiniâtreté son combat pour attirer l'attention des autorités et des institutions allemandes sur «les souffrances et les injustices que subissent les musulmans et surtout les musulmanes de par leur propre religion et au sein de leur propre communauté».

Ce type de réaction va à l'exact opposé du communautarisme dont souffre nombre de pays européens, et par la faute duquel des immigrés musulmans de seconde génération témoignent d'une radicalisation de leurs croyances religieuses et en viennent à opposer celles-ci aux lois et valeurs de leur pays d'adoption. Les menaces de mort reçues par les apostats témoignent d'ailleurs de cette radicalisation, et donc d'un terrorisme domestique qui a également cours chez nous pour forcer les comportements et tordre les consciences, mais l'existence d'un mouvement désignant spécifiquement l'islam comme un danger majeur est une chose nouvelle. Et une démarche susceptible de porter quelques fruits, si les oeillères du politiquement correct ou la violence des islamistes ne la tuent pas dans l'oeuf.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h14 | Comments (34) | TrackBack

4 avril 2007

Le dernier numéro de la RMS

La semaine dernière, les abonnés de la Revue Militaire Suisse ont reçu le deuxième numéro de l'année, consacré notamment au C4ISR, à la guerre de l'information, à la désinformation et à l'espionnage, ainsi qu'à lIrak et à l'Afghanistan. Pour recevoir gratuitement un exemplaire à titre d'essai ou s'engager dans un abonnement, il suffit de quelques clics par ici !

Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h57 | Comments (3) | TrackBack

Rupture d'omerta multiculturelle

Les révélations sur une classe scolaire de Zurich où un "noyau dur" d'origine balkanique a "usé" 6 maîtres en moins de deux ans et demi, dont 2 enseignantes tombées en dépression, ont amené les langues à se délier dans le Blick et plusieurs enseignants à dénoncer les ratés de l'idéologie multiculturelle. Comme dans d'autres affaires impliquant des jeunes issus de l'immigration, il faut un tel détonateur pour forcer les contraintes du politiquement correct et savoir ce qui se passe vraiment dans certaines écoles publiques suisses, quelques années avant que les individus en question parviennent à l'âge adulte. Sans oublier qu'un cas ultramédiatisé ne fournit pas une vision statistique et dépassionnée du problème.

Il faut lire le détail de ce cas et les outrages subis par les enseignants pour mesurer toutefois la gravité du problème, et se rendre compte que notre système scolaire, qui a développé une allergie à l'autorité et a idéalisé l'étranger par ethnomasochisme, recèle par milliers des criminels en puissance et ne parvient pas à les ramener, de force s'il le faut, sur la voie du droit, du respect et de l'intégration. Et la légende de la photo illustrant l'article du Matin mis en lien ci-dessus, parlant d'élèves "turbulents", montre aussi à quel point le phénomène est sous-estimé, sans doute par peur d'impliquer des réflexions critiques sur une immigration qui reste largement intouchable dans certains cercles. Mais les enseignants sont désormais en mesure de passer outre cette omerta, et d'expliquer la réalité de leur métier.

La vraie question qui se pose, maintenant, est de savoir que faire de ces jeunes gens refusant d'apprendre à tenir une place dans notre société et dont les parents ne semblent pas en mesure d'avoir une influence positive. Une place autre que dans le système carcéral, s'entend...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h10 | Comments (40) | TrackBack

21 mars 2007

Bis repetita en Somalie ?

Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour voir en Somalie des images déjà connues : suite à de violents affrontements dans la capitale qui ont éclaté ce matin et fait au moins 14 morts, des habitants ont brûlé et traîné des cadavres de soldats pro-gouvernementaux, sur le modèle des cadavres américains en 1993. L'événement s'est produit suite à une attaque d'un bâtiment abritant des soldats éthiopiens, qui a donné lieu à une fusillade dans laquelle des non combattants semblent avoir été pris pour cibles. Avec pour conséquence des réactions assez claires d'une partie de la population :

Hundreds of angry civilians celebrated in the Baruwa neighbourhood as they burned the bodies of two of the dead soldiers.
The crowd shouted: "You and Ethiopians will die", " Down, Down with Somali troops", and "We will burn you alive".
Nearby, a woman carrying a machete shouted obscenities against Ethiopian and Somali troops while stepping on the body of another dead soldier being dragged by a rope tied to his foot, an AFP correspondent said.

Naturellement, la similitude des images et des comportements avec la situation de 1993 ne signifie en rien une même évolution, dans la mesure où les enjeux, les symboles et les acteurs étatiques sont autres. Traîner les corps de soldats américains dans les rues de Mogadiscio symbolisait la défaite du puissant et la victoire des milices ; faire de même avec des soldats somaliens, ou même éthiopiens, ne symbolise que la violence et la barbarie des conflits armés en Afrique. Pourtant, un tel accrochage et ses conséquences en termes de comportements et de perceptions montre bien la faiblesse des armées nationales - ou prétendant l'être - face à des groupes armés utilisant les voies asymétriques de la guérilla, du terrorisme, ou même de la manipulation médiatique.

A terme, cette faiblesse récurrente des combattants réguliers, agissant ouvertement et censés rendre des comptes, face aux combattants irréguliers qui en sont l'inverse, est cependant un facteur que les États vont finir par admettre. En adoptant probablement comme réponse la sous-traitance, via des factions locales ou des sociétés militaires privées.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h26 | Comments (47) | TrackBack

19 mars 2007

RMS : blindés, hypersécurité et ribbons

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dont la phase de développement s'est achevée la semaine dernière, 3 articles ont été mis en ligne ce week-end :

Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h23 | Comments (21) | TrackBack

15 mars 2007

La RMS fait peau neuve !

Comme annoncé depuis longtemps, le site Internet de la Revue Militaire Suisse a terminé son premier développement hier et arbore désormais la même maquette que le nouvelle version papier. Parmi les nouveaux éléments introduits, on notera également l'apparition d'un weblog collectif - premier embryon de "milblog" helvétique - et la reproduction des actualités, telles qu'elles figurent notamment à gauche de cette page.

Bonne lecture ! Et n'oubliez pas de soutenir cette démarche, si ce n'est pas déjà le cas ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 7h01 | Comments (4) | TrackBack

14 mars 2007

Le piège des identités nationales

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a déclenché une polémique en France en liant immigration et identité nationale, et en liant à la première l'altération de la seconde. Le président de l'UMP maintient son cap en la matière, même si ses supporters ont parfois des explications contorsionnées. L'identité nationale fait également débat en Hollande, où la double nationalité de ministres sert de prétexte à mettre en doute leur loyauté, et où le public soutient ce regard critique sur les personnalités issues de l'immigration. On pourrait certainement trouver d'autres exemples ailleurs en Europe, mais il ne s'agit pas ici de faire un tour d'horizon.

Le lien entre identité nationale et immigration est tellement évident, puisque la nation évolue et se transforme au gré des générations qui se succèdent et des influences qu'elles subissent, que la polémique témoigne des tabous en la matière. Il est pourtant clair que même des immigrés réussissant leur intégration apportent avec eux un référentiel différent, et que le cumul de ces différences aboutit progressivement à modifier les critères par lesquels les gens se définissent et se différencient de leur voisin, c'est-à -dire construisent leur identité. Cette modification n'est d'ailleurs pas négative ou positive a priori, mais elle existe. Et lorsque l'immigration se conjugue à l'absence d'intégration, cette identité ne parvient pas à évoluer progressivement et devient une pierre d'achoppement, une différence insurmontable, un repoussoir plus qu'une attraction. De sorte qu'elle est dévalorisée et combattue par ceux qui la refusent faute de l'intégrer.

En revanche, il est dangereux d'en venir à juger les individus avant tout d'après ce qu'ils sont, et non en premier lieu d'après ce qu'ils font. Un jugement préventif de ce type, qui incidemment est celui qu'emploient les islamistes, aboutit forcément à un renforcement des altérités, et donc à une radicalisation des identités. Etre jugé sur son être et sur son paraître revient à n'avoir aucune chance, à être classé, discriminé, ou au minimum suspecté quoi que l'on fasse. C'est une manière de transformer toute différence identitaire en casus belli potentiel. Cela ne signifie pas que le profilage doit s'interdire de considérer des critères ethniques et religieux, comme le politiquement correct nous y enjoint irrationnellement ; cela signifie que fermer la porte à l'autre parce qu'il est différent lui enlève toute chance de nous ressembler, de s'assimiler, de nous rejoindre. Une injustice humaine, et surtout une absurdité stratégique.

C'est le piège des identités nationales que cette crispation isolationniste, que ce repli sur soi contraire au développement des nations. Il faut juger les uns et les autres d'après leurs actes, car ces derniers sont suffisamment parlants, et la disproportion flagrante de ressortissants étrangers dans les faits divers répugnants comme dans les statistiques criminelles montre bien, par exemple, un problème majeur auquel les différences identitaires ne sont pas étrangères (si j'ose dire). Mais il est complètement aberrant de juger ou de suspecter par avance les étrangers sur leur identité sans laisser à ceux-ci la moindre chance de s'intégrer, ce qui d'ailleurs passe également par une immigration contrôlée dans son ampleur comme dans ses modalités. A force de désigner automatiquement l'autre comme un ennemi potentiel, on crée des conditions très favorables à la concrétisation de cette crainte.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h35 | Comments (28) | TrackBack

11 mars 2007

Le temps des menaces

En prolongation directe du billet précédent, cette dépêche d'agence révèle que des menaces ont été proférées dans une vidéo sur un site Internet islamiste, apparemment par l'organe de communication d'Al-Qaïda, contre l'Allemagne et l'Autriche pour leur présence militaire en Afghanistan. De telles menaces sont naturellement toujours difficiles à authentifier, dans la mesure où leur existence compte bien davantage que leur fondement. Mais il est assez révélateur de constater qu'un pays neutre comme l'Autriche, qui se contente de déployer quelques officiers en Afghanistan - généralement en appui du contingent allemand - est inclus dans une menace explicite :

"Austria has always been one of the most safe countries in Europe, depending on tourism both in summer and winter," the unidentified speaker said. "But if it doesn't withdraw its troops from Afghanistan, it may be among targeted nations."

Il est tentant de considérer cela comme des propos abstraits et anodins, d'imaginer qu'un groupuscule insignifiant se cache derrière cette vidéo et donne une impression fallacieuse. C'est ainsi que réagissent la plupart des services confrontés à une nouveauté qui reste potentielle. Mais en prenant une perspective stratégique, il est intéressant de constater que de petits Etats sont désormais directement ciblés par des opérations d'information dont les contours doivent être cernés. A qui s'adressent ces menaces ? Aux autorités autrichiennes, qui ne peuvent décemment prendre au sérieux des propos tellement étrangers à leurs intérêts et à leurs priorités ? Ou à la frange musulmane de la population autrichienne, en s'assurant le concours des médias nationaux pour porter indirectement un message de résistance, et donc un appel à la lutte passant par la communautarisation ?

On rappellera bien entendu que la Suisse maintient depuis plusieurs années jusqu'à 4 officiers en Afghanistan, notamment en appui du contingent allemand au sein de l'ISAF. Est-ce que cela va nous valoir bientôt des menaces spécifiquement dirigées contre notre pays ? Le cas échéant, comment allons-nous y réagir, notamment si ces menaces donnent l'impression d'être mises à exécution ? Voilà qui aurait le mérite de poser sur la place publique le sens de notre engagement militaire en Afghanistan, dans un pays où la communauté internationale a été peu à peu amenée à combattre le fondamentalisme musulman, et donc de discuter la place que nous comptons donner à une telle lutte dans notre politique de sécurité, en tenant compte de l'interconnexion des champs de bataille à laquelle la technologie nous condamne.

Dans ce cas, un autre aspect devrait être abordé : le danger que pose pour les islamistes la présence de troupes occidentales et modernisatrices en terre musulmane, et les tentatives pour construire des Etats largement soustraits à la coupe théocratique. Ce qui expliquerait très largement les menaces aujourd'hui diffusées...

COMPLEMENT (12.3 0830) : Dans la même ligne que ce billet, je conseille la lecture de cette analyse.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h10 | Comments (38) | TrackBack

5 mars 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dont la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques jours, 3 articles ont été mis en ligne aujourd'hui :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h49 | Comments (6) | TrackBack

4 mars 2007

Blogs : l'exemple de l'enquêteur bénévole

On le sait, on l'a lu fréquemment, les blogs sont régulièrement décriés par les médias traditionnels, qui avancent leur formation, leur déontologie et leur professionnalisme pour se démarquer des amateurs "en pyjama" devant leur ordinateur personnel. Un exemple actuel montre cependant à la fois la complémentarité et la différence des blogs, notamment dans leur aptitude à exploiter le volume incomparablement supérieur d'informations disponibles via Internet.

Un fait divers survenu cette semaine en Belgique n'a pas autrement retenu l'attention de nos médias : une mère de famille de 40 ans a égorgé ses 5 enfants, âgés de 3 à 14 ans, avant de tenter en vain de se donner la mort. Reprenant les informations données par les médias belges, nos médias n'ont guère approfondi l'affaire et en sont restés à la narration résumée d'un crime inexplicable. Il faudra lire un blog spécialisé dans les questions islamiques pour avoir un tour d'horizon plus complet sur l'affaire, et notamment apprendre des éléments instructifs simplement en consultant la presse internationale, qui n'a pas succombé à l'apparente autocensure de la presse belge. Et l'auteur de conclure :

"...dans cette affaire atroce, je ne peux m'empêcher de remarquer combien la presse écrite de mon pays évite délibérément certains sujets, certaines hypothèses "dérangeantes" pour le politiquement correct."

Ainsi le blog, en offrant à chacun la possibilité de rechercher l'information disponible et de mettre rapidement en ligne les fruits de cette recherche, voire une analyse succincte, joue-t-il un rôle déterminant en matière d'investigation, puisque les médias traditionnels ont largement abandonné celle-ci pour des raisons aussi bien économiques qu'idéologiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h13 | Comments (13) | TrackBack

3 mars 2007

Les petites invasions de la Suisse

Puisque l'on m'en a prié çà et , il fallait bien que je sorte de ma réserve et que je me prononce sur la scandaleuse attaque préventive de la Suisse au Liechtenstein - euh, je veux dire, sur la mésaventure d'une compagnie de recrues lors d'une marche par visibilité réduite. J'imagine que le commandant d'unité en question doit être plutôt dans ses petits souliers et que ses jeunes subordonnés rigolent bien dans son dos, ou même ouvertement. Mais une telle erreur est assez fréquente, à force d'avoir des places d'armes situées à proximité des frontières, et des incursions discrètes en France (la place d'armes de Bure longe par endroits la frontière) ou des débarquements de troupes en gare de Domodossola (passer par le Simplon pour aller au Tessin est rapide, mais a le défaut mineur d'emprunter le sol italien) se produisent régulièrement. Sans nécessairement faire l'objet d'une information à la hiérarchie militaire, et donc aux médias...

Evidemment, la chose est plus cocasse par rapport à un petit Etat non armé comme le Liechtenstein. On pourrait imaginer les Suisses, échaudés par la concurrence financière de Vaduz, par l'emploi sans vergogne du franc et des timbres suisses, ou par les succès scandaleux des skieurs liechtensteinois, décider d'y provoquer un changement de régime afin de mettre un terme à la spéculation massive que pratique l'autocratie au pouvoir. Et transformer la principauté en un 27e canton helvétique, avec votation populaire à l'appui. Evidemment, il faudrait dans ce cas essuyer les foudres de la communauté internationale, des condamnations à la chaîne, des sanctions financières, un blocus militaire, voire une opération "MOUNTAIN STORM" qui viendrait libérer les Liechtensteinois du joug helvétique, sans pour autant oser aller jusqu'à Bag... euh, jusqu'à Berne. Au fait, le choix du Conseil fédéral de construire de nouvelles centrales nucléaires ne cache-t-il pas un programme militaire ?

Bon, je ne suis pas sûr que la Suisse doive en venir à de telles extrémités avec le Liechtenstein pour se faire respecter. Puisque l'on a cramé 120 hectares de forêt dans leur pays avec de bêtes tirs de lance-roquettes voici plus de 20 ans, on devrait pouvoir sans autre susciter la crainte respectueuse de nos petits voisins pendant quelques décennies avec toutes nos réformes militaires ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 18h00 | Comments (12) | TrackBack

27 février 2007

La République des blogs

Tout à l'heure a eu lieu à Fribourg le second rendez-vous des blogueurs romands à caractère politique. Puisque l'on a exercé sur moi une pression aussi amicale qu'efficace, j'y étais, et avec plaisir, pour des discussions avec des blogueurs connus ou avec d'autres personnes fort diverses. L'occasion d'aborder différents sujets qui secouent la blogosphère romande, de traiter l'actualité en matière de sécurité, mais aussi de discuter politique avec les parlementaires romands les plus branchés sur le web.

L'occasion également d'entendre Renaud Gautier me rappeler gentiment que j'ai éreinté ses propos parus dans la presse, sans que je m'en souvienne... Toutes mes excuses pour cet oubli ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h02 | Comments (6) | TrackBack

25 février 2007

L'armée et son engagement à l'étranger

Ce soir a été mis en ligne sur le site Internet de la Revue Militaire Suisse une version légèrement mise en forme de l'allocution prononcée par Micheline Calmy-Rey devant l'assemblée générale de la Société des officiers du Valais romand, le 16 février dernier, sur le thème des engagements militaires suisses à l'étranger. Ce texte est particulièrement intéressant, car il révèle les divergences de vues au sein du gouvernement par rapport à ces missions, comme l'ont montré de récentes déclarations de Samuel Schmid, et rappelle aux militaires que les décisions du Conseil fédéral in corpore sont celles qui comptent.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h27 | Comments (3) | TrackBack

22 février 2007

Le journalisme de l'ignominie

L'annonce de la réduction des troupes britanniques en Irak ne pouvait manquer de déclencher des débordements dans la presse, compte tenu de l'opposition forcenée de la majorité d'icelle. Alors que certains journaux ont publié des récits factuels, d'autres se sont livrés à des excès qu'il vaut la peine d'étudier. Un cas d'école est ainsi un article publié ce matin dans Le Temps et écrit par Luis Lema ; sous le titre "Irak: l'illusion rompue d'une force multinationale", ce texte est un exemple extrême des dérives médiatiques contre lesquelles il est nécessaire de se prémunir. Extrait :

Officiellement, le général américain qui vient de prendre le commandement des opérations dans l'ancienne Mésopotamie est toujours à la tête d'une armée internationale. Certes, avec quelque 141000 hommes déployés, les Américains ont toujours joué le premier rôle. Mais jamais les porte-parole de la Maison-Blanche ne se réfèrent aux troupes en présence autrement que par le terme de «forces alliées».
La décision de Tony Blair de ramener à la maison une partie des soldats britanniques, annoncée hier (lire ci-dessous), a fini de fissurer cette illusion. Même l'allié le plus fidèle de George Bush fait aujourd'hui machine arrière. Les 21500 soldats américains supplémentaires en voie de départ ne trouveront pratiquement en Irak que des collègues américains. Et des miliciens décidés à les combattre.

Ainsi, alors que le retrait progressif des troupes britanniques est rendu possible par la situation relativement stable des zones dans lesquelles elles sont engagées, cette décision logique est interprétée comme la preuve que les contingents multinationaux déployés depuis l'été 2003 n'étaient qu'une illusion, et que les Américains ont toujours été presque seuls, isolés, unilatéraux, opposés au monde entier (et surtout, crime inexpiable on le suppose, à l'opinion de l'auteur de ces lignes). On se demande comment de telles choses peuvent être écrites dans un journal aussi estimé que Le Temps. Car un tel niveau de déformation et d'aveuglement verse carrément dans l'ignominie.

Ce texte est ignoble du point de vue émotionnel. Depuis juillet 2003 à nos jours, entre 25'600 et 14'600 militaires internationaux non américains ont été présents en permanence en Irak, avec une moyenne d'environ 20'000 ; compte tenu de la durée générale de 6 mois des rotations, et du fait qu'une partie des militaires a probablement effectué plusieurs rotations, cela signifie qu'entre 120'000 et 140'000 militaires européens, asiatiques, océaniens et sud-américains ont servi en Irak. Au total, 213 d'entre eux ont trouvé la mort dans ce pays depuis juillet 2003, en majorité suite à des actions hostiles, et probablement 4 à 6 fois plus ont été blessés. A de nombreuses reprises, ces troupes ont été engagées dans des actions offensives et ont combattu, parfois au prix de pertes douloureuses. Cela est-il une illusion ?

Ce texte est également ignoble du point de vue factuel. Une opération militaire est multinationale ("combined") à partir de l'instant où deux nations au moins fournissent des troupes. Au moins 31 nations ont fourni des troupes à la coalition en Irak en-dehors des Etats-Unis, représentant environ 20'000 militaires répartis entre 3 et 5 brigades sous commandement multinational (et avec des contingents conservant in fine leur autonomie de décision nationale, comme c'est la règle). En guise de comparaison, la force multinationale au Kosovo a longtemps rassemblé 20'000 soldats non américains répartis en 4 brigades (aujourd'hui des MNTF) et 35 nationalités, alors que la force multinationale en Afghanistan rassemble près de 20'000 soldats non américains venant de 36 nations différentes et répartis en 5 brigades. La participation multinationale entre les 3 cas est donc similaire. Cela est-il une illusion ?

Ce texte est enfin ignoble du point de vue intellectuel. Il fait en effet abstraction de la plus grande composante sécuritaire, les forces de sécurité irakiennes, qui comptent 135'000 militaires et 188'000 policiers. Le soldat américain hors de sa base trouvera en Irak systématiquement des alliés irakiens, en plus des miliciens et des terroristes (les attentats à l'explosif visant des non combattants ne sont rien d'autre que du terrorisme, le mot doit être utilisé). Malgré leurs faiblesses structurelles et identitaires ou encore leur dépendance envers les forces américaines sur le plan de la logistique et de la télématique, les forces de sécurité irakiennes portent le poids le plus lourd des efforts de contre-insurrection et de sécurisation en Irak ; elles ont d'ailleurs perdu plus de 6100 hommes depuis juin 2003. Cela est-il une illusion ?

Cécité émotionnelle, égarement factuel et corruption intellectuelle : voilà qui nous amène bien loin du journalisme, et bien près de la propagande, de la réécriture intéressée de l'histoire, de la belligérance sémantique. Un tel dysfonctionnement, à l'aune de la production médiatique en général, reste heureusement une exception. Mais il est frappant de constater que c'est une fois de plus à propos de l'Irak que de telles dérives se produisent.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h05 | Comments (95) | TrackBack

19 février 2007

Totalitarisme ou transparence

Faut-il, comme Alain Duhamel, penser que l'Internet est à la fois émancipateur et totalitaire ? Le commentateur politique vedette de RTL a sans doute mal digéré sa mise sur la touche pour cause de centrisme, mais la question mérite réflexion. Il est bien clair que le public gagne certainement à connaître les opinions de M. Duhamel dès lors que ce dernier les proclame en-dehors de sa vie privée, et cette transparence mal ressentie par les journalistes lorsqu'elle s'applique à eux-mêmes est bénéfique pour la démocratie. Pour un Duhamel qui s'oublie et crache le morceau, combien de commentateurs taisent leurs choix politiques alors que ceux-ci influencent immanquablement leur travail ? Associer pareille mise en perspective à un totalitarisme est grotesque.

En revanche, il vaut la peine de se poser la même question par rapport à la sphère privée, puisque nous vivons à une époque où la miniaturisation des capteurs et l'ubiquité des connexions nous placent constamment ou presque sous une caméra ou devant un micro. Est-ce que le franc parler ou même la vérité peuvent survivre lorsque chaque mot peut être retourné contre vous ? Peut-on se permettre des opinions tranchées lorsque l'on exerce des responsabilités, en sachant qu'il suffit d'un mot exagéré ou d'une phrase ambiguë pour vous clouer au pilori du politiquement correct ? Sans sombrer dans la paranoïa ou s'aventurer sur le terrain des détournements d'appareils électroniques, force est d'admettre que le risque d'exploitation augmente proportionnellement aux capacités de médiatisation.

Les responsabilités politiques, notamment durant les campagnes électorales, conjurent ce risque par un contrôle étroit de leur communication, avant comme après l'émission, et il faut des lacunes intellectuelles majeures pour mal s'en sortir (cet article paru dans Le Point sur Ségolène Royal est un exemple parmi d'autres ; on se rappelle les difficultés du gouverneur George W: Bush à nommer le président pakistanais). Ce contrôle n'est cependant jamais absolu, parce que les êtres humains sont condamnés à l'erreur, et surtout parce qu'une telle méthode est avant tout conçue par rapport aux médias traditionnels, et non aux franc-tireurs capables de mettre en ligne n'importe quel contenu. La décadence des entretiens "off" en est d'ailleurs la résultante.

Non, je pense que la vraie leçon de l'affaire Duhamel, outre le besoin d'une plus grande transparence de la part des médias, réside dans l'importance que revêt aujourd'hui la capacité à produire du contenu, à échapper à la dépendance du sujet pour exprimer ses idées hors de tout prisme inégal. La multiplication des sources et des relais engendre une telle cacophonie que la précision et l'exactitude voient leur valeur augmenter. Il n'y a pas de totalitarisme dans la liberté de communiquer, mais bien une concurrence saine, livrée entre individus plus qu'entre organisations, dans un environnement instable et évolutif. Et le fait de dissimuler en vain une information significative, consécutivement ou non à une perte de pouvoir dans l'infosphère, rappelle que la franchise et l'honnêteté sont à la base de la crédibilité.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h33 | Comments (3) | TrackBack

18 février 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dont la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques semaines, 3 articles ont été mis en ligne récemment :

Par ailleurs, la nouvelle revue "Axe & Alliés" fait l'objet d'une courte présentation.

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h42 | Comments (53) | TrackBack

De la réalité à la non correction

Loin de moi l'idée de m'acharner sur un cas difficile (on ne tire pas sur les ambulances), mais il était intéressant de voir comment Bernard Guetta, qui publie une colonne hebdomadaire au titre des Eclairages dans Le Temps, allait aborder son erreur magistrale de la semaine dernière. Eh bien, ce personnage fournit une nouvelle fois une illustration exemplaire des dérives auxquelles les médias hélas nous accoutument :

Les islamistes palestiniens n'ont fait qu'un demi-pas? Ils refusent toujours de reconnaître Israël? Ils ne veulent pas clairement renoncer à la violence? Oui, c'est vrai, mais l'avancée faite compte beaucoup plus que le chemin restant à faire. L'important est que le Hamas ait bougé, qu'il ait pris la direction de la paix et c'est cela que les grandes puissances devraient retenir en le prenant aux mots et poussant Israël à ouvrir, sans plus tarder, des négociations avec Mahmoud Abbas. Il ne faut pas hésiter. Où est le risque?

Il y aurait beaucoup à dire sur la mentalité pacifiste qui suinte de ses lignes, mais il vaut mieux tout d'abord se concentrer sur le propos déontologique. Guetta annonce que le Hamas reconnaît l'Etat d'Israël et parle d'un "immense progrès" ; le Hamas reitère son refus de le reconnaître, affirme que la reconnaissance n'a jamais été discutée, et se cantonne dans sa rhétorique habituelle. N'importe quel être humain honnête et intelligent devrait aussitôt reconnaître son erreur, s'interroger sur ses causes et la corriger à la première occasion. Mais reconnaître ses erreurs n'est pas fréquent dans les médias occidentaux, et Guetta se borne à admettre entre les lignes une demi-erreur, en s'appuyant sur une avancée bien contestable pour laisser penser que, malgré les déclarations du Hamas, c'est la vision de Guetta qui est juste et qui finira par se réaliser.

On ne peut juger un individu sur un seul thème et sur la base de quelques articles. En revanche, on peut juger les médias qui tolèrent la publication d'erreurs et de mensonges sans se sentir l'obligation de les corriger dès que la réalité a supplanté la fiction. Et déléguer cette fonction élémentaire aux blogs n'est pas une option...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h46 | Comments (10) | TrackBack

13 février 2007

Information pulvérisée ou diversifiée ?

Je me permets de revenir sur un article mis en ligne voici une semaine par Philippe Barraud, qui n'y va pas avec le dos de la cuiller quant aux nouveaux médias. Extrait :

Ah! Le blog... C'est la Terre promise des éditeurs qui ne savent plus à quel saint se vouer pour ne pas perdre des parts de marché. Même La Première s'y met, croyant faire moderne en développant à tour des bras des solutions qui, en réalité, sont déjà dépassées.
Pourquoi font-ils des blogs? Parce que tout le monde fait des blogs, pardi! Pourquoi chercher plus loin? Bien sûr, on vous explique doctement qu'on veut ainsi «prolonger le débat», donner la parole au lecteur ou à l'auditeur, fournir des informations supplémentaires, des liens, lui donner l'occasion de mieux connaître les personnes qui font le journal ou la chaîne. Bla-bla-bla... Pardon: le lecteur et l'auditeur n'en ont rien à braire de «prolonger le débat», de «réagir» sur commande, ou de savoir si M. Pain aime le Cenovis. Réagir? Ils le feront s'ils le veulent, et par les moyens les plus appropriés, par exemple au moyen d'une lettre de lecteur signée de leur nom (et non d'un «pseudo» débile) à 24 Heures, ce qui est encore le meilleur moyen de se faire entendre à coup sûr dans ce pays.
Preuve en soit l'audience moyenne dérisoire de ces instruments indéfinissables que sont les blogs, qui dit assez leur inanité dans le domaine de l'information, et le peu d'intérêt qu'ils suscitent (en dehors du genre «Journal de Bridget Jones» quand on a du talent). Selon une étude du New York Times, il n'y a qu'un seul lecteur par blog en moyenne, précieux lecteur qui est peut-être bien l'auteur du blog lui-même. Le témoignage d'un éminent rédacteur en chef romand, dans une excellente enquête du Temps (5 février), est éloquent à cet égard: on aurait pu penser que son prestige personnel et celui de son magazine draineraient les foules. Hélas... Il espérait des commentaires, des réactions, des débats, mais rien n'est venu, calme plat.

Bon, ceux qui ont un "pseudo" débile ou un blog personnel à audience intime pardonneront ces lignes un brin acides. Pour ma part, j'ai pris note avec intérêt que le rédacteur en chef de Bilan se lamentait de ne pas avoir d'audience avec ses billets ; mais après avoir en consulté sur son blog, je me suis dit qu'il y était peut-être pour quelque chose - et pas le support médiatique utilisé. Quant à l'enquête du New York Times, dont le nom ne suffit d'ailleurs à assurer la fiabilité, j'aimerais bien savoir comment elle intègre des blogs extraordinairement populaires pour parvenir à cette moyenne de 1 lecteur par blog. Autrement dit, ce n'est pas parce que la grande majorité des blogs ont une audience minime que ce média n'a pas de valeur médiatique propre. Et leur rôle dans la dissémination de l'information ne peut pas être rejeté avec de tels arguments.

Ce site est naturellement un exemple de blog spécialisé qui possède une audience relativement modeste mais stable, avec un peu plus de 2000 visites par jour ; on trouve peu d'équivalents en la matière, surtout en langue française, mais l'audience est avant tout obtenue par la qualité de l'information, de la réflexion, de l'analyse et du dialogue (libre à chacun de me contredire !). On est fidèle à un blog parce que l'on apprécie le contenu régulièrement ajouté par son ou ses auteurs, parce qu'il apporte en soi une plus-value et/ou parce qu'il contient des liens vers des textes intéressants. Ce sont les individus qui, par leur travail, par leur talent et par leur assiduité, donnent vie à un blog et sont mis en valeur par ce média. Et comme la blogosphère est aussi volatile que les intérêts ou les relations humaines, il est normal que souvent elle ne vaille guère plus que la presse de caniveau. Son désavantage comparatif est la durée de vie de ses manifestations.

Toutefois, là où je ne peux suivre Philippe Barraud dans sa réflexion, c'est dans sa défense des journalistes capables de "hiérarchiser le déluge des informations" et par conséquent indispensables en tant que tels. L'essor des blogs comme source d'information n'aurait jamais été aussi rapide sans les travers criants de la presse traditionnelle, et sans la difficulté à obtenir des informations à travers le filtre idéologique ou économique qu'elles appliquent en permanence. Les journalistes ne sont pas nécessairement les plus qualifiés à hiérarchiser les informations : de nombreuses professions ont été numérisées à un rythme similaire et ont dû développer une telle compétence. L'inestimable valeur des blogs réside en fait dans la liberté qu'ils octroient : liberté de raconter ou de montrer n'importe quoi, bien sûr, mais aussi liberté de démasquer l'imposture, de nuancer les grands titres, de rappeler les faits oubliés, de mettre les savoirs en réseau.

Les bons journalistes sont indispensables. Ce que je lis dans la presse traditionnelle me montre que les rédactions n'ont pas que ce profil. Et ce n'est que mon avis ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 20h51 | Comments (41) | TrackBack

12 février 2007

MF : Les dangers de l'hypersécurité

Voici un extrait de ma dernière chronique pour Mondes Francophones, mise en ligne aujourd'hui :

Toutes les entraves sécuritaires à la liberté des personnes possèdent ainsi cette propriété duale consistant simultanément à rassurer et à exaspérer, à réduire la possibilité d'actes violents et à augmenter la volonté de les commettre. Même avec l'emploi de technologies moins visibles et intrusives, les lignes de séparation deviennent fréquemment des symboles puissants, des objets dont l'importance sémantique dépasse rapidement la fonction protectrice. Et leur sens est d'autant plus fort si la séparation s'applique de manière généralisée, face à des pans entiers d'une société, sur des critères financiers, ethniques ou religieux qui ont une résonance immédiate avec les identités.

Pour en savoir plus sur les dangers cachés de l'hypersécurité, allez donc par ici ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 19h12 | Comments (7) | TrackBack

11 février 2007

De la fiction à la réalité

Les faits sont corrigés et remâchés, écrivais-je ci-dessous, mais la réalité peut parfois rapidement démasquer le tout. Prenez le texte de Bernard Guetta que j'ai mis en lien hier, sous le titre "Le tournant du Hamas" :

C'est allé vite. L'Histoire s'accélère. Ce chemin de l'acceptation d'Israël que Yasser Arafat avait mis quarante ans à prendre, les islamistes du Hamas n'auront, eux, mis que treize mois pour s'y engager.
Ce n'est bien sûr pas qu'ils aient déjà reconnu un Etat que leur charte continue à vouer à la destruction mais, en s'engageant, jeudi, à La Mecque, à «respecter» les accords déjà signés entre Israël et l'OLP, les islamistes palestiniens ont repris à leur compte des textes dont le fondement même est la coexistence de deux Etats et, donc, leur reconnaissance mutuelle.
C'est un immense progrès, d'autant plus notable qu'ils ont franchi ce pas devant le souverain saoudien qui est ainsi devenu, de fait, le garant de cette évolution.

Un immense progrès, donc ? On aimerait croire Guetta qui rêve ainsi à pleines lignes, mais voilà ce qu'en dit le Hamas, loin de telles illusions sidérantes :

The Palestinian unity government which will be formed under an agreement reached in Saudi Arabia will not recognize Israel, a political adviser to Hamas Prime Minister Ismail Haniyeh said on Saturday.
"The issue of recognition was not addressed at all (in Mecca)," Ahmed Youssef said. "In the platform of the new government there will be no sign of recognition (of Israel), regardless of the pressures the United States and the Quartet would exert," he said.

Autrement dit, le strict contraire... Voici plus d'une année, la dualité du pouvoir palestinien aurait permis de mettre une telle contradiction sur le compte des rivalités entre mouvements concurrents. Mais avec la victoire électorale de mouvement terroriste, le Hamas ne peut désormais plus tolérer un pareil double langage. Et les idiots devenus inutiles tels que Bernard Guetta, dont on espère qu'il aura l'honnêteté de corriger sa lecture complètement biaisée et dangereuse des faits, n'ont plus l'espace sémantique nécessaire pour corriger le tir.

Posted by Ludovic Monnerat at 7h01 | Comments (22) | TrackBack

10 février 2007

Le prisme inégal des médias

D'un point de vue médiatique, les conflits armés peuvent grosso modo être divisés en trois catégories : ceux qui plaisent, ceux qui déplaisent et ceux qui indiffèrent. Les premiers doivent être mis en évidence, ramenés à leurs éléments les plus saillants, dépourvus de nuance pour mieux être exploités ; les seconds doivent être resitués et recadrés, entourés d'interprétations et d'explications, recouverts d'un voile relativisant pour ne pas être exploités. Enfin, les troisièmes ne revêtent aucun intérêt et doivent être traités comme des faits divers, comme des événements naturels et inévitables, indignes de toute implication émotionnelle ou morale.

La guerre en Irak fait naturellement partie de la première catégorie. Il suffit de consulter régulièrement la colonne de gauche de ce site pour voir de quoi est fait l'essentiel de l'information donnée au public concernant l'Irak : les attaques terroristes, les pertes en soldats américains ou coalisés et les luttes politiques à Washington. Occasionnellement, lorsqu'un aperçu positif parvient à passer le filtre, il apparaît comme une incroyable surprise, comme le montre l'exemple de la croissance économique irakienne ; et bien vite on en revient à la "normalité" biaisée d'une opération d'emblée combattue. Les dissonnances internes aux rédactions sont réprimées, et certaines données contradictoires - comme les pertes en combattants infligées par la coalition - sont systématiquement ignorées. Les faits sont sélectionnés d'après le sens recherché.

La guerre au Congo fait partie de la troisième catégorie. Les événements dramatiques vécus en RDC sont relatés comme des "incidents" ou présentés comme tels les rares fois où ils émergent dans l'actualité planétaire. La présence d'organisations internationales et non gouvernementales dans le pays assure pourtant une livraison régulière des informations, mais celles-ci ne convoient aucun enjeu à même de mobiliser les rédactions, pas de bons et de méchants, pas de victimes et de coupables. Le drame congolais se perd dans le marasme africain, dans les Etats échoués, dans les divisions locales, et le coût humain inouï du conflit depuis 1998 ne suffit pas à générer la moindre émotion durable. Les faits ne sont pas sélectionnés, ils sont minorés, dédramatisés, objectivés.

La guerre en Palestine fait partie de la deuxième catégorie. Voici plusieurs mois que les violences interpalestiniennes font rage, mais la brusque augmentation d'attaques depuis quelques semaines a poussé cette population au bord de la guerre civile. Pourtant, le nombre de victimes reste étonnamment tu, et on ne le trouve approximativement ça et qu'avec peine, alors que l'AFP a pour coutume d'établir un décompte précis des Palestiniens tués par Israël. De même, il est très rare de lire dans la presse grand public un reportage comme celui-ci, qui montre la réalité d'un massacre commis de sang froid par le Hamas sur des recrues du Fatah et brise le tabou de la guerre civile. Mais le redressement des esprits a tôt fait d'être entrepris pour noyer ces vérités insupportables dans une explication lénifiante. Les faits sont corrigés et remâchés dans le sens recherché.

Que faire face à ce traitement extraordinairement inégal des conflits armés dans le prisme des médias ? Rechercher obstinément les faits, démasquer les interprétations abusives, acquérir la vue d'ensemble, identifier les enjeux et les causes, accepter des perspectives différentes, considérer les sources d'un oeil critique, éviter les trous de mémoire, mesurer l'implication des médias eux-mêmes ? Probablement tout cela, et bien d'autres choses encore. A l'heure de l'information immanente, il est plus que jamais important d'apprendre à s'informer.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h28 | Comments (10) | TrackBack

5 février 2007

Alerte média : Europe 1

Aujourd'hui, j'ai enregistré un bref entretien avec Catherine Nivez, journaliste spécialisée dans les blogs pour Europe 1, et qui réalise chaque jour ouvrable une chronique dont la prochaine, demain, sera consacrée à ce site. Je ne pourrai pas l'écouter à 0647, car je serai en déplacement pour participer aux Assises de la Sécurité du canton de Genève, mais la chronique sera disponible sur Internet. Vu l'éventail des sujets que nous avons abordés, je suis intéressé à découvrir le produit final... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 18h18 | Comments (9) | TrackBack

4 février 2007

RMS : un recentrement de l'armée

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dans la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques semaines, 1 article a été mis en ligne ce soir : Le rôle de l'armée recentré sur le pays, en réaction à l'actualité de ce jour.

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h36 | Comments (33) | TrackBack

Entre journalisme et hagiographie

Lorsqu'une femme de gauche vouée à l'hyperbole comme Ariane Dayer assiste à un meeting électoral d'une femme de gauche vouée à l'hyperbole comme Ségolène Royal, il ne peut en émerger qu'une hagiographie en lieu et place d'un reportage journalistique, sous le titre "Ségolène, la madone des étudiants" :

De passage en Isère, la Française a enflammé la salle. La soirée électorale sur l'éducation a tourné en immense fête de l'espoir.
[...]
Nouvelle acclamation, elle se redresse à chaque applaudissement, comme transformée, grandie par l'amour qu'on lui porte. Quand elle part, plus besoin de Madonna, on peut revenir au classique: «Bella Ciao», ça lui va aussi.

Inutile d'entrer en matière sur la litanie de promesses démagogiques (premier emploi garanti, etc.) faites par la candidate socialiste, puisque Ariane Dayer n'en fait mention que pour la forme, et sans l'ombre d'un esprit critique dont elle sait faire preuve - à défaut de compétence - sur d'autres sujets. Nul besoin d'être grand clerc pour se rendre compte que l'immense espoir suscité par Mme Royal reflète étroitement les projections de la camarade ayant rédigé ces lignes. Parce que d'autres lectures consacrées à la campagne électorale, comme cet article pourtant nuancé du Figaro, montrent que le scepticisme et le doute planent sur la candidate socialiste.

En même temps, si l'on veut faire passer des coups de coeur "people" pour du journalisme et que le public suit avec suffisamment d'espèces sonnantes et trébuchantes, je n'ai rien contre. Un modèle économique performant, c'est-à -dire rentable, est une justification en soi dans bien des cas. A condition de ne pas parler d'éthique, bien entendu...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h57 | Comments (12) | TrackBack

31 janvier 2007

Irak : l'autocensure en marche

Il n'y a plus lieu de s'étonner que la presse démocrate américaine donne une couverture systématiquement négative de l'Irak : toute voix discordante en son sein est rapidement rappelée à l'ordre et priée de ne pas franchir la ligne du parti. L'exemple du New York Times, paraît-il une référence en matière de qualité journalistique, est éloquent à cet égard : alors que les succès sont transformés en défaite par une sélection biaisée et une majoration des faits (de façon répétée), un membre de la rédaction qui voit une chance de succès américain en Irak est admonesté par ses chefs, et ses propos traités d'aberration. Alors qu'un autre journaliste du NYT peut se livrer à des diatribes antiaméricaines sans la moindre réaction.

Il doit être assez étrange, dans une opération militaire telle que "Iraqi Freedom", de se rendre compte qu'une partie importante des médias à domicile minimisent vos succès, maximisent vos échecs et se comportent comme s'ils recherchaient votre défaite... Au moins, l'autocensure des belligérants médiatiques a le mérite de leur retirer toute prétention éthique. On y gagne en clarté.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h47 | Comments (18) | TrackBack

30 janvier 2007

RMS : chaos stratégique et maintien de la paix

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dans la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques semaines, 2 articles ont été mis en ligne récemment :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h29 | TrackBack

26 janvier 2007

Alerte média : Raids

A tous ceux qui s'intéressent à la chose militaire contemporaine, notamment en Suisse, je conseille la lecture de la prochaine édition de Raids : ils y trouveront un article faisant le point sur la mutation des grenadiers, réalisé suite à une visite de Frédéric Lert à Isone en novembre dernier, à l'instant même où le soussigné y dirigeait un exercice avec les écoles de grenadiers. Pendant 3 jours, ce journaliste spécialisé a ainsi accompagné la troupe durant la préparation et l'exécution d'une action directe aéromobile. Je me réjouis de voir les photos qu'il a prises à cette occasion ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 20h17 | Comments (1) | TrackBack

25 janvier 2007

La loterie militaire en marche

Cet article de 24 Heures sur la succession du Chef de l'Armée a le mérite de donner au grand public un aperçu de la grande loterie militaire aujourd'hui en marche. Chaque nomination d'un général donne lieu à de nombreuses spéculations, voire à des discussions passionnées, dans les rangs de l'armée. Il en va naturellement de même pour le prochain CdA, même si la dimension politique du poste complique singulièrement les choses.

La semaine dernière, lors du rapport des professionnels de l'Etat-major de conduite de l'armée, le commandant de corps Keckeis a donné un long entretien à caractère très personnel, qui a permis de mieux mesurer les spécificités de l'homme qui, depuis maintenant 4 ans, dirige avec une énergie exceptionnelle une institution militaire minée par les coupes budgétaires, les querelles politiques et la cécité stratégique. On ne peut que souhaiter à son successeur la même capacité à maintenir le cap choisi malgré les coups encaissés presque chaque jour, de l'intérieur comme de l'extérieur...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h42 | Comments (7) | TrackBack

22 janvier 2007

La manipulation des sources

Le temps me manque aujourd'hui et ces prochains jours pour traiter le sujet en détail, mais les dernières révélations sur l'affaire de la source contestée utilisée par AP pour fournir des informations dramatiques en provenance d'Irak méritent le détour. Lorsqu'une vérification sur place montre que des mosquées censées avoir été détruites et incendiées dans un attentat sont toujours debout et ne portent pas les signes d'une telle attaque, c'est toute la crédibilité des agences de presse qui est en cause. Avec deux angles majeurs : la dépendance envers des collaborateurs locaux, qui peuvent être manipulés ou manipulateurs, et la réticence des médias à décrire avec transparence le cheminement de l'information. Pour un belligérant non étatique, l'influence des perceptions reste de toute manière bien plus facile par une action à la source, et contrecarrer de telles manipulations prend du temps et de l'énergie.

Une manoeuvre allant dans ce sens reposerait ainsi sur quelques actions simples :

Nul besoin d'être grand clerc pour se rendre compte que, au vu du fonctionnement des médias en Irak et des incohérences entre perception et réalité, une telle méthode d'influence des esprits est probablement à l'oeuvre.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h42 | Comments (38) | TrackBack

19 janvier 2007

Une révolution naissante

Dans la foulée de la plainte contre la TSR décrite ci-dessous, un autre aspect du transfert de pouvoir entre les médias et le public peut être vu sur cette page, qui montre comment des personnes prises en photo le 11 septembre 2001, et affublées 5 ans plus tard d'une interprétation déplacée, ont saisi l'opportunité de décrire les faits tels qu'elles les ont vécus :

Thomas Hoepker took a photograph of my girlfriend and me sitting and talking with strangers against the backdrop of the smoking ruin of the World Trade Center on September 11th. [...]
We were in a profound state of shock and disbelief, like everyone else we encountered that day. Thomas Hoepker did not ask permission to photograph us nor did he make any attempt to ascertain our state of mind before concluding five years later that, "It's possible they lost people and cared, but they were not stirred by it." Had Hoepker walked fifty feet over to introduce himself he would have discovered a bunch of New Yorkers in the middle of an animated discussion about what had just happened. He instead chose to publish the photograph that allowed him to draw the conclusions he wished to draw, conclusions that also led Frank Rich to write, "The young people in Mr. Hoepker's photo aren't necessarily callous. They're just American." A more honest conclusion might start by acknowledging just how easily a photograph can be manipulated, especially in the advancement of one's own biases or in the service of one's own career.


Naturellement, ce témoignage a été rendu possible par l'appel d'un média électronique, Slate, à retrouver les personnages pris en photo et à leur donner la parole. Le fait que deux d'entre eux ait vu l'image, se soient reconnus puis ait écrit quelques lignes bien senties pour renvoyer le photographe à ses objectifs illustre la force d'Internet. Mais en sortant du rôle de figurant pour entrer dans la production de sens, ces gens ont surtout montré à quel point aujourd'hui la dichotomie parfois tyrannique entre rédacteur et lecteur, entre producteur et consommateur, appartient au passé. Avoir un poste haut placé dans une rédaction, comme l'a constaté à ses dépens Dan Rather, ne peut rien face au talent, à la ténacité et la réactivité des individus au fait des technologies de communication modernes.

Dans les débats sur le thème "médias traditionnels contre médias nouveaux", je lis ou j'entends souvent de doctes relativisations de ce phénomène, qui utilisent généralement l'impact des médias de masse sur le grand public et leur mainmise sur l'information brute au quotidien pour minimiser ce transfert de pouvoir. Mais les premières occurrences d'une transformation majeure ont toujours suscité les mêmes commentaires incrédules, et la voiture, l'avion, l'ordinateur ou le téléphone ont tous connu des critiques passées aux oubliettes de l'histoire. La raison en est que les transformations révolutionnaires ont des effets et des développements qu'il est impossible d'imaginer entièrement, parce qu'elle reposent sur des interactions - ou des modèles économiques, ce qui souvent revient au même - ni entièrement rationnelles, ni entièrement linéaires.

Pour ma part, je pense que la conjonction des ordinateurs, des réseaux sans fil et de la miniaturisation - c'est-à -dire la révolution de l'information - est très loin d'avoir dévoilé toute sa portée. Notamment parce qu'aucune révolution n'a été aussi accessible jusqu'ici.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h13 | Comments (3) | TrackBack

17 janvier 2007

Nouveaux textes : RMS et MF

Ce début d'année est plutôt productif pour votre serviteur, et deux articles de mon cru ont été aujourd'hui mis en ligne en-dehors de ce site.

Il s'agit tout d'abord d'une nouvelle chronique sur Mondes Francophones, qui tente d'examiner à quoi ressemblerait pour les Etats-Unis en Irak une stratégie de maintien, et non une stratégie de sortie. Ou comment prendre le contrepied des nouvelles mesures annoncées la semaine dernière (ce texte a été rédigé le 2 janvier).

Il s'agit ensuite d'un nouveau texte sur le site de la Revue Militaire Suisse (dont la fin du premier développement devrait être achevée en février), et qui s'appuie sur l'annonce et le démenti de la vente de Rafale français à la Libye pour examiner le rôle des ventes d'armes de haute technologie dans le maintien de la puissance des Etats.

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (13) | TrackBack

16 janvier 2007

David citoyen contre Goliath médiatique

Une plainte contre la Télévision suisse romande a été déposée aujourd'hui par un ensemble de plaignants divers, soutenus par quelque 150 personnes, contre un reportage diffusé le 26 octobre dernier par Temps présent sur le groupe terroriste Hezbollah. Sous la plume d'Alain Jean-Mairet, bien connu des lecteurs de ce blog, c'est ainsi une attaque déontologique en règle qui est menée contre l'unique télévision nationale de notre coin de pays, en lui reprochant notamment de :

On peut lire sur le site d'AJM toute la démarche qui a mené à cette plainte, et notamment le compte-rendu assez éclairant de la séance de conciliation entre les deux parties. Les pratiques parfois contestables de la TSR en matière d'information sont suffisamment connues pour qu'il ne soit plus besoin de les mentionner. Ce qui est en revanche fort intéressant, dans cette plainte, c'est la confirmation que le transfert de pouvoir découlant des nouvelles technologies de l'information et de la communication a un impact direct sur les médias traditionnels, jusqu'ici hors de portée du citoyen. Il faut le moyen de rassembler les connaissances, les compétences et les volontés pour s'en prendre à une entreprise aussi influente que la Télévision suisse romande.

Cependant, le David citoyen dispose d'un avantage déterminant contre le Goliath médiatique : il emploie l'arme principale de ce dernier, c'est-à -dire la légitimité, l'éthique, la véracité factuelle et l'équité intellectuelle. Du coup, les biais et préjugés si fréquents dans les rédactions - anti-américains, anti-israéliens, pro-palestiniens, ou encore anti-militaires - sont des vulnérabilités d'autant plus béantes qu'elles contredisent les règles déontologiques qui sont le propre de la démarche journalistique. Perpétuellement en quête de transparence et d'autocritique chez autrui, ce qui d'ailleurs en fait une composante essentielle de toute société démocratique, les médias se trouvent ainsi confrontés aux mêmes exigences à propos de leur travail. Et cette inversion des rôles est souvent mal vécue dans les rédactions habituées à contrôler l'essentiel du discours, soit la presse écrite et la télévision, à l'inverse de la radio, davantage accoutumée à l'expression d'avis divers et critiques.

Bien entendu, une plainte n'est pas une condamnation, et il reste à voir ce qu'en fera l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio et télévision. Mais l'importance prise par cette démarche, dont il sera intéressant de voir l'écho médiatique (une trentaine d'organes de presse ont reçu en début d'après-midi l'annonce faite par AJM), ne manquera d'avoir des effets au sein des rédactions, car personne n'aime être pris en faute selon ses propres critères...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h49 | Comments (47) | TrackBack

14 janvier 2007

Le confort de la sécurité

Voici plusieurs années que j'ai décrit la multiplication générale des lignes de séparation sécuritaires, notamment pour situer l'engagement des forces de sécurité. Sans encore verser dans les espaces hypersécurisés, on constate aujourd'hui une augmentation des résidences sécurisées, qui ne sont plus l'apanage des plus aisés. Un phénomène naturellement influencé par la perception de l'insécurité ambiante, et donc par une volonté de s'isoler d'un monde à l'apparence toujours plus menaçante pour couler, en principe, des jours heureux. Ou quand la sécurité est vantée comme le premier des conforts, alors qu'elle reste un besoin élémentaire qui est loin d'être insatisfait...

Ce phénomème est intéressant à plus d'un titre. Notamment parce qu'il montre la convergence de réponses individuelles à des problèmes sociétaux, la flexibilité du marché du logement et de la sécurité pour y répondre, et aussi l'opposition tranchée des élus politiques face à cette démarche individualiste. Le fait que les citoyens de la classe moyenne reprennent en mains leur sécurité, même passive, illustre ainsi plus que toute votation populaire la perte de confiance envers les institutions, et notamment la classe politique, pour résoudre les problèmes quotidiens, mais aussi une volonté affirmée de s'en charger. Je pense bien entendu que cette démarche ne peut que gagner en ampleur, à l'encontre des dispositifs collectivistes, et que nous allons vers des sociétés avec une fracture toujours plus marquée entre dépendants et indépendants, entre ceux qui façonnent leur existence et ceux qui la subissent. En espérant que nous n'allons pas entièrement vers un monde à la Gibson...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h34 | Comments (4) | TrackBack

13 janvier 2007

Revue Militaire Suisse : nouveaux textes

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dans la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques semaines, 2 articles ont été mis en ligne récemment :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 8h59 | Comments (2) | TrackBack

12 janvier 2007

Alerte média : Le Temps (4)

Comme l'a fort judicieusement relevé Alex ci-dessous, Le Temps a publié aujourd'hui un entretien que j'ai eu hier avec Eléonore Sulser sur le thème de la stratégie américaine en Irak. Ce qui m'a donné davantage le temps d'exposer d'autres éléments que sur la RSR...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h11 | TrackBack

10 janvier 2007

Alerte média : la RSR (7)

Journée bien remplie sur le plan médiatique demain : la Radio Suisse Romande La Première m'a en effet invité à m'exprimer dans le journal du matin, peu après 0700, sur la nouvelle stratégie irakienne présentée ces prochaines heures par le Président Bush, ainsi que durant l'émission Recto Verso, entre 1700 et 1800, pour parler du camp de Guantanamo, qui a été ouvert voici 5 ans.

COMPLEMENT (11.1 1315) : Ma brève intervention ce matin est audible ici.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h31 | TrackBack

9 janvier 2007

Une mauvaise pensée...

Or donc, le sieur Arnaud Montebourg a lancé une charge violente contre la Suisse trop concurrentielle sur le plan fiscal, non seulement pour les individus fortunés comme Johnny Hallyday, mais également et surtout pour les entreprises bénéficiaires. Il vaut la peine de citer la conclusion du député français pour mesurer les menaces qui, à le croire, pourraient peser sur notre pays :

Les grands pays européens devront s'unir dans cette perspective afin de construire les conditions d'un changement radical de comportement de ces paradis à nos portes qui, si nous restons les bras ballants, nous préparent l'enfer fiscal.

L'animosité de Montebourg contre la Suisse sous l'angle de la fiscalité n'est pas nouvelle. En revanche, de tels propos, tenus par un porte-parole d'une candidate aux élections présidentielles en pleine campagne électorale, ont évidemment un poids différent. Ne serait-ce que pour le risque réel, pardon la possibilité tangible, que Montebourg devienne ministre si Ségolène Royal recevait la majorité des suffrages au second tour. Mais parce qu'il est inconcevable qu'une telle attaque ne soit pas avalisée par toute l'équipe de campagne, par les spécialistes ès enquêtes d'opinion qui encadrent sa marche vers l'Elysée. D'où une mauvaise pensée : et si les propos de Montebourg n'étaient pas qu'un coup d'éclat médiatique, qu'un thème populaire de campagne, mais la partie émergée d'une offensive bien plus profonde, les premiers coups de tambour d'une attaque en règle ?

Revenons un brin en arrière. "Ségo" ne serait probablement aujourd'hui qu'un souvenir si elle n'avait pas été propulsée par une campagne de publicité signée Ogilvy, dont la directrice de la filiale française est justement l'une des conseillères de la candidate Royal. Cette agence américaine fait partie d'un groupe, WPP, dont le Président, Philip Lader, est un ancien chef d'état-major adjoint de Bill Clinton lorsqu'il était Président des Etats-Unis. Ce groupe est d'ailleurs expert dans l'influence des opinions, et sa filiale Hill & Knowton a ainsi été mandatée par le Koweit en 1990 pour influencer l'opinion publique américaine en faveur d'une action offensive dans le Golfe, au besoin en inventant de faux témoignages, comme l'histoire bidonnée des incubateurs pour enfants prétendument saccagés par la soldatesque irakienne à Koweit City. Une campagne non décisive, mais influente, surtout pour une présidence longtemps indécise.

Quel rapport avec les propos de Montebourg, avec ses menaces de blocus contre la Suisse ? A priori aucun, et il faut vraiment avoir de mauvaises pensées pour en voir un. Toutefois, si certains intérêts économiques décidaient d'attaquer la place financière helvétique par une accusation portée devant le grand public, et donc sous l'angle de la morale, alors l'équipe de campagne de Ségolène Royal offre une opportunité certaine dans ce sens. A partir de là , chacun est libre d'échafauder les hypothèses qu'il veut, et il en faudrait plus pour me convaincre. Mais les mauvaises pensées sont parfois les plus exactes...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h55 | Comments (20) | TrackBack

8 janvier 2007

Revue Militaire Suisse : nouveaux textes

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement, 3 articles ont été mis en ligne récemment :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h21 | Comments (5) | TrackBack

4 janvier 2007

Revue Militaire Suisse : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement, 5 articles extraits des deux dernières éditions de l'année 2006 ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h25 | Comments (1) | TrackBack

2 janvier 2007

Le premier de l'année

Je conseille de lire ce billet de Stéphane, sur le Meilleur des Mondes, à propos de l'exécution de Saddam Hussein. Il illustre bien l'importance stratégique et morale de cette pendaison rapidement rendue publique, avant tout pour ses victimes, mais aussi les contorsions intellectuelles des médias dans leur refus unanime de toute condamnation à mort :

[L]es rédactions ont toujours hésité entre différentes perceptions autour de la condamnation de Saddam Hussein, allant de la sournoise théorie du complot à une "défense des valeurs occidentales" bien commode pour justifier l'injustifiable, tout en l'habillant de quelques oripeaux humanistes. Ces gens défendraient-ils d'une telle façon Hitler dans un procès de Nuremberg? Nous n'en saurons évidemment jamais rien. Mais que n'ont-ils pas défendu toutes les victimes de Saddam, crime après crime, année après année! Ces condamnés-là , sans procès, n'ont pas eu droit à ces vaillants avocats pour les défendre. Ni même à autre chose que le silence.
Que ce soit pour ne pas donner raison à Bush - voilà un vrai crime contre l'humanité! - ou au prétexte de ne pas "attiser" le conflit communautaire entre Kurdes, Chiites et Sunnites - et on se demande par quel raisonnement - il était important, crucial même, que Saddam vive.

En passant, on en profite pour féliciter Stéphane et son épouse, puisque leur petit Abel n'est autre que le premier bébé de l'année ! Dommage que l'article du Matin ne donne aucun lien vers le blog ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 9h37 | Comments (32) | TrackBack

26 décembre 2006

Alerte média : la RSR (6)

Cette fois-ci, je n'ai pas oublié de prévenir : je suis invité à participer ce soir à l'émission Forums, de Radio Suisse Romande La Première, sur le thème très général de l'évolution du monde, et notamment des améliorations et détériorations dans différents domaines. C'est dans la dernière partie de l'émission que je suis a priori censé m'exprimer...

Posted by Ludovic Monnerat at 14h41 | Comments (36) | TrackBack

20 décembre 2006

Casus belli en rap metal

Il est étonnant qu'il ait fallu attendre plus de 5 ans pour voir apparaître des clips vidéos musicaux tels que celui-ci, certainement promis au succès, avec une rhétorique et un visuel entièrement combattants (trouvé via LGF). Bien entendu, le groupe qui a composé et tourné ce morceau est largement "underground", mais l'accès à Internet - et la diffusion via YouTube - est une manière efficace de contourner l'industrie établie et de toucher le public. Et le message, à la fois guerrier et attentiste (voire isolationniste), est sans doute le reflet important d'un segment de la société américaine :

My forefathers fought and died for this here I'm stronger than your war of fear Are we clear? If you step in my hood It's understood It's open season

Que la musique et les paroles soient employées comme armes dans l'influence des esprits n'est certes pas nouveau ; que des individus sans le sou ou presque y parviennent, surtout sans action gouvernementale (jusqu'à preuve du contraire !), est un témoignage supplémentaire de l'évolution des rapports de forces occasionnée par le progrès technologique dans le domaine de l'information. Au risque de s'approcher toujours plus de la guerre de tous contre tous...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (7) | TrackBack

11 décembre 2006

Alerte média : la RSR (5)

J'ai oublié de prévenir les lecteurs de ce blog, mais j'ai été invité par Fathi Derder à participer au Grand 8, le débat du journal du matin sur Radio Suisse Romande La Première, consacré à la démocratisation des pays arabo-musulmans en général et à la situation en Irak en particulier. Un débat plutôt animé, dont j'ajouterai le lien dès que je l'aurai identifié ! :-)

COMPLEMENT (11.12 1450) : Le lien vers l'émission est disponible ici.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h08 | Comments (6) | TrackBack

10 décembre 2006

Entre expulsion et intégration

La conseillère d'Etat saint-galloise Karin Keller-Sutter est aujourd'hui à l'interview dans Le Matin sur la question des mariages forcés, et notamment sur la mesure tranchée qu'elle a prise à l'été : l'expulsion du pays de deux Turcs, soit le mari et le père, suite à un mariage forcé. Face à l'ampleur révélée de ce phénomène, et donc à une autre indication de pannes majeures en matière d'intégration, cette mesure se distingue par sa dureté, puisque le père en question était présent en Suisse depuis 26 ans. Et lorsqu'on lui demande ce qu'elle a voulu défendre dans cette affaire, Karin Keller-Sutter répond avec netteté :

L'esprit de liberté. L'égalité des sexes. Le fait de ne pas placer la religion ni la tradition plus haut que les libertés individuelles. Nous devons exiger que toutes les personnes qui vivent en Suisse respectent notre ordre juridique. On ne peut pas accepter que se forme un système parallèle avec des valeurs patriarcales et archaïques.

Ces propos résonnent comme des actes de défense sociétales : pour préserver ses valeurs et refuser leur déni, la Suisse exerce son droit à choisir sa population immigrée et à renvoyer au pays d'origine ceux qui refusent les règles, la loi et la culture au sens large du pays d'accueil. Plus loin, la conseillère d'Etat place d'ailleurs "les droits fondamentaux" au-dessus de toute autre culture, ce qui revient à faire de valeurs occidentales une référence à accepter et à intégrer, une supériorité à reconnaître, pour quiconque cherche à vivre en Suisse. Un discours qui tranche évidemment avec le multiculturalisme ambiant, avec le relativisme qui ronge les assises traditionnelles du pays, et qui désormais possède suffisamment de résonance au sein de la population pour passer le filtre souvent gauchi des médias.

Bien entendu, il s'agit de relativiser la portée d'une telle action : Karin Keller-Sutter n'est qu'une "ministre" d'un des 26 cantons et demi-cantons, et même si l'on parle déjà d'elle comme d'une papable au Conseil fédéral (et elle a un rôle influent dans la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police), la réponse aux problèmes d'intégration et à l'importation de valeurs incompatibles avec celles du pays n'a pas de cohérence au niveau national. La polémique suscitée par les propos de Christoph Blocher, lorsqu'il a parlé d'expulser ou de retirer la nationalité suisse aux auteurs d'un viol collectif particulièrement sordide, montre d'ailleurs les réflexes en la matière. La perte de cohésion, la dilution morale et la confusion identitaire (pour ne pas parler de la léopardisation du territoire, étape suivante) ne sont pas perçues comme des menaces stratégiques.

Malgré cela, c'est le signe d'une évolution majeure des perceptions que l'on puisse aujourd'hui parler d'expulser les étrangers non intégrés au pays sans être aussitôt bâillonné par l'accusation de racisme, ou même que l'on puisse interdire à des communautés des prérogatives indues (comme le renoncement à la baignade mixte pour les musulmans) sans être aussitôt mis au ban par l'accusation de xénophobie. Les armes sémantiques développées dans les années 70 et 80, avant tout dans les mouvements de gauche et dans leurs relais médiatiques ou académiques, commencent à s'émousser face à une réalité bien plus complexe, face à une prise de conscience ancrée dans les faits. Voilà qui donne à croire en la capacité des Etats modernes à s'adapter aux menaces de notre ère.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h12 | Comments (56) | TrackBack

9 décembre 2006

La communication de l'Armée suisse

Comment fonctionne la communication de l'Armée suisse? Quelle est sa stratégie? Quels sont ses effectifs et son organisation? Quels sont ses résultats et les améliorations potentielles?

Telles sont les questions auxquelles vise à répondre un article inédit mis en ligne à l'instant sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, et écrit par le Chef de la communication de la Défense, Philippe Zahno. Une lecture que je vous recommande chaudement, notamment pour voir les efforts faits au quotidien afin de renforcer l'image et l'acceptation de l'armée au sein de la population.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h59 | Comments (5) | TrackBack

6 décembre 2006

Entre faux désastre et vraie défaite

L'importance des perceptions dans le conflit qui se joue en Irak n'est plus à démontrer. Alors que la commission Baker déçoit les chantres du bourbier en recommandant une présence militaire US ouverte, quoique réduite, en Irak, sans répondre aux risques majeurs qu'une telle approche comporte, les preuves de la fabrication du "désastre" irakien continuent à apparaître, notamment dans la différence de perception entre les militaires américains sur place et les images véhiculées par les médias traditionnels. Cependant, puisque les actions et les succès de la coalition en Irak restent confinés au théâtre moyen-oriental et ne sont pas connues du public à domicile, c'est bien qu'une défaite est en cours sur le front de l'information.

Bien des lignes ont été écrites, sur ce blog également à propos du comportement des médias, sous l'angle des journalistes-combattants ou des reporters en chambre, ou encore des manipulations presque quotidiennes. Il faut cependant aborder un autre aspect : l'aptitude sévèrement réduite de l'institution militaire américaine à comprendre, et donc à mener, une guerre de l'information, et donc à penser les perceptions des actions en même temps que les actions elles-mêmes. J'en veux notamment pour preuve cet article, qui s'appuie en particulier sur l'expérience du reporter Michael Yon, pour mesurer ces lacunes. Extrait :

The mainstream media has not, either, been able to present Iraq coherently. A part of this is bias, but perhaps an even greater part is that there haven't been any Ernie Pyles ducking into foxholes with GIs; the press corps has been hunkering down in Baghdad's green zone and relying on reports from Iraqi stringers and informers, some up front and others highly suspect. And, of course, they have stressed the sensational over the commonplace as all "news" does. At some point, all of us have realized that, but did we know-would you have imagined-only nine embeds in all of Iraq? I think my first reaction to this revelation was shock; the second is anger. I'm angry because a pathetic situation has been made worse by the command's refusal to authorize embeds who are freelance or write for nontraditional media (read the internet).
My information on embeds in Iraq comes from an article in the October 30 issue of The Weekly Standard, one I caught up on reading over Thanksgiving: "Censoring Iraq: Why are there so few reporters with American troops in combat? Don't blame the media" by Michael Yon. Yon is a former special forces soldier who blogs at michaelyon.com and who spent most of 2005 embedded in Iraq. He went to Iraq then, at his own expense (camera, satellite phone, laptop, body armor, helmet etc. and a plane ticket to Kuwait). He went specifically because two close friends had died on consecutive days and because troops in the field requested it of him and spent 10 months embedded with the 1st Battalion, 24th Infantry Regiment (Deuce Four) of the 25th Infantry Division.
Yon has had several requests to return, and he wants to go, but-but is, as Yon sees it, a Pentagon attitude that "withhold[s] information! [and denies] access to our combat forces just because that information might anger, frighten, or disturb us." And "[t]his information blockade is occurring at the same time the Pentagon is outsourcing millions of dollars to public relations firms to shape the news." Yon points out that although the US military has overwhelming advantage in weaponry, that superiority is "practically irrelevant in a counterinsurgency where the centers of gravity for the battle are public opinion in Iraq, Afghanistan, Europe, and at home."
The enemy, on the other hand, is savvy; Yon reports, "The lowest level terror cells have their own film crews."
The problem is systemic, he believes, and also particular to the Combined Press Information Center (CPIC) and one particular officer, says Yon: Lt. Col. Barry Johnson. Col. Johnson has refused Yon permission to embed with military training teams (requested by Brigadier General Dana Pittard) and with another embed request. Johnson's written reason is "I do not recognize your website as a media organization!" However, it's not only that Col. Johnson stands squarely with both feet in the 20th, rather than the 21st century, he also denied a request by another former infantryman who intended to shoot pictures for VFW, the Veterans of Foreign Wars magazine, a traditional news source.
The nine embeds in Iraq come from The Stars and Stripes (3), the Armed Forces Network (1), a Polish radio station (1, with Polish forces), plus one Italian reporter with Italian forces, a writer gathering information for a later book, and only two "who were reporting on a regular basis to what you might think would be the Pentagon's center of gravity: American citizens."

Les forces armées américaines sont capables de mener efficacement des campagnes de contre-insurrection, comme le montre l'exemple des Philippines, dès lors qu'elles ne sont pas soumises à l'éclat aveuglant des médias planétaires. Mais lorsqu'il s'agit d'opérer en pleine lumière, et donc de convaincre plus que de vaincre, elles témoignent d'une focalisation sur leur savoir-faire technique et tactique qui obère totalement leur rôle stratégique. Il ne faut pas être un génie de la planification pour savoir que le centre de gravité à protéger, pour les Américains, est depuis 2003 celui de leur opinion publique ; c'est le cas pour toutes les démocraties qui emploient la force pour protéger leurs intérêts ou imposer leur volonté. Ne pas traduire ceci en lignes d'opérations est en revanche une faute grave, non rédhibitoire, mais imposant une réaction rapide.

COMPLEMENT (7.12, 1150) : Cet article de Daniel Pipes est éclairant sur la question des perceptions, et montre bien que le jugement de la situation en Irak dépend d'a priori qui sont souvent tus. A lire pour ceux qui voient tout en noir et blanc ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 11h09 | Comments (38) | TrackBack

L'avènement du chien moldave

Une lecture même rapide de la presse quotidienne donne parfois l'impression que l'on prend goût, sous nos latitudes, à tout mélanger : que les chiens valent plus que les humains, et que l'on change de nationalité comme de chemise. Mais peut-être ce mélange n'est-il que l'un des nombreux indices montrant une ère de transformations profondes... dont les chiens moldaves seront les grands bénéficiaires ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 9h08 | Comments (3) | TrackBack

16 novembre 2006

Irak : la fabrication d'un « désastre »

Impossible ou presque de lire, d'écouter ou d'entendre quelque chose sur l'Irak, dans les médias traditionnels, sans la présentation - ou la dénonciation - du désastre censé s'être abattu sur ce pays, et donc de l'opération avant tout américaine qui en est le déclencheur désigné. Cette réalité médiatique n'est pas nouvelle, loin s'en faut, mais elle a gagné en importance en devenant une réalité politique aux Etats-Unis par l'éviction du Secrétaire à la Défense et son remplacement par un cacique washingtonien - bien plus que par la victoire globalement modeste des démocrates. En d'autres termes, la perception d'un échec manifeste en Irak a abouti à une modification de l'exécutif américain qui favorise, sans le garantir, un changement de stratégie. Dans la mesure où cette perception a été construite et ne reflète pas la situation complète, ce phénomène d'influence des esprits doit être analysé.

...

La suite de mes réflexions sur l'Irak est disponible ici, sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse ! :-)

Un élément intéressant à ajouter, les déclarations du commandant en chef de l'opération au Sénat américain, qui montrent la perspective des militaires américains sur la situation.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h12 | Comments (21) | TrackBack

30 octobre 2006

L'indéniable conflit intérieur

Le drame survenu ce week-end à Marseille, après l'attaque en règle d'un bus qui a grièvement blessé une jeune femme, a imposé le retour des violences urbaines sur les devants de la scène médiatique. A voir le niveau de violence qui est d'ailleurs considéré comme "calme" en France, on mesure d'ailleurs la volonté d'influencer les esprits qui sévit en la matière, et le refus d'accepter l'existence d'un conflit de très basse intensité sur le territoire de la République. Un conflit qui certes ne fait que quelques morts et des dégâts matériels pouvant être relativisés à l'échelle d'un pays moderne, mais dont le potentiel d'escalade reste une constante.

Pour les professionnels de la sécurité, en France, cette volonté de dissimuler l'ampleur des antagonismes contraste avec une réalité faite de guet-apens, d'attaques délibérées, qui transforme l'exercice de la loi et même du service public en un véritable combat. Les brefs aperçus des engagements nocturnes montrent que la structure même de la société française est rongée ça et là par une barbarie contre laquelle les mesures de prévention tant vantées sont depuis fort longtemps inadaptées. Et lorsque l'on parle encore de "provocations" qu'il s'agirait d'éviter de la part des forces de l'ordre, c'est que la réalité de ce conflit intérieur et des zones semi-permissives ou non permissives qu'il investit n'est, à mon humble avis, pas encore entrée dans les esprits des dirigeants français.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h01 | Comments (93) | TrackBack

2 octobre 2006

Revue Militaire Suisse : juin-juillet 2006

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement, trois articles extraits de l'édition de juin-juillet 2006 ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h15 | Comments (1) | TrackBack

25 septembre 2006

Médiation dans les conflits armés

Je profite d'un bref passage sur un réseau pour vous signaler cette table ronde qui aura lieu à Genève dans 2 jours, et dont le résumé est disponible sur le site de la Revue Militaire Suisse. Les intervenants à ce blog seront certainement intéressés par la problématique abordée !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h44 | Comments (7) | TrackBack

3 septembre 2006

Revue Militaire Suisse : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement, 3 trois articles supplémentaires ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h50 | Comments (6) | TrackBack

2 septembre 2006

La clarté du prosélytisme

On ne pourra au moins pas reprocher aux islamistes d'afficher clairement leurs objectifs dans la lutte pour la conquête des esprits, puisque leurs appels à la conversion ont une diffusion planétaire :

"J'appelle tous les Américains et les autres infidèles à embrasser l'islam (...)", lance l'Américain, en anglais, qui déclame également, en arabe, des versets coraniques.
"J'appelle surtout tous ceux qui combattent pour le plan croisé et illusoire du (président américain George W.) Bush en Afghanistan, en Irak et partout ailleurs, à se convertir à l'islam", ajoute-t-il.
"Le temps presse. Choisissez la bonne voie avant qu'il ne soit trop tard et avant de connaître le triste sort qu'ont (déjà ) connu des milliers" d'entre vous, lance encore Adam Gadahn, la barbe longue et noire et portant également une tunique et un turban blancs.

Evidemment, de tels propos doivent toujours être mis en perspective selon les conflits internes au monde musulman, et notamment la nécessité pour Al-Qaïda de ne pas se laisser voler la vedette au grand concours de la guerre sainte. Mais la clarté des fins qui sont ainsi révélées a le mérite de balayer toutes les rationalisations imputant à l'Occident la paternité d'un conflit inévitable, et dont seule la dimension peut désormais être influencée. Et l'affaiblissement des frontières face à la circulation des hommes comme des idées fait que nous ne pouvons pas nous barricader "chez nous" ou nous draper dans les pans de notre neutralité : une action extérieure doit bien être entreprise pour contrecarrer ces visées prosélytes.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h52 | Comments (54) | TrackBack

23 août 2006

La fin des illusions

Un autre aspect de la double tentative d'attentat en Allemagne réside dans le nouveau démenti aux arguments entendus à propos des opérations militaires en Irak, en particulier après les attaques de Madrid en 2004. Cet extrait pourrait faire sourire, mais n'en est pas moins révélateur :

The planned attack here stunned Germans who thought the country's vehement opposition to the Iraq war would insulate it from becoming a terror target almost five years after the attacks on Washington and New York.

Bien entendu, les médias ont joué un rôle majeur dans la perception selon laquelle la guerre en Irak serait totalement déconnectée de la lutte générale entre le fondamentalisme musulman et la démocratie laïque, quand bien même les islamistes jugeaient décisif le théâtre d'opérations irakien dès 2003. Malgré cela, il y avait bien ces dernières années en Europe une volonté de nier l'avènement d'un nouveau conflit, de croire envers et contre tout à un nouvel ordre mondial fondé sur la justice et la paix, et ceci explique pourquoi la perception véhiculée par des médias opposés idéologiquement à des opérations militaires a pareillement marqué les esprits. D'où aujourd'hui la surprise d'une partie du public, la fin des illusions, et l'évolution des perceptions vers une situation de belligérance.

Ce que j'écrivais en mars 2004, en m'excusant par avance pour cette citation sui generis, me semble donc être de plus en plus confirmé par les faits :

Les ambitions et les exigences des islamistes s'opposent aussi bien à notre mode de vie qu'à notre rayonnement culturel. On ne pourra plus longtemps faire croire au public, comme en Espagne, que leurs attaques sont uniquement les conséquences des décisions de nos gouvernements, et non les actions d'un ennemi irréductible. Il y aura donc d'autres attaques, probablement plus meurtrières encore, qui frapperont les pays ayant eu le malheur de trop baisser leur garde, jusqu'à ce qu'elles fassent basculer les opinions publiques et que celles-ci se mettent à exiger la guerre jusqu'ici niée.

Ces attaques plus meurtrières encore ne se sont pas produites, grâce au travail remarquable des services de sécurité européens. Mais cette fonction essentiellement défensive ne peut que retarder l'échéance, et pas modifier la dynamique du conflit en cours. La seule réponse possible à l'offensive immanente consiste à réagir sur les mêmes plans, en admettant que les coeurs, les âmes et les esprits forment le terrain-clef au niveau stratégique de toute la lutte, mais aussi en inscrivant toute action dans la durée, sans obligation de résultat immédiat, et avec des critères de succès à la fois matériels (économie, démographie) et immatériels (identités, idées).

Posted by Ludovic Monnerat at 18h25 | Comments (58) | TrackBack

21 août 2006

Revue Militaire Suisse : mai 2006

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement, 3 trois articles extraits de l'édition de mai 2006 ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h59 | Comments (29) | TrackBack

8 août 2006

Alerte média : la RSR (4)

Comme les combats ne faiblissent pas au Sud-Liban, la Radio Suisse Romande La Première m'a invité à m'exprimer dans l'émission Forums, peu après 1800, pour analyser les opérations militaires israéliennes et leurs résultats. Ceci se fera en direct, au téléphone... Il s'agira notamment de montrer la réalité militaire de l'affrontement et aller au-delà des perceptions données aux opinions publiques.

COMPLEMENT (8.8 1840) : Une correction par rapport à mes déclarations, puisque qu'il ne s'agit pas d'un remplacement à la tête du commandement de la région nord de Tsahal, mais de l'envoi d'un assistant au commandant. La dépêche sur laquelle je m'étais basé, tombée juste avant l'interview sur ce site, a été depuis modifiée sans mention de l'erreur précédente. Même si le sens est largement le même, comme le montre en filigrane cet article, cela m'apprendra à rebondir sur des informations brûlantes et fausses ! Allez, je ferai cinquante pompes ce soir... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 17h03 | Comments (83) | TrackBack

6 août 2006

L'information et le soupçon

Les interrogations se poursuivent sur l'authenticité des images et des informations issues du Proche-Orient, mais une manipulation au moins est désormais avérée, puisque l'agence Reuters a reconnu que des photos produites et diffusées par ses soins avait été modifiée pour lui donner un aspect encore plus dramatique en augmentant l'effet des bombardements israéliens. Dans la mesure où de telles distorsions peuvent être rapidement détectées, puisqu'elles sont le produit d'altérations matérielles, quelle crédibilité peut-on accorder à des images non transformées, mais qui peuvent avoir été purement et simplement mises en scène ? Nous en revenons toujours au même point : une information sans indication transparente de sa source et des conditions dans lesquelles elle a été acquises doit a priori être considérée comme suspecte. Surtout si elle provient d'une agence de presse se réclamant d'une objectivité excluant un tel soupçon.

COMPLEMENT (8.8 0715) : Le cas Reuters s'est éclairci, puisque l'agence a retiré de ses archives toutes les images prises par le photographe impliqué dans la manipulation de 2 clichés. En consultant quelques blogs qui suivent l'affaire de près (ici et ici, notamment), on se rend cependant compte que la fiabilité et l'objectivité des agence en général est sujette à discussion, même si Reuters a de toute évidence violé le plus ouvertement les règles déontologiques des médias. Et pour rebondir sur quelques éléments débattus ci-dessous, cette réalité est importante : cela ne signifie pas que les bombardements d'Israël n'ont pas fait de victimes parmi les non combattants, mais bien que certains médias ont pris parti dans ce conflit en vue d'influencer les opinions publiques, et donc d'avoir un impact sur l'issue du conflit en question. N'est-il d'ailleurs pas étonnant (ou révélateur, c'est selon) que les aveux de Reuters, dimanche, n'ont pas donné lieu - à ma connaissance - à des enquêtes, à des recherches, à des critiques dans les médias traditionnels, qui pourtant dépendent étroitement de ses dépêches ?

Posted by Ludovic Monnerat at 21h48 | Comments (81) | TrackBack

2 août 2006

Autopsie d'une mise en scène?

Alors que la presse traditionnelle a couvert le drame de Cana avec une absence remarquée de distance et de sens critique, plusieurs blogs ont rapidement étudié les images disponibles des décombres et des victimes. Cet article du Jerusalem Post résume leurs interrogations et leurs découvertes : comme le bilan révisé à la baisse de la Croix Rouge tend à le montrer, il existe désormais une forte présomption d'une mise en scène destinée à forcer le trait et à exploiter cet événement au maximum. Si pareille chose se confirme, cela montrerait une fois de plus l'intérêt d'une information participative en source ouverte, et rappellerait toute l'importance de la vérité dans la lutte pour les coeurs et les esprits. A vouloir surexploiter ou dissimuler, on finit en effet par perdre.

Affaire à suivre, par exemple ici...

COMPLEMENT (3.8 1845) : Sur le rôle des médias, je conseille la lecture de cet article du Jerusalem Post. Il fournit en effet des aperçus inquiétants sur le traitement des informations à la source, et notamment sur les influences qu'acceptent les reporters et dont le public n'est pas informé. Extrait :

CNN "senior international correspondent" Nic Robertson admitted that his anti-Israel report from Beirut on July 18 about civilian casualties in Lebanon, was stage-managed from start to finish by Hizbullah. He revealed that his story was heavily influenced by Hizbullah's "press officer" and that Hizbullah has "very, very sophisticated and slick media operations."
When pressed a few days later about his reporting on the CNN program "Reliable Sources," Robertson acknowledged that Hizbullah militants had instructed the CNN camera team where and what to film. Hizbullah "had control of the situation," Robertson said. "They designated the places that we went to, and we certainly didn't have time to go into the houses or lift up the rubble to see what was underneath."

[...]

Another journalist let the cat out of the bag last week. Writing on his blog while reporting from southern Lebanon, Time magazine contributor Christopher Allbritton, casually mentioned in the middle of a posting: "To the south, along the curve of the coast, Hizbullah is launching Katyushas, but I'm loathe to say too much about them. The Party of God has a copy of every journalist's passport, and they've already hassled a number of us and threatened one."

Rien de bien nouveau sous le soleil, malheureusement.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h44 | Comments (35) | TrackBack

16 juillet 2006

Alerte média : la RSR (3)

Comme les événements au Proche-Orient se développent à un rythme rapide, la RSR La Première m'a invité demain matin, vers 0715, à m'exprimer sur la stratégie militaire israélienne. J'espère avoir davantage de temps que la dernière fois, afin d'éviter tout raccourci susceptible de me valoir d'amers reproches par ici ! :-)

COMPLEMENT (17.7 1130) : Le lien vers l'émission est ici. Merci à ajm pour l'avoir ajouté.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h29 | Comments (23) | TrackBack

3 juillet 2006

Football et militantisme

Recemment, j'avais ecrit quelques lignes sur le lien entre la coupe du monde de football et les identites nationales. Ce matin, en parcourant brievement la presse romande depuis le lobby de l'hotel ou je sejourne, je suis tombe sur un editorial de Serge Enderlin, dans Le Temps, qui semble par l'absurde confirmer mes propos en montrant que le rejet de sa propre identite peut trouver une expression via le football. Il est en effet interessant de constater comment Enderlin, qui a priori n'est pas un specialiste du football, explique l'eviction des equipes non-europeennes du Mondial :

Dans cette optique où seul le résultat compte, quelle que soit la pauvreté du spectacle offert, les équipes européennes ont une longueur d'avance sur leurs rivales traditionnelles d'Amérique du Sud. Celles-ci n'ont pas assez d'entraînement pour gérer le minimalisme. Dit autrement: au Mondial du cynisme, l'Europe fait la course en tête.

En preambule, d'un point de vue sportif, je peine a partager de tels propos : la France, l'Italie et l'Allemagne au moins (je n'ai pas vu jouer le Portugal) ont offert depuis le debut de la competition plusieurs matches de qualite, a defaut de l'etre tous ; ces trois equipes ont meme impressionne par leur capacite a emballer la partie en adoptant un rythme tres eleve, une qualite qu'elles partagent avec le Bresil et l'Argentine. Le propos d'Enderlin est d'ailleurs difficile a comprendre si l'on considere que l'Argentine, defaite aux 11 metres, a presente une defense tout aussi solide que les meilleures equipes europeennes. Ce n'est donc pas la perspective sportive qu'il convient d'adopter ici pour comprendre ce texte : la transformation semantique consistant a prendre "l'efficacite" pour la transformer en "minimalisme" puis en "cynisme" ne repose pas sur une logique rationnelle.

Suis-je le seul a penser qu'Enderlin eprouve du depit pour des raisons identitaires a voir les non-Europeens - c'est-a-dire les non-Occidentaux - se faire recaler, alors que leurs victoires auraient permis tellement d'envolees lyriques sur leur superiorite intrinseque ? Ne peut-on voir dans son derapage semantique, incroyable si l'on considere que la plupart de ces joueurs sont des professionnels vivant en Europe, l'envie decue de la defaite des siens, la frustration de ne pas voir battus ces Occidentaux organises et disciplines qui regnent sur les terrains de football comme ils l'ont fait pendant des siecles sur les champs de bataille coloniaux ?

Mais peut-etre vais-je trop loin dans mes reflexions... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 8h56 | Comments (38) | TrackBack

30 juin 2006

Alerte média : la RSR (2)

A l'instant, j'ai donné une courte interview à Radio Suisse Romande La Première dont un extrait sera diffusé dans le journal du matin. Il s'agissait d'analyser la stratégie israélienne et l'opération "Pluie d'été" menée actuellement, notamment pour savoir jusqu'où Israël peut aller. Il a été nécessaire d'enregistrer la chose, car je suis en déplacement toute la journée à partir de 0700 !

Posted by Ludovic Monnerat at 6h32 | Comments (43) | TrackBack

28 juin 2006

L'information en danger ?

Je ne résiste pas au plaisir de consacrer un bref billet au texte mis en ligne avant-hier par Stéphane sur son Meilleur des Mondes, et consacré à cette curieuse initiative nommée "l'information en danger" que des journalistes romands ont lancée. A l'heure de la multiplication des sources et des vecteurs d'information, on pourrait croire que les rédacteurs encartés se préoccupent de cette concurrence nouvelle et cherchent des solutions pour augmenter la qualité de leurs productions professionnelles ; mais ils semblent au contraire focalisés sur des questions financières qui leur permettent d'éviter la remise à la question à laquelle la révolution de l'information pourtant les condamne :

Il y a peu de branches professionnelles avec une aussi haute opinion d'elle-même que les membres de la presse. Ceux-ci accordent en conséquence une haute valeur à leur travail, affirmant qu'ils agissent comme une interface "nécessaire" entre les abruptes dépêches des agences et la naïveté du public. Ils clament évidemment que chaque article, soigneusement rédigé et mis en forme par un professionnel, est une réelle oeuvre d'art à grande valeur ajoutée: tournures de phrases, enquêtes, collecte de témoignages, mise en contexte nécessaire...
La réalité est toute autre. Le public, décidément ignare, n'apprécie pas ce travail à la juste valeur (selon son estimation par les journalistes.) Le succès des journaux gratuits, qui livrent l'information brute des agences, ou des blogs, où les commentaires et les éditoriaux sont l'oeuvre de bénévoles formés sur le tas, montrent que les gens se passent volontiers de l'intervention des professionnels. En tous cas, ce lectorat émergent montre qu'une grande partie du grand public ne confère aucune valeur au travail des journalistes. Douloureuse révélation!
Un reporter compétent, qui livre de véritables enquêtes sur le terrain, suit des pistes et ramène des affaires au grand jour, garde évidemment une place de choix dans le cycle de l'information: il en est la source. Mais peut-on clamer que tous les autres, du pigiste à l'éditorialiste et ses analyses convenues, sont aussi indispensables?
Inquiètes et sans vision à long terme, les sociétés adoptent souvent des stratégies défensives lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés. Elles refusent de se réformer et gèrent donc leur déchéance petit à petit. Ainsi, face à l'érosion du lectorat, les rédactions ne remettent pas en cause les fondamentaux de leur modèle mais se contentent de l'aménager un peu. De cette façon, une part d'influence toujours plus grande est laissée aux annonceurs dont le budget publicitaire vient suppléer à une audience déficiente.

Lisez le tout ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h10 | Comments (20) | TrackBack

27 juin 2006

Irak : la résilience américaine

Une chose qui reste en partie surprenante, avec le battage médiatique incessant autour de massacres présumés et d'attentats quotidiens, réside dans la résilience de l'opinion publique américaine : plus de 3 ans après l'annonce (erronée) de la fin des combats majeurs en Irak, une moitié d'Américains, à en croire ce sondage, refuse l'établissement d'un plan horaire pour le retrait des troupes d'Irak, et donc continue de soutenir l'action entreprise par l'administration Bush. Il est possible que ces chiffres bénéficient ponctuellement de l'élimination de Zarqaoui, mais ce type d'événement fait partie de tout combat aux points. En tout état de cause, force est de constater que l'influence des médias - majoritairement orientés dans le sens d'un échec en Irak - a trouvé ses limites, probablement dans la diversification des sources et des relais d'information.

Cette dimension stratégique dans la conduite du conflit trouve un écho au niveau opératif, dans le volume de troupes déployées en Irak. Les annonces de déploiements différés ou modifiés dans le sens d'une réduction sont un indicateur important en la matière, notamment parce qu'un volume réduit implique presque immanquablement une soutenabilité (désolé pour cet anglicisme...) accrue. Si l'on tient compte du fait que l'US Army a atteint ses objectifs de recrutement pour l'essentiel de 2006 et dépassé ses objectifs de rétention, cela montre que l'Irak, à terme, n'est pas le bourbier clamé si souvent. Une affirmation qui pourrait toutefois être remise en cause si le budget du Pentagone venait à être sérieusement amputé sous la prochaine administration au point de perdre les acquis militaires multiples - expérience, sélection, mutation - de l'opération Iraqi Freedom...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h51 | Comments (7) | TrackBack

24 juin 2006

Les identités et le football

D'aucuns ont beau l'appeler les jeux du cirque, je trouve bien davantage d'intérêt que cela au Mondial de football qui se déroule en ce moment. Ces derniers jours, le nombre de drapeaux suisses qui ornait les lieux que j'ai traversés a ainsi dépassé tout que j'avais pu voir par le passé à l'occasion d'une manifestation sportive ; de quoi se demander si le phénomène, justement, ne dépasse pas ce cadre. Est-ce qu'un sport aussi populaire que le football, autour duquel se cristallisent parfois des antagonismes nationaux, ne contribue pas à préserver les identités traditionnelles face à un monde qui tend à les morceler ? Est-ce que le parcours digne d'éloges de l'équipe suisse ne révèle-t-il pas, dans la réaction du public helvétique, les convictions d'une majorité silencieuse, par opposition aux péroraisons de la minorité façonnant en temps normal l'actualité ?

Posted by Ludovic Monnerat at 19h47 | Comments (29) | TrackBack

7 juin 2006

La belligérance médiatique

Le rôle des médias dans les conflits de notre ère a été analysé hier par François Brutsch, sur Un Swissroll ; il montre ainsi les deux méthodes revenant à "donner des armes à l'adversaire", soit la trahison de ses propres valeurs (ressembler à l'autre) d'une part, et la négation du combat à mener (oublier l'autre) d'autre part. Pour François, "l'esprit critique doit aussi veiller à ne pas se laisser instrumentaliser par l'adversaire, ni manipuler par le combat politique mené de l'intérieur". Il s'agit bien entendu là d'une pensée corrosive, puisque nous vivons dans des sociétés où l'esprit critique, souvent ressenti comme individualiste et frondeur, est tenu en très haute estime, voire même en adoration. Affirmer que l'obéissance doit parfois prendre le pas sur la liberté est rare à un tel sujet, et pourtant nécessaire.

Pour ma part, j'irai plus loin encore : dans la mesure où la plupart des conflits qui impliquent des démocraties reposent sur les opinions publiques, les acteurs affectant celles-ci de façon délibérée ont automatiquement, qu'ils l'acceptent ou non, le statut de belligérant. Les Etats, les ONG, les médias, les entreprises privées luttent pour la conquête des esprits au même titre que les armées, les réseaux terroristes ou les guérillas. En d'autres termes, tous portent une responsabilité dans le sens véhiculé par leurs actions, leurs déclarations, ou même leur inaction et leur silence. Dès lors que la décision ne peut plus être emportée sur le champ de bataille, puisque celui-ci s'est élargi aux sociétés entières, nous sommes tous devenus à la fois cibles et vecteurs, victimes et acteurs, concitoyens du village global, commensaux à la table de l'espèce humaine. A jamais privés de l'innocence que donnent l'isolement et l'ignorance.

Dans ce contexte, il est surprenant que les médias n'aient pas encore pris acte de leur influence et de leur responsabilité pour remettre en cause leur héritage déontologique, alors même que s'orienter à nouveau vers l'objectivité et la neutralité est à ce prix. Il est vrai que la concurrence des supports et l'immanence de l'information s'opposent à de telles réflexions de fond. Mais considérer le statut de belligérant que leur a conféré de fait l'évolution de la société devrait être la première étape d'une telle démarche.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h11 | Comments (6) | TrackBack

3 juin 2006

Les errements accoutumés

A travers l'histoire, les grands bouleversements ont souvent eu tendance à être niés ou sous-estimés par les dirigeants en place, par les institutions établies. Les querelles byzantines, ignorantes de la menace turque, sont restées fameuses, et le massacre qui a suivi la chute de Constantinople offre un contraste d'anthologie avec les discussions sur le sexe des anges ; la morgue et l'incrédulité de l'ancien Empire de Chine, face aux prétentions des représentants britanniques sous l'ère victorienne, aboutira également à la cessation de Hong Kong et à d'autres humiliations. Plus près de nous, la Société des Nations a puissamment contribué à obscurcir les esprits alors même que le fascisme italien, l'impérialisme nippon puis le nazisme allemand dévoilaient leurs ambitions belligènes ; l'Organisation des Nations Unies, faute d'y croire à temps, a laissé le nettoyage ethnique saigner les Balkans et le génocide ravager l'Afrique centrale, pour ne citer que ces manquements.

Je ne peux m'empêcher de faire ces réflexions en prenant acte des projets soutenus par la Confédération dans le cadre de la future Maison de la Paix qui sera construite à Genève. Alors qu'il ne se passe pas une semaine ou presque sans que des attentats terroristes soient déjoués dans les pays occidentaux, alors que les équilibres mis en place par ces mêmes pays sont profondément remis en cause, alors que les Etats ne cessent de voir leur puissance être rognée par l'évolution du monde, alors que même un pays comme la Suisse doit avouer être impliqué dans une guerre transnationale et idéologique, il est stupéfiant de constater que l'on investit des sommes non négligeables dans la formation d'étudiants en relations internationales et en développement, au lieu de renforcer en première priorité les capacités de détection (renseignement) et d'action (opérations).

Bien entendu, l'éducation est un pilier de chaque société, et les investissements en la matière offrent toujours un bénéfice difficile à estimer précisément, surtout dans une perspective immédiate. Mais c'est le dogme pacifiste et diplomatique qui me paraît avant tout poser problème : les relations internationales offrent de moins en moins de solutions aux défis de notre ère, et pourtant leur institutionnalisation assure un développement constant de leurs investissements. Quant à accepter la remise en question des paradigmes anciens sur lesquels elles reposent, notamment en matière de droits des conflits armés, de telles organisations y sont en général plus que rétives. Comme l'écrivait Charles de Gaulle dans le premier tome de ses Mémoires de Guerre, « la confrontation des idées, dès lors qu'elle met en cause les errements accoutumés et les hommes en place, revêt le tour intransigeant des querelles théologiques. »

Seul le désastre vient en général à bout de telles inerties, avec ou sans vindicte populaire. Les transformations réussies avant le désastre, comme l'ère du Meiji au Japon du XIXème siècle, sont l'exception. L'intelligence et la faculté d'adaptation sont deux choses différentes.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h08 | Comments (21) | TrackBack

31 mai 2006

Revue Militaire Suisse : avril 2006

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, toujours en phase de développement initial, 3 trois articles extraits de l'édition d'avril 2006 ont été mis en ligne :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h09 | TrackBack

29 mai 2006

Désertions et manipulations

Etrange affaire que celle de la BBC quant à son traitement du nombre de militaires britanniques absents sans autorisation du service. Avec le slogan frappant "au moins 1000 désertions" depuis le début de la guerre en Irak, la chaîne a tenté de faire accroire un exode croissant dans les rangs britanniques ; mais plusieurs blogueurs veillaient au grain, et n'ont pas tardé à rétablir la vérité des faits, notamment en puisant dans les archives de la BBC elle-même, pour montrer que les chiffres disponibles écartent toute influence majeure des opérations en Irak. Du coup, la BBC a discrètement revu sa copie, nuancé sa formulation et retiré la signature du texte disponible. Un peu comme si rien ne s'était passé.

Que les blogs jouent le rôle de contrôle qualitatif et déontologique des médias traditionnels n'est pas une nouveauté. Que des médias traditionnels tentent de présenter les absences sans autorisation comme des désertions liées à une opération militaire qu'ils réprouvent n'est pas non plus une nouveauté. Mais l'honnêteté la plus élémentaire consisterait au moins à ne pas essayer de corriger le tir en douce, comme si de rien n'était. La transparence est bien une exigence que le public doit développer vis-à -vis des médias comme d'autres fournisseurs commerciaux. A quand la traçabilité de l'information à travers la mention systématique des sources et des modifications ? :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 11h58 | Comments (5) | TrackBack

27 mai 2006

Le prisme de l'accoutumance

Est-il possible de faire du journalisme de qualité lorsque l'on est juge et partie, lorsque l'on s'est engagé pour une cause et que l'on doit en décrire l'évolution ? Est-il possible de rester avant tout objectif lorsque l'on reste des années au même poste, à mener chaque jour le même combat pour l'imposition de son opinion ? Telles sont les questions que je me pose à la lecture du dernier article d'Alain Campiotti sur l'Irak, dans Le Temps, suite aux déclarations communes de George Bush et Tony Blair. La propension de ces deux chefs d'Etat à admettre des erreurs dans la conduite de la guerre tranche ainsi désagréablement avec l'absence de remise en question dont souffrent leurs adversaires dans les médias tels que Campiotti. Au point que ces derniers sont désormais lancés dans une dérive qui confine à l'accoutumance, sans grand intérêt pour l'exactitude des faits et pour le plus grand tort des opinions publiques, dont les préjugés sont confirmés et le sens critique anesthésié.

Prenons ce texte presque d'anthologie paragraphe par paragraphe.

Des adieux? Tony Blair et George Bush ont peut-être tenu jeudi soir leur dernière conférence de presse commune sur l'Irak. Le Britannique vient de subir une défaite électorale, et le Labour aimerait qu'il parte. L'Américain va en subir une autre dont on mesurera l'ampleur en novembre, et une partie des républicains sont déjà en opposition.

En quoi ceci constitue-t-il un article de fond, et pas un éditorial prolongé sans que le lecteur en soit clairement averti ? Prédire le résultat d'élections ayant lieu dans presque 6 mois revient à tirer des plans sur la comète, pas à faire du journalisme. Prendre ses désirs pour des réalités n'est pas nouveau, que ce soit pour Campiotti ou d'autres journalistes-combattants, mais le précédent de 2004 devrait inciter à la prudence.


Le salaire de la guerre est lourd: les deux hommes qui l'ont voulue sont des «lame ducks», comme dit l'anglais, des canards boiteux qui n'ont plus guère prise sur les événements. Si l'Irak trouve une forme de stabilisation, ils ne seront plus en mesure de s'en féliciter derrière les pupitres du pouvoir.

Le propre d'un chef d'Etat est d'avoir toujours prise sur les événements ; le développement de la situation en Iran pourrait contredire brutalement Campiotti, tout comme l'initiative de George Bush sur la surveillance de la frontière sud le condredit déjà . Admettons que Tony Blair ait une marge de manoeuvre bien plus restreinte ; de telles affirmations, absolues et déconnectées des faits, relèvent également de l'éditorial polémique. Quant à une "forme de stabilisation" pour l'Irak, on se demande bien ce que Campiotti veut dire. Une forme de stabilité aurait un sens.


Mais jeudi, dans les velours de l'East Room à la Maison-Blanche, les deux chefs de guerre - Blair rentrait tout juste de Bagdad - ont fait une nouvelle tentative pour convaincre leurs opinions rétives que la poursuite de l'effort militaire et financier était indispensable. Le message s'adressait surtout aux Américains: ils ont plus confiance dans la parole du lieutenant britannique que dans celle de leur propre président. Et à 1h du matin à Londres, il ne devait pas y avoir grand monde devant les écrans.

Tout ceci a-t-il un sens ? Pourquoi parler d'une audience-cible avant tout américaine pour ensuite mentionner l'heure de Londres ? Et comment fonder une affirmation selon laquelle le public américain accorde davantage de crédit à Blair qu'à Bush ? Est-ce que des enquêtes fondent cette assertion ? De plus, est-ce que les opinions sont si rétives que cela ? En étudiant ces chiffres, issus des derniers sondages US, on obtient une image bien plus nuancée, avec un public critique à l'égard du président Bush, mais loin de refuser l'effort entrepris en Irak et d'exiger le départ immédiat des troupes.


Pour obtenir ce résultat, George Bush et Tony Blair avaient choisi un registre inédit: une sombre humilité. Leur prestation ressemblait à une cérémonie des aveux. Non pas l'admission que la guerre fut une erreur. L'utilité de renverser le régime de Saddam Hussein est toujours au cœur de leur conviction. Ils étaient humbles sur les fautes commises. Manière de répondre à tous ceux (beaucoup de démocrates aux Etats-Unis) qui n'ont au départ pas désapprouvé l'intervention armée, mais se sont déchaînés contre l'exécution quand les choses ont mal tourné.

On pourrait dire que l'humilité n'est pas le propre du très militant Campiotti, à de rares et éphémères exceptions près. Nous sommes ici au coeur du problème : il est juste, légitime et souhaitable de critiquer la conduite de la guerre et la décision de lancer l'opération en Irak, mais il est malhonnête de passer sous silence ses propres prédictions apocalyptiques en la matière et donc de s'ériger en juge indépendant et intègre. Que fait Campiotti de son affirmation du 9 juin 2004 selon laquelle "La force multinationale devra avoir quitté l'Irak dans dix-huit mois au plus tard" ? Ne voit-on pas à quel point mélanger journalisme et militantisme est néfaste ? Enfin, comment peut-on dire que les choses ont "mal tourné" si toutes les hypothèses catastrophiques avancées pour s'opposer à cette opération ne se sont pas réalisées ?


Le Britannique était le plus direct. Ce qui se passe en Irak chaque jour est «horrible», convient-il. Ce qui s'est produit après la prise de Bagdad était prévisible, mais n'avait pas été envisagé, alors que «ç'aurait dû être évident pour nous». En disant cela, Tony Blair plaidait sa cause. C'est le Pentagone qui dirigeait la manœuvre, c'est lui qui a décidé l'expulsion de leurs fonctions de tous les membres du parti Baas et le démantèlement de l'armée, sur les bons conseils d'Ahmed Chalabi. Cette politique de la table rase, alors qu'aucun plan sérieux de remplacement n'avait été préparé, a fourni un formidable aliment à la résistance contre l'occupant.

Voyez comme l'explication est commode : le Pentagone, officine diabolique s'il en est, porte toute la responsabilité. Mais les faits soint autres : la décision de licencier l'armée irakienne de Saddam a été prise personnellement par Paul Bremer, tout comme l'exclusion des baasistes ; et rares sont ceux qui s'aventurent à décrire les conséquences de décisions inverses, au lieu de les invoquer superficiellement comme des erreurs grossières. Enfin, comment expliquer ce terme d'occupant alors que voici presque 2 ans que les résolutions de l'ONU légitiment la présence militaire internationale en Irak, et que les gouvernements successifs ont demandé sa continuation ? De tels travers sont indignes de tout travail journalistique.


L'Américain, lui, comprend maintenant la consternation et la colère de ses concitoyens qui voient chaque jour les images de massacres à Bagdad. Il dit que le coup le plus terrible porté à l'entreprise fut l'affaire de la prison d'Abou Ghraib, «que nous paierons longtemps».

Voilà : le président "comprend", il "suit" enfin la ligne que les médias imposent en donnant une vision tronquée, biaisée et intéressée de l'opération en Irak. Mais Campiotti prend encore ses désirs pour des réalités : si Bush juge Abou Ghraib aussi néfaste, c'est bien parce qu'elle a fourni de vraies munitions aux adversaires acharnés de cette opération, et donc eu un impact clair sur l'opinion publique américaine. Moyennant quoi celle-ci n'est pas spécialement en colère ou consternée : où seraient dans ce cas les manifestations et les protestations incessantes, alors que les Américains au contraire se sont largement habitués à cette guerre qui reste lointaine et dont les coûts humains et financiers semblent limités ?


Et il s'en veut de son propre vocabulaire, que Laura lui a déjà reproché. Il n'aurait pas dû dire «bring'em on» (amenez-les moi), ou qu'il voulait Ben Laden mort ou vif. Ce rude langage texan, admet-il, est «un mauvais signal».

Une fois de plus, Bush est placé dans la position de l'imbécile qui "admet", qui "comprend", qui "s'en veut", face à ses critiques qui avaient raison depuis le début. Est-ce une manière objective et raisonnable de présenter le discours d'un chef d'Etat ? Est-ce que cela ne relève pas davantage de la vendetta personnelle ?


Ces aveux ne sont pourtant pas un recul. Les deux hommes défendent toujours leur décision. Et Tony Blair, vendredi matin devant les étudiants de la Georgetown University, a répété que le reste du monde avait désormais le devoir d'aider le nouveau gouvernement irakien contre les poseurs de bombes. Seuls, les deux alliés n'y arrivent pas.

Nous voilà donc un peu plus près de la réalité : Bush et Blair concèdent des erreurs, mais ne renient rien sur le fond, et ramènent au contraire le débat sur la réalité de l'Irak, sur un Etat incertain où naissent dans la douleur une démocratie inédite et une économie libérée. Mais c'est justement une perspective qui n'intéresse pas Campiotti : tout doit être ramené à la décision d'envahir l'Irak, tout doit servir à justifier la position que lui-même a passionnément défendue, et qui reste éminemment contestable au vu de l'opinion des Irakiens comme de la morale. On reste scotché à un débat vieux de presque 4 ans, comme si rien ne s'était passé dans l'intervalle.


Il n'y a toujours pas de calendrier de retrait, même si le Britannique croit «possible» le contrôle du pays par les forces irakiennes dans dix-huit mois. Les reporters sur place en sont moins sûrs: la myriade de groupes politiques armés est le principal facteur d'insécurité.

On finit sur la même note : ce retrait annoncé maintes fois par Campiotti n'a toujours pas lieu, et ce dernier en est réduit à invoquer des "reporters sur place", dont une bonne partie sont calfeutrés dans leurs chambres d'hôtel faute de pouvoir faire leur métier, pour appuyer ses dires, pour trouver des arguments fondant une opinion apparaissant au gré de ce "toujours pas" si révélateur.

Conclusion : qu'un homme intelligent comme Alain Campiotti sombre pareillement sur le plan déontologique témoigne à mon sens d'une accoutumance, d'une disposition sans cesse plus impérieuse à projeter ses opinions, ses convictions et ses aspirations sur les événements, au lieu d'essayer d'abord de les décrire honnêtement et sans fioritures. Le lecteur du Temps, à la place d'un article de fond, se trouve ainsi confronté à une interprétation des discours de deux chefs d'Etat, et non à un résumé ou à une mise en perspective complétés par un éditorial qui, lui, autoriserait l'expression d'opinions personnelles. La question de l'Irak, ces prochaines années, sera peut-être vue comme un tournant dans la crédibilité des gouvernements et des médias, comme une lutte de perceptions dont l'ensemble des protaganistes sortira perdant.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h03 | Comments (11) | TrackBack

26 mai 2006

La fluctuation des perceptions

C'est un truisme parfois sous-estimé de dire qu'un conflit existe à partir de l'instant où un acteur donné se sent en conflit ; de même, aucun belligérant n'est défait aussi longtemps qu'il ne reconnaît pas sa défaite et continuer d'exister - une réalité essentielle au dénouement des conflits de basse intensité. En d'autres termes, les perceptions des enjeux jouent un rôle déterminant dans le déclenchement, la conduite ou l'interruption d'un conflit, de sorte que leur évolution est un indice prioritaire. Et le conflit majeur de notre ère, la lutte à mort entre les démocraties libérales et l'intégrisme musulman (faute d'espace pour cohabiter sans grande interaction), voit justement une évolution différenciée au sein du monde occidental - et souvent à l'inverse de l'effet recherchée par les dirigeants politiques.

Aux Etats-Unis, les sondages relativement peu flatteurs pour le président Bush ne sont en effet pas une condamnation de sa politique étrangère et de sa conduite de la guerre, mais bien la conséquence d'une attention réduite pour celles-ci - tout comme avant le 11 septembre 2001 ; comme l'indique cette analyse, la population américaine s'est focalisée au fil des mois sur les enjeux de politique intérieure, et l'Irak ou l'Afghanistan importent moins que le prix du carburant ou la polémique sur les mesures visant à lutter contre l'immigration illégale. Il ne s'agit pas que d'une tendance bien connue à l'isolationnisme des Américains, peuple traditionnellement peu versé dans la connaissance du monde ; il s'agit aussi d'une normalisation des enjeux, de la tolérance envers des conflits lointains dont les pertes restent somme toute faibles. Une moitié d'entre eux continue d'ailleurs de prôner le maintien des troupes US en Irak.

En Europe, où les opérations militaires lancées après le 11 septembre sont souvent décrites comme des aventures évitables, on assiste à une évolution contraire des perceptions, à une augmentation des enjeux. Sur le plan extérieur, l'élargissement des tâches de l'OTAN en Afghanistan et l'intérêt accru des islamistes pour ce pays, après les déceptions subies en Irak, fait que les Européens sont de plus en plus engagés dans un conflit de basse intensité et commencent à s'en rendre compte, avec les effets potentiels sur leur opinion publique ; on notera d'ailleurs que les pertes non américaines en Afghanistan commencent à approcher celles subies par les Etats-Unis en Irak, proportionnellement au nombre de troupes bien entendu (7 morts en mai pour 15'000 militaires non US, contre 59 pour 150'000 pour les unités US engagés dans OIF). Ceci n'est pas une surprise : l'Afghanistan n'est qu'un secteur d'engagement parmi d'autres dans le cadre d'une guerre planétaire, et l'argumentaire développé contre l'intervention en Irak ne peut rien face à cette réalité.

Sur le plan intérieur, la perception d'une menace semble claire au regard de ce sondage réalisé en Allemagne, et qui est concordant avec d'autres enquêtes menées ailleurs en Europe : la méfiance accrue envers la minorité musulmane se double d'une conviction plus large d'être entré dans un conflit inévitable, fondé avant tout sur des motifs religieux. Les tentatives de l'UE pour édulcorer le vocabulaire et masquer les divergences d'intérêt se heurtent donc à des perceptions déjà clairement forgées, et certains événements récents - attentats de Londres, violences suite aux caricatures de Mahomet - ainsi que certains événements constants - « crimes d'honneur », arrestations d'islamistes suspectés de terrorisme - concourent à orienter ces perceptions dans un sens toujours plus conflictuel.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h41 | Comments (6) | TrackBack

19 mai 2006

Autour des Souris d'Or

Jeudi soir avait lieu la cérémonie de remise des prix pour le concours la Souris d'Or, dans le cadre duquel ce blog a été nominé. Je m'y suis rendu sans aucune attente particulière, étant donné le profil de ce site, mais en me réjouissant par avance de rencontrer plusieurs collègues, ce qui n'a pas manqué d'être le cas. Parmi les gagnants des 5 prix mis en jeu, on notera Une voix pour la Boillat, dont le caractère exemplaire en matière de lutte sociale en ligne méritait d'être distingué ; parmi les autres prix, à l'exception de Bruno Giussani, j'aurais probablement vu d'autres vainqueurs, mais la tendance alternative/sociale du jury en a jugé autrement. Peu importe : il est tout de même intéressant de voir que les blogs éclosent progressivement comme des médias à part entière dans la société helvétique.

PS : Comme je suis parti en voyage juste après la cérémonie, en train puis en avion, ce n'est que maintenant que je suis en mesure de mettre en ligne ce billet. Mais je ne dévoilerai pas ma destination : cela fera l'objet d'une nouvelle devinette ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 22h24 | Comments (5) | TrackBack

18 mai 2006

Jeux vidéos et réalité

Le réaliste sans cesse accru des jeux vidéos tournant sur des ordinateurs individuels a suscité depuis plusieurs années l'intérêt des armées, que ce soit à des fins d'instruction, d'information ou même de recrutement. Une étape a cependant été franchie avec l'intégration de soldats réels, en l'occurrence issus des forces spéciales américaines, dans un logiciel reproduisant des combats contemporains :

In the latest version of the game, called America's Army: Special Forces (Overmatch), the military is adding the experiences of nine soldiers who served in Afghanistan or Iraq.
The title has a so-called real heroes section when players can learn about the real-life troops.
In a virtual recruiting room, gamers can click on a soldier to hear them tell their story. They can also compare their achievements in the game to those of the GIs.
"It gets our stories out there about what the army is doing," said Sergeant Matt Zedwick, who served and was wounded during a tour of duty in Iraq in 2004.
"It is a good communications device to introduce people to what is really going on, rather than what you see on the news."
"It shows we are not robots, that we're not trained killing machines. We're just people," said the 25-year-old who is now studying graphic design at a college in Oregon.

Cette démarche logique fait ainsi du jeu vidéo une interface supplémentaire entre le grand public et les opérations militaires, avec l'avantage de l'interactivité et de l'origine. Etant donné qu'il ne faut aujourd'hui que quelques semaines pour reproduire dans un logiciel des actions de combat réelles, voire même imaginer des actions possibles, on mesure mieux à quel point cet espace médiatique peut jouer un rôle croissant dans la formation des perceptions et des opinions. Et si l'Occident n'a pas le monopole de tels vecteurs, comme le montrent certains logiciels produits au Proche-Orient, l'utilisation des ordinateurs individuels - et plus rarement des consoles de jeux - pour véhiculer un sens politique ou social est un développement à terme important.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h36 | Comments (2) | TrackBack

16 mai 2006

Le nouveau site de la RMS

Aujourd'hui a eu lieu l'assemblée générale de la Revue Militaire Suisse, qui fête cette année son 150e anniversaire. Parmi les développements que connaît cette publication renommée figure une nouvelle édition papier en cours de préparation, qui sortira pour le début 2007, mais aussi un nouveau site Internet en cours de développement, dont j'ai d'ailleurs l'honneur d'être le responsable. Et comme ce projet commence à prendre forme, il est temps d'en faire ici une courte mention.

Pour l'instant, on trouve sur le nouveau site de la RMS quelques articles extraits des éditions 2006 de la revue papier, un historique de la revue ainsi qu'une liste de liens. D'autres éléments seront ajoutés au fil des mois : des dépêches d'actualité, sur un mode très proche de celui employé ci-contre, mais aussi de brefs textes de commentaires et d'analyse sous la forme d'un weblog, des articles non publiés dans la revue papier, ainsi que des archives dont le volume devrait devenir considérable.

L'an prochain, la totalité de la revue devrait également être disponible - sur abonnement - via le site, à des tarifs qui restent encore à définir. Une manière de transformer cette institution vénérable et de la rendre davantage en phase sur la forme avec son temps, et aussi de lui trouver un nouveau public.

Une précision : le graphisme du site est pour l'heure aussi provisoire que rudimentaire, puisqu'il va reproduire la maquette de la nouvelle édtion papier lorsque celle-ci aura été acceptée.

COMPLEMENT (17.5 1030) : Pour ceux qui ne connaissent pas encore la Revue Militaire Suisse, je vous conseille de demander un exemplaire gratuit via le nouveau site et de considérer sérieusement un abonnement !

Posted by Ludovic Monnerat at 23h02 | Comments (2) | TrackBack

12 mai 2006

Vaincre un ennemi intérieur

Que faire face à 900 individus suspectés de terrorisme islamiste et implantés sur son propre sol ? Voilà la situation dans laquelle se trouvent les services de sécurité britanniques, d'après les révélations de la presse. Ceci n'est pas propre à la Grande-Bretagne : les chiffres articulés ces dernières années dans d'autres pays laissent imaginer des proportions comparables, et donc un problème identique : l'ennemi intérieur. Dans une perspective militaire, justifiée par le fait que les terroristes islamistes se considèrent comme des combattants, on pourrait voir cette situation comme l'insertion réussie de l'équivalent d'un bataillon de forces spéciales engagées en mode clandestin, la qualité (formation, savoir-faire) en moins et la protection (légale, émotionnelle) en plus ; c'est-à -dire un ensemble d'individus cloisonnés par cellules et agissant néanmoins dans une direction commune, selon des fonctions de combat (attentat, endoctrinement) ou d'appui (logistique, communications).

L'impossibilité d'empêcher les attentats du 7 juillet à Londres, malgré les informations dont disposaient les services britanniques, montre bien les limites qu'imposent le nombre et l'incertitude : même une augmentation drastique des ressources - certes insuffisantes - allouées à la sécurité intérieure ne parviendrait pas à garantir la prévention de toute attaque terroriste, et la marche vers un Etat policier serait de toute manière terriblement contre-productive. En revanche, la résilience de la société britannique et l'effet stratégique restreint de ces attaques (en mettant, donc, de côté la perspective de leurs victimes directes et indirectes) indiquent une ligne de défense plus décisive, celle des perceptions, des opinions et des convictions. Neutraliser les centaines de terroristes potentiels qu'abritent les grands Etats européens passe donc par l'affermissement de leur population, par sa mobilisation autour des valeurs qui fondent son identité.

Même si cette perspective défensive ne peut être qu'une partie de toute action, comme je l'ai écrit - et bien d'autres plus illustres que moi - à plusieurs reprises (je ne traite dès lors pas ici de l'offensive en-dehors des frontières), la question des valeurs a donc une importance centrale. Elle a été abordée ci-dessous dans les commentaires, et a également été soulevée par l'affaire des caricatures de Mahomet. Avons-nous des convictions suffisamment fortes pour résister aux effets de la violence armée, réelle ou potentielle, proche ou distante ? Est-ce que nos sociétés européennes réagiront aux attaques paralysantes ou aux revendications conquérantes issues de l'irrédentisme islamiste par l'unité ou par la division, par la réaction ou par la renonciation ? En d'autres termes : est-ce que notre armure sera suffisamment unie pour donner à notre glaive le temps de faire son œuvre ?

En poursuivant sur l'idée d'une collision des mondes, et en prenant en compte les fulgurances offensives de notre substrat civilisationnel (c'est pompeux, je sais, toutes mes excuses !), il faut en effet s'interroger sur notre propre cohésion. Personnellement, je pense que l'on sous-estime toujours l'énergie et la détermination des peuples vivant en démocratie, et dont la réaction attend généralement le dernier instant pour s'exprimer - sous la forme d'un basculement des esprits. Mais cette force peut tout aussi bien être sapée par l'impéritie et l'infâmie de nos dirigeants, et aboutir à une perte de confiance telle que l'éventail des possibles s'élargit au-delà du raisonnable. Ce qui nous montre une recette permettant de vaincre un ennemi intérieur déjà en position, aux aguets, décidé à combattre : la vertu, la droiture, la franchise, la transparence, la mesure, la proportionnalité. Parce que l'adhésion des cœurs et des esprits n'est jamais aussi efficace que librement consentie.

Personne ne sort inchangé d'un conflit. Il serait intéressant, dans une perspective historique, que l'Occident émerge plus vertueux de sa lutte avec l'islamisme.

COMPLEMENT (14.5 1730) : Selon une autre source, le nombre d'extrémistes islamistes présumés posant un risque de sécurité nationale en Grande-Bretagne s'élève en fait à 1200. Le fait que ce nombre ait augmenté de 50% depuis les attentats de Londres est assez révélateur sur les limites de la surveillance menée hors d'un sentiment d'urgence impérieux (au niveau politique, s'entend).

Posted by Ludovic Monnerat at 22h22 | Comments (28) | TrackBack

9 mai 2006

Ballon rond et atome

Mon esprit est sans doute mal tourné, mais je trouve plutôt ironique que l'équipe iranienne de football s'entraîne en vue des mondiaux dans la ville de Spiez. C'est en effet dans ce lieu que se trouve le laboratoire ABC, un centre de compétences mondialement reconnu notamment dans la détection des menaces atomiques. Dans le climat actuel, voilà qui méritant d'être relevé... :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 17h22 | Comments (6) | TrackBack

Nomination aux Souris d'Or

goldene-maus_ist_nomi_fr_468x60.gif

Un courriel officiel et plusieurs liens m'ont appris hier la nomination de ce site pour le concours les Souris d'Or 2006, dans la catégorie politique, aux côtés de collègues illustres et appréciés - et qui plus est avant tout romands ! Je m'étais inscrit suite à la recommandation d'un collègue de travail, mais sans grand espoir au vu des catégories existantes, et cette optique n'a pas vraiment changé, mais j'aurai au moins le plaisir de rencontrer des gens avec lesquels je corresponds depuis des années ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 8h55 | Comments (5) | TrackBack

26 avril 2006

Une capitulation lexicale

La lecture de cet article m'a absolument effaré, parce que je ne pensais pas que le politiquement correct - un mal auquel il est déjà difficile de se soustraire au quotidien - pouvait prendre de telles proportions. Des responsables de l'Union européenne sont en train d'établir un lexique de termes à employer en matière de terrorisme, en essayant d'exclure toute expression pouvant à leur sens être comprise de manière trop générale :

Officials in Brussels have embarked on an unusual exercise, combing their dictionaries to excise words and phrases that could cause offense.
When the review is complete and the rules laid down, you will not, for example, hear EU officials talk any more about "Islamic terrorism."
That sort of shorthand reference to the bombings in Madrid and London, and other outrages committed in the name of Islam, is commonplace today. But EU policymakers worry that it lumps all Muslims into the same category, and angers them.
"There is no justification at all for including all law-abiding Muslim citizens in our messages about terrorism," says Friso Roscam-Abbing, an EU spokesman. "The politically more correct term will be 'terrorism that abusively invokes Islam.' "
"That may be all very long and cumbersome," he acknowledges. "But millions of Muslims live in the EU, and they are simply not terrorists."

La logique pervertie de cette méthode ne semble pas sauter aux yeux de leurs auteurs, alors même qu'elle revient à ancrer dans l'Union européenne une conception de l'islam que les musulmans eux-mêmes - comme le montrent les sondages - sont loin de tous partager. Mais il y a plus grave encore : en pratiquant l'autocensure, les responsables de l'UE imposent à toute une administration des règles conçues pour choyer une minorité et la conforter dans son attitude fréquemment hostile à l'intégration, au loin de faire de celle-ci un objectif central. Puisque les attaques terroristes commises en Europe et dans le monde le sont à une écrasante majorité par des musulmans, comment peut-on ainsi écarter l'islam de toute critique - alors que toute religion est critiquable - et prétendre affronter le problème ?

Je ne fais pas partie de ceux qui examinent le monde entier dans la lorgnette du djihad, justement parce que nous vivons à une époque où les perspectives, les matrices identitaires et culturelles s'entrechoquent et s'interpénètrent ; les causes de tensions et de conflits sont multiples, et l'islam en est une - certes majeure - parmi d'autres. Malgré cela, je trouve que cette nouvelle initiative bruxelloise renforce le cliché du technocratisme déconnecté des réalités. Au lieu de se faire les avocats des populations musulmanes sur leur sol, les responsables de l'UE feraient mieux de se faire les avocats des valeurs et des intérêts européens dans le monde. Il est vrai que les responsabilités accordées sans représentation populaire favorisent ce type de dérive élitaire!

Posted by Ludovic Monnerat at 17h21 | Comments (48) | TrackBack

20 avril 2006

To blog or not to blog

Pourquoi aussi peu de responsables politiques, économiques ou autres tiennent-ils un blog ? A priori, il s'agit d'un mode de communication simple, direct, malléable, apte aux réactions immédiates, entièrement contrôlable (si l'on supprime les commentaires) et susceptible d'obtenir une audience assez vaste, ou du moins influente (via les médias traditionnels). Certes, les exemples actuels, comme ceux tirés de campagnes électorales récentes, ne montrent que rarement un emploi convaincant de ce nouvel outil. Il n'est cependant pas interdit d'imaginer autre chose, par exemple que le Chef de l'Armée - pour prendre une hypothèse tirée de mon domaine principal - ouvre son propre blog, l'alimente au quotidien avec les éléments publiables de son activité, comme les visites à la troupe, les rapports officiels ou encore les apparitions médiatiques, et en profite pour marteler les messages essentiels à son échelon. Pourquoi pas ?

On me rétorquera en premier lieu que les responsables dont les activités sont « porteuses » n'ont probablement pas le temps et/ou le goût d'écrire des billets, et que le recours à des auteurs anonymes dans leur entourage immédiat reviendrait à galvauder le concept du blog. Je répondrais à la première objection qu'il s'agit avant tout d'une affaire d'organisation, d'habitude et d'inclination littéraire, forcément différente chez chacun, et à la seconde que les hauts responsables sont déjà accoutumés à prononcer des discours ou à signer des articles rédigés par d'autres. Le blog officiel d'un dirigeant pourrait donc venir compléter les vecteurs de communication traditionnels, à supposer bien entendu que le personnage trouve un intérêt à rédiger au moins quelques lignes ou quelques mots-clés pour permettre la mise en ligne d'un contenu à la fois authentique, actuel et intéressant.

On me rétorquera ensuite que la plupart des responsables n'ont qu'une liberté d'expression restreinte, à la notable exception de ceux situés au sommet de la hiérarchie, et qu'ils sont de toute manière astreints à un devoir de réserve limitant sévèrement les sujets pouvant être abordés. Je répondrais à la première objection qu'il s'agit avant tout d'une affaire de conduite et d'intégrité, chaque citoyen conservant un droit intégral à sa liberté d'expression, et à la seconde que le devoir de réserve n'est bien souvent que l'argument permettant de faire taire des individus posant des questions gênantes et qu'on l'oublie très vite dans les réunions semi-publiques qui rassemblent régulièrement les cercles politiques, médiatiques, académiques ou autres. A mon sens, chaque dirigeant pourrait donc tenir un blog personnel, dont le contenu ne pourrait en aucun cas être rapproché des positions affichées par sa hiérarchie ou son employeur, ou même de son blog officiel.

Abordons la question sous un angle à la fois hypothétique et absurde : qu'aurait fait le général Guisan si les blogs avaient existé de son temps, avec une population ayant accès à Internet ? Je l'imagine assez bien écrire quelques mots-clefs par courriel à son fidèle Barbey, en lui ordonnant de « mettre tout ça en musique » sous la forme d'un billet, puis assumer son immense responsabilité tout en songeant à sa nouvelle organisation, « Armée et Réseau », mise en ligne pour mieux faire passer ses messages à ses concitoyens! Toute plaisanterie mise à part, je veux dire par là qu'un vecteur de communication et de persuasion tel que les blogs n'aurait jamais échappé à un homme aussi conscient de l'opinion publique. Et si de nos jours l'expression individuelle, spontanée et interactive du blog n'est pas encore entrée dans les mœurs des grandes organisations, ce n'est qu'une question de temps avant que des esprits plus avisés en tirent pleinement parti.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h36 | Comments (7) | TrackBack

2 avril 2006

Un blog économique à suivre

Les analyses économiques et monétaires de Jean-Pierre Chevallier font depuis belle lurette le régal de ses destinataires ; leur auteur vient de mettre en ligne son blog, qui offre une perspective tranchant particulièrement sur les idées mises en oeuvre en Europe dans le domaine économique. Voilà une initiative louable !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h09 | Comments (15) | TrackBack

23 mars 2006

Un hymne à la cohésion

Ces derniers jours, une nouvelle initiative visant à remplacer l'hymne national helvétique - cette fois-ci sur le plan parlementaire - a échoué ; voilà des années que le cantique suisse est contesté pour diverses raisons, notamment artistiques et idéologiques, mais ses contempteurs ne sont pas encore parvenus à le détrôner. Il est vrai que cet hymne reste fragilisé par le fait qu'il n'a été intronisé qu'en 1961, lorsqu'il a remplacé le « O Monts indépendants », dont la mélodie était identique au célèbre « God Save The Queen » britannique. Par ailleurs, le caractère très solennel du cantique suisse, son air mélancolique, son manque d'entrain et sa ferveur religieuse ne le rendent pas très populaire, et les citoyens suisses capables de le chanter ne forment qu'une petite minorité. Il n'est guère surprenant que le Conseiller fédéral Pascal Couchepin, au Parlement, se soit précisément déclaré incapable de le faire. Ce qui ne justifie en rien, à mes yeux, l'abandon de cet hymne.

Il se trouve en effet que j'ai une relation particulière avec celui-ci. Ayant grandi dans le Jura, sachant par cœur la Rauracienne avant même d'entrer à l'école, je n'ai vraiment appris l'hymne national qu'à l'armée, lors de mon école de recrues à l'été 1995, parce que mon commandant de compagnie avait judicieusement ordonné qu'il soit chanté à chaque appel du matin. Cette habitude de l'infanterie classique, sise alors à Colombier, n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd - si j'ose écrire ; je l'ai donc reprise (toujours en français) dès le printemps 1998 lorsque je commandais une compagnie à Bière en tant que lieutenant (demandez à Sisyphe si vous en doutez !), bien que l'unité fut en grande majorité alémanique, puis à l'hiver 1999, également à Bière, avec une compagnie d'aspirants sous-officiers exclusivement alémaniques, et enfin à l'été 2000, à Fribourg, avec une compagnie de transmissions / renseignements. Chanter l'hymne national dans une ville, précisément à 0700, m'a d'ailleurs valu de solides résistances à l'interne !

Pourquoi faire ainsi chanter tous les matins le cantique suisse à des jeunes gens qui, pour la plupart, s'en passeraient bien ? Plusieurs raisons expliquent mon choix. Premièrement, le chant est une méthode classique pour favoriser l'expression, l'affirmation, la synchronisation et la cohésion ; n'importe quel morceau adapté à la vie militaire y contribue. Deuxièmement, cette pratique quotidienne étant exceptionnelle, et parfois tolérée de très mauvaise grâce, elle contribuait à renforcer l'identité spécifique de ma compagnie, et donc son esprit de corps (tout en satisfaisant l'esprit de contradiction propre à son commandant !). Troisièmement, le chant a capella du cantique suisse, avec de jeunes adultes vigoureux, lui donne une énergie et un allant inédits, qui contribue largement à corriger les a priori négatifs à son endroit. Enfin, il s'agit bien entendu d'une mesure éducative qui renforce le civisme, le lien intergénérationnel et l'identité nationale.

Au final, l'hymne national suisse a des vertus que ses critiques ignorent. Et il est rare que je l'entende sans ressentir un frisson, lorsqu'au ciel montent plus joyeux les accents d'un cœur pieux!

Posted by Ludovic Monnerat at 23h31 | Comments (12) | TrackBack

22 mars 2006

Alerte média : Netizen et MF

Ce mois-ci, deux publications récentes m'ont fait l'honneur de leurs colonnes.

En premier lieu, le deuxième numéro de Netizen, le mensuel visant à comprendre et à décrypter la révolution blog, a publié une interview de votre serviteur ; mené par Cyril Fiévet, que je remercie chaleureusement au passage, cet entretien s'intéresse à la particularité qu'a ce blog d'être tenu par un militaire, et explore cette dimension dans son application aux opérations et dans les rapports avec les médias traditionnels.

Par ailleurs, après une longue attente, la revue mondiale des francophonies - mondesfrancophones.com - a été mise en ligne, grâce notamment à l'énergie inlassable d'Alexandre Leupin. Ce dernier m'avait suggéré fin 2004 déjà d'écrire un texte avec une optique géostratégique, et qui est désormais disponible. Qu'il en soit également remercié !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h44 | Comments (1) | TrackBack

5 mars 2006

Entre séduction et paralysie

La volonté est l'un des ressorts essentiels de la puissance, au même titre que les capacités, la légitimité et le savoir ; son rôle dans la coercition est primordial, ce qui explique pourquoi Clausewitz disait que la guerre est un "duel de volontés", alors même qu'elle est bien plus que cela. S'attaquer à la volonté d'un acteur vise à le faire agir d'une manière déterminée ou au moins influencée par l'attaquant, indépendemment des moyens, des valeurs et des connaissances de la cible. Les facteurs psychologiques qui sous-tendent la volonté forment ainsi un domaine d'action à part entière, connu depuis la nuit des temps, et dans lequel la peur comme la confiance, l'amour comme la haine, l'attirance comme la répulsion, font office de régisseurs. Dans l'expression "gagner les coeurs et les esprits" emblématique de tout conflit de basse intensité, le premier élément se réfère ainsi à la volonté.

Cette dernière était bel et bien en jeu dans l'affaire des caricatures de Mahomet : ce bilan intermédiaire, si j'ose dire, montre non seulement que la publication des dessins a entraîné des mesures de rétorsion y compris en Occident, où la liberté d'expression reste une valeur fondamentale, mais également que les menaces des extrémistes musulmans ont une influence sur la décision de publier. A dire vrai, la violence physique réelle ou potentielle est aujourd'hui une pratique standardisée dans bien des zones en conflit, et les journalistes ne sont pas uniquement manipulés en Irak par des actes d'intimidation relevant du terrorisme ; il est toutefois important de relever que des minorités violentes peuvent recourir à une coercition également tyrannique sur notre sol et imposer leurs convictions jusque dans nos lois.

Mais la volonté n'est pas uniquement susceptible d'être affectée dans un sens inhibiteur, par la paralysie ou la déstabilisation de la cible ; un mode d'action des plus efficaces est celui de la séduction, notamment parce qu'il est aisé de dissimuler sa nature offensive. On en trouve un bon exemple aujourd'hui, dans un article du Matin qui continue d'exploiter l'affaire de l'informateur placé par le service d'analyse et prévention auprès du centre islamique de Genève : l'auteur du texte, Ian Hamel, présente Hani Ramadan comme une victime très choquée, injustement soupçonné alors qu'il se contente de fournir l'aide dictée par sa "religion d'amour", et prudemment décidé à faire valoir ses droits. Quant à la diffusion de l'idéologie islamiste à laquelle se livre Hani Ramadan, pourtant révélée par son apologie de la lapidation, le lecteur romand devra s'en souvenir par lui-même.

La difficulté du domaine psychologique réside dans le fait qu'il est exploité quotidiennement par la communication, par la publicité et par la fiction : faire peur et faire envie sont deux angles bien entendu essentiels pour influencer le comportement des consommateurs comme des électeurs. Mais paralyser ses contradicteurs et séduire de nouveaux fidèles prend une autre dimension lorsque le recours à la violence est réel et lorsque les valeurs diffusées sont contraires à celles inscrites dans la constitution. Ces actions appellent une résistance démocratique et une discussion publique, loin des tabous du politiquement correct - ces concessions illégitimes aux pressions minoritaires - et sur la base de faits. Et il est heureux de constater que la vulnérabilité des médias face à la coercition directe se produit en parallèle à la perte de leur contrôle sur l'information publique.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h20 | Comments (11) | TrackBack

3 mars 2006

Vers l'apologie du terrorisme

Conseiller de lire un éditorial de Claude Moniquet, c'est un peu comme inviter quelqu'un à un restaurant de grande renommée : quel que soit la carte du jour, on sait ne jamais être déçu. C'est encore le cas aujourd'hui avec un texte (au format PDF) saisissant de pertinence et de clarté sur la complaisance des médias face à la terroriste Joëlle Aubron, qui vient de décéder. Extrait :

Nous avons toujours pensé que l'État devait être fort - et impitoyable - quand la survie de la démocratie et de l'ordre constitutionnel ou la sécurité des personnes était en danger. Puis vient un temps où il y a de la grandeur à faire preuve de mansuétude. Mais la générosité ne peut s'exercer aux dépens des victimes et de la vérité, et le pardon ne saurait s'appliquer qu'à ceux qui ledemandent. Or, aucun membre d'Action directe n'a jamais demandé pardon ni, même, ne s'est distancié des errements de sa jeunesse. A peine Joëlle Aubron a-t-elle lâché un jour, froidement, « Notre hypothèse a échoué ». C'est peu pour s'excuser de la mort de deux hommes.

Il est intéressant de confronter cette critique impitoyable de la romance qui entoure le terrorisme d'extrême-gauche à ces révélations faites par Daniel de Roulet, lequel a avoué avoir incendié en 1975 le chalet d'un magnat allemand de la presse et s'en est excusé, notamment après avoir appris que le passé nazi imputé à l'homme concerné n'avait jamais existé. Les idéologues forcenés du type Aubron sont à jamais incapables d'une pareille remise en question. Et les médias qui minimisent leurs meurtres délibérés succombent à une tendance qui se rapproche de l'apologie du terrorisme.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h32 | Comments (7) | TrackBack

La lenteur contre la vitesse

La mise en réseau des entités dans le but d'accélérer et d'optimiser les cycles décisionnels est une démarche commune aujourd'hui à toutes les structures organisées : on veut décider - et donc agir - plus vite et plus juste. Les flux d'information se multiplient, sont distribués à tous, afin d'accroître le potentiel d'initiative ; les échelons hiérarchiques sont réduits, les structures aplaties, afin de tirer pleinement parti de cette circulation de l'information. On systématise également les activités 24 heures sur 24 pour exploiter au maximum le temps à disposition, soit par l'introduction de relèves nocturnes, soit en délocalisant les travaux dans des fuseaux horaires distants. Ainsi se développe une sorte d'hyperactivité, voire d'hyperréactivité, en une incessante course contre le cycle décisionnel de son concurrent ou de son adversaire.

Cet élan s'applique aux informations, mais également aux idées et aux valeurs qu'elles portent. L'épisode des caricatures de Mahomet, la polémique sur l'emploi des OGM, la contestation de l'invasion de l'Irak ou encore le traité de Kyoto ont généré ou concrétisé des débats planétaires, des antagonismes cognitifs et culturels qui vont au-delà des faits. La nécessité de convaincre plus que de vaincre, de conquérir les cœurs et les esprits plus que les territoires, a ainsi fait de l'information une arme prioritaire, et la capacité de produire et de distribuer l'information un système d'arme déterminant. Du coup, la course décrite ci-dessus est également une course à l'audience, et donc à l'influence, par les méthodes de la communication, de la mystification ou de l'aliénation (pour la signification de ces termes, je renvoie au livre La guerre du sens du général Loup Francart).

Il faut cependant s'interroger sur la validité de cette course : celui qui informe et persuade plus, plus vite et plus précisément est-il vraiment sûr de prendre l'avantage, à la longue ? En d'autres termes : face à un lièvre impossible à dépasser, n'est-il pas plus avantageux de faire la tortue afin de gagner la course dans un autre sens ? C'est une question qui vient à l'esprit lorsque l'on constate la résilience d'idéologies aussi discréditées que le communisme ou le pacifisme, éminemment recyclées dans l'altermondialisme, et leur influence présente sur les sphères dirigeantes. Il me paraît impossible d'expliquer ce phénomène par le seul débat d'idées en temps réel, et c'est bien l'inertie des idées au fil du temps qui me paraît ici être à l'œuvre : les choses que l'on nous enseigne ou que nous vivons au début de notre existence demeurent en nous, malgré toutes les remises en question ou les démentis successifs, comme des référentiels durables.

C'est ainsi que la course visible à la rapidité des cycles décisionnels et à la réactivité des messages-clefs peut être contrée par une course invisible au formatage des critères de décision et à la sensibilité des audiences-cibles, et donc la recherche de relais instantanés et d'adhésions émotives être contrée par la présence de relais à retardement et d'adhésions indélébiles. Dans la mesure où le terrain des consciences est toujours plus facile à contrôler lorsqu'on y accède en premier, l'éducation des jeunes - ou l'endoctrinement précoce selon les mœurs - est une réponse sociétale et générationnelle à toute domination dans l'espace de l'information et des idées. Lorsque les individus ainsi influencés auront atteint des postes à responsabilité, l'efficacité de l'effort initial prendra toute son ampleur et révèlera sa nature ni offensive, ni défensive, mais relevant du combat retardateur - échanger de l'espace (cognitif) contre du temps.

On peut bien entendu voir dans mes réflexions une illustration de la lutte entre les démocraties occidentales, souvent omniprésentes et séduisantes, et le fondamentalisme musulman, souvent souterrain et prosélyte. Mais ce n'est qu'une application d'un paradigme à mon sens plus général.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h42 | Comments (12) | TrackBack

28 février 2006

Une question de communication

Récemment, un camarade avec lequel je travaillais sur un règlement militaire m'a fait remarquer que, au fil de l'avancée de sa carrière, il avait du mal à écrire « normalement » ; la discussion est venue alors que nous formations un paragraphe un brin complexe en un énoncé suivi de quelques énumérations. Ce qu'il voulait dire, c'est que la pratique des ordres militaires - structurés de manière à mettre en évidence les informations principales - avait changé sa manière de s'exprimer, de la même manière que la pratique intensive des présentations PowerPoint peut modifier les échanges. Ce qui est gagné en méthode, en concision et en clarté est perdu en spontanéité, en subtilité et en empathie.

Les armées ont adopté avec enthousiasme les moyens de communication modernes ; la semaine dernière, durant le Symposium du CHPM, il était assez frappant constater la différence entre les exposés présentés par des académiciens, le plus souvent pauvres en illustrations ou reposant même sur un texte lu, et ceux des 3 officiers des états-majors d'armée présents, avec chacun une vingtaine de folios PowerPoint finement ouvragés. Une telle tendance peut d'ailleurs mener à des excès indéniables, et les forces armées américaines ont pris des mesures dès la fin des années 90 pour réduire la surcharge des réseaux due à l'inflation des fichiers de briefings contenant une overdose de folios. Un phénomène qui met avant tout les réseaux sécurisés en difficulté, et incite à ne pas les employer.

Le courrier électronique est également une manière de prolonger l'altération de la communication. Il est souvent utilisé pour transmettre des directives routinières, des rappels concrets, ou pour coordonner la rédaction de documents ; de ce fait, les courriels circulant sur les réseaux militaires sont souvent une énumération de points à corriger, à intégrer ou à vérifier, qui sont exprimés dans un langage direct, aussi précis que froid. Les formules de politesse, parfois ajoutées de façon automatique sur Outlook, prennent ainsi un caractère formel qui les rend presque ironiques. Plus grave : le courriel donne l'impression de pouvoir tout traiter, d'être un moyen de conduite efficace et polyvalent, alors qu'il aboutit à des abstractions et à des automatismes qui en accentuent le caractère distant, désincarné.

La leçon que je tire de l'emploi à haute dose de ces technologies est celle-ci : plus nous sommes mis en réseau, plus nous avons la capacité de nous échanger à distance des informations écrites ou visuelles, et plus il est nécessaire d'avoir les gens avec soi, de les connaître, d'établir avec eux des liens étroits. Il faut comprendre ceci dans une perspective opérationnelle (la dispersion des forces à l'engagement suppose leur concentration avant celui-ci) et émotionnelle (les informations numérisées ne peuvent que confirmer ou prolonger ce qui a été transmis et tranché de vive voix et face à face). Le téléphone portable et la vidéoconférence sont des outils remarquables pour soigner les relations malgré la distance, mais ils demeurent des substituts partiels.

Le paradoxe de ce constat n'est toutefois qu'apparent : c'est l'immédiateté de la communication et l'accélération des cycles décisionnels qui renforcent l'importance de la compréhension et de la cohésion indépendamment des distances.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h12 | Comments (5) | TrackBack

27 février 2006

L'inacceptable au quotidien

En parcourant les médias romands, ce matin, j'ai noté la répétition de certaines dérives qui à mon sens montrent plus que des opinions abouties, des réflexions arrêtées, mais bien des a priori qu'il est de plus en plus difficile de mettre en évidence ou même de remettre en question.

Premier exemple dans un article du Temps (accès payant) sur la situation au Proche-Orient :

Quant [au premier ministre palestinien du Hamas Ismaïl] Haniyeh, il a improvisé une conférence de presse à Gaza ville pour préciser qu'il «pourrait peut-être envisager un cessez-le-feu à long terme lorsqu'Israël aura évacué la Cisjordanie, Jérusalem-Est, et libéré tous les prisonniers palestiniens». Une situation qui ne risque pas de se produire dans l'immédiat si l'on en croit les récentes prises de position musclées du premier ministre israélien par intérim ainsi que celles de son ministre de la Défense Shaoul Mofaz.

Est-ce donc étonnant? Le conflit israélo-palestinien s'est symétrisé au point de devenir très largement interétatique, et pourtant seules des "prises de position musclées" empêcheraient l'un des camps d'accepter toutes les conditions de l'autre? C'est donc bien ici la reddition d'Israël qui est implicitement exigée, et l'abandon des territoires et personnes capturés lors des guerres survenues depuis 1967, ce qui constitue un parti pris évident en faveur de l'un des belligérants. Que les médias imaginent une telle reddition soulignent les filtres des préjugés qui les éloignent de la réalité.

Deuxième exemple dans un article de 24 Heures sur un film turc qui suscite la polémique :

Tout au long du film, le spectateur assiste à une succession d'atrocités commises par les GI: un bain de sang lors d'une cérémonie de mariage, un petit garçon abattu sous les yeux de sa mère, un paisible imam en haut de son minaret pulvérisé à la roquette! Le tout en maniant la mitraillette avec délectation et en mâchant du chewing-gum. Le réalisateur s'est souvent inspiré de faits réels comme lorsque des prisonniers d'Abou Ghraïb sont photographiés entassés nus les uns sur les autres. En revanche, l'apparition d'un chirurgien juif américain qui prélève des reins sur les Irakiens pour ses riches clients de Tel-Aviv ou New York, est plutôt douteuse.

Plutôt douteuse? Les pires clichés antisémites sont projetés dans un pays entier - et au-delà - via une superproduction digne d'Hollywood, et cette réminiscence du IIIe Reich ne parvient à inspirer que quelques doutes? On ne s'attardera même pas à juger les descriptions des soldats américains, vu que les "faits réels" dont se serait "souvent" inspiré le réalisateur correspondent en tout point à l'imaginaire majoritaire des rédactions. Mais la disposition d'esprit consistant à accepter l'inacceptable sous le couvert d'un antiaméricanisme consensuel révèle une dérive éthique inquiétante.

Troisième exemple dans un entretien publié par la Tribune de Genève avec les auteurs d'un livre critique sur la démocratie genevoise et suisse, dont le député Renaud Gautier à qui l'on demande si la démocratie est fichue :

Elle est mal en point. Les Lumières ont produit une démocratie garante des libertés individuelles et collectives. Aujourd'hui, elle est remise en cause de ce côté de l'Atlantique comme de l'autre avec les prisons de la CIA. Il est urgent de réfléchir à comment continuer ensemble. Mais je ne suis pas très optimiste: le peuple ne veut pas donner aux parlements les moyens de fonctionner efficacement. Et une réforme de la Constitution n'y changera pas grand-chose.

Ainsi donc, les prisons de la CIA expliqueraient les difficultés de la démocratie à Genève comme en Suisse? Ces activités du renseignement dont on ne connaît avec certitude ni l'ampleur, ni le déroulement, ni la localisation, menaceraient à elles seules des siècles de démocratie? On veut croire que les phrases "coup de poing" sont à la mode chez les politiques, ce qui d'ailleurs explique en partie leur crédibilité réduite, mais la conjonction d'une telle démesure et d'un tel détournement souligne à quel point l'antiaméricanisme exprime d'abord le malaise et l'aveuglement de ceux qui le professent.

Questions : comment se fait-il que les dérives antisémites et antiaméricaines véhiculées par la presse quotidienne ne fassent l'objet d'aucune interrogation à caractère pénal? Est-ce que ces propos biaisés, caricaturaux ou carrément mensongers ne tombent pas sous le coup des dispositions légales visant à réprimer l'incitation à la haine? Et est-ce que cette immunité silencieuse ne montre pas l'inanité de telles lois, qui relèvent de l'activisme politique et non du droit fondamental?

Posted by Ludovic Monnerat at 9h49 | Comments (58) | TrackBack

26 février 2006

Les tourments du renseignement

Révélée cette semaine par la presse, l'infiltration (finalement) manquée d'un informateur au Centre islamique de Genève permet aux éditorialistes comme aux politiciens de vilipender les services suisses de renseignements. Alors que l'affaire du fax égyptien avait déjà déstabilisé ceux-ci, et notamment le service de renseignement stratégique (SRS, intégré au département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports), c'est désormais le service d'analyse et de prévention (SAP, une division de l'office fédéral de la police, dans le département fédéral de justice et police) qui est sous les feux de la critique. Pourtant, il est important de redonner sa vraie place à l'opportunisme politique et économique qui accompagne de telles révélations, et de dépasser les émotions véhiculées à cette fin pour rappeler une certaine réalité.

Premièrement, les journalistes ne connaissent pas les produits des services de renseignement et ne sont en aucun cas qualifiés pour estimer ou juger ceux-ci. Même en spéculant sur les frustrations individuelles, en jouant sur les rivalités entre services et entre personnes, ils n'ont - heureusement - qu'un accès occasionnel aux analyses faites à l'attention des décideurs politiques. L'énumération des différentes erreurs commises et rendues publiques au fil des années n'est en rien représentative du travail de fond effectué en permanence. Seuls les historiens, en-dehors des clients du renseignement, sont en mesure de juger nos services. Et ceux-ci, durant la Seconde guerre mondiale comme durant la guerre froide, ont fourni une connaissance particulièrement réaliste de la situation ; les exercices opératifs menés par l'Etat-major général durant les années 80 étaient par exemple basées sur des analyses du Pacte de Varsovie qui ont été en tous points confirmées par les plans découverts dans les années 90.

Deuxièmement, les apparences ne sont jamais innocentes dans le monde du renseignement, et les déclarations d'un informateur retourné doivent être appréhendées en fonction des motifs probables du retourneur. On peine à croire que tous les efforts du SAP reposaient sur un seul homme, qui plus est à la fiabilité réduite, face à l'établissement à partir duquel les frères Ramadan distillent leur message islamisant. En d'autres termes, ce à quoi nous assistons est probablement une tentative de démasquer et/ou de décrédibiliser d'autres taupes en utilisant la pression médiatique, et donc politique, pour limiter la liberté d'action du SAP. Rien ne serait plus dommageable aux efforts de celui-ci que la révélation de sa véritable activité pour calmer les critiques sur la qualité de son travail. Il est d'ailleurs assez étonnant que les médias parlant de cette affaire ne s'interrogent pas sur leur rôle dans celle-ci, sur le timing des informations qu'ils ont retransmises, alors même que de nouvelles dispositions renforçant l'action du renseignement intérieur viennent d'être rendues publiques.

Il doit être aujourd'hui bien difficile de travailler dans le renseignement et de se rendre compte que seul un tout petit nombre de gens comprend le sens de votre travail. La Suisse est bien entendu loin d'être un cas isolé en la matière, même si le positionnement très à gauche de sa presse, couplé à la neutralité du pays dans les grands conflits du siècle passé, ont contribué à renforcer l'irresponsabilité et l'ignorance au quotidien. Cela ne signifie pas que nos services de renseignement soient au-dessus de tout soupçon, et que leurs prestations réelles les mettent à l'abri de la critique ; le manque de collaboration entre services, face à des risques et des menaces en évolution rapide, montre d'ailleurs que les structures mises en place dans la foulée de l'affaire Bellasi ne sont probablement pas destinées à durer très longtemps. Mais vouer continuellement et systématiquement aux gémonies ceux qui dans l'ombre s'escriment à informer les décideurs n'est pas une démarche constructive.

Surtout si l'on en vient à perdre de vue les raisons pour lesquelles certaines personnes ou organisations, dans notre pays, sont jugées suffisamment dangereuses pour justifier une opération risquée...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h08 | Comments (3) | TrackBack

25 février 2006

L'adhésion de la population

Le treizième exposé, « Armée et population : la recherche de l'adhésion », a été présenté par le colonel Pierre Altermath, consultant auprès de l'Académie de police de Savatan.

Le changement est devenu une constante pour les armées, au fil des évolutions stratégiques, budgétaires et technologiques. Cependant, la recherche de l'adhésion reste la pierre angulaire de toute sécurité publique ; elle repose sur une démarche à 3 niveaux : la volonté de défense (acceptation du principe de la défense armée chez la population, via l'information), la volonté de servir (convaincre les conscrits d'effectuer leur devoir, via la communication) et la volonté de combattre (convaincre les militaires de la nécessité du combat, via l'instruction).

Dans l'armée actuelle, on souffre de la présence d'une mentalité technocratique germanique qui tend à ramener les contacts humains à une épreuve de force permanente nuisant à la recherche de l'adhésion. La volonté ne s'impose pas. Pour la faire apparaître existent 4 conditions : des motifs crédibles, intelligents et précis ; une délibération au sujet de ces motifs ; une décision prise ; et une exécution de cette décision. La pédagogie de la défense, nécessaire pour développer la volonté, repose avant tout sur les valeurs, la perception de la menace, la réponse à cette menace et le coût de cette réponse, qui doit être proportionnel. Faire connaître son pays, ses institutions, sa géographie, son histoire, sa culture, est donc à la base de l'adhésion.

La diffusion de nos valeurs dépend de produits de qualité (livres, films - aujourd'hui très rare), de conférenciers aptes à les communiquer, de la diffusion interne au sein de l'armée, puis de la diffusion externe. Mais la menace ne peut être aisément évoquée (syndrome de Cassandre ; les humains refusent de penser à la maladie et à la guerre), ce qui influe sur sa perception, alors que l'information est complexe et médiatiquement peu attractive. La guerre n'est que l'un des risques ; le baromètre des craintes (Université de Berne) montre que la menace militaire n'est pas une priorité, de sorte que les préoccupations de la population ne peuvent être passées sous silence - et que sa priorisation évolue avec l'âge. Enfin, il est facile de provoquer une émotion par une image choc ; mais si les événements annoncés tardent à se produire, l'attention s'érode et le scepticisme croît.

Les réponses de l'Etat à la menace doivent être globales (intégration de l'armée aux autres instruments de la puissance), adéquates (trouver le rôle de l'armée), crédibles (convaincre ceux qui appliquent comme ceux qui en bénéficient) et identifiées (connaissance et compréhension). Conséquences : il faut réorganiser le paysage sécuritaire (le projet de Département de Sécurité va dans ce sens), vendre les réponses définies (les acteurs du paysage sécuritaire sont une courroie de transmission), pratiquer une instruction crédible (services intensifs et satisfaisants) et optimiser les coûts (l'armée utilise parcimonieusement l'argent du contribuable). Mais la comparaison entre les sacrifices consentis et les valeurs à défendre doit également être favorable.

Conclusion : le général Herzog a écrit en 1870 que « rien n'est plus dangereux pour la patrie que de se bercer d'illusions, de se croire préparé et de se vanter de posséder une armée relativement importante et bien équipée, alors qu'au moment du danger et de l'épreuve, on constate que tout manque ou est défectueux. »

Posted by Ludovic Monnerat at 9h25 | Comments (2) | TrackBack

24 février 2006

Interactions populations / armée

Dans la mesure où j'ai présenté le neuvième exposé (« Les fluctuations des enjeux, vecteurs de mobilisation populaire »), je n'en ferai pas mention ici, et comme j'étais sur scène pendant le dixième (« Diversité culturelle et armées. De l'apport de la géographie pour le militaire en opération », de Philippe Boulanger, maître de conférences à l'Institut de géographie à l'Université de la Sorbonne à Paris), je ne peux pas non plus le résumer. Je suis à nouveau dans la salle ; je peux donc reprendre ma tâche! :)

Le onzième exposé du symposium, « Interactions entre populations et armées dans les états de la guerre et de non-guerre : l'impact de l'information, de l'action psychologique et des moyens de destruction », a été présenté par le lieutenant-colonel Jean-Pierre Renaud, président du Centre d'histoire militaire et d'études de défense nationale de Montpellier.

Lorsque Henri IV entre en guerre contre le Duc de Savoie, il déclare la guerre au Duc et non à sa population. Gustave-Adolphe de Suède fournit un uniforme à tous les soldats de son armée, ce qui les différencie des habitants ; Louvois fournit un uniforme à tous les soldats étrangers au service de France en 1658, et à tous les soldats en 1670. Les interactions entre armées et population sont étroitement liées à l'information et à la désinformation.

Selon Volkoff, le mot désinformation ne devrait s'utiliser que dans le cadre d'une manipulation d'une opinion publique à des fins politiques. L'action psychologique, selon le lieutenant-colonel Vitry, vise la désorganisation de l'appareil adverse et la conquête de l'opinion. D'après Volkoff, l'image n'a pas besoin de passer par notre cerveau pour atteindre le cœur ou les tripes ; l'émotion, comme l'image, est motrice et provoque des actions, et se prête à nombre de manipulations. Le texte nous laisse nous créer une image, mais l'image nous est imposée. Selon Jean Dutourd, pour obtenir un lynchage au XIXe siècle, il fallait faire preuve d'éloquence ; à présent, une image TV suffit en la montrant 10 fois, 20 fois, et elle fait l'opinion, désigne le bien et le mal - chaque homme est devenu un petit Saint-Thomas, ne croit que ce qu'il voit, et ce qu'il voit est faux.

Durant la Seconde guerre mondiale, la population normande n'a pas une opinion très positive des libérateurs, dont les bombardements avant le débarquement ont fait de 24'000 à 50'000 morts ; mais d'un autre côté, sur 125'000 membres d'équipages du Bomber Command, 55'000 (44%) sont morts en mission. En Indochine, l'armée française conclut à la supériorité du communisme, de l'internationale communiste soutenue par le parti communiste français en métropole ; elle n'a pas compris la force du nationalisme et le besoin d'indépendance, qui empêchait le retour au statu quo ante bellum (c'est-à -dire avant la Seconde guerre mondiale), et cette erreur est répétée en Algérie [on pardonnera ma faute de frappe "Algérique"] : la technique de la guerre révolutionnaire est comprise, mais c'est encore le communisme qui est érigé en ennemi, et le nationalisme n'a pas été intégré. Mener une guerre contre-révolutionnaire sans base idéologique ou politique certaine est impossible.

Proverbe africain : « lorsque deux éléphants s'affrontent, c'est toujours l'herbe qui souffre. »

Posted by Ludovic Monnerat at 15h48 | Comments (7) | TrackBack

23 février 2006

Le basculement des esprits (2)

La manifestation du 11 février dernier à Berne et les déclarations faites dans ce cadre semblent bel et bien avoir une influence marquante. Il suffit de lire le texte publié hier dans 24 Heures par le Conseiller national Yves Christen pour mesurer cette évolution face à l'irrédentisme islamiste :

L'affaire des caricatures de Mahomet a ébranlé mes convictions sur un monde occidental définitivement à l'abri des obscurantismes religieux. Ce ne sont pas les violents événements de protestation dans le monde arabe, souvent orchestrés par des régimes autoritaires instables, qui ont révélé ce que j'appellerais une révolte contre «l'immoralité qui règne en Occident». Mais des réactions de plus en plus fréquentes d'intellectuels et de communautés religieuses islamistes en Europe.

Bien entendu, Yves Christen ne peut s'empêcher d'établir une équivalence aussi bancale que nauséabonde avec les Etats-Unis, mais ce type d'argumentation n'est pas au centre du débat et n'a pas un grand avenir ; jusqu'à preuve du contraire, les intégristes américains ne viennent pas en Suisse revendiquer l'imposition au quotidien de leur préceptes religieux à l'ensemble de la population. C'est bien la présence sur notre territoire de personnes issues de l'immigration et annonçant ouvertement leur volonté de combattre et de repousser nos lois et/ou nos valeurs qui provoque l'émoi de dirigeants aussi consensuels - et politiquement corrects - que Christen.

Il est probable que tôt ou tard certaines questions devront être réglées dans les urnes. La publicité nuit aux islamistes ; elle les contraint à révéler leurs ambitions, à mettre en évidence leur caractère inacceptable, et elle suscite une résistance en proportion. Le double langage, rendu possible par l'utilisation d'une langue aussi hermétique - d'un point de vue occidental - que l'arabe, n'est pas compatible avec le verdict majoritaire de la démocratie directe.

Posted by Ludovic Monnerat at 13h09 | Comments (40) | TrackBack

20 février 2006

Quelles limites à la liberté ?

Sur le thème de la liberté d'expression et des limites qui lui ont été imposées en Europe, à l'exemple des lois sanctionnant les discours négationnistes, racistes ou homophobes, je suggère de lire le billet consacré par François Brutsch à ce sujet ainsi que les commentaires qu'il a suscités. Sa réflexion principale me paraît tomber à point nommé suite à l'affaire des caricatures de Mahomet :

Je n'osais pas encore formuler expressément l'idée que, pour redonner toute sa vigueur à l'idéal démocratique, il était nécessaire de revenir sur 20 ans d'amollissement politiquement correct et d'abroger ces législations.

Il n'ose pas encore, mais à voir la récupération dont sont parfois l'objet ces lois pourtant issues de bonnes intentions, on comprend que la question se pose avec insistance. En Suisse, c'est notamment l'article 261bis du Code pénal qui, toutes proportions gardées, susciterait les mêmes interrogations. Mais est-ce que l'idéal démocratique est vraiment lié à la liberté d'exprimer tout et n'importe quoi, y compris des contre-vérités historiques ? N'est-ce pas plutôt l'application différenciée et partiale des lois, les devoirs s'appliquant toujours aux mêmes, qui est au coeur du problème ? A voir...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h39 | Comments (80) | TrackBack

Le choc de la barbarie

Au moins 54 morts en Afrique comme en Asie, une quinzaine d'églises incendiées entre le Nigéria et le Pakistan, une dizaine de bâtiments consulaires attaqués et endommagés dans le monde entier, des manifestations appelant au meurtre et à la guerre sainte : les réactions à la publication des 12 fameuses caricatures de Mahomet n'en finissent pas de prolonger un spectacle sidérant de violence et d'intolérance. Ces foules à répétition brûlant les mêmes drapeaux, scandant les mêmes slogans, portant les mêmes parements d'un continent à l'autre donnent l'apparence d'une colère globale et symbolisent une force planétaire ; mais elles représentent également une barbarie choquante, un obscurantisme déroutant, qui vont probablement marquer les esprits et accélérer leur basculement.

Les éruptions sanglantes de l'extrémisme musulman n'ont pourtant pas été anodines, ces dernières années, y compris en Occident ; cependant, les courants de pensée dominants - tout spécialement dans les médias - avaient pour coutume de contextualiser et de relativiser les massacres commis au nom de l'islam : l'attentat manqué du WTC en 1993 était « du » à la présence américaine sur la péninsule arabique, les attentats à Paris en 1995 étaient « dus » au soutien apporté par la France à l'Etat algérien, les attaques du 11 septembre 2001 étaient « dues » au soutien apporté par les Etats-Unis à Israël (entre autres), le massacre de Bali en 2002 était « du » à la présence australienne en Afghanistan, les bombes de Madrid en 2004 étaient « dues » à la présence espagnole en Irak, tout comme celle de la Grande-Bretagne pour les attentats de Londres l'an passé. Je ne parle même pas d'Israël.

A chaque horreur correspondait une explication qui la rationalisait, qui la rendait logique et évitable - si seulement on n'avait pas agi de telle ou telle manière ; la culpabilité finissait tôt ou tard par être - au moins partiellement - imputée à la victime, en une inversion d'autant plus aisée que l'Etat pris pour cible avait un passé colonial ou impérialiste. Mais l'algorithme s'est grippé avec l'élargissement des cibles, comme le meurtre de Theo Van Gogh, dont le « crime » se résumait à une filmographie corrosive et critique à souhait, et plus encore avec les caricatures de Mahomet, dont le caractère polémique est pour le moins limité. Dans ce dernier cas, la disproportion entre l'acte commis et les réactions manifestées était trop criante pour laisser beaucoup de place aux explications. Les appels à la modération ont été nombreux, les couplets sur la sensibilité islamique aussi, mais la machine relativiste tourne largement à vide.

C'est que les enjeux perçus sont d'une ampleur différente. Les attaques terroristes mentionnées ci-dessus pouvaient être interprétées comme la matérialisation de griefs visant un pays en particulier, voire même un gouvernement ; la contestation vociférante de la liberté d'expression s'en prend à une valeur trop généralisée pour se satisfaire d'une telle interprétation. Tout un brouillard de perceptions artificielles s'est dissipé en quelques jours, en quelques chocs visuels et sémantiques, en quelques prises de conscience alarmantes : les barbares existent, ils sont en colère, ils nous haïssent, ils brûlent nos drapeaux, ils revendiquent nos terres comme nos consciences - et certains vivent parmi nous. Le choc n'a pas fait de vague, puisqu'il a touché la majorité silencieuse, mais il se répercutera dans les urnes. Il a déjà commencé à le faire!

Sans doute serait-il bon de ne jamais perdre de vue le fait que la barbarie guette l'homme en permanence.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h08 | Comments (27) | TrackBack

16 février 2006

Le scandale préféré des médias

La diffusion par une chaîne de télévision australienne d'images issues des sévices infligés en 2003 par des soldats américains dans la prison irakienne d'Abou Ghraib a permis à certains éditorialistes de retrouver un thème qui leur reste favori. Ces images lamentables sont toujours tirées du même cas, de cette unité de police militaire qui en l'espace de 24 heures a entaché pour longtemps la réputation des forces armées américaines ; elles n'apportent donc rien de nouveau, mais permettent la résurgence d'une perception biaisée visant à imputer ces actes condamnables - et condamnés - à une opération passionément contestée. On se demande pourquoi le Pentagone n'a pas choisi à l'époque de publier toutes les images disponibles, au lieu d'être confronté presque 2 ans après aux mêmes condamnations.

Cela dit, les propos tenus dans plusieurs médias - notamment en Suisse romande - vont bien au-delà d'un discours raisonnable, et exploitent cette affaire réchauffée non seulement pour clamer une équivalence stupéfiante, mais également pour justifier les menaces et les violences qui prennent l'Occident pour cible.

Prenez Philippe Dumartheray dans 24 Heures :

[A]ux yeux des musulmans, nous présentons également la pire facette de l'humanité. Celle qui tue et torture, celle qui envahit et détruit, celle qui manque de respect aux valeurs de l'islam.
Avec la publication des nouvelles photos d'Abou Ghraïb, comment ne pas leur donner en partie raison? Comment aussi ne pas être submergé de honte?

Prenez Serge Enderlin dans Le Temps :

Nul doute qu'après la lamentable affaire des caricatures de Mahomet - qui commençait tout juste à s'apaiser - ce nouvel épisode d'humiliation servira de carburant à une rage musulmane qui trouve là une légitimité qu'il devient difficile de contester.
[...]
Sinistre dialectique du mal, où s'installe sans rémission une égalité de fait entre les décapitations du djihad et les abominations du «renseignement», les unes justifiant les autres et vice versa.

Comment peut-on écrire des phrases aussi insoutenables, comparer des meurtres délibérés et acclamés à des sévices isolés et condamnés sans voir de différence entre eux, sinon en brûlant d'un militantisme aveuglant ? Comment peut-on ainsi prendre le parti des groupes terroristes islamistes contre leurs ennemis sans voir que nous appartenons tous à ceux-ci ? De plus, l'extension de la responsabilité à leurs propres lecteurs témoigne chez ces 2 éditorialistes d'une perspective étonnante : pourquoi donc devrions-nous avoir honte des agissements de soldats américains en Irak, alors que nous n'avons strictement rien à voir avec ceux-ci ? Critiquer, condamner, vilipender, cela va sans dire ; mais pour en assumer la responsabilité, il faut avoir une envie impérieuse de nous autoflageller, voire de nous imputer les crimes de tout l'Occident pour mieux dédouaner ses ennemis. Dans ces conditions, après avoir parlé du redressement puis du basculement des esprits, voilà qui nous ramène à leur désarmement. Retour à la case départ...

Pour autant qu'elle ne manque pas, naturellement ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 14h22 | Comments (44) | TrackBack

15 février 2006

Le basculement des esprits

Voici quelques temps, j'ai décrit sur ce site le processus de redressement des esprits qui s'est enclenché après les violences urbaines en France, et qui visait à relativiser ces événements, à recentrer les perceptions publiques sur des référentiels connus - au besoin en ostracisant ceux qui les contredisent le plus ouvertement. Ces actions d'influence au quotidien ont certainement un effet sur les dirigeants politiques, et au sens large sur les individus appelés à régulièrement rendre leur opinion publique par l'intermédiaire des médias traditionnels. Je pense d'ailleurs que les déclarations souvent apaisantes et relativistes des dirigeants européens, suite aux manifestations violentes du monde arabo-musulman dans l'affaire des caricatures, montrent l'inertie de cette influence, l'incapacité - plutôt que le manque de volonté - de changer soudain de référentiel, et donc d'accepter une perspective conflictuelle.

Pourtant, en suivant certains sondages sur les opinions publiques, mais aussi en ayant des discussions comme celles que j'ai menées hier avec plusieurs officiers genevois, on se rend compte que le basculement des esprits peut être très rapide et durable. Il résulte fréquemment d'une accumulation progressive et sous-estimée, dont un événement marquant peut soudain concrétiser le sens encore potentiel. En Europe, les Pays-Bas sont probablement le pays dans lequel les esprits ont le plus évolué ces dernières années ; et si le meurtre de Théo Van Gogh, les enquêtes sur les réseaux islamistes et le déliement parallèle des langues ont révélé cette évolution, la popularité croissante de Pim Fortuyn était probablement le signe le plus fiable d'une accumulation de frustrations, de contestations, d'oppositions. La légendaire tolérance hollandaise appartient bel et bien à la légende.

Comment peut-on décrire et expliquer un tel phénomène, dont l'impact est bien entendu majeur ? Je le vois avant tout comme une évolution des enjeux perçus. Les changements d'un environnement déterminé donnent lieu à des réactions bien avant que les êtres réagissant ne soient directement touchés par ces changements ; c'est la perception d'un enjeu dépassant leur intérêt individuel ou celui de leurs proches qui amène de telles réactions (dans mon modèle stratégique, je parle d'enjeux individuels, collectifs, sociétaux et civilisationnels pour exprimer leur gradation). Il y a donc bien un seuil à partir duquel le citoyen hollandais, ou européen, se sent menacé dans son cadre de vie, dans ses valeurs, dans ses projections. L'assassinat quasi cérémonial d'un trublion aux opinions percutantes - et au nom fameux - ne pouvait que frapper les imaginations. Dans un sens comme dans l'autre.

Car l'acte terroriste relève de la gestion des perceptions au même titre que d'autres techniques d'influence des cœurs et des âmes comme des esprits. Un acte immoral mené avec détermination peut influencer les uns et les autres de façon toute différente, en fonction de leur référentiel et de leurs attentes, c'est-à -dire de leur appréhension de l'événement. Et c'est ici que ce basculement des esprits révèle sa nature ambiguë et dangereuse : il ne correspond pas à une prise de conscience, même s'il peut être appelé ainsi pour en accroître la légitimité, mais bien à la formation d'une opinion, à la fixation de ce qui souvent n'est qu'une fin de non-recevoir. Pourquoi les inimitiés sont-elles plus durables que les amitiés, pourquoi les divergences sont-elles plus apparentes que les convergences, sinon notre inclination à préférer la clarté du refus, le bénéfice de l'altérité ? Est-ce que toute communauté ne repose pas sur l'opposition aux autres, au niveau sociétal du moins ?

Le rejet de certains comportements ou de certains propos peut bel et bien être une réaction logique et légitime en face de l'inacceptable, mais les mouvements collectifs ont également une composante par laquelle le rejet d'autrui vise - inconsciemment ou non - à renforcer la cohésion de la collectivité impliquée. Un repli sur soi d'autant plus rassurant qu'il remplace un doute par une certitude. Dans cette perspective, le basculement des esprits relève également en partie de cette escalade que je décrivais voici peu, et les individus ou les organisations qui s'opposent à de tels mouvements brusques ont peut-être un rôle modérateur plus louable que l'effet catalyseur de ceux qui recherchent jour après jour les informations à même de favoriser ce basculement, qui collectionnent avidement les fragments de casus belli.

Voilà un raisonnement auquel je n'imaginais pas parvenir en commençant ce billet ! A vous d'écrire la suite, si le cœur, l'âme ou l'esprit vous en disent! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h35 | Comments (12) | TrackBack

11 février 2006

La négation de l'individu

Il est assez rare que je m'aventure sur le terrain de l'économie, mais un événement à la fois rarissime en Suisse et situé tout près de chez moi m'amène à le faire : la grève de l'usine Swissmetal à Reconvilier, communément appelée "la Boillat" dans la région. Après deux semaines, ce conflit social a pris une tournure qui montre à quel point la paix du travail est un aspect essentiel de la société suisse ; avec le rachat d'une usine en Allemagne, le rapport de forces tourne au désavantage des grévistes, pendant que les dirigeants de Swissmetal reçoivent la confiance de leurs actionnaires. L'épreuve ne fera cependant que des perdants, entre ceux qui y laisseront peut-être leur emploi, ceux qui devront renoncer à un outil de production performant et ceux qui devront trouver un autre fournisseur.

Sans chercher à identifier les responsabilités des uns et des autres dans cet échec collectif, mais sans croire qu'elles puissent être entièrement d'un côté ou de l'autre, il est assez intéressant de voir comment certaines notions et perceptions habitent les acteurs de ce conflit social. Du côté des grévistes, soutenus par toute une région ou presque, y compris des médias qui se sont débarrassés de tout recul et prennent ouvertement parti, on utilise les moyens de communication modernes pour véhiculer, non sans humour et tristesse, la détermination à conserver une entreprise à la fois traditionnelle et performante. Les dirigeants de Swissmetal y sont dépeints dans les termes les plus durs, avec un relent de lutte des classes qui montre le caractère passéiste de cette situation. Le jusqu'au-boutisme ("nous avons le choix entre mourir en luttant ou mourir tout court") n'est pas exactement un gage de réalisme.

Mais ces perceptions sont alimentées par la réalité du cynisme et de l'aveuglement qui caractérisent la direction de Swissmetal. Dans un entretien publié aujourd'hui dans le Blick, le directeur du groupe Martin Hellweg n'hésite ainsi pas à dire que l'individu ne compte pas, et que sa seule responsabilité personnelle consiste à mener une entreprise au succès. Par une rhétorique aboutissant immanquablement à dévaloriser les employés de la Boillat ("Ein Inder oder ein Italiener ist mir genauso viel oder wenig wert wie ein Schweizer"), il en vient à ranger le personnel au rang de ressource malléable et ne lui voue guère plus de considération qu'à des produits. On peine à croire comment l'usine de Reconvilier, renommée pour être la fonderie la plus moderne d'Europe, puisse être menée au succès par un homme ignorant apparemment tout des relations humaines, de l'esprit d'équipe, de la confiance nécessaires à la mise en commun des volontés et des énergies. Ou comment confondre le management et la conduite.

La concurrence entre les sites de production, et donc entre les personnes au travers des pays ou des continents, est une chose naturelle et saine : les outils industriels dont les produits sont plus chers, moins bons ou les deux doivent s'améliorer ou disparaître. En revanche, prendre le risque de saccager un outil industriel typiquement suisse, c'est-à -dire d'une qualité qui se situe aux sommets, par hermétisme aux attentes, à la motivation et à la fidélité de ses employés est un égarement économique. Peut-être que la direction de Swissmetal va parvenir à ses fins et faire payer aux employés de la Boillat leur refus de suivre docilement une stratégie incompréhensible, mais l'avenir n'appartient pas à ceux qui ignorent le potentiel d'innovation, d'adaptation, d'initiative et de créativité qui réside en chaque individu. La grève de Reconvilier n'est pas plus passéiste que la vision de Martin Hellweg ; la révolte des employés consommables pas plus insensée que la dérive des managers carnassiers. Etrange cécité que celle-ci...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h03 | Comments (20) | TrackBack

10 février 2006

Une question de loyauté

En devisant librement avec un camarade engagé dans l'autre grand état-major de l'armée, j'ai été amené à me faire des réflexions sur le thème a priori intouchable de la loyauté. La discussion était purement théorique, mais tournait autour de ceci : à une époque de menaces transnationales susceptibles de dégénérer en choc des civilisations, faut-il encore et toujours se résoudre à servir une nation et sa population si celles-ci refusent, malgré l'ampleur des enjeux, de prendre part à la lutte ? Le citoyen persuadé d'assister aux étapes initiales d'un conflit décisif pour l'avenir de l'humanité doit-il s'en tenir à distance si son gouvernement et ses concitoyens choisissent de le faire ? Dans quelle mesure le fait de s'engager par le verbe, par l'image, par diverses méthodes constitue-t-il un acte déloyal, au même titre que collaborer avec un service de renseignement étranger ou prendre les armes sous des couleurs étrangères ?

En théorie, l'engagement à la patrie épargne à un officier ce type de questionnement. Dans la pratique, certaines situations vont à l'encontre de cette clarté confortable ; les officiers français y ont été confrontés en 1940, depuis l'appel du 18 juin et l'armistice, et leurs homologues suisses n'ont pas échappé à des réflexions allant dans un sens similaire - comme le montre la conjuration des officiers, ce groupe lancé par des jeunes officiers d'état-major général et qui aurait tenté un coup d'Etat si le Conseil fédéral avait adopté une politique pro-nazie. Il existe toutefois une différence entre la contestation du pouvoir légal au nom d'une légitimité supérieure, allant jusqu'à la prise du pouvoir, et la désobéissance individuelle au service d'une cause que sa propre nation ne défend pas ou pas assez. Surtout lorsque l'exécutif national paraît toujours plus faible, toujours plus décalé.

L'affaiblissement des frontières géographiques et des identités nationales aboutit nécessairement à l'érosion de la loyauté envers son pays ; la globalisation est ainsi à mon sens un facteur très influent. Le phénomène est assez intéressant à vivre du point de vue militaire : alors que l'armée suisse a mis 130 ans à abolir les troupes cantonales (1874-2004), en retirant progressivement aux cantons toutes les prérogatives liées (armement, entraînement, commandement, mise sur pied - seule reste une administration symbolique), les militaires suisses engagés individuellement - l'adverbe importe ici beaucoup - dans des missions multinationales de maintien de la paix tendent souvent à percevoir leur nationalité comme l'équivalent d'une appartenance cantonale. Le cosmopolitisme, le brassage des origines, des cultures et des représentations mettent le patriotisme à rude épreuve.

Mais la loyauté nationale est également minée par le communautarisme et le régionalisme, par la division des sociétés selon des lignes de fractures religieuses, ethniques, linguistiques, géographiques ou socio-économiques. La méfiance fluctuante envers les autorités centrales se conjugue au déclin du civisme, de l'intérêt général, pour favoriser une tendance inverse à la globalisation. En forçant le trait, on pourrait donc dire que les nations sont tiraillées entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, et que les loyautés oscillent entre le sang, le clan, le lieu d'une part, et l'idée, la croyance, la foi d'autre part. Et c'est exactement lorsque ces deux tendances se rejoignent, comme le montre aujourd'hui l'islamisme en Occident, que les nations sont le plus en danger.

Telle est la raison pour laquelle, à mes yeux, la question de la loyauté ne se pose pas : les nations doivent être protégées et défendues, sur terre, en mer, dans les airs comme dans l'infosphère, aussi longtemps qu'une autre structure n'accordera pas davantage de liberté, de stabilité et de prospérité.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h55 | Comments (29) | TrackBack

9 février 2006

Entre la terre et les nuages

Le virtuel est-il l'antidote au réel ? En ces temps de confrontation aiguë entre croyances religieuses et convictions laïques, la question n'est pas dénuée de parallèles instructifs. Si le recours à un au-delà céleste permet depuis des millénaires à l'humanité de transcender ou de relativiser nos vies ici bas, la popularité d'espaces virtuels accessibles de notre vivant indique un développement significatif. C'est par exemple le cas avec Second Life, un espace ludique multijoueurs qui offre une vie parallèle avec ses possibilités de distraction, de création comme de rétribution. Avec l'augmentation de la connectivité et des échanges immatériels, ce sont ainsi des pans entiers de nos existences qui peuvent être représentés et se dérouler dans un espace cybernétique. En impliquant une distance toujours plus grande avec la réalité terrestre.

Les technologies de l'information ont toujours eu pour effet d'accroître la part d'imaginaire dans le réel, et le développement du langage, de l'écriture, de l'imprimerie puis des émissions et supports audio-visuels ont permis des créations artistiques qui sont autant d'espaces en soi virtuels. Ce que notre ère digitale a apporté, c'est avant tout l'interactivité et l'immédiateté qui sont mises à la disposition de l'individu. On ne se contente plus de lire, de voir ou d'écouter l'imaginaire, on y vit - et on en vit - de plus en plus. La démocratisation de l'informatique individuelle et des connections en réseau, depuis 30 ans, a multiplié les possibilités de représentation et d'expression au point de créer un substitut à la vie traditionnelle, non d'ailleurs sans générer des dépendances pathologiques. Jeux vidéos, forums de discussion, mondes numériques : le virtuel est partout.

Ces possibilités de vies parallèles, ces soustractions ponctuelles aux contingences terrestres vont certainement aboutir à volatiliser encore davantage les relations humaines et les identités. Comme un gigantesque jeu de rôle dans lequel on change d'apparence, d'origine, de nom et d'avenir, ces existences imaginaires offrent des perspectives qui échappent à l'existence véritable. Elles peuvent faciliter la fuite au-delà du réel et rendre ce dernier de moins en moins supportable, mais aussi offrir un espace de liberté et d'opportunité dans lequel les êtres affirment leur personnalité, gagnent en aisance ou établissent des contacts fructueux. Si l'anonymat et l'artifice ouvrent la porte aux excès, ils contribuent également à faciliter des expressions et des confidences trop lourdes à assumer ouvertement. La deuxième vie, en quelque sorte, peut améliorer la première.

Le contraste ne peut cependant être plus aigu entre les êtres ayant accès à un espace virtuel à la fois dynamique et interactif, propice à une projection personnelle, et ceux que la vie réelle retient constamment. La prospérité est la condition sine qua de telles évasions, et la propension humaine à l'imaginaire, le besoin de transcender le quotidien, est de ce fait un terreau fertile pour toutes les idéologies axées sur un futur radieux, ici bas ou ailleurs. En d'autres termes, je pense que ce que l'on nomme aujourd'hui la fracture numérique pourrait demain devenir un fossé allégorique, entre ceux qui vivent l'irréel et ceux qui en rêvent, entre ceux qui projettent leurs aspirations et ceux qui subissent les aspirations d'autrui, entre ceux qui expriment l'imaginaire et ceux que l'imaginaire opprime. Entre la terre et les nuages!

Voilà un raisonnement un brin alambiqué qu'il serait souhaitable de discuter ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 20h26 | Comments (8) | TrackBack

8 février 2006

Quand le doute est mortel

Dans mes réflexions sur l'escalade des antagonismes et la projection de nos craintes, j'avais écrit quelques lignes sur le danger d'extinction qui menace les islamistes et leurs croyances, ce qui explique leur belligérance avec le monde occidental en général et ses valeurs en particulier. Pour approfondir le sujet et aborder la question du doute face à la foi, je vous conseille chaudement de lire la dernière colonne de Spengler dans l'Asia Times. Extraits :

Muslims rage at affronts to their faith because the modern world puts their faith at risk, precisely as modern Islamists contend. That is not a Muslim problem as such, for all faith is challenged as traditional society gives ground to globalization. But Muslim countries, whose traditional life shows a literacy rate of only 60%, face a century of religious deracination. Christianity and Judaism barely have adapted to the modern world; the Islamists believe with good reason that Islam cannot co-exist with modernism and propose to shut it out altogether.
[...]
With stable institutions and material wealth, the secular West evinces a slow decline. Not so the Muslim world, where loss of faith implies sudden deracination and ruin. In the space of a generation, Islam must make an adjustment that Christianity made with great difficulty over half a millennium. Both for theological and social reasons, it is unequipped to do so. Muslims might as well fight over a cartoon now; they have very little to lose.
Throughout the world, literacy erodes traditional society, and the collapse of traditional society leads to declining population growth rates. But in the Muslim world these trends hit like a shock wave. Both the traditional life of Muslims as well as Muslim theology have been frozen in time, such that Muslims are repeating in compressed time trends long at work in the West. The result is devastating.
[...]
The global relationship among literacy rates, secularization and population growth makes clear that the fragility of Muslim traditional society is not a Muslim problem as such. But the Muslim world is far more vulnerable than the numbers suggest, for two reasons. The first reason is chronological, and the second is theological.
It is not a good thing to come late to the table of globalization. [...] In a world that has little need of subsistence farmers and even less need of university graduates with degrees in Islamic philosophy, most of the Muslim world can expect small mercy from the market.
[...] Christianity and Judaism have adapted to doubt, the bacillus of modern thought, by inviting doubt to serve as the handmaiden of faith. [...] As the pope explained, the eternal, unchanging character of the Koran that the Archangel Gabriel dictated verbatim to Mohammed admits of no doubt. Muslim belief is not dialogue, but submission. It is as defenseless before the bacillus of skepticism as the American aboriginals were before the smallpox virus.

Une analyse aussi limpide, détaillée, nuancée et pertinente mérite d'être lue en entier. Et traduite en français pour être diffusée ; s'il y a des volontaires, merci de s'annoncer ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 16h11 | Comments (49) | TrackBack

7 février 2006

Alerte média : Le Matin (3)

Décidément, Le Matin fait une publicité soutenue pour ce site ! Dans un nouvel article publié aujourd'hui sur les blogs romands, "le top cinq des blogs basés en Suisse et écrits en français" mentionne au 5e rang le soussigné, juste derrière Un swissroll ; ce sont évidemment les statistiques de Technorati, dans leur interprétation helvétique, qui servent de base à ce classement purement mathématique.

En passant, on notera que la description de mon site est davantage factuelle que la dernière fois :

Caricatures de Mahomet, fax égaré par les services secrets, situation géopolitique en Iran, importance des porte-avions: l'expert militaire et stratégique commente tout ça.

Alors, je ne suis plus agaçant, mmh ? :)

COMPLEMENT I (8.2 0845) : Pour l'anecdote, l'article en ligne du Matin et le lien vers mon site ont amené de cette manière 334 visites en l'espace de 24 heures. Merci !

Posted by Ludovic Monnerat at 7h46 | Comments (6) | TrackBack

5 février 2006

La concurrence des médias

Si l'opposition entre médias traditionnels et blogs est un thème à la mode, quoique peu innovant dans son expression, un autre phénomène à mon sens sous-estimé joue un rôle au moins aussi grand : la concurrence entre médias via le développement spectaculaire des technologies de l'information. Voici 20 ans, les moyens disponibles pour s'informer au quotidien nous sembleraient aujourd'hui affreusement réduits : les journaux régionaux et nationaux, plus rarement internationaux (disponibles dans certains kiosques, souvent avec 1 jour de retard), les chaînes de télévision nationales et des pays voisins (via le téléréseau) ; la radio, sur ondes longues, offrait une très large gamme de stations différentes, mais de manière bien entendu moins tangible qu'une image ou un texte. Seules des organisations actives dans le domaine de l'information, médias de référence ou services de renseignements, avaient les moyens de consulter et de suivre un grand nombre de sources, et donc d'aller au-delà des perspectives nationales.

A cette époque, les agences de presse avaient un rôle confinant à la toute-puissance pour la plupart des médias. Je me rappelle, voici encore 15 ans, lorsque je travaillais pour une radio locale à côté de mes études, qu'un lieu était l'objet de toutes les attentions, de toutes les convoitises aussi : la salle où figurait le téléscripteur de l'ats. Chaque mètre de papier imprimé représentait une bonne partie des informations transmises au prochain journal ; de nos jours, elle ne ferait que quelques entrées sur un Google News, qui compile les informations de plus de 4500 sources anglophones et 500 francophones. Dans l'intervalle, le développement des chaînes télévisées d'information en continue diffusées par satellite et surtout la mise en ligne de tous les médias traditionnels, avec tout ou partie de leur contenu, ont en effet bouleversé la manière et les possibilités de s'informer. Et notamment offert à chaque individu connecté - on est proche du pléonasme - la latitude de comparer là où, auparavant, il ne pouvait que consommer ou ignorer.

Prenons un exemple tiré au hasard de mes lectures. Cet article publié hier dans 24 Heures affirme que chaque élection démocratique et équitable dans le monde arabo-musulman aboutit forcément à un triomphe des islamistes ; il s'appuie sur les dires de deux experts, Antoine Basbous et Hasni Abidi, pour expliquer les raisons de ce phénomène supposé et préparer l'Occident à accepter la prise du pouvoir par les islamistes, jusqu'à ce que le même pouvoir ait produit une usure autorisant une alternance politique (je ne commenterai pas la validité de cette théorie). Mais cet article écrit par un autre expert, Amir Taheri, et publié vendredi dans le New York Post, donne une perspective complètement différente : en fournissant des faits, comme le pourcentage des suffrages obtenus par les islamistes lors d'élections dans le monde arabo-musulman (5% au Bengladesh, 11% en Malaisie, 18% en Afghanistan, 40% en Irak), ce texte possède une valeur analytique qui ravale le papier de 24 Heures au rang d'une discussion de bar.

Cette concurrence féroce, axée sur la qualité et la diversité de l'information, oblige certes chaque lecteur à évaluer et à comparer les sources - tout comme n'importe consommateur sur un marché libre. Mais elle lui donne surtout la possibilité de voir à quel point les médias ayant par le passé une position dominante en sont parfois venus à abuser de celle-ci ; lorsque le Courrier International tente de résumer le point de vue de la presse américaine en citant uniquement le New York Times et le Los Angeles Times, fermement ancrés à gauche, ou lorsque les correspondants de presse romands aux Etats-Unis semblent décrire un pays différent de celui qui apparaît dans les médias américains, on ne peut que rendre grâce à Internet. Bien entendu, les blogs remplissent à présent une fonction critique et régulatrice des excès dans ce domaine ; je pense néanmoins qu'à terme, lorsque la pression économique et éthique aura suffisamment touché les rédactions, c'est le journalisme authentique, honnête, investigateur et transparent qui en sera le principal bénéficiaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h30 | Comments (20) | TrackBack

1 février 2006

Au nom de la liberté

La presse européenne commence à réagir aux menaces sur la liberté d'expression : plusieurs quotidiens, en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont publié les caricatures initialement parues dans un journal danois - évacué hier pour cause d'alerte à la bombe - afin d'affirmer la primauté de cette liberté et leur attachement à la laïcité. Ces initiatives courageuses renforcent également la solidarité européenne dans cette affaire, et sabordent la légitimité d'un boycott visant exclusivement le Danemark et la Norvège. Les manifestations violentes qui se sont multipliées ces derniers jours dans le monde arabo-musulman ont donc eu un effet inverse à celui escompté, même si le journal danois et le gouvernement norvégien ont présenté des excuses. Douze caricatures ont mis le doigt sur un enjeu dont la perception est en évolution rapide.

Ce développement confirme mon analyse de deux mondes décalés, condamnés à ne plus pouvoir s'ignorer, et dont les valeurs antagonistes ont fini par ouvertement s'entrechoquer. Au nom de la liberté et contre la toute-puissance de la foi, des médias ont décidé d'intervenir dans une crise ayant déjà tourné au rapport de forces, et ont ajouté indirectement le poids de leur pays respectif dans la balance. Le passage à l'acte ne leur est pas nouveau, bien entendu, mais ce processus parallèle et réactif témoigne d'une évolution digne d'intérêt. Les temps changent vraiment... Qui sait quel impact peut avoir une boule de neige lancée depuis un sommet, quelles cascades d'effets divers elle peut déclencher ? J'ai le sentiment que nous assistons à une telle situation. J'y reviendrai demain de manière moins allégorique et plus documentée...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h13 | Comments (21) | TrackBack

29 janvier 2006

Le déclin des alter-illusionnistes

Comment expliquer l'incapacité des opposants au World Economic Forum à capter l'attention des médias, à faire passer leur message ? Voici encore 2 ans, la contestation de ce sommet économique, politique et diplomatique témoignait d'une violence qui lui assurait une ample publicité. Peut-on dire, comme le font certains altermondialistes autoproclamés, que la démotivation dans leurs rangs s'explique par la répression policière ? L'ampleur des dispositifs de sécurité joue certainement un rôle dans ce processus, puisque les actions violentes ont été depuis Seattle le principal vecteur sémantique de leurs rassemblements. Les violences urbaines en Suisse durant le G8, en prenant le pas sur des manifestations importantes, ont symbolisé cette composante indissociable du mouvement. Mais le bouclage de Davos n'est pas celui de la Suisse, et l'absence d'élan populaire est trop frappante pour se contenter d'explications matérielles.

En premier lieu, je pense que le mouvement altermondialiste a été victime de son propre succès. Issu d'une véritable initiative citoyenne, d'une réaction commune à nombre d'individus, il a su verbaliser et imager des craintes et des refus qui parlaient au public et aux médias, et qui lui ont valu d'être exonéré de sa violence intrinsèque (légitimité au lieu de légalité). Cependant, cette énergie et cette nouveauté n'ont pas tardé à susciter l'intérêt des partis et mouvances politiques traditionnels, avant tout de gauche et d'extrême-gauche, qui se sont joints au courant et ont contribué à grossir ses rangs, mais ont également apporté leurs propres messages. Du coup, les réunions altermondialistes se sont transformées en un agglomérat disparate de causes plus ou moins convergentes, unies sous la bannière d'un refus sans cesse plus flou ; entre les militants tiers-mondistes, les activistes communistes mal dissimulés, les collectifs luttant contre la déforestation, les OGM ou les barrières à l'immigration, ces réunions valaient surtout par leur caractère chamarré et festif. Mais la fête ne dure pas éternellement.

Le mouvement a en effet été rapidement confronté à sa propre origine, à ses préjugés occidentaux, et le constat de son impopularité croissante dans certaines parties du monde a été dégrisant. Il a connu son apogée lors des grandes manifestations contre la guerre en Irak, et la démocratisation de ce pays souligne a posteriori l'immoralité et l'égoïsme d'une telle position ; aujourd'hui, c'est l'anti-américanisme qui demeure son ressort le plus puissant, avec toutes les influences que cela peut supposer. Mais dès que le mouvement a tenté d'aller au-delà de la contestation, il a été confronté aux divergences d'intérêts entre nations, entre corporations, et les mesures souvent protectionnistes préconisées en Europe heurtent par exemple de front les pays en développement. Après des années de réunions et de discussions, l'altermondialisme a été incapable de fournir des solutions aux problèmes liés à la globalisation des échanges, à l'interconnexion des économies, et moins encore aux risques découlant du choc concurrentiel des cultures et des identités.

Cette désillusion a été remarquablement démontrée en Amérique du Sud, où des icônes altermondialistes comme Lula ont rapidement dû adopter une politique réaliste et tenir compte des vrais centres décisionnels au niveau mondial. Mais le caractère marginal de l'altermondialisme militant a encore été renforcé par l'institutionalisation de certaines de ses revendications, et surtout par l'entrée en scène de personnalités du show business tenant un discours allant dans ce sens. A Davos, entre un quarteron d'activistes enflammés et le charme éclatant d'Angelina Jolie, il n'y a évidemment pas photo ; entre José Bové et Brad Pitt, le coeur non plus ne balancerait pas, surtout si les deux disent à peu près la même chose. Le fond de l'altermondialisme, ce mélange de peurs tour à tour millénaristes et fondées, ce refus d'une évolution trop rapide pour ne pas broyer les individus et éprouver les peuples, a été intégré, assimilé, récupéré. Tout le reste, et notamment cet autre monde paraît-il possible, a été décimé par la réalité.

Le mouvement a fourni sa contribution politique et sémantique. Il fait déjà partie de l'Histoire.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h02 | Comments (10) | TrackBack

25 janvier 2006

Une dépêche fantomatique

Hier, en consultant les dépêches AP sur l'Intranet de l'administration fédérale, je suis tombé sur un texte surprenant dont j'attendais ce matin quelque écho dans les médias. Il s'agissait d'un bref article décrivant une grande campagne publicitaire lancée par les gouvernements européens en vue de sauver la constitution mise à mal dans plusieurs pays. Extraits :

EU governments have launched an all-out drive to drum up support for a project many people say is Mission Impossible: Saving the EU constitution.
The double-blow of rejection by French and Dutch voters in referendums last spring all but killed a charter aimed at tightening integration and raising Europe's profile.
But European leaders haven't given up hope: They are spending millions of euros on TV commercials, glossy magazine ads, Internet campaigns and giveaways of EU stickers and flags _ all with the aim of convincing Europeans that closer unity is good for them.
[...]
From the Azores to the Arctic Circle to Cyprus, EU leaders have been trying to restart the process _ selling the idea that a stronger EU and the draft constitution will improve lives.
"We cannot take future public consent (for the EU) for granted," European Commission President Jose Manuel Barroso said this month.
In recent months, he and his 24 European Commissioners paid 68 visits to national parliaments to defend the draft constitution.
The Netherlands and Denmark have indicated they each have spent at least ¤2.5 million (US$3 million) on public relations campaigns this year to talk up the EU.
Malta is spending ¤276,000 ($340,000) a year for pro-EU campaigns by non-governmental groups. Finnish spending on that now runs at ¤805,000 (nearly $1 million) a year, according to the government in Helsinki.

Bien entendu, je me suis immédiatement dit que les dirigeants européens ne manquaient pas d'air : faute d'avoir pu vendre leur produit à l'ensemble du public, ils se sont donc imaginés qu'il suffisait d'améliorer l'emballage pour gagner les faveurs des eurosceptiques ; en matière de remise en question, on peut mieux faire. Cependant, en parcourant ce matin les médias, j'ai dû me rendre à l'évidence : nul ne parlait de cette initiative discutable. La dépêche, signée Robert Wielaard et titrée "EU governments woo public in unprecedented, coordinated bid to save European project", aurait tout aussi bien pu n'avoir existé que dans mon imagination. J'ai vérifié sur Google News : la dépêche AP ne semble pas avoir été rendue publique, même si elle est encore présente sur l'Intranet confédéral. Comment expliquer ce caractère curieusement fantomatique ?

Plusieurs hypothèses intéressantes peuvent être émises...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h10 | Comments (15) | TrackBack

24 janvier 2006

Le prix sanglant des otages

La capture d'êtres humains dans le but d'en tirer une rançon, politique ou pécuniaire, est une pratique des plus anciennes. La sinistre réputation des Suisses au plus haut de leur puissance provenait d'ailleurs largement de leur réticence à faire tout prisonnier sur le champ de bataille, contrairement à l'usage de l'époque, où chacun pouvait être monnayé en fonction de son statut. La levée en masse mue par le nationalisme a certes banni cette pratique des conflits armés de haute intensité, mais elle a toujours fait partie des petites guerres ; cette évolution s'explique aussi par l'avènement d'un droit des conflits visant à bannir de ceux-ci des méthodes également pratiquées à des fins criminelles. Une préoccupation qui indiffère largement les combattants irréguliers.

Sur les champs de bataille modernes, la présence nouvelle des médias a transformé la prise d'otage en fournissant à ses auteurs des leviers émotionnels et politiques inédits. Le calvaire vécu par les otages occidentaux au Liban, dans les années 80, a montré l'impact que pouvaient avoir au fil du temps des individus érigés en symboles, ainsi que la sensibilité accrue des rédactions lorsque les otages se trouvent être des journalistes. Depuis lors, les représentants des médias sont constamment perçus par les belligérants en situation d'infériorité matérielle comme une source potentielle de bénéfices, susceptible de compenser partiellement cette infériorité. Que ce soit sous forme de couverture médiatique, de chantage politique ou de revenu financier, les journalistes sont devenus des cibles prioritaires.

Malgré leurs propos tranchés, du genre « on ne négocie pas avec des terroristes et des kidnappeurs », les gouvernements occidentaux sont mis en difficulté par la prise en otage de leurs ressortissants. Lorsque que celle-ci se fait à des fins politiques, et vise par exemple à la libération de prisonniers ou à d'autres décisions significatives, la menace sur la crédibilité de l'Etat représente souvent un enjeu justifiant aux yeux des dirigeants l'emploi de la force armée, en notamment l'emploi d'unités spéciales pour libérer les otages (Mogadiscio en 1977 pour l'Allemagne ; Marignane en 1994 pour la France). En revanche, la détention de ressortissants à des fins pécuniaires offre une porte de sortie moins risquée, et la perte de crédibilité consécutive au versement d'une rançon est modeste si la transaction reste secrète.

Afin de libérer ses ressortissants pris en otage au Sahara et ceux d'autres nationalités, en août 2003, l'Allemagne a ainsi accepté de verser une rançon ; probablement 6 millions de dollars pour 14 personnes. Pour George Malbrunot et Christian Chesnot, les 2 journalistes kidnappés en Irak, la France a semble-t-il également payé 6 millions de dollars, puis 15 millions l'année suivante pour la seule Florence Aubenas. L'Italie a semble-t-il payé 5 millions de dollars pour les travailleuses humanitaires Simona Pari et Simona Torretta, puis 6 millions pour la journaliste Giulana Sgrena. Enfin, l'Allemagne aurait versé environ 5 millions pour l'archéologue Suzanne Osthoff.

Cette méthode criminelle destinée à augmenter les capacités belligérantes n'est cependant pas une garantie de succès. Tout d'abord, toutes les nations prospères n'acceptent pas le versement de rançons, et les pays cités ci-dessus ne sont qu'une minorité. Par ailleurs, de nombreuses nations n'ont pas les moyens ou ne se sentent pas obligées de payer pour la liberté de leurs ressortissants. De plus, comme l'a par exemple expérimenté Bernard Planche, les otages d'une même origine n'ont pas la même valeur, et il vaut mieux être femme, journaliste et/ou jolie pour décrocher le jackpot. Enfin, le nombre même de prises d'otages contribue à dévaluer leur impact sur les perceptions, et donc l'effet politique ou pécuniaire attendu. La méthode fonctionne au mieux lorsqu'elle appliquée de manière ciblée, durable et impitoyable.

Même si tous les otages sont loin de connaître le même sort ou d'avoir la même valeur, les sommes en jeu restent toutefois considérables ; certains kidnappings peuvent ainsi se transformer en un afflux de capitaux susceptible d'avoir une influence sur la durée, l'intensité ou même l'issue d'un conflit. Les réseaux terroristes sont habitués à fonctionner avec des fonds limités, dans des pays où le coût de la vie est très bas ; une manne de plusieurs millions équivaut à multiplier leur capacité à acquérir des armes, des explosifs, des munitions, des renseignements ou des complicités, et donc à commettre des attentats plus nombreux et plus meurtriers. De fait, la liberté de quelques citoyens européens a coûté la vie à des centaines de citoyens irakiens ou algériens.

Quel que soit le soulagement éprouvé lors des libérations, le tapis rouge déroulé lors des accueils en grande pompe annonce une saignée qu'il serait indécent d'ignorer.

COMPLEMENT I (31.1 0715) : Cet article du Monde fournit quelques indications supplémentaires sur les rançons versées par le gouvernement italien pour la libération des otages mentionnés ci-dessus.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h55 | Comments (21) | TrackBack

22 janvier 2006

Alerte média : Le Matin (2)

Prévenu par un ami via un SMS, j'ai constaté que La Matin a publié dans son édition dominicale une pleine page sur les blogs romands (non disponible en ligne, apparemment...), avec 7 adresses préférées au sein desquelles figure celle-ci. Je remercie Michel Jeanneret au passage, et j'en profite pour soumettre ici à commentaire le bref descriptif fait de ce carnet :

"Stratégie, prospective et infosphère". La devise du jeune lieutenant-colonel peut décourager les curieux, mais son site est lu, très lu! Car Ludovic Monnerat a un avis sur tout, avec une préférence pour les questions militaires. Un ton parfois agaçant, mais toujours cohérent.

Il est toujours intéressant de lire une description issue d'un regard extérieur. L'agacement dû au ton n'est pas exactement une chose que l'on appréhender par soi-même ; la cohérence davantage, puisqu'elle tient avant tout au fond. J'espère en tout cas ne pas avoir un avis sur tout (mes sujets restent ciblés sur les trois domaines figurant en sous-titre), mais bien fournir une suite de réflexions et d'analyses qui vont au-delà de la simple opinion !

COMPLEMENT (22.1 2200) : Je n'avais pas remarqué, mais l'article est disponible en ligne. Bizarrement, le texte qui m'est consacré dans l'édition papier n'y figure pas...

Posted by Ludovic Monnerat at 12h58 | Comments (9) | TrackBack

20 janvier 2006

Le réflexe des idiots utiles

La dernière cassette d'Oussama ben Laden a obtenu une couverture médiatique intense, et les propos de la figure de proue islamiste reçoivent aujourd'hui une place de choix dans les médias. Leur interprétation est souvent celle d'un jeu subtil avec l'opinion publique américaine, avec l'équilibre du bâton et de la carotte. L'affirmation de ben Laden selon laquelle une majorité d'Américains demandent un retrait d'Irak, en particulier, est reprise avec une absence totale de sens critique, voire même confirmée, comme le fait l'inévitable Alain Campiotti dans Le Temps en écrivant « qu'une moitié de l'opinion américaine » penche du côté de ben Laden au sujet de l'Irak. Je n'ai vu aucune remise en cause de ces propos dans la presse francophone. Alors même que les déclarations de nos dirigeants politiques, économiques ou militaires sont - à juste titre - soumises à une vérification minimale des faits.

Pourtant, ces sondages sur lesquels ben Laden aurait fondé son discours n'existent pas. Une analyse de la société Gallup montre que si les Américains n'imaginent pas un maintien ad eternam de leurs troupes en Irak, la proportion d'entre eux qui demandent un retrait immédiat ou même un plan horaire pour ce retrait [dans les 6 mois, précision importante à apporter] ne forme qu'une petite minorité. La conclusion de l'institut de sondages est claire :

So the accuracy of bin Laden's claims about American public opinion is, in reality, difficult to resolve, in part depending on how the Arabic is translated. Yes, a majority of Americans want U.S. troops in Iraq to be withdrawn -- eventually. But if the assertion on the tape is construed to imply that a majority of Americans want all troops to be withdrawn from Iraq immediately, then the tape is incorrect.

Comment est-il possible que les médias retransmettent spontanément ou même adoubent des affirmations manifestement fausses, en les faisant passer d'une opinion à un fait ? Puisqu'il ne saurait être question d'une adoration cachée pour la mouvance islamiste, et que ce comportement se fait systématiquement dans un sens défavorable aux Etats-Unis, force est de constater que les dispositions anti-américaines des rédactions les amènent à adopter les déclarations d'un terroriste fanatique pour la simple et bonne raison qu'elles s'inscrivent dans le sens de leurs convictions. Je ne vois pas d'autre explication que le réflexe des idiots utiles pour cette dérive médiatique étonnante.

Qui peut naturellement être corrigée...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h14 | Comments (12) | TrackBack

19 janvier 2006

Une affaire helvético-suisse ?

Il aura finalement fallu 10 jours pour que l'affaire de l'interception du fax égyptien soit replacée dans son vrai contexte et reçoive dans un média traditionnel une explication circonstanciée : c'est la Neue Zürcher Zeitung qui fait aujourd'hui ce travail de salubrité publique et politique grâce à un article de Bruno Lezzi, qui a pu s'entretenir avec le directeur du service de renseignements stratégiques, le docteur Hans Wegmüller. Du coup, les descriptions très didactiques du fonctionnement propre aux services de renseignement vont à l'encontre des intérêts des médias :

Gemäss nachrichtendienstlicher Praxis wäre es «fahrlässig», dem Bundesrat Einzelmeldungen zu unterbreiten, ohne diese zuvor anhand weiterer Unterlagen überprüft zu haben. Abgesehen davon, dass solche Dokumente als Entscheidhilfen untauglich sind, würde damit quasi ein Klima dauernder Alarmbereitschaft geschaffen. Nur in Ausnahmefällen leitet man deshalb derartige Informationen an den Bundesrat weiter, beispielsweise dann, wenn die Sicherheit der Schweiz direkt tangiert sein sollte. Aber auch dann wird die entsprechende Information mündlich oder schriftlich erläutert.

On notera également qu'une porte-parole du ministère égyptien des affaires étrangères, d'après le même article, a déclaré que le fax intercepté n'était somme toute qu'une revue de presse, et que toute l'affaire n'était qu'une "tempête dans un caquelon à fondue". Une comparaison du fax avec l'actualité des 9 et 10 novembre serait naturellement nécessaire pour accepter ces explications fort commodes pour les deux gouvernements ; mais si tel est effectivement le cas, bien des médias et des journalistes se sont à nouveau couverts de ridicule en étant manipulés par une taupe plutôt mal inspirée. Du coup, les critiques à l'endroit du Conseil fédéral ont plutôt tendance à s'effondrer d'elles-mêmes...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h34 | Comments (6) | TrackBack

18 janvier 2006

Alerte média : la TSR (2)

J'étais aujourd'hui à Genève, dont je rentre à l'instant en train (vue magnifique sur le lac Léman à ma droite, avec des montagnes faiblement enneigées derrière), afin de donner une conférence auprès de la police cantonale sur le thème des conflits modernes, puis une interview à la Télévision Suisse Romande. C'est Roland Goerg qui avait souhaité avoir une intervention de ma part sur le thème de l'Iran, et notamment sur ses capacités et sa volonté dans le domaine nucléaire. En principe, une brève séquence devrait passer ce soir durant le 19h30. Et cette fois-ci, contrairement à ma collaboration avec Phil Mundwiller (croisé au passage) pour Territoires 21, j'ai pris soin de ne pas porter de chemise ! :)

COMPLEMENT I (18.1 2120) : Cette brève intervention peut être vue ici.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h33 | Comments (8) | TrackBack

15 janvier 2006

Un tribunal médiatique

Sonntagsblick.jpg

Le Sonntagsblick poursuit sur sa lancée : après avoir révélé dimanche dernier l'existence d'une interception des services de renseignements sur le thème des transferts de prisonniers effectués par la CIA, il dévoile aujourd'hui les réactions au sommet de la Confédération et décrit comment les 3 conseillers fédéraux membres de la délégation de sécurité ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires traitent l'affaire. Initialement, le Blick avait eu un peu de mal à choisir sa cible, soumettant à la même ignominie le Conseil fédéral, le Chef de l'Armée et les services de renseignements ; bien vite, cependant, il a choisi comme angle d'attaque l'échelon politique et mène aujourd'hui sous la forme d'un tribunal médiatique une offensive visant à imposer ses vues au plus haut niveau de l'Etat. Plusieurs autres journaux bien entendu l'accompagnent dans cette entreprise.

Bien entendu, il est vain d'opposer des arguments rationnels à de telles attaques. Que le fax intercepté ne soit en aucun cas une preuve de quoi que ce soit et ne puisse servir de base pour une réorientation des relations politiques envers Washington va pourtant de soi : les échanges sur le réseau diplomatique égyptien n'ont pas spécialement la réputation d'être la vérité absolue. Que les Etats-Unis soient en guerre depuis 2001 et donc que les procédures pénales usuelles ne puissent pas s'appliquer, quoi qu'en dise Micheline Calmy-Rey sur de prétendus "transferts extrajudiciaires", devrait également être pris en compte. La négation de la menace terroriste islamiste est la condition sine qua non pour faire apparaître comme entièrement illégales et immorales les entreprises américaines, au lieu de les discuter et de les évaluer avec nuance.

Mais la nuance et le recul ne font justement pas partie de la mentalité d'une bonne partie des journalistes, pour lesquels la plume ou la caméra sont un moyen de changer le monde, de lui apporter un peu plus de justice. Quitte à séparer les acteurs entre coupables et victimes, entre bons et méchants, et ne changer d'avis que pour passer de l'un à l'autre. Un exemple de ce phénomène est donné par le Sonntagsblick dans le même numéro : un article consacré à l'affaire des 4 grenadiers licenciés pour propos racistes et antisémites ne tarit pas d'éloges à l'endroit du commandant de l'école, dont la conduite décidée et irréprochable est mise en opposition avec les réflexions un brin confuses de la justice militaire. Dépeindre les hommes sous les traits de héros ou de salauds fait partie de la démarche.

Ainsi, lorsqu'un nouveau sujet apparaît dans le prétoire de la presse, c'est souvent la première perception qui finit par s'imposer et donner le ton ; les médias de qualité supérieure tentent régulièrement de remettre en question cette perception, de donner au sujet une assise plus solide et plus large, mais le tribunal de la presse populiste s'en détourne rarement. Il faut vraiment qu'ils aillent dans le mur avec des conséquences financières et éthiques claires, comme lors de l'affaire Borer-Ringier, pour que les juges médiatiques passent de la charge à la décharge, voire intégrent le réquisitoire comme la défense dans leurs propos. L'image ci-dessus du Sonntagsblick d'aujourd'hui montre que nous en sommes loin.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h33 | Comments (5) | TrackBack

11 janvier 2006

Les mobiles du crime

Dans l'affaire qui secoue depuis dimanche la classe politique suisse et les services de renseignements, la perspective semble enfin s'élargir quant aux auteurs de la fuite qui a révélé les capacités suisses en matière d'exploration électronique. On en veut pour preuve cet article publié aujourd'hui par Le Matin, qui énumère les hypothèses des coupables et des causes possibles :

Règlement de comptes - L'entente n'est pas cordiale entre les différents James Bond helvétiques qui se livrent souvent à des guéguerres. [...] Un de ces organismes aurait-il glissé une peau de banane à un de ses partenaires?
Accélérer la réforme - Cette pagaille pourrait pousser les autorités à activer la réforme sur les services secrets, en renforçant notamment la collaboration et la communication, [...] un premier pas vers la création d'un Département de la sécurité
Coup de pouce à la diplomatie - La défense des droits humains est un des fers de lance de notre diplomatie. Micheline Calmy-Rey a toujours dénoncé les traitements infligés aux détenus islamistes de Guantánamo. Ces indiscrétions attisent la suspicion envers les Américains. [...]
Action d'un franc-tireur Quelqu'un des services secrets (une dizaine de personnes auraient eu connaissance de ces informations) estimerait qu'il est du devoir de la Suisse de s'engager contre ces prisons secrètes.

Si l'on en juge par les effets obtenus en 3 jours, les motifs autres que le conflit interne et la volonté d'unification des services ont été desservis.

Posted by Ludovic Monnerat at 5h45 | Comments (1) | TrackBack

9 janvier 2006

Saddam et les terroristes

L'hebdomadaire conservateur américain Weekly Standard a publié des révélations surprenantes sur le soutien fourni par le régime de Saddam Hussein au terrorisme international, et notamment à la mouvance islamiste. Selon l'article, l'examen de 50'000 documents sur les quelque 2 millions récupérés par les services de renseignement américains montre que ce soutien avait une ampleur insoupçonnée :

The secret training took place primarily at three camps--in Samarra, Ramadi, and Salman Pak--and was directed by elite Iraqi military units. Interviews by U.S. government interrogators with Iraqi regime officials and military leaders corroborate the documentary evidence. Many of the fighters were drawn from terrorist groups in northern Africa with close ties to al Qaeda, chief among them Algeria's GSPC and the Sudanese Islamic Army. Some 2,000 terrorists were trained at these Iraqi camps each year from 1999 to 2002, putting the total number at or above 8,000. Intelligence officials believe that some of these terrorists returned to Iraq and are responsible for attacks against Americans and Iraqis.

Cette information, que l'hebdomadaire dit avoir été confirmée par 11 responsables américains, n'est pas entièrement une surprise pour ceux qui ont suivi le dossier des liens entre le régime de Saddam Hussein et la mouvance islamiste ; la présence d'Abu Moussaf Al-Zarqaoui en Irak dès 2002 n'était pas due au hasard. Cependant, le nombre de terroristes entraînés dans les camps de Saddam est nettement plus élevé que prévu, et confirme le fait qu'à la surestimation des armes de destruction massive dans le dossier irakien correspond également une sous-estimation des activités terroristes, y compris islamistes. On se demande d'ailleurs pourquoi l'administration Bush, tellement chahutée pour les inexactitudes des renseignements rendus publics avant le déclenchement de l'opération Iraqi Freedom, persiste à rester aussi discrète sur les informations obtenues par les services de renseignement en matière de terrorisme.

Le point le plus important de ce dossier reste cependant le fait que les médias traditionnels, à de rares exceptions près, l'ignorent superbement. Logiquement, un scoop d'une telle ampleur devrait provoquer un intérêt majeur, des questions brûlantes au gouvernement, des enquêtes parallèles pour vérifier les informations publiées et essayer d'en savoir plus - bref, une activité normale, à la fois critique et investigatrice, pour des organes de presse indépendants. Dans les faits, comme ces révélations confortent la position de l'administration Bush et placent dans une position difficile les opposants à la guerre en Irak, elles ne peuvent être traitées normalement, factuellement, au sein d'une classe médiatique qui a passionnément pris parti et systématiquement trompé le public depuis presque 3 ans. Aujourd'hui, la recherche de la vérité au sujet de l'Irak passe après la protection des convictions et des réputations. Accepter la réalité des informations publiées par le Weekly Standard reviendrait à remettre en cause une argumentation inlassablement diffusée au point de devenir un acte de foi. Autant dire une apostasie...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h16 | Comments (3) | TrackBack

6 janvier 2006

La canonisation compulsive

Les morts, c'est connu, ont bien moins d'ennemis que les vivants ; ils ne les gênent plus assez pour cela, et laissent d'ailleurs leur vécu se faire aisément récupérer, retravailler, reformater en vue d'un usage nouveau. Ceux qui ont le malheur d'être entre la vie et la mort subissent ce traitement avant même d'avoir mis un terme à leur existence terrestre, surtout si leur héritage - matériel ou non - suscite les convoitises. Ce qui est le cas aujourd'hui avec Ariel Sharon : depuis l'annonce de son opération et de sa plongée dans le coma, on peut lire nombre de commentaires qui relèvent de la canonisation compulsive et qui prennent des libertés étonnantes avec la réalité de l'homme, de son action et de ses perspectives. De fait, lorsque le quotidien le plus populaire de Suisse se demande si la mort de Sharon n'aboutirait pas à une nouvelle guerre, on s'interroge sur sa vision de la situation actuelle.

La notion de processus de paix est au centre de cette transfiguration. Déjà apparaissent les comparaisons avec Ithzak Rabin, les métaphores du faucon transformé en colombe, les allusions au fait qu'il aurait finalement compris les vertus du compromis, de la paix avec les Palestiniens. L'un des meilleurs éditoriaux sur le sujet s'aventure même à parler de processus de paix "à l'unilatérale", apparemment sans mesurer toute l'antinomie de ces termes. Honni de son plein vivant, fustigé comme criminel de guerre, blâmé pour ses méthodes tranchées et meurtrières, Ariel Sharon s'amuserait beaucoup de ces reconversions spontanées, de ces tentatives pour faire entrer le général rebelle dans le moule préfabriqué du converti. Qu'on lui prête l'intention de "restituer" des territoires aux Palestiniens souligne l'ampleur de l'incompréhension.

En réalité, Sharon était et est toujours resté un combattant, un homme de guerre, parce qu'il a compris voici belle lurette que face à un ennemi irréductible, seule la victoire et la supériorité peuvent mener à la paix et à la sécurité. Parvenu au sommet du pouvoir par une guerre qu'il a pressentie et non déclenchée, il a dû sa popularité renouvelée et sa stature de rassembleur à sa volonté et à sa capacité de mener cette guerre et de la gagner, imposant aux Palestiniens une défaite autoalimentée qui restera la plus belle manoeuvre offensive de sa carrière. Sa conduite efficace d'un conflit asymétrique, remporté lorsqu'il a été "resymétrisé", sera d'ailleurs à n'en pas douter l'objet de nombreuses études dans les années à venir. Et ces études montreront qu'Ariel Sharon n'a fait aucun compromis avec la sécurité à terme de son pays, et qu'il n'aurait jamais ordonné le retrait de Gaza s'il ne promettait pas un avantage stratégique majeur. En se focalisant sur les antagonismes et non les apparences, les militaires font bien mieux la paix que les diplomates.

Cette réalité est naturellement impossible à admettre pour ceux qui ont fustigé pendant des années la politique d'Ariel Sharon, et affirmer que ce dernier a vécu une métamorphose ou un renoncement a pour but de dissimuler leurs propres erreurs et aveuglements. L'héritage intellectuel et pratique de l'actuel Premier ministre est trop dérangeant pour être accepté tel quel : il doit être filtré, corrigé et purifié pour recevoir l'onction bien-pensante et permettre à ceux que les faits ont contredits de recycler leur message. C'est ainsi que la canonisation partielle mais significative d'Ariel Sharon annonce déjà le dépoussiérage de ces concepts étranges, "Accords d'Oslo", "Initiative de Genève" ou "feuille de route", dont le même Sharon a démontré avec force la fondamentale inanité. Le vrai drame de sa disparition réside dans l'inachèvement de son oeuvre, dans le risque que la division intérieure amène Israël à perdre l'initiative et à manquer ce qui est à la portée de sa main : une imposition de la paix qui ne laissera à ses ennemis, pour un temps du moins, aucune chance de faire la guerre.

COMPLEMENT I (6.1 1545) : Pour avoir un aperçu de la vision que certains Israéliens se font de leur situation, cet éditorial de Caroline Glick - une voix critique à l'endroit d'Ariel Sharon ces derniers mois - dans le Jerusalem Post mérite d'être lu. Ses avertissements constants sur la création d'une enclave terroriste adossée à Israël et ses réflexions sur une frappe militaire contre les installations nucléaires en Iran, avec l'appui des USA et de l'OTAN, indiquent certainement une perspective un peu étriquée, mais représentative. Sinon, je conseille également cette analyse d'Amir Taheri, qui souligne avec éloquence l'anormalité du "processus de paix" de la communauté internationale, ainsi que ce jugement politique de John Podhoretz, également dans le New York Post, qui montre l'originalité de Sharon sur ce plan.

COMPLEMENT II (6.1 1730) : A lire également cette analyse de l'incertitude qui prévaut aujourd'hui en Israël, sur le blog Politique arabe de la France (qui annonce par là même son expansion). On y trouve notamment un élément stratégique que je partage et qui contredit les propos de Caroline Glick :

[E]n laissant le terrain aux Palestiniens, la possibilité pour eux de s'organiser en forces régulières, le retrait permettra une symétrisation de la guerre dans le cas où la société palestinienne continuera ce que certains appellent "la fuite en avant", et le soutien aux forces extrémistes palestiniennes comme le Hamas aux prochaines élections. Une telle symétrisation est à l'avantage d'Israël.

COMPLEMENT III (7.1 1600) : Pas de canonisation, mais une récupération éhontée commise sans surprise ce matin par Bernard Guetta dans Le Temps. Cet homme si prompt à dissimuler ses propres erreurs ne pouvait manquer de juger avec condescendance Ariel Sharon :

On peut rappeler toutes ses erreurs et tout le sang qu'il a fait couler mais le fait est qu'il en était venu, depuis deux ans au moins, à penser et dire ce que martelaient depuis toujours les plus clairvoyants des Israéliens - que la seule répression ne viendrait jamais à bout de l'aspiration nationale des Palestiniens, qu'Israël ne pouvait pas rester à la fois une démocratie et une puissance occupante et que, faute d'un Etat palestinien, la démographie aurait raison de l'ambition sioniste de créer un Etat juif.

On se demande comment un homme tel que Guetta ferait pour combattre le terrorisme palestinien, à supposer qu'il reconnaisse que la création de l'OLP précède la conquête des territoires aujourd'hui disputés, et donc que la présence israélienne sur ceux-ci a d'abord été une réponse à des attaques quotidiennes.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h34 | Comments (15) | TrackBack

4 janvier 2006

Les 7 merveilles du monde

La campagne visant à désigner 7 nouvelles merveilles du monde a annoncé hier les 21 finalistes ; il reste donc une année pour voter et retenir 7 édifices célèbres, susceptibles de remplacer les merveilles du monde antique - ou de rester dans ce palmarès prestigieux. Le site officiel propose dans un certain désordre plusieurs images magnifiques, qui rappellent combien l'humanité peut être grande lorsqu'elle consacre son énergie à des tâches créatrices - et combien ses créations méritent d'être protégées. Cette campagne d'ailleurs sera d'un grand intérêt pour les passionnés du jeu Civilization, dont la quatrième incarnation électronique sous cette appellation m'a tenu nombre d'heures en haleine durant les fêtes : 10 des 21 édifices retenus peuvent être construits dans le jeu.

Naturellement, il est difficile de faire un choix, surtout lorsque l'on doit se prononcer par l'image ; je n'ai eu l'occasion de visiter que 3 des merveilles potentielles (la tour Eiffel, l'Acropole et le château de Neuschwanstein). Cependant, mes préférences vont plutôt, soit à des édifices antiques très bien conservés, soit à des édifices plus récents et porteurs de symboles forts. De ce fait, je tendrais à retenir les Pyramides, la Grande Muraille, le Taj Mahal, la Statue de la Liberté, Chichen Itza, Sainte-Sophie et le Kremlin. En toute subjectivité. Evidemment, si l'on commence à réfléchir aux religions et aux cultures qui ont produit ces édifices, on se rend compte de la sensibilité potentielle d'une telle entreprise...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h19 | Comments (3) | TrackBack

30 décembre 2005

L'aveuglement des convaincus

Suite à mes réflexions sur le mythe du journalisme, certains commentateurs n'ont pas manqué de renchérir sur les professionnels des médias, jusqu'à mettre en doute ou nier leur honnêteté ; par ailleurs, on peut lire régulièrement sur la blogosphère des réquisitoires accusant les organes de presse d'avoir pris parti, contre leur camp, et donc d'être des ennemis. C'est un jugement que je ne partage en rien. Bien entendu, lorsque certains journalistes se transforment en combattants de l'infosphère, en soldats de la persuasion, ils deviennent de facto des belligérants ; mais je reste persuadé que, dans la plupart des cas, ce comportement découle avant tout de convictions profondes qui affectent leur vision du monde, et non d'une volonté délibérée d'usurper le statut journalistique afin d'influer sur le déroulement d'un conflit. L'idée de pouvoir se tromper vient si rarement à l'esprit des convaincus qu'elle explique à elle seule l'essentiel de leur aveuglement.

Ce matin, Le Temps en a livré deux exemples sous la plume prolifique du très militant Alain Campiotti. Les lecteurs de ce carnet savent à quel point cet individu constitue un fardeau pour ce quotidien francophone de qualité avec ses distorsions à sens unique, ses éditoriaux délirants, ses obsessions de défaite américaine, voire ses mensonges caractérisés. Mais une boussole indiquant constamment le sud a bel et bien son utilité, et Campiotti le démontre par un petit texte, accessible uniquement aux abonnés de l'édition électronique (qui le reçoivent par courrier électronique), décrivant une mésaventure qu'il a vécue en voulant aller au cinéma à New York ; suite à une bousculade, une altercation se produit :

Ce chahut n'intéresse pas les spectateurs que l'escalator continue de déverser au 3e. Sauf un type à la casquette plantée jusqu'aux sourcils: «Go back to Europe!» Il a entendu un accent étranger. Pas celui de Cécile - anglais parfait - mais mon bredouillement. Et pendant que nous redescendons vers la sortie, poursuivis par le videur furieux dans l'escalator, d'autres s'y mettent: «Go back to Europe!»
[...]
Devant l'impassibilité hostile du manager, je lui ai jeté les billets à la tête: «Rien à faire de votre argent!» C'était une erreur. Il est devenu fou. «Get out! Get out! Et vous ne remettrez plus jamais les pieds ici!» Après une dernière protestation, il s'est lâché: «Fuck yourself, fucking European!» On vous épargne la traduction. Il a appelé son service d'ordre.
C'était un conte de Noël, triste et lamentable. Cinq ans à New York, ville tendue, violente et douce. Mais jamais cette explosion de xénophobie haineuse. Cécile, en visite, en était malade. Et juste au pied de la nouvelle tour que construit le si poli New York Times!

On souhaite bien évidemment à Alain Campiotti de commencer à sérieusement s'intéresser aux petites gens qui font l'Amérique, et pas seulement à ceux qui orbitent dans la galaxie démocrate si présente à New York. Mais ce qui me frappe le plus, c'est la déduction de xénophobie qu'il fait de cet incident : comment fait-il pour ne pas voir que c'est son origine européenne qui est directement visée ? Encore peut-il s'estimer heureux de ne pas avoir été pris pour un Français, puisque son accent semble marqué. Mais est-il donc si difficile que cela que parvenir à la conclusion que certains Américains ont une haine de l'Europe ? L'universalisation spontanée de Campiotti, dans ce cas précis, est l'un des traits des élites européennes toujours persuadées d'être au centre du monde, d'avoir raison sur tous les points, d'être un exemple reconnu par la planète entière. Il leur faudra du temps pour ouvrir les yeux et accepter que l'Europe est détestée ou méprisée en raison de ses actions comme de ses inactions, de ses déclarations comme de ses silences. Tout comme le sont les Etats-Unis.

Un autre exemple d'aveuglement du même Campiotti est livré dans cet article publié aujourd'hui. Décrivant une nouvelle stratégie des démocrates pour les élections du mid-term et consistant à mettre en évidence des vétérans des conflits actuels, sans d'ailleurs qu'une unité apparaisse à ce sujet dans le parti d'opposition, le correspondant new-yorkais du Temps juge que "l'impopularité de la guerre" est un bon argument électoral. De toute évidence, il partage - une fois de plus, diront les mauvaises langues - l'avis des démocrates en la matière. Le problème, c'est que cette impopularité est plutôt difficile à percevoir comme majoritaire du côté de l'opinion publique américaine : contrairement au basculement maintes fois annoncé de cette opinion, les sondages les plus fiables montrent un soutien constant pour la gestion de la guerre en Irak (40% positif, 39% négatif) ainsi que pour le Président lui-même. On peut naturellement s'insurger contre l'opinion des Américains, mais l'ignorer est plutôt risqué en matière de politique intérieure...

Ces deux exemples décrivent brièvement, à mon sens, une tendance des croisés de l'information tels que Campiotti : la foi en leurs convictions occupe tellement de place qu'elle les amène à rechercher partout les signes permettant de lui accorder crédit et à interpréter dans ce sens nombre d'événements. Une démarche plus rationnelle et plus objective consisterait en premier lieu à rechercher les faits, dans leur totalité et leur complexité, pour ensuite en tirer un jugement d'ensemble rendant effectivement compte d'une situation et de son développement possible. En même temps, remplacer l'acte de foi par l'analyse est très déstabilisant, certainement sur le plan intellectuel, mais peut-être aussi sur le plan financier. Tôt ou tard, un organe de presse doit trouver son lectorat et répondre aux attentes de ce dernier. Si les rédactions européennes abritent des journalistes-combattants, c'est aussi parce que leurs publics respectifs partagent leurs causes. Les uns comme les autres sont mutuellement dépendants et influents. Et l'aveuglement des convaincus répond bel et bien à une demande.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h55 | Comments (10)

29 décembre 2005

Le redressement des esprits

En France, plus de 2 mois après le début des violences urbaines qui ont fait au moins 250 millions d'euros de dégâts avec notamment la destruction totale de 96 bâtiments publics, et fait 2 morts dans la population civile, l'heure est au redressement des esprits. Les réactions à un fameux entretien donné par Alain Finkielkraut ont été le signal de la contre-attaque, suite à la visibilité médiatique impressionnante des quartiers dits difficiles et au fait qu'ils ont imposé un débat sécuritaire jusqu'au plus haut niveau de l'Etat français. Le passage annoncé à l'état d'urgence, puis à une accalmie consensuelle, aboutit aujourd'hui à une reprise en main du débat, avec des arguments classiques mais dissuasifs tels que la "lepénisation" et le racisme. La haine brute et l'inconscience barbare démontrées par 3 semaines d'insurrection spontanée contredisaient bien trop les pensées en place pour ne pas provoquer cette réaction.

Il est fort possible que cette emprise de la pensée unique, avec ses tendances à l'autoflagellation et à la victimisation des agresseurs, soit plus forte en France qu'ailleurs. La perception de ces violences en-dehors de l'Hexagone a été particulièrement aiguë, et a servi de prétexte pour des retours de bâton parfois excessifs et vengeurs, mais a également favorisé une prise de conscience quant au potentiel de conflits armés au sein de nos propres sociétés. En Suisse, mes réflexions très atypiques sur le sujet m'ont valu d'obtenir ponctuellement un espace médiatique plus grand qu'à l'accoutumée. Bien entendu, parler d'intifada communautaire ou de guerre civile européenne n'a pas été du goût de tous, même si l'argumentation de certaines contestations s'est révélée pour le moins limitée. J'ai même eu les honneurs d'avoir été accusé de désinformation par le Réseau Voltaire, expert en la matière, pour avoir osé parler d'armes de guerre dans les cités - des armes qui pourtant existent bel et bien !

Mais les discours trop éloignés des réalités ne parviennent jamais longtemps à convaincre les populations ayant accès à d'autres sources d'information. La popularité de Nicolas Sarkozy, omniprésent au plus fort des violences urbaines, et la conviction des Français que celles-ci vont se reproduire, montrent les limites de ce redressement des esprits. C'est notamment l'analyse faite par Nidra Poller aujourd'hui sur TCS : il existe un décalage majeur entre la rhétorique bienpensante, multiculturelle et relativiste que l'on retrouve au sommet de l'affiche médiatique et l'opinion des citoyens confrontés, directement ou non, à des actes qui remettent en cause leur sécurité et leur mode de vie. La soudaine affluence de nouveaux adhérents aux partis d'extrême-droite en France ne peut pas être interprétée comme un signe positif, comme la preuve que la classe politique républicaine répond aux attentes de ses électeurs. Et la diabolisation du Front National n'a jamais été une stratégie efficace pour limiter son influence et contrer ses arguments.

Couplés à un décalage de cette ampleur, les efforts visant à orienter les discours publics par une pression morale et relationnelle sont un danger. S'il est toujours plus facile de s'en prendre au messager qu'accepter le message, surtout lorsque ce dernier impose des changements majeurs, cela ne fait que retarder la résolution du décalage - au mieux dans les urnes, au pire dans les rues. Lorsqu'un service de renseignement intérieur comme les Renseignements Généraux fait état d'une insurrection non organisée, lorsque celle-ci nécessite l'instauration de mesures sécuritaires exceptionnelles sans même relever d'un projet subversif, on mesure mieux à quel point les Etats modernes ont été fragilisés, et combien la transformation de nos sociétés en champs de bataille peut rapidement les confronter à une situation où le contrôle de l'ordre public et de la normalité leur échapperait. Une perspective à intégrer en priorité si l'on s'intéresse justement à la préservation ou à la restauration de cette normalité, comme toutes les armées sont désormais contraintes de le faire...

COMPLEMENT I (29.12 1305) : Cet article publié dans l'International Herald Tribune offre un aperu intéressant de la situation actuelle dans certaines banlieues françaises. Extrait :

As one of the young men films with a digital camera, the others move to the angry beat of music blasting out of an open car door, echoing into the dark December night.
They sing about the riots that erupted two months ago, about being Muslim and about not feeling French in France. For them the unrest is not over, it is waiting to break loose again.

Un facteur à prendre en compte, notamment en milieu urbain, est le très petit nombre d'acteurs violents nécessaires pour créer des troubles importants et nécessiter une intervention massive des forces de l'ordre. De ce fait, les propos ci-dessus ne peuvent pas être pris à la légère.

COMPLEMENT II (2.1 1105) : Les violences survenues lors de la Saint-Sylvestre en France font désormais l'objet d'une polémique dont les motivations ne semblent pas uniquement politiciennes, mais portent aussi sur la différence entre le discours officiel et la réalité locale en la matière. La discrétion entourant des incidents qualifiés de "très violents" devient ainsi un argument contre le Gouvernement.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h56 | Comments (34)

28 décembre 2005

Le mythe du journalisme

La blogosphère anglophone est agitée depuis lundi par un article du Washington Post décrivant certains efforts américains sur le plan de l'information en Irak, et liant directement aux opérations d'information militaires les blogueurs Bill Roggio et Michael Yon, au même titre que les actions effectivement entreprises par les formations arméees sur place. Cet article a suscité de nombreux commentaires dans le sens d'une lutte de pouvoir entre nouveaux et anciens médias, ainsi qu'un correctif détaillé de Bill Roggio lui-même. Le fond du problème est le suivant : les journalistes du Post décrivent des activités d'information publique sans une seule fois évoquer celles des médias, à commencer par leur propre organe de presse. Une séparation implicite et automatique entre l'information journalistique et celle qui ne l'est pas, sans que la question de leur différence ne soit posée.

Cette question est abordée par Wretchard sur son Belmont Club. D'après lui, c'est l'exactitude des faits rendus publics qui rend crédible une information et l'individu ou l'organisation qui la diffusent ; ce n'est pas la nature de l'organisation ou la profession de l'individu qui en soi assurent cette crédibilité, même si j'ajouterais qu'elles peuvent bien entendu y concourir. Les médias traditionnels vivent encore dans l'illusion qu'une carte de presse et une rédaction établie garantissent une information de qualité ; l'existence certes discrète d'un label de qualité en Suisse romande rappelle cependant, au même titre que l'article du Washington Post, que les médias sont juge et partie en la matière. A une époque où l'acquisition, le traitement et la diffusion de l'information échappent de plus en plus aux professionnels de la branche, comment encore se fier aveuglément à des corporations qui luttent contre le déclin ?

Il faut donc dénoncer le mythe du journalisme. Dans la conception implicite des médias traditionnels, le monde de l'information se divise entre les journalistes, qui avec honnêteté et courage s'efforcent d'informer le public, et les propagandistes publics ou privés qui ne visent qu'à influencer ce même public. Même les médias ouvertement engagés sur le plan politique revendiquent la même probité déontologique, et justifient leur orientation par la volonté de "donner du sens". Ces prétentions sont à mon sens sans objet : d'un point de vue pragmatique, tout producteur ou diffuseur d'information participe automatiquement à la guerre du sens, qu'il s'agisse de le donner, de l'altérer ou de l'imposer, et influence délibérément ou non les perceptions, et donc les opinions et les comportements. Au demeurant, on ne peut que s'étonner des prétentions affichées par les médias traditionnels face à la place accordée aux journalistes-combattants dans leurs rédactions.

Dès lors que la crédibilité de l'information repose sur l'exactitude des faits révélés, sur la transparence des méthodes utilisées et sur l'aptitude à corriger les erreurs commises, faire mieux que la production moyenne des journalistes professionnels est devenu possible. Mon expérience personnelle me l'a montré : à Sumatra, comme le montre ce billet sur les opérations aériennes et cet autre sur le transport retour des hélicoptères, j'étais en position de faire des reportages de qualité, à la fois exacts, transparents et interactifs, dont la plupart des journalistes n'auraient pas été capables, en partie par manque de connaissances sur le milieu militaire, mais surtout par leur distance vis-à -vis de l'action et de leurs auteurs. Etre au plus près des événements reste la meilleure manière de produire une information credible per se, comme l'oublient les reporters en chambre ; à plus forte raison lorsque l'on participe à l'action (un élément sur lequel je reviendrai prochainement).

Il convient toutefois de ne pas tomber dans l'excès inverse, en faisant de la position le critère déterminant pour la qualité de l'information. Pour en rester à mon propre sujet, ma formation journalistique est évidemment un avantage considérable sur le plan rédactionnel, mais ma fonction militaire limite également les sujets que je peux aborder ou les précisions que je peux donner. La sécurité opérationnelle impose ainsi l'auto-censure : dans le billet mis en lien ci-dessus sur le retour des Super Puma, j'ai parlé d'une "escale dans le sous-continent indien" ; je savais pertinemment que l'Antonov se poserait à Karachi, mais j'ai estimé préférable d'éviter tout risque, et ce type de décision s'applique naturellement à des informations bien plus sensibles. Il est donc logique de considérer toute information publique par définition imparfaite, incomplète et incorrecte, et de la juger d'un oeil critique, au besoin en vérifiant les faits sur lesquels elle repose. Ce qui est précisément incompatible avec les modes de consommation usuels.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h16 | Comments (11)

23 décembre 2005

Le vrai combat des idées

Il est assez invraisemblable, en un sens, de voir à quelques jours d'intervalle des dirigeants du monde arabo-musulman - le président iranien et les chefs des Frères musulmans en Egypte - se livrer ouvertement au révisionnisme en qualifiant de mythe l'holocauste. Il est encore plus invraisemblable de voir que de tels propos ne suscitent que de molles réactions, alors que loin de relever d'une démarche historique, ils traduisent une intention stratégique génocidaire. On me dira que le caractère routinier de ces assertions, et de la réalité alternative qui les fonde, a simplement été intégré, et que l'on juge préférable de ne pas s'attaquer de front à ces fantasmes érigés en vérité. Mais n'est-ce pas laisser la possibilité de les voir précisément la devenir pour un nombre croissant de gens ?

La contestation des faits historiques est l'un des symptômes des combats d'idées. Lorsque le déroulement de certains événements majeurs en vient à être réécrit ou carrément nié, c'est généralement que ceux-ci mettent en péril des perceptions ou des raisonnements servant des idéologies déterminées. Les regards excessivement critiques portés aujourd'hui en France sur la période de la colonisation illustrent ce phénomène de réinterprétation intéressée, ces démarches visant à aligner l'enchevêtrement des faits selon les schémas de la théorie. Un autre exemple frappant est fourni par l'affaire des fonds en déshérence, en Suisse, qui a permis à toute une frange d'intellectuels de gauchir la recherche historique en fonction d'intérêts politiques contemporains.

Cependant, la négation du holocauste dans le monde arabo-musulman va plus loin et pose la question, non seulement de la réécriture de l'histoire, mais bien de l'acceptation des principes logiques et scientifiques qui fondent la recherche de la vérité. Une lecture même distante des médias arabophones confronte le lecteur rationnel à un mélange incessant de fiction et de réalité, de fantasmes et de reflets, dont le musèlement fréquent de la presse n'est pas le seul responsable. Derrière l'affrontement entre démocratie libérale et fondamentalisme musulman qui embrase la planète, de cette lutte entre lois terrestres et célestes qui monopolise les attentions, se cache ainsi - à mon humble et incertain avis - un combat plus profond, un ressort plus fondamental.

Existe-t-il des idées derrière les idées ? Telle est la piste que je poursuis depuis quelques temps, même si pour l'heure je ne la perçois que de façon incomplète. Elle n'a rien de bien original : Victor Davis Hanson a par exemple montré dans Carnage & Culture que les armées occidentales ont dû leurs succès militaires au cours des siècles essentiellement à leur bagage culturel, et notamment à leurs méthodes factuelles et empiriques. Ainsi, la notion selon laquelle n'importe quel individu est capable par une approche rationnelle d'accéder au savoir, et donc d'atteindre la vérité, me semble l'un des principaux casus belli de notre époque. Et cette notion est exactement celle que propagent les économies de l'âge de l'information à travers les téléphones portables, les ordinateurs ou les sites Internet.

En d'autres termes, ce qui pose vraiment problème dans ces déclarations négationnistes, en mettant bien entendu de côté leur aspect moral, c'est que l'irrationalisme sur laquelle elles reposent n'est pas identifié, dénoncé et combattu. Il est vrai que l'irrationalisme n'a de meilleur allié que le relativisme...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h05 | Comments (29)

19 décembre 2005

La digitalisation de nos vies

Depuis quelques mois, je me suis mis à utiliser MSN Music et à écouter puis à acheter en ligne des morceaux de genres divers. Grâce aux liaisons à large bande, ADSL chez soi ou WiFi en déplacement, le téléchargement de titres musicaux au format MP3 ou WMA est devenu d'une facilité et d'une rapidité déconcertante, et éviter les bousculades des échoppes de CD est tout autant appréciable. Bien entendu, on peut - comme l'un de mes proches - me faire remarquer qu'il est encore plus simple de télécharger des versions pirates sans débourser le moindre franc numérique ; mais un certain fond de morale rend une copie légitime parfois plus satisfaisante. Même si quelques fichiers légaux, somme toute, ne changent pas grand-chose à l'affaire !

Un aspect intéressant de cette consommation en ligne reste la liberté transversale offerte au mélomane numérique : il est possible de faire des recherches très sélectives aussi bien dans les titres les plus récents, au travers des genres, que plusieurs décennies en arrière. C'est ainsi un plaisir particulier que de réécouter des titres qui nous ont frappés voici 15 ou 20 ans, et d'enfin les acquérir si cela n'avait pas pu se faire à l'époque. Quelque part, il y a là comme une manière de compenser de lointaines et menues frustrations, lorsque l'augmentation du pouvoir d'achat et l'accessibilité des magasins en ligne permet de s'offrir ce que l'on avait manqué durant l'adolescence. Ecouter une ancienne chanson de Céline Dion (« Je Danse Dans Ma Tête ») devient un délice pleinement satisfaisant.

Le même phénomène de satisfaction post-adolescent existe avec d'autres espaces culturels, et l'un des plus prisés reste celui des jeux vidéos. Les ordinateurs individuels 8 bits des années 80, tout comme les consoles 16 ou 32 bits des années 90, ont en effet connu des jeux - de rôles, d'aventure et de stratégie surtout - qui sont en soi de véritables univers, et le fait de pouvoir les découvrir ou les retrouver via un émulateur tournant sous Windows tourne parfois à l'enchantement. Un jeu de rôle comme Chrono Trigger sur Super Nintendo, probablement l'un des meilleurs jamais publiés, devient ainsi une histoire interactive absolument merveilleuse, dont le déroulement, les images et les mélodies marquent durablement le cœur et l'esprit. Et ne prennent qu'une place minime sur un disque dur.

Cette digitalisation peut cependant aussi s'appliquer aux échanges humains. Les lettres et les tirages papier d'autrefois ont été remplacés par les courriels et les images numériques, de sorte qu'au terme d'une relation il peut nous rester quelques centaines de kilo-octets de textes et quelques dizaines de méga-octets d'images. Par rapport à des souvenirs qui immanquablement s'effilochent, ou même que l'on souhaite oublier si l'on a dû constater la fausseté ou la vanité de leur contenu, ces parcelles de données deviennent alors tout ce qu'il reste d'émotions, d'actions ou de paroles entre deux êtres. On peut avoir envie de les garder, à tout hasard, ou au contraire décider de les effacer en quelques clics de souris. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je trouve cette dernière pensée un brin perturbante!

Quoi qu'il en soit, cette digitalisation de nos vies ira aussi loin que la technologie le permettra. Autant en prendre son parti.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h43 | Comments (10)

18 décembre 2005

La pudeur des distorsions

Les élections démocratiques ont l'immense avantage d'imposer au moins ponctuellement l'opinion des populations jusque dans les colonnes les plus biaisées des médias. C'est tout spécialement le cas en Irak, où les millions de votes parfois enthousiastes qui ont rempli les urnes cette année sont autant de gifles à l'endroit de tous les experts et commentateurs qui avaient jugé impossibles de tels scrutins. Au point de provoquer à chaque fois dans les médias des réactions dégrisées, des retours à la réalité et des aveux malaisés, qui d'ailleurs ne durent guère face aux exigences de l'idéologie, de l'uniformité corporatiste et de la réputation personnelle. Reconnaître ses erreurs ne fait pas partie de la culture médiatique. Les passer sous silence par de pudiques distorsions est souvent préféré.

C'est ce qu'il faut constater en lisant la dernière chronique (accès payant) de Bernard Guetta hier dans Le Temps. Placé à l'enseigne de la rubrique "Eclairages", dont je partage moi-même la rampe à l'occasion, ce texte titré "Le premier succès irakien des Etats-Unis" reste en effet une longue description des erreurs supposées des Etats-Unis, précédée d'un bref paragraphe consacré à ce succès :

C'est un succès. Les Irakiens votaient jeudi, et non seulement ces législatives n'ont été endeuillées par aucun attentat, mais la participation a été forte, comme si la population avait placé des espoirs de normalisation dans ce vote.

Les explications de Guetta sur la correction des erreurs américaines sont trop triviales pour être jaugées ici. Mais si l'on ne peut que le rejoindre dans sa conclusion ("les défis restent immenses"), il faut s'étonner du raisonnement utilisé pour y parvenir. D'emblée, il apparaît qu'une telle colonne, écrite par un homme dont l'ego et la visibilité sont considérables, ne constitue pas une analyse d'un événement donné. Derrière la rhétorique dédaigneuse (les Etats-Unis auraient "finalement compris" les erreurs que Guetta signale) et les détails sur la politique irakienne se cache à mon sens une tentative de rattrapage personnel. Où quand l'éclairage vise à aveugler le public.

L'argumentation générale, bien entendu, ne résiste pas une seconde à l'analyse. Comment peut-on affirmer que le troisième vote démocratique de l'année en Irak serait uniquement le premier succès des Etats-Unis dans ce pays? Ce scrutin est indissociable du processus politique lancé par les mêmes Etats-Unis depuis 18 mois au moins. En fait, cette remarque de Guetta montre l'incompréhension totale d'un éditorialiste pourtant renommé en matière de stratégie : l'action américaine en Irak est pensée le long de lignes d'opérations distinctes et coordonnées (selon le modèle DIME : diplomacy, information, military, economy), et chaque étape (ou point décisif) vise à se rapprocher du centre de gravité identifié (à mon avis, la consolidation de la conscience nationale irakienne) et de l'état final attendu.

En d'autres termes, c'est une succession de victoires américaines en Irak qui a abouti cette semaine à ces élections : le renversement de Saddam Hussein en 3 semaines de combats, le redémarrage de l'économie irakienne, l'ouverture aux libertés invididuelles, la refondation des forces armées irakiennes, la formation d'un Gouvernement intérimaire, l'obtention d'un mandat onusien légitimant la présence internationale en Irak, l'organisation des premières élections, la maîtrise de la guérilla sunnite et islamiste, la rédaction et l'adoption d'une Constitution - pour ne citer que les principales étapes. Bien entendu, ces victoires sont également entachées d'échecs, comme l'incapacité à assurer une sécurité dans l'ensemble du pays ou la lenteur de la rénovation des infrastructures énergétiques. Mais la tendance positive existe depuis longtemps. Seuls des êtres convaincus comme Guetta pouvaient ne pas la voir.

Et c'est bien ici que la dernière chronique de ce dernier prend tout son sens. Il suffit de remonter les archives de L'Express (Le Temps fait payer l'accès à ses archives) pour montrer à quel point notre homme a tenu un discours différent par le passé.

Le 3.4.03, comme tant d'autres, Bernard Guetta soulignait avec force son aveuglement stratégique en annonçant une Amérique au bord du gouffre, du soulèvement mondial contre elle :

Il y a encore un espoir. Si un missile tombe sur Saddam Hussein, si sa mort est annoncée, ses hommes se débanderont et les Américains pourraient, alors, s'assurer le contrôle de l'Irak. Ce serait bien provisoire, mais cette accalmie pourrait durer assez pour que les Britanniques rappellent leurs troupes et plaident, avec l'ensemble de l'Europe et du monde, le passage du pays sous tutelle de l'ONU.

Quelques semaines plus tard, après d'autres absurdités printanières sur la situation au Proche-Orient ("la démocratie est en marche à Téhéran", écrivait-il le 19.6.03), Guetta annonçait dès le 3.7.03 l'échec de la stratégie américaine en Irak :

L'idée n'était pas absurde. Les piliers de l'équipe Bush ne voulaient ni faire main basse sur le pétrole irakien ni, moins encore, transformer l'Irak en colonie américaine. Ils voulaient, disaient-ils, créer une «contagion démocratique» au Moyen-Orient, installer à Bagdad un régime suffisamment décent pour que les dictatures arabes soient ébranlées par ce contre-modèle.
[...]
Les Etats-Unis ont pris l'Irak en charge, mais, au lieu d'y apporter un minimum de bien-être après tant d'années de souffrances, ils y sont arrivés sans le sou, non préparés à l'après-guerre. Les Irakiens ont ainsi troqué la terreur policière contre l'insécurité générale.
La colère gronde dans toute la population. Il n'y a plus que les mollahs chiites pour canaliser le mécontentement. Les pertes américaines et britanniques se multiplient. Tony Blair, l'allié fidèle, plonge dans les sondages, et les Etats-Unis n'auront bientôt plus le choix qu'entre un départ précipité et une occupation prolongée. La réalité dépasse les craintes des plus pessimistes. Etrange, inconséquente, dangereuse Amérique.

On rappellera que cette idée de révolte populaire, tellement présente dans les propos des commentateurs opposés à l'opération militaire en Irak pour la légitimité qu'elle apporte à leur position, n'a jamais existé que dans leurs esprits. Avec les appels traditionnels à l'ONU ("Peut-être est-il encore temps de passer le relais aux Nations unies, de lancer un plan de reconstruction internationale de l'Irak et de souder ses trois composantes nationales dans une fédération dont la pérennité serait garantie par le Conseil de sécurité") et la critique de la conduite des opérations ("On ne peut pas vouloir aller renverser une dictature et exporter la démocratie au Proche-Orient sans même arriver avec les milliards et les forces nécessaires à cette ambition"), on trouve là les poncifs des médias européens à cette époque.

Toujours aux prises avec ses absurdités sur la question de l'Iran ("l'Europe unie a remporté son premier grand succès diplomatique, fait volontairement rentrer la République islamique dans la légalité internationale", écrivait-il le 23.10.03) et son obsession du désastre annoncé, Guetta n'a jamais caché le fond de sa pensée, à savoir que l'intervention américaine elle-même était une erreur. Il l'a écrit très clairement le 15.3.04 :

Ce n'est pas pour mettre la main sur le pétrole irakien que les Etats-Unis sont allés renverser Saddam Hussein, il y aura un an cette semaine. C'est réellement parce qu'ils ont voulu se faire les promoteurs des libertés et du changement au Proche-Orient, y transformer l'Irak en vitrine des valeurs occidentales pour susciter une «contagion démocratique» dans toute la région.
Il n'est plus besoin de dire qu'ils ont échoué, mais pourquoi? Avant tout parce qu'ils ont cru qu'on pouvait partout instaurer la démocratie du jour au lendemain, même dans un pays sans opposition ni traditions démocratiques et divisé, qui plus est, entre communautés ethnico-religieuses aux intérêts divergents.
A Bagdad, les Américains n'ont pas trouvé une seule force pouvant assumer un pouvoir souverain que tous les Irakiens reconnaissent. Ils y sont devenus des occupants non pas acclamés, mais de plus en plus impopulaires et, désormais, otages de la majorité chiite, dont les chefs religieux veulent faire de l'Irak leur Etat, théocratique et certainement pas fédéral.

Le discours de Guetta sur l'échec du projet démocratique américain en Irak est encore plus clair le 5.7.04 :

Les rêves américains se sont évanouis. Les Etats-Unis n'espèrent plus faire de l'Irak la vitrine occidentale du Proche-Orient, le pays qui allait susciter une contagion démocratique dans toute la région. [...] L'Amérique avait voulu rompre avec son image de parrain des potentats arabes. Elle avait voulu s'identifier à une démocratisation de l'Irak pour s'identifier à la liberté dans tout le monde arabo-musulman, mais c'est à la case départ qu'elle aboutit aujourd'hui.

Ce constat d'échec est généralement utilisé par Guetta pour avancer une autre antienne des médias européens, soit la nécessité supposée de mettre un terme au conflit israélo-palestinien comme première étape de toute action dans la région ("Tout est à reprendre de zéro, dans des conditions plus difficiles encore. Il est plus que jamais urgent de commencer par contraindre Israéliens et Palestiniens à la paix"). Alors sont venues les élections en Irak. Les huit millions de gifles de janvier dernier. Comme tant d'autres, Bernard Guetta en est venu au silence et s'est détourné de l'Irak, n'y revenant par la suite qu'épisodiquement, pour rappeler que tout va mal et que rien ne change.

C'est à l'aune de cette trajectoire idéologique qu'il faut évaluer la chronique parue hier. En décrivant ainsi la démarche américaine ("Cela ne signifie pas, loin de là , que tout soit réglé à Bagdad, mais quelque chose a changé car les Américains travaillent, depuis l'été, à réparer la grande bévue qu'avait été la révocation des officiers et fonctionnaires, médecins et enseignants compris, qui avaient été membres du Baas, le parti de Saddam Hussein"), Bernard Guetta tente d'expliquer l'évolution positive de l'Irak par les erreurs depuis corrigées des Etats-Unis, ce qui en retour devrait lui permettre de faire oublier les absurdités qu'il n'a cessé de proférer depuis presque 3 ans. Le désastre annoncé, la transmission des rênes à l'ONU, la primauté du conflit israélo-palestinien, l'impossibilité d'amener la démocratie par les armes : les piliers de son argumentation se sont effondrés.

Bernard Guetta a écrit que, d'après lui, George W. Bush est dangereux. C'est possible, mais ce dernier a été soumis au verdict électoral et son pouvoir reste limité. Il faut rendre grâce à l'Internet de limiter également le pouvoir de personnages qui, comme Guetta, en diffusant largement des textes biaisés et des propos aveuglants, sont eux aussi dangereux.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h20 | Comments (28)

6 décembre 2005

La morale et les affaires

De part et d'autre de l'Atlantique, les accusations d'immoralité sont chose fréquente : on les retrouve actuellement avec la polémique sur les vols secrets de la CIA, par lesquels auraient transité des prisonniers islamistes à destination de geôles indéfinies, ou bien entendu avec les relations commerciales qu'entretient l'Union européenne avec des dictatures avérées comme le Soudan ou l'Iran. Il est fréquent de se reprocher, entre dirigeants européens ou américains, des comportements indignes de leurs valeurs officielles. Et la discorde sur l'existence d'une guerre planétaire entre démocraties et islamistes, martelée à Washington et minimisée à Bruxelles, n'explique pas la totalité du problème.

Dans l'Airbus A319 de Swiss qui m'emmène à l'instant [ce billet a été écrit hier] en Suède figure le dernier exemplaire de la revue de la compagnie. Celle-ci contient un long article vantant les mérites de la Libye et incitant le passager à s'y rendre pour des vacances loin des flux touristiques habituels. Il est vrai que ce pays à de nombreuses facettes séduisantes, comme ces vestiges de l'époque romaine ou carthaginoise, ces paysages désertiques à perte de vue ou encore ces marchés traditionnels chamarrés à souhait. Mais les photos qui illustrent contiennent également à deux reprises, certes au deuxième plan, des portraits du colonel Kadhafi. Et si l'accent du texte est mis sur le confort et les opportunités touristiques, les conditions de vie locales sur le plan des libertés individuelles sont pour le moins mises entre parenthèses.

Le sujet ici n'est pas simple, dès lors que l'on renonce à un moralisme manichéen. D'un côté, on peut affirmer que passer des vacances en Libye contribue à augmenter les rentrées financières d'une dictature, et donc constitue un soutien indirect mais réel à un régime qui n'a aucune légitimité populaire ; on notera que ce type d'argumentation a été utilisé contre la Suisse en l'accusant d'avoir prolongé l'apartheid en Afrique du Sud, mais pas contre les pays ayant eu des rapports commerciaux intenses avec l'ancienne Union soviétique. D'un autre côté, on peut affirmer que le tourisme en Libye contribue à reconnecter ce pays avec l'économie globale, avec les flux de personnes et d'informations, et donc avec un élan poussant inexorablement vers la démocratie et la promotion des droits de l'homme ; une argumentation qui est fréquemment utilisée pour justifier les grands contrats passés par exemple avec la Chine.

Présenté sous cet angle, le dilemme est insoluble, car il revient à mettre en balance des activités qui n'ont pas de rapport direct. A eux seuls, les échanges économiques ne suffisent en aucun cas à préserver ou à abattre un régime dictatorial, et il serait malvenu de leur prêter une telle fonction ; bien entendu, l'embargo commercial constitue une mesure coercitive que la diplomatie affectionne, mais il doit venir en complément de pressions politiques efficaces pour être justifié - le cas de l'Irak l'ayant démontré. En fait, la recherche du profit, en tant que base des échanges économiques, qui contribue bon gré mal gré à une optimisation générale des productions et des distributions, n'a pas de lien direct avec la recherche du bien, en tant que base des jugement éthiques, qui contribue en définitive à une amélioration générale des mœurs et des actions.

Prétendre agir de façon répréhensible ou louable par des échanges commerciaux licites ne me semble donc qu'un argument facile et hypocrite. La conquête des marchés peut précéder ou faciliter celle des esprits, mais ce sont en définitive les idées qui touchent ceux-ci.

COMPLEMENT (29.12 2050) : Ce reportage de Michael Totten sur le tourisme en Libye fournit un contrepoint assez piquant à la publicite mentionnée ci-dessus. La pesanteur totalitaire y est bel et bien une réalité immanente...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h35 | Comments (6)

4 décembre 2005

Le culte de l'autoflagellation

Nous avons dans ce pays un don phénoménal pour monter en épingle chaque imperfection et lui donner l'apparence d'un échec flagrant, imminent ou même total. Prenez cet article publié aujourd'hui par Le Matin sur les chemins de fer fédéraux. Le trafic voyageurs augmente de 7%, voire de 10% sur les lignes principales, le 95% des trains sont à l'heure et le 99,87% des transports sont assurés. Cela n'empêche pas le journaliste de dépeindre le tout d'une manière outrageusement négative : « l'année des désillusions », « des trains qui disparaissent », « des billets trop chers », « un transfert de la route au rail à la traîne » et pour finir une « réputation détruite. » On pourrait vraiment croire que les CFF sont au bord du gouffre, avec une clientèle sur le point de se révolter !

Quels sont les faits permettant à Michel Jeanneret de porter ces jugements aussi tranchés ? Aucun ne résiste à l'analyse. En premier lieu, il parle d'une « forte grogne » du côté du public sans citer aucune preuve, aucune enquête d'opinion pour attester celle-ci, alors que l'augmentation du trafic voyageurs tendrait à prouver l'inverse. Son assertion quant à la perte d'image consécutive à la panne du 22 juin dernier, d'autre part, serait reprise d'un quotidien allemand érigé en référence (la Süddeutsche Zeitung) sans que les articles disponibles sur le Net (ici et ici) confirment ou fondent en quoi que ce soit ce jugement (fournir la source éviterait ce doute). Enfin, les déclarations de responsables politiques sont utilisées pour appuyer le propos, alors que tous appartiennent à des partis de gauche. Bel effort journalistique !

Bien entendu, on me rétorquera qu'il ne s'agit après tout que d'un article paru dans le quotidien de boulevard romand par excellence, que le public sait ne pas prendre au sérieux tout ce que les médias racontent pour tenter d'augmenter leur lectorat, et que de tels articles sont bien vite oubliés. La semaine dernière, lors du cours donné à nos fractions d'état-major d'armée à Berne, l'étude de plusieurs articles de FACTS a également amené certains spécialistes à dire que son contenu n'est que de l'infotainment, c'est-à -dire un mélange d'information et de distraction qu'il s'agit de ne pas trop prendre au sérieux. Pourtant, ces organes de presse n'en revendiquent pas moins une déontologie et une qualité identiques à tous les autres, avec toutes les garanties de précision, d'exactitude et de suivi que cela devrait supposer. Une manière de jouer sur les deux tableaux ?

Ce phénomène est naturellement présent dans tous les pays occidentaux, et le problème de l'impact à long terme du négativisme compulsif des médias, à motivation idéologique ou économique, ne peut être ainsi écarté d'un revers de manche. Mais j'y vois également une spécificité suisse, un culte de l'autoflagellation qui, au choix, assombrit le présent, idéalise le passé ou diabolise l'avenir. En termes de densité, de rapidité, de confort et de ponctualité, les CFF se situent au sommet de la hiérarchie mondiale, et un usager presque quotidien comme moi peut l'apprécier ; pourquoi ne pas faire le point à leur sujet avec nuance et précision, avec des informations transparentes et fondées ? Il est assez significatif de constater qu'un tel succès soit dénaturé de façon aussi délibérée et inavouée.

Relevons cependant qu'un seul article de cette nature, même décrypté et analysé de la sorte, ne suffit pas à juger l'ensemble d'un journal ou d'une corporation. Une vue d'ensemble des travers médiatiques commis en Suisse nous manque.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h58 | Comments (8)

3 décembre 2005

Alerte média : Swissinfo

Voici près de 3 semaines, Olivier Pauchard de Swissinfo/Radio Suisse Internationale m'a posé quelques questions sur le général Jomini et la place de sa pensée dans les doctrines stratégiques et militaires contemporaines, ceci en vue du 200e anniversaire de la bataille d'Austerlitz. Son article a paru hier et inclut une bonne partie des éléments fournis ; je précise d'ailleurs que j'ai pu lire et corriger le texte avant publication, ce qui est la meilleure manière d'éviter des imprécisions et des corrections.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h23 | Comments (2)

2 décembre 2005

Un point focal stratégique

En Irak, la prise en otage de militants pacifistes et l'attentat suicide d'une femme convertie à l'islamisme - tous occidentaux - ont montré, à quelques jours d'intervalle, combien ce pays reste aujourd'hui un point focal à l'échelle de la planète. Que des personnes s'y infiltrent individuellement ou en groupe révèle aussi bien leurs convictions que leur impression de pouvoir agir, d'avoir une influence. Nous ignorons à quoi pensait la femme belge qui s'est faite exploser à proximité d'un convoi US, et qui comme souvent n'a réussi à provoquer que sa propre mort, mais ce n'est certainement pas en désespoir de cause. Bien au contraire : l'Irak est bien un symbole causal de l'affrontement en démocratie libérale et fondamentalisme musulman.

Ce point focal a naturellement été choisi par les Etats-Unis, et aurait fort bien pu se trouver ailleurs ; depuis quelques mois, l'augmentation des accrochages en Afghanistan rappelle d'ailleurs que cet autre secteur avait le potentiel symbolique nécessaire. Mais nulle part ailleurs qu'en Irak ne sont autant cristallisées les luttes que superpose la mutation accélérée de notre monde, ce combat acharné entre la modernité, la liberté, l'ordre et leurs contraires. Que les Etats-Unis et Al-Qaïda aient simultanément identifié ce pays comme un point décisif à l'échelon stratégique confirme cet énoncé. De plus, dès lors que la « guerre contre le terrorisme » se déroule en premier lieu dans l'espace sémantique, il est en outre logique que l'intérêt des médias favorise le passage à l'acte des individus.

Dans le cas présent, il est bon de souligner qu'une bonne dose d'endoctrinement islamiste ou pacifiste a très certainement été nécessaire. Ce n'est pas sur un coup de tête que l'on décide ainsi de jouer sa vie dans un pays qui abrite un conflit aussi déstructuré. Il faut ainsi reconnaître que l'Irak est devenu une cause planétaire, un enjeu susceptible d'être exploité par l'ensemble des belligérants, un arrière-fond où se succèdent en un kaléidoscope effréné des images telles que le procès de Saddam Hussein, les sévices d'Abu Ghraib, les doigts encrés des électeurs, les visages implorants des otages, ou encore l'apparence tour à tour imposante et impuissante des Forces armées US. Le conflit irakien va largement faire entrer notre époque dans l'histoire, tout comme le conflit vietnamien voici 40 ans.

Une lutte d'une telle importance, par le verbe et l'image, par les idées et les valeurs, transperce inévitablement toute société et toute communauté, indépendamment des frontières géographiques et culturelles. Le passage à l'acte de quelques dizaines ou centaines d'individus vivant en Europe ou en Amérique du Nord n'est que la portion la plus visible de réactions dont l'ampleur est encore ignorée. Et le fait que les médias occidentaux aient majoritairement pris position dans ce conflit, et soient donc entrés de plain pied dans la lutte pour les cœurs et les esprits, nous condamne à l'éclatement du sens, au morcellement mimétique, à la reproduction sur notre sol et à échelle réduite des affrontements érigés en symboles.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h57 | Comments (10)

27 novembre 2005

Des blogs à découvrir

Ces derniers jours, de nouveaux blogs sont venus à ma connaissance que je me permets de vous faire découvrir. Avec en premier lieu ces Chroniques de l'Extrême-Centre, alimentées par des francophones vivant aux Etats-Unis, et dont la perspective ne correspond pas exactement à celle la plus souvent véhiculée en Europe. En anglais, j'apprécie également depuis peu ThreatsWatch, un blog collectif qui doit beaucoup aux activités de Bill Roggio, connu pour The Fourth Rail, et qui d'ailleurs est arrivée en Irak. Enfin, c'est grâce à un lien pointant vers mon site que j'ai découvert Technologies du Langage, le blog remarquablement intéressant - et existant depuis plus d'un an - du professeur de linguistique et d'informatique Jean Véronis.

Bonne découverte !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h37 | Comments (9)

23 novembre 2005

De l'omertà au n'importe quoi

Est-ce que j'ai manqué un chapitre dans le récit des violences urbaines en France ? C'est la question que je me suis posée ce matin, en lisant un article à proprement parler abracadabrantesque dans le Figaro. Le premier paragraphe résume bien le problème, à savoir un décalage profond avec la réalité :

Dix jours après la fin des violences urbaines qui ont embrasé les banlieues, les forces de l'ordre ne baissent pas la garde. Selon nos informations, près de quatre-vingt personnes ont été interpellées hier lors d'une vague d'opérations menées au sein de huit cités sensibles à travers le pays : toutes étaient en proie à une économie souterraine essentiellement sous-tendue par divers trafics de stupéfiants et le blanchiment de l'argent sale. Des fusils, des pistolets et des revolvers, plusieurs dizaines de kilos de résine de cannabis mais aussi de l'héroïne, de la cocaïne ainsi que de l'ecstasy ont été saisis au cours des perquisitions.

Passons brièvement sur les 10 jours en question : la nuit du 12 au 13 novembre, avec 374 voitures brûlées, ne ressemble pas vraiment à la "fin des violences urbaines". On peut supposer une confusion chez l'auteur. Par ailleurs, on se demande bien comment ce dernier peut parler d'une absence de violences urbaines sans avancer la moindre preuve à ce sujet, puisqu'une centaine de voitures doit problablement flamber chaque nuit, comme depuis le début de l'année. Mais ce silence étonnant est juxtaposé au bilan d'interventions policières qui mettent au jour, dans des zones dites sanctuarisées, de la drogue, des fonds et des armes. Sans susciter d'inquiétude particulière.

La volonté de minimiser les risques tourne ici à l'absurde. L'auteur de l'article décrit des quartiers dans lesquels des criminels font la loi, écartent les lanceurs de pierres - et de cocktails molotovs, devrait-on ajouter - pour protéger leurs activités, et se contente de dire que les forces de l'ordre ne baissent pas la garde alors qu'elles en sont réduites à faire des incursions sur un territoire étranger. Les trafiquants de drogue et d'armes sont appelés des voyous, alors qu'ils gangrènent tout un pan d'une collectivité. Des individus qui tirent au fusil de chasse sur des fonctionnaires de police intervenant après l'incendie d'une école sont décrits comme de simples émeutiers, dans ce qui constitue purement et simplement une embuscade, un acte au mieux criminel, au pire insurrectionnel.

L'aspiration à la routine rassurante pour ne pas affronter les démons du changement explique-t-elle cette dérive sémantique ? Les hommes sont plus souvent médiocres que machiavéliques...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h43 | Comments (21)

22 novembre 2005

Le vecteur humanitaire (2)

Voici presque un mois, j'avais souligné le fait que l'aide humanitaire était aujourd'hui devenue ouvertement une arme dans la conquête des esprits. Ce billet du Counterterrorism Blog semble indiquer, dans l'intervalle, que les efforts des organisations islamistes dans le Cachemire pakistanais ont porté leurs fruits. Et de s'interroger sur la manière d'y faire face :

The situation in Kashmir once again demonstrates the dilemma we face in dealing with active, but terrorism tainted, Islamic charities when they constitute an important part of humanitarian crisis relief efforts. This problem arises regularly as with the Southeast Asia Tsunami crisis and in places like Somalia, Sudan, Lebanon and Gaza where terrorist groups have established and maintain essential local humanitarian and social support structures. Dismantling these groups and building new structures to replace them still remains a remote option. Yet efforts are necessary to contain these groups and to restrict them from using their resources for terrorism related activities.

Confrontées à la destruction de leurs éléments opérationnels là où ils sont engagés, les organisations islamistes trouvent donc dans la diversification et le découplage de leurs activités une manière de survivre, de prolonger la lutte et de la faire tourner à leur avantage. C'est l'un des avantages de leur nature parasitaire : la possibilité de profiter des failles et des faiblesses d'une société donnée pour prendre une influence croissante. Elles parviennent ainsi à s'adapter à une situation changeante, comme celle créée par le tremblement de terre au Pakistan, grâce à un fonctionnement très proches des chaînes que j'ai décrites dans mon appréhension de la menace future. Et la séparation apparente de leurs fonctions, pourtant mues par une idéologie et un projet communs, constitue leur meilleure protection.

Laisser croître le parasite islamiste dans une société, par la circulation des idées et des personnes, entraîne le risque de le voir peu à peu prendre le contrôle de ses fonctions essentielles, comme la santé, l'éducation et bien entendu la sécurité. Le point de non retour, s'il existe, est atteint lorsque l'islamisme fait partie de la vie quotidienne sous toutes ses facettes ; c'est une chose que les Taliban n'ont pas réussi à faire en Afghanistan, peut-être faute de temps et sûrement faute d'une méthode adaptée, mais c'est probablement ce que le Hezbollah a accompli au Liban et le Hamas dans les territoires palestiniens. Lorsqu'un mouvemement irrédentiste et prosélyte - deux termes désormais proches du pléonasme - parvient à imposer l'idée d'une "aile politique" ou d'un "volet social", ce point est atteint.

Dans cette perspective, le désarmement des esprits que subit l'Occident revient à ouvrir un espace béant dans lequel le parasite islamiste peut s'insérer et prospérer. Perdre la bataille des idées faute de la livrer nous contraindra encore plus sûrement à mener la guerre que l'on pense conjurer par des mesures financières ou des concessions symboliques.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h34 | Comments (4)

21 novembre 2005

Le partage de l'information

Un excellent article publié dans Business Week témoigne d'une mutation en cours dans le monde commercial : l'abandon progressif du courrier électronique au profit de plate-formes plus ouvertes et interactives pour l'échange et le partage de l'information, ainsi que pour l'avancement de projets. L'overdose de courriels qui menace la plupart des cadres, encore agravée par les appareils permettant leur consultation à distance, semble en effet devenue un facteur rédhibitoire. Des systèmes autorisant sur un même document des corrections ou des commentaires en temps réel, de la part de tous les collaborateurs impliqués, évite tous ces échanges de fichiers attachés et les problèmes de synchronisation que chaque entreprise ou administration connaît aujourd'hui. Tout comme chaque armée.

C'est bien entendu cet angle qui ici m'intéresse le plus. Les commandements militaires sont de gros producteurs de documents, y compris en vue de l'engagement. Pour prendre un exemple tout proche, l'ordre d'opérations et ses annexes nécessaires au déploiement et à l'emploi d'un contingent de 50 militaires suisses et de 3 hélicoptères à Sumatra, après le tsunami, comptait environ 50 pages A4. La dernière édition du Guidelines of Operational Planning, le règlement de planification de l'OTAN, prévoit pas moins de 40 annexes, de sorte qu'une grande opération peut imposer plus de 100 pages A4. Tout cela n'a d'ailleurs rien de nouveau : l'ordre pour l'attaque sur la Somme en 1916 établi par le général britannique Haig comptait 57 pages réparties en 32 sections.

Les armées utilisent aujourd'hui de façon standardisée des applications de type Office, le plus souvent sur Windows (l'armée suisse est passée cette année à XP). Du coup, Outlook devient le point de convergence des informations à partager, que ce soit par le courrier (fichiers et messages), par le calendrier (fixation des séances) ou par les tâches (missions administratives). Des logiciels spécialisés peuvent venir faciliter la planification en organisant les documents nécessaires, mais l'architecture reste essentiellement la même. Un ordre ou une annexe modifié par plusieurs officiers l'est en mode correction, de façon séquentiel et non parallèle, à moins de fractionner par avance le document entre les rédacteurs autorisés. La synchronisation des connaissances est malaisée.

Des systèmes permettant une planification interactive en temps réel avec tous les membres d'un état-major et leurs subordonnés directs autoriserait certainement des gains de temps importants ; et pour une formation militaire, l'accélération de ses cycles décisionnels peut littéralement être une question de vie ou de mort. Les réseaux de commandement embarqués vont déjà dans cette direction en autorisant le partage automatique d'indications « manuscrites » faites sur un écran tactile projetant une carte numérisée. On imagine aisément l'efficacité d'une planification distribuée, au cours de laquelle un concept d'opérations serait esquissé, tracée, approfondi, vérifié, complété, évalué, « wargamé » et finalisé en ayant en permanence le produit sous les yeux.

Cependant, les militaires se méfient à juste titre des technologies conçues pour l'environnement concurrentiel des entreprises commerciales, et non pour l'environnement conflictuel dans lequel ils sont appelés à évoluer. Le risque posé par le partage toujours plus efficace de l'information, c'est de se focaliser sur les éléments susceptibles d'être véhicules par des chiffres et des mots, voire des schémas, et donc de perdre tout le reste. Le contact personnel, le regard, la voix sont des éléments essentiels pour atteindre une véritable compréhension entre individus engagés dans une même action. Wikis, weblogs ou flux RSS ne diront jamais toute la réalité.

Posted by Ludovic Monnerat at 7h38 | Comments (2)

20 novembre 2005

L'omerta de la violence

Sans aucun plaisir, je constate que mes prédictions - certes pas trop risquées - du 11 novembre dernier sur la couverture des violences urbaines en France se révèlent exacte : après avoir déclaré un "retour au calme" factice, parce que le seuil de violence est retombé au niveau toléré quotidiennement, les médias se sont détournés du sujet et ne publie plus aucun chiffre global. On peut chercher dans les dépêches d'agence (via Yahoo) ou les articles de presse (via Google), impossible de savoir combien de voitures ont brûlé en France la nuit passée, combien d'interventions ont été effectuées par les pompiers suite à des actes délibérés, combien de policiers et gendarmes ont été spécialement déployés, combien de fois les forces de sécurité ont été attaquées.

Bien entendu, la tâche des médias n'est certainement pas facilitée par le fait que la Direction générale de la police nationale ait apparemment cessé de fournir des bilans chiffrés. Mais leur rôle ne devrait pas uniquement consister à s'appuyer sur la communication des organes officiels, et leur silence actuel relève également d'une décision délibérée. D'un autre côté, maintenir plus de 3 semaines une attention considérable sur un seul phénomène n'est pas dans les usages des médias, et l'intérêt du public y est certainement pour quelque chose ; après tout, même le tsunami de décembre 2004 n'a pas occupé le devant de la scène plus de 3 semaines. Une information finit toujours par chasser l'autre. Surtout lorsque la saturation se conjugue à l'incompréhension et à l'impuissance.

Ceci m'amène naturellement à maintenir mon jugement sur la situation. En France, un cordon sanitaire physique et sémantique a été replacé autour des zones de non-droit où vit et se multiplie un véritable ennemi intérieur. Cette segmentation du territoire et des esprits ne rend pas moins inévitable un conflit qu'il sera impossible de taire par une omerta consensuelle et injustifiable.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h25 | Comments (26)

19 novembre 2005

La violence manipulatrice (2)

Le mois dernier, j'ai émis quelques réflexions sur la violence armée visant directement les journalistes afin d'orienter leurs perceptions et leurs récits. La méthode a de nouveau été reproduite hier en Irak, lorsque deux véhicules bourrés d'explosifs ont attaqué un hôtel de Bagdad dans lequel de nombreuses organisations médiatiques avaient leurs bureaux. Ces attentats suicides ne sont pas parvenus à tuer un ou plusieurs journalistes, se contentant de massacrer 6 Irakiens passant malencontreusement par là , mais leur impact ne doit pas en être négligé pour autant.

Il est à cet égard intéressant de lire le récit de Leila Fadel, une journaliste présente dans l'hôtel et bouleversée par l'attaque, pour mesurer à quel point l'effet psychologique de la violence armée peut transformer malgré eux les reporters. Ce phénomène amène à considérer sous un angle différent le problème aigu de la fiabilité médiatique à propos de l'Irak. Inexorablement, qu'ils l'acceptent ou non, les médias sont aujourd'hui des acteurs à part entière des guerres modernes, des cibles légitimes à défaut d'être légales, parce que l'opinion des populations est décisive dans tout conflit de basse intensité.

COMPLEMENT (22.10 1530) : Cette courte colonne de Strategy Page, intitulée "Journalistes contre réalité en Irak", indique pourquoi les militaires américains déployés dans ce pays en viennent à considérer de plus en plus les journalistes comme leurs ennemis. La différence entre leur vécu et les reportages est trop flagrante. Ce qui nous amène à une différence frappante avec la guerre du Vietnam : alors que celle-ci à imposer les images et les textes des médias dans les salons des familles américaines, le conflit en Irak permet aux soldats déployés de voir ces mêmes images et textes, de les comparer avec la réalité et de donner leur avis via les weblogs ou le courriel.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h44

18 novembre 2005

Le désarmement des esprits

Le déplacement en Turquie de l'équipe nationale suisse de football, à l'occasion du second match de barrage en vue de la qualification à la Coupe du Monde, a donné lieu à des incidents éminemment regrettables : jets de pierre sur le bus de la Nati, menaces verbales et gestuelles de la foule, puis agressions commises par l'équipe turque juste dans les vestiaires, au point qu'un de nos joueurs a dû être amené à l'hôpital. Ce comportement violent et vindicatif, cette haine palpable - visant les Suisses autant que l'Europe, puisque l'arbitre était Belge - a donné de la Turquie une image particulièrement médiocre et méprisable. Quelques milliers d'excités affichant tous les symptômes du nationalisme le plus vil, alors que l'entrée de leur pays dans l'Union européenne est un sujet disputé, ont d'ailleurs offert de puissants arguments à son encontre.

Les médias suisses ont eu une réaction mesurée à ces incidents. Mais certains ont décidé d'aller plus loin, car la haine turque exprimée à l'endroit de nos compatriotes constituait un risque de sursaut patriotique. Dans son journal télévisé hier soir, la TSR s'est ainsi livrée à l'exercice progressiste par excellence consistant à innocenter la communauté turque présente en Suisse : après un reportage sur les célébrations de victoire à Lausanne, qui auraient rassemblé selon le journaliste des milliers de personnes « de toutes nationalités » (?), une autre séquence a été consacrée à des Turcs installés chez nous, mal à l'aise suite à la tournure des événements, et qui se sont engagés « à soutenir l'équipe de Suisse » lors de la Coupe du Monde (??). Message-clef : les étrangers vivant chez nous sont gentils et loyaux, la haine entre les peuples n'existe pas, passons à autre chose.

Que la TSR juge son public suffisamment débile au point de faire l'amalgame entre des supporters turcs surexcités et des immigrants turcs intégrés est assez instructif sur la perception que ses journalistes ont de leur position. Mais que ceux-ci décident délibérément d'orienter les perceptions de ce public, en choisissant des sujets et des angles conçus pour propager un message xénophile et anti-nationaliste, est franchement insupportable. Passer du contrôle de l'information - nécessaire et inévitable compte tenu du format télévisuel - au contrôle de la pensée amène à penser que la liberté d'opinion est une valeur en voie de désuétude. Oui, nous avons le droit de juger les Turcs barbares et méprisables pour leur violence compulsive et leurs tentatives de la dissimuler. Cela ne signifie pas qu'ils le soient tous, à tous égards et en tout temps.

Cette volonté de relativiser les sentiments négatifs d'autrui pour éviter le développement des nôtres est malheureusement une démarche fréquente dans les médias occidentaux contemporains. Confrontés à une haine implacable qu'ils ne peuvent admettre, puisqu'elle heurte leurs convictions, ils se lancent généralement dans des explications qui constituent le premier pas vers sa justification. Nous l'avons vu à propos des attaques terroristes islamistes et des violences urbaines en France, et je suis presque étonné de n'avoir pas encore lu des lignes similaires à propos des supporters turcs, dont la violence doit probablement pouvoir être expliquée par les frustrations suscitées par la question européenne et par la situation économique. Après tout, ces Suisses arrogants et opulents n'auraient-ils pas suscité la colère compréhensible des paupérisés du Bosphore ?

Les manœuvres médiatiques visant à influencer les perceptions du public équivalent bien souvent, aujourd'hui, à un véritable désarmement unilatéral des esprits.

COMPLEMENT (18.11 0930) : La presse écrite romande revient ce matin sur ces violents incidents, puisque les Suisses agressés ont pu livrer leurs témoignages. Le Temps consacre plusieurs articles à la chose et fait un tour d'horizon complet, alors que la Tribune de Genève rapporte les témoignages en question. Le désarmement est en revanche palpable à 24 Heures. Le fait que les journalistes sportifs aient eu leur mot à dire, à la différence des reportages de la TSR, semble avoir eu une influence considérable sur le traitement du sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h22 | Comments (18)

16 novembre 2005

La vengeance américaine

Les violences urbaines en France ont permis à nombre de commentateurs américains et anglophones de prendre leur revanche avec le fier coq gaulois, qui ne s'était pas fait prier pour se gausser des Etats-Unis lors de certains événements difficiles. De part et d'autre de l'Atlantique, la même hargne vindicative et la même Schadenfreude ont produit les mêmes jugements définitifs, les mêmes conclusions à la faillite de l'autre. Toutefois, si la pratique de l'anti-américanisme peut à la rigueur s'expliquer par les besoins de la construction européenne, par une logique d'opposition servant - faussement, d'ailleurs - une identité en devenir, on remarque ces jours un anti-européanisme compulsif qui ne peut être uniquement la monnaie de notre pièce.

Les éditorialistes conservateurs les plus fameux du monde anglo-saxon, ces deux dernières semaines, ont écrit des colonnes particulièrement sombres sur l'avenir de l'Europe, à la lueur - j'allais dire flamboyante - des cités françaises rongées par le chaos. On peut notamment citer le cas du Canadien Mark Steyn, dont la causticité et la pertinence n'ont manqué de s'exprimer :

So Europe's present biculturalism makes disaster a certainty. One way to avoid it would be to go genuinely multicultural, to broaden the Continent's sources of immigration beyond the Muslim world. But a talented ambitious Chinese or Indian or Chilean has zero reason to emigrate to France, unless he is consumed by a perverse fantasy of living in a segregated society that artificially constrains his economic opportunities yet imposes confiscatory taxation on him in order to support an ancien regime of indolent geriatrics.

Un autre exemple est celui de Charles Krauthammer, qui a donné dans Time un résumé tout aussi abrupt de la situation :

On the one side are the protester-arsonists, many if not most of them Muslim, whom the Interior Minister called racaille (rabble) - young, restless, violent, vibrant, angry, jobless, envious and fecund. And on the other side is an aged and exhausted civilization, the hollowed-out core of European Christendom, static, aging, contented, coddled, passive and literally without faith. Who would you think will win in the end?
[!]
The best way to know the future is to look at simple demographics. There are an estimated 5 million Muslims in France. Of course, no one knows for sure, not just because of the uncounted illegal immigrants but because in France the government is prohibited by law from even asking about ethnicity and religion. It is not surprising that you don't deal with a problem whose very contours you refuse to see or even inquire about.

Ces affirmations doivent naturellement être prises en compte, et les facteurs démographiques ont l'avantage d'être des bases solides pour les réflexions prospectives. Malgré cela, cette focalisation sur l'origine ou la religion de communautés est en soi insuffisante pour parvenir à des conclusions aussi dramatiques. Le futur de l'Europe n'est pas certain : il attend d'être écrit, et c'est précisément aujourd'hui que les idées et les volontés nécessitent un vigoureux coup de fouet pour trouver une application dans les prochaines années et décennies. Si une confrontation à venir est effectivement inévitable, comme je l'ai écrit et dit non sans susciter des réactions outrées, les éditorialistes revanchards d'outre-Atlantique seront surpris par les énergies qu'elle va révéler.

Leur vision de l'Europe oscillant entre le musée en déclin et la clinique gériatrique, certes dans l'air du temps, s'arrête en effet à la surface des choses. Ce continent n'est pas éteint, le feu couve toujours dans son sous-sol ; la colère, la rage et la haine n'ont pas été anesthésiées par des années d'étouffement cognitif. Elles sont d'ailleurs capables du pire, et les massacres commis dans les Balkans sur fond de fractures ethniques et religieuses peuvent se reproduire, sur une échelle différente, en Europe occidentale. Ce potentiel de révolte qui habite la majorité silencieuse, et qui nourrit en désespoir de cause les franges extrêmes de l'éventail politique, ne peut être indéfiniment ignoré par ceux qui aspirent à sa maîtrise par la contention des individus, par le contrôle de l'information et des armements.

L'affrontement des idées est bien à l'œuvre, comme le montrent l'auto-intoxication et l'auto-censure pratiqués par des médias avides de préserver leur pouvoir ou d'influencer l'avenir. Et je pense que l'Europe ne sera pas au cours de ce siècle le seul champ de bataille décisif pour l'avenir des sociétés humaines. La lutte décentralisée et multiforme contre le chaos et la barbarie nous attend tous. Dans ce contexte, la vengeance américaine est à l'opposé d'une compréhension stratégique globale.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h58 | Comments (10)

15 novembre 2005

L'auto-intoxication des médias

Les préjugés ont la vie d'autant plus dure qu'ils sont satisfaisants, qu'ils s'accordent à nos inclinations. J'ai eu ce matin la stupéfaction de lire, sous la plume censée être experte et mesurée de Claude Monnier dans 24 Heures, une incongruité intellectuelle, une sorte de grumeau cognitif qui relève de cette nature :

Bush et Chirac ne s'aiment pas. Pourtant, ils devraient car ils barbotent l'un et l'autre dans la même panade. Alors que leurs Etats respectifs se déglinguent sous leurs yeux, les Etats-Unis à cause de l'Irak et de Katrina notamment, la France à cause de son économie malade, de son chômage proliférant et de l'insurrection de ses banlieues, aucun des deux chefs d'Etat ne sait vraiment quoi faire, ou même quoi dire, au-delà de banalités d'usage qu'ils profèrent sur un mode automatique.

Laissons de côté de la France, dont la situation a été abondamment discutée ci-dessous, et penchons-nous sur les Etats-Unis. Ainsi donc, ce pays serait en train de se déglinguer. Est-ce que cette affirmation est fondée sur une projection démographique, une analyse économique, un rapport de force militaire, un bilan culturel, une enquête sociétale ? Est-ce que des faits viennent à l'appui de ce jugement pour le moins définitif ? Plutôt des références : l'Irak, un conflit armé présenté régulièrement comme un « désastre » et un « bourbier », qui pourtant occasionne une percée démocratique sans précédent, ainsi qu'une catastrophe naturelle dont la médiatisation apocalyptique fait oublier qu'elle a entraîné la mort d'environ un millier de personnes. De petites touches sémantiques qui suffisent pour bien faire comprendre ce que l'on entend.

Bien entendu, lorsque l'on approfondit la question, on voit mal en quoi l'opération militaire américaine en Irak amènerait le pays à se déglinguer : une armée de volontaires qui subit des pertes minimes (moins de 2% des soldats déployés morts ou blessés), qui ne grève pas le budget de la nation (environ 4% du PIB investis dans la défense) et qui se comporte globalement de manière honorable (les cas genre Abu Ghraib sont isolés) ne peut en aucun cas provoquer une fracture sociétale. Les facteurs-clefs influençant la conduite des conflits de basse intensité dans les démocraties ont été remarquablement analysés par Gil Merom, dans son livre How Democracies Lose Small Wars ; et ces facteurs (dépendance instrumentale, différence normative et importance politique) semblent au contraire pris en compte par les Etats-Unis.

Il est donc assez aisé de démontrer que Claude Monnier ne se situe pas dans une démarche analytique. L'Irak n'est pas pour lui un sujet de réflexion ou d'étude, mais bien un nom de code, une image figée, un acte de foi détaché de l'évolution de la situation. Nul besoin de s'intéresser à ce qui s'y passe, à ces votes populaires qui ont un retentissement extraordinaire, à ce développement économique et médiatique exceptionnel dans la région : la chose est entendue, l'Irak est à peu de choses près un nouveau Vietnam, et les faits doivent impérativement entrer dans le sens historique que l'on a projeté - quitte à les mettre de côté s'ils s'obstinent à ne pas le faire. En d'autres termes, les quelques lignes de l'éditorialiste vedette de 24 Heures expriment une croyance à destination des fidèles.

Le fond du problème est toutefois plus grave, à terme, que cet engagement à l'opposé du pragmatisme : cette simple allusion censée tout dire représente une superficialité tellement consensuelle qu'elle trahit l'auto-intoxication des médias. Irak = désastre, Katrina = chaos, et tous deux prouvent que les Etats-Unis sont impuissants et se déglinguent : on recycle la perception biaisée et réduite de deux événements au lieu de rechercher les faits permettant de fournir une compréhension. Quelque part, la vision de Claude Monnier au sujet de l'Irak est à une analyse stratégique ce que la bande dessinée adolescente est à la littérature : un produit clinquant et schématique, dont l'absence de nuance et de profondeur est dissimulée par une sémiotique convenue et un sens mimétique. Autant dire un monde toujours plus fantaisiste...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h15 | Comments (6)

11 novembre 2005

Une accalmie consensuelle

Les médias annoncent aujourd'hui que le retour au calme se confirme dans les banlieues françaises, avec 395 véhicules incendiés et 168 personnes interpellées dans la nuit [mais ce bilan était provisoire, voir ci-dessous], contre respectivement 482 et 203 la veille. Les mesures prises par le gouvernement, notamment l'instauration de couvre-feux et le déploiement de forces supplémentaires, semblent donc avoir porté leurs fruits. Il faut également ajouter à cela d'autres facteurs, comme l'effet d'annonce des aides promises aux zones urbaines sensibles, la lassitude que produisent nécessairement des violences opportunistes, voire même les températures qui deviennent peu à peu dissuasives. De sorte que l'on commence à se réjouir, ça et là , d'une crise qui semble s'achever, et que le débat revient aux polémiques habituelles.

Mais cette accalmie est bien entendu une perception trompeuse. Certes, trois fois moins de véhicules ont été incendiés que durant la nuit la plus destructrice, mais ils restent quatre fois plus nombreux qu'avant le déclenchement de la crise. En prenant le chiffre de 29'000 véhicules brûlés à fin octobre, on parvient en effet à une moyenne de 100 par jour ; et que cela soit considéré comme normal en dit long sur la réticence des autorités comme des médias à faire face à la réalité, pour des raisons certainement opposées mais non sans tractations mutuelles. Autrement dit, ce retour au calme dont les médias font leurs titres ne correspond, à mon avis, qu'à une désescalade superficielle d'un conflit qui se poursuit. Une réduction des effets aussi bienvenue qu'accessoire.

L'intifada française habitait les zones de non droit bien avant que la mort par électrocution de 2 jeunes gens ne précipite le pays dans la crise ouverte. Et la volonté affichée par le Ministre de l'intérieur de reconquérir les territoires perdus de la République laisse penser que d'autres affrontements ne tarderont pas à éclater, que la lutte pour le contrôle des quartiers et des esprits, que le choc des identités antagonistes pour tout dire, occasionneront d'autres violences à nouveau visibles. Les caïds qui veillent à la poursuite de leurs activités illégales, les imams qui affichent leur influence en proclamant une « fatwa » presque acclamée, les « grands frères » qui agissent par l'entremise du réseau associatif verront d'un mauvais œil l'incursion durable et décidée de la police ou de la gendarmerie.

Il existe naturellement une autre option, certainement séduisante à court terme : celle consistant à segmenter plus avant la société française, à conclure qu'il vaut mieux circonscrire les zones comme infectées par cette révolte anti-française (et anti-occidentale) qu'essayer d'en extirper les agents pathogènes. Dans ce cas, le cordon sanitaire à la fois physique et sémantique qui existe déjà autour des quartiers en crise, et qui permet au reste de la société d'ignorer la situation des gens qui y vivent, sera encore renforcé. On parle aujourd'hui d'accalmie, on parlera demain de retour à la normale, de réformes en cours, et après-demain on n'en parlera plus. Jusqu'à la prochaine éruption de violences, qui rappellera que l'hypersécurité est et reste une illusion.

COMPLEMENT I (11.11 1035) : Je conseille de lire la longue et percutante analyse de Stéphane sur le Meilleur des Mondes quant l'avenir de la société française. Titré "l'impossible retour au calme", son texte tire un bilan de 2 semaines de violences, aborde les angles médiatiques et politiques, puis conclut de façon limpide - et alarmante. Extrait :

L'avenir ne réserve rien de bon. Pendant des mois, on peut s'attendre à ce qu'une guérilla de basse intensité se poursuive. Il sera d'autant plus ardu de la contrecarrer que l'état d'urgence ne saurait être maintenu longtemps, ni les forces de police massives mobilisées en permanence. Les casseurs auront toujours un coup d'avance.
A plus long terme, la capacité de survie de l'Etat français sur son propre territoire est menacée. L'effondrement de l'autorité continuera à être progressif, celle-ci se faisant grignoter petit à petit. Sous le couvert de la prévention, le maintient de l'ordre public va être progressivement délégué à des groupes locaux, associations ou "grands frères" plus ou moins liés aux milieux mafieux et islamistes, qui sauront faire respecter l'ordre en échange de cette passation de pouvoirs. La capitulation de l'unicité de la justice se sera faite dans les formes et au grand jour: dans les villes et les campagnes normales, police et gendarmerie assureront la sécurité; dans les banlieues, cette sécurité sera déléguée à des groupes aux contours mal définis et qui se livreront à leur interprétation locale de la loi. On peut s'attendre, après la première étape du maintien de l'ordre, à une infiltration progressive de ce communautarisme dans le reste des services de police et de justice. Les groupes mafieux pourront se réjouir de cette délégation qui leur permettra de trouver des interlocuteurs locaux, donc plus compréhensifs. Quant aux islamistes, ils pourront se frotter les mains: la première étape de leur plan sera en place - une police, une justice et des lois différentes selon l'appartenance culturelle, ethnique ou religieuse de chacun.
Ensuite, ils chercheront à étendre ces enclaves.
Si un gouvernement cherche jamais à faire marche arrière, la riposte sera terrible - ces émeutes ne sont qu'un avant-goût de l'intensité de la guérilla qui se déclenchera alors parce qu'il y aura un enjeu.

La mise en gras et en italique est celle du texte original. Le terme d'enclave me paraît ici particulièrement approprié, aussi sur un plan juridique, avec cette inclination vers une extraterritorialité de facto sur fond de rupture identitaire. Voilà une réflexion à creuser, en parallèle avec l'évanescence des frontières nationales et l'enchevêtrement planétaire des populations. Et si l'avenir nous réservait une sociétée éclatée entre de multiples enclaves, chacune recroquevillée sur son pouvoir, ses rites, ses croyances, ses intérêts, ses ambitions ?

COMPLEMENT II (11.11 1440) : Les chiffres définitifs de la nuit montrent bien le caractère largement virtuel de cette accalmie, puisque ce sont au total 463 véhicules qui ont été incendiés et 211 personnes interpellées, avec notamment une augmentation en région parisienne. Ces chiffres ne sont de toute manière qu'un indicateur très partiel, et partial, du phénomène. Des renforts ont d'ailleurs été dépêchés à Paris pour le week-end, y compris en faisant appel aux écoles de police (un indice intéressant). Le nombre de 2234 arrestations en 15 nuits montre bien l'ampleur du conflit.

COMPLEMENT III (12.11 1025) : La 16e nuit de violences urbaines a souligné le caractère trompeur de cette "accalmie" tant souhaitée par le Gouvernement français, puisque ce sont 502 véhicules qui ont été incendiés et 206 personnes interpellées. Plus inquiétant encore, le directeur général de la police nationale a déclaré que la situation était désormais quasi-normale en Ile-de-France, alors que 86 véhicules y ont tout de même été brûlés. Voilà qui en dit long sur la volonté des autorités de minimiser une situation conflictuelle qui existe depuis des années.

COMPLEMENT IV (13.11 1500) : La perception donnée aujourd'hui par les médias est à nouveau celle d'un retour progressif au calme dans les banlieues, ce qui n'est jamais qu'une extrapolation des chiffres de la nuit (374 véhicules brûlés, 212 interpellations) greffée sur une volonté de sortir de la crise. A partir de quand dira-t-on que tout est normal ? Lorsque 100 voitures seront incendiées chaque nuit, comme depuis le début de l'année ? Ignorer un conflit dans ses étapes initiales lui laisse assurément une opportunité supplémentaire de se développer.

COMPLEMENT V (14.11 1055) : La diminution du nombre de voitures incendiées (284) et de personnes interpellées (115), pour la 18e nuit de violences urbaines en France, est décrite par certains médias comme un "calme précaire" - ce qui est assez scandaleux pour les forces de l'ordre, comme le montre ce dessin. En fait, la volonté du Gouvernement français de proroger l'état d'urgence et de s'en prendre à l'économie dite souterraine laisse penser que le conflit ne pourra pas être entièrement ignoré.

COMPLEMENT VI (14.11 1825) : Ce billet de Gateway Pundit compile différentes informations à propos d'incendies de voitures commis dans d'autres pays européens et spécule sur une extension du phénomène. Le nombre de véhicules incendiés en France fait désormais l'objet d'un décompte ironisant sur ceux tenus à propos des pertes civiles ou militaires en Irak. Une revanche un brin discutable...

COMPLEMENT VII (15.11 1100) : Le mécanisme sémantique décrit dans le billet ci-dessus se confirme. Avec la nouvelle baisse du nombre de voitures brûlées et de personnes interpellées (215 et 71 respectivement), c'est bien d'un retour au calme que l'on parle, prélude à la disparition pure et simple du sujet dans les médias. Après quoi les troubles continueront probablement en souterrain, n'apparaissant ça et là que sous la forme de faits divers dénués de sens...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h05 | Comments (31)

10 novembre 2005

La rouerie des médiocres

Mes réflexions sur les violences urbaines en France et la guerre civile qu'elles laissent entrevoir ont amené certains individus aux opinions politiques extrêmes à s'intéresser à ce carnet ; plusieurs dizaines de visites ont été répertoriées suite à des liens provenant de sites d'extrême-gauche et d'extrême-droite (comme je suis personnellement opposé à tout extrémisme, je ne fournirai ici aucun lien). De toute évidence, certains visiteurs n'ont pas du tout apprécié le contenu des billets ci-dessous, soit parce qu'ils reflèteraient une frilosité incompréhensible, soit parce qu'ils témoigneraient d'un militarisme inacceptable.

Plusieurs courriers allant dans ces deux directions me sont parvenus. Mais certains personnages moins amènes, et moins capables d'opposer une argumentation à mes réflexions - annoncées comme parfaitement faillibles - ne trouvent rien de mieux que tenir ici des propos injurieux, parfois en essayant de les faire passer pour mes propres commentaires. Il va de soi que ces méthodes médiocres ne mènent à rien, puisque les bafouilles en question sont effacées aussi vite que possible et que les adresses IP sont consciencieusement notées pour identification, voire interdites d'accès aux commentaires. Mais je tenais tout de même à informer les lecteurs et contributeurs de ce site, afin qu'ils ne s'étonnent pas outre mesure... :)

Posted by Ludovic Monnerat at 9h33 | Comments (4)

9 novembre 2005

Le fonctionnement des médias

Cette semaine m'aura permis de mieux comprendre comment fonctionnent les médias dans leur gestion des perceptions, comment ils fixent des priorités sur des thèmes donnés, offrent leur espace à des contenus spécifiques, pour ensuite reporter leur attention sur autre chose. De plus, la fréquentation de ce site m'a également amené à tirer plusieurs enseignements sur la manière avec laquelle certains événements nous interpellent, nous concernent et nous touchent. Comme toujours, l'espace sémantique est bien trop complexe et changeant pour être ramené à des formules simples, mais j'ai tout de même l'impression d'avoir compris certaines choses.

Les violences urbaines en France ont mis un certain temps avant de se démarquer du reste de l'actualité, malgré la force et l'aspect symbolique des premières images ; ce n'est que le week-end dernier qu'elles ont suscité un intérêt majeur, tout à fait comparable à celui d'une catastrophe naturelle de très grande ampleur. Il est d'ailleurs probable que le gouvernement français lui-même a également mis plusieurs jours avant de réaliser la dimension du problème. Ce qui est aisé à comprendre : le suivi quotidien d'affaires importantes engendre une focalisation et une inertie qui retardent la prise de conscience, l'intégration de la nouveauté, fût-elle fracassante.

Les médias sont davantage à l'affût de celle-ci ; encore leur faut-il trouver une perception compatible avec leurs intérêts. L'article que j'ai écrit dimanche dernier et que Le Temps a publié mardi sans en changer la moindre virgule répondait à ces intérêts en fournissant une perspective à la fois originale et alarmante, enrobée d'expressions fortes : intifada française, guerre civile en Europe, ou encore mentalité d'enfants-soldats. Que La Première puis DRS 1 aient décidé de reprendre la chose en me proposant une interview (en passant, j'ai renoncé par manque de temps à participer à une émission sur Couleur 3 hier soir) confirme cette convenance. Le message est percutant, le messager est crédible (ou du moins en a l'air !), le public est réceptif : la machine se met à tourner.

Bien entendu, le fait d'être sollicité par les médias ne signifie absolument pas que l'on a raison, et je pense même que mon propos - annonçant une guerre civile future d'après l'analyse des violences présentes - n'était pas du tout partagé par mes interlocuteurs : Urs Gfeller sur la RSR l'a d'emblée rapproché des discours tenus par de Villiers ou Le Pen (j'ai dû citer un syndicat de police pour replacer ce propos dans une perspective apolitique), alors que Hans Ineichen sur la DRS a avant tout vu dans mon discours une question provocatrice. Mais une telle perception mettait le doigt sur quelque chose de prenant, de brûlant (si j'ose dire), et donc a été diffusée. Rien d'entièrement logique dans ce processus : au contraire, l'intuition doit y jouer un grand rôle. Le Fingerspitzengefühl, quoi !

La fréquentation de ce site montre d'ailleurs que les médias étaient en phase avec l'intérêt du public : lundi, le nombre de visites a brutalement augmenté de 50% pour atteindre le (modeste) record de 2487, et la majorité des nouveaux visiteurs sont venus ici par le biais des moteurs de recherches, avec des entrées mentionnant avant tout les mots « blogs », « émeutes » et « banlieues ». Mais cet intérêt a peut-être atteint son sommet, après une montée progressive sur 10 jours, et va probablement retomber - à l'instar des violences. Un peu comme si toute cette crise s'était avant tout jouée dans l'esprit des populations, comme si l'ennui limitait forcément sa durée. Comme si les lanceurs de cocktails molotov et leur public décidaient simultanément de zapper!

Nous sommes tous des consommateurs effrénés d'information. Et savoir répondre à nos besoins comme à nos envies est un défi qui se pose aussi bien pour le journaliste, l'expert, l'enseignant, le prédicateur ou encore le politique que pour l'agitateur, le casseur ou le terroriste.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h50 | Comments (2)

8 novembre 2005

Alerte média : la RSR

L'article paru aujourd'hui dans Le Temps a attiré l'attention d'autres médias, comme le Courrier International (merci à Guillaume pour l'avoir signalé), et la Radio Suisse Romande m'a invité demain à participer à l'émission Radio Public. J'ai donc demandé et obtenu un bref congé de l'exercice EM auquel je participe, afin de répondre aux questions des auditeurs de La Première sur les violences urbaines en France et la perspective de guerre civile en Europe.

COMPLEMENT I (9.11 1115) : L'émission s'est apparemment bien déroulée, le journaliste Urs Gfeller s'est déclaré très satisfait lors d'une brève conversation téléphonique à l'issue de celle-ci, et les premiers feedbacks ont été très bons. Elle peut être écoutée ici si vous souhaitez en juger. Ces émissions en direct sont toujours des expériences intenses et intéressantes, même s'il est difficile de placer tous les messages recherchés.

COMPLEMENT II (9.11 1315) : Comme toujours, l'intérêt des médias fonctionne comme un enchaînement. Un article dans Le Temps a intéressé RSR La Première, puis une émission de celle-ci intéresse son homologue alémanique SF DRS. Je vais ainsi donner une interview téléphonique enregistrée en fin d'après-midi, pendant quelques minutes durant lesquelles je laisserai de côté mes tâches dans l'exercice EM. En allemand, naturellement. Voilà autre chose ! :)

COMPLEMENT III (9.11 1730) : Il a vraiment fallu jongler pour réaliser cette interview, puisque je l'ai casée entre deux rapports du chef de l'état-major de conduite de l'armée ! L'enregistrement s'est apparemment bien passé, et le tout sera diffusé pendant quelques minutes durant le journal de 1800 de DRS 1. Il ne manquerait plus que l'anglais pour faire le tour de mes modestes connaissances linguistiques...

COMPLEMENT IV (9.11 2100) : La DRS 1 a mis en ligne l'interview en question, à cette adresse, dans le cadre de l'émission Echo der Zeit. Je l'ai écoutée lors de sa diffusion, et je ne suis pas trop satisfait du résultat : je ne maîtrise pas encore suffisamment l'allemand pour pouvoir obtenir un résultat comparable au français (ou à l'anglais, que l'on a l'occasion d'entraîner dans les activités internationales). Mais c'était une première que franchir la barrière des röstis sur les ondes !

Posted by Ludovic Monnerat at 21h28 | Comments (30)

Alerte média : Le Temps

Dimanche dernier, j'ai pris la peine d'écrire un article résumant la perspective conflictuelle que l'on peut tirer des événements qui se produisent actuellement en France, mais aussi dans d'autres pays européens. Ce texte, qui reprend en grande partie les idées développées dans ce billet, a été publié aujourd'hui dans Le Temps (accès réservé aux abonnés). J'imagine que lire mes réflexions sur la guerre civile en Europe ne sera pas exactement agréable, mais j'espère que cela sera surtout salutaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 5h49 | Comments (6)

6 novembre 2005

Les hymnes à la haine

Lorsque la culture hip hop a commencé à prendre une déclinaison francophone, à la fin des années 80 et au début des années 90, son potentiel sémantique était saisissant. A l'époque, j'avais acheté les 2 premiers albums de MC Solaar, je riais des parodies réalisées par les Inconnus, et je commençais à suivre certains groupes phares - surtout NTM et IAM. Au fil des ans, ces 2 groupes ont obtenu un succès impressionnant (plus d'un million d'albums vendus pour IAM) et étendu un créneau qui a fait de la France la deuxième nation, après les Etats-Unis, de la culture hip hop - avec sa composante funky (Alliance Ethnik faisait un carton voici 10 ans) mais aussi sa composante gangsta rap. Et cette dernière se rappelle aujourd'hui à notre bon souvenir.

Le Supreme NTM a en effet construit en partie son succès sur une imagerie et des textes violents, des appels à la révolte qui ont trouvé un écho profond dans les mêmes banlieues qui aujourd'hui pratiquent la guérilla urbaine. La contestation de l'autorité établie est particulièrement évidente dans le morceau "Police", paru en 1993 sur l'album "J'appuie sur la gâchette" et qui d'ailleurs sera interdit de radiodiffusion. Extrait :

Confiance en qui? La police, la justice, tous des fils,
Corrompus, dans l'abus ils puent;
Je préfère faire confiance aux homeboys de ma rue, vu!
Pas de temps à perdre en paroles inutiles;
Voilà le deal:
Éduquons les forces de l'ordre pour un peu moins de désordre.
Police machine matrice d'écervelés mandatés par la justice sur laquelle je pisse.
Police machine matrice d'écervelés mandatés par la justice sur laquelle je pisse.

L'album suivant de NTM, intitulé "Paris sous les bombes", diffuse 2 ans plus tard des messages qui vont dans un sens similaire. Il est en particulier intéressant de citer "Qu'est-ce qu'on attend ?" pour montrer que les violences urbaines, et la rupture qu'elle trahissent, a été clairement influencée par cette contre-culture puissante et nihiliste :

Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?
Les années passent, pourtant tout est toujours à sa place
Plus de bitume donc encore moins d'espace
Vital et nécessaire à l'équilibre de l'homme
Non personne n'est séquestré, mais c'est tout comme
C'est comme de nous dire que la France avance alors qu'elle pense
Par la répression stopper net la délinquance
S'il vous plaît, un peu de bon sens
Les coups ne régleront pas l'état d'urgence
A coup sûr...
Ce qui m'amène à me demander
Combien de temps tout ceci va encore durer
Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter
Dommage que l'unité n'ait été de notre côté
Mais vous savez que ça va finir mal, tout ça
La guerre des mondes vous l'avez voulue, la voilà
Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?
Mais qu'est-ce qu'on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?

Pourtant, NTM n'est pas le groupe le plus violent du paysage rap français. Après seulement 2 albums, le groupe Sniper s'est distingué par une rhétorique encore plus radicale, qui là aussi explique en partie son succès commercial. Le morceau "Nique le système", en 2002, est ainsi un réquisitoire et un rejet complets de la société française, qui contient un refrain purement guerrier :

Niquer l'systeme, ils auront le feu car ils ont semé la haine,
Qu'on les brule, qu'on les pende ou qu'on les jette dans la Seine,
La jeunesse du ghetto a la rage qui coule dans les veines, il faut briser les chaînes

L'intention insurrectionnelle est encore plus claire dans le titre générique "La France", paru en 2001 sur l'album "Du rire aux larmes". De façon répétitive et parfois presque hypnotisante, ce texte renferme à lui seul toutes les pulsions et toutes les justifications qui aujourd'hui apparaissent dans les propos des émeutiers interrogés à la sauvette par les médias. Extrait :

Faut que ça pète ! Tu sais que le système nous marche dessus
Nous on baisse pas la tête on n'est pas près de s'avouer vaincus
Des frères béton tous victimes de trahison,
T'façon si y aurait pas de balance y aurait personne en prison
La délinquance augmente même les plus jeunes s'y mettent
Pètent des bus parlent de braquage et à l'école ils raquettent
Des rondes de flics toujours là pour nous pourrir la vie
Attendent de te serrer tout seul et te font voir du pays
Emeute qui explose ça commence par interpellation
Suivie de coups de bâtons et ça se finit par incarcération
T'façon on se démerde, mec ici on survit,
Fume des substances nocives pour apaiser les ennuis
La galère n'arrange rien au contraire elle empire les choses
Si certains prennent des doses c'est pour penser à autre chose
Les frères sont armés jusqu'aux dents, tous prêts à faire la guerre
Ça va du gun jusu' au fusil à pompe, pit bull et rotweiller
A quoi ça mène, embrouille de cité, on se tape dessus
Mais tu te mets à chialer lorsque ton pote se fait tirer dessus
Encore un bico ou un négro, les babylons sont fiers,
Ça les arrangent ce coup là y aura pas besoin de bavure policière
Frère je lance un appel, on est là pour tous niquer
Leur laisser des traces et des séquelles avant de crever.

Ces textes révèlent certainement en grande partie l'environnement sémantique dans lequel s'inscrivent les violences urbaines françaises, et que d'autres facteurs ont contribué à transformer en guérilla ouverte. Ils montrent également que les affirmations selon lesquelles les propros très durs de Nicolas Sarkozy auraient à eux seuls mis le feu aux banlieues ignorent totalement les pyromanes qui s'y activent depuis plus de 15 ans. Le domaine du sens possède une inertie considérable, et il faut souvent des années pour faire évoluer certaines perceptions. La culture hip hop française a joué un rôle central dans la préparation du conflit qui aujourd'hui ne peut plus être ignoré.

En même temps, il ne faut pas sombrer dans le même excès et accuser les groupes de rap d'avoir exclusivement appelé à l'insurrection armée. Aux côtés des hymnes à la haine, leurs textes comptent aussi des cris évidents de souffrance, les marques de blessures jamais cicatrisées. L'une d'entre elles est notamment l'absence ou la distance du père, et donc ce vide dans l'autorité, qui est le thème choisi par NTM avec "Laisse pas traîner ton fils" en 1998 et par Sniper en 2003 avec "Sans [re]pères". Ou quand le cumul des drames familiaux vient se greffer sur les drames sociétaux pour fabriquer une jeunesse ennemie, dopée par la contre-culture rebelle et prisonnière de l'économie illégale.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h24 | Comments (20)

29 octobre 2005

Le sourire du divisionnaire

La Figaro a publié hier un article alarmant sur une menace d'attentats terroristes islamistes utilisant des missiles sol-air russes pour abattre des avions de ligne. D'après ce texte, qui retrace les enquêtes du juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, il s'agirait de 2 SA-18 Igla acquis en Tchétchénie et dont la trace s'est perdue quelque part en Europe. Même si une autre source judiciaire mettrait un bémol à cette menace, si l'on en croit Libération, de tels projets ont apparemment été suffisants pour amener la Grande-Bretagne début 2003 à sécuriser ponctuellement l'aéroport de Heathrow avec des moyens militaires lourds.

L'intérêt des terroristes pour la destruction en vol d'avions de ligne n'est pas nouveau, tant ces cibles frappent les opinions publiques. Le 26 janvier 1976, trois membres du Front Populaire pour la Libération de la Palestine avaient ainsi été arrêtés à l'aéroport Embakasi de Nairobi alors qu'ils se préparaient à tirer un missile SA-7 sur un appareil de la compagnie israélienne El Al. Bien plus près de nous, 2 missiles de type SA-7 avaient été tirés le 28 novembre 2002 sur un avion charter israélien au Kenya, sans parvenir à le toucher. Et plusieurs affaires de contrebande de missiles sol-air russes ont également éclaté ces dernières années.

Un homme doit accueillir ces récentes informations avec un certain sourire : le divisionnaire Peter Regli, ancien chef du groupe des renseignements à l'état-major général suisse. Ce général 2 étoiles, entre autres accusations depuis balayées par les enquêtes parlementaires et administratives, s'était en effet vu reprocher d'avoir accepté en 1992 la proposition d'acquérir en Europe de l'Est 2 missiles SA-18 afin d'étudier en détail leurs capacités et de trouver les moyens de s'en prémunir. Loin d'être une lubie personnelle ou un investissement en pure perte, cette action - au demeurant légale - prend aujourd'hui tout son sens.

La plupart des appareils militaires, à voilure fixe ou tournante, sont aujourd'hui équipés de contre-mesures qui les mettent partiellement à l'abri d'attaques terroristes au missile sol-air. L'étude des engins issus de l'ex-Union soviétique a d'ailleurs contribué à cette protection, et l'armée suisse a tiré profit de l'achat des 2 SA-18. Mais faire de même avec les avions de ligne civils n'est pas concevable, ne serait-ce que pour des raisons économiques. On imagine d'ailleurs mal les riverains des aéroports accepter des avions dotés de systèmes automatiques, susceptibles de projeter des leurres infrarouges bien peu écologiques à la moindre fausse alerte.

Il n'en demeure pas moins intéressant de constater qu'avoir raison longtemps avant tout le monde, dans le domaine de la sécurité, revient à prendre des risques considérables.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h19 | Comments (3)

27 octobre 2005

Nouveaux blogs de choix

Les lecteurs de ce carnet vont certainement apprécier deux nouveaux blogs que je vous conseille chaudement de découvrir sans plus attendre : Ordre66, de Sotek, qui se concentre sur le décryptage, l'analyse et l'information à dimension géopolitique et stratégique, et les Commentaires de Pan, dont l'auteur est actuellement au service militaire. Une manière de constater avec plaisir que la blogosphère ne cesse de s'étoffer, et que la valeur n'attend vraiment pas le nombre des années !

Et pour ceux qui se demandent pourquoi ma propre blogroll est désespérement statique depuis des mois, c'est seulement le manque de temps - ainsi que des ajouts en préparation, tout de même - qui l'expliquent... :)

Posted by Ludovic Monnerat at 19h25 | Comments (13)

26 octobre 2005

L'impact des weblogs

Chaque développement technologique majeur est toujours accompagné de réactions excessives et contraires - les uns voyant dans toute nouveauté une révolution qui va changer la face du monde, les autres contestant la nouveauté même et l'inscrivant dans une évolution à peine perceptible. Cette tendance à l'hyperventilation compulsive et au conservatisme dédaigneux - si j'ose dire - est due à la difficulté d'appréhender les progrès non linéaires, les innovations dont les effets dépassent toute proportionnalité. Croire à un changement exponentiel ou le ramener à des dimensions connues ne font qu'illustrer le manque de repères. Et le phénomène des blogs est précisément un sujet qui nous plonge de l'inconnu quant à son impact réel.

Les chiffres peuvent nous aider à appréhender cet impact. Si l'on en croit le site Technorati, la planète compte aujourd'hui plus de 20 millions de blogs ; c'est dire la rapidité avec laquelle ce nouveau média s'est répandu dans les populations connectées. Si l'énorme majorité de ces carnets n'est lue que dans des cercles très restreints, les plus populaires d'entre eux drainent une audience considérable : Daily Kos, le plus prisé des blogs politiques américains, a reçu 20'480'000 visites en septembre dernier, loin devant le célèbre Instapundit et ses 4,5 millions de visites. Ce volume prend davantage de sens en le comparant au nombre de visites du New York Times durant la même période : 21,3 millions.

Naturellement, la fréquentation à elle seule ne résume pas l'impact d'un blog. Le nombre de liens pointant vers le blog est un autre indicateur digne d'intérêt. A ce jour, 10'078 sites ont un lien vers Daily Kos (20 dans les 2 dernières heures) et 6778 vers Instapundit, d'après le décompte de Technorati. A partir de là , il est plus facile d'imaginer comment fonctionnent les blogs, comment circulent les informations sur ces sites individuels : une sorte de gigantesque bouche à oreilles planétaire, avec des voix qui portent plus que d'autres - mais avec de la place pour chacun. Une image, une révélation, une idée peuvent surgir de n'importe où et faire rapidement le tour de la blogosphère.

Par conséquent, je pense que les blogs ont déjà un impact considérable, et que ce dernier va nécessairement croître au fur et à mesure que les possibilités offertes par ce média seront mieux exploitées. Lorsqu'un blogger spécialisé comme Bill Roggio est invité par le Corps des Marines pour un séjour dans l'ouest irakien, c'est que son blog possède un impact reconnu. En revanche, les blogs ne feront pas disparaître les autres vecteurs sémantiques, mais contribuent plutôt à rééquilibrer les forces en favorisant le contenu sur le contenant, et l'individu sur l'organisation. Chaque nouvel espace est aussitôt une opportunité pour qui en maîtrise le mieux les règles.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h38 | Comments (7)

25 octobre 2005

L'interprétation du vote

Les Irakiens ont donc bel et bien accepté la constitution soumise au référendum voici 10 jours, mais de justesse ; malgré le soutien de 79% des votants sur le plan national, il aurait suffi de 11% de refus supplémentaire dans la province pour que la minorité sunnite oppose son veto au texte. Il va être intéressant de constater comment ce résultat va être interprété par les médias occidentaux. La plupart d'entre eux sont en effet impliqués dans l'une des luttes qui se sont cristallisées sur le conflit irakien, en l'occurrence celle opposant l'interventionnisme au pacifisme. Et l'on devrait a priori découvrir au moins quatre perceptions différentes.

La première perception consiste à présenter ce scrutin comme factice, comme une parodie de démocratie, comme un manège référendaire pratiqué sous occupation et donc invalide. C'est la perception que plusieurs médias et commentateurs ont choisie au lendemain des élections de janvier dernier. En raison du petit nombre d'attaques commises le 15 octobre dernier, et du rôle plus important joué par les forces de sécurité irakiennes, cette interprétation va être plus difficile à recycler. Mais les faits ne sont que rarement un obstacle aux convictions les plus ancrées, et il faut s'attendre à lire ou à entendre cela.

La deuxième perception consiste à voir dans ce scrutin la preuve d'une inéluctable guerre civile, prélude à un éclatement du pays entre les sunnites d'une part, les chiites et les kurdes d'autre part. En révélant l'opposition totale de ces communautés quant à leur conception de l'Etat irakien, ce vote serait ainsi le catalyseur de violences intercommunautaires qui existent déjà . Bien entendu, ce serait oublier que la minorité sunnite est représentée au gouvernement comme au parlement dans une proportion correcte, et qu'une mobilisation totale de sa part aurait permis de bloquer le texte. Mais la guerre civile à la une reste une perspective tentante.

La troisième perception consiste à analyser ce scrutin comme la première expression nationale de la population irakienne, et donc la prise de conscience des rapports de force qui existent en son sein par le biais du facteur démographique. Ce vote aurait ainsi le mérite de valider un processus politique complexe et disputé, mais aussi de souligner les fractures profondes dans l'électorat - et les risques de violences qu'elles impliquent. Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution, il fournit cependant une base pour les prochaines élections et pour l'avènement d'un Etat fédéral susceptible de trouver une répartition consensuelle des pouvoirs.

La quatrième perception consiste à faire de ce scrutin la preuve irréfutable que la démocratie fonctionne désormais en Irak et que l'expression de la volonté populaire, à elle seule, constitue une fin en soi. Dans cette perspective, ce vote serait un pas de plus vers la démocratisation inéluctable du Moyen-Orient, sous la houlette bienveillante des forces armées américaines, étant entendu que les perdants de chaque scrutin vont tous naturellement apprendre à accepter le verdict populaire - et les gagnants la prise en compte de toutes les opinions. Une perception que l'on voit fleurir ça et là sous la plume des partisans de l'intervention militaire.

Sans doute existe-t-il d'autres interprétations possibles, mais celles-ci me semblent déjà suffisamment différentes. A mon sens, la troisième perception est celle qui s'approche le plus de la réalité, car elle intègre les faits révélés et ne désigne pas une seule issue. J'ai bien peur qu'un tel pragmatisme soit rare!

COMPLEMENT (26.10 1450) : Finalement, une bonne partie des médias a choisi une tactique différente, consistant à minimiser l'importance de l'événement et à ne lui accorder qu'une place réduite. L'acceptation d'une Constitution par 78% des votants, avec une participation de 63% et un nombre très réduit de violences, avait pourtant été jugée impossible par de nombreux commentateurs.

On notera tout de même quelques éditoriaux intéressants. La perception n°2 est propagée par exemple par 24 Heures (dont l'auteur, Philippe Dumartheray remballe brièvement ses prédictions apocalyptiques avec un discret "dont acte") et par La Liberté. On trouve également des médias qui reflètent la perception n°3, comme Libération, Le Figaro ou la Tribune de Genève.

Mon tour d'horizon est bien sûr tout sauf complet. Cependant, je ne suis pas le seul à juger cette discrétion des médias comme une forme d'aveu.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h03 | Comments (9)

24 octobre 2005

Le vecteur humanitaire

Ce dimanche, le numéro 2 d'Al-Qaïda a diffusé un message plutôt original. Pour une fois, il ne s'agissait pas de combattre impitoyablement les infidèles, de passer au fil de l'épée tous ceux qui résistent au djihad ou de vouer aux gémonies les apostats qui ne s'y rallient pas. Non, l'appel du docteur Al-Zawahiri était lié au tremblement de terre survenu au Cachemire et à la nécessité pour les musulmans de fournir une aide aux victimes :

Al Qaeda's second in command, Ayman al-Zawahri, urged Muslims in a video broadcast on Sunday to help Pakistan's earthquake victims even though its government was an "agent" of the United States. "I call on all Muslims and Islamic charity organizations in particular to go to Pakistan and give a helping hand to the victims there," a bespectacled Zawahri said in the tape aired on Al Jazeera.

Les organisations d'entraide islamiques et les groupes fondamentalistes n'ont certes pas attendu cette bande vidéo pour lancer de telles activités au Pakistan. Mais celle-ci, apparemment enregistrée au lendemain du séisme, indique que les islamistes ont retenu la leçon du tsunami et compris l'importance de montrer une facette positive de leur action, de prouver aux yeux du monde qu'ils sont capables de faire autre chose que détruire et tuer. Toutes proportions gardées, c'est d'ailleurs l'opportunité que les forces armées américaines avaient saisi lors des opérations d'aide humanitaire en Asie du Sud, et qu'elles ont à nouveau exploité au Pakistan en déployant un nombre important d'hélicoptères de transport. Les images de victimes murmurant « God bless America » lors de leur évacuation par des équipages US ont naturellement eu un impact sur la population pakistanaise.

De ce fait, il est désormais incontestable que l'aide humanitaire constitue pour tous les belligérants une arme dans la conquête des esprits. Les forces régulières et irrégulières, après des années de tâtonnements, ont embrassé la dimension réelle des conflits et accepté le fait que la décision provient d'effets aussi bien offensifs que défensifs, matériels qu'immatériels, létaux que légaux. Les récriminations des ONG contre la confusion supposée entre humanitaire et militaire sont sans objet : lorsque même des groupes armés islamistes se lancent dans l'aide humanitaire si cela correspond à leurs intérêts, c'est que ce type d'action est réservé à tous - et que tous ceux qui le pratiquent peuvent être suspectés d'arrières-pensées prosélytes. En étant pris pour cibles lorsque leurs idées et leur culture sont combattues.

Affirmer que la guerre moderne a pris une dimension sociétale n'est pas une vaine expression.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h58 | Comments (9)

22 octobre 2005

Une suspension mystérieuse

La suspension du général Henri Poncet et de deux autres cadres de l'Armée de Terre française, voici 5 jours, continue d'alimenter de nombreuses discussions. Cette décision, prise et annoncée très rapidement, a en effet une dimension politique et symbolique trop importante pour être passée sous silence. Elle s'inscrit dans le cadre d'une opération extérieure controversée, la mission Licorne en Côte d'Ivoire, mais aussi dans le cadre des tensions corporatistes que connaissent les armées françaises. Et ces deux orientations amènent aujourd'hui des perspectives très différentes sur l'événement.

D'un côté, cet éditorial d'un quotidien africain diffusé sur le site allAfrica.com donne le ton : la suspension du général Poncet n'est que la partie émergée d'actions bien plus répréhensibles que la mort douteuse d'un criminel de grand chemin sur terre ivoirienne. Le rétention de certains documents confidentiels amène ainsi l'auteur à conclure de façon claire :

De là à penser que la suspension du général Henri Poncet est liée plus aux évènements de novembre 2004 qu'à l'accrochage du 13 mai 2005, il n'y a qu'un pas que beaucoup en Côte-d'Ivoire franchissent déjà , en affirmant que Jacques Chirac et Alliot-Marie prennent par cette sanction, leurs précautions en criminalisant par anticipation le général Poncet et en préparant l'opinion à ne retenir que sa seule culpabilité dans les horreurs qui ne devraient pas manquer d'être mises à nue sur la présence militaire de la France en Côte-d'Ivoire.

D'un autre côté, cet article publié dans Valeurs Actuelles propage largement le point de vue des militaires, et notamment des unités concernées par la suspension de leur hiérarchie. L'auteur parle ainsi de règlement de compte à l'endroit du général Poncet, ce qui expliquerait la main lourde du pouvoir politique :

Henri Poncet [est] beaucoup plus apprécié de ses subordonnés que de ses supérieurs. Formé dans les parachutistes des troupes de marine, familier des complexités africaines et des missions les plus tordues, Poncet commanda le 3e régiment parachutiste de Carcassonne, puis le Cos (commandement des opérations spéciales). Il ne s'y est pas fait que des amis. Le Cos suscite admiration, envie et parfois antipathie. À sa tête, Poncet a agacé quelques-uns de ses pairs - « Trop secret, trop manœuvrier » - probablement ceux qui multiplient les notes de service pour éviter d'avoir à prendre les décisions délicates, les "betteraviers" dans le jargon. [...] L'état-major des armées a lancé une enquête de commandement, sur la foi du mouchardage, tardif, d'un militaire rongé par le remords.

Que peut-on conclure de tout cela?

Premièrement, qu'il semble bien avoir eu une manipulation des faits survenus en mai 2005 pour protéger la troupe, car le tir de 650 cartouches contre un seul homme n'est pas exactement compatible avec la notion de légitime défense. Des mensonges ont été écrits et sont remontés via la voie hiérarchique. Que celle-ci fasse l'objet d'une enquête est légitime.

Deuxièmement, que les opérations militaires modernes ont une sensibilité politique suffisamment forte pour que les officiers du plus haut rang fassent office de fusible lorsque le besoin s'en fait sentir. La mission des armées françaises en Côte d'Ivoire est aussi confuse que difficile. Le contrôle étroit de ses armées semble une réponse à cette situation.

Troisièmement, que la position de la France en Afrique est suffisamment fragile pour que son image doive être protégée par des mesures énergiques. Les dirigeants français, profondément critiques à l'endroit des Etats-Unis et de certaines bavures de leurs soldats, ne peuvent évidemment tolérer de subir pareil traitement de la part de la communauté internationale et africaine.

COMPLEMENT (25.10 0910) : On en sait un peu plus sur les circonstances de cette suspension, si l'on en croit cet article du Monde. La dissimulation des faits au CEMA, en visite en Côte d'Ivoire peu après l'incident, a apparemment pesé lourd dans la balance.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h56 | Comments (8)

21 octobre 2005

La violence manipulatrice

Devenus acteurs des conflits modernes, souvent de leur plein gré, les journalistes sont également devenus des cibles logiques à défaut d'être légales. Malgré les efforts déployés notamment par Reporters Sans Frontières, le nombre de journalistes morts dans un conflit ne cesse d'augmenter. La participation délibérée à l'influence des perceptions, la confusion croissante entre les acteurs, la dimension culturelle croissante des conflits, mais aussi l'inexpérience ou l'inconscience des reporters, sont à mon sens les causes principales de ces décès. A quoi il faut en ajouter une autre, capitale : le fait que la violence, réelle ou potentielle, permette de manipuler les médias par l'entremise de la sécurité physique de leurs employés.

C'est une réalité qui est clairement apparue en Irak, et la multiplication des reporters en chambre est la conséquence des menaces auxquelles sont exposés les membres de la presse. Mais cet article du Figaro montre également que dans une mégapole comme Rio de Janeiro, l'une des cités les plus violentes du monde, les journalistes ne peuvent plus entrer dans certaines zones et sont directement menacés par des organisations criminelles. Une manière de contrôler l'information qui se répand là où les forces de l'ordre ne sont plus en mesure de garantir une sécurité minimale. Et là où les médias eux-mêmes refusent d'assurer leur propre sécurité par un encadrement adapté.

Il convient naturellement de regretter ce développement, même si les journalistes sont en partie responsables de ce qui leur arrive, parce que la qualité de l'information ne peut que pâtir de ces violences dirigées contre eux. Cependant, il reviendra de plus en plus aux citoyens de trouver les structures, les échanges et les garde-fous permettant d'assurer une information aussi complète et nuancée que possible.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h51

Irak : la victimisation aiguë

Les militants anti-guerre ne s'intéressent aux soldats que lorsque ceux-ci peuvent être décrits comme des victimes. Cette maxime s'applique également aux journalistes pratiquant librement le combat de la persuasion, comme le démontre une fois de plus Alain Campiotti aujourd'hui dans Le Temps. Sous le prétexte d'un film décrivant le sort de quelques membres de la Garde nationale appelés à servir en Irak, ce journaliste-combattant se livre en effet à un portrait d'ensemble (« Les héros ont la mort dans l'âme ») visant à décrire la situation mentale de tous les militaires américains déployés en Irak ou en Afghanistan.

En utilisant des anecdotes individuelles (personnages isolés et montés en épingle comme des généralités, alors que leur sort au contraire les distingue de la grande majorité) ou des chiffres non conclusifs (études partielles, portant sur « 49'000 » anciens de guerres qui ont vu plus d'un million d'hommes se relayer, sans que la représentativité de l'échantillon ne soit démontrée), c'est à une profonde distorsion de la réalité que se livre Campiotti, ce qui lui permet de conclure sans nuance dans le sens de ses convictions :

C'est une autre arme de l'insurrection, qu'on doit bien connaître du côté de Falloujah ou de Tora Bora: les Américains qui quittent leurs bourgs et leurs campagnes pour aller se battre dans le sable ou la montagne en reviennent avec des cauchemars.

On notera en passant l'incongruité de cette remarque, les habitants de Falloujah ayant massivement participé au référendum sur la constitution irakienne, alors que les montagnes de Tora Bora sont depuis longtemps désertées ; à s'être fait des conclusions hâtives dans un conflit, on risque toujours de les répéter à l'envi et en dépit du monde réel.

Mais le plus important réside bien entendu dans le fait que Campiotti écarte soigneusement de son « éclairage » bien polarisé tous les éléments qui viennent contredire sa thèse des héros devenus victimes. Que les opérations de combat fassent des dégâts autres que physiques, cela va sans dire, et les vétérans des conflits méritent des soins particuliers ; mais à force de les victimiser sans se soucier de leur avis, c'est une image résolument fausse qui est propagée.

L'évolution des effectifs que connaît l'US Army ne corrobore en rien les allégations de Campiotti, et il est révélateur que ce dernier ait choisi de n'en pas toucher un mot. Durant l'année fiscale 2005, la composante active a recruté à 1% près autant de nouveaux soldats en moins qu'en moyenne les 10 années précédentes, et seule la volonté du Congrès d'augmenter ses effectifs - contre l'avis des militaires - a provoqué un manque de 7000 soldats (le Corps des Marines, lui, a dépassé ses objectifs). La Garde nationale et la réserve sont également en-dessous au niveau du recrutement. Mais ces carences sont plus que compensées par les taux de rétention, avec une moyenne de 108% pour toute l'US Army, et qui sont les plus élevés pour les unités déployées en Irak et en Afghanistan.

En d'autres termes, l'argumentation biaisée de Campiotti peut être sans autre altérée : pour chaque « héros » qui a la mort dans l'âme, plusieurs ont le cœur plus vivant que jamais et s'engagent dans une cause en laquelle ils croient. La lutte des perceptions qui entoure l'opération militaire américaine en Irak ne cessera pas de sitôt, et le spectacle des Irakiens se rendant tranquillement aux urnes doit nécessairement être compensé par d'autres images pour tenter de justifier le ton pessimiste et catastrophiste des médias.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h35 | Comments (2)

20 octobre 2005

Individus contre groupes

On peut lire depuis quelques jours sur le site www.communautarisme.net un entretien électronique avec Anne-Marie Le Pourhiet, un professeur de droit public français qui s'en prend énergiquement à la notion de "discrimination positive". Le texte est particulièrement long et ne va pas toujours à l'essentiel, mais comporte tout de même une analyse remarquablement juste de la dimension sociétale qui caractérise ce phénomène. Bref extrait :

On introduit bien le poison de l'ethnicité dans les critères de recrutement et de promotion. Or ce critère est foncièrement injuste et pervers. Alors que le concours et le mérite provoquent une concurrence et une compétition stimulante entre les individus, l'introduction d'un critère ethnique ne peut que provoquer des rivalités inter-ethniques et un permanent sentiment de frustration et d'injustice. C'est une erreur politique et psychologique colossale.

Cette opposition entre individus et groupes, entre l'action et l'origine, entre le faire et l'être, est effectivement un enjeu de taille - tout comme une contradiction majeure du droit. Elle renvoie chacun de nous à son identité, à celle que l'on reçoit de sa famille, à celle que l'on construit par sa vie, et à celle que les préjugés ou les idéologies nous imposent. Il est hautement probable qu'elle constitue un facteur de division susceptible, à terme, de menacer les identités nationales et donc la stabilité sociétale des nations.

Avant-hier, j'ai eu l'occasion de recevoir ponctuellement deux sous-lieutenants français, qui dans le cadre d'un travail de diplôme à Saint-Cyr souhaitaient obtenir mon avis et mes réflexions sur plusieurs thèmes. L'un d'entre eux était celui de la milice comme facteur de cohésion d'un pays. Le principe de l'armée de milice consiste à prendre l'ensemble des citoyens, indépendemment de leur origine et de leur identité, pour les recruter, les incorporer, les instruire et les engager en fonction de leurs capacités et de leurs goûts. Un principe d'équité qui entraîne un brassage et des échanges inédits.

Bien entendu, le système est loin de fonctionner de façon aussi idéale, mais le fait de traiter chacun de même est l'une de ses principales qualités. On remarquera que les choses commencent à changer pour les officiers des grades les plus élevés, puisque des questions d'équilibre linguistique et d'appartenance cantonale commencent à être pris en compte, comme d'ailleurs dans l'administration fédérale en général. Mais ceci ne concerne pas l'énorme majorité des citoyens. Le jour où l'on commencera à dire que le corps des officiers ne compte pas assez d'immigrés de deuxième ou troisième génération, ou de militaires de confession musulmane, c'est que cette équité sera à son tour prise pour cible.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h06 | Comments (15)

18 octobre 2005

Irak : intox et contre-intox

Un cas d'école s'est produit hier en Irak en matière de lutte des perceptions. Il vaut la peine de se pencher sur ce cas pour mieux vérifier l'éclatement du sens qu'autorisent les technologies modernes.

Dimanche dernier, des avions et des hélicoptères de combat américains ont frappé différentes cibles dans l'ouest irakien, près de la ville de Ramadi, qui est régulièrement le théâtre d'affrontements. La dépêche de l'agence AP annonce qu'environ 70 combattants auraient été tués dans ces frappes, selon les militaires américains, et qu'au moins 39 des victimes seraient des civils, selon des habitants. Dans le texte, on relève d'autres affirmations contradictoires, mais qui penchent majoritairement dans le sens de dommages collatéraux ; AP se réfère à ses propres sources, soit du personnel irakien non mentionné, pour mettre cette version en évidence. Sur la base de ces seuls éléments, il est difficile de ne pas s'imaginer des bombardements désordonnés frappant indistinctement combattants et non combattants.

Quelques heures plus tard, un militaire américain bloguant à partir de l'Irak - du moins d'après les apparences - a mis en ligne sa version des faits, puisque l'homme affirme être déployé dans le secteur de Ramadi. Il décrit ainsi de manière générale la situation dans la zone touchée par les bombardements et précise qu'il connaît l'homme qui a désigné les cibles pour les avions ; l'escadrille a d'ailleurs envoyé les clips vidéo des frappes, et le blogueur affirme que l'on voit nettement des insurgés avec des armes, et que donc l'affaire est une destruction sans bavure. Le tout enrobé dans un appel à faire confiance aux soldats qui se battent au sol et dans les airs.

A distance, il est naturellement impossible de se faire une opinion tranchée. On peut même affirmer que les convictions en chacun de nous peuvent inciter à croire les uns ou les autres, notamment selon les préjugés que l'on peut porter à l'endroit des actions armées. Mais le plus important réside dans le fait qu'un individu, situé au bon endroit et au bon moment, a décidé de contrer une perception diffusée par un média grand public et y parvient auprès d'un certain nombre de personnes. Combien ? Si l'on se base sur une recherche Technorati, le nombre restreint de liens laisse penser que ce nombre reste faible, même si cet indice est très partiel.

On peut en revanche penser que la diffusion d'images avec le texte, et notamment d'extraits de bandes vidéo, aurait largement accru l'impact de ce billet. Un tel produit médiatique aurait immanquablement été repris jusqu'à ce qu'il soit pleinement intégré au circuit traditionnel des médias. Et cette possibilité, multipliée par le nombre d'intervenants potentiels dans une telle situation, montre combien le sens peut être éclaté, voire nivelé, par les outils de communication actuels.

Il reste bien entendu la possibilité que ce blogueur cache en réalité une opération d'information militaire clandestine, destinée à orienter les perceptions sous l'apparence de billets anonymes. Possible, mais peu probable. La réalité est toujours moins contrôlée et linéaire que les théories conspirationnistes ne le font croire.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h47 | Comments (12)

Une presse antidémocratique ?

Le journaliste Alain Hertoghe s'est livré hier à une revue de presse française édifiante concernant un documentaire diffusé par Canal+ et intitulé « Etats-Unis : à la conquête de l'Est ». Ce reportage, qui montre les efforts américains pour propager la démocratie et appuyer le renversement de régimes autocratiques, est en effet accueilli d'une façon souvent négative par les critiques cités. Extrait :

Dans le supplément télévision du Nouvel Observateur, Eric de Saint Angel est beaucoup plus amusant. "Bien évidemment, écrit-il, l'administation Bush, avec sa clique de va-t-en guerre et de stratèges plus souvent tortueux qu'inspirés, n'est pas étrangère à ces événements", qualifiés de "machinations extérieures et de jeux géopolitiques". Pas très malins, visiblement, ces Serbes, Géorgiens, Ukrainiens et Kirghizes qui adoraient leurs autocrates respectifs et qui, tels des marionnettes du cow-boy Bush, les ont renversés sans le vouloir vraiment...

Pour Hertoghe, l'anti-américanisme primaire est à la fois grotesque et drôle, et l'absence de l'Europe dans la promotion active de la démocratie doit être regrettée. Une telle position est déjà avancée pour un membre - certes ostracisé - des médias, mais à mon sens elle s'arrête à mi-chemin. Dans ces commentaires dédaigneux et méfiants, c'est bien une action antidémocratique qui est entreprise ; quelles que soient les motivations des uns et des autres, s'opposer à des initiatives favorables à la démocratie revient à s'opposer à la démocratie elle-même. Suspecter le pire derrière des actes louables n'est pas une preuve de pragmatisme, et le dénoncer témoigne d'un blocage cognitif ou émotif. Un refus d'admettre les faits tels qu'ils se déroulent.

Au fait, est-ce que s'opposer à la démocratie ne fait pas des médias des acteurs devant être contrés, voire combattus - avec des moyens démocratiques, bien entendu ? Voilà une question qu'il serait souhaitable de discuter. Calmement !

COMPLEMENT (18.10, 1740) : Le commentaire de Ralph Peters aujourd'hui dans le New York Post mérite le détour. Il s'en prend ainsi de manière particulièrement rude à la presse traditionnelle :

A herd mentality has taken over the editorial boards. Ignoring all evidence to the contrary, columnists write about our inevitable "retreat" from Iraq, declaring that "everyone knows" our policies have no chance of success.
That isn't journalism. It's wishful thinking on the part of those who need Iraq to fail to preserve their credibility.
We are dealing with parasitical creatures who, never having done anything practical themselves, insist that the bravery and sacrifice of others has no meaning. Their egos have grown so enormous that they would sacrifice the future of Iraq's 26 million human beings just so they could write "I told you so." And, of course, the greatest military experts are those who never served a day in uniform.

Créatures parasitaires? Voilà qui va plutôt loin...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h33 | Comments (15)

17 octobre 2005

Une catastrophe lointaine

Neuf jours après le tremblement de terre survenu au Cachemire, le bilan s'élève à 53'000 morts et 3,3 millions de sans abri, et le nombre de disparus fait redouter jusqu'à 100'000 victimes. En d'autres termes, il s'agit d'une catastrophe gigantesque, d'une destruction massive somme toute analogue à celle engendrée par le tsunami en Asie du Sud-Est. Et pourtant sa couverture médiatique reste plutôt modeste. Ce qui s'explique bien entendu par deux raisons : premièrement, l'absence quasi totale de citoyens occidentaux parmi les victimes, qui limite les enjeux pour les médias ; deuxièmement, la situation du Pakistan en général et du Cachemire pakistanais en particulier, qui limite les activités des médias.

Les catastrophes naturelles ont donc un traitement tout différent selon l'endroit où elles se déroulent : l'ouragan Katrina aux Etats-Unis a donné lieu à une couverture apocalyptique, visant à blâmer au plus vite l'administration Bush sans la patience et l'honnêteté que requiert l'examen des faits, alors que le tremblement de terre au Cachemire est suivi avec une compassion de bon aloi, sans une recherche exacerbée du scandale en dépit du déroulement assez maladroit des opérations de secours. Deux phénomènes viennent ici se superposer : la motivation économique, qui recherche un sujet rentable en terme d'audience, et la motivation politique, qui recherche un sujet malléable en terme d'influence.

Dans une perspective moins analytique et plus émotionnelle, les images du Pakistan me rappellent évidemment les scènes de désolation auxquelles j'ai assisté voici presque 8 mois à Sumatra. Les catastrophes d'une telle ampleur ont tellement tendance à dépasser l'entendement que c'est uniquement sur place que l'on mesure un peu mieux les souffrances qu'elles entraînent, le nombre épouvantable de vies qu'elle transforme, obère ou anéantit. Dans ce contexte, se focaliser sur les manquements des secours amène en général à négliger l'essentiel, soit la solidarité spontanée, la générosité inconditionnelle et l'empathie instinctive dont les êtres humains sont capables de faire preuve face aux événements de la pire gravité.

COMPLEMENT (18.10, 1955) : On constate que les opérations d'aide humanitaire suivent un déroulement assez proche par certains aspects de ceux en Asie du Sud-Est. Les hélicoptères sont les seuls moyens permettant d'accéder à l'ensemble des localités sinistrées, et les Etats-Unis déployent des moyens massifs, susceptibles de leur valoir des retombées très positives en terme d'image au Pakistan.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h56 | Comments (10)

16 octobre 2005

L'envers de l'opposition

Les révélations qui ne cessent d'apparaître sur la corruption au coeur du programme "Pétrole contre nourriture", notamment par la mise en examen d'anciens hauts fonctionnaires français (le blog Politique arabe de la France est éclairant à ce sujet), fournissent une perspective intéressante sur la question de la guerre en Irak, et notamment sur l'image de ses principaux partisans et opposants.

Rappelez-vous : au début 2003, la France avait pris la tête de ce que l'on nommait sans raison le "camp de la paix", et leur opposition flamboyante aux visées américaines était symbolisée par une couverture de Paris Match montrant Jacques Chirac et Dominique de Villepin sous le titre "les combattants de la paix". A cette époque, les motivations affichées par la France étaient effectivement celles de la paix, de la stabilité, de la raison, par opposition à la Maison-Blanche, suspectée de vouloir attaquer l'Irak uniquement pour s'emparer de ses ressources pétrolières ou pour satisfaire ses instincts belligérants, aiguisés par le 11 septembre.

Aujourd'hui, le déroulement des événements impose de plus en plus une spectaculaire inversion des perceptions. D'une part, l'attachement américain au processus démocratique en Irak ne peut plus être mis en doute, et son succès éclatant balaie tout argument sur l'impossibilité d'implanter la démocratie sur les traces d'une armée. D'autre part, les révélations faites notamment en France montrent que les membres du "camp de la paix", loin d'être des colombes, avaient des intérêts matériels à maintenir Saddam Hussein au pouvoir, et donc que la moralité affichée de leur position dissimulait d'autres motivations.

Naturellement, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse, et dépeindre les Américains en libérateurs utopistes, apportant les bienfaits de la démocratie de façon toute désintéressée : c'est bien parce que la propagation des valeurs démocratiques sert leurs intérêts, notamment en combattant efficacement le fondamentalisme musulman, que les Etats-Unis la mettent en oeuvre. Même un idéal reste une arme dans l'infosphère. En revanche, il est temps de procéder à un rééquilibrage et de montrer que tous les protagonistes stratégiques ne font que poursuivre leurs intérêts subjectifs. La supériorité morale est un concept hautement douteux à ce niveau.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h37 | Comments (15)

11 octobre 2005

Alerte média : la TSR

En mai dernier, j'avais eu la chance de me rendre à Genève pour tourner une partie d'un reportage pour l'émission Territoires 21, consacré aux sous-marins à propulsion anaérobie. Comme prévu, ce reportage est diffusé ce mois-ci, avec une première demain soir 12 octobre à 2020 sur TSR 1, et des rediffusions le 13 à 1025 et 1455 sur TSR 2. En principe, l'émission est également diffusée sur TV5, mais je n'ai pas réussi à savoir quand...

Il faut noter que le TSR fait bien les choses. La semaine dernière, j'ai reçu un mail m'invitant à donner mon adresse afin de recevoir un DVD du reportage. Et hier, c'est Phil Mundwiller qui m'a appelé pour me prévenir personnellement de la diffusion, en annonçant d'ailleurs que le reportage est époustouflant ! Pour ma part, j'espère avant tout ne pas être trop ridicule à l'antenne... :)

COMPLEMENT (12.10, 2200) : Le reportage était vraiment excellent. L'atmosphère d'espionnage donnait une couleur très attrayante à une séquence dense et informative. Il ne semble pas encore possible de le voir en ligne, seul le lancement est disponible. Evidemment, sur un plan plus personnel, il est on ne peut plus flatteur d'être présenté comme un "expert de premier plan" et d'intervenir plusieurs fois... En même temps, il ne faut pas croire que dans la réalité je suis aussi sérieux que durant mes interventions ! ;)

COMPLEMENT II (13.10, 1340) : Voici l'adresse pour voir l'émission en ligne : http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=500002&bcid=385218&vid=6156279&format=160. Merci à Hunden pour l'avoir transmise via un commentaire. En revanche, je saisis mal ces allusions narquoises à ma pauvre chemise... :)

Posted by Ludovic Monnerat at 19h40 | Comments (14)

10 octobre 2005

Un florilège des blogs

Même en vacances, il me paraît toujours important de prendre un minimum de temps pour s'informer. Non seulement pour ne pas entièrement "décrocher", mais aussi pour lire ce que d'autres collègues blogueurs ont à dire sur différents sujets d'actualité. Je me permets donc de vous conseiller un petit florilège, tout à fait personnel et subjectif bien entendu, de quelques billets à découvrir.

J'avais pensé écrire un billet sur le Prix Nobel de la Paix, mais j'y ai renoncé faute de temps. Sisyphos, sur son Mont éponyme, s'en est chargé on ne peut mieux, avec le langage tranché qui est le sien en matière de politique internationale.

L'importance des blogs dans la persuasion est une question âprement discutée. Emmanuel sur Ceteris Paribus s'est livré à une réflexion très intéressante, qui souligne le rôle des blogs sans tomber dans l'excès, ainsi que les différences de part et d'autre de l'Atlantique.

L'interrogation touche également les médias traditionnels. Sur Verdana Blues, Mafalda se demande ainsi quel doit être le rôle des journalistes face à un sujet aussi sensible qu'une pandémie, et s'ils ne devraient pas plutôt se limiter à l'information brute. Une remise en question radicale!

A l'intersection des médias et des blogs, il vaut aussi la peine de lire ce qu'écrit Alain Hertoghe sur son refus de participer aux commentaires de son nouveau blog, Carte de Presse. Ou comment un autre journaliste aborde ce nouveau média et ses possibilités.

Enfin, dans un tout autre registre, je conseille de lire l'examen approfondi que fait Pikipoki des peines les plus lourdes, soit la détention à perpétuité et la condamnation à mort. Un homme qui revient à la philosophie morale de Kant ne saurait être ignoré...

Voilà au moins de quoi ne pas bronzer idiot ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h11 | Comments (3)

7 octobre 2005

L'éclatement du sens

La sphère de l'information n'en finit pas de subir les effets de la révolution due au progrès technologique et à la transformation des collectivités. Quelques exemples récents le démontrent : suite à la prolifération des images d'origine privée lors des attentats de Londres, la BBC déclare désormais qu'elle est davantage un facilitateur qu'un diffuseur d'information publique ; le réseau Al-Qaïda place des offres d'emploi dans le quotidien Asharq Al-Awsat, afin d'engager des spécialistes du montage vidéo capables de produire des séquences servant la propagande islamiste ; la facilité à trafiquer les images numériques avec des logiciels gratuits amène des experts à rechercher des méthodes toujours plus poussées pour détecter la falsification et préserver la crédibilité des supports visuels fixes.

Le point commun de ces faits épars, déjà souligné maintes fois sur ce site, n'est autre que le renforcement du petit face au grand, de l'individu face aux organisations, de la qualité face à la quantité. Les nouveaux espaces conflictuels et/ou concurrentiels ouverts par la technologie, soit l'infosphère et le cyberspace, offrent aux acteurs les plus démunis des possibilités d'action et d'influence inimaginables dans l'espace physique ou électromagnétique. La première puissance mondiale, la multinationale géante, l'organisation non gouvernementale, le réseau terroriste religieux ou Monsieur Tout-le-monde ont désormais une capacité de production sémantique comparable. La génération éclatée et libéralisée du sens aboutit à une gigantesque redistribution du pouvoir.

De même que la révolution industrielle a permis à la puissance mécanique de supplanter la puissance musculaire, la révolution de l'information amène aujourd'hui la puissance cognitive à prendre le pas sur le reste. Mais l'information est en parallèle devenue autant une arme qu'une ressource. Dès lors que les rapports de forces entre acteurs s'expriment davantage par la conquête des esprits et des marchés que celle des territoires, le savoir vaut plus par sa diffusion que par son acquisition. Le renseignement reste la première ligne de défense de toute organisation, mais sa première ligne d'attaque n'est autre que la communication. Puisque vaincre passe par convaincre, le succès dépend nécessairement de la faculté à développer une emprise supérieure sur les décisions et les comportements.

Ainsi, ces deux fonctions élémentaires et complémentaires que sont le renseignement et la communication forment l'axe de la puissance cognitive. Et les structures les mieux à même de les synchroniser concentrent cette puissance, comme le montre l'essor impressionnant des réseaux participatifs ouverts, axés sur l'échange volontaire. Par conséquent, les grandes organisations telles que les administrations nationales ou supranationales ne semblent guère adaptées à ces espaces immatériels, surtout lorsque le sens apparent importe plus que le sens réel. Leur survie, à l'âge de l'information triomphante, est un défi à relever sans tarder.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h47 | Comments (20)

3 octobre 2005

Cracher dans la soupe

Le quotidien 24 Heures a publié aujourd'hui un article qui se veut critique sur le Swiss Raid Commando, et qui s'appuie pour ce faire sur les déclarations d'un seul officier concernant le coût supposé de l'événement. En présentant ce dernier comme un "grand raout militaire", c'est-à -dire une manifestation festive dont le rôle consiste à produire de l'image, c'est bien une perception précise qui est propagée pour donner du crédit à des propos tenus par un seul interlocuteur. Une substance assez légère et trouble pour construire un article significatif, et qui montre bien que la démarche polémique - annoncée ouvertement par la journaliste le week-end dernier - a besoin de faits pour être crédible.

Son article fait en effet totalement abstraction du fait que le Swiss Raid Commando est aujourd'hui le seul exercice de troupe au niveau brigade mené par l'armée suisse. La présence des raiders étrangers et le concours militaire auxquels ils participent sont une opportunité pour engager un état-major de 85 officiers et sous-officiers ainsi que l'équivalent de 4 bataillons - le bat aide cdmt 2, le bat car 1, le bat ondi 16 et le bat IFO inf 3, avec des renforts divers - dans un exercice majeur en termes de conduite, de logistique et de sûreté.

Pour prendre quelques exemples, l'entre-terrain dans lequel les raiders ont effectué une approche et un repli en conditions tactiques était sillonné par 20 chars de grenadiers à roues 93 de l'ER inf 3, dont les membres faisaient office de marqueurs ; le quartier-général du SRC à Bure était exploité par plus de 100 soldats de transmission et du renseignement ; les places de soutien de base abritaient plus de 100 tonnes d'équipements divers, centralisés et décentralisés par des équipes logistiques se relayant jour et nuit.

En d'autres termes, la question des coûts n'est absolument pas celle évoquée par l'article. L'armée suisse n'a pas augmenté son crédit d'heures de vol en Super Puma, ses stocks de munitions ou ses dépenses en subsistance en raison du SRC : les moyens utilisés l'auraient de toute manière été dans le cadre d'autres activités. Et les frais supplémentaires dus au Raid sont effectivement couverts par son budget de 55'000 francs. Le sens même de l'article est donc contredit par la réalité. Sauf si, bien entendu, on décide de faire des économies de fonctionnement en supprimant tous les exercices d'envergure - alors que l'armée a justement besoin de retrouver une telle dimension.

Il reste à se demander comment il est possible de construire un article sur les déclarations d'un officier isolé, qui consent à cracher dans la soupe et prête son nom à une démarche polémique dépourvue de fondement.

PS : Merci à Chris pour m'avoir signalé cet article. Je recommande également de lire le commentaire de Louis-Henri au billet précédent sur le traitement médiatique du SRC.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h26 | Comments (6)

20 septembre 2005

Deux blogs à découvrir

A la demande de leurs auteurs, qui souhaitent conserver l'anonymat mais que j'apprécie beaucoup, je suggère ici de visiter deux blogs qui ont ouvert ces jours derniers : Un jour ou l'autre, littéraire et intime, déjà signalé par l'ami Variable sur son Calme comme une bombe, et Le Mont de Sisyphe, trilingue et polyvalent. Deux carnets très différents, qui illustrent encore une fois toute la richesse que les blogs peuvent offrir. Bonne découverte !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h29

17 septembre 2005

Les figures de proue

Le combat des idées ne peut pas se passer de personnages capables de les porter, de les incarner. C'est un aspect de la sphère de l'information qui ressort périodiquement dans l'évolution des perceptions publiques. On peut les appeler des leaders-clefs, des porteurs d'opinion, ou des figures de proue comme je le fais ici ; mais on ne peut pas douter de leur importance. Que serait en France le mouvement altermondialiste sans un José Bové ? Que serait en Suisse la droite nationaliste sans un Christoph Blocher ? Bien entendu, la politique est le domaine de prédilection des figures de proue, au point d'ailleurs que des individus en vue dans d'autres domaines - sportifs, acteurs, musiciens, etc. - tentent parfois, avec un succès inégal, d'exploiter leur popularité pour influencer l'opinion.

On peut voir les figures de proue comme des produits marketing perfectionnés, comme des personnages dont les actes, les mots, l'apparence ou encore l'origine doivent contribuer à multiplier l'effet. L'un des meilleurs exemples récents est celui de Cindy Sheehan, cette mère de famille américaine qui s'est établie devant le ranch texan du président Bush et qui a utilisé la mort de son fils en Irak pour protester contre l'opération militaire en cours. Surgie apparemment de nulle part, cette femme a rapidement été entourée d'une machinerie de relations publiques impressionnante, « repackagée » pour réduire sa singularité (« Mother Sheehan ») et savamment mise en exergue pour donner l'impression d'un mouvement de fond, voire d'un basculement de l'opinion que les sondages n'ont jamais montré (environ 60% des Américains soutiennent le maintien de leurs troupes en Irak, et ce chiffre est stable).

Mais une figure de proue doit trouver sa place, et quelque part sa légitimité, au fil du temps. Elle doit rester focalisée sur un nombre limité de messages-clefs, et éviter aussi bien la dispersion dans des causes lointaines que le dérapage dans une rhétorique extrémiste, sous peine de perdre la bienveillance des médias. Dans le cas de Cindy Sheehan, une accumulation de déclarations problématiques - comme celle, toute récente, où elle appelle les troupes américaines à un retrait de « New Orleans occupée » (bas de page) - devrait logiquement renforcer sa singularité et réduire son impact. Un autre exemple est celui de Rachel Corrie, cette militante pro-palestienne morte écrasée par un bulldozer israélien devant lequel elle a choisi de se placer : les images la montrant brûlant un drapeau américain devant des enfants palestiniens l'ont clairement empêchée de devenir une figure de proue posthume.

Toute la mécanique consistant à donner autant d'empire à un personnage individuel doit cependant nous interpeller. La tentation du culte de la personnalité n'épargne personne.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h51 | Comments (12)

16 septembre 2005

Le vote ou la mort

Les campagnes électorales accouchent régulièrement de dérapages lamentables, de tentatives éhontées pour obtenir l'adhésion des votants. En Allemagne, une affiche fait actuellement scandale : elle montre des cercueils recouverts du drapeau américain, dans un avion ramenant les dépouilles de soldats très probablement tombés en Irak. Le texte, "elle aurait envoyé des soldats", s'attaque directement à la candidate de la CDU Angela Merkel en raison de son soutien à la politique étrangère américaine, en faisant donc planer le spectre de soldats allemands morts pour une guerre honnie. Le fait que le candidat utilisant cette affiche soit l'un des ministres du chancelier Schröder renforce son impact.

Cette exploitation de l'image des soldats morts n'est bien entendu pas nouvelle. Le soin de l'administration Bush à interdire la diffusion de telles images, et l'appétit pour celles-ci d'une partie des médias, soulignent la lutte de perceptions qui se joue à ce propos. Dans le cas présent, cet emploi de cercueils américains pour une élection allemande reflète la volonté d'élever les enjeux, d'insinuer une question de vie ou de mort derrière le choix de deux personnalités ou de deux coalitions. Et il n'est nul besoin de consulter la pyramide des besoins de Maslow pour se rendre compte qu'une telle perception a de quoi supplanter bien des arguments économiques ou politiques.

L'élévation ou l'abaissement des enjeux est l'un des ressorts les moins connus des conflits, et leur occurrence lors d'une campagne s'explique par la similitude des effets recherchés : mobiliser la population, rassembler toutes les énergies, dépasser les différences mineures pour un intérêt commun supérieur. La propagande de guerre, qui au siècle dernier va des exactions allemandes supposées en Belgique, durant la Première guerre mondiale, à la nazification de l'OTAN durant la guerre du Kosovo, repose ainsi fréquemment sur la diabolisation du camp ennemi et sur l'angélisation du propre camp. Le rôle des valeurs morales est donc central.

Maintenant, il n'est guère certain que l'affiche du SPD soit efficace ; il se peut même qu'elle soit contre-productive, si le public a l'impression d'être manipulé et réagit de façon inverse à l'effet attendu. Elle ne fait en tout cas guère honneur à ceux qui l'ont conçue.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h09 | Comments (15)

5 septembre 2005

Servir son pays

A une époque où le patriotisme reste largement décrié, au mieux comme une relique de temps révolus, au pire comme l'antichambre du nationalisme, et où l'institution militaire est majoritairement décrite dans les médias comme une organisation exagérément coûteuse, génétiquement répressive et vouée à l'extinction progressive, il faut être singulièrement indépendant de cœur et d'esprit pour servir son pays dans les rangs de l'armée - et aimer l'un comme l'autre. Surtout lorsque le milieu familial et social ne prédestinent pas à une telle orientation, voire y serait même plutôt opposé. Pourquoi dès lors le faire, fût-ce envers et contre (presque) tous ?

Chacun a probablement une réponse un brin différente, mais il me semble avant tout que c'est une affaire de valeurs et de convictions. S'engager à servir son pays dans les rangs de l'armée, un outil stratégique focalisé sur les pires menaces, revient à accepter définitivement la prédominance des intérêts collectifs sur les intérêts particuliers. Altruisme, sacrifice, discipline : voilà des mots qui illustrent le sens de la cause. Contribuer à la sécurité et à la stabilité d'une société donnée, surtout en-dehors des périodes où l'urgence de la situation révèle l'évidence d'une telle action, revient ainsi à s'engager personnellement, à reconnaître le rôle central de la coercition, et à accepter la lourde responsabilité d'être prêt à l'employer - ou de soutenir son emploi.

Bien entendu, de tels propos sont empreints d'un idéalisme en voie de raréfaction. Il suffit de sillonner les couloirs de l'administration militaire fédérale ou des places d'armes du pays pour voir des comportements assez différents. Il existe de nombreuses personnes pour lesquelles travailler dans le cadre de l'armée n'est qu'une manière comme une autre de gagner sa vie. L'état d'esprit extraordinaire qui pousse à se surpasser, et dont j'ai par exemple été témoin à Sumatra, n'est pas une chose commune - même parmi les militaires de carrière. C'est pourtant un petit nombre de fidèles et de passionnés, prêts à travailler sans compter et dans l'ignorance générale, qui fait d'abord avancer la machine.

A titre personnel, et sans que cela ne constitue une exception, je n'ai pas souvenir d'un seul week-end cette année où je n'ai pas - même ponctuellement - travaillé pour l'armée dans mes différentes fonctions. Même en vacances à Grimentz, même en cours à la NATO School, même en voyage en Suède, j'ai toujours accompli et transmis des travaux d'une certaine importance. J'ai certes la chance de travailler avec des chefs et des camarades qui s'engagent de façon similaire, et rien de tout cela ne serait possible sans des valeurs communes, sans une passion pour le service, sans une volonté constamment renouvelée d'agir. Ni sans une perception aiguë des risques contemporains et des menaces futures, bien entendu.

Il est cependant un secret derrière ces engagements que je prends la liberté de soulever : une bonne partie des cadres de l'armée les plus volontaires ont été antimilitaristes à une période de leur vie, des rebelles qui ont fini par trouver leur place dans le système, c'est-à -dire à y exprimer leurs facultés particulières. On peut même dire que l'état d'esprit antimilitaire volontiers propagé dans notre pays constitue une excellente sélection pour obtenir des cadres critiques et indépendants d'esprit, dont l'engagement est mûrement réfléchi et ne doit rien ou presque au mimétisme. Qui l'eût cru ? :)

Posted by Ludovic Monnerat at 10h16 | Comments (7) | TrackBack

4 septembre 2005

La fin du multiculturalisme ?

Dans son bloc-notes publié par Le Figaro, Ivan Rioufol revient sur les méfaits du multiculturalisme et souligne la prise de conscience qui existe aujourd'hui à ce sujet en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Il montre cependant que le problème se pose dans des termes largement similaires en France :

Les Néerlandais et les Britanniques ont montré ce qu'il ne fallait pas faire, en invitant les immigrés à conserver leurs langues et leurs particularismes. Cette communautarisation a accéléré les repliements. Un sondage réalisé pour la chaîne Sky News a révélé que 46% des musulmans britanniques «se sentaient d'abord musulmans». Mais l'étude du Cevipof fait pareillement ressortir, pour la France, que seul un tiers des sondés désapprouvent la phrase : «Un musulman doit suivre les principes coraniques, même s'ils s'opposent à la loi française.»

La fragilisation des identités nationales par le relativisme culturel et le culte du métissage commence donc à être prise au sérieux. Il est regrettable que le terrorisme islamiste, et les réactions qu'il suscitent dans certaines communautés immigrées, soit un facteur déterminant dans ce processus. D'un autre côté, il est important de bien cerner les racines du problème pour ne pas déraper dans un autre extrême, remplacer le laxisme par l'intransigeance, et ainsi contribuer à poursuivre la fabrication d'un ennemi intérieur. Les identités ne viennent pas aux individus ; il revient à ces derniers de les adopter.

Si l'on considère que la formation des identités est l'une des caractéristiques de l'enfance et de l'adolescence, on se rend cependant compte que l'école est un milieu décisif pour faire face aux communautarismes et au morcellement des sociétés. Comme le souligne Ivan Rioufol, l'interdiction du voile islamique et l'apprentissage de l'hymne national à l'école vont dans le sens d'un renforcement de la nation, même si de telles mesures sont contestées. Mais il me paraît difficile d'imaginer cela en Suisse : l'évolution des esprits n'a pas encore atteint le niveau à partir duquel les singularismes tolérés au nom de l'ouverture d'esprit sont perçus comme les symptômes d'une isolation, d'un rejet. Comme les ferments d'un conflit futur.

Le multiculturalisme semble encore avoir de belles années devant lui. Et je ne pense guère me tromper en écrivant que seuls des événements graves sur notre sol amèneront un changement des perceptions à son sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h29 | Comments (13) | TrackBack

3 septembre 2005

Alerte à la folie furieuse (7)

Une bonne partie des médias européens n'ont pas tardé à attribuer à George W. Bush la responsabilité des dégâts engendrés par la tempête Katrina au sud des Etats-Unis. "Le désastre était prévu, Bush l'a ignoré", voilà ce que l'on peut lire ce matin dans une dépêche remaniée publiée par 24 Heures, avec un argumentaire qui laisse pantois :

Des Cassandre scientifiques avaient mis en garde contre les effets apocalyptiques qu'un cyclone pourrait avoir sur La Nouvelle-Orléans, mais leurs avertissements ont été ignorés et les fonds nécessaires dépensés pour la guerre en Irak, selon des experts.

De telles affirmations, qui permettent ensuite aux éditorialistes de gloser une fois encore sur la vilénie de Bush et de tout ce qu'il entreprend, sont en réalité totalement contraires aux déclarations des responsables américains, qui insistent que les digues rompues par l'ouragan étaient en bon état et que la décision concernant leur hauteur avait été prise des décennies plus tôt :

In a telephone interview with reporters, corps officials said that although portions of the flood-protection levees remain incomplete, the levees near Lake Pontchartrain that gave way--inundating much of the city--were completed and in good condition before the hurricane.
However, they noted that the levees were designed for a Category 3 hurricane and couldn't handle the ferocious winds and raging waters from Hurricane Katrina, which was a Category 4 storm when it hit the coastline. The decision to build levees for a Category 3 hurricane was made decades ago based on a cost-benefit analysis.

Mais à quoi bon se soucier de vérité et de nuance lorsqu'il est possible d'exprimer sa haine et sa rancoeur? Il y a vraiment quelque chose de pourri dans le monde des médias.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h23 | Comments (55) | TrackBack

31 août 2005

Calme comme une bombe

Le titre est accrocheur, le contenu l'est aussi : tel est le blog qu'un ami vient d'ouvrir! Je vous le conseille chaudement. Même si l'auteur est contraint, vu les immenses responsabilités qui lui incombent, de conserver un anonymat de bon aloi... :)

Posted by Ludovic Monnerat at 18h52 | Comments (7) | TrackBack

Une fragile civilisation

Les comptes-rendus de la situation à la Nouvelle-Orléans, avec ses inondations et ses pillages, rappellent la fragilité de la civilisation lorsque des événements extraordinaires la font trembler sur ses bases. De tels développements ne sont pas surprenants : en 1992, les inondations survenues à Brigue avaient également rendu nécessaire l'engagement de l'armée pour empêcher les pillages et protéger les habitations évacuées. Les crises ont ainsi la faculté de révéler le meilleur et le pire en nous, la solidarité comme l'égoïsme, la grandeur comme la bassesse. Et la dépendance sans cesse accrue des sociétés occidentales envers des infrastructures et des technologies critiques ne fait que renforcer le choc de l'anormalité, et donc l'importance de la résilience humaine.

La crise de confiance en tous les bienfaits supposés de la civilisation est à mon sens l'une des tendances de notre époque. Lorsqu'un arbre tombant sur une ligne électrique suffit à provoquer en cascade une coupure générale de l'électricité, lorsqu'une panne mineure des chemins de fer suffit à bloquer tout le trafic pendant des heures, ou lorsqu'un dysfonctionnement informatique déconnecte les téléphones portables de toute une région, un sentiment d'impuissance et de détresse est presque inévitable. Qui peut aujourd'hui s'imaginer vivre durablement sans l'environnement high tech que nous en sommes venus à considérer comme allant de soi ? Quelles sont les conséquences de la dépendance lorsque nos besoins ne peuvent être satisfaits ?

En étant un brin sentencieux, on pourrait dire que le matérialisme dans lequel nous baignons porte en lui les ferments de notre fragilité ; que l'envie impérieuse d'avoir, savamment magnifiée par la séduction de la publicité, est une manière commode de combler nos propres manques - et donc une illusion que les situations extraordinaires révèlent brutalement. C'est probablement ce renvoi à nous-mêmes, à ceux que nous sommes vraiment, qui est le plus impressionnant dans les catastrophes naturelles. Pas étonnant dans ce contexte que l'ordre et la normalité imposés par les normes et les institutions ne tardent pas à s'effondrer.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h54 | Comments (23) | TrackBack

Alerte média : Radio Courtoisie

A l'invitation de François Guillaumat, je suis invité aujourd'hui à m'exprimer entre 1200 et 1330 sur les ondes de Radio Courtoisie, pour parler de différents thèmes stratégiques, avec un accent plus particulier sur la Chine. Il devrait être possible d'écouter l'émission en direct ici, avec deux rediffusions : de 1600 à 1730, et de minuit à 0130. Evidemment, je serai au téléphone, et j'espère que la qualité du son sera suffisante...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h15 | Comments (6) | TrackBack

27 août 2005

Irak : la main invisible

Un sondage récemment publié aux Etats-Unis sur la guerre en Irak met en évidence un phénomène qui m'intéresse depuis le début de l'opération Iraqi Freedom : le rôle des soldats invidivuels dans la perception du conflit au sein de l'opinion publique. Les chiffres annoncés montrent en effet une différence significative :

A solid majority of those who did not know anyone in Iraq said they thought the war was a mistake, 61 percent, compared to 36 percent who thought it was the right decision. Those who had a relative or friend there were almost evenly split, 49 percent right decision, 47 percent mistake.
After Ted Chittum of Bourbon, Ind., had a chance to talk at length with his cousin who served in Iraq, he said he got a different picture of what was going on in the country.
"He talked about all the good things that are going on," said Chittum, a school superintendent and a political independent who supports the war effort. "Schools are opening up. The people are friendly, wanting our help. You get a whole different spin from what you get on television."
Those who know someone serving in Iraq were more likely to approve of the Bush administration's conduct of the war _ 44 percent, compared to 37 percent overall.
"From most of the information I get, the people over there fighting basically are proud to be there and feel they're doing something good," said Sally Dowling, a bank employee from Mesa, Ariz., who said her boss's son is serving in Iraq. "That brings it home more than if I didn't know anybody."
[...]
Overall attitudes about the war _ while negative _ haven't changed dramatically through the summer. A solid majority, 60 percent, want U.S. troops to stick it out until Iraq is stable.

Le phénomène en jeu est le suivant : avec la disponibilité des connexions Internet, des appareils photo numériques et des téléphones cellulaires, il est désormais possible aux soldats déployés sur un théâtre d'opérations lointain comme l'Irak de maintenir le contact avec leurs proches et de leur faire parvenir des informations sur ce qu'ils vivent, font, voient et entendent par la voix, par l'écrit (e-mail, blogs) et par l'image. Le sociologue américain Charles Moskos a montré en 2004 qu'un tiers des soldats US déployés en Irak utilisent l'Internet une fois par jour, et un autre tiers une fois par semaine ; compte tenu de l'amélioration des conditions de logement au fil des rotations, ces chiffres sont probablement plus grands aujourd'hui. Avec pour conséquence un flux d'informations constant qui touche de façon inégale la population américaine.

J'aime à représenter cette libéralisation de l'information en conflit comme une sorte de main invisible qui vient corriger les déséquilibres dus à la focalisation économique et idéologique des médias traditionnels. Les soldats déployés en Irak ont une perspective souvent réduite et se contentent d'expliquer ce dont ils sont témoins ou acteurs. Mais la crédibilité de leurs récits pour leurs proches, et pour les proches de leurs proches (les e-mails en chaîne sont légion), est bien supérieure à celle des porte-paroles gouvernementaux ou à celle des journalistes professionnels. Et cette multiplication d'inputs positifs sur la situation en Irak, avec une perspective inaccessible au grand public (à l'exception des internautes connaissant Chrenkoff), explique en grande partie la différence d'opinion indiquée par le sondage.

Il convient naturellement de relativiser ce dernier : les proches des militaires déployés ont également plus de chances d'être républicains et pro-Bush que ceux ne connaissant personne en Irak. Malgré cela, le phénomène me paraît ici de première importance dans la guerre du sens, dans la lutte pour le soutien des opinions publiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h26 | Comments (15) | TrackBack

26 août 2005

La constitution irakienne

Le texte de la constitution irakienne a fait l'objet de nombreux commentaires, laudateurs ou critiques, dans la presse occidentale. Même si ce document n'a toujours pas été adopté, j'ai trouvé pertinente aujourd'hui l'analyse qu'en fait Amir Taheri sous l'angle de la "colère des sunnites" et de la "dérive islamiste". Extrait :

THE Iraqi draft is not ideal. It won't turn Iraq into the Switzerland of the Middle East overnight. It includes articles that one could not accept without holding one's nose. But the fact remains that this is still the most democratic constitution offered to any Muslim nation so far.
And the people of Iraq have the chance to reject it if they feel it doesn't reflect their wishes. That, too, is a chance that few Muslim nations have enjoyed.

Une vision qui permet de dépasser en grande partie les a priori occidentaux et mieux mesurer les innovations que véhicule ce texte.

COMPLEMENT I (26.8 2015) : J'avais subtilement oublié le lien vers l'analyse en question, parue dans le New York Post... merci à al pour me l'avoir signalé! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 13h10 | Comments (15) | TrackBack

20 août 2005

Armée et extrême-droite

Un événement rare est survenu cette semaine : le licenciement administratif de 4 militaires, 2 sous-officiers et 2 recrues de l'école de grenadiers 4, pour un délit d'opinion, en l'occurrence une suspicion d'extrémisme de droite. Etant au Tessin cette semaine, j'en ai entendu parler à plusieurs reprises, et ce cas mérite un brin de réflexion. Même si le licenciement administratif est une méthode parfaitement légale pour régler promptement des problèmes qui ne peuvent immédiatement être traités par une enquête disciplinaire, le fait de punir des jeunes hommes pour ce qu'ils pensent est assez discutable. Surtout lorsque des opposants à l'armée ayant des idées d'extrême-gauche ne sont pas inquiétés dans les rangs.

Il va de soi que tout extrémisme politique n'a aucune place dans une armée nationale, qui plus est une armée citoyenne. L'institution militaire est un outil au service du pouvoir politique et de la population, et non un espace autorisant la diffusion d'idées contraires aux valeurs prônées par les règlements de l'armée. Ceci étant, il existe tout de même un malaise à se dire que des soldats puissent être sanctionnés pour leurs idées, pour autant naturellement que leurs actes n'aient jamais visé à appliquer ou à diffuser celles-ci. Ainsi, la lutte contre l'extrême-droite menée depuis des années au sein de l'armée ne fait pas partie d'une démarche d'ensemble visant à éduquer les jeunes gens et à combattre les idées inacceptables. Voilà qui me laisse un brin songeur...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h41 | Comments (18) | TrackBack

14 août 2005

Armée : un blocage total

On peut lire aujourd'hui dans Le Matin une attaque en règle contre le programme d'armement 2005, avec un caractère systématique et méprisant que les investissements prévus l'an passé n'avaient même pas connus. A en croire l'auteur de ces textes, Michel Jeanneret, tout ce que l'armée prévoit d'acheter est inutile, luxueux, dépassé, trop cher, voire carrément scandaleux. Hélicoptères, simulateurs de combat, ambulances blindées, cuisines de troupe, radios : rien n'échappe au jeu de massacre. Les militaires sont des enfants trop gâtés et incompétents, point final.

Bien entendu, de telles considérations ne sont qu'une caricature des débats qui ont actuellement lieu au niveau politique sur la question du programme d'armement 2005. L'ironie et la férocité des mots ne cachent pas l'absence de vue d'ensemble, comme par exemple une comparaison avec l'emploi des acquisitions projetées dans d'autres armées européennes. Plus grave, l'auteur revient encore et toujours sur la nécessité d'un grand débat à effet suspensif, 2 ans après le vote populaire sur l'Armée XXI et quelques mois seulement après l'annonce par le Conseil fédéral de l'évolution de cette même armée jusqu'à la fin de la décennie. Faut-il vraiment bloquer toute la machine le temps de se mettre d'accord sur la menace à l'horizon 2020, si tant est que cela soit possible?

Le point vraiment dangereux, aujourd'hui, c'est que la contestation des investissements militaires prend un caractère obsessionnel et idéologique. Le pragmatisme consistant à prendre en compte l'incertitude de l'avenir et à lui opposer des réponses flexibles et graduées disparaît devant les convictions politiques des uns et des autres. L'arrogance stupéfiante d'un Jeanneret, qui se permet de juger des acquisitions malgré des connaissances superficielles et incertaines, montre aussi que l'armée est une institution contestée dans sa compétence et dans son indépendance, avec à sa tête comme dans ses rangs une bande de traîneurs de sabres incapables d'appréhender le monde de notre époque. Comme si des appels bien faciles au débat pouvaient être mis sur le même plan que des planifications à long terme.

Tout cela annonce un avenir difficile, et un blocage total au niveau politique sur les investissements militaires. La seule solution pour l'armée sera peut-être le maintien et le développement de compétences de niche, axée sur des éléments professionnels et/ou spécialisés, afin d'avoir des fers de lance qui, lorsque les militaires seront à nouveau reconnus, pourront être la base d'une refondation de l'outil stratégique qu'elle continue pourtant de constituer.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h15 | Comments (52) | TrackBack

11 août 2005

La sélection du GIGN

Hier soir, j'ai regardé sur France 3 une édition de « Des racines et des ailes » consacrée à la sélection pour l'entrée du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale. Le reportage, long de 2 heures, a ainsi décrit les activités de plusieurs officiers et sous-officiers gendarmes, dont une partie n'a pas franchi les épreuves de la sélection d'une semaine, et dont le reste a durement subi le pré-stage de 8 semaines, qui est également une période probatoire. Les équipes de France 3 ont ainsi replacé 5 hommes dans leur contexte professionnel et familial avant de suivre leurs heurs et malheurs à Satory ou dans d'autres base utilisées par le GIGN. A part des séquences de tir au pistolet à une main assez curieuses, le reportage n'a pas montré d'épreuve fondamentalement inhabituelle lors d'une sélection en vue d'intégrer une unité spéciale.

Ce type de reportage s'est multiplié ces dernières années, et constitue bien évidemment une publicité de premier ordre pour les formations ainsi médiatisées. L'émission n'a ainsi manqué de commencer par des images de l'assaut effectué en 1994 sur l'aéroport de Marignane, lorsque le GIGN a libéré les passagers d'un Airbus détourné par des terroristes islamistes algériens, et de rappeler un bilan de 30 ans qui comprend plus de 1000 opérations, 600 otages libérés et 750 personnes arrêtées, mais aussi 8 gendarmes morts en action ou à l'exercice. L'image donnée par les instructeurs de la sélection, que ce soit des cadres ouvertement présentés ou des membres de l'unité dont l'identité est protégée, a également fourni assez d'exemples de professionnalisme humain et de pression didactique pour être un élément positif. Les officiers du GIGN ont d'ailleurs veillé à être présentés sous un jour particulièrement favorable, à commencer par le commandant de l'unité!

Pour ma part, j'ai été assez surpris de constater le nombre élevé de noms de famille prononcés durant le reportage, ne pouvant croire que tous appartiennent à des hommes finalement recalés. L'émission n'a pas suivi jusqu'au bout la sélection les candidats, de manière à laisser planer un doute profitable à la protection de la sphère privée des gendarmes, mais une telle quantité d'informations reste étonnante. En partant du principe que le GIGN a maîtrisé le suivi de la production, on peut en conclure que la volonté d'humaniser l'unité et ses futurs membres constituait l'une des priorités de leur démarche. Car les forces spéciales qui acceptent la présence d'une caméra lors de leurs activités, même de sélection, recherchent un objectif de publicité et d'image qui justifie la prise de certains risques ; on l'a encore vu en décembre dernier, en Suisse, lors de la diffusion d'un Temps présent sur l'armée qui intégrait une séquence sur le détachement de reconnaissance d'armée 10.

Ce type d'émission permet aussi d'ébrécher les mythes qui entourent les forces non conventionnelles, et qui souvent brouillent leur vocation d'outil stratégique au service du gouvernement ou du commandement de l'armée. La faculté d'exécuter avec une préparation minimale des opérations complexes et risquées, de façon rapide et précise, repose en effet sur un ensemble de facteurs humains, organisationnels, matériels et doctrinaux qui n'ont rien d'exceptionnel, mais qui sont soigneusement étudiés et développés. Un travail de fond incessant qui explique ensuite le niveau de performance atteint.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h12 | Comments (9) | TrackBack

9 août 2005

Face à l'ennemi intérieur

Les services de renseignement britanniques se demandent s'ils sont confrontés à une insurrection ou à du terrorisme, et ils penchent plutôt pour la première hypothèse, d'après cet article paru avant-hier dans l'Independent. Le MI5 affirme également que 10'000 jeunes hommes de confession musulmane venus de régions en guerre, comme la Corne de l'Afrique et l'Asie centrale, possèdent une instruction de base aux armes légères et aux explosifs militaires, sur un total estimé à 100'000 hommes capables d'employer ces armes. De l'autre côté de la Manche, un rapport des Renseignements généraux estime que plusieurs centaines d'islamistes radicaux se dissimulent dans la communauté pakistanaise en France, forte de 35'000 à 40'000 personnes. Un véritable basculement des perceptions est intervenu avec les différents attentats de Londres, et les médias abordent aujourd'hui ouvertement ce qu'il convient d'appeler l'ennemi intérieur.

L'avènement ou non d'une intifada européenne dépend bien entendu de conditions matérielles à réunir en termes d'effectifs et d'équipements, et de tels rapports contribuent à rendre plus crédible l'idée d'une insurrection. Les mesures prises pour faire face à la menace du terrorisme islamiste peuvent d'ailleurs aussi rendre plus probable le déclenchement un tel mouvement de violence armée. Le plus intéressant reste cependant cette perspective d'une sorte de cinquième colonne islamiste en Europe, de nombreux ennemis déjà en place et n'attendant que le signal convenu pour entrer en action, sous forme de cellules dormantes et dans le cadre de réseaux qui séparent clairement les fonctions (opérations, recrutement / endoctrinement, finances, etc.). Interpréter les dires du MI5 en affirmant que l'équivalent d'une division de terroristes islamistes potentiels se trouve déjà en Grande-Bretagne serait une manière percutante de souligner l'ampleur de la menace.

Mais une telle perspective est à mon sens aussi fausse que dangereuse : évaluer une menace sur la base de la religion, de l'origine ou de la formation aux armes ne peut mener qu'à des généralisations qui renforcent la fragmentation des sociétés et la montée aux extrêmes. Les véritables ennemis des démocraties libérales sont les tenants d'idées absolues et non leurs suivants incertains, les leaders de mouvances sectaires et non ceux qu'elles attirent, les intégristes de tous bords et non ceux que leur discours séduit. Les expulsions récentes de prêcheurs islamistes en France montrent que les nations européennes commencent à prendre au sérieux l'effet de cet endoctrinement, même si leurs mesures sont sans doute trop limitées et trop tardives. Malgré cela, la source de l'ennemi intérieur contemporain demeure cet irrédentisme idéologique qui amène des hommes à croire que la Vérité existe, et que ceux qui en doutent ou qui la refusent sont leurs ennemis.

Si ce diagnostic - fruit de plusieurs discussions avec un partenaire intellectuel qui se reconnaîtra! - est exact, comment mener le combat ? L'antidote au fanatisme reste le doute, l'esprit critique, l'indépendance individuelle, la maturité citoyenne. Puisque l'esprit est une arme, alors l'éducation doit jouer le rôle d'arsenal et préparer les êtres à remettre en question les absolus exclusifs, les axiomes intouchables, les icônes sanctifiées (en plus, les vaches sacrées font les meilleurs hamburgers, c'est bien connu !). Un modèle, un concept ou un sens ne doivent être considérés comme justes et valables que jusqu'à preuve du contraire, dans la droite ligne du rationalisme scientifique et empirique. Je ne doute pas qu'il s'agisse d'une vaste entreprise, puisqu'il est plus facile de croire que de douter, de révérer l'inchangé que d'accepter le changement, de sanctifier le passé que d'appréhender l'avenir. La radicalisation à peine dissimulée des esprits est cependant une menace trop grave pour être jugée impossible à contrer.

Et c'est en essayant de le faire que l'on mesurera combien l'ennemi intérieur n'est pas seulement issu d'une religion donnée, mais bien de la fracture entre croyants et mécréants que suppose tout sectarisme. Dans ces conditions, les estimations sur le nombre d'islamistes dits radicaux sur le sol de chaque pays sont bien moins importantes que les actions menées pour combattre le chancre idéologique responsable de leur multiplication.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h42 | Comments (16) | TrackBack

31 juillet 2005

La fabrique à monstres (2)

Saisissant reportage que celui publié aujourd'hui par le San Francisco Chronicle sur les camps d'été du Hamas dans la bande de Gaza. On saisit mieux à sa lecture tout le processus de conditionnement et d'endoctrinement qui aboutit à transformer la jeunesse palestinienne en force combattante fanatisée - ce que j'ai nommé ailleurs la fabrique à monstres. Quelques aperçus sont plutôt révélateurs :

"In this camp we learn the important things of life -- good behavior, respect," said Osama, who was spending the summer at a Hamas-run camp on the beach outside Gaza City.
They also learn how to sing "intifada songs," including one urging them to "kill Zionists wherever they are, in the name of God."
[...]
"If Hamas won't watch them, who would keep them busy during the summer break?" asked Ibrahim Salah, an accountant who is also head of Hamas' education department. "When they're in the hands of Hamas, they're in good hands."
At Hamas camp, every camper gets a crisp green baseball cap. Camp officials said they have already given out 12,000 caps this year in 60 Gaza summer camps, out of 100,000 caps they ordered from a Chinese company.
[...]
At one beach camp, attended by approximately 100 kids, an instructor wore a heavy flannel shirt under which a webbed belt could be seen strapped to his stomach. Asked by a reporter what it was, he answered, with a broad smile, "Boom!"
The instructor led a group of young teenagers through marching drills on the sand -- facing movements, close quarter drill. With a smile at the reporter, he put a megaphone to his lips.
[...]
As the instructor, Sa'eb Dormush, stepped aside for an interview, a youth in the group shouted out "moqawama!" -- resistance.
"That is the first word they learn when they are born," Dormush said with a laugh. "This is the next generation."

Les fabriques du Hamas tournent donc à plein régime, et leurs responsables ne dissimulent même pas leurs intentions. Combien de ces jeunes gens finiront en charpie après avoir fait exploser leur ceinture, ou seront transpercés de balles par les soldats israéliens qui auront identifié la menace? Est-il possible de ramener à la raison des individus qui subissent un lavage de cerveau permanent depuis leur plus jeune âge? En même temps, comment ne pas voir que la dégradation économique des territoires palestiniens favorise puissamment les programmes "sociaux" du Hamas, dont les attaques terroristes aboutissent précisément à cette dégradation. Le conflit israélo-palestinien n'est pas près de s'achever...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h51 | Comments (17) | TrackBack

28 juillet 2005

Une nomadisation planétaire

Le Matin souligne aujourd'hui un phénomène intéressant : les touristes suisses ne boudent pas les destinations à risque, comme la Turquie et l'Egypte, et les seules annulations constatées - un tiers des réservations chez Kuoni - ne concernent par exemple que Charm el-Cheikh, et pas d'autres stations sur la Mer Rouge. On pourrait donc de prime abord conclure à une sorte de résilience touristique, à une acceptation des risques inhérents aux séjours dans des contrées déjà touchées par la lutte planétaire qui sous-tend l'emploi du terrorisme. Voire même à une volonté de ne pas changer ses plans en raison du sang versé par des fous de Dieu.

Même si le terme de psychose est très certainement exagéré, et rappelle à quel point les médias tendent au ridicule par l'effet grossissant de leur loupe, cet article du Figaro montre cependant que l'atmosphère semble différente en Italie. Or 6 vacanciers italiens ont été tués dans les attentats et 34 blessés, alors qu'aucun des 800 à 1000 citoyens suisses présents à Charm El-Cheikh ne l'a été. On peut donc penser que l'absence de perte parmi leurs concitoyens explique l'inquiétude limitée des Suisses, peut-être encore renforcée par les conseils du Gouvernement. Après tout, le nombre de touristes suisses à se rendre en Egypte avait été divisé par trois l'année suivant le massacre de Louxor.

En prolongeant ce raisonnement, il apparaît probable que l'identification aux victimes ne peut se faire sans des images fortes, sans des témoignages bouleversants de citoyens normaux. Les attentats en Egypte n'ont pas engendré suffisamment d'effets psychologiques pour exercer autre chose qu'une baisse ponctuelle et restreinte des arrivées. D'un autre côté, l'augmentation et le rapprochement des attentats réduisent l'importance géographique de la menace terroriste, et donc son caractère tangible. Est-ce que le fait de pouvoir frapper partout ou presque ne transforme pas le terrorisme d'une méthode de guerre impitoyable en un phénomène à la fois immanent et imminent, et donc susceptible de générer un certain fatalisme?

La perception du danger me paraît en train d'évoluer dans les esprits des citoyens occidentaux, avec la révélation progressive d'un ennemi intérieur, avec l'acceptation du caractère transnational et idéologique du terrorisme contemporain. Pourquoi ne pas prendre des vacances sur la Mer Rouge, si les islamikazes menacent de se faire exploser chez nous? A force de n'être en sécurité nulle part, ne vaut-il pas mieux compter sur le voyage pour échapper aux tueurs clandestins de notre temps? Et si l'abaissement du seuil traditionnel de la guerre provoquait une nomadisation généralisée, du moins pour ceux qui en ont les moyens?

A travers l'histoire des conflits armés, l'insuffisance des protections fixes a toujours amené une valorisation du mouvement. Il serait intéressant de constater un phénomène similaire dans le comportement des individus...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h40 | Comments (5) | TrackBack

18 juillet 2005

Le journalisme en Irak

Le Temps a publié ce matin un interview d'Andrew Marshall, qui a été chef du bureau de Reuters à Bagdad et qui décrit les conditions de travail sur place. Ses réponses méritent d'être lues en détail. Extraits :

Nos bureaux étaient dans la même rue que ceux de la BBC, du New York Times et de l'ambassade de France. Nous avons d'abord fermé la rue au trafic. Puis installé quatre gardes armés de AK 47. Leur nombre est passé à huit. Aujourd'hui, ils sont vingt-six à se relayer pour notre seul bâtiment. Chaque organisation a sa petite armée, ce qui est une bonne chose.
[...]
Début 2004, notre hôtel Sheraton a été touché par des missiles. J'ai pris la décision de faire déménager nos équipes dans la rue de nos bureaux. Après en avoir parlé avec les Irakiens qui habitaient là , je me suis résolu à faire construire des murs anti-attentat devant le bâtiment. Je redoutais ce moment. C'était le début d'une vie percluse.
[...]
Notre collaboration avec des journalistes irakiens s'est intensifiée. [...] [Leur motivation est l]a même que celle de journalistes ailleurs dans le monde: faire savoir ce qui se passe dans leur pays. Depuis avril 2003, quatre employés de Reuters ont été tués: un Ukrainien, un Palestinien et deux Irakiens. Plusieurs ont été gravement blessés. Certains ont été détenus par l'armée américaine dans des conditions que l'on peut rapprocher de celles d'Abou Ghraib. Ils prennent des risques immenses pour témoigner.
[...]
Le gouvernement est toujours en train d'apprendre dans une sorte d'enthousiasme. Au contraire de l'armée américaine, il n'a pas atteint un niveau dans sa communication où il essaie d'influencer ses interlocuteurs. J'ai vite compris que l'armée américaine n'était pas une source fiable, que ses communiqués étaient unilatéraux.
[...]
La seule manière de continuer à y travailler est de partager les frais et de collaborer. C'est ce qu'il se passe à l'hôtel Hamera où des journalistes ont établi un réseau radio où ils partagent leurs informations relatives à la sécurité. Mais être en Irak est une question de crédibilité; vous devez y avoir séjourné pour en parler.

De la part d'une agence de presse comme Reuters, ces propos me semblent hautement intéressants. En premier lieu, il faut effectivement souligner les dangers liés au fait de travailler aujourd'hui comme journaliste en Irak et le courage de ceux qui font leur métier dans ces conditions. Malgré cela, il faut constater que le syndrome du reporter en chambre est plus répandu que prévu, et que les informations diffusées par Reuters sur l'Irak sont produites dans des conditions douteuses. Les louanges faits aux journalistes irakiens engagés par l'agence, et qui seuls disposent a priori d'une certaine liberté de mouvement, masquent les problèmes d'infiltration de ces journalistes par la guérilla, de pressions sur leurs familles et de collusions dans la préparation d'attaques. Reuters ne peut en aucun cas garantir à 100% ce qu'elle distribue.

La position exprimée par rapport aux communiqués des forces armées US en Irak est également saisissante. Comment peut-on attendre d'une armée qu'elle fasse autre chose qu'une communication unilatérale, qu'elle renonce à diffuser uniquement son point de vue? Que le chef de Reuters juge non fiable ces informations est une chose, mais qu'il justifie son opinion par la volonté d'influencer propre à toute communication n'est pas soutenable. Déconsidérer les informations des militaires américains sur la base des intentions qui les sous-tendent et non de leur contenu n'est pas du journalisme. C'est pourtant ce que fait Reuters, en ignorant superbement les communiqués de la coalition en Irak, à l'exception notable des pertes annoncées et des attaques subies. Qu'il s'agisse là d'une opposition délibérée est hautement probable.

Ce point est d'autant plus important que Reuters est devenu en Irak un acteur à part entière du conflit, avec ses propres éléments de sécurité, avec ses réseaux et ses activités, avec ses objectifs qui mêlent les intérêts économiques (être en Irak pour rendre "crédibles" les produits) et les inclinations politiques (parler de "nationalistes irakiens" qui "se battent pour la libération de leur pays" est vraiment biaisé). En d'autres termes, le journalisme d'agence en Irak aujourd'hui est probablement devenu une machine à produire des rentrées financières et de l'influence sémantique, une activité qui ne se limite pas à couvrir le conflit, mais qui vise bel et bien à orienter son issue en fonction de préférences presque ouvertement affichées. Il est dès lors plus facile de comprendre pourquoi la fiabilité des produits n'est pas un problème majeur : qu'ils répondent aux objectifs fixés reste le plus important.

Ce jugement peut paraître dur, mais il me semble surtout alarmant. Si les agences ne sont plus objectives lorsque l'immense majorité des médias grand public dépendent d'elles, comment peut-on encore avoir confiance dans ce que l'on lit, entend et voit au quotidien? Le sabordage de toute une partie des médias se poursuit inexorablement...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h27 | Comments (38) | TrackBack

16 juillet 2005

Le site de l'ESISC

Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, je conseille de visiter régulièrement le site de l'European Strategic Intelligence & Security Center (ESISC), qui fournit des analyses et des résumés de l'actualité, notamment sur la menace terroriste. On relèvera notamment que les prévisions de Claude Moniquet, président de l'ESISC, ont été largement confirmées par les faits - et notamment par les attentats de Londres. Une source d'information qu'il est donc judicieux de suivre.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h36 | Comments (4) | TrackBack

15 juillet 2005

Le déclin de l'islamisme

Une enquête d'opinion menée notamment avec 6200 personnes dans 6 pays musulmans différents confirme le basculement des perceptions qui est apparu ces derniers mois : la popularité de la mouvance islamiste a fortement baissé, tout comme l'approbation des attentats-suicides (même en Irak), alors que l'attrait des valeurs démocratiques a clairement augmenté. Ces chiffres, qui semblent s'appuyer sur une méthodologie fiable, indiquent ainsi des tendances qui revêtent une importance cruciale dans la guerre des idées propre à notre temps :

The results, which also reveal widespread support for democracy, show how profoundly opinions have changed in parts of the Muslim world since Pew took similar surveys in recent years. The poll attributed the difference in attitudes toward extremism to both the terrorist attacks in Muslim nations and the passage of time since the U.S. invasion of Iraq.
[!]
The new poll also found that growing majorities or pluralities of Muslims now say that democracy can work in their countries and is not just a Western ideology. Support for democracy was in the 80 percent range in Indonesia, Jordan, Lebanon and Morocco. It was selected by 43 percent in Pakistan and 48 percent in Turkey -- the largest blocks of respondents in both countries because significant numbers were unsure.
"They are not just paying lip service. They are saying they specifically want a fair judiciary, freedom of expression and more than one party in elections. It wasn't just a vague concept," Kohut said. "U.S. and Western ideas about democracy have been globalized and are in the Muslim world."

Ces lignes rappellent que le terrorisme reste une méthode contre-productive dès lors qu'on l'emploie de manière indifférenciée : les nombreux attentats commis dans le monde arabo-musulman, y compris les massacres quotidiens que subit la population irakienne, expliquent en grande partie la chute de popularité des islamistes, dont l'image d'opposants courageux à la superpuissance américaine s'est transformée au fur et à mesure qu'ils se sont mis à menacer l'existence des citoyens musulmans. Le fanatisme des intégristes s'avère ainsi leur plus grande force, puisqu'elle leur donne une volonté presque indomptable, mais aussi leur plus grande faiblesse, puisqu'elle les empêche de conquérir les cœurs et les esprits. A la brutale consternation de Ben Laden et consorts, la grande majorité des musulmans ne veut pas entendre parler d'un califat rénové, régi par l'interprétation la plus rigoureuse des textes coraniques. Ils aiment bien trop la vie pour accepter ce fantasme moyen-âgeux.

Mais cette enquête montre également le succès de la stratégie américaine visant à répandre les valeurs démocratiques, et l'aveuglement de ceux qui - en Europe ou ailleurs - ont juré à l'impossibilité d'une telle entreprise. Le fait que l'image des Etats-Unis reste défavorable ne les empêche pas de poursuivre efficacement la démocratisation et la modernisation du monde arabo-musulman, et donc la marginalisation de l'islamisme. Bien entendu, les résultats de cette enquête doivent être confirmés, et il serait erroné d'en tirer des conclusions définitives ; ceci étant, de tels indices montrent clairement que la guerre des idées tourne à l'avantage des démocraties, et que l'opération militaire de la coalition en l'Irak contribue à cela. Une perspective qui tarde toujours à faire son apparition dans les reflets et commentaires de nombreux médias sur notre continent!

Posted by Ludovic Monnerat at 10h19 | Comments (14) | TrackBack

13 juillet 2005

Alerte média : RSR (2)

Le billet écrit ce matin sur l'hypothèse de l'intifada européenne a suscité l'intérêt de la Radio Suisse Romande - La Première, puisque Fathi Derder l'a lu et m'a invité demain matin pour l'émission Radio Public. Ceux qui s'intéressent à ce thème pourront donc m'entendre me débattre avec les questions des auditeurs des 0745, sur les ondes ou via le site de la chaîne. Et pour les larves (elles se reconnaîtront) qui ne seront pas éveillées à cette heure, je mettrai le lien vers l'émission dans le courant de la journée!

COMPLEMENT I (14.7 1030) : Chose promise, chose due! Voici comme convenu le lien vers la page de la RSR à partir de laquelle on peut écouter l'émission.

COMPLEMENT II (15.7 2045) : Comme cela m'a été demandé, voici le lien pour l'information selon laquelle la planification des attentats de Madrid a commencé en octobre 2000 - et que ceux-ci ne sont pas liés à l'Irak (avant-dernier paragraphe). Je juge l'article suffisamment documenté et fondé pour qu'il soit crédible ; les interrogatoires rendus publics en Italie par d'autres sources ont confirmé une partie des dires. Enfin, on notera que, dans le texte, Jean-Louis Bruguière annonce que Londres est la principale cible...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h51 | Comments (19) | TrackBack

11 juillet 2005

Une douceur toute nasale

Le magazine Via des Chemins de Fer Fédéraux a décidé de consacrer son dernier numéro à la Romandie - une idée a priori louable. La couverture de l'édition alémanique porte ainsi le titre « Der milde Westen », traduit par « La douce Romandie » en français. Pourquoi pas ? Cette notion de douceur latine semble un peu tirée des préjugés d'outre-Sarine, mais c'est une manière comme une autre de lancer le sujet. Reste à trouver l'image de couverture. Comment illustrer cette douce Romandie ? Par un aperçu du vignoble romand, par une perspective des Trois Lacs, par une image du château de Chillon ? Par le jet de Genève, par le port d'Ouchy, par les collines de Tourbillon, par une fondue à la crème dans une vallée jurassienne ? Par les vergers de l'Ajoie, par les fromageries de Gruyère, par le soleil du Valais, par les féras du Léman ? Que nenni : par un portrait presque grandeur nature de Pascal Couchepin.

Bon, à titre personnel, je n'ai aucune animosité particulière contre le conseiller fédéral Couchepin. Je ris comme une baleine en entendant - et en voyant - Yann Lambiel l'imiter avec le talent inouï qui est le sien, et j'accueille au cas par cas ses coups de gueules et ses initiatives politiques, lesquels parfois se confondent, mais le personnage en lui-même ne me rebute pas. Je lui trouve plutôt un côté sympathique, car je n'aime pas ces conseillers fédéraux tellement gris qu'ils se confondent aux murs qu'ils rasent à longueur de journée. Non, je n'ai rien contre Pascal Couchepin. Je reste d'ailleurs toujours impressionné par le volume de son appendice nasal, qu'un caricaturiste d'exception comme Bürki parvient à magnifier jusqu'au sublime. Mais franchement, choisir son faciès souverain pour illustrer une supposée douceur romande, c'est vraiment prendre le voyageur pour un demeuré profond, pour un intermittent du neurone, pour un pauvre crétin des Alpes !

Une indignation à prendre avec une bonne dose d'ironie... :)

Posted by Ludovic Monnerat at 21h53 | Comments (8) | TrackBack

9 juillet 2005

Alerte à la folie furieuse (6)

Au lendemain des attentats de Londres, je me demandais quel éditorialiste allait remporter la palme de l'apaisement dégoulinant, en rendant Bush et Blair responsables des attaques au lieu des terroristes, et en soulignant notre inévitable culpabilité. Sans grande surprise, la palme revient au quotidien vaudois 24 Heures et à son rédacteur en chef Jacques Poget, dont l'éditorial intitulé « Attentats de Londres: briser l'engrenage » a parfaitement résumé la vision stupéfiante (le lien n'est plus disponible).

D'emblée, Poget nous rappelle que le ciel nous tombe sur la tête, que rien ne va sur cette terre et nous sommes voués à une issue funeste :

Après l'indignation et la condamnation, totale et solennelle, des attentats de Londres, et l'admiration pour la force d'âme des Britanniques, comment penser l'avenir? Déclenché contre le Sommet au cours duquel la fraction la plus riche de l'humanité cherche un début de solution à la tragédie africaine et à la catastrophe climatique, ce nouvel épisode de violence aveugle démontre l'absurdité de la guerre civile qui déchire l'espèce humaine.

Tragédie, catastrophe, absurdité : la fin du monde n'est pas loin. L'Apocalypse selon Saint Jacques ? Plutôt une nouvelle bouffée d'indignation consensuelle, bien moins complexe et risquée que l'action. On notera l'interprétation des attentats, « déclenchés contre le sommet » du G8, sans que rien ne permette d'affirmer cela (et certainement pas les revendications rendues publiques). Un altermondialiste sommeillerait-il au fond de chaque terroriste islamiste ? Notre fieffé militant ne dissimule pas son credo :

Que ces peuples aient bâti leur prospérité sur l'exploitation des autres, que leur croisade mondialisante transforme la planète en un simple marché à exploiter, qu'en riposte au 11 septembre 2001 leur «coalition» ait semé chaos et dévastation en Afghanistan et en Irak pour leur apporter la démocratie, cela explique peut-être, mais n'excuse nullement, la poursuite de la terreur.

L'idéologie gauchiste la plus brute et la plus vile : si nous sommes riches, c'est parce que nous avons volé les autres (notre travail, notre éducation et notre productivité n'ont strictement rien à voir, bien entendu), et les islamistes ne font finalement que militer un peu trop durement contre la « dictature des marchés » (une expression à laquelle 24 Heures est attaché, raison pour laquelle je la cite ici). Quant au chaos et à la dévastation de l'Afghanistan et de l'Irak, on se demande comment Poget fait pour ne pas voir les gigantesques efforts de construction et de modernisation entrepris par la communauté internationale dans ces contrées. Mais les croyants recherchent la Vérité suprême, pas la réalité :

Or cette logique de l'affrontement ne conduit qu'à l'autodestruction par une spirale de violence - sous toutes ses formes: brute comme à Londres, comme en Irak; rampante comme la famine et la paupérisation; sournoise comme la destruction des cultures contaminées par la civilisation Coca/jeux vidéo.

Louange au Grand Simplificateur : tout fait partie de la même spirale autodestructrice, de la même fin de monde inévitable ! Boire du Coca et jouer à Halo 2 - mon Dieu, quelle horreur ! - revient somme toute à poser des bombes à Londres ou à envahir l'Irak. Repentez-vous, mes frères et sœurs, repentez-vous : tous les maux de la planète sont de notre faute. Cessons de contaminer les autres cultures avec nos penchants coupables. Et cessons surtout de vouloir nous défendre contre ceux qui nous punissent justement :

Aujourd'hui, le réflexe des nations riches est forcément sécuritaire: mobiliser toutes les énergies pour éviter le prochain attentat, démanteler les réseaux menaçants. Engrenage de la terreur et de la répression évidemment sans issue. Qui peut le briser, sinon le plus fort? Soudés par la solidarité des victimes, les membres du G8 sauront-ils donner pourtant le seul signal salvateur, celui qui consiste, sans se laisser intimider, à intensifier malgré tout leurs efforts pour l'Afrique et pour l'environnement?

Toujours le même refrain : la violence ne fait que susciter la violence, et combattre le terrorisme ne mène qu'à davantage de terrorisme. Que le monde et l'histoire montrent l'inverse importe peu : il faut refuser de se battre, et donner toujours plus d'argent pour soulager notre conscience du crime inexpiable d'être civilisé, instruit et opulent. Nous sommes tous des salauds, et nous devons le payer. Repentez-vous, flagellez-vous, écoutez l'appel de Saint Jacques du Léman !

Il y faut beaucoup de force morale et de courage politique - ces valeurs qui devraient par définition être l'apanage non des terroristes mais des démocraties.

La boucle est bouclée, le sermon parachevé : les terroristes sont moins pires que nous. Il faut briser l'engrenage en baissant la garde, en renonçant aux mesures de sécurité, en tendant l'autre joue lorsque nous sommes frappés. Nous méritons d'être attaqués. Subissons donc la violence à notre endroit comme l'unique voie vers la rédemption, vers le pardon de nos péchés. Amen.


***


Blague à part, un discours comme celui de Jacques Poget - dont les accents peuvent être retrouvés aujourd'hui dans un autre éditorial tout droit issu de la rédaction de 24 Heures, sous la plume de Philippe Dumartheray - est représentatif de toute une frange des élites occidentales, qui nie totalement l'existence d'une guerre entre les démocraties libérales et le fascisme islamiste, tout comme son caractère irrémédiable. Ces tenants de l'apaisement sont toujours un effet secondaire de la stabilité, de la prospérité et de l'inertie que procure une société fonctionnelle et satisfaite. Comme l'a remarquablement montré Jean-Jacques Langendorf au début de son livre La Suisse dans les tempêtes du XXe siècle, les intellectuels frustrés de la révolution qu'ils espéraient ont toujours tendance à développer une haine farouche pour eux-mêmes, pour leur société, pour leur pays. Projeter cette pathologie par la plume est inévitable.

Mais je ne suis pas historien, et les conflits armés font partie de mes préoccupations - étant entendu qu'à mon sens ils éclatent lorsque des enjeux contraires ou contradictoires amènent des collectivités données à employer la force pour résoudre leur différend. La mission des armées consiste à protéger des gens comme Poget contre ceux qui pourraient attenter à leur vie en raison de leur nationalité, au pays mais aussi - dans certaines circonstances - à l'étranger. Les militaires sont donc des chiens de berger condamnés à protéger un véritable troupeau de pacifistes bêlants qui broutent sans vergogne l'herbe locale, et qui affirment que les loups ou les renards attaquent uniquement en raison de nos actions excessives - et non parce qu'ils ont faim et doivent manger pour survivre. Evidemment, lorsque les loups se mettent à égorger l'un des leurs, tous hurlent à l'insécurité et exigent instantanément ce qu'ils ont blamé des années durant. Bis repetita.

En définitive, le mélange d'angélisme, d'ethnomasochisme et de fanatisme que propagent Poget et ses acolytes est un danger pour la préservation de notre société démocratique et libre. Leurs envolées moralisatrices et irrationnelles rappellent les prédicateurs du temps passé : alors que les anciens interprétaient le passage d'une comète ou une pluie de météorites comme un châtiment divin, au lieu de connaître les principes de la physique, ces belles consciences interprètent aujourd'hui un attentat terroriste comme un châtiment céleste, au lieu de connaître les principes de la stratégie. Nous en sommes donc revenus à une forme de superstition, comme toujours fondée sur l'ignorance, les préjugés et les inclinations, qui se distingue de l'analyse raisonnée par l'absence de faits, de nuance et d'incertitude. Je me demande si la multiplication des informations disponibles et l'accélération des cycles de décision n'est pas une cause majeure de ce processus. Un monde trop complexe et trop dense pour être compris au jour le jour peut-il mener à l'obscurantisme ?

Ce mot n'est pas trop fort, car il est impossible de discuter l'opinion de Jacques Poget telle qu'il l'a exprimée hier : on y croit ou on n'y croit pas. Son journal tend de ce fait à s'adresser à des disciples, alors que toute information doit systématiquement être reçue avec l'incrédulité d'un Saint Thomas. La folie furieuse n'est pas très loin.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h52 | Comments (44) | TrackBack

8 juillet 2005

La lutte des symboles

Plusieurs commentaires dans les médias, ce matin, soulignent la portée symbolique des attentats commis hier à Londres, un jour après le choix du CIO, à l'ouverture du sommet du G8, dans une ville engagée dans la lutte contre le terrorisme islamiste (on venait d'apprendre quelques jours plus tôt que la Grande-Bretagne compte retirer une grande partie de ses troupes d'Irak pour les redéployer en Afghanistan). Mais de telles considérations ne sont que partiellement exactes : l'acte terroriste, c'est-à -dire l'attaque délibérée, meurtrière et clandestine de non combattants, est en lui-même un symbole susceptible de se superposer à d'autres pour les magnifier et les altérer, ou d'avoir en soi suffisamment de poids pour obtenir l'effet psychologique attendu. N'importe quelle ville, n'importe quel pays peut être frappé par un attentat : la mise en réseau de la planète à travers l'infosphère, et les médias qui en constituent la superstructure, réduisent l'importance de la localisation géographique. Toucher les cœurs, les âmes et les esprits passe par l'agression, le massacre ou l'amputation des corps, quels qu'ils soient, où qu'ils soient.

Les attentats terroristes produisent immanquablement des images tragiques et traumatisantes, focalisent nécessairement l'attention sur des individus blessés et ensanglantés qui, par leur anonymat et leur normalité, sont promus au rang de symboles collectifs. Le spectacle offert bien malgré elles par les victimes du terrorisme produit ce mélange de révolte et de compassion, de colère et de crainte, de détermination et d'abattement qui submerge les sociétés touchées. Il est vain de vouloir passer ces symboles sous silence, de regretter l'attrait parfois morbide et charognard des médias pour ces événements qui sans eux n'existeraient pas sous cette forme. On ne combat pas des symboles par la censure ou les œillères, mais par d'autres symboles, par des actes dont le sens explicite permet à chacun d'être acteur et non plus spectateur, d'agir au lieu de subir, d'être autre chose qu'une victime potentielle. Les différentes formes de liberté constituent les fondements de tels symboles, mais la plus importante reste celle de voter. En conférant à chaque citoyen un pouvoir théoriquement égal aux autres, et à la majorité d'entre eux le pouvoir d'influer l'essentiel de la vie publique et politique, la démocratie est ainsi l'arme ultime contre le fanatisme religieux ou idéologique. Surtout la démocratie directe.

Cette guerre ne cessera pas aussi longtemps que la démocratie n'aura pas triomphé des intégrismes spirituels et temporels qui s'y opposent. Et le bulletin de vote reste aujourd'hui le symbole le plus fort contre la coercition sanguinaire et barbare du terrorisme islamiste. Voilà à mon sens une perspective pour laquelle il vaut la peine de se battre.

COMPLEMENT I (8.7 2355) : Je me permets de citer l'un des commentaires ci-dessous de Stéphane, qui à mon sens prolonge et développe remarquablement les réflexions ci-dessus.

La recomposition du moyen-orient, bon gré mal gré et sous les effets du coup de pied américain dans la fourmilière musulmane peut permettre l'émergence de la laïcité à long terme. En installant la démocratie, les partis vont forcément finir par recouvrir autre chose que de simples divergences religieuses. Les imams continueront à dicter leurs intentions de vote, mais leur pouvoir s'amenuisera aussi vite que les religieux perdront leur mainmise sur l'école et que les jeunes seront avides de s'occidentaliser.
[...]
Il faut la prospérité au moyen-orient, pour les jeunes. La prospérité viendra avec la libre entreprise. La libre entreprise viendra avec un état non totalitaire. Un état non totalitaire arrivera avec les alternances démocratiques.
Et lorsque tout cela sera en place, le château de carte de l'islamisme s'effondrera. Il restera toujours des imams haineux (et plus nombreux dans nos propres banlieues que là -bas) mais ils prêcheront dans le désert. Avec l'éducation et la prospérité viennent de nouveaux horizons, et les appels stupides à la haine ne fonctionnent plus. Qui croirait aujourd'hui aux prêches d'un prêtre qui menace ses ouailles d'aller en enfer?

Posted by Ludovic Monnerat at 13h14 | Comments (12) | TrackBack

Alerte media : Le Matin

Le journaliste Sébastien Jost du Matin m'a appelé hier après-midi pour une interview qui a été publiée ce jour, bien entendu sur le sujet des attentats terroristes à Londres. Difficile de résumer un conflit générationnel et le sens d'un événement aussi dramatique en quelques mots, en évitant d'adopter un discours dogmatique et manichéen... En même temps, il est toujours assez frappant de constater que l'on m'appelle - sur mon portable, en plus - lorsque quelque chose ne va pas dans le monde. On pense à la sécurité lorsqu'elle est menacée. On pense à la protection lorsque l'on en a besoin. Et on oublie les menaces dès qu'elles ne se manifestent plus par les actes...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h20 | Comments (7) | TrackBack

6 juillet 2005

De Trafalgar à Waterloo

Comme les lecteurs de ce site le savent, il devient assez rare que je regarde la télévision. Pourtant, ce soir, j'ai choisi de regarder le journal de la Télévision Suisse Romande pour voir les images du choix de Londres pour l'organisation des Jeux de 2012. Le premier reportage a suffi à me faire éclater de rire : en montrant la foule britannique jubilant à Trafalgar Square, la TSR a en effet conclu en expliquant finement que l'endroit en question était nommé d'après le lieu où Wellington avait battu Napoléon ! L'amiral Nelson, qui est mort lors de cette bataille, a de quoi se retourner dans sa tombe...

On relèvera que l'histoire militaire ne semble pas vraiment digne d'intérêt pour certains journalistes. Même une bataille aussi célèbre que celle de Waterloo. Cette méprise somme toute comique est certes une preuve d'inculture, mais également un indice du niveau de méconnaissance de certains événements historiques parmi les professionnels de l'information. Si l'on y réfléchit sérieusement, ce devrait être un sujet d'inquiétude.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h34 | Comments (9) | TrackBack

26 juin 2005

Les reporters en chambre (2)

Un autre cas comparable à celui d'Anne-Sophie Le Mauff, cette journaliste française qui avouait sans sourciller faire "son boulot" à Bagdad en restant dans son hôtel, a été soulevé par les lecteurs du quotidien canadien Globe and Mail. Une journaliste canadienne en Israël a en effet décrit des choses totalement imaginaires sur la rencontre entre Ariel Sharon et Mahmoud Abbas, allant jusqu'à décrire des aspects polémiques sur le lieu du sommet en se trompant d'emplacement. La cause de ces erreurs a été rapidement dévoilée par le journal :

After outraged readers pointed out the error, the Globe and Mail issued a correction.
"Obviously, it's a very embarrassing error," said Guy Nicholson, the newspaper's interim foreign editor. "We asked her for some background about where the story location was. Unfortunately, she was not actually at the scene of it. She wrote it off of television and wires."
Dov Smith, executive director of HonestReporting Canada, which tracks Canadian media for anti-Israel bias, questioned how the reporter was able to describe participants in the meeting as "grim-faced" - a phrase that appeared in the article - if she wasn't actually there.

Rien ne permet de conclure à autre chose qu'un cas isolé et non représentatif. Le fait que les éléments ajoutés par la journaliste aient un caractère pro-palestinien peut également être dû au hasard. Malgré cela, ce type d'incident et sa révélation uniquement suite à des erreurs grossières laissent planer une suspicion malencontreuse sur le travail des reporters. Quand les rédactions vont-elles donc adopter des règles élémentaires de transparence et indiquer à leurs lecteurs dans quelles conditions leurs produits médiatiques ont-ils été réalisés? Il est probable que la diminution des ventes et des audiences devienne la principale incitation pour cette amélioration à la fois qualitative et morale.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h01 | Comments (19) | TrackBack

24 juin 2005

Un mois sans télévision

C'est le week-end dernier que je m'en suis rendu compte, en tombant nez-à -nez avec l'écran poussiéreux de mon poste : j'ai passé 4 semaines sans regarder la télévision. Ma chambre à l'école de l'OTAN était pourtant équipée d'un appareil apparemment confortable, mais le temps libre que j'y ai passé était largement consacré à la lecture et à mes activités en ligne - dont la rédaction de billets sur ce site ; pendant les jours qui ont suivi mon retour en Suisse, mes fonctions militaires m'ont plus directement détourné du petit écran, même si la chambre mise à ma disposition à Lucerne jeudi passé était également équipée (le logement dans les casernes commence vraiment à suivre des standards hôteliers !). Et pour être franc, l'effet de cette privation est très largement anecdotique, voire marginalement positif sur le plan de l'information. Ne pas se forcer à subir le journal télévisé pour simplement en appréhender la perspective, et souvent vérifier à quel point la réalité y est simplifiée, rognée ou biaisée, est en soi très appréciable.

La manière de consommer l'information est ainsi en évolution rapide. Si l'on considère les débuts de la télévision, on se rappelle que les Etats ont longtemps gardé le contrôle de ce véritable entonnoir à messages et à divertissements ; en France, l'ORTF était essentiellement la voix de son maître, et la diversification des chaînes n'a pas totalement supprimé leur dépendance vis-à -vis du pouvoir politique. Dans un petit coin de pays comme la Suisse romande, le monopole de la TSR s'est maintenu au-delà de la privatisation, largement pour des questions de masse critique au niveau du marché, mais le contrôle de son contenu informatif est entre les mains de ses journalistes. Le pouvoir de l'information, qui s'exprime surtout par le choix et le traitement des sujets, est donc détenu par une corporation s'adressant à un public captif. L'absence d'interactivité et l'arbitraire des décisions éditoriales restent inchangées. D'autres médias sont nécessaires.

La numérisation de l'information et l'interconnexion des ordinateurs change la donne. Une information digitalisée peut être facilement téléchargée, stockée, dupliquée, modifiée et redistribuée ; elle autorise une rupture dans la linéarité de la diffusion, facilite l'analyse détaillée et décentralisée des contenus, dévalue les données sans valeur ajoutée, favorise la recherche sur la base de critères libres, et permet au récepteur de rapidement se transformer en émetteur. En d'autres termes, plusieurs fonctions qui jusqu'ici restaient l'apanage des rédactions - chef d'édition, éditorialiste, reporter, archiviste, infographiste, etc. - ont été rendues accessibles, voire déléguées, au plus grand nombre. C'est pourquoi nous assistons depuis plusieurs années déjà à un transfert de pouvoir, illustré ponctuellement par certaines affaires célèbres (comme celle des mémos truqués de CBS), mais dont l'ampleur à terme reste certainement insoupçonnée.

Bien entendu, tout ceci prend du temps : ce n'est pas du jour au lendemain que les habitudes du public vont changer. Pourtant, je pense qu'en l'espace d'une génération la manière de consommer l'information aura radicalement évolué. Les individus qui aujourd'hui déjà constituent leur propre revue de presse sur Internet ne vont certainement pas revenir en arrière ; au contraire, les possibilités offertes par la technologie seront exploitées par les entreprises surfant sur la déferlante de l'innovation, et un effet d'entraînement va peu à peu généraliser les pratiques qui aujourd'hui sont l'apanage d'un petit nombre. La semaine dernière à Lucerne, l'un de mes camarades m'a par exemple affirmé qu'il s'informait de plus en plus par l'entremise des blogs, et non des médias traditionnels en ligne. Je pense que de tels comportements se multiplient inexorablement.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h32 | Comments (17) | TrackBack

23 juin 2005

Les reporters en chambre

Le mythe du grand reporter est bien ancré dans les rédactions : celui d'un homme ou d'une femme courageux, qui prend des risques pour révéler la vérité, et dont l'expérience individuelle ainsi que le statut professionnel garantissent la qualité des productions. Il n'est ainsi pas rare que le reportage "du terrain" soit placé sur un piédestal, tout spécialement lorsque le sujet est un conflit armé, et que la moindre contribution d'un journaliste sur place ait plus de valeur que tout le reste. Il est allé là -bas, il a vu, il a entendu ; il doit forcément dire la vérité, toute la vérité, il doit forcément tout comprendre ce dont il a été témoin. Je schématise un brin, mais pas davantage.

Evidemment, la réalité prend parfois des airs moins héroïques, voire franchement sordides, comme l'a rappelé hier presque incidemment Libération, dans un article consacré à l'expulsion d'Irak de la journaliste française Anne-Sophie Le Mauff :

La jeune femme, qui travaille comme pigiste pour plusieurs médias (l'Humanité, Sud-Ouest, Radio Monte-Carlo, Radio Vatican, Radio Canada, etc.), et qui est installée à Bagdad depuis quinze mois, était en larmes. «Je ne comprends pas cette décision, dit-elle. Je fais mon boulot, je suis prudente, je ne quitte pas mon hôtel.» Les agents du ministère de l'Intérieur irakien lui ont indiqué qu'elle recevrait aujourd'hui la notification officielle de son expulsion.

Lire ceci m'a littéralement estomaqué : on a beau avoir peu d'illusions sur les médias contemporains, la spontanéité ingénue d'un tel aveu a de quoi surprendre. Comment madame Le Mauff peut-elle bien faire son boulot en ne quittant pas son hôtel? Comment peut-elle garantir l'exactitude de ses sources si elle s'appuie sur des pigistes locaux? Comment ses employeurs peuvent-ils vérifier ses articles s'ils n'ont pas la moindre information sur leur origine? Et comment les lecteurs peuvent-ils se fier à des "reportages" dont la transparence n'est pas exactement la qualité principale? Même à l'ère de l'information spectacle, que de tels procédés soient avoués comme si de rien n'était demeure scandaleux.

Ce qui est piquant, c'est que les journalistes en tant que corporation semblent encore vivre et penser selon des schémas d'un autre temps :

Reporters sans frontières a aussitôt dénoncé cette expulsion qui constitue «une grave atteinte à la liberté de la presse».

Apparemment, la liberté de fabriquer des reportages depuis un hôtel et de dissimuler cette particularité toute anecdotique mérite donc d'être protégée avec ferveur. Un peu comme si le fait d'être journaliste suffisait à incarner la liberté de la presse, et pas le travail de fond qui l'accompagne...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h46 | Comments (7) | TrackBack

20 juin 2005

Les folies de Guantanamo

Mark Steyn est à mon sens le meilleur éditorialiste de notre époque. Il le prouve aujourd'hui encore avec une colonne décapante et percutante sur les dernières folies entourant le camp de Guantanamo, en l'occurrence l'analogie faite par un sénateur démocrate entre les soldats du camp et les SS des camps de concentration nazis, les gardes des goulags soviétiques ou les exécutants génocidaires de Pol Pot. Puisque faire écouter de la musique pop à des hommes combattant hors des lois de la guerre est assimilé par l'un des principaux législateurs américains au massacre par millions de prisonniers politiques, voilà qui augure des conséquences électorales plutôt funestes pour son parti :

Judging from the way he's dug himself in, Dick Durbin, the Number Two Democrat in the US Senate, genuinely believes Gitmo is analogous to Belsen, the gulags and the killing fields. But he crossed a line, from anti-Bush to anti-American, and most Americans have no interest in following him down that path.You can't claim (as Democrats do, incessantly) to "support our troops" and then dump them in the same category as the Nazis and the Khmer Rouge. In the hermetically sealed echo chamber between the Dem leadership, the mainstream US media, Hollywood, Ivy League "intellectuals" and European sophisticates, the gulag cracks are utterly unexceptional. But, for a political party that keeps losing elections because it has less and less appeal outside a few coastal enclaves, Durbin's remarks are devastating. The Democrats flopped in 2002 and 2004 because they were seen as incoherent on national security issues. Explicitly branding themselves as the "terrorists' rights" party is unlikely to improve their chances for 2006.

Lisez le tout. Vous ne le regretterez pas !

COMPLEMENT I (22.6 0930) : Six jours après ses déclarations initiales, le sénateur Durbin a finalement prononcé ses excuses et rétracté ses propos scandaleux. Voilà qui devrait contribuer à éclairer le débat, notamment du point de vue électoral...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h33 | Comments (24) | TrackBack

18 juin 2005

La chute d'Amnesty (2)

Les dérapages d'Amnesty International concernant le camp de prisonniers de Guantanamo continuent de poursuivre l'organisation. Le Washington Post a publié aujourd'hui une colonne de Pavel Litvinov, ancien prisonnier politique soviétique détenu au goulag, dans laquelle celui-ci révèle qu'Amnesty cherche désormais des rescapés des camps de travail communistes pour confirmer son analogie scandaleuse :

Several days ago I received a telephone call from an old friend who is a longtime Amnesty International staffer. He asked me whether I, as a former Soviet "prisoner of conscience" adopted by Amnesty, would support the statement by Amnesty's executive director, Irene Khan, that the Guantanamo Bay prison in Cuba is the "gulag of our time."
"Don't you think that there's an enormous difference?" I asked him.
"Sure," he said, "but after all, it attracts attention to the problem of Guantanamo detainees."

Il est donc désormais clair que la volonté de maximiser la couverture médiatique prime, aux yeux des dirigeants actuels d'Amnesty International, l'exactitude des faits et le respect des victimes. Litvinov appelle explicitement l'ONG à se séparer de leaders politiquement biaisés. Je pense pour ma part qu'une bonne partie de l'organisation souffre du même syndrome.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h34 | Comments (3) | TrackBack

De l'information spectacle

Le Figaro publie aujourd'hui un article fort intéressant sur la presse « people » française, et notamment sur la recherche des couvertures les plus susceptibles de favoriser les ventes. Les enjeux économiques, avec des tirages qui atteignent le million d'exemplaires pour Paris Match, sont bien entendu cruciaux. Mais c'est surtout l'influence de cette course à l'audience sur la fabrication de l'information, au-delà de la seule presse spécialisée, qui doit attirer notre attention :

Les vacances se rapprochant, les enchères auprès des agences photos pour les scoops de l'été ont commencé. Tom Cruise subitement amoureux de l'actrice américaine Kathie Holmes sera évidemment traqué. La photo qui prouvera que leur romance n'est qu'un coup marketing est déjà valorisée à 200 000 euros, ce qui correspond au montant versé pour le premier baiser de Dodi et de Diana. Chez Point de Vue, les téléobjectifs sont braqués sur Balmoral, le château écossais de la famille royale d'Angleterre. «Kate, l'amie du prince William va pour la première fois habiter sous le même toit que Charles et Camilla», explique la directrice de la rédaction, Colombe Pringle.
[!]
Les people étrangers sont aussi une valeur sûre. Pour Laurence Piau, rédactrice en chef de Closer, Brad Pitt et Angelina Jolie, «c'est du lourd». Il s'agit de deux stars internationales bien identifiées dont l'histoire épouse tous les cadres de la presse «people» : le rêve, le mystère, le scandale. «Britney Spears aussi assure de bonnes ventes autant sur les jeunes que sur les vieilles lectrices qui la considèrent comme leur fille», poursuit-elle.
[!]
Rares sont les éditeurs à dévoiler les arcanes de leurs cuisines. Chez Hachette Filipacchi Médias (Ici Paris, France Dimanche, Public, Choc), on ne partage pas ses secrets de fabrication. «C'est un sujet trop stratégique pour que nous puissions nous exprimer sur le sujet», explique son porte-parole.
La France ayant peu de grandes stars, les prix des photos flambent. Pire : la presse «people» n'a plus l'exclusivité des potins. Elle subit de plein fouet la concurrence des news comme Le Point et L'Express. «Nous assistons à une peoplisation de la société et des médias», analyse Jean-Paul Lubot, directeur délégué d'Emap France.

De ces quelques lignes, il est possible de tirer trois déductions à mon sens importantes. Premièrement, la presse « pipole » (zut, il faut bien essayer de franciser cela, non ?) sait exactement ce qui tente le plus ses lecteurs - « le rêve, le mystère, le scandale » - et elle s'efforce empiriquement de produire un contenu qui s'en approche au plus près. Deuxièmement, les histoires peuvent être construites à l'avance sur la base de ces attentes et les faits choisis pour venir les confirmer, avec une prime à la clef pour qui est en mesure de livrer ceux-ci. Troisièmement, la presse supposée sérieuse empiète de plus en plus sur ce terrain, et recourt de façon croissante aux mêmes techniques de l'information spectacle, notamment parce que la gratuité de l'information brute peut inciter à compenser les pertes par une focalisation sur les vedettes mystérieuses et scandaleuses (on se rappelle en Suisse de l'affaire Borer-Ringier).

La principale conséquence de tout cela (la méthode d'analyse énoncé-déduction-conséquence fait partie intégrante des méthodes militaires actuelles!) me semble claire : l'information devient un produit de consommation courante, conçu en fonction des attentes du public, et dont la fiabilité en chute libre est largement dissimulée par le renouvellement constant. A une époque où le service après-vente et la traçabilité des produits sont des gages de qualité jusque dans l'industrie agroalimentaire, l'information reste une denrée souvent fournie sans garantie et sans transparence. Le consommateur lésé n'a aucune possibilité d'obtenir réparation pour le paiement d'une information fausse. Dans ces conditions, il est logique - la technologie aidant - que nombreux soient ceux qui se lancent dans la production de contre-information, sans pour autant parvenir à créer un spectacle aussi attrayant.

A terme, la transformation des invididus en récepteurs et émetteurs de contenus médiatiques aura naturellement un impact profond. Dans l'immédiat, la circonspection et l'esprit critique sont de mise pour toute information dont la source n'est pas connue et reconnue...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h46 | Comments (2) | TrackBack

13 juin 2005

Sus au renseignement

L'attaque frontale et la critique acerbe des services de renseignements n'est pas spécialité suisse, mais mon pays semble les pratiquer avec entrain depuis de nombreuses années. On se rappelle qu'à l'été 1999, la présidente d'un parti gouvernemental - en l'occurrence le PS - avait tout bonnement demandé la suppression des services de renseignements, au motif sidérant que la Suisse n'avait pas "de grands secrets". De tels accents existent aujourd'hui encore, si l'on en croit cet article de Sylvain Besson publié ce lundi dans Le Temps :

A quoi servent les divers services de renseignement civils et militaires dont dispose la Suisse? A rien, ou bien peu de choses. C'est du moins ce qu'affirmait en janvier dernier une commission spécialisée du Conseil national.

Il est vrai que la communauté suisse du renseignement, balayée comme une malpropre au début des années 90 lors de l'affaire des fiches, et à nouveau clouée au pilori en 1999 lors de l'affaire Bellasi (un détournement de fonds sans rapport avec la qualité des produits du renseignement suisse), souffre de maux profonds, dont le manque de moyens et de directives politiques n'est pas le moins douloureux. Et les tensions marquées entre les différents services ne sont pas un secret, comme l'a révélé l'an passé la mise sur écoute par le SAP (renseignement intérieur) de membres du SRS (renseignement extérieur). Mais est-ce que cela justifie la poursuite des attaques insultantes contre ceux qui, dans l'ombre et sans aucune reconnaissance, continuent jour après jour d'essayer de détecter les menaces qui pèsent sur le pays?

La fin de l'article de Sylvain Besson, auquel l'usage de sources anonymes confère certes un grand potentiel de désinformation, est pour le moins difficile à avaler :

Une source proche du gouvernement raconte l'anecdote suivante: «Un examen a été fait pour voir combien de fois, ces dernières années, le Conseil fédéral a pris une décision sur la base d'informations fournies par les services de renseignement. Et la réponse, c'est zéro.»

Je ne suis pas membre de la communauté suisse du renseignement, mais laissez-moi vous dire que cette "source" omet un élément important : aucune décision opérationnelle sur le plan militaire, qui fait tôt ou tard l'objet d'une décision du Conseil fédéral, n'est prise sans utiliser les informations du renseignement militaire. Ce dernier est d'ailleurs curieusement oublié dans l'énumération faite par Sylvain Besson. Pour comprendre le texte de ce dernier, il s'agit donc d'appréhender les intérêts que défendent ses informateurs anonymes et les objectifs qu'ils visent à travers la diffusion de "faits" manifestement biaisés. Une démarche à laquelle cependant je ne suis pas en mesure de me livrer...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h04 | Comments (5) | TrackBack

12 juin 2005

Des fantômes assassins

Voici un mois et demi, j'avais consacré un billet critique à un article du Temps qui reproduisait et prolongeait un rapport de l'International Crisis Group sur l'état de l'islamisme au Sahel. Cette ONG affirmait que le commandement américain en Europe (EUCOM) exagérait la menace dans cette région, voire se livrait même à une manipulation pour justifier l'extension de ses activités. J'avais tenté de montrer les erreurs factuelles de cet article et les fautes de raisonnement qui limitaient l'intérêt de ce rapport. Affirmer que les Etats-Unis pourchassent des fantômes au Sahel en déployant leurs forces spéciales si rares n'avait, il est vrai, pas beaucoup de sens.

Le week-end dernier, une attaque commise sur un cantonnement de l'armée mauritanienne, à la frontière avec l'Algérie, a fait 15 morts, 17 blessés et 2 disparus dans les rangs des quelque 60 soldats présents ; les agresseurs, au nombre de 150, auraient perdu 9 hommes. Cette attaque a été revendiquée par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui relève de la franchiste islamiste d'Al-Qaïda dans la région et continue de commettre des attentats en Algérie. Le motif de cette attaque serait ainsi des représailles contre les arrestations d'islamistes effectuées en Mauritanie depuis mars dernier. Et ceci quelques jours avant que des manoeuvres militaires ne débutent sous la conduite des Etats-Unis.

Ces fantômes assassins, naturellement, ne convainquent pas ceux qui persistent à prêter aux militaires américains des visées irrédentistes qui rendent nécessaire un mensonge permanent. Pour ma part, je suis enclin à croire effectivement que le Sahel constitue une région favorable aux réseaux terroristes, et que l'action d'interdiction menée par l'EUCOM avec les pays concernés possède une justification stratégique solide (sans parler de l'importance de l'Algérie en tant que foyer du terrorisme). Le fait qu'une armée nationale soit durement attaquée suffit à indiquer les risques de déstabilisation issus du désert, indépendamment de l'identité des auteurs de cette action. Et le rapport de l'ICG montre encore plus ses limites, de même que les biais idéologiques qui empêchent l'écrasante majorité des ONG de constituer des interlocuteurs sérieux en matière de sécurité.

COMPLEMENT I (13.6 0850) : On notera que la pratique consistant à reprendre les rapports d'une ONG et à interviewer l'un de ses responsables est aujourd'hui utilisée à nouveau par Le Temps, cette fois-ci au sujet du Zimbabwe. Il ne faut pas perdre de vue les économies que ce type de technique permet de réaliser par rapport au paiement d'un reporter sur place...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h46 | Comments (8) | TrackBack

11 juin 2005

Du jeu vidéo au cinéma

Hollywood a annoncé hier entrer dans la phase finale des négociations pour porter sur grand écran le jeu vidéo Halo, développé par Microsoft et dont la 2e version a fait l'objet d'une publicité sans précédent. Avec 14 millions d'exemplaires vendus, Halo est d'ailleurs l'un des jeux vidéos les plus populaires de tous les temps, et son contexte de lutte contre des aliens voués à détruire la race humaine est suffisamment universel pour en faire un succès global. Un véritable univers a été créé avec ce jeu, dont les déclinaisons littéraires et musicales, conjuguées à sa pratique acharnée en multijoueurs, devaient tôt ou tard aboutir à une version cinématographique.

Bien entendu, ce n'est pas la première fois qu'un jeu vidéo d'action est transformé en film, comme Tomb Raider, Mortal Combat, Street Fighter ou encore Resident Evil l'ont montré. Le transfert reste de toute manière nettement plus fréquent dans l'autre sens, avec par exemple la multitude de jeux produits sous la franchise Star Wars. Cependant, ce portage de Halo confirme la montée en puissance du jeu vidéo comme pilier culturel de notre époque, au-delà de l'espace conflictuel qu'il constitue déjà - comme l'indique par exemple ce jeu anti-israélien développé en Syrie, ou de manière plus caractérisque encore ce jeu américain, qui reproduit directement des combats récents à l'instar de ceux de Falloujah.

Plus de 30 ans après leur création, les jeux vidéos sont en mesure de créer la substance des mythes qui nourrissent les sociétés. Nous sommes loin des quelques pixels animés qui pourtant faisaient tout le charme des vieilles bornes d'arcade. Et les jeunes générations entretiennent avec ces nouveaux contenus ludiques, parfois très conventionnels, des relations qu'il n'est pas aisé de prévoir. La valeur stratégique de l'industrie logicielle dépasse certainement les utilitaires que nous utilisons au quotidien ; à terme, les sociétés capables de produire de nouvelles légendes, c'est-à -dire de nouvelles représentations du monde, seront en mesure d'exercer par la séduction une influence majeure. Et comme la créativité individuelle reste une valeur-clef de l'industrie du jeu vidéo, les valeurs qui la favorisent sont les vecteurs d'une telle puissance.

Quand Super Mario partira-t-il à la conquête du monde ? :)

Posted by Ludovic Monnerat at 17h09 | Comments (3) | TrackBack

5 juin 2005

La vérité sur Gitmo

Les résultats de l'enquête menée par la justice militaire américaine sur les abus supposés concernant des exemplaires du Coran, dans la base de Guantanamo Bay, ont été rendus publics. Ils soulignent clairement le monde de différence qui sépare les accusations délirantes d'Amnesty International et de certains commentateurs, de même que le fameux article mensonger de Newsweek, avec la réalité telle que des milliers de pages de rapports la décrivent. Cinq abus confirmés, quatre possibles, contre quinze abus commis par les prisonniers eux-mêmes - dont l'un d'entre eux, et non un garde, a tenté de faire passer le livre par les toilettes. Si Guantanamo est le goulag de notre époque, nous vivons vraiment des temps heureux!

Avec le recul, l'absence de perspective et la focalisation sur des détails insignifiants dont témoignent nombre de critiques sont encore plus frappantes que prévu. Ce camp abritant quelque 540 combattants irréguliers, loin d'être un haut lieu de la torture systématique, se distingue au contraire par le nombre réduit d'abus qu'il occasionnne, comme le souligne Charles Krauthammer :

In March the Navy inspector general reported that, out of about 24,000 interrogations at Guantanamo, there were seven confirmed cases of abuse, "all of which were relatively minor." In the eyes of history, compared to any other camp in any other war, this is an astonishingly small number. Two of the documented offenses involved "female interrogators who, on their own initiative, touched and spoke to detainees in a sexually suggestive manner." Not exactly the gulag.
The most inflammatory allegations have been not about people but about mishandling the Koran. What do we know here? The Pentagon reports (Brig. Gen. Jay Hood, May 26) -- all these breathless "scoops" come from the U.S. government's own investigations of itself -- that of 13 allegations of Koran abuse, five were substantiated, of which two were most likely accidental.
Let's understand what mishandling means. Under the rules the Pentagon later instituted at Guantanamo, proper handling of the Koran means using two hands and wearing gloves when touching it. Which means that if any guard held the Koran with one hand or had neglected to put on gloves, this would be considered mishandling.

Concernant le traitement des prisonniers, je me demande d'ailleurs si les prisons civiles de mon pays offrent des conditions aussi respectueuses de la religion musulmane. Comme l'écrit Michelle Malkin, le camp de Guantanamo va même probablement trop loin dans ce domaine, au point de conforter certains détenus dans leur fanatisme :

Erik Saar, an army sergeant at Gitmo for six months and co- author of a negative, tell-all book titled "Inside the Wire," inadvertently provides us more firsthand details showing just how restrained, and sensitive to Islam -- to a fault, I believe -- detention facility officials have been.
Each detainee's cell has a sink installed low to the ground, "to make it easier for the detainees to wash their feet" before Muslim prayer, Mr. Saar reports. Detainees get "two hot halal, or religiously correct, meals" a day in addition to an MRE (meal ready to eat). Loudspeakers broadcast the Muslims' call to prayer five times daily.
Every detainee gets a prayer mat, cap and Koran. Every cell has a stenciled arrow pointing toward Mecca. Moreover, Gitmo's library -- yes, library -- is stocked with Jihadi books. "I was surprised that we'd be making that concession to the religious zealotry of the terrorists," Mr. Saar admits. "It seemed to me that the camp command was helping to facilitate the terrorists' religious devotion." Mr. Saar notes one FBI special agent involved in interrogations even grew a beard like the detainees "as a sort of show of respect for their faith."

Toutes ces informations sont rarement diffusées par la presse européenne, voire même complètement ignorées. En Suisse romande, même les éditorialistes les plus intelligents sont atteints de cette maladie endémique des rédactions, consistant à déformer la réalité en fonction de ses convictions et de ses aspirations. Faire de ce camp le symbole du Mal absolu en l'absence de toute preuve montre à quel point les médias se situent de plus en plus en-dehors de la raison. Peut-on parler d'hystérie anti-américaine? C'est possible, mais il faudra attendre le prochain Président pour le savoir. Est-ce que cette hystérie peut à terme favoriser un conflit armé avec les Etats-Unis? Voilà une question qu'il serait intéressant de creuser...

Pour conclure sur Guantanamo, je ne prends pas de grand risque en affirmant que rares sont les camps de prisonniers de guerre à offrir des conditions de vie aussi humaines. Et si l'on croit que ces camps ne doivent pratiquer aucun interrogatoire, c'est que l'on connait mal la doctrine des armées - le règlement "Interrogatoire des prisonniers de guerre", à destination des officiers de renseignement suisses, fait toujours partie de ma bibliothèque. Je doute qu'il ait été abrogé. Et sans favoriser de méthode apparentée à la torture, il va tout de même au-delà des seules informations qu'un prisonnier de guerre est censée livrer (nom, grade, matricule) - et qu'un combattant irrégulier est bien incapable de connaître.

COMPLEMENT I (6.6 2050) : Cet article de John Hinderaker dans le Weekly Standard fournit un bon résumé du rapport d'enquête rendu public et de la réalité des abus commis.

Posted by Ludovic Monnerat at 6h55 | Comments (5) | TrackBack

27 mai 2005

La chute d'Amnesty

Comme d'autres organisations non gouvernementales fondées dans un but éthique, dont le CICR reste la plus importante, Amnesty International subit depuis plusieurs années une dérive vers un militantisme exacerbé, sans cesse davantage marqué par l'idéologie. Avec la publication d'un rapport assimilant le camp de prisonniers de la base américaine de Guantanamo aux "goulags de notre époque", c'est véritablement à la chute d'une ONG marquante que nous assistons. Il faut avoir perdu tout sens moral pour comparer de façon vibrante un total de 476 camps ayant rassemblé 25 millions de prisonniers politiques avec une prison militaire réunissant 600 détenus, pour la plupart des combattants irréguliers. Les faits n'importent plus à ceux qui vivent dans un monde irréel.

Amnesty International s'était déjà signalée par un traitement fréquemment partial du conflit israélo-palestinien, ce qui a largement nui à sa légitimité et donc à son influence comme ONG censée être indépendante et neutre. Avec sa dernière envolée sur les Etats-Unis, cette légitimité tombe en lambeaux et nécessitera de longues années - et un inévitable acte de contrition - pour être restaurée. Lorsque les ONG éthiques se transforment en belligérants de l'infosphère, elles ne méritent aucun respect spécifique, aucune attention particulière. Et les médias qui reproduisent sans aucun sens critique leur communication en deviennent automatiquement les complices.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h40 | Comments (28) | TrackBack

21 mai 2005

Alerte à la folie furieuse (5)

Mes illusions sur le retour de la raison dans les médias se sont bien envolées ce matin à la lecture d'un éditorial délirant d'Alain Campiotti dans Le Temps. Ce dernier accuse en effet les Etats-Unis de torture systématique en raison d'une décision politique prise au sommet de l'Etat. Il se base pour ce faire sur la publication dans le New York Times d'un rapport d'enquête sur deux cas de meurtre par torture survenus en décembre 2002 à Bagram, en Afghanistan, et sur des déclarations du CICR selon lesquelles des témoignages d'irrespect du Coran auraient été signalés par des détenus de Guantanamo fin 2002 - début 2003 avant de cesser.

Toute nuance sur le nombre des cas (aucune preuve ne permet d'affirmer qu'il n'est pas très réduit) et sur les mesures correctrices prises (soulignées par le CICR) est promptement écartée par Campiotti, qui se lance avec une mauvaise foi stupéfiante dans une accusation dont le sens véritable apparaît au terme de son texte :

Des soldats ont été condamnés, avec beaucoup de publicité. C'était le dernier rempart: convaincre l'opinion que le mal se limitait à un petit nombre de pervers et de dévoyés. Mais cette digue tient mal. Les meurtres de Bagram, les délires sado-sexuels d'Abou Ghraib n'ont pas été organisés par Richard Myers, le patron de l'armée, ou par Alberto Gonzales, le nouvel Attorney General. La faute est plus haut. En décidant de ne pas appliquer les Conventions de Genève aux «ennemis combattants», tout en «en respectant l'esprit», George Bush et les siens n'avaient qu'un objectif. Permettre l'ouverture de centres d'interrogatoire. Ces camps-là ont une fonction précise: recueillir des informations que les détenus ne sont pas prêts à livrer. Pour cela, il y a des spécialistes. Toutes les guerres ont montré que rien n'est plus aisé que de les recruter. Il n'y a pas même besoin de leur dire ce qu'ils ont à faire. Ils le savent. C'est une question - horrible - de rendement.
L'Amérique ne retrouvera pas ses lambeaux d'âme perdue sans une investigation complète sur ce qui s'est passé - se sera passé - dans les angles morts de cette guerre. Les journalistes qui dévoilent les rapports secrets sauvent son honneur.

Le passage mis en gras est de mon fait. On ne peut que se demander : tout ça pour ça? Faut-il vraiment mettre en cause le Président des Etats-Unis et l'accuser de vouloir torturer ses ennemis pour sauver l'honneur perdu de la presse, dont la partialité et les errances ont encore été soulignées par l'affaire Newsweek? C'est bien entendu la ligne de défense corporatiste que d'autres organes de presse ont adoptée aux Etats-Unis sans pour autant en venir à des propos aussi délirants que ceux de Campiotti, dont l'anti-américanisme et la haine viscérale de Bush s'expriment ici dans toute son ampleur malencontreuse - et trompeuse.

Campiotti n'analyse pas des faits pour en tirer un jugement : il exprime son jugement personnel et tente de le justifier par des faits apparents. Son refrain sur les Conventions de Genève est ainsi totalement contraire à la réalité : ce sont bien les Conventions elles-mêmes (la 3e d'entre elles) qui définissent les conditions auxquelles doivent répondre des individus capturés pour recevoir le statut de prisonnier de guerre, et qui ne correspondent de toute évidence pas aux combattants d'Al-Qaïda. Comme d'autres commentateurs, Campiotti bafoue l'esprit et la lettre des Conventions de Genève, qui visent à faire respecter des règles limitant les horreurs de la guerre, et non à rendre impossible la conduite de celle-ci.

La remarque de Campiotti sur Abou Ghraib, selon laquelle "le Pentagone avait déployé de grands efforts pour limiter les dégâts, d'abord en révélant lui-même, aussi discrètement que possible, le scandale", est tout aussi mensongère. En fait, le Pentagone et la coalition en Irak ont annoncé de façon tout à fait régulière, par un communiqué et une conférence de presse le 20 mars 2004 à Baghdad, l'ouverture d'une enquête contre 6 soldats - notamment pour cruauté et maltraitement - à la prison d'Abou Ghraib. Mais les médias ne s'étaient pas intéressés à ce communiqué et à cette affaire, jusqu'à ce que la chaîne CBS rende publiques le 28 avril 2004 les images de ces abus. Et on voudrait aujourd'hui nous faire croire que les militaires américains ont tenté d'étouffer cela?

Les libertés que prend Alain Campiotti avec la vérité pour mieux imposer son opinion ont déjà été documentées sur ce site (voir ici et ici). Essayer de défendre les médias en exploitant hors de toute proportion des actes scandaleux et criminels commis au sein des Forces armées américaines s'inscrit dans la même démarche. Mais il faut vraiment faire preuve de folie furieuse pour croire que l'Amérique "perd son âme" à une époque où une vague de démocratisation - à laquelle Washington est liée - est en train de traverser la planète. Dépeindre le monde en noir et blanc se produit autant dans les rédactions que dans les chancelleries, et le public ne devrait pas être pris en otage dans un conflit qui oppose les unes aux autres.

Posted by Ludovic Monnerat at 6h31 | Comments (60) | TrackBack

19 mai 2005

Libération au Koweït

Le New York Post a publié ce matin une remarquable analyse d'Amir Taheri sur la décision du Parlement koweïtien d'accorder le droit de vote et d'éligibilité aux femmes. Cette ouverture pourrait sembler mineure, pour un pays aussi petit et une cause aussi évidente, mais Taheri montre au contraire qu'elle revêt une importance bien plus grande :

The Kuwaiti parliament's move should not be seen as a favor to women. In a sense, the reverse may well be true. By taking an active part in the political process, Kuwaiti women may well be doing the nation a favor.
One reason for this is that Kuwaiti women are far better educated than their menfolk. For the past 10 years, women have formed a majority of university graduates in almost all key subjects. And in almost every case, they have outshone men in terms of academic achievement. It was, therefore, bad politics to deny the best-educated half of the populace a role in decision-making.
Also, the granting of equal political rights to Kuwaiti women may well be a major defeat for Islamism, as a political ideology and a tool for seeking power, but not for Islam either as a religious faith or culture. There is at least as much in Islam as both faith and culture that favors such equal rights as there is that rejects it.

On peut regretter que ce type d'analyse soit tellement rare dans la presse francophone. Peut-être dans une décennie ou deux sera-t-il surprenant de constater à quel point une grande partie de nos contemporains n'ont finalement pas mesuré les changements extraordinairement amples et rapides qui secouent aujourd'hui la planète, et qui sont à la base de bien des conflits armés.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h09 | Comments (3) | TrackBack

16 mai 2005

Le spam propagandiste

Après avoir été inondé de messages en allemand à caractère politique depuis 2 jours, j'ai fini par comprendre qu'il s'agissait d'un nouveau virus profitant comme toujours de machines mal protégées pour accomplir les sinistres desseins de son créateur (ou de sa créatrice, naturellement). Le moins amusant était de recevoir des messages d'erreur en cascade lorsque le virus récupérait des adresses électroniques professionnelles périmées. Subir un blocage d'Outlook pendant 5 minutes arrive somme toute rarement. Sauf lorsque quelqu'un essaie mordicus et pour la 3e fois de vous envoyer 9 mégaoctets d'images en un bloc - la coupable se reconnaîtra... ;)

En jetant un coup d'oeil aux contenus de ces spams, je me suis cependant vite rendu compte qu'il s'agissait d'articles politiquement extrémistes, avant tout d'extrême-droite mais aussi d'extrême-gauche, et ciblés sur l'Allemagne. Je doute que cette méthode permette de gagner l'adhésion d'un large public, mais pour ce qui est de répandre ses idées, cela pourrait s'avérer à la longue assez efficace. Après tout, si le spam commercial centré sur des défectuosités sexuelles subsiste, c'est bien qu'il doit être un tant soit peu rentable...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h39 | Comments (10) | TrackBack

Une rumeur mortelle

C'est un nouveau coup dur pour les médias traditionnels : l'histoire selon laquelle des interrogateurs américains à Guantanamo auraient glissé des pages du Coran dans des toilettes et tiré la chasse pour démoraliser les détenus, qui a généré des émeutes dans le monde musulman faisant au moins 15 morts, s'est finalement révélée tellement incertaine que Newsweek a dû admettre s'être trompé et présenter ses excuses (ou du moins ses regrets). Autrement dit, la source unique à la base de cette rumeur rapidement vouée à un impact planétaire n'a pas pu être confirmée, et sa fiabilité est désormais plus que douteuse. Est-ce qu'il n'aurait pas été plus simple de vérifier avant, se demandera-t-on spontanément ?

Les commentaires sur ce dérapage médiatique aux conséquences tragiques ne manquent pas sur les weblogs conservateurs ; on lira avec intérêt le résumé et les liens de Michelle Malkin, ainsi que l'analyse d'Austin Bay, qui voit dans cet événement un Abu Ghraib médiatique en raison des effets qu'il révèle :

[W]hy might this be the press' Abu Ghraib? Here's the connection: globe-girdling technology has once again amplified foolish behavior, lack of professionalism, and disregard for consequences into a tragedy. Consider Abu Ghraib, without the fevered hyperbole of The Nation or The Guardian. The behavior of US troops at the prison was inexcuseable -frat rat hazing, trailer trash porn, street punk threat taken up ten quanta to felony prisoner abuse. But dump the hyperbole and call Abu Ghraib what it was: rank felony abuse, not deadly torture. The global dissemination of Lynndie England's dog leash photos, etc., (and magnification of the abuse by anti-American critics) made Abu Ghraib the political and historical scar it is. The US soldiers committed a crime, but information technology made the crime an international fiasco.
[...]
To a degree Newsweek is operating on a "paper template" where the editors and reporters believe the story they "print" shows up in mailboxes or on a magazine rack. In this "template" a phony press allegation remains "local" or US-bound. But there is no "over there" in our world, not anymore. We live in a world where everyone is - in terms of information- next door. Technological compression is the term I coined to describe the situation. Some slip-ups merely damage reputations- Dan Rather and Eason Jordan come to mind. World War Two vets know "loose lips sink ships." Today, loose (computer) disks can sink ships, but loosey-goosey allegations can lead to riot and death.

Un constat bien entendu valable pour n'importe quel thème sensible. On relèvera néanmoins que le rôle du fanatisme religieux et l'amplification des médias musulmans ne doivent pas être sous-estimés.

COMPLEMENT I (17.5 1010) : On ne pourra pas reprocher à la presse romande de ne pas essayer de sauver les apparences concernant ce nouveau dérapage médiatique ! Aussi bien Le Temps que 24 Heures soulignent par exemple ce matin que Newsweek ne s'est pas rétracté et tentent de minimiser l'affaire, alors même que le magazine annonce sa rétractation... Ne pas sentir de quel côté tourne le vent amène parfois à se brûler !

COMPLEMENT II (17.5 1030) : Il vaut la peine de lire l'analyse de John Podhoretz dans le New York Post sur cette affaire (on commence à l'appeler le "toiletgate", ce qui manque un brin d'élégance...). Sa conclusion est impitoyable :

No matter what degree of certainty the editors and reporters had about the item's veracity, moral responsibility for the fallout from it falls squarely on their shoulders.
The magazine has blood on its pages regardless. The magazine caused a geopolitical storm injurious to the countrymen of its own editors and reporters regardless.
They forgot there was a war on. Or they didn't forget, but just didn't care. Now they remember. Now they care.
Now it's too late.

COMPLEMENT III (17.5 1035) : Pour une analyse différente de cette affaire, qui annonce que Newsweek a lavé par ce biais l'affront du Rathergate et qui estime que le grand public n'est plus l'audience-cible de ces médias, on se reportera avec intérêt au billet mis en ligne sur Evoweb.

COMPLEMENT IV (17.5 2145) : Pamela Hess, la correspondante au Pentagone de l'agence UPI, a écrit une excellente analyse de l'affaire Newsweek. Elle montre notamment comment les relations à couteaux tirés entre le Pentagone et les médias américains favorisent ce type de dérapage, alors que les deux parties auraient un intérêt mutuel à collaborer honnêtement.

COMPLEMENT V (18.5 2130) : Quelques remarques assez fulgurantes de James Taranto sur le même sujet, dans son Best of the Web Today de mardi, fournissent une autre perspective intéressante. Extrait :

It's not just that the media are biased against conservatives and Republicans, though they certainly are. It is that they see every war as another Vietnam and every supposed scandal as another Watergate--at least when Republicans are in the White House, which they usually are.
The obsession with Vietnam and Watergate is central to the alienation between the press and the people. After all, these were triumphs for the crusading press but tragedies for America. And the press's quest for more such triumphs--futile, so far, after more than 30 years--is what is behind the scandals at both Newsweek and CBS.

Des médias victimes de leurs propres mythes? Voilà une réflexion intéressante...

COMPLEMENT VI (19.5 0715) : Pour rester dans la droite américaine, la colonne de l'impitoyable Ann Coulter offre aujourd'hui une autre perspective très intéressante, en détaillant les raisons qui ont poussé voici quelques années Newsweek à ne pas sortir l'affaire Lewinsky quand le même reporter avait des preuves solides pour ce faire, et la comparaison très défavorable avec la présente affaire.

COMPLEMENT VII (19.5 1310) : La couverture de cette affaire en Europe continue de laisser songeur. Le Nouvel Obs insinue ainsi que ce sont des pressions sur la source de Newsweek qui auraient contraint le magazine à retirer son article, et non le caractère inexact des assertions publiées. Il est vrai qu'en matière d'exactitude, le journal français - sous la plume de Sara Daniel - a de sérieuses difficultés :

Quoi qu'il en soit, l'affaire va porter un nouveau coup à la crédibilité de la presse américaine, déjà affaiblie ces derniers mois par la démission de plusieurs journalistes fautifs, et non des moindres: après avoir admis que plusieurs de ses articles avaient été inventés de toutes pièces, Jason Blair, le journaliste vedette du «New York Times», s'est aussi excusé d'avoir accrédité l'existence d'armes de destruction massive en Irak sur la base du témoignage de sources uniques et anonymes.

Pauvre Jason Blair : tout finit par lui retomber dessus! D'ailleurs, sur la même lancée, on pourrait dire que les mémos truqués de CBS, le faux vol de munitions à Al Qaqaa du New York Times ou la divulgation de l'identité faussement frauduleuse de Valérie Plame portent tous la marque de Jason Blair, promu au rang de symbole unique de tout ce qui va mal dans la presse US... Quelqu'un pourrait-il expliquer à Mme Daniel la différence entre Jason Blair et Judith Miller?

Posted by Ludovic Monnerat at 9h16 | Comments (49) | TrackBack

14 mai 2005

Un après-midi à la TSR

TSR.jpg

Après la presse écrite et la radio hier, ce jour était - en toute logique - largement consacré à la télévision, puisque j'ai passé l'après-midi en compagnie de Phil Mundwiller et de son équipe de tournage, dirigée par le réalisateur Ventura Samarra (les deux sont de gauche à droite ci-dessus), en vue d'un reportage pour l'émission Territoires 21 de la TSR. Le thème du reportage, qui devrait être diffusé en octobre, est lié aux évolutions dans la technologie des sous-marins militaires, et notamment aux modèles à propulsion anaérobie. Sans trop entrer dans les détails, ma contribution avait pour objectif principal de fournir un éclairage militaire et stratégique sur le rôle des sous-marins actuels, sur la modification des équilibres navals due au progrès technologique, et sur les impacts possibles de la propulsion anaérobie. Un travail d'expertise dans un domaine qui n'appartient pas exactement à mon quotidien, mais qui me passionne depuis longtemps !

L'une des particularités du travail accompli en l'espace de 3 heures réside dans le fait que le réalisateur a créé pour l'ensemble du reportage, dans lequel figurent d'autres intervenants bien plus renommés que ma modeste personne, une atmosphère digne d'un roman d'espionnage. Il a donc fallu tourner plusieurs scènes un peu louches, dans lequel votre serviteur s'introduit de façon soupçonneuse au cœur d'un vaste bâtiment apparemment inusité, pour y rencontrer un personnage avide de renseignements - en l'occurrence Phil Mundwiller. Et comme ce dernier est au moins aussi sympa en vrai qu'à l'écran, il a fallu recommencer deux fois une scène précise pour cause de fous rires réciproques dont je porte, malheureusement, une responsabilité indéniable ! L'interview en soi s'est bien déroulé. Vulgariser la problématique de la propulsion et de l'emploi des sous-marins n'est pas chose aisée. Je suis très curieux de voir quel produit final sortira du montage!

En tout cas, il est très agréable de collaborer avec une équipe qui prend le temps de soigner le détail et qui le fait dans une ambiance détendue. L'information de qualité passe par un travail approfondi qui semble hélas de plus en plus rare.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h54 | Comments (1) | TrackBack

12 mai 2005

Alerte média : Le Temps et RSR

Journée faste demain pour votre serviteur sur le plan médiatique : Le Temps va publier un article que j'ai consacré à la problématique des soldats-reporters et des journalistes-combattants, alors que RSR La Première m'a invité à m'exprimer dans le journal de 7h00 sur l'optimisation de la réforme de l'armée annoncée aujourd'hui. Deux activités d'expertise militaire et stratégique qui me donneront l'occasion de sensibiliser lecteurs et auditeurs aux questions de sécurité qui se posent aujourd'hui. Il faudra juste se lever un peu tôt pour prendre le premier train à destination de la capitale... :)

COMPLEMENT I (13.5 0515) : L'article en question dans Le Temps est disponible ici (accès payant).

COMPLEMENT II (13.5 1955) : L'interview en question sur la RSR peut être écouté ici, sous Audio. Dans l'ensemble, je ne m'en suis pas trop mal tiré ; le direct reste un exercice délicat, surtout lorsque le fil de la conversation ne suit pas exactement ce qui était prévu !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h12 | Comments (6) | TrackBack

11 mai 2005

Médias et terrorisme

Le New York Times a publié hier une colonne de John Tierney qui aborde la question du rôle des médias face au terrorisme, à propos de l'Irak, et de la couverture très importante qu'ils accordent aux attentats suicides. Ses réflexions sont succinctes, mais vont au coeur des questions que devraient se poser les journalistes en couvrant ce type d'événement, aussi dramatique que ponctuel :

When the other reporters and I finished filling our notebooks, we wondered morosely if we could have done a service to everyone - victims, mourners, readers - by reducing the story to a box score. We all knew the template: number of victims, size of the crater, distance debris had been hurled, height of smoke plume, range at which explosion was heard.
There was no larger lesson except that some insurgents were willing and able to kill civilians, which was not news. We were dutifully presenting as accurate an image as we could of one atrocity, but we knew we were contributing to a distorted picture of life for Iraqis.

Compte tenu des intérêts propres aux médias, comment remédier à cette distorsion potentielle qui découle de la publicité accordée aux attentats terroristes? John Tierney y répond par une analogie à la lutte contre la criminalité, et affirme que le fait de moins en parler finit par permettre de moins se focaliser sur les détails, et d'acquérir une vue d'ensemble garante d'un réalisme accru :

I'm not advocating official censorship, but there's no reason the news media can't reconsider their own fondness for covering suicide bombings. A little restraint would give the public a more realistic view of the world's dangers.
Just as New Yorkers came to be guided by crime statistics instead of the mayhem on the evening news, people might begin to believe the statistics showing that their odds of being killed by a terrorist are minuscule in Iraq or anywhere else.

Ce conseil me semble relever d'un optimisme un peu trop exacerbé pour être applicable. D'une part, la concurrence entre médias - que le progrès technologique ne fait qu'aviver - provoque automatiquement une spirale sensationnaliste. D'autre part, les journalistes ont parfois des inclinations politiques, voire des partis pris idéologiques, qui les amènent à favoriser la couverture des attentats terroristes pour démontrer la justesse de leurs opinions - le cas de l'Irak étant à cet égard exemplaire.

Mais je crois avant tout que John Tierney se trompe d'époque : les médias ont perdu le monopole de l'information, et les groupes terroristes eux-mêmes ont désormais la capacité de produire et diffuser leurs propres contenus médiatiques pour multiplier l'effet de leurs actions. A quoi bon inciter les médias d'un pays donné à l'autocensure si n'importe quel internaute peut avoir accès aux images et aux vidéos spectaculaires mises en lignes par les terroristes? Un média qui s'escrime à ignorer ce que sait son public n'a que peu d'espoir de survie économique.

Par définition, les médias sont otages des méthodes terroristes. Tout ce que l'on peut exiger d'eux, c'est d'éviter de se transformer en acteur d'un conflit, et de replacer les événements isolés dans le contexte dudit conflit.

COMPLEMENT I (12.5 1000) : Bien entendu, lorsque l'otage y met du sien, terroristes et médias forment un duo bien rôdé. C'est ce que l'on peut remarquer ces jours : une augmentation des attentats qui frappent avant tout les Irakiens, et dont on se demande bien quelle utilité ils peuvent avoir, est aussitôt interprétée par la presse comme le signe d'un échec - en fermant les yeux sur tous les autres facteurs du conflit. Et on entend à nouveau parler du "bourbier irakien", à la faveur d'un pic de violences qui, selon toute probabilité, ne devrait pas durer. Visiblement, John Tierney et ses interrogations appartiennent à une ultra-minorité...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h50 | Comments (5) | TrackBack

10 mai 2005

Médias : la masse critique

On trouve aujourd'hui dans le New York Post un éditorial de John Podhoretz consacré à la crise que traversent les piliers des médias traditionnels américains : le cinéma, la télévision, la radio, la musique et les journaux. Il fournit des faits convaincants sur la chute des audiences, rappelle que ces médias restent des acteurs majeurs même si leur toute-puissance disparaît, et surtout identifie la raison de leur déclin - le fait que les nouveaux médias ont atteint aux Etats-Unis une masse critique :

Something major has changed over the past year, as the availability of alternative sources of information and entertainment has finally reached critical mass.
Newly empowered consumers are letting the producers, creators and managers of the nation's creative and news content know that they are dissatisfied with the product they're being peddled.

Il paraît réaliste d'imaginer que cette masse critique sera également atteinte en Europe ces prochaines années.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h40 | Comments (26) | TrackBack

8 mai 2005

Une déception frénétique

Le blogger australien Chrenkoff revient sur la déception des médias suite à la réélection historique de Tony Blair, et sur leur interprétation majoritaire selon laquelle cette victoire est en réalité une défaite, une sanction populaire due à l'opération Iraqi Freedom. Il montre que les faits - les partis ayant soutenu l'opération obtiennent 67,5% des votes - ne corroborent pas ce jugement. Et il met ce dernier en rapport avec une couverture de The Economist du 20 mars 2004, qui voyait dans l'alternance politique en Espagne la préfiguration d'un sort identique aux Etats-Unis, en Australie et en Grande-Bretagne. L'incapacité des médias à influencer de manière décisive l'électorat n'en est que plus évidente.

Histoire de mieux mesurer la frustration qui doit étreindre certaines rédactions au vu de l'expression populaire et démocratique, j'ai fait une rapide recherche dans mes archives et je suis tombé sur un éditorial édifiant publié le 15 mars 2004 dans 24 Heures, le quotidien vaudois, sous la plume de Caroline Stevan. Il vaut la peine d'en citer un extrait :

L'horreur de ce qu'il est déjà convenu d'appeler le «11 septembre espagnol» a en effet rappelé aux citoyens qu'une guerre se déroule là -bas, à l'autre bout de la planète. Qu'il ne s'agit pas seulement d'une production américaine à gros budget que l'on peut suivre en direct sur le petit écran. Et que les milliers de civils tués par les bombes de la coalition ne pouvaient l'être impunément. Il ne suffit pas d'exporter les combats pour prétendre y échapper sur son sol.
[...]
Chacun des gouvernements membres de la coalition a été, à un moment ou à un autre, accusé d'avoir menti sur le dossier irakien - hier encore, Colin Powell, Condoleeza Rice et Donald Rumsfeld ont déclaré à l'unisson que la guerre avait permis d'augmenter la sécurité de la planète. Tous, à commencer par les Etats-Unis, finiront par se retrouver devant une échéance électorale. Espérons que le cas espagnol fera alors jurisprudence.

La mise en évidence de cette conclusion est de mon fait. Elle montre bien que le militantisme politique à travers les médias, conjugué au manque de connaissance, verse assez rapidement dans le ridicule. Je ne me rappelle pas avoir vu un correctif de Mme Stevan lorsqu'il est apparu que les attentats de Madrid ont commencé à être préparés en octobre 2000, et que le lien qu'elle y voit avec les pertes civiles en Irak - dès cette époque avant tout causées par d'autres attentats - n'existait que dans son imagination. Parler de jurisprudence à propos d'élections, et mélanger les processus judiciaire et politique, n'indique certes pas une grande clarté d'esprit.

J'espère simplement que les passionarias et guérilleros de l'infosphère sauront surmonter leurs déceptions et cesser de frénétiquement imposer leur point de vue déformant au détriment de la réalité.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h41 | Comments (3) | TrackBack

7 mai 2005

Un blog exceptionnel

C'est en effectuant plusieurs lectures sur le journalisme de guerre, et les critères de qualité qui permettent de le juger, que j'en suis venu à découvrir le blog de Michael Yon, un écrivain, journaliste et vétéran US qui est actuellement en Irak. Entièrement intégré aux formations de l'US Army au point d'en fournir la perspective, il met néanmoins ses qualités littéraires et photographiques au service du public en fournissant des descriptions extraordinaires de la situation en Irak. Son récit d'une attaque à la voiture piégée à Mossoul est particulièrement saisissant, tout comme sa position concernant l'emploi des images comme arme :

Once the recovery vehicle arrived and dragged the smoldering Stryker away, we needed to roll. But the Deuce-Four all know what comes next. The gloating posse descends, camera crews at the ready, to shoot video that gets posted to the web and beamed around the world, of them in full celebratory dance, as if they had scored a major victory against "infidels."
Just a few weeks earlier, when another of Kurilla's Strykers was hit by an SVBIED, a camera crew arrived on scene. As a man pumped an AK, an American sniper killed him, wounding the cameraman in the process. When it was later learned that the cameraman was a stringer for CBS who had close ties with the enemy, CBS apologized on the air.
Just as we pulled out, people arrived with cameras and began shooting footage of the scene. One of the men, whom we later learned was an Associated Press correspondent with known ties to the enemy, is dead now. The associate scavenging with him was seriously wounded.

Lisez le tout.

COMPLEMENT I (7.5 1515) : Je viens de voir à l'instant que Wretchard sur son Belmont Club a consacré plusieurs réflexions à ce reporter de CBS capturé avec les insurgents. En particulier pour montrer que la couverture médiatique de cette attaque s'est focalisée sur cet aspect et a négligé tous les autres :

Of all the incidents described in Yon's Battle for Mosul, the only incident which made the headline news for an extended period was the wounding and detention of the Associated Press photographer. The dramatic events related by Yon: the fights with the insurgents, the desperate rescues -- recede completely into the background in mainstream media stories. By a strange process of substitution what is merely a footnote in Yon's story, the account of the cameraman, becomes the staple of the wire news while the main events of Yon's story shrink to become footnotes in the newspaper coverage of the photographer's saga.
Every information consumer picks up a newspaper to learn the truth. But what is the truth in a situation where a story's message can so radically alter with the point of view? The existence of political 'bias' alone is an insufficient explanation because the conservative press just as gleefully dwelt on the CBS cameraman's dubious affiliations. I can only think that objects and events viewed through the prism of the media are distorted in some fundamental way, so that the death of millions in Darfur can dwindle to insignificance while the "wardrobe malfunction" of a singer at a sporting event assumes the proportions of an international event.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h10 | Comments (1) | TrackBack

4 mai 2005

Un réveil douloureux

Sir Max Hastings, l'un des représentants les plus flamboyants de la classe médiatique britannique, farouche opposant aux entreprises de l'administration Bush au Moyen-Orient et accessoirement co-auteur d'un remarquable récit de la Guerre des Malouines, illustre ce lent retour de la raison que vivent péniblement nombre d'intellectuels européens. Les catastrophes annoncées au déclenchement des offensives US en Afghanistan et en Irak ne se sont pas produites. Les hordes de terroristes islamistes ne se sont pas levées, au contraire de démocrates modérés se comptant par millions. Peut-être les néo-conservateurs avaient-ils raison, écrit aujourd'hui Max Hastings dans le Guardian :

The greatest danger for those of us who dislike George Bush is that our instincts may tip over into a desire to see his foreign policy objectives fail. No reasonable person can oppose the president's commitment to Islamic democracy. Most western Bushophobes are motivated not by dissent about objectives, but by a belief that the Washington neocons' methods are crass, and more likely to escalate a confrontation between the west and Islam than to defuse it.
Such scepticism, however, should not prevent us from stepping back to reassess the progress of the Bush project, and satisfy ourselves that mere prejudice is not blinding us to the possibility that western liberals are wrong; that the Republicans' grand strategy is getting somewhere.

Les affirmations catégoriques, les visions apocalyptiques et l'overdose de "schadenfreude" appartiennent peu à peu au passé ; l'accoutumance émulatrice aux métaphores vengeresses délaisse ses tenants au fur à mesure qu'une réalité plus nuancée s'impose dans les esprits. Le délire anti-américain n'a plus la cote. C'est presque une gueule de bois monumentale qui étreint les esprits, après 3 ans et demi d'auto-intoxication. Les 8 millions de gifles irakiennes ont fini par tirer les rédactions de leur univers artificiel. Et le réveil est rude :

We must respect American power, and also acknowledge that the world sometimes has much need of it. As Sir Michael Howard, wisest of British strategic thinkers, often remarks: "If America does not do things, nobody else will." We should acknowledge the limitations of the UN. The pitiful performance of many international peacekeeping contingents, not least in Afghanistan, highlights the feebleness of what passes for European security policy.

L'absence d'alternative est un argument imparable. Mais cela ne suffit pas à définir une stratégie pour l'Europe face aux défis qui la concernent aussi : démographie, économie et technologie.

COMPLEMENT I (4.5 2230) : Cet éditorial paru dans The Australian se penche sur la même question, et souligne le parti pris de nombreux médias par rapport à l'Irak. Leur statut d'acteur dans les conflits modernes, notamment par rapport à l'otage australien Douglas Wood, s'oppose ainsi au recul nécessaire à la compréhension :

The media is a player in modern warfare. The more they inform us about hostages, the more hostages are taken. This is the deadly, inevitable, side to the information age. But if the media would more often lift their head above the ruck and look to the longer view as well as today's disaster, the distinction between journalism and history may not be quite so stark as it is now.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h31 | Comments (2) | TrackBack

La vérité sur Abu Ghraib

C'est hier qu'a eu lieu l'audience en cour martiale de la soldate de première classe Lynndie England, dont les portraits souriants en compagnie de prisonniers dévêtus restent l'un des symboles du scandale d'Abu Ghraib. Sous serment, la jeune femme a confirmé ce que l'on savait depuis le début de cette affaire, à savoir que les maltraitements infligés ne découlaient pas d'ordres reçus, mais bien de la bêtise crasse de leurs auteurs et de l'indiscipline régnant dans l'établissement :

A clique of U.S. soldiers tormented Iraqi detainees at Abu Ghraib prison for "amusement," not for any authorized military mission, Pfc. Lynndie England testified Monday as she pleaded guilty to seven abuse-related charges. "I had a choice, but I chose to do what my friends wanted me to," the 22-year-old reservist said at her court-martial. "I was just yielding to peer pressure."
[!]
England also backed off from earlier assertions that the tormenting of detainees was part of an effort to soften them up for intelligence agents. Although guards were told to deprive detainees of sleep, manipulate their meal schedules and force them to maintain awkward positions to cause stress, England said, "no, sir," when asked if any of her crimes were done to help interrogators.

Ce témoignage ruine les théories élaborées depuis une année sur le prétendu usage systématique de la torture dans la prison d'Abu Ghraib, et sur des responsabilités montant jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie militaire. L'enquête commencée par l'US Army 4 mois avant la publication des images qui ont provoqué le scandale a donc fini par démentir les nombreuses assertions publiées dans les médias, en particulier ceux qui s'étaient passionément opposés à l'opération Iraqi Freedom. C'est sans doute ce qui explique la discrétion de la presse française ce matin, puisque Le Figaro et Le Monde se contentent de décrire les propos de Lynndie England sans en souligner les conséquences, et surtout le silence assourdissant de la presse romande. Le lecteur de ce coin de pays n'apprendra pas dans son journal que ces histoires de torture à Abu Ghraib, dans le but d'extorquer des renseignements, ne sont finalement que du vent. Sans commentaire.

Pour ma part, je constate que mon analyse des faits mise en ligne voici presque une année, et largement basée sur le rapport d'enquête de l'US Army, était conforme à la réalité que les procès ont révélée. Dans le cadre contraire, je l'aurais signalé. L'honnêteté intellectuelle reste une valeur sûre.

COMPLEMENT I (6.5 0820) : Le procès de Lynndie England a été stoppé et l'accord annulé lorsque son ex-amant, Charles Graner, a présenté un témoignage contradictoire. Il n'en faut pas plus à Alain Campiotti, le très militant correspondant du Temps aux Etats-Unis, pour retomber dans ses travers habituels et interpréter cette décision d'un juge militaire comme l'échec d'un Pentagone désireux de dissimuler l'implication de la hiérarchie (accès payant) :

C'est un coup dur pour le Pentagone. Le procès de Lynndie England, à peine ouvert, a explosé en plein vol. La soldate au visage buté, rendue célèbre par la photo du prisonnier irakien nu qu'elle tenait en laisse à Abou Ghraib, est libre dans sa caserne texane. Le juge de la Cour martiale devant laquelle la jeune femme de 22 ans plaidait coupable a vite compris que sa méthode de défense était incohérente, et il a annulé mercredi toute la procédure. Mais si Lynndie England n'est pas coupable (pour le moment), qui l'est? Ceux qui donnaient des ordres? C'est la réponse que la hiérarchie veut écarter à tout prix.

C'est donc sur la base d'un seul témoignage, celui de Charles Graner, contre de nombreux autres et plusieurs enquêtes détaillées, que Campiotti s'accroche envers et contre tout à sa théorie de la conspiration. Sans d'ailleurs accorder la moindre attention à la présomption d'innocence, qui s'applique aux militaires comme aux civils (mais un militaire n'est-il pas déjà coupable dans l'esprit de ceux qui parlent de "civils innocents" ?). Et la conclusion de son médiocre papier montre bien la perte de réalisme que produit son obsession anti-américaine :

"[T]outes ces subtilités judiciaires ne peuvent pas cacher cette dure vérité: à Abou Ghraib, les Conventions de Genève, que l'armée américaine prétendait respecter, ont été violées par tous les Américains, quel que soit leur grade."

Tous, et quel que soit leur grade? On n'attendra jamais de Campiotti qu'il justifie ses hyperboles pathologiques...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h53 | Comments (14) | TrackBack

3 mai 2005

Un conflit programmé

Un article du Jerusalem Post fournit aujourd'hui un bref aperçu des techniques d'endoctrinement pratiquées ouvertement par les Palestiniens, et montre que le silence des médias à ce sujet est largement mu par l'inclination aux solutions pacifiques dont témoignent la majorité des journalistes. Un aveuglement qui contribue à générer de faux espoirs, et qui reste aujourd'hui à l'oeuvre :

The information about inculcating hatred is readily available to journalists. They could, for instance, explore the impact of textbooks on children by simply asking some of Palestinian students what they've learned with regard to Judaism and Israel's right to exist.
The media's record of covering Oslo was deplorable, and there is as yet little sign of lessons learned.

Les prochaines phases du conflit israélo-palestinien sont déjà programmées. Elles ne surprendront que les esprits égarés par leurs propres aspirations. Et le Gouvernement Sharon semble mener une course contre la montre éperdue pour réduire tant bien que mal les causes objectives de la prochaine Intifada.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h07 | Comments (2) | TrackBack

2 mai 2005

La propagation des idées

En début d'après-midi, j'ai donné une nouvelle fois ma conférence sur la guerre moderne au Centre d'instruction de l'armée à Lucerne, devant les quelque 74 participants du stage de formation d'état-major II. Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai présenté cet exposé, créé dans sa version initiale en février 2002, en prolongement d'une étude prospective sur les engagements à l'horizon 2020 que j'ai eu la chance de pouvoir écrire pour l'armée (ce document est classifié). Il vise à cerner 12 caractéristiques des conflits contemporains dans leur dimension humaine, juridique et médiatique, afin d'en tirer des enseignements quant à la préparation des forces. Le CIAL l'utilise comme introduction ou conclusion à plusieurs de ses stages, afin d'offrir aux cadres en formation une perspective élargie et une vision contemporaine. En général, le public est conquis. Même si je parle en français avec des folios en allemand !

Il va de soi qu'être l'un des conférenciers réguliers de la formation supérieure des cadres de l'armée est un honneur considérable. En même temps, c'est également pour moi l'occasion de diffuser une grande quantité d'idées nouvelles, de conseiller certaines lectures, de présenter certaines innovations de l'armée (dans le domaine des opérations d'informations et des forces non conventionnelles) et de renvoyer au final à CheckPoint et à ce site. A force de propager les mêmes concepts aux différentes volées d'officiers d'état-major et d'état-major général se développe incontestablement une influence sur les esprits, quand bien même les stagiaires sont littéralement bombardés d'informations. Et je vois bien à certaines phrases ou à certains slides PowerPoint ces indices de compréhension et d'intégration - yeux écarquillés, têtes hochées, griffonnements frénétiques - qui récompensent l'orateur. Les quatre ou cinq sbires qui somnolent ne font qu'illustrer cette bonne vieille courbe de Gauss!

Au-delà de la satisfaction légitime pour le travail accompli, le point le plus intéressant de cette expérience reste la possibilité offerte aujourd'hui à l'individu de prendre une dimension inimaginable par le passé. Voici 30 ans, l'informatique individuelle - une appellation révélatrice - a permis à une génération de jeunes gens inventifs et non conventionnels de créer les bases de l'industrie logicielle actuelle, grâce à un savoir rare et naissant (Bill Gates est sans doute l'exemple le plus connu). Voici 10 ans, c'est la démocratisation de l'Internet qui a permis à une nouvelle génération d'inventer de nouveaux moyens de communiquer (les blogs, ICQ), de rechercher et trier l'information (Google) ou encore de partager les données (Napster). L'évolution technologique est suffisamment rapide pour créer constamment de nouvelles opportunités, bien entendu en périmant les organisations et les solutions figées. Et le savoir en est la clef.

L'une des phrases centrales que j'ai prononcées tout à l'heure consistait à dire que la puissance cognitive avait dépassé la puissance mécanique, tout comme celle-ci l'avait fait de la puissance musculaire. Tout détenteur de connaissances approfondies dispose aujourd'hui d'outils facilitant outrageusement la création, la diffusion et l'archivage de contenus à haute valeur ajoutée. Je suis même porté à croire que les grandes organisations spécialisées dans la gestion de l'information, tels que les médias de masse ou les services de renseignement, gagneraient prodigieusement en efficacité par la focalisation sur la qualité et non la quantité, en troquant une partie des petites mains industrieuses contre des quelques analystes multidisciplinaires dotés d'outils informatiques puissants (les avis sont bienvenus à ce sujet en particulier). Ou comment favoriser les honnêtes hommes de notre siècle!

Si un agrégateur de news fait un travail équivalent au desk d'une rédaction, comment ne pas voir que les algorithmes informatiques vont remplacer les travailleurs médiatiques, tout comme les systèmes robotiques ont remplacé bien des ouvriers dans l'industrie automobile ? Le désarroi des médias traditionnels face à la concurrence des blogs rappelle, précisément, certains naufrages industriels. A partir de l'instant où l'information brute est devenue un matériau gratuit, disponible sous un format facilitant le stockage et l'analyse, les cerveaux capables de donner un sens aux données fragmentaires et périssables, de confirmer ou d'infirmer des hypothèses, et corréler les faits avérés avec une intuition personnelle, sont certainement la réponse la plus efficiente. Les organisations recourant de plus en plus aux experts extérieurs - dont je fais modestement partie - ne font que repousser le jour où ces mêmes experts les remplaceront.

L'expression anglaise « marketplace of ideas » est bien difficile à traduire en français. Mais elle désigne parfaitement cet espace immatériel - l'infosphère - dans lequel la faculté d'analyse, de synthèse et d'expression devient la base de la puissance. Et où les réseaux informels d'individus produisent les échanges et contrepoints les plus productifs.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h18 | Comments (9) | TrackBack

25 avril 2005

Entre fantômes et oeillères

On peut lire aujourd'hui dans Le Temps un article de Samuel Gardaz (accès libre) consacré à un rapport de l'International Crisis Group sur l'état de l'islamisme au Sahel. Ce texte est assez typique d'une tendance hélas endémique dans les rédactions : la propagation des messages produits par les ONG en l'absence de sens critique, sans prise en compte des intérêts qu'elles défendent, et sans examiner la position de ceux auxquelles elles adressent leurs sermons. Il faut en effet rappeler que les ONG sont souvent des structures utilisant les ressources morales, l'apparence de la légitimité, pour diffuser et imposer leurs points de vues, généralement directement à l'attention des dirigeants politiques, économiques et militaires. Les propositions de l'ICG s'adressent ainsi au Gouvernement américain, à l'OTAN ou encore à l'UE.

L'article publié par Le Temps reprend sans autre l'analyse de l'ICG et accuse les militaires américains d'exagérer les dangers dus au terrorisme islamiste au Sahel, voire carrément de manipuler les opinions publiques pour favoriser les intérêts US :

Déclarations alarmistes émanant d'officiels américains, programme de coopération militaire piloté par le Pentagone pour contrer la menace, et très nombreux échos dans les médias: tout a concouru à transformer cet ensemble constitué du Tchad, du Mali, du Niger et de la Mauritanie en un «nouvel Afghanistan» où il convenait de toute urgence de traquer les émules d'Oussama ben Laden. Emballement inapproprié? Voire véritable manipulation? Dans son dernier rapport sur le sujet, intitulé «Islamic terrorism in the Sahel: fact or fiction», l'International Crisis Group (ICG) décortique comment ces quatre pays subsahariens sont abusivement qualifiés, alors que la menace terroriste y est jugée très faible.

A priori, on veut bien croire à cette histoire intéressante d'une ONG honnête et travailleuse qui prend la main dans le sac le commandement militaire américain en Europe (EUCOM) et démonte un énième stratagème orchestré par Donald Rumsfeld. Je connais bien Samuel Gardaz, j'ai de l'estime pour lui et traiter un tel sujet sous pression de temps n'est jamais facile, mais son article ne permet pas vraiment de croire à une telle histoire. Le résumé du papier de l'ICG n'est en effet pas contrebalancé par une vérification indépendante ou un aperçu des activités de l'EUCOM ; le clou est au contraire enfoncé par l'interview du responsable de l'ICG pour l'Afrique du Nord, lequel affirme qu'une « réponse strictement militaire est contre-productive » sans voir qu'un tel reproche, au sujet d'un programme de coopération militaire, manque singulièrement de pertinence.

Les indices prouvant que Samuel Gardaz n'a pas pu ou voulu considérer les deux versions de l'histoire sont assez simples à déceler : tout d'abord (c'est ce qui m'a sauté aux yeux), le général Wald n'est pas le chef de l'EUCOM, et il s'agit bien entendu du général James Jones puisque le chef militaire de l'OTAN est également celui des troupes américaines en Europe depuis la fondation de l'alliance (Wald est son remplaçant). Une vérification des actions menées par l'EUCOM aurait certainement permis de corriger l'erreur. Par ailleurs, le programme incriminé - la Pan Sahel Initiative - s'est achevé fin 2004 et a été remplacé par la Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative (TSCTI), qui inclut également l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Ghana et le Nigeria, et qui fait directement partie de la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme islamiste :

Operation Enduring Freedom - Trans Sahara (OEF-TS) OEF-TS is the U.S. military component of TSCTI. EUCOM executes OEF-TS through a series of military-to-military engagements and exercises designed to strengthen the ability of regional governments to police the large expanses of remote terrain in the trans-Sahara.

Par conséquent, il faut bien considérer que l'angle d'attaque choisi par l'ICG est périmé, confine au superficiel et manque l'essentiel - à savoir le fait que les commandements militaires régionaux des Etats-Unis produisent aujourd'hui des efforts pour la stabilisation et l'intégration de toutes les zones sur leur contrôle, y compris celles, largement désertiques, du Sahel. Eviter les vides stratégiques, les zones de non-droit qui profitent tant aux activités criminelles et terroristes, est devenu une priorité des militaires américains.

A dire vrai, la diplomatie militaire est une action préventive dont les ONG et les médias peinent à percevoir le rôle. Lorsque l'ICG recommande à EUCOM de coordonner ses actions avec le programme militaire français visant à renforcer les capacités africaines en matière de maintien de la paix (RECAMP), on mesure bien à quel point les auteurs du texte ignorent tout du sujet. L'objectif principal du Pentagone, par le biais de ces programmes de coopération, consiste à instaurer une présence, à établir des contacts, à obtenir des connaissances qui pourront le cas échéant s'avérer utile, tout en renforçant les outils des Etats concernés par le savoir-faire et le matériel américains. C'est une manière à la fois de désamorcer des conflits potentiels, d'augmenter les effets en cas d'intervention ouverte et d'interdire par avance l'accès à certaines régions. Le produit d'une réflexion stratégique sur les menaces immanentes de notre ère : être présent et diffuser ses idées pour contrer celles de l'ennemi.

Au demeurant, je me demande bien comment l'ICG est en mesure de vraiment appréhender une coopération militaire menée essentiellement avec des unités non conventionnelles. Déployer des forces spéciales US au Sahel n'est jamais une action innocente : si l'enjeu n'en valait pas la peine, ces soldats hautement demandés seraient engagés ailleurs. Il est vraiment dommage qu'en suivant les incantations moralisatrices des ONG, les médias arborent des œillères qui contribuent à leur masquer la réalité bien plus complexe et passionnante des événements.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h56 | Comments (7) | TrackBack

24 avril 2005

Prise de conscience médiatique

Un article publié cette semaine par The Economist montre que les médias traditionnels commencent à comprendre la nécessité de transformer leur manière de gérer l'information et leurs clients. Basé sur un discours fracassant de Rupert Murdoch, prononcé le 13 avril devant l'American Society of Newspaper Editors et invitant ceux-ci à modifier radicalement leurs méthodes de travail, cet article pose plusieurs questions de fond sur le déclin de la presse écrite, l'essor des médias électroniques, mais aussi la démocratisation de la fonction journalistique. Le jugement générationnel montre en particulier qu'une adaptation radicale est inévitable :

The decline of newspapers predates the internet. But the second-broadband-generation of the internet is not only accelerating it but is also changing the business in a way that the previous rivals to newspapers-radio and TV-never did. Older people, whom Mr Murdoch calls "digital immigrants", may not have noticed, but young "digital natives" increasingly get their news from web portals such as Yahoo! or Google, and from newer web media such as blogs.

Fondamentalement, l'Internet est un progrès révolutionnaire qui, à mon sens, aura des effets aussi importants et durables que l'invention de l'imprimerie. On se rappelle que celle-ci, en autorisant une diffusion des idées et notamment des bibles, a créé les conditions pour la réforme de l'Eglise, et toutes les guerres de religions qui ont suivi, mais aussi permis un développement prodigieux du savoir. Aujourd'hui, c'est une véritable épidémie d'idées qui touche la planète, avec des effets potentiels qui dépassent probablement notre entendement. Que les médias se rendent peu à peu compte de l'évolution des rapports de force basés sur l'information est certainement salutaire, à condition de surmonter le conservatisme propre au corporatisme journalistique.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h49 | Comments (11) | TrackBack

20 avril 2005

Alerte média : Le Temps (3)

Le quotidien Le Temps a publié aujourd'hui mon analyse (accès payant) de la mission de l'armée suisse à Sumatra, et des perspectives que l'on doit en tirer sur les questions de projection. Il s'agit bien entendu d'une affirmation personnelle, et nous verrons si les prochaines années me donnent raison, mais je pense bel et bien que ce déploiement en annonce d'autres, dans des circonstances et avec des effets probablement très différents.

En tout cas, cela me fait bien plaisir depuis le fond de mon bunker que le monde semble encore se souvenir de moi ! :)

Posted by Ludovic Monnerat at 6h28 | TrackBack

17 avril 2005

Un message incomplet

Trois ans et demi après le déclenchement des opérations en Afghanistan, et deux ans après l'effondrement du régime de Saddam Hussein, les Forces armées américaines ont toujours des difficultés majeures à assurer une couverture médiatique réaliste et équilibrée de leurs actions. Le chef de l'état-major interarmées américain, le général Richard B. Myers, vient ainsi de mettre au défi les éditeurs [en fait, les rédacteurs en chef] de fournir au public un compte-rendu complet des zones en conflit. Et il souligne combien les distorsions de la couverture peuvent avoir un effet néfaste sur la résolution de la population américaine, et donc sur la volonté du pays de poursuivre le combat :

Myers told the editors that he reads far more about the problems of servicemembers' equipment and the latest insurgent attack than about "the thousands of amazing things our troops are accomplishing." This concerns him, he said, because American resolve is key to success.
The chairman said that part of the problem lies with the military. He said commanders must be more responsive and give more access to reporters. "We're working on that," he told the editors.
But still, "a bomb blast is seen as more newsworthy than the steady progress of rebuilding communities and lives, remodeling schools and running vaccination programs and water purification plants."

Le penchant des médias américains à privilégier les événements négatifs est bien connu, et les soldats déployés en Irak ou en Afghanistan en reviennent souvent avec une rancoeur solide contre les journalistes. Ces derniers jours, quelques événements plus spectaculaires en Irak ont d'ailleurs amené des rédactions à spéculer sur une flambée de violences consécutives à imaginer une tactique délibérée de la guérilla sunnite, alors que celle-ci continue de se battre pour sa survie physique et médiatique. L'absence de perspective et de connaissances sur le sujet favorise lourdement de telles distorsions.

Malgré cela, les appels répétés des principaux dirigeants militaires américains montrent que leurs efforts d'intégration et de transparence à l'endroit des médias sont loin d'avoir pleinement porté leurs fruits. Et l'annonce d'améliorations dans ce sens me semble vaine : les armées US n'ont tout simplement pas les mêmes intérêts que les médias US, dont les inclinations économiques et idéologiques sont les causes majoritaires de l'image tronquée qu'ils diffusent. Si le général Myers croit vraiment à ce qu'il affirme ("DoD officials [are] not afraid of what servicemembers would tell reporters"), il ferait mieux d'inciter ses subordonnés à chacun médiatiser leur action, à diffuser les récits et les images qui manquent tellement aux produits médiatiques commerciaux.

Parier résolument sur l'individu me paraît une réponse applicable à bien des dilemmes de notre époque.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h52 | Comments (3) | TrackBack

14 avril 2005

L'individu triomphant

Le meilleur éditorialiste du monde à mon humble avis, Mark Steyn, a écrit une nouvelle colonne pour le Spectator qui mérite vraiment la lecture. Il décrit le rôle de l'individu dans les économies globalisées modernes, et montre notamment comment l'Europe se focalise sur des idées centralisatrices périmées pendant que des structures flexibles et globales tirent un profit maximal de la technologie disponible :

One of the curious trends of the modern world is that even as the UN, EU and other transnational elites demand that our politics become ever more centralised and homogenised and one-size-fits-all, successful business operations are decentralising: they're practising corporate federalism. If you order a laptop custom-built to your precise specifications with the features you want, Dell will assemble it with components made by US, British, Irish, German, Japanese, Israeli, South Korean, Taiwanese, Thai and Chinese companies at factories located in Japan, South Korea, Taiwan, Thailand, China, Malaysia, Singapore, the Philippines, Indonesia, Mexico and Costa Rica; it will be assembled in Penang on a Monday and arrive in Nashville by Thursday.
For the purposes of comparison, the UN has far more cash swilling about, and its global network predates Dell's by half a century; yet, when the tsunami hit, it took not four days but four weeks for its staff to establish a presence at Banda Aceh. Dell's 'coalition' is pretty eclectic - capitalist, Eurostatist, Chinese Communist, Chinese Nationalist, Latin, Anglophone, Jewish, Muslim - yet it functions harmoniously. Meanwhile, all that that pompous Norwegian who heads up the UN humanitarian bureaucracy could do was give press conferences in New York hectoring the developed world for its 'stinginess', so every Western government promptly dipped into its taxpayers' pockets and threw more money at the pompous Norwegian than he can ever usefully spend, and the only result will be that, when the next tsunami hits, it'll take 'em even longer to get to the scene, but the pompous Norwegian will be able to give even more hectoring press conferences, perhaps with lavish visual aids.

Lisez le tout.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h49 | Comments (3) | TrackBack

13 avril 2005

Insignifiance à la une

Plusieurs médias romands enchaînent aujourd'hui pour le troisième jour consécutif sur une affaire que l'on pourrait croire de la plus haute importance : les soupçons de tricherie dans l'élection de Miss Suisse Romande. C'est bien entendu une histoire mitonnée dans la meilleure marmite à ragots, avec de jolies jeunes filles à peine vêtues, un mouton noir aux traits androgynes, une sombre rumeur de complot, la menace de poursuites judicières et des enjeux financiers en filigrane. Un mélange de beauté et de laideur, de morale et de gros sous, d'apparences et de coulisses qui fournit le cadre d'un feuilleton racoleur et sans doute rentable. Quoi de mieux qu'une Miss qui déplaît pour dépasser l'aspect nunuche des concours de beauté ?

Les personnages adulés et haïs font tous vendre, mais il le font au mieux lorsqu'ils sont couplés, lorsqu'ils forment un tandem doté d'une dynamique propre : le gentil et le méchant (pour la TSR, c'est Annan contre Bush !), la belle et la laide (Diana et Camilla!), la victime et son bourreau, etc. Cette caricature digne d'un spectacle de marionettes s'accorde naturellement au format des médias populaires, qui recherchent des personnages simples, typés et contrastés pour faire de l'information un produit alléchant et digeste. Pareille insignifiance montée en épingle pourrait paraître anodine, et somme toute sans conséquence. Mais elle signifie surtout, par la place et l'habitude prise, que des sujets véritablement importants ne sont pas traités, ou le sont avec les mêmes méthodes.

Il ne faut pas compter sur les médias pour devancer les problèmes et se focaliser sur l'essentiel. La nécessité de vendre s'oppose trop au besoin d'informer pour cela. Penser l'avenir est une toute autre discipline!

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (16) | TrackBack

12 avril 2005

Une vengeance ratée

Dans le flot d'informations qui est aujourd'hui disponible sur Internet, il est certaines dépêches qui résument à elles seules l'insondable stupidité dont les êtres humains font parfois preuve. Un exemple :

Uriner dans la boîte aux lettres de son ex-amie est punissable
ZURICH - Vouloir se venger après une rupture peut coûter cher. Un étudiant zurichois qui avait uriné à plusieurs reprises dans la boîte aux lettres de son ex-amie a écopé d'une peine de dix jours de prison avec sursis.
Le jeune homme de 30 ans avait également versé du produit de nettoyage pour WC ainsi que de la colle dans la boîte aux lettres de son ancienne compagne. Malheureusement pour lui, une webcam avait filmé les faits. Le Tribunal de district de Zurich a condamné l'étudiant pour déprédations minimes répétées, estimant qu'il avait agi pour des motifs égoïstes.
L'amoureux éconduit a eu plus de chances concernant les autres faits qui lui étaient reprochés. Entre janvier et juillet 2003, il avait harcelé son ex-amie, aujourd'hui âgée de 31 ans, en lui téléphonant une centaine de fois. Mais le tribunal l'a acquitté sur ce point, à défaut de preuves. Selon le jugement, l'accusé avait uniquement utilisé des cabines publiques et n'avait jamais prononcé un mot.

Etonnant, non?

Posted by Ludovic Monnerat at 6h40 | Comments (3) | TrackBack

9 avril 2005

Les blogs militaires

Le thème des weblogs tenus par des militaires déployés en mission commence à intéresser de plus en plus les médias. Preuve en est cette assez bonne description publiée par Investor's Business Daily. Elle cerne plusieurs enjeux du phénomène, comme la sécurité opérationnelle et les révélations incontrôlées, mais aussi l'impact positif que les textes de soldats motivés peut avoir au pays. Et le récit mentionné sur la limite de vitesse de 45 miles à l'heure est typique des aspects concrets et précis que l'on ne retrouve, la plupart du temps, que sur les blogs militaires.

Pour l'analyse, ces sites sont des sources intéressantes. Comme le mentionne l'article d'IBD, les bloggers n'ont en principe aucun intérêt à mentir ou à inventer totalement ce qu'ils décrivent ; de toute manière, il est assez rapidement possible de démêler le faux du vrai. On peut, en revanche, les soupçonner d'embellir leurs récits. Pourtant, les descriptions exceptionnelles de l'engagement des chars à Falloujah, sur le site du capitaine Neil Prakash, sont le meilleur exemple de ce que les weblogs peuvent fournir. Une grande quantité de petits détails, qui ont toutes les apparences de la vérité, peuvent être lus et facilitent la compréhension d'ensemble.

Ma propre expérience de weblog en opération, disponible ci-contre sous la rubrique personnel, m'a fourni une autre perspective. Un blog permet d'abord de maintenir plus facilement le contact avec ses proches, ce qui représente certainement la principale motivation pour le tenir. Malgré l'omniprésence des relais cellulaires, un billet est en mesure d'informer plus rapidement la famille et les amis, et fait également vivre par procuration certaines activités. C'est d'ailleurs cet aspect qui est le plus intéressant : un grand nombre d'inconnus se sont mis à suivre ce site et l'ont inscrit dans leurs favoris (42% des visiteurs en février). La mise en ligne de photos ne fait que renforcer l'intérêt du public.

Plus que jamais, je suis donc persuadé que les soldats sont appelés à l'avenir à être des médias à part entière, à se transformer en témoins et journalistes dans le sens de leurs inclinations. Et que ce facteur prend une importance croissante dans l'issue des opérations, de combat ou non.

COMPLEMENT I (10.4 2140) : Les commentaires ci-dessous, qui abordent notamment le récent incident survenu lorsque 3 jeunes palestiniens sont morts dans la bande de Gaza, méritent d'être lus. On notera notamment une réflexion de fingers qui complète avec pertinence le billet ci-dessus :

Les blogs des rebelles (et des bandits, si ce ne sont pas les mêmes) sont les otages occidentaux filmés au camescopes et les décapitations. Ils racontent tous la même histoire.

La liberté d'expression et les possibilités offertes par la technologie permettent également de faire plus facilement le tri entre les messages...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h20 | Comments (30) | TrackBack

6 avril 2005

Darfour : la justice ou la vie

The Economist a publié un commentaire pertinent sur la décision de déférer devant le Cour Pénale Internationale 51 suspects de crimes de guerre au Soudan, dont des dirigeants politiques et militaires de premier plan, pour les massacres commis au Darfour. Mais cette abdication du pouvoir politique devant une institution judiciaire internationale, largement louée comme une décision historique du Conseil de sécurité, restera sans effet sur le nettoyage ethnique qui, selon certains chiffres, a déjà fait 300'000 morts :

[L]eading human-rights bodies concurred that the United Nations Security Council's vote, on Thursday March 31st, to refer 51 suspected war criminals in Sudan's Darfur region to the International Criminal Court (ICC) was an historic step. [...] But though the chances that the worst culprits may eventually be brought to justice have improved, there are few signs as yet that the state-sponsored campaign of murder, rape and torture in the troubled region is coming to an end.

Il paraît tout de même surprenant que le sort des populations victimes des milices pro-gouvernementales soit jugé tellement moins important que l'avènement d'une cour érigée en outil politique. Les habitants du Darfour peuvent bien mourir par milliers chaque mois, les principaux suspects de leur triste sort seront patiemment attendus à La Haye, comme le sont Mladic et Karadzic depuis presque 10 ans, et la justice finira par être rendue, fût-ce par contumace. Quant à essayer d'arrêter le massacre aujourd'hui, en envoyant - quelle horreur! - l'une de ces armées occidentales présentes dans les points chauds du globe, il ne faut même pas y penser. C'est bien connu, aucune action militaire ne peut résoudre quoi que ce soit.

Je me demande combien de vies ont déjà coûté de tels raisonnements...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h23 | Comments (9) | TrackBack

2 avril 2005

L'ONU toujours à la peine

En Indonésie, les Nations Unies sont à nouveau dépassées par les événements. Ce n'est pas en lisant Le Monde qu'il est possible de l'apprendre, puisque le quotidien français n'a pas d'envoyé spécial sur place et compile les dépêches de l'AFP, mais en se rapportant à l'article publié aujourd'hui dans Le Temps (accès payant), qui a dépêché Richard Werly à Banda Aceh. Et ce dernier brosse un tableau presque tragicomique de la situation, que je ne saurais m'empêcher d'annoter :

Trois cargos, embarquant chacun plus d'une centaine de tonnes de vivres et de médicaments, ont ainsi dû attendre vendredi pour prendre la mer. [Note : et comment seront-ils déchargés?] Ils sont attendus sur place samedi. Un navire de la marine indonésienne transportant plusieurs pelleteuses et bulldozers indispensables au dégagement des décombres n'a, lui, pas pu décharger ses engins, faute d'installations appropriées à Gunung Sitoli, le principal port de l'île de Nias. [Parce que vérifier avant n'était pas possible?] Les dommages causés à l'aéroport du chef-lieu ont en outre empêché l'utilisation d'avions gros-porteurs. [Louer des avions incapables d'utiliser des pistes rudimentaires était-il vraiment judicieux?] Les évacuations médicales tout comme l'acheminement du matériel d'urgence se sont faites jusque-là par hélicoptères. Deux appareils Hercules C-130 de l'armée de l'air australienne étaient toutefois attendus sur la zone vendredi. [En vertu d'une décision bilatérale hors ONU, n'est-ce pas?]

Regardons les choses en face : le tremblement de terre du 29 mars a fait au moins 1300 morts sur l'île de Nias, et les moyens déployés pour faire face à un bilan 100 fois plus lourd seraient incapables de leur venir en aide efficacement? Voilà qui rappelle encore une fois combien les prétentions de l'ONU à diriger l'aide humanitaire d'urgence en Asie du Sud étaient ridicules. Où sont donc les services de M. Jan Egeland, qui appelait à "penser en grand" depuis son bureau new-yorkais début janvier, et qui ont mis plus d'un mois à développer un concept d'opérations aujourd'hui mis en difficulté par la première secousse sismique dépassant 8 sur l'échelle de Richter depuis le tsunami? L'armée australienne, pour sa part, a lancé la phase II de son opération Tsunami Assist avec moins de prétention, mais certainement plus d'efficacité.

Pour une fois, cette critique de l'ONU se fonde non seulement sur une analyse des informations disponibles, mais également sur une expérience concrète. L'île de Nias se situe - c'est une estimation personnelle - à moins de 500 kilomètres de Banda Aceh, et à moins de 300 kilomètres de Medan. Si ce séisme s'était produit un mois plus tôt, alors que le contingent suisse à Sumatra était encore opérationnel, ce dernier aurait été en mesure à lui seul de transporter une bonne partie de l'aide d'urgence nécessaire aux milliers de blessés et sans abri recensés. Les hélicoptères peints en blancs de l'ONU auraient logiquement dû être capables de faire autant. Comment expliquer que cela ne soit pas le cas?

Cette réalité confirme donc ce que l'on pouvait pressentir : l'ONU a monté à Sumatra une organisation de beau temps, une structure et des processus adaptés à une phase de reconstruction après la phase d'urgence exécutée par les contingents militaires étrangers. La nécessité de répondre à une crise même nettement moindre ne semble pas avoir filtré dans les esprits des fonctionnaires onusiens. Quant à l'Etat indonésien, trop heureux de pouvoir se décharger de ses responsabilités, il laisse volontiers aux Nations Unies l'honneur d'assumer leurs revendications en matière d'aide d'urgence. Les victimes, elles, peuvent rapidement en conclure que l'absence d'aide est parfois préférable à la promesse d'une aide qui n'arrive pas.

COMPLEMENT I (3.4 2355) : Rien n'illustre mieux toute la différence d'attitude que le crash mortel d'un hélicoptère de la marine australienne sur l'île de Nias, qui a coûté la vie à 9 membres d'équipage. La panne probable de l'appareil rappelle que plusieurs hélicoptères américains ont eu des avaries similaires au début du mois de janvier, sans conséquences autres que matérielles, parce le rythme de leur utilisation ne permettait plus d'assurer une maintenance parfaite, et que l'urgence de la situation justifiait les risques pris. Donner sa vie pour sauver celle des autres fait partie intégrante de l'esprit militaire, et d'autres corps constitués aptes à gérer les situations de crise.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h30 | Comments (1) | TrackBack

1 avril 2005

Un Réseau qui se démêle

Je n'ai jamais accordé beaucoup d'intérêt au Réseau Voltaire, n'y voyant qu'une entreprise propagandiste puisant son énergie dans les franges extrêmes de la classe politique française. Peut-être ai-je eu tort : au hasard d'une recherche sur Google, je suis en effet tombé sur cet article paru mercredi dans la revue Amnistia, laquelle annonce tout bonnement "la fin du Réseau Voltaire" et décrit son évolution au fil des années, avec notamment une dérive négationniste. Et la conclusion des auteurs, membres démissionnaires du Réseau, est des plus intéressantes :

Il apparaît évident, avec ce que l'on sait maintenant, que la publication des thèses de Thierry Meyssan aura été, dès le départ, instrumentalisée par la diplomatie française pour déployer une "ligne" diplomatique de type "gauchiste" aussi bien dans le monde arabe qu'en Amérique latine. S'articulent autour de cette entreprise aussi bien des alliances avec des islamistes que des relais en particulier dans certains partis communistes du Moyen-Orient qui expérimentent depuis longtemps cette politique d'alliance avec les forces islamistes.

Faut-il donc voir dans les écrits de Meyssan et les publications farouchement anti-américaines du Réseau Voltaire la patte des services de renseignements français, dans le cadre d'une opération d'information visant à concrétiser des objectifs stratégiques de la France? La thèse mérite l'attention, même si le succès de cette possible opération semble très loin d'être acquis.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h08 | Comments (10) | TrackBack

31 mars 2005

Anti-racisme et angélisme

Il vaut la peine de lire les réflexions de François Brutsch suite aux violences racistes qui ont consacré en France l'émergence de l'ennemi intérieur. Il analyse en effet les réactions qui sont parvenues au Monde, suite à la publication d'articles prouvant l'existence d'un racisme anti-blanc à un public généralement protégé de telles révélations par le filtre du politiquement correct, et montre l'ampleur du problème intellectuel :

S'il faut d'abord souligner que les victimes de la délinquance sont en réalité de manière disproportionnée elles-mêmes issues de milieux défavorisés, elles-mêmes d'origine africaine et maghrébine, la bonne conscience culpabilisée qui conduit à ne pas la voir, à empêcher sa répression, est un important facteur de son développement. En Suisse, le journaliste et intellectuel critique Niklaus Meinberg en avait fait l'expérience après avoir été battu et détroussé: comme son agresseur était Noir, il était prié par ses amis de l'intelligentsia de gauche de ne pas en faire un plat, nié dans sa qualité de victime.

Les médias français ne sont donc pas pressés de se pencher sur l'ampleur du problème, puisque la négation du statut de victime reste une caractéristique essentielle de l'ethnomasochisme qui étreint les élites européennes. Il faut se rapporter à d'autres lieux, heureusement accessibles d'un clic de souris, pour trouver une mise en perspective adéquate de ces événements - comme cet article publié sur le site conservateur FrontPage Magazine. Extrait:

When President Bush came to France for the June 2004 D-Day commemoration he was treated to a tremendous anti-Bush demonstration; in addition to the usual jihad contingent, a horde of skuzzy beer-drinking anarchists paraded with their pitbulls and rotweilers, promising "à Paris comme à Falluja la guerilla vaincra [in Paris, in Falluja, guerilla warriors will win]."
The guerilla warriors did show up in March, but they didn't attack the established order, they beat up and plundered kids their own age who have a brighter future and a fancier brand of running shoes. The mentality of these French adolescents--whose parents come from Africa or the Maghreb--is a mixture of common ordinary delinquency, jihad against the infidels, blind revolt of the wretched of the earth, and stupid antics of spoiled kids.

L'idée d'un choc des civilisations comme celle de blocs homogènes et localisés a fait son temps : c'est au contraire une multiplication de chocs entre civilisation et barbarie qui nous menace. Et l'angélisme, comme l'écrit François Brutsch, est bel et bien une cause du problème.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h34 | Comments (6) | TrackBack

30 mars 2005

ONU : l'icône brisée

Il me semble inutile de s'attarder longtemps sur la couverture médiatique du deuxième rapport intermédiaire Volcker sur le programme "pétrole contre nourriture" : comme d'habitude, la presse francophone donne une image globalement positive de l'ONU et de son secrétaire général (voir ici, ici ou encore ici), et il faut consulter la presse anglophone par exemple pour mieux mesurer les conséquences des destructions massives de documents ordonnées par l'ancien chef d'état-major de Kofi Annan au lendemain de l'ouverture officielle de l'enquête. Ou se reporter au blog de Roger Simon pour savoir que Kofi Annan a menti - pardon, s'est trompé dans certaines déclarations.

Le plus important n'est pas là . Afin d'estimer l'impact de ces révélations, il faut s'intéresser à ce qui fait la véritable puissance des Nations Unies, de leur administration et de leur secrétaire général. Malgré son budget non négligeable (12 milliards de dollars par an pour tout le système onusien), l'ONU n'a pas de grandes capacités. Ses principes fondateurs et son processus de décision l'empêchent d'avoir une volonté tranchée. Ses activités avant tout axées sur l'aide au développement et sa dépendance envers les Etats limitent ses connaissances. Ce qui fait la force de Kofi Annan, c'est la légitimité qu'on lui prête, la supériorité morale qu'il est censé illustrer, l'incarnation même de la bonté, de l'intégrité et la justice.

L'ONU est passée maîtresse dans l'art de susciter à son endroit une approbation qui parfois verse dans l'adoration religieuse. La discordance entre les idéaux rassemblés dans sa charte et les méthodes mises en oeuvre à son enseigne sont quelque part comparables aux abus sexuels commis par les curés de l'église catholique : une triste réalité que l'on s'est longtemps obstiné à nier. Aujourd'hui encore, il est très difficile d'engager une discussion rationnelle sur les qualités et les défauts de l'ONU, et encore moins de son secrétaire général : ce dernier est devenu une icône, un être sacré recevant chaque jour l'onction des médias agenouillés, et dont les objectifs sublimes écartent toute objection bassement terre-à -terre.

C'est pourquoi le rapport Volcker est important : en montrant que Kofi Annan est au mieux incompétent et que n'importe quel dirigeant responsable devrait démissionner après de telles révélations, il ramène à ses justes proportions le système onusien et brise peu à peu l'icône à laquelle se raccrochent les fidèles du temps passé. Non, Kofi Annan n'est pas un saint : son secrétariat a présidé à la corruption massive comme à l'inaction face au génocide, son aura de légitimé est issue des croyances cosmopolites et non des urnes électorales, et ses affaires personnelles sont naturellement marquées par les intérêts matériels.

Le règne de l'ONU ne viendra pas.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h37 | Comments (6) | TrackBack

Une mine d'informations

L'un des avantages de l'Internet et des weblogs est d'échapper au spectre d'attention limité des médias. C'est un phénomène connu de longue date : les médias sont en mesure de se concentrer sur un sujet brûlant pendant une période déterminée, puis l'abandonnent précipitamment lorsque le sujet n'évolue plus assez ou si une saturation est atteinte. Le tsunami a par exemple capté l'attention des médias pendant environ 3 semaines, avant de disparaître assez complètement et de n'être abordé qu'à l'occasion d'événements ponctuels. Il en va de même aujourd'hui du Liban, dont les images de manifestations ont fait le tour du monde, mais dont les attentats semblent désormais le lieu commun.

C'est pourquoi il vaut la peine de consulter les compilations d'informations réalisées sur plusieurs weblogs, comme Publius Pundit (ici sur le Liban) et bien entendu les bonnes nouvelles d'Irak, d'Afghanistan ou du monde islamique de l'indispensable Chrenkoff. En livrant un grand nombre de d'informations brutes ou élaborées, ces sites permettent de contourner les choix effectués par les médias (une restriction due à l'espace limité dont ils disponsent, mais hélas également à des opinions parfois tout aussi étriquées) et d'être en mesure d'avoir une meilleure connaissance des détails, et donc de forger soi-même la vue d'ensemble nécessaire.

En d'autres termes, l'Internet permet aujourd'hui à n'importe quel individu connecté et sensé de se transformer en analyste du renseignement et de procéder aux travaux de recherche, d'évaluation et de recoupement qui composent cette activité. Et il ne faut pas s'imaginer que les services de renseignement fassent tout autre chose (la grande majorité des renseignements aujourd'hui sont en source ouverte), ni même qu'ils le fassent beaucoup mieux.

COMPLEMENT I (30.3 1055) : En même temps, cette profusion d'informations gratuites amène les médias traditionnels à devoir élever le niveau qualitatif de leurs productions pour se distinguer et justifier leur coût. Pour la plupart, cela passera par une focalisation sur les analyses (et non des commentaires), en élargissant le cercle des auteurs bien au-delà de rédactions souvent uniformes, mais aussi par une recherche de reportages fournissant une image fiable d'une situation donnée. En guise d'exemple, on peut citer ce reportage du New York Times au Liban, qui brosse un portrait nuancé et précis des opinions et sentiments dans ce pays. Preuve qu'un journal dont le statut de référence appartient au passé continue néanmoins à remplir un rôle important.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h34 | TrackBack

29 mars 2005

Irak : insurgents à confesse

Dans un conflit armé, la technologie offre généralement des possibilités égales aux différents belligérants ; à eux de l'exploiter au mieux. En Irak, la guérilla sunnite et notamment sa composante islamiste ont rapidement réussi à faire du terrorisme un spectacle capable de frapper les esprits, et les caméras vidéo sont devenues une arme essentielle de leur arsenal - au point d'essayer de filmer leurs attaques pour multiplier leur effet. Comme je l'ai déjà souvent écrit, les guerres modernes sont davantage liées à la conquête des esprits qu'à celle des territoires.

Toutefois, le Gouvernement irakien a récemment pris des initiatives pour contrer ces actions dans le domaine médiatique, et l'une d'entre elles semble très efficace : une émission de télévision trépidante qui intègre des séquences d'interrogatoire menées avec les insurgents capturés, lesquelles permettent d'identifier les poseurs de bombes, de montrer leur motivation avant tout pécuniaire, de souligner les transgressions des règles islamiques, et donc de saper la légitimité de la lutte armée contre les forces de sécurité irakiennes et contre la coalition. Et ceci sur un rythme quotidien :

Sometime after Iraq's January elections Al Iraqiya TV, a state-run television station, used U.S. start-up money to broadcast nightly taped interrogations with captured insurgents. The program, roughly translated as "Terrorism and the Hand of Justice," shows insurgents staring at a camera and answering questions posed by an off-screen interrogator.
"All over Iraq, 99 percent of the people are watching this show," said Majdy, a U.S. translator from Khanaqin, about the nearly hourlong program that airs nightly at 9:00 local time. "The other 1 percent are sleeping or working," said Ali, a translator from Baghdad.

Ce type d'offensive sémantique a l'immense avantage de combler les attentes d'une population avide à la fois de savoir et de distraction, de transformer en spectacle presque cathartique - donner le droit de haïr quelqu'un - les pulsions engendrées par le conflit de basse intensité et les fractures sociétales que connaît l'Irak. Encore une fois, on voit mal comment la guérilla sunnite serait en mesure de contrer de telles actions et de donner un sens aux violences souvent aveugles qu'elle déchaîne.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h16 | Comments (7) | TrackBack

23 mars 2005

L'ABC de la manipulation

La presse francophone continue à me surprendre. L'hebdomadaire français L'Express a publié lundi un article inspiré par plusieurs déserteurs américains ayant fui au Canada, sous la plume de Gilbert Charles, et qui vise par ce biais à décrire un phénomène apparemment massif, conséquence supposée du moral exécrable au sein des Forces armées américaines et du refus croissant suscité par les opérations en Irak. Ce texte tente également de montrer les difficultés insolubles que poserait le recrutement, et la nécessité d'engager des individus aussi peu fortunés qu'informés pour remédier aux pénuries de jeunes adultes que compensent tant bien que mal des réservistes. En d'autres termes, L'Express brosse le portrait d'un outil militaire au bord de l'effondrement, usé par une opération impopulaire et dépeuplé par une politique désastreuse. Il n'y a qu'un seul problème : rien de tout cela n'est vrai. Cet article donne à des récits individuels un sens général strictement contraire à la réalité, et forme de ce fait un exemple de manipulation flagrante qu'il vaut la peine d'analyser.

Le premier mensonge n'est pas nouveau : il s'agit de ce fameux chiffre de 5500 déserteurs prétendument annoncé par le Pentagone, qui joue un rôle central dans la dimension du phénomène supposé. J'ai déjà montré dans ce carnet que ce chiffre correspond au nombre de militaires absents sans autorisation dénombrés depuis un peu plus de 2 ans, et que la plupart des cas sont dus à des emprisonnements civils, consécutifs à des crimes ou des délits commis en congé. C'est la chaîne CBS qui a clamé en novembre dernier que le Pentagone reconnaissait 5500 déserteurs, et donc lancé la première ce mensonge ; les autorités militaires américaines ont démenti ces assertions en montrant la cause des absences sans autorisation. Gilbert Charles a donc repris sans vérifier d'un autre média une « information » dont la source supposée a nié l'authenticité, et il l'a sans autre recyclée en écartant tout doute à son sujet. Il est vrai que sans elle, son article n'existait pas.

Le deuxième mensonge s'inscrit dans la lignée du premier : il consiste à affirmer que le phénomène supposé massif des déserteurs est en augmentation, et à prédire « une ruée » si le Canada leur accordait l'asile politique. Charles est certes un brin embarrassé pour fournir les faits susceptibles de fonder son assertion, puisque seuls 8 déserteurs américains sont selon lui recensés au Canada et que 67 demandes d'objection de conscience ont été déposées en 2004 ; il en est donc réduit à affirmer que « des centaines » d'autres se cachent dans la clandestinité. En réalité, comme je l'ai également déjà montré, le nombre de militaires américains absents sans autorisation a nettement diminué ces dernières années, passant de 4597 en 2001 à 2376 en 2004 pour l'US Army, et de 1594 à 1227 pour les Marines. Que Gilbert Charles taise cette information significative suffit à illustrer la malhonnêteté intellectuelle de sa démarche : les faits ne doivent pas faire obstacle au message recherché.

Le troisième mensonge est un mythe déjà éculé, celui du moral « au plus bas » des GI's. Cette notion est essentielle pour faire accroire le caractère contagieux des désertions, mais Charles ne peut fournir que des faits périphériques pour tenter de démontrer son affirmation : un taux de 72% de militaires « insatisfaits de leurs conditions de vie » dans une enquête non citée prêtée à l'US Army, ou 3000 appels par mois sur la « GI rights hotline ». Là encore, la réalité contredit ces assertions, et le moral au sein des Forces armées doit être considéré comme élevé : une enquête du quotidien Army Times auprès de 4165 militaires a par exemple montré que 73% d'entre eux étaient satisfaits de leur situation et prêts à se réengager. Le taux de rétention est en effet un indice qui ne trompe pas : il a dépassé les 100% dans toutes les unités combattantes l'an dernier, et oscille entre 94% et 96% des objectifs pour les 4 premiers mois de l'année fiscale 2005, malgré une économie américaine qui affiche une santé remarquable. Les reportages effectués ces jours en Irak ou en Afghanistan tendent d'ailleurs à confirmer la haute tenue du moral dans les rangs.

Le quatrième mensonge relève également d'un cliché ancien, selon lequel les jeunes adultes américains s'engagent au sein des armées avant tout pour des motifs économiques, et sont des individus peu instruits et prioritairement recrutés dans des milieux défavorisés. Cette notion permet à l'auteur de victimiser les GI's pour mieux accabler leurs supérieurs, mais Charles ne fournit cette fois pas même un fait pour la confirmer. En fait, le 90% des jeunes adultes qui s'engagent dans l'US Army sont des bacheliers, alors que les jeunes issus de milieux défavorisés ont précisément plus de difficultés à obtenir leur baccalauréat. De plus, la forte réduction des nouvelles recrues de couleur - traditionnellement motivées par les avantages économiques - indique l'évolution des motifs qui poussent les candidats à la vie militaire. Les incitations financières ont certes une importance considérable, surtout pour les familles des militaires, mais l'impact du patriotisme après le 11 septembre - malgré l'absence d'étude fournissant des éléments chiffrés - ne doit pas être négligé.

Le cinquième mensonge consiste à dire que les difficultés de recrutement imposent le recours à des réservistes dans les opérations en Irak. Il vaut la peine de noter que l'US Army, pour la première fois depuis 5 ans, n'a pas réussi en février dernier à atteindre ses objectifs de recrutement mensuels - 5114 contre 7050 - contre un résultat de 100,8% l'an passé. Cependant, ces chiffres montrent également à quel point les propos de Charles sont erronés : affirmer que le manque de 2000 recrues dans l'armée d'active entraîne la présence de 60'000 membres de la Garde nationale et de la réserve en Irak est risible. Leur proportion de 40% s'explique en fait par deux raisons : d'une part, certaines fonctions essentielles sont prioritairement remplies par des réservistes (comme la police militaire ou les affaires civiles) ; d'autre part, c'est le nombre insuffisant de divisions d'active (10 aujourd'hui, 18 en 1991) qui rend nécessaire l'envoi de brigades et de divisions de la Garde. Le volume insuffisant et l'alimentation inadaptée des Forces armées US sont la cause de leur recours important aux composantes non actives.

Ces cinq mensonges identifiés et corrigés, que reste-t-il du texte de Gilbert Charles ? Le récit de quelques déserteurs américains réfugiés au Canada, présentés sous un jour favorable sans le moindre sens critique à leur endroit (on parle par exemple de Pablo Paredes, ce marin emprisonné pour avoir refusé de prendre la mer en direction de l'Irak, sans rappeler que son navire, l'USS Bonhomme Richard, a d'abord participé intensivement aux opérations d'aide humanitaire en Asie du Sud). Mais la tentative de décrire un phénomène croissant et significatif est un échec complet. On veut bien croire que les déserteurs sont au nombre de quelques dizaines, voire quelques centaines, malgré l'absence d'indice probant d'une telle ampleur ; sur des Forces armées qui comptent 2,2 millions d'hommes et de femmes, le problème reste singulièrement minoritaire. Par ailleurs, il faut noter que depuis le 11 septembre 2001, plus de 12'000 militaires américains libérés de leurs obligations contractuelles se sont portés volontaires pour servir à nouveau. Un chiffre hélas absent de L'Express!

Les Forces armées américaines ont naturellement des difficultés de taille en matière de personnel, et le rythme des opérations en cours commence à faire sentir ses effets sur la disponibilité des forces terrestres (l'Air Force et la Navy connaissent au contraire des sureffectifs problématiques). Mais rien de tout cela ne peut justifier les allégations stupéfiantes de Gilbert Charles, et il est difficile de ne pas voir derrière son article la volonté presque irrépressible de décrire sous un angle apocalyptique l'état de la première armée du monde. La méthode est simple : prendre une information non représentative, l'extraire de son contexte et l'utiliser pour construire un sens totalement éloigné de la réalité, mais conforme à l'idée - voire à l'idéologie - de l'auteur. Une sorte d'ABC de la désinformation pratiquée au quotidien, ou plutôt à la petite semaine, qui fait froid dans le dos.

COMPLEMENT I (29.3 0120) : Un commentaire à ce billet mentionne un article intéressant du New York Times sur les difficultés vécues au quotidien par une partie au moins de 7500 recruteurs de l'US Army (et aussi de recruter de bons recruteurs...). Malheureusement, l'auteur de ce commentaire s'est appuyé sur cet article au demeurant incomplet (pas de chiffres concernant le recrutement actuel) pour se lancer dans des assertions injurieuses à mon endroit, qui plus est contestant mon analyse du texte de L'Express sans fournir le moindre fait pour ce faire. Raison pour laquelle ses lignes ont été effacées aussi sec, et leur contenu résumé ci-dessus.

COMPLEMENT II (29.3 1505) : Cet article montre également les efforts des recruteurs américains. Mais il intègre la vue d'ensemble nécessaire à la compréhension de la situation :

The Navy and Air Force are meeting recruiting goals and the Marines have narrowly missed theirs. The Army, however, was about 6 percent behind schedule for meeting its 2005 goals through the first five months of the budget year that began Oct. 1.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h36 | Comments (6) | TrackBack

21 mars 2005

Une opacité nuisible

On trouve aujourd'hui, dans Le Temps, un texte présenté comme un reportage (accès payant) sur la situation à Falloujah près de 6 mois après l'offensive coalisée. Ecrit par un certain Feurat Alani, ce récit donne une image presque exclusivement négative de la ville, sur la base de trois témoignages, et donne l'impression d'une population prête à exploser. Comme je l'ai déjà montré en février dernier, de tels reportages presque apocalyptiques sont à l'opposé de ce que l'on peut lire dans la presse américaine (comme ici et ici), laquelle a la saine habitude de recenser des faits chiffrés et d'élargir les sources d'information utilisées.

D'un point de vue analytique, le texte publié par Le Temps affiche donc a priori un degré de crédibilité assez bas. Par acquis de conscience, j'ai cherché à en savoir plus sur son auteur, et bien mal m'en a pris (voir la recherche sur Google) : il apparaît en effet que Feurat Alani est un journaliste politiquement engagé, signataire d'une pétition rassemblant des activistes ouvertement opposés à l'opération militaire en Irak sous la forme d'un "tribunal populaire" analogue à ceux orchestrés par l'extrême-gauche durant la guerre du Vietnam (la filiation avec ce conflit et cette pratique est d'ailleurs ouvertement revendiquée). Un extrait résume bien le sens de leur action :

Nous demandons que les États-Unis fassent preuve de réalisme, retirent leurs troupes d'Irak sans condition, et en tirent les conclusions qui s'imposent concernant le caractère inaceptable des guerres préventives. [...] En attendant, nous affirmons que nous nous opposerons par tous les moyens pacifiques et légaux à toute tentative d'écraser la résistance irakienne par une escalade militaire, comme cela a été tenté lors de la guerre du Viêt-Nam. [...] Nous nous efforcerons de diffuser toutes les informations permettant de contrer la propagande de guerre et nous tenterons de mobiliser l'opinion publique mondiale, comme en 2002, afin d'exiger que les États-Unis renoncent à chercher une solution militaire à la situation en Irak.

L'article de Feurat Alani sur la situation à Falloujah s'inscrit donc dans une perspective militante, visant à influencer le public en vue d'atteindre un objectif politique clairement déclaré. L'adhésion de ce journaliste-combattant à la propagande antiguerre sur les combats à Falloujah ne fait d'ailleurs pas de doute (voir le dernier commentaire à ce texte). En d'autres termes, ce type de "reportage" appartient uniquement à la rubrique "Opinion" d'un organe de presse, et ne devrait pas être présenté au public comme s'il émanait d'un membre régulier et objectif d'une rédaction. Cette opacité des sources et des motivations contribue d'ailleurs largement - et à juste titre, comme le démontrent les lignes ci-dessus - à la méfiance généralisée envers les médias.

COMPLEMENT I (22.3 1715) : Ce reportage effectué à Falloujah et publié hier confirme les lignes qui précèdent et montre que la situation dans la ville est nuancée, mais semble lentement s'améliorer. Comme mentionné précédemment, cet article d'une agance de presse américaine inclut des sources différentes (citoyens irakiens, responsables du Gouvernement et militaire américains) ainsi que des faits chiffrés, fournissant une vue d'ensemble dans un domaine particulier. En d'autres termes, un travail journalistique de qualité, par opposition au texte propagandiste hélas publié dans Le Temps.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h23 | Comments (12) | TrackBack

19 mars 2005

Les soldats médiatiques (bis)

Sur son excellent blog Intel Dump, Philip Carter traite la question des soldats médiatiques que j'abordais durant mon déploiement à Sumatra, en commentant un article du Los Angeles Times sous l'appellation "opérations d'information amateur". Même si la différence entre professionalisme et amateurisme est parfois ténue dans ce domaine d'activité, son analyse est valable : les productions médiatiques des soldats en mission doivent être contrôlées, et la réussite de la mission prime la liberté d'expression (comme toujours).

Philip Carter voit également une opportunité rêvée dans ce phénomène, et je partage entièrement sa conclusion :

One of the best things to come out of the war was the "embedding" experiment, whereby hundreds of reporters were placed with military units in every part of the theater doing every manner of mission during the war. Those embeds produced some of the most stunning and dramatic reporting I have read, and their first-person reporting did a lot to show the world the facts about how America fought the war. By and large, embeds are now the exception, not the rule. But there is no reason why the Pentagon cannot harness its soldiers and their reporting talents to tell the story of the war. I think these soldiers' stories - such as those shown in the movie "Gunner Palace" - can be very powerful. There is an opportunity here to leverage the images and words of our soldiers for strategic benefit, and I think we would be remiss not to take it.

Transformer chaque soldat en témoin, reporter et producteur : voilà une perspective qui montre combien la fonction militaire évolue rapidement, à la mesure de champs de bataille étendus aux sociétés entières.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h39 | Comments (2) | TrackBack

18 mars 2005

La honte des opposants

Tel est le sens d'un éditorial percutant de Charles Krauthammer : devant l'éclosion de la démocratie au Proche-Orient, les opposants à la guerre en Irak commencent honteusement à reconnaître leur erreur fondamentale. Une analyse pertinente qu'il vaut la peine de lire, et qui met douloureusement le doigt sur la banqueroute morale de la gauche occidentale :

Now that the real Arab street has risen to claim rights that the West takes for granted, the left takes note. It is forced to acknowledge that those brutish Americans led by their simpleton cowboy might have been right. It has no choice. It is shamed. A Lebanese, amid a sea of a million other Lebanese, raises a placard reading "Thank you, George W. Bush," and all that Euro-pretense, moral and intellectual, collapses.

Comme Krauthammer l'écrit lui-même, il est bien trop tôt pour affirmer que la transformation de cette région troublée est irréversible, ou même sera un succès. En ce qui me concerne, j'avais voici plus de 2 ans jugé que les opposants à l'intervention coalisée en Irak témoignaient d'une immoralité sans fard, et les images de la prise de Bagdad par les troupes américaines m'avaient conforté dans ce jugement. Les images qui proviennent aujourd'hui du monde arabe s'inscrivent dans une ligne similaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h33 | Comments (3) | TrackBack

17 mars 2005

La défense des militants

Voici 2 jours, j'avais loué l'examen de conscience auquel s'est livré dans Le Temps le jusqu'alors très militant Alain Campiotti, sur son opposition à l'opération militaire coalisée en Irak et sur la distance avec la réalité qu'une telle position a provoquée. Dans son commentaire à ce billet, Stéphane avait affirmé que je me berçais d'illusions en pensant que les rédactions étaient prêtes à faire une analyse honnête de leurs convictions, et de l'influence qu'elles ont sur leurs produits. Un peu de patience, écrivait-il en guise de conclusion (il aurait aussi pu dire qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, ce qui s'accorde à notre climat!).

Aujourd'hui, les faits viennent de lui donner raison : dans un éditorial acide et pathétique (accès libre), Serge Enderlin - chef de la rubrique internationale du Temps et à ce titre supérieur de Campiotti - transforme en effet ce qui devrait être un commentaire analytique de l'actualité (la nomination de Paul Wolfowitz comme candidat à la présidence de la Banque Mondiale) en une défense personnelle de son opposition à la guerre de l'Irak, qu'il décrit comme une aventure lamentable et meurtrière, et en refusant énergiquement toute nécessité de remettre en cause cette position. Extrait :

Les Européens, et tous ceux qui entrevoyaient dans les derniers événements («ouvertures» démocratiques au Moyen-Orient) le début d'une vérité bushienne en seront pour leurs frais: non, Bush n'a pas changé; non, on ne s'était pas trompé sur lui; non, il n'y a pas d'examen de conscience à faire sur les critiques formulées dans le passé à l'encontre de cette administration américaine pour qui un bon allié est un partenaire qui se couche.

Il peut être intéressant d'assister par article interposé à ce qui constitue un débat interne, et peut-être une lutte intestine. De toute évidence, Serge Enderlin s'est senti directement visé - et à juste titre - par les propos d'Alain Campiotti et tente de réaffirmer la ligne qu'il suit depuis l'été 2003 dans la couverture de l'Irak, du Proche-Orient et des Etats-Unis. Un rappel à l'ordre plutôt rageur, écrit par un homme dont les prédictions souvent apocalyptiques et les appels incantatoires à l'ONU ont été ridiculisés par l'évolution des événements, et qui désormais vit dans le passé pour ne pas appréhender un présent discordant.

Il y aurait en effet beaucoup à dire sur la nomination de Wolfowitz et Bolton à la Banque Mondiale et à l'ONU, et bien autre chose que les fadaises habituelles sur le démembrement du droit international ou l'unilatéralisme forcené de l'administration Bush (dans le même numéro, un article traite pourtant du départ annoncé du contingent italien en Irak, un pays censé symboliser une action unilatérale...). On peut au contraire voir dans ces décisions la volonté des USA de s'impliquer davantage dans les institutions internationales pour les transformer de l'intérieur, ou encore la nécessité pour Bush d'écarter certains personnages devenus peut-être un brin embarrassants à Washington (et aspirant à des fonctions prestigieuses, puisque Bolton était pressenti pour seconder Condoleeza Rice).

Mais il n'y a rien d'analytique ou même de rationnel dans le texte de Serge Enderlin. Son éditorial est à la fois un cri du coeur et un coup de gueule, un combat d'arrière-garde se déroulant intramuros, un refus d'avouer les erreurs commises et de reconsidérer presque 2 ans d'affirmations absolues. Une sorte de sermon dogmatique et passionné rappelant l'infaillibilité de l'autorité journalistique, en guise de défense contre ceux qui pointent le doigt sur la différence entre la réalité et les articles censés la décrire. Autant dire une tentative désespérée de repousser une remise en question qui en sera d'autant plus douloureuse.

COMPLEMENT I (17.3 0955) : On conseille à Serge Enderlin et aux opposants à cette "lamentable aventure" en Irak de commencer à s'intéresser à l'avis des Irakiens eux-mêmes, dont l'optimisme semble plus grand que jamais. Il est vrai qu'eux ont l'avantage de vivre dans l'Irak réel, et non dans l'Irak virtuel des rédactions occidentales...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h02 | Comments (3) | TrackBack

15 mars 2005

Le retour de la raison

Les élections irakiennes, après celles d'Afghanistan et de Palestine, la révolte populaire du Liban face à la Syrie, les ouvertures en Arabie Saoudite et en Egypte, et les discussions farouches sur le thème de la démocratie dans les médias arabes ont fini par imposer le retour de la réalité dans les propos des commentateurs. Les médias occidentaux les plus farouchement opposés à l'opération militaire américaine en Irak commencent le travail de mémoire salutaire consistant à dépasser leur opposition pour prendre conscience de la situation véritable ; après le New York Times et d'autres journaux américains, contraint de corriger leur négativisme incohérent, après le Spiegel et sa couverture « No blood for oil », amené à se demander si Bush n'avait pas finalement raison, c'est Le Temps et son très militant correspondant aux Etats-Unis, Alain Campiotti, qui se livrent aujourd'hui (accès libre) à un examen de conscience bienvenu.

Campiotti commence par moquer l'hebdomadaire de gauche The Nation, qui reste totalement silencieux sur l'actualité du Proche-Orient, pour bien montrer le désarroi des rédactions les plus critiques face à l'administration Bush. Cela nous rappelle en passant le silence de L'Hebdo pendant 2 semaines sur les élections en Irak (la troisième semaine, c'est Jacques Pilet qui a pris sa plume la plus amère pour écrire que ces élections n'étaient qu'une mascarade insignifiante!). Il énumère également les arguments catastrophistes de ceux qui, comme lui, annoncent depuis 2 ans l'échec imminent du projet américain. Mais il reconnaît surtout que la couverture médiatique de l'Irak, dans les rédactions opposées à l'intervention militaire, ne correspondait pas à la réalité :

« Ce scepticisme bizarre est déconnecté du réel. L'Orient compliqué est en mouvement, et Bagdad, comme au temps du califat, est bien son épicentre. Les commandos sunnites peuvent exécuter en un jour quarante compatriotes d'une balle dans la tête: avant comme après le 30 janvier, ce n'est pas un programme politique pour l'Irak. Pendant ce temps, les élus chiites, kurdes, et aussi des sunnites, cherchent un compromis sur le premier gouvernement issu d'élections après la dictature, et sur les principes d'une constitution. Il n'est pas sûr qu'ils échouent. »

Cet aveu est de taille. Il marque le début d'une entreprise salutaire : le retour de la raison et de la déontologie au sujet d'un événement qui a suscité comme rarement des passions aveuglantes. Depuis l'été 2003, mes analyses sur la situation en Irak ont constamment affirmé le succès de l'entreprise stratégique américaine, quelle que soit sa lenteur et son prix en vies humaines, parce que toutes les lignes d'opérations stratégiques - politique, économie, société, sécurité - indiquaient une telle tendance. Plus important encore : j'ai toujours pensé que les Irakiens accepteraient les bienfaits de la démocratie, et donc qu'une action militaire fondée sur une idée avait de grandes chances d'atteindre une grande partie de ses objectifs. Cette compréhension commence à apparaître dans les rédactions, au vu des propos de Campiotti :

« Quand l'histoire tressaille, faut-il faire son examen de conscience? Ou peut-on, comme au moment de l'effondrement du communisme soviétique, passer d'une vague empathie romantique à un antitotalitarisme farouche sans piper mot? Mieux vaut regarder dans le miroir. Chacun a le sien. J'ai le mien. Le viol américain de l'Irak a conduit à un enlisement peut-être programmé. Mais ce n'était pas le Vietnam. Une majorité d'Irakiens veulent mettre fin sans violence (celle des guerres, ils l'ont subie) à la longue dictature d'une minorité, et d'un homme qui serait encore à la tête de ses polices - 100% des voix! - sans une intervention extérieure. »

On notera sans peine la contradiction consistant à voir un enlisement en Irak (au moins, on ne parle plus de bourbier!) tout en parlant d'un Orient en mouvement. Il faudra encore bien des efforts à Alain Campiotti - dont il faut louer l'honnêteté apparemment retrouvée - et à d'autres pour dépassionner leur vision, mais ils en prennent le chemin. Tout le monde en bénéficiera certainement. Espérons simplement que l'actualité de ces prochains mois, à propos de l'Iran ou d'un autre point chaud, ne provoque pas de rechute !

Posted by Ludovic Monnerat at 7h00 | Comments (4) | TrackBack

13 mars 2005

Le Matin contre l'armée

On peut lire aujourd'hui dans Le Matin, sous la plume de la journaliste traditionnellement antimilitaire Anne Dousse, une attaque en règle contre l'armée et Samuel Schmid visant à influencer les décisions politiques prises au Parlement, notamment dans la perspective de l'achat des 2 avions de transport Casa. Le prétexte de l'attaque se situe dans les évaluations apparemment en cours sur un hélicoptère devant remplacer les Alouette III, un thème que j'abordais d'ailleurs ici dans ce carnet. Il est intéressant de démonter la mécanique sémantique du texte pour cerner la manœuvre entreprise.

Dans un premier temps, Anne Dousse reproche à Samuel Schmid de songer à de nouveaux investissements alors que le programme d'armement 2004 n'est pas encore sous toit : « Samuel Schmid n'a pas encore empoché les 109 millions pour ses deux avions de transport et le voilà qui envisage déjà d'autres achats. » Elle tente donc de nous faire croire que les péripéties en cours au Parlement devraient amener toute l'armée à suspendre ses réflexions sur les besoins futurs et sur leur traduction en termes d'acquisition - un peu comme si la perspective à très court terme de la classe médiatique devait empêcher quiconque de préparer l'avenir. Une sorte de Ministère de la Pensée, si j'ose dire.

Dans un deuxième temps, la journaliste explique le besoin lié au remplacement des Alouette III, en affirmant que l'évaluation de son successeur se déroulerait « dans la plus grande discrétion », et cite le porte-parole Félix Endrich pour confirmer la chose en la présentant comme une initiative nouvelle. En fait, Mme Dousse souffre apparemment de troubles de mémoire, puisqu'elle avait déjà co-écrit le 29 avril 2001 dans Le Matin un article attaquant férocement l'armée pour ses projets d'acquisition, qui mentionnaient explicitement de nouveaux hélicoptères (interprétés à tort par ses soins comme des appareils d'attaque). Confondre oubli et nouveauté est un travers intéressant.

Dans un troisième temps, Anne Dousse explique que le volume et la date d'une acquisition d'hélicoptères légers polyvalents ne sont pas encore fixés, mais elle lui oppose l'évaluation apparemment en cours (« Samuel Schmid a pourtant donné l'ordre à Arma Suisse [sic] de procéder aux premières évaluations ») alors même que cette évaluation aura un impact déterminant sur le choix de l'appareil, du nombre d'exemplaires souhaités, de leur acquisition et de leur emploi. Cette contradiction flagrante est difficile à expliquer ; peut-on imaginer que l'armée planifie un achat sans faire une sélection entre les hélicoptères disponibles ?

Le quatrième temps de la manœuvre explique cette contradiction : elle permet à la journaliste d'interpeller des parlementaires sur un supposé manque de transparence (« Or, jusqu'à présent, Samuel Schmid n'a pas cru bon d'informer les Commissions de politique de sécurité des Chambres de ses intentions »), en choisissant soigneusement des politiciens réputés pour leur opposition sinon à l'armée, du moins à ses acquisitions (2 socialistes et 1 démocrate-chrétien appartenant à l'aile gauche du parti, en reprenant les propos tenus par 1 radical sur une question différente). Comment les parlementaires pourraient-ils se faire une opinion sans les faits précis que seule une évaluation permet d'obtenir ? Voilà ce que Mme Dousse et ses interlocuteurs se gardent bien d'expliquer.

Mais la volonté d'expliquer n'est pas l'objectif de cet article : il vise au contraire à faire réagir la classe politique en faisant accroire des projets illégitimes et quasi secrets au sein de l'armée, et donc d'influencer ses décisions futures - notamment celles, toutes proches, concernant le programme d'armement 2004. Le remplacement des Alouette III, qui sont employées presque chaque jour au profit des autorités civiles (appui à la police ou au corps des gardes-frontière), s'inscrit intégralement dans la direction du Rapport de politique de sécurité 2000. Cette tentative de lancer une polémique artificielle ne relève donc pas d'une recherche d'information, comme le prouvent clairement les erreurs qui entachent l'article publié par Le Matin.

Anne Dousse témoigne en effet d'une ignorance effarante à propos de l'armée. Elle parle par exemple de l'état-major général, alors que cette structure a été dissoute le 31 décembre 2003 ; Félix Endrich n'en est pas le porte-parole, puisqu'il appartient à l'état-major personnel du Chef de l'Armée. Elle parle de « Arma Suisse » sans l'orthographier correctement (armasuisse), ce qui suscite un doute profond sur la qualité des informations dont elle affirme disposer. Elle critique la discrétion censée entourer l'évaluation, sans savoir que la protection des données est exigée par les constructeurs participant à un tel processus. Pire : elle affirme que Samuel Schmid aurait ordonné cette évaluation, alors que c'est l'état-major de planification de l'armée qui est le donneur d'ordres pour armasuisse !

Comme elle le démontre régulièrement, Mme Dousse n'est pas compétente pour juger les sujets militaires et les raisonnements qui les fondent. Elle ne connaît pas les structures et le fonctionnement de l'Armée XXI. Ce qui l'intéresse, de toute évidence, c'est l'action politique sous couvert d'information, l'influence des décisions dans le sens de ses convictions personnelles. Que Le Matin cautionne un activisme pareillement flagrant montre qu'il privilégie la rentabilité économique à la déontologie journalistique. Dans le cas contraire, plusieurs corrections devraient apparaître demain ou les jours suivants. Nous verrons bien !

En tout cas, la presse suisse n'a pas beaucoup changé durant mes 20 jours d'absence à Sumatra. Anne Dousse peut bien conclure en écrivant que « le malaise face à l'armée grandit » ; à mon avis, les médias se situent bien au-delà du malaise.

Posted by Ludovic Monnerat at 14h00 | Comments (8) | TrackBack

15 février 2005

Les prophètes impénitents

Les résultats des élections irakiennes ont été commentés dans la presse francophone, mais celle-ci n'a pas mené la moindre remise en question - à une exception près - suite aux huit millions de gifles subies dans ce processus. Le ton reste donc au pessimisme revanchard, et ceux qui ont annoncé successivement la résistance acharnée de la population irakienne à la coalition, la plongée dans un chaos infernal de tout le pays puis l'impossibilité d'organiser des élections changent simplement de rengaine : l'Irak devrait donc à présent se transformer en Etat islamiste à l'iranienne, comme le montre le pauvre Chappatte dans Le Temps, dont le coup de patte talentueux est dévoyé par nombre de prédictions et jugements démentis à propos de l'Irak (comme ici, ici et ici, ou encore ici.)

Plusieurs éditorialistes n'ont ainsi pas peur de prendre des libertés stupéfiantes avec la réalité. Serge Enderlin, dans sa colonne pour Le Temps, confond par exemple l'Alliance irakienne unifiée - le groupe de partis chiites modérés qui a remporté 48,1% des voix - avec le total des suffrages chiites, oubliant que d'autres listes comprenaient également des chiites, dont celle mixte d'Ilyad Allaoui, et glosant inutilement sur un chiffre faux avec un taux de participation erroné (56% au lieu de presque 59%) ; il affirme également que le leader religieux Ali Sistani a exigé que la charia forme la base de la constitution, alors que cette rumeur a été immédiatement démentie par son porte-parole. Et Enderlin n'a apparemment pas pris la peine de consulter les résultats des votes régionaux !

Cette médiocrité analytique et journalistique est cependant portée à un degré supérieur par Laszlo Molnar dans Le Matin, un éditorialiste que l'on a connu bien mieux inspiré, qui traite par exemple l'Alliance irakienne unifiée (où figure Ahmed Chalabi!) de "parti le plus religieux", alors que l'islamiste chiite Al-Sadr a remporté 3 sièges au niveau national et 9% des voix à Bagdad, et qu'une autre liste islamiste, pro-iranienne, n'a décroché aucun siège. Dans un article connexe, Molnar s'imagine estimer le vote chiite en additionnant simplement la liste Allaoui à l'AIU, sans mesurer un seul instant qu'une partie des listes dépassaient les séparations confessionnelles. Et tout cela dans le but apparent d'annoncer de nouveaux malheurs pour l'Irak :

La paix et la modernisation du Moyen-Orient ne semblent donc pas avoir été mises en route par ce scrutin décidé par Washington. Et il pourrait même être le prélude à de nouvelles violences, déclenchées notamment par des sunnites déjà tournés vers al-Qaida.

Des faits mal compris ou déformés, des nuances tronquées, des réflexions biaisées - et le renouvellement de prophéties enflammées. Il faut rendre grâce à Internet pour la liberté salvatrice consistant à lire les vraies analyses de cet événement majeur, comme celle d'Amir Taheri dans le New York Post, par lequel on apprend par exemple que les sunnites auront environ 50 sièges dans la future assemblée. Mais le travail insuffisant des médias romands commence vraiment à devenir pesant.

COMPLEMENT I (15.2, 1833) : On peut également lire une bonne analyse des élections sur le blog de Patrick Ruffini, qui nombre notamment une corrélation entre la présence de troupes américains et le soutien pour l'actuel premier ministre interiméaire Ilyad Allaoui, décrit comme pro-américain par les médias internationaux, et qui fournit une carte très intéressante (trouvé grâce à Un swissroll).

Posted by Ludovic Monnerat at 11h25 | Comments (4) | TrackBack

Les mythes du 11 septembre

Démasquer les mythes qui tournent autour des attentats du 11 septembre 2001 et les imposteurs qui engrangent de juteux bénéfices en diffusant des théories conspirationnistes : voilà le rôle d'une enquête détaillée publiée par la revue Popular Mechanics, qui a employé 9 personnes et consulté 70 experts ainsi que plusieurs témoins pour démentir les rumeurs les plus folles au sujet de cette journée historique. Il s'agit certainement là d'une oeuvre salutaire, fondée sur la raison et la science :

In the end, we were able to debunk each of these assertions with hard evidence and a healthy dose of common sense. We learned that a few theories are based on something as innocent as a reporting error on that chaotic day. Others are the byproducts of cynical imaginations that aim to inject suspicion and animosity into public debate. Only by confronting such poisonous claims with irrefutable facts can we understand what really happened on a day that is forever seared into world history.

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 7h45 | Comments (2) | TrackBack

13 février 2005

Le besoin de sécurité

Le Matin consacre aujourd'hui un article et un éditorial au renforcement de la sécurité dans les gares romandes : installation d'un réseau de vidéosurveillance, partenariat renforcé avec les polices cantonales et augmentation des capacités d'intervention. Voici quelques années encore, une telle initiative aurait déclenché une véritable levée de boucliers dans toutes les rédactions, qui auraient fermement condamné le "flicage de la vie publique" et "l'obsession sécuritaire" dont témoignent ces mesures. Mais les temps ont changé.

Pour que le quotidien romand au plus fort tirage donne une couverture positive à ce renforcement de la sécurité, il faut vraiment que la perception de celle-ci ait grandement changé dans la population - et qu'un journal populaire comme Le Matin s'en fasse le témoin. Il suffit de lire comment Michel Danthe écarte dans son éditorial les objections classiques aux problèmes de sécurité pour mesurer le chemin parcouru :

Comme à chaque fois, il y a le spécialiste qui vient expliquer que ce sentiment est subjectif. L'argument ne rassurera pas pour autant l'usager réel, qui voit bien, de ses yeux voit, que la violence ne cesse d'augmenter, au milieu d'un sans-gêne généralisé et d'une indifférence qui donne parfois froid dans le dos.
Face au phénomène, il convient de marquer la plus grande fermeté. Et de manifester la présence de l'ordre partout où c'est possible.

Pourtant, la sécurisation accrue des grandes gares romandes permettra uniquement de rassurer les voyageurs et les passants, et ne fait que s'attaquer aux symptômes de la violence urbaine au lieu de traiter le mal à la racine. A cet égard, on notera que le mot "incivilité" continue d'être employé en lieu et place de "délinquance" ou de "criminalité", et qu'il constitue un euphémisme significatif. Les esprits évoluent lentement, très lentement. L'effondrement du civisme et des responsabilités individuelles commence seulement à être pris en compte dans les analyses. On n'ignore plus que l'on va dans le mur, mais on hésite encore à proposer des réorientations radicales.

Le déficit d'imagination est souvent la preuve de tabous inavoués...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h07 | Comments (3) | TrackBack

12 février 2005

Les blogs à l'envers

Il faut reconnaître à Bernard Rappaz, de la Télévision Suisse Romande, le mérite d'être l'un des rares journalistes à comprendre l'impact croissant des weblogs sur les médias. Pourtant, il vient de montrer qu'il interprète parfois cette influence à l'envers : au sujet de l'affaire Eason Jordan, le haut dirigeant de CNN qui a accusé les troupes US en Irak de prendre délibérément des journalistes pour cible, il a ainsi dépeint les blogs comme de simples chiens de gardes patriotiques et conservateurs, alors que c'est l'absence de preuve pour fonder une accusation aussi grave qui a scandalisé leurs auteurs, puis le refus de CNN comme du WEF de diffuser la transcription de la discussion au cours de laquelle s'est exprimé Eason Jordan. Le seul commentateur au billet de Rappaz mentionne d'ailleurs ce fait.

Autrement dit, notre blogueur estampillé TSR manque l'essentiel : ce n'est pas l'existence des blogs à elle seule qui provoque un changement dans la vie des médias grand public, mais bien le manque d'honnêteté et de transparence dont ceux-ci font preuve. La démission d'Eason Jordan montre en fait que les représentants des médias sont désormais soumis à la même veille critique que celle qu'ils assurent depuis des décennies à l'endroit notamment de la classe politique, et qu'ils devront s'adapter aux exigences accrues d'une frange active du public. Les blogs sont-ils en voie de devenir un contre-contre-pouvoir ? Plutôt une redistribution de la puissance médiatique des organisations de presse aux individus informés.

COMPLEMENT I (13.12) : On lira avec intérêt l'excellent et bref article de l'analyste des médias Michael Barone sur l'effet des weblogs dans la politique américaine, et notamment la différence entre le parti démocrate et le parti républicain. Sa conclusion :

So what hath the blogosphere wrought? The left blogosphere has moved the Democrats off to the left, and the right blogosphere has undermined the credibility of the Republicans' adversaries in Old Media. Both changes help Bush and the Republicans.

COMPLEMENT II : Mais les weblogs ont encore du travail pour contribuer à rehausser la fiabilité des médias grand public. Cette énumération des manipulations de la BBC à propos de l'Irak fait franchement froid dans le dos...

COMPLEMENT III (16.12 2200) : Bernard Rappaz nous fait le plaisir dans les commentaires ci-dessous d'intervenir pour souligner qu'un de ses billets mentionnait bel et bien "qu'Eason Jordan n'avait, en effet, pas apporté de preuves pour appuyer ses affirmations." C'est tout à fait exact, mais ce billet en question a été mis en ligne le 13 février, soit un jour plus tard que celui-ci ; on peut difficilement me reprocher de ne pas imaginer un jour à l'avance ce que Bernard Rappaz va écrire sur son blog...

Quant à affirmer que "dans la blogosphère comme dans les bons vieux médias l'interpétration un brin sommaire est parfois de mise", j'en conviens volontiers ; encore la première a-t-elle la capacité et la volonté indubitables de corriger et de complèter promptement des faits imprécis, inexacts ou partiels. Dont acte.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h52 | Comments (8) | TrackBack

11 février 2005

Le grand silence de L'Hebdo

Comment appelle-t-on un hebdomadaire d'information et d'actualité qui en vient à ignorer l'une et l'autre ? C'est la question que je me pose désormais, puisque L'Hebdo n'a consacré aucun article, aucun éditorial, aucune colonne et aucune brève aux élections irakiennes, qui constituent pourtant l'un des événements charnières de notre époque. La semaine dernière, 4 jours après le scrutin, le journal qui porte toujours le slogan « bon pour la tête » a totalement évité d'en parler. Le rédacteur en chef, Alain Jeannet, préférait se concentrer sur « les médicaments qui tuent », en reprenant une rumeur invérifiable sur le décès de Jacques Villeret pour ancrer son propos dans l'actualité. Rien dans la rubrique « Monde », rien dans les nouvelles en bref, rien dans les commentaires. Cette semaine, rebelote : les Irakiens sont aux oubliettes, et Jeannet parle du déclin de la Suisse faute de libéralisme et simultanément de la « superpuissance » que doit devenir l'Europe. La démocratie en Irak ? Aucun intérêt !

Il est naturellement permis d'en douter. Après tout, si L'Hebdo décrit la tournée européenne de Condoleeza Rice comme une reconnaissance américaine de l'importance qu'est censée prendre l'Europe, cela ne fait que confirmer son orientation pro-européenne et son penchant à influencer les opinions dans ce sens. La rédaction n'a pas peur des contradictions : dans le même numéro, elle fustige le fait que la Suisse renonce à faire des réformes nécessaires à la relance de son économie, et tresse des louanges à l'Union européenne en dépit de sa nature largement antilibérale et de son futur assombri - et soigneusement écarté des statistiques mentionnées. Et le recours à des « intellectuels américains » pour certifier la supériorité de l'Europe prête à sourire, tant ce procédé naïf et sempiternel - se focaliser sur les représentants de « l'autre Amérique », celle de John Kerry, de l'aile gauche du parti démocrate, des quartiers cosmopolites de New York, et qui s'est ramassée aux dernières élections - reflète mal la réalité.

Mais la réalité ne semble justement pas une priorité pour L'Hebdo. Les élections irakiennes n'ont aucune importance parce qu'elles n'ont tout simplement aucune place dans l'Irak virtuel que ses lecteurs découvrent depuis presque 2 ans. A l'été 2003 déjà , le journal faisait sa couverture sur un GI en pleurs et glosait sur la « défaite américaine », en expliquant que les soldats de l'Oncle Sam étaient au bout du rouleau, incapables de remplir leur mission et voués à l'échec. Le chef de la rubrique internationale du journal, Serge Michel, avec lequel j'ai des contacts professionnels, m'a d'ailleurs écrit voici quelques mois que j'étais bientôt le dernier dans le milieu des médias romands à ne pas comprendre que l'Irak était un désastre. Autrement dit, c'est une véritable profession de foi qui est contredite par les élections irakiennes : l'Irak doit être un désastre, parce que la guerre est la pire des solutions, parce que les militaires sont uniquement capables de détruire, parce que les Américains ne comprennent rien au Moyen-Orient et parce que Bush est un pantin menteur.

La foi peut être éclairante lorsqu'elle n'altère pas le raisonnement. Dans le cas présent, elle est aveuglante : comme admettre avoir reçu huit millions de gifles à force de ne pas écouter les Irakiens est un brin difficile, L'Hebdo préfère ignorer les élections irakiennes et le succès incontestable qu'elles représentent pour la stratégie américaine, ce qui l'amène ensuite à percevoir la diplomatie US en situation d'échec alors qu'elle est au contraire en position de force. C'est dire à quel point la perception des médias européens est biaisée par leur opposition à la guerre en Irak, et à la transformation au pas de charge du Moyen-Orient. Même les esprits censés être supérieurement intelligents, comme Jacques Pilet, n'y font pas exception : voilà 8 jours et 2 colonnes que Pilet n'a rien à dire sur la démocratie en Irak, sur la propagation d'idées nouvelles, sur les prémisses d'une transformation historique. Il est vrai que Jacques Pilet, une semaine après le début de l'opération Iraqi Freedom, écrivaient que tous les Irakiens se dressaient contre « les envahisseurs anglo-américains » !

En fait, L'Hebdo parle cette semaine des élections irakiennes : un dessin de Mix & Remix montre un isoloir à caractère religieux pour symboliser la mobilisation chiite. Voilà tout ce que le lecteur de ce journal pourra lire comme analyse et perspective à ce sujet. Mais rien n'est perdu, puisque les mauvaises langues affirment que Mix & Remix est la meilleure partie de L'Hebdo ! Quant à désigner ce dernier comme un hebdomadaire d'opinion et de partialité, l'éditeur devrait y réfléchir.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h50 | Comments (2) | TrackBack

10 février 2005

Une affaire sans fin ?

Voici 2 semaines, j'ai écrit un bref billet intitulé "La fin de l'affaire Al-Dura", pour décrire l'enquête de 2 journalistes français sur cet instant durant lequel le petit Mohammed Al-Dura a été tué sous les yeux d'un caméraman de France 2, une enquête qui a montré qu'aucune preuve n'existait pour incriminer les Forces de défense israéliennes de sa mort. Je croyais que, le fond de l'affaire étant tranché, les commentateurs allaient peu à peu prendre conscience du mensonge historique et de la manipulation médiatique qui ont entouré cet incident.

De toute évidence, les esprits n'abandonnent pas aussi facilement des conclusions qui correspondent à leurs inclinations, comme le montre Serge Dumont dans un article publié ce matin par Le Temps (accès gratuit ) :

Invité mardi soir par la télévision publique israélienne, le père de Mohamad al-Doura (un enfant palestinien abattu par des tirs de Tsahal au début de l'Intifada) a d'ailleurs résumé l'opinion de ses semblables en exigeant que «les choses bougent enfin sur le terrain».

Serait-ce trop demander à un journaliste de suivre l'actualité de la région dont il est censé être spécialiste, et de lire les enquêtes approfondies qui lui sont consacrées - même si elles sont publiées par d'autres ? Il est vrai que Serge Dumont ne parle jamais de "groupes terroristes" palestiniens, uniquement d'extrémistes. Le choix des mots, dans ce conflit, en dit toujours très long sur l'opinion de leur auteur.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h06 | Comments (5) | TrackBack

9 février 2005

Irak : le jour et la nuit

Lorsque l'on cherche à comprendre la situation en Irak, les reportages d'envoyés spéciaux fournissent nombre d'éléments de réponse qu'il s'agit de collecter, d'évaluer, de trier et d'assembler afin d'en tirer un certain savoir. Pourtant, il est bien difficile de procéder à cette tâche lorsque 2 journalistes présents dans la même ville et à la même période présentent des événements totalement opposés.

C'est le cas aujourd'hui avec un article publié par Le Monde, intitulé "Des habitants de Fallouja témoignent de la destruction de leur ville" et brossant un portrait apocalyptique de la situation, et un autre article du Christian Science Monitor, intitulé "Fallujans welcome security, await electricity" et donnant une image globalement positive de la situation. On notera que le reporter du CSM fournit davantage de chiffres, décrit des aspects positifs et négatifs, et utilise les sources de la coalition, quand celui du Monde se contente d'interroger des habitants, parfois sous couvert de l'anonymat, refuse toute information de la coalition et désigne uniquement des faits négatifs.

Une contradiction d'une telle ampleur ne laisse pas de doute : l'un de ces 2 journalistes présente une image fausse de la situation. Et le manichéisme dont témoigne l'envoyé spécial du Monde ne plaide pas en sa faveur...

Posted by Ludovic Monnerat at 19h17 | Comments (1) | TrackBack

Les soldats US en héros

Je vous conseille vivement de regarder cette publicité (en choisissant à droite de l'écran votre logiciel vidéo et votre connexion), qui a été diffusée durant le récent Super Bowl aux Etats-Unis. On y voit (je l'écris pour ceux qui auraient des difficultés techniques...) un aéroport américain, avec des gens qui attendent, avant qu'un groupe de soldats en transit n'apparaisse ; et ces gens se lèvent tous pour applaudir ce groupe, qui apparemment arrive ou repart d'un congé. C'est une publicité patriotique, naturellement, avec le bon équilibre en termes de genre et d'ethnie. Mais ce type de scène se produit chaque jour dans les aéroports américains, et les avions qui transportent des soldats en congé d'Irak ou d'Afghanistan ont fréquemment droit à une ovation prolongée lorsque le commandant de bord annonce leur présence.

Lisez maintenant cet article de USA Today, qui montre l'intérêt de Hollywood et des chaînes TV câblées pour les théâtres d'opérations de la guerre contre le terrorisme islamique, et dont les films en préparation se focalisent avant tout sur le soldat individuel pour le décrire de manière héroïque. L'auteur du texte a également eu l'intelligence de mentioner le rôle considérable des jeux vidéos, à commencer par celui de l'US Army téléchargé plus de 17 millions de fois (je l'ai essayé), et qui établissent des liens différents avec un public jeune - là aussi en conjuguant les conflits à la première personne et du point de vue américain.

Quelle conclusion tirer de ces aperçus? Les Etats-Unis qu'ils montrent ne sont certainement pas ceux que l'on voit jour après jour dans les médias européens, cette nation en déclin, à l'économie poussive, à la population bornée, à la culture barbare et à l'appétit aveugle que la désinformation systématique nous décrit. Comme je l'ai déjà écrit, l'antiaméricanisme est un danger pour l'Europe s'il nous empêche de voir que la société américaine, en mutation rapide avec notamment la montée en puissance de l'individu et de ses libertés, développe et restaure des valeurs qui la placent en position de force face aux défis du siècle. Comprendre l'Amérique pour prévoir ses actions devient aujourd'hui une urgence stratégique.

Surtout lorsque les dernières pelletées finissent de combler la tombe des années 60, outre-Atlantique, alors que ses icônes encombrent toujours notre continent...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h24 | Comments (7) | TrackBack

7 février 2005

Alerte à la folie furieuse (4)

Depuis que François Brutsch avait rappelé que l'éditorialiste François Gross jugeait impossible la tenue des élections irakiennes le 30 janvier, en tirant de ce pays un portrait encore plus apocalyptique qu'à l'accoutumée, je me demandais comment il allait réagir aux 8 millions de gifles que lui ont accessoirement infligées les Irakiens. Eh bien, je ne suis pas déçu : celui qui officie curieusement comme médiateur de 24 Heures (juge et partie, cela existe ?) a rendu une colonne pour Le Temps (accès libre) qui dégouline de fiel et de rancoeur.

Gross commence d'abord par nier en bloc ce que tout le monde a été obligé de voir :

Des élections, ça? C'est galvauder le terme que l'utiliser pour la parodie démocratique que les Irakiennes et Irakiens ont, au risque de leur vie, offerte, il y a huit jours, à un monde lassé au point d'en être crédule. Aucune des conditions requises pour qu'un peuple puisse librement se forger une opinion au cours d'une campagne électorale et exprimer ensuite ses choix n'était remplie. Aucune des garanties fournies par des observateurs indépendants n'était assurée. Les médias, quand ils n'étaient pas emmaillotés par la force armée occupante, n'étaient pas en mesure d'accomplir leur tâche.

De toute évidence, l'opinion des Irakiens et la joie évidente qu'ont suscité chez eux ces élections ne comptent pas. L'extraordinaire mouvement démocratique en Irak, avec les premiers débats politiques télévisés, la multiplication des médias locaux, l'explosion des moyens de communication (antennes TV, téléphonie mobile, Internet) n'existent pas. Gross n'entre d'ailleurs pas dans les détails pour justifier son déni de démocratie ; cela l'aurait obligé à discuter par exemple la présence de 11'000 observateurs nationaux lors de ces élections. Et comme je doute qu'il parle et lise couramment l'arabe, je vois mal comment il peut oser évaluer l'activité des médias irakiens depuis son bureau, en Suisse, sans citer de source précise.

Mais on comprend mieux son aveuglement en lisant le paragraphe suivant :

Et pourtant, des femmes et des hommes n'ont tenu aucun compte des menaces et de ces insuffisances et sont allés jeter un bulletin dans l'urne. Pour user d'un droit, même bancal, mais dont ils ont été si longtemps privés; pour dire leur refus de la violence; pour signifier à l'envahisseur qu'ils souhaitent se passer de sa présence.

Vraiment ? Comment peut-il interpréter le vote de la population irakienne comme une volonté d'exiger le départ des troupes coalisées, qui d'ailleurs ne sont plus occupantes au regard des résolutions onusiennes (mais l'ONU ne compte que lorsqu'elle s'oppose aux Etats-Unis...), alors que précisément les élections semblent avoir eu l'effet inverse ? Comment d'ailleurs peut-il prétendre discerner un message aussi clair sorti des urnes sans contredire le déni de démocratie qu'il dénonce avec rage ? Ou même refuser de s'intéresser à ce que les Irakiens ont effectivement choisi, à savoir - au niveau national - des représentants d'une assemblée constituante... ?

François Gross est très respecté dans le milieu suisse des médias. Sur le base de cet article, ce respect est totalement immérité. Comment tant d'autres, hélas, cet homme préfère son opinion aux faits, sa vision à la réalité, ses propres imprécations à l'écoute des autres. Confronté au démenti de ses propres prédictions, il renonce à toute remise en question et s'enfonce toujours plus dans la folie furieuse. Où cessera cette fuite en avant ? A toute une génération dont la conception du monde est aujourd'hui périmée, je crains que seule la tombe n'apporte enfin un peu de paix.

COMPLEMENT I : On suggère à François Gross de s'intéresser d'un peu plus près à l'organisation indépendante mise en place avec l'aide de l'ONU et de l'UE pour les élections irakiennes, et qui avait - d'après cet article - 8000 personnes dans 80% des 5000 bureaux de vote du pays. Sous peine de figurer une parodie de journalisme face à une démocratie naissante mais réelle.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h43 | Comments (3) | TrackBack

6 février 2005

L'ONU et ses scandales

Le rapport préliminaire sur le programme "pétrole contre nourriture" n'a pas reçu une couverture particulièrement approfondie dans les médias, lesquels se sont contentés de résumer ses conclusions sans tirer des conséquences ou des perspectives sur ce qu'il révèle. On retrouve d'ailleurs la même absence d'esprit critique quant aux propos surprenants de responsables onusiens :

Du côté de l'ONU, le scandale "Oil for food" a rabaissé les prétentions à se poser en exemple. Mais un responsable rappelle que l'ONU a facilité les élections en Palestine, en Afghanistan et en Irak, trois des postes avancés de la démocratisation telle que l'a mentionnée le président [Bush].

Ne parlons pas de la Palestine, où le rôle de l'ONU est des plus ambigus, ou de l'Afghanistan, où les forces sous commandement multinational en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité sont presque 3 fois moins nombreuses que celles sous commandement américain : si l'on entend "faciliter" comme fournir un appui quelconque, on peut s'accorder sur ce point. Mais que l'ONU vienne prétendre avoir facilité la démocratisation de l'Irak quand elle symbolise au contraire le refus de l'opération militaire qui a renversé Saddam Hussein, voilà qui est plutôt osé. Est-ce que l'heure est déjà aux retournements de veste ?

Il faut lire Mark Steyn pour mesurer la vraie ampleur de l'affaire, et également comprendre pourquoi nous ne pouvons pas compter sur les médias grand public pour remonter à la source du problème :

In other words, the system didn't fail. This is the transnational system, working as it usually works, just a little more so. One of the reasons I'm in favour of small government is because big government tends to be remote government, and remote government is unaccountable, and, as a wannabe world government, the UN is the remotest and most unaccountable of all. If the sentimental utopian blather ever came true and we wound up with one "world government", from an accounting department point of view, the model will be Nigeria rather than New Hampshire.

Steyn poursuit en tirant un parallèle entre le rapport Volcker et la décision prise cette semaine au sujet du Darfour :

As you may have noticed, the good people of Darfur have been fortunate enough not to attract the attention of the arrogant cowboy unilateralist Bush and have instead fallen under the care of the Polly Toynbee-Clare Short-approved multilateral compassion set. So, after months of expressing deep concern, grave concern, deep concern over the graves and deep grave concern over whether the graves were deep enough, Kofi Annan managed to persuade the UN to set up a committee to look into what's going on in Darfur. They've just reported back that it's not genocide.
That's great news, isn't it? For as yet another Annan-appointed UN committee boldly declared in December: "Genocide anywhere is a threat to the security of all and should never be tolerated." So thank goodness this isn't genocide. Instead, it's just 70,000 corpses who all happen to be from the same ethnic group - which means the UN can go on tolerating it until everyone's dead.

Toute cette organisation commence franchement à donner la nausée. Et dire que j'ai voté pour l'adhésion de la Suisse à l'ONU voici presque 3 ans...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h44 | Comments (6) | TrackBack

5 février 2005

La fiabilité des médias

La valeur cardinale des médias grand public est la fiabilité de leurs informations : tous les journalistes - ou presque - y croient dur comme fer, en vertu d'une déontologie enseignée depuis des décennies, et affichent fréquemment un mépris non déguisé à l'endroit d'Internet et des informations que l'on peut y trouver. Pour mieux se distinguer de l'ivraie, la presse romande a par exemple une charte censée certifier la qualité du contenu mis en ligne par chaque adhérent. Une manière assez élégante de défendre les intérêts d'une corporation par des arguments largement éthiques. La presse est fiable, faites-lui confiance !

En réalité, la véracité des informations vendues au public - ou l'inclination des médias à la rétablir lorsqu'elle a été compromise par une erreur ou une déformation - sont de plus en plus souvent mises en doute. Une telle dérive a déjà été analysée ici sous l'angle des biais que portent en eux les journalistes qui se transforment en combattants de la persuasion. Un autre aspect du problème est la quantité brute d'informations disponibles, qui s'est multipliée sans que les rédactions ne suivent une évolution correspondante - en termes d'effectifs et de capacité de travail. Mais la confiance est bel et bien menacée.

Prenons quelques cas récents de contre-vérités propagées par les médias, et rarement corrigées lorsque leur nature a été révélée. La plupart des télévisions - dont la TSR, qui affiche fièrement une charte d'éthique - ont diffusé en début de semaine les images d'une vidéo tournée par la guérilla en Irak et censée montrer des tirs de missiles ayant abattu un C-130 britannique, puis la carcasse de celui-ci. Plusieurs experts affirment à présent que cette vidéo est un montage trompeur, destiné à faire accroire une embuscade au missile sol-air qui a peu de chances d'avoir eu lieu. Dans un registre presque comique, les agences de presse ont également diffusé les images d'un site islamique revendiquant la prise en otage d'un soldat américain qui n'était autre qu'un modèle réduit.

Secouée par les manipulations qui ont été révélées par l'affaire Kelly, la BBC semble avoir augmenté ses exigences de qualité : récemment, la chaîne publique britannique s'est ainsi excusée pour avoir fait croire, sur la base d'une interprétation erronée, que la majorité des morts violentes de civils en Irak étaient dues aux forces de la coalition. En revanche, CNN est aujourd'hui dans la tourmente, parce que l'un de ses dirigeants a affirmé au WEF la semaine passée que les militaires américains avaient délibérément ciblé et tué de nombreux journalistes en Irak - sans la moindre preuve pour fonder une accusation aussi grave. Lorsque l'on sait que le même dirigeant a avoué que CNN a dissimulé les crimes monstrueux du régime de Saddam Hussein pour continuer à travailler en Irak, on ne peut que s'interroger.

Pourtant, les médias ne semblent pas s'inquiéter au plus haut point de cette perte de confiance ; le souci est là et bien là , mais les habitudes et les réflexes prennent le pas sur la remise en question. Aux Etats-Unis, le paiement de journalistes pour la diffusion d'opinions commence à être un sujet de préoccupation ; deux éditorialistes ont ainsi reconnu avoir été payés par l'administration Bush pour promouvoir des projets précis, et sans rendre publics leurs honoraires. De même, on vient d'apprendre que la correspondante pour l'ONU de la chaîne NBC avait été payée par l'ONU pour écrire un livre très favorable à l'organisation. Le manque de transparence dans la production médiatique explique pourquoi la confiance automatique n'est plus de mise.

Mais ces révélations, qui succèdent au Rathergate, à l'affaire Blair et à d'autres, n'effritent pas les certitudes : les journalistes sont toujours persuadés être l'incarnation même de la vérité, et sont prompts à dénoncer comme une vile propagande toute information diffusée par les organes gouvernementaux - et notamment militaires. En d'autres termes, ils sont en train de passer à côté de la révolution de l'information. Le paysage médiatique va grandement changer ces 20 prochaines années...

COMPLEMENT I : Pour un bref historique de l'évolution des médias américains depuis presque 40 ans, cet article du très conservateur Pat Buchanan mérite d'être lu.

COMPLEMENT II : Concernant l'affaire du soldat en plastique montré comme otage, on notera que le modèle est à présent activement recherché et fait l'objet d'enchères sur eBay.

COMPLEMENT III (6.2) : Une excellente analyse du rôle joué par la manipulation des médias à propos de l'Irak a été publiée sous la plume de Jack Kelly. On notera d'ailleurs avec intérêt que ce dernier cite à plusieurs reprises des weblogs.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h39 | Comments (9) | TrackBack

1 février 2005

Alerte média : Le Temps (2)

La commission de sécurité de Conseil des Etats ayant approuvé hier par 9 voix contre 1 le maintien des 2 petits avions de transport Casa C-295M dans le programme d'armement 2004 (on est déjà en février 2005, mais peu importe ; on va bientôt discuter toute l'année des investissements de l'armée...). Comme je me suis personnellement engagé en faveur de cette acquisition, j'ai été interrogé par Thierry Meyer, pour Le Temps, qui a consacré aujourd'hui un article (accès payant) à cette décision de la commission.

L'article en lui-même fait bien le point sur la situation, et notamment sur les arguments pour ou contre cet achat. Il offre naturellement une large part à mes propres déclarations, puisque nous avons parlé près de 15 min au téléphone, et celles-ci sont très exactement rendues. A une seule et malheureuse exception près :

« Certes, le Casa va moins haut, moins loin et moins vite que le Spartan, mais il convient parfaitement aux types de missions assignées à l'armée suisse, ajoute Ludovic Monnerat. Dans le cadre de leur aide à l'Indonésie sinistrée, les Espagnols viennent d'utiliser trois C-295M. »

Comme le savent les lecteurs de CheckPoint suite à cet article, et comme je l'ai dit à Thierry Meyer, ce sont bien 3 Casa 235 que l'Espagne a déployés en Indonésie, et non des 295. Nul n'est parfait !

Posted by Ludovic Monnerat at 7h43

31 janvier 2005

Huit millions de gifles

Dans la plupart des rédactions européennes, on doit avoir aujourd'hui les joues plutôt rouges et piquantes : les 8 millions de gifles que leur ont adressées les électeurs irakiens doivent un peu faire mal. La plupart des médias affirment que la hauteur de la participation a été une surprise, et on a trouvé au moins un éditorialiste pour refuser le chiffre de 60% avancé par la commission électorale ; pourtant, cette participation s'est avérée globalement conforme aux prévisions et aux sondages rendus publics la semaine dernière. La grande question du scrutin n'était pas de savoir si les Irakiens acceptaient l'idée d'une élection multipartite, mais bien leur offrir une protection suffisante et convaincante dans les 4 provinces vraiment touchées par la guérilla antidémocratique - comme il s'agit désormais de la nommer - d'origine sunnite. Seule la méconnaissance de l'Irak réel explique une telle erreur de jugement.

La vertu de ce scrutin est en effet d'avoir imposé - au moins ponctuellement - le message de la majorité silencieuse et supplanté celui des terroristes, d'avoir révélé au monde ces voix jusqu'ici ignorées par les médias et que seules les enquêtes d'opinion, et dans une moindre mesure les weblogs, permettaient d'entendre. En fait, les commentateurs européens sont responsables de leur surprise, c'est-à -dire de leur inaptitude à comprendre la population irakienne : voilà plus de 2 ans qu'ils s'auto-intoxiquent avec des idées aussi fumeuses que la « résistance à l'occupation », le « chaos généralisé » ou même le « regret du régime » de Saddam. Comment un pays où l'an passé l'activité économique a augmenté de 52% et où 20'000 nouvelles entreprises ont été créées peut être décrit comme une terre ravagée, un désert économique ou même un enfer quotidien dépasse l'entendement.

Ce retour au premier plan de l'Irak réel, au détriment de l'Irak virtuel vendu par les médias, confronte naturellement ceux-ci à une dissonance cognitive de grande ampleur. Pour la résoudre promptement sans disqualifier 20 mois de couverture alarmiste et catastrophiste, ils sont contraints de répandre une perception compatible avec leurs assertions passées et susceptible de représenter une rupture bien utile. Ce mécanisme a déjà été utilisé lors de l'invasion de l'Irak, comme l'a remarquablement analysé Alain Hertoghe dans son livre La guerre à outrances : pour expliquer à leur public comment 3 semaines d'« échecs » américains successifs se sont du jour au lendemain transformés en un succès retentissant, les médias ont été contraints d'inventer des explications déconnectées de la réalité, comme la brutalité inouïe et le déluge de feu de l'armada US. On a même vu un commentateur assez culotté pour affirmer que l'Irak en 3 semaines avait reçu plus de bombes que le Vietnam en 10 ans !

Le même mécanisme d'auto-justification est à l'œuvre aujourd'hui. La première perception consiste à louer l'héroïsme prêté à tous les Irakiens pour avoir osé se rendre en masse aux urnes malgré les menaces des terroristes (ou celles de la résistance, comme Le Figaro ose encore l'écrire). Autrement dit, le scrutin aurait dû être un échec caractérisé, mais le courage miraculeux des Irakiens - et non les efforts des Américains! - en a décidé autrement. Cette image ne tient pas la route une seule seconde : moins de 1% des quelque 5500 bureaux de vote ont été attaqués hier, presque tous dans des grandes villes à forte population sunnite. Dans le sud irakien, les élections se sont déroulées presque sans incident, conformément à la situation normale de ces provinces. Comme le 90% des 70 à 80 attaques armées commises en moyenne chaque jour en Irak se concentrent dans les 4 provinces du triangle sunnite, la majorité des Irakiens n'étaient pas menacés en allant aux urnes. Seuls ceux qui ont voté à Bagdad, à Mossoul et bien sûr à Falloujah ou Ramadi ont fait preuve d'un courage héroïque.

La deuxième perception destinée à justifier la surprise présumée consiste à dire que si les Kurdes et les chiites ont voté en masse, les sunnites ont massivement boycotté ces élections, et que celles-ci doivent donc être comprises comme une revanche des opprimés de Saddam. Mais cette notion de revanche - et donc de motivation haineuse - n'est pas crédible : d'une part, c'est bien la joie de participer à une élection qui animait les Irakiens dimanche, comme presque tous les reportages l'ont montré, dans un pays qui de toute manière pratique la vengeance par les armes ; d'autre part, les quartiers mixtes de Bagdad et Mossoul ont connu une participation très élevée, tout comme de nombreuses petites villes du triangle sunnite. Il apparaît aujourd'hui probable que les forces de sécurité irakiennes ont fait un effort principal sur la capitale, en renonçant à disperser leurs éléments pour protéger les électeurs de villes moindres, et que c'est la fluctuation de la sécurité qui explique avant tout les différences de participation entre sunnites.

La troisième perception poursuit sur la lignée de la précédente, en affirmant que ces élections ne sont que le préambule d'une guerre civile inévitable entre les différentes communautés. Les allusions à un vote « compact » des chiites vont dans le même sens. Là encore, cette interprétation destinée à expliquer le ton catastrophiste ne tient pas compte de la réalité : non seulement la communauté chiite est largement divisée et bien incapable de constituer un bloc, à la différence par exemple des Kurdes bien plus unis, mais les principales listes chiites comportaient un nombre non négligeable de sunnites, qui vont garantir la représentation de ceux-ci dans la future assemblée constituante. Le système électoral négocié par les Etats-Unis vise même explicitement à réduire les risques d'affrontements intercommunautaires, au risque de fragiliser le pouvoir par un trop grand émiettage des partis. La confession et l'ethnie ne sont pas les seules divisions de la société irakienne.

Il faut lire l'éditorial de Jean-Jacques Roth dans Le Temps pour mesurer la vraie dimension sémantique, dans les médias européens, de ces élections irakiennes. D'emblée, le rédacteur en chef du quotidien genevois parle de l'essentiel :

Bien sûr, les élections irakiennes n'annoncent pas la fin des problèmes, et elles ne justifient pas a posteriori une guerre qui a révélé toutes ses vilenies. La démocratie qui s'installe à Bagdad mérite péniblement son nom, mais un large consensus international est là pour en prendre acte, faute d'autre option.

Le vrai problème des rédactions est là : la participation élevée à ce scrutin menace l'argumentaire de ceux qui se sont opposés à l'opération Iraqi Freedom, à ce changement de régime promis par les Américains et qui maintenant prend forme. Personnellement, et comme je l'ai écrit voici longtemps, je suis d'un avis totalement opposé à celui de Jean-Jacques Roth, et j'estime au contraire que cette mobilisation démocratique des Irakiens confirme la légitimité de l'action militaire ayant renversé le régime de Saddam Hussein. Mais le plus important n'est pas là ; ce qui compte, c'est de montrer que le débat entre pro- et anti-intervention n'est pas clos, et que les efforts systématiques des médias pour noircir la situation en Irak visent à orienter les perceptions en faveur de leur opposition à cette opération. Cependant, si les arguments avancés pour justifier cette opération ont été largement discrédités, les arguments avancés pour s'y opposer l'ont été bien plus encore, et ces élections constituent un démenti ravageur et humiliant à ceux qui estimaient la démocratie impropre à l'Irak, ou l'Irak impropre à la démocratie.

Dans la lutte de perceptions à laquelle se livrent chancelleries et rédactions depuis presque 3 ans sur la question irakienne, les Irakiens ont enfin eu leur mot à dire. Et les 8 millions de gifles qui ont frappé hier les adversaires de leur libération augurent peut-être le mot de la fin, c'est-à -dire le jugement de l'Histoire.

COMPLEMENT I (1.2, 0900) : Deux jours après les élections, les éléments ci-dessus peuvent être complétés. Premièrement, comme l'écrit Le Figaro, ce sont également les chancelleries européennes - et pas seulement les rédactions - qui ont été surprises par le succès du scrutin et qui réagissent avec embarras. Saluer ces élections sans féliciter les Etats-Unis, sans lesquels celles-ci n'auraient jamais eu lieu, est un exercice plutôt délicat.

Ensuite, les médias ont ajouté une nouvelle perception à celles mentionnées hier, et selon laquelle les Irakiens retrouveraient l'espoir qui leur manquait, comme l'exprime Le Temps. Une fois de plus, il s'agit là d'une distorsion flagrante de la réalité : toutes les enquêtes d'opinion réalisés en Irak depuis la chute de Saddam Hussein ont montré au contraire un optimisme constant de la population ; la dernière d'entre elle, rassemblé dans l'Iraq Index (fichier PDF), montrait ainsi entre fin décembre et début janvier que 59,1% des sondés escomptaient une situation meilleure dans 1 an, 16,2% pas de changement et 9,2% une détérioration. Les faits continuent d'incriminer les médias.

COMPLEMENT II (1.2, 1540) : Comme souvent, le meilleur commentaire - et plus drôle - sur ces élections est celui de Mark Steyn. A ne manquer sous aucun prétexte.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h55 | Comments (5)

30 janvier 2005

Suivre les élections en Irak

Il est rare que des élections à l'étranger suscitent autant d'intérêt : à part les récentes élections américaines, je ne vois guère de scrutin qui revêt une telle importance pour l'avenir de la planète, bien au-delà des Irakiens ou du Moyen-Orient. Ce qui se passe aujourd'hui en Irak est la première sanction populaire en-dehors des Etats-Unis de la stratégie mise en place par l'administration Bush pour lutter contre le terrorisme islamiste en s'attaquant à la fois aux symptômes et aux causes de ce mal profond. Que les Irakiens boudent les urnes, et l'entreprise américaine aura perdu l'essentiel de sa légitimité ; mais que les Irakiens se rendent en masse à l'isoloir, et cette légitimité sera incontestable, impossible à dissimuler - même pour les médias occidentaux.

Cette journée historique et décisive peut être suivie en direct, comme l'indique François Brutsch, sur Iraq Elections Newswire et la BBC, mais aussi sur Yahoo! News et chez Chester.

Naturellement, tout dépend de ce que l'on entend par bouder les urnes ou voter en masse. Et lorsque l'on se rappelle que les médias ont décrit une participation massive aux élections palestiniennes alors que moins de 50% des personnes autorisées à voter ont déposé un bulletin, on mesure la facilité à orienter les perceptions en fonction de ses opinions... En-dehors de ces réflexions sur la manière de mesurer le succès ou non de ces élections, et de ceux qui tentent de s'y opposer, disons que moins de 50% de participation représenterait un échec. Et plus de 75% un véritable triomphe !

COMPLEMENT I : Cette analyse de Bill Roggio sur les détracteurs de ces élections et les éternels parallèles entre l'Irak et le Vietnam mérite d'être lue.

COMPLEMENT II : A 1530, on peut déjà percevoir la lutte qui aura lieu autour du taux de participation. Les dépêches annoncent une participation massive dans les zones à majorité chiite ou mixtes, ainsi que kurdes, et un responsable à estimé ce taux à 72% ; mais apparemment les journalistes ont fait leur travail, et mis en doute les bases d'un tel chiffre. Comment se fait-il que les annonces similaires de la commission électorale palestinienne, voici 3 semaines, n'ont pas été accueillies avec le même sens critique ? Deux poids, deux mesures...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (2)

29 janvier 2005

L'Afghanistan dans l'oubli

Alors que les élections en Irak ont lieu demain, il est tout de même étonnant de voir à quel point l'Afghanistan a été totalement oublié par les médias depuis la tenue des élections présidentielles. C'est la réflexion que mentionne Ed Morrissey, sur Captain's Quarters, en s'appuyant sur un article de l'American Journalisme Review, qui démontre le désintérêt des médias américains pour ce pays en comparant le nombre des journalistes :

Full time in January 200[5]
Washington Post: 1 reporter
New York Times: 1 full-time stringer
Newsweek: 1 reporter
ABC: 1 full-time freelance producer
Full time in May 2003
Washington Post: 1 reporter
New York Times: 1 full-time stringer
Associated Press: at least 3 reporters
Chicago Tribune: 1 full-time stringer
Christian Science Monitor: 1 reporter
CNN: a team of 4, including 1 reporter
NBC News/MSNBC: 1 reporter-producer
NPR: 1 correspondent
Reuters: a team of 5, including 3 print staffers

Pour Ed Morrissey, ce désintérêt s'explique par le fait que les médias ne trouvent plus en Afghanistan ce qu'ils recherchent - du sang, des larmes et des drames. Le devoir d'informer le public n'est plus pris en compte dans la répartition des correspondants, alors même que l'Afghanistan conserve une grande importance. Mais un échec américain dans ce pays n'aurait-il pas suscité une attention spectaculaire ? Le choix des sujets, en indiquant les idées préconçues et les opinions recherchées, constitue le premier indice d'orientation, d'omission et parfois de manipulation.

Raison de plus pour ne pas manquer les bonnes nouvelles d'Afghanistan compilées par Chrenkoff.

COMPLEMENT I : Une autre manière de se renseigner consiste à lire les communiqués du Pentagone, qui fournissent souvent des informations intéressantes sur l'activité des troupes déployées. Naturellement, la plupart des médias les évitent comme la peste en affirmant n'y voir que de la propagande... mais c'est aussi parce qu'ils n'ont pas les connaissances nécessaires pour les évaluer.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h20

Les kamikazes modernes

Bill Roggio a mis en ligne une analyse très pertinente des terroristes islamistes auteurs d'attentats suicides, en montrant quels parallèles peuvent être tirés avec les kamikazes japonais de la Seconde guerre mondiale. Le point le plus important, à mon sens, n'est pas nécessairement la détermination de mourir dans une attaque dévastatrice, ou encore l'héroïsme prêté à de telles actions, mais bien le fait que la propagande japonaise de l'époque a été remplacée aujourd'hui par les médias normaux, qui se chargent de répercuter les attentats et leurs revendications sans contexte ni sens critique.

Lorsque l'on constate que l'explosion d'une voiture piégée hier à Bagdad est photographiée en direct par 3 photographes différents, travaillant respectivement pour Reuters, AFP et AP, on est ainsi obligé de se demander dans quelle mesure les médias collaborent aujourd'hui avec les groupes terroristes islamistes qui luttent contre la tenue d'élections démocratiques en Irak. Ce manque de transparence n'est plus admissible.

COMPLEMENT I : Sur le même sujet, on peut lire cette colonne percutante de Thomas Sowell, qui revient sur la couverture médiatique très partielle de l'Irak et tire un autre parallèle avec la Seconde guerre mondiale. Extraits :

If a battle ends with Americans killing a hundred guerrillas and terrorists, while sustaining ten fatalities, that is an American victory. But not in the mainstream media. The headline is more likely to read: "Ten More Americans Killed in Iraq Today."
This kind of journalism can turn victory into defeat in print or on TV. Kept up long enough, it can even end up with real defeat, when support for the war collapses at home and abroad.
One of the biggest American victories during the Second World War was called "the great Marianas turkey shoot" because American fighter pilots shot down more than 340 Japanese planes over the Marianas islands while losing just 30 American planes. But what if our current reporting practices had been used back then?
The story, as printed and broadcast, could have been: "Today eighteen American pilots were killed and five more severely wounded, as the Japanese blasted more than two dozen American planes out of the sky." A steady diet of that kind of one-sided reporting and our whole war effort against Japan might have collapsed.

Mais comme ce texte le prouve, cela commence à se voir...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h39 | Comments (2)

28 janvier 2005

Les généraux au diapason

On trouve dans la Neue Zürcher Zeitung d'aujourd'hui un article de Bruno Lezzi sur les récentes directives du Chef de l'Armée concernant les rapports des Grandes unités, et plus largement sur la liberté d'expression restreinte des officiers généraux. Après avoir noté les textes du commandant de corps Keckeis publiés mercredi dans la NZZ et Le Temps sur le bilan après une année d'Armée XXI, Lezzi - accessoirement colonel EMG de son état - note que la conduite plus ferme du sommet de l'armée s'inscrit en contradiction avec le principe de la conduite par objectifs, et avec les lacunes constatées en matière d'information. Avant de conclure à l'importance du débat :

Ein Blick in die jüngere schweizerische Militärgeschichte zeigt deutlich, dass die einschneidenden Modernisierungen vor dem Ersten und nach dem Zweiten Weltkrieg nur im intensiven Austausch unterschiedlicher Meinungen, nicht aber mit verordnetem Denken realisiert werden konnten. Und das ist heute nicht anders.

En théorie, Bruno Lezzi a parfaitement raison : la liberté d'expression et de critique est indissociable d'une institution capable d'apprendre et d'évoluer. Ce sont les réflexions critiques et désintéressées qui font avancer les choses, ainsi que les débats argumentés sur des options stratégiques, opératives ou tactiques clairement définies. Le grand débat entre les "mobiles" et les "statiques" au début des années 50 a forgé la doctrine d'emploi de l'armée pendant toute la guerre froide, et ses effets se sont encore sentir aujourd'hui.

Cependant, je pense que le Chef de l'Armée sait parfaitement à quoi s'en tenir en matière de liberté d'expression, notamment dans certains cercles outre-Sarine. Trop souvent, ces dernières années, les débats sur des questions purement militaires ont été influencés par des pressions politiques auxquelles plusieurs officiers généraux se sont livrés. Des positions rejetées par le Conseil de direction de la Défense sont revenues par la bande, sous la forme d'interventions parlementaires téléguidées depuis les cantons. La nécessité de parler d'une seule voix sur les sujets les plus importants, afin précisément de réduire ces récupérations politiques, explique en partie les directives en matière de communication.

Au demeurant, les désaccords portent bien souvent sur des questions de préséance, d'autorité ou de budget, et non sur les adaptations à l'environnement stratégique. Le débat d'idées, porté sur la place publique, reste confiné aux organes de presse indépendants. L'armée suisse n'a pas encore pris le virage des nouvelles technologies de l'information et de la communication, en particulier dans la modification des échanges et des émulations qu'elles occasionnent. Espérons que les weblogs seront l'outil susceptible de faire évoluer la situation.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h56

Les trous de mémoire

Une réflexion particulièrement pertinente de Wretchard, sur son excellent Belmont Club, éclaire la question de la réécriture de l'histoire : de nos jours, il est devenu très difficile à un homme politique, à un expert ou à un journaliste de dissimuler ses déclarations ou ses écrits passés, et donc de faire en sorte que des "trous de mémoire" engloutissent des propos devenus gênants. Wretchard s'appuie en cela sur George Orwell et son 1984 toujours d'actualité :

The emergence of the Internet has closed down the "memory hole" within which the former apologists of Joseph Stalin, Kim Il Sung, Fidel Castro and Saddam Hussein could hide their bad advance and from which they could emerge at whiles to offer new sage advice. The term 'memory hole' itself was coined by George Orwell who used it to describe the mechanism through which the media manipulated historical memory. One of the tenets of the Party in Orwell's 1984 was that "Who controls the past controls the future. Who controls the present controls the past", and the key to achieving mastery over history was the liberal use of the 'memory hole'.

Wretchard mentionne ainsi que Max Boot, l'un des meilleurs analystes contemporains des conflits de basse intensité, a largement discrédité l'article de Seymour Hersh sur les prétendues activités américaines clandestines en Iran, par la simple mise au jour des erreurs et distorsions passées de Hersh, et par l'exposé récent de ses convictions politiques comme de son obsession anti-Bush. Pour Wretchard, la fin du monopole de l'information que possédaient les médias signifie que le contrôle de la mémoire collective leur a également échappé, et qu'il est devenu plus facile de démasquer la réécriture de l'histoire.

Il s'agit cependant de différencier les vecteurs médiatiques, car la recherche des archives écrites est bien plus rapide et commode que celle d'archives audio-visuelles : les propos tenus à la radio ou à la télévision, en l'absence d'une transcription automatique, peuvent aisément n'avoir jamais existé. Prenez par exemple l'article assez objectif de Roger de Diesbach aujourd'hui dans La Liberté sur les élections en Irak et la démocratie face à la violence ; c'est pourtant le même Roger de Diesbach qui s'exclamait, un soir d'octobre 2001 sur la TSR, que l'opération militaire américaine en Afghanistan était une absurdité, qu'elle allait fabriquer les terroristes islamistes par millions et qu'il était impossible d'imposer la démocratie en employant la force armée. Les transcriptions si fréquentes des TV américaines seraient les bienvenues en Europe.

En revanche, dans la presse écrite, impossible de jouer au Ministère de la Vérité. Prenez par exemple le très militant Alain Campiotti, qui écrivait voici 2 jours dans Le Temps que "à la veille des élections irakiennes, les Américains découvrent qu'ils ne peuvent pas vaincre" et que "tout le monde songe à une stratégie de sortie, sous un autre nom" d'une situation qui "ressemble à une défaite". Est-ce là un jugement incisif, original, basé sur une large analyse des faits et des tendances, fondé par une prise en compte de tous les facteurs influents et de leur évolution ? C'est ce qu'un journaliste ayant l'ambition de juger un conflit dans un pays de 27 millions d'habitants - et une opération militaire qui implique 170'000 soldats - devrait effectivement faire. Et c'est ce que Campiotti n'a jamais fait.

Dans la réalité, voilà bien longtemps que ce journaliste-combattant typique a annoncé la défaite américaine. Le 29 mars 2003, sous le titre "L'idée d'un siège de Bagdad prend forme", il écrit ainsi que "le Tet est dans les têtes autant que Mogadiscio" et que les militaires US vont attendre des renforts avant de poursuivre leur offensive sur la capitale, en tirant un parallèle avec la situation du Vietnam de 1968. Le 1er avril, il écrit d'ailleurs un "premier bilan des fautes américaines" en affirmant que l'armée irakienne est fidèle à Saddam Hussein, que la stratégie de celui-ci est efficace, et que la population ne veut pas de la coalition. Pas étonnant qu'il souhaite faire oublier cela.

Trois mois plus tard, le 27 juin 2003, Campiotti relance le disque de la défaite américaine sous le titre "L'ampleur de la guérilla anti-américaine en Irak fait germer le doute à Washington", et annonce même une panique à venir : "De l'affolement? Pas encore, mais ça vient. La multiplication des accrochages en Irak et l'augmentation du nombre des morts commencent à ébranler l'assurance américaine." Le 8 juillet, il parle d'un bourbier dont il est impossible de sortir, "à moins bien sûr que l'armée américaine, désormais honnie, ne s'en aille." Le 10, il écrit même que "les Américains, soudain paniqués, ne veulent plus être seuls en Irak" ; à cette époque, il y avait pourtant 150'000 soldats US en Irak - comme aujourd'hui - et 21'000 membres de la coalition, avant tout Britanniques, mais aussi Italiens, Polonais, Tchèques, Hollandais et Espagnols...

Le 12 août 2003, Campiotti annonce que "George Bush revient en catastrophe à l'ONU" et que "l'armée américaine a un besoin absolu de renforts", alors qu'à cette date plus de 30'000 soldats non-américains sont sur zone ou en partance. Correction le 15 : sa théorie ayant été promptement démentie, il explique que "la ligne dure du Pentagone domine toujours". Le 8 septembre, il reprend néanmoins son thème en affirmant que "la confiance des Américains décroît rapidement", avant d'écrire le lendemain que "l'impasse américaine ressuscite l'ONU". Le 10 octobre, c'est même la perception du public américain qui "commence à ébranler la maison Bush."

Le 4 novembre, sous le titre "les Etats-Unis saisis par le doute", il continue d'insinuer son mot d'ordre : "Personne ne songe à une stratégie de sortie. Personne, vraiment? Le parti de la guerre [...] semble lui-même redouter que la tentation du repli ne commence à germer dans les esprits." Dix jours plus tard, il écrit carrément que "Washington cherche à qui rendre les clés de l'Irak" et annonce un transfert rapide du pouvoir au lieu d'un processus progressif : "les bombes qui explosent presque chaque jour, la guerre qui s'installe dans Bagdad même ont rendu intenable cette politique des petits pas." Le 17 novembre, le mot est lâché : "L'«irakisation» de la guerre et du pouvoir à Bagdad est interprétée aux Etats-Unis comme une stratégie préélectorale de retrait". Il parle même de "réveil" et de "réaction presque panique".

Le capture de Saddam Hussein ne change pas le refrain : il s'agit "d'échapper au piège irakien", écrit Campiotti le 15 décembre 2003, alors que d'après lui, le 20 janvier 2004, les Etats-Unis ont besoin de "résoudre l'impasse politique dans laquelle ils se trouvent". Le 12 février, "le doute s'empare des milieux conservateurs" notamment à propos de l'Irak, et 8 jours plus tard, l'accord sur la transition politique en Irak - et le maintien réaffirmé des Forces armées US - amènent Campiotti à écrire que "si, quatre mois avant l'élection du 2 novembre, le président peut affirmer que les Etats-Unis ont commencé leur désengagement d'Irak, l'opposition aura perdu l'un de ses premiers arguments contre lui."

Le 18 mars 2004, après un attentat à Bagdad, Campiotti ressort "le sentiment de l'échec" qu'il couve depuis si longtemps, en affirmant que les Etats-Unis sont "sonnés". Mais il s'affranchit de toute limite le 6 avril, sous le titre "Le Vietnam de George Bush", lorsqu'il affirme que "les chiites prennent les armes" et que "le piège s'est refermé" parce que nul aux Etats-Unis "n'ose demander le retrait du bourbier". Deux jours plus tard, en écrivant que les Américains "se retournent contre George Bush", il ne parle que du Vietnam, d'un "bourbier d'où on ne peut plus s'extirper" ; du "rêve brisé de George Bush en Irak" le 10 avril, en évoquant le fait de "retirer les forces américaines de certaines régions" pour calmer le "désarroi américain". D'ailleurs, le 23 avril, "rien ne va plus pour les Américains", alors que le 29 mai, "George Bush s'enfonce dans le bourbier" irakien. Et le 9 juin 2004, Campiotti est catégorique : "La force multinationale devra avoir quitté l'Irak dans dix-huit mois au plus tard".

Je pourrais continuer encore longtemps ce rapide tour d'horizon de mes archives, mais il suffit à illustrer la réflexion de Wretchard : un journaliste comme Alain Campiotti, qui depuis presque 2 ans annonce sans relâche l'échec de l'opération militaire américaine en Irak, essaie périodiquement de resservir la même rengaine en lui donnant un aspect nouveau - "cette fois-ci, c'est sûr, ils ont perdu !" Le lecteur normal n'a presque aucune chance de démontrer la supercherie, mais un système de stockage numérique permet de remonter le temps - sans jeu de mot - et de cerner la mécanique sémantique utilisée. Les trous de mémoire ne serviront plus longtemps à préserver les réputations.

En même temps, une boussole qui indiquerait toujours le sud a aussi son utilité...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h36 | Comments (9)

Alerte média : La Liberté

C'est un ami qui m'a prévenu par SMS ce matin que La Liberté de Fribourg avait publié un commentaire d'un de mes articles, paru dans l'édition de janvier de la Revue Militaire Suisse et consacré au conflit israélo-palestinien. En fait, il a écrit "commentaire", de sorte que je pouvais redouter le pire ; au final, le texte de Patrice Favre (non disponible en ligne) et malgré son titre curieux ("Un officier donneur de leçon") vise surtout à résumer la version resserrée de cet article publié en septembre dernier sur CheckPoint.

Il est ainsi intéressant de voir comment Favre ressent l'analyse factuelle et stratégique d'un conflit :

Dans son genre, Monnerat ne fait pas dans la dentelle. Mais son regard de stratége en chambre tranche sur les analyses politiques, juridiques ou morales qu'on lit habituellement sur le drame palestinien. Monnerat est un soldat, il pense militaire, non sans cynisme : une bataille est faite pour être gagnée ou perdue.
[...]
Il admet certes que le conflit n'est pas terminé et qu'Israël peut tout au plus espérer un cessez-le-feu durable, mais "l'usage mesuré de la force au service d'une politique clairement définie a fait la preuve de son efficacité". Un vrai militaire, on vous l'a dit.

Le fait qu'un journaliste juge bon de signaler qu'un officier pense de façon militaire peut a priori surprendre, mais cela montre surtout à quel point les opérations militaires, les conflits armés et les réflexions stratégiques sont méconnus au sein des rédactions. Patrice Favre ne conteste en rien mes analyses, il semble d'ailleurs en être incapable (ce qui prouve que les bases factuelles de mon article étaient solides), et omet totalement le fond du texte, soit l'exemple d'un conflit asymétrique gagné - à mon sens - par une armée. Il se contente de mettre en exergue le "cynisme" supposé d'un "stratège en chambre" qui se permet de donner des leçons. A croire que je parle une autre langue !

En fait, Patrice Favre a l'habitude de lire la Revue Militaire Suisse pour trouver des sujets à traiter, ce qui est une pratique journalistique tout à fait régulière. Le 9 janvier 2003, il a ainsi résumé un article écrit par Raphaël Gerber et moi-même sur le problème croissant des Natels dans les écoles de recrues, ce qui a aussitôt déclenché un élan médiatique surprenant - la TSR, Le Matin et d'autres se lançant sur l'affaire. En conséquence, ses pointes de morgue à mon endroit ne m'effarouchent pas le moins du monde...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h19 | Comments (6)

26 janvier 2005

La fin de l'affaire Al-Dura

Les images du petit Mohammed Al-Dura ont été l'un des symboles marquants de l'Intifada dite d'Al-Aqsa, c'est-à -dire la phase actuelle du conflit israélo-palestien - peut-être en train d'arriver à son terme, encore que j'en doute. Ces images - tournées par un caméraman de France 2 - ont été utilisées pour fustiger les Forces armées israéliennes, accusées d'avoir abattu l'enfant, et ainsi saper la légitimité de l'Etat juif, en particulier sur la scène internationale. Deux journalistes français ont enquêté en détail sur cette affaire et démontré la fausseté de ces accusations, avant que leurs propos soient amplifiés et amagalmés pour attaquer France 2. Ils se sont exprimés hier dans Le Figaro pour donner le fin mot de l'histoire.

De leur enquête, on apprend que l'envoyé spécial de France 2 Charles Enderlin n'avait aucune preuve pour accuser les Israéliens d'avoir tué le garçon, et qu'il a menti au moins 2 fois au sujet des bandes tournées par son caméraman. Si les auteurs renoncent à spéculer sur les raisons de ces libertés prises avec la déontologie comme avec la vérité, force est de constater que les médias européens - et pas seulement africains ou arabes - peuvent soudain jouer un rôle considérable dans l'incitation à la haine et l'inflation des conflits. Ce qui rappelle l'impact potentiel des journalistes-combattants qui évoluent librement dans les zones de conflit.

COMPLEMENT I : Il vaut la peine de lire la réponse de Charles Enderlin publiée aujourd'hui 27 dans Le Figaro. En effet, il reconnaît n'avoir eu aucune autre preuve que le témoignage de son caméraman palestinien pour avoir affirmé le jour même que Mohammed Al-Dura a été tué par des balles israéliennes, et il utilise des témoignages a posteriori et des arguments chiffrés biaisés (comme si toutes les balles tirées par les Israéliens visaient des manifestants, voire des enfants...) pour tenter de justifier une déclaration injustifiable. Un texte également instructif pour prendre conscience les pressions dont Charles Enderlin a été l'objet, y compris des menaces de mort.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h53 | Comments (1)

25 janvier 2005

Un relativisme irrationnel

Claude Monnier, chroniqueur régulier pour 24 Heures, est sans conteste un homme très intelligent. Sans doute l'un des plus intelligents de la presse romande. Ce qui rend d'autant plus inquiétante sa dernière colonne, qu'il a écrite après avoir vu un documentaire consacré aux expérimentations japonaises sur des prisonniers de guerre dans l'Unité 731, et qui l'amène à un relativisme aussi répugnant que révélateur :

L'objectif premier de cette Unité 731 était de trouver une arme bactériologique imparable, comme la peste, et d'étudier la manière de l'utiliser efficacement. Les prisonniers ne ressortaient jamais vivants de l'Unité 731. On savait que les troupes japonaises s'étaient souvent comportées odieusement en Asie orientale, mais tout de même pas avec une cruauté aussi extrême.
[...]
J'observe d'abord que la cruauté n'a pas d'âge. Au contraire, l'inhumanité, les exactions extrêmes, semblent faire partie de la vie des groupes humains de toutes les époques, y compris de la nôtre - souvenez-vous des meurtres du Rwanda, commis à la machette; des camps de concentration serbes; des humiliations et tortures de Guantanamo et d'Abou Ghraïb.

Est-ce que nous sommes donc tombés aussi bas ? Est-ce qu'il est devenu tellement normal d'aligner dans une même phrase le génocide rwandais (environ 1 million de morts), le nettoyage ethnique en Bosnie (250'000 morts, dont 7000 en 2 jours à Srebrenica) et les prisons de Guantanamo ou Abou Ghraïb, où les auteurs de maltraitements sont tous en prison ou en attente de jugement, et qui jusqu'à preuve du contraire n'ont pas tué de prisonniers ? Peut-être Claude Monnier aura-t-il écrit sous le coup de l'émotion, aveuglé par le tourbillon d'images qui constitue notre actualité, ou peut-être aura-t-il voulu donner des gages à la rédaction farouchement anti-américaine de 24 Heures ; mais comment peut-on perdre à ce point le sens des proportions ?

On rappellera avec intérêt que l'essentiel des sévices qui ont fait éclater le scandale d'Abou Ghraïb se sont produits durant une tranche de 24 heures, et que c'est l'incompétence des officiers et l'incurie des lieux qui ont créé les conditions de ces exactions ; que la quasi totalité des hommes détenus à Guantanamo sont des combattants arrêtés l'arme à la main, susceptibles de reprendre le combat dès leur libération, et dont l'interrogatoire continue de fournir des renseignements permettant l'arrestation de cellules terroristes, notamment en Europe ; et que les combattants capturés lors d'un conflit ne peuvent être libérés qu'au terme de celui-ci. Mais à quoi bon fournir des faits lorsque les opinions s'en détachent ?

C'est l'un des faits centraux de notre époque : la raison perd sans cesse du terrain face à l'émotion. Tout devient comparable, tout peut être réécrit, tous les symboles se valent dès lors qu'il s'agit d'exprimer un sentiment, une position, une revendication. Où cela nous mène-t-il ? Spontanément, je n'en ai pas la moindre idée. Il faut s'en inquiéter et y réfléchir.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h33 | Comments (2)

Retour sur une extorsion

Dans Le Temps de ce jour, on trouve une colonne écrite par Marc-André Charguéraud, un historien qui publie un nouveau livre consacré à l'affaire des fonds en déshérence (La Suisse lynchée par l'Amérique, éditions Labor et Fides), 4 ans après un autre ouvrage consacré au même thême (La Suisse présumée coupable, édition L'Age d'Homme). Son objectif est de démontrer comment la faiblesse d'un dossier a été compensée par l'aspect émotionnel issue d'une cause juste pour procéder à une véritable extorsion de fonds dont ont été victimes les banques suisses, et par ricochet l'ensemble du pays, avec la complicité de l'administration Clinton.

Cette affaire a laissé un goût très amer dans la population helvétique. Voici presque 10 ans, le pays s'est soudain vu accuser d'avoir conservé des sommes colossales dans ses coffres, appartenant à des victimes du génocide juif, et ainsi d'avoir profité de la Shoah pour s'enrichir sans vergogne. Rapidement, l'opprobre s'est étendue à l'ensemble de la société sous l'action des médias domestiques et d'une partie de la classe politique, qui y ont vu une opportunité pour démolir certains mythes gênants et favoriser certains arguments militants. Le Conseil fédéral, après une résistance initiale littéralement fusillée par la presse (Jean-Pascal Delamuraz et ses accusations de chantage), a totalement capitulé et laissé faire la manoeuvre.

Car il s'agissait bien d'une manoeuvre, en l'occurrence une opération d'information visant à orienter les perceptions pour obtenir un bénéfice politique et financier, en utilisant l'accusation morale comme arme principale. Les sommes versées par les banques suisses - 1,25 milliards $ - n'étaient qu'une obole au regard des profits qu'elles ont continué d'enregistrer aux Etats-Unis. Mais la Suisse et les Suisses ont subi un "devoir de mémoire" particulièrement revanchard, organisé par des historiens regroupés dans la Commission Bergier, et dont les travaux ont sciemment écarté une partie des informations existantes (comme les travaux du professeur d'histoire suisse contemporaine Philippe Marguerat) pour publier un rapport accusateur, aujourd'hui déjà largement discrédité.

La réécriture de l'histoire à des fins d'ambition personnelle, politique ou idéologique, a cependant ses limites : la fameuse Fondation de solidarité, lancée par le Conseil fédéral au plus fort des attaques contre le pays pour reprendre l'initiative sur le plan éthique, a été refusée par près de 50% de la population le 22 septembre 2002. Et si le rapport Bergier a été vivement accueilli dans l'instruction publique par la frange la plus militante des enseignants, toute cette manoeuvre a abouti à accroître la méfiance des citoyens à l'endroit des médias, de la classe politique, et même des institutions internationales.

Manipuler les perceptions publiques a donc un prix.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h37

24 janvier 2005

Envers et contre tout

Deux reportages saisissants et totalement distincts montrent le visage de l'activisme militant actuel, perdu dans ses multiples griefs et incapable d'articuler un message : un tableau souvent ironique dans La Liberté de Fribourg, sur la manifestation "festive" des anti-WEF à Berne samedi (et oui, ils n'auraient pas pu remplir la Place Fédérale !), et un récit complètement sardonique dans le Weekly Standard sur des protestataires anti-Bush à vélo dans les rues de Washington. En lisant cela, il est difficile de ne pas conclure à l'échec absolu et au ridicule consommé de ces manifestations, et de s'interroger sur l'ambition de leurs auteurs.

Ces dernières années, nous avons assisté à l'éclosion d'une créature étonnante : l'activiste sans cause. Il proteste à tout va, conteste mille et une choses, de l'emploi des carburants fossiles aux salaires des grands patrons (pardon, des top managers, comme le dit Bilan), des organismes génétiquement modifiés aux opérations militaires coercitives (ou non coercitives, cela importe peu), des sommets internationaux au renvoi des requérants d'asile déboutés (ou des sans-papiers, puisque "personne n'est illégal-e"), infatigable, indécrottable, imperturbable, prêt à poursuivre envers et contre tout sa marche transcendante, sa campagne révolutionnaire, son grand soir en plein jour. Mais pour faire quoi, pour défendre quelle solution, pour construire quelle réponse ?

Autre chose que des saynètes inoffensives, apparemment :

Les policiers engagés à Berne samedi pour contenir les manifestants anti-WEF ont procédé à 654 contrôles d'identité et à 84 arrestations. [...] Parmi les objets retrouvés sur les manifestants contrôlés figuraient des cocktails molotov, des jerricanes d'essence, des frondes, des pistolets d'alarme, des pétards, des sprays de couleur et des masques.

La vacuité des perspectives abaisse un brin le niveau du débat...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h35

Alerte média : la Julie

Autrement dit, la Tribune de Genève, dont le responsable de la rubrique Opinion m'a proposé un texte suite à mon ramonage d'un éditorial sur l'engagement de l'armée à Sumatra, texte qui a paru samedi passé - sans que je le voie !

J'apprendrai à mieux me servir du site de la Julie. Promis !

Posted by Ludovic Monnerat at 11h24

22 janvier 2005

Un portrait révélateur

Le Monde tire aujourd'hui un portrait sympathique et intéressant de Florence Aubenas, la journaliste de Libération enlevée le 5 janvier dernier en Irak. Il décrit le parcours professionnel de ce grand reporter et écrivain, sa personnalité et ses habitudes. On sent la volonté d'illustrer la qualité, l'énergie et l'humanité d'une consoeur en danger de mort. Mais on voit également que Mme Aubenas n'est pas uniquement une journaliste "sans parti pris, avec le seul souci de dire la vérité et d'éclairer la réalité." Sans doute l'auteur de l'article ne s'en rend-il d'ailleurs pas compte.

Florence Aubenas a couvert une diversité impressionnante de sujets, en France, en Asie et en Afrique. Elle s'intéresse "surtout aux sans-grade, sans-parole ou sans-papiers", auxquels elle donne la parole en priorité. Elle présente son métier au cercle Gramsci (Limoges) ou devant les Motivé-e-s (Toulouse), deux collectifs d'extrême-gauche. Elle s'engage, conteste l'existence d'une pensée unique dans les médias, publie un livre - Résister, c'est créer - dans lequel elle affiche ses idées altermondialistes. En d'autres termes, elle est une journaliste-combattante qui cherche à améliorer le monde par un "autre regard", à éclairer sa réalité sous un angle donné, et donc à le changer.

Florence Aubenas a été envoyée par Libération en Irak pour y couvrir le conflit de basse intensité qui s'y déroule. Mais quelle est sa formation et son expérience en matière d'opérations militaires, de stratégie, de contre-insurrection ? De formation théorique, aucune à son actif : son parcours très littéraire l'a apparemment mené dans d'autres directions. Elle est allée en Algérie dans les années 90, sans que l'on imagine qu'elle ait pu avoir une connaissance autre que superficielle du conflit qui s'y déroulait (faute notamment de parler arabe); elle était à Kaboul à Noël 2001, après la fin des combats, et en Irak à l'automne 2003. Un parcours risqué et éminemment respectable, mais un peu court pour apprendre.

Cette examen critique d'une personne en danger peut sembler cynique. Il n'en est rien : on souhaite évidemment que Florence Aubenas soit libérée, avec son interprète irakien, et qu'elle puisse poursuive intacte sur le plan physique et psychologique sa belle carrière. Cela n'empêche pas le lecteur de se demander comment ses articles doivent être reçus, et quels risques de déformations doivent être pris en compte. A priori, Mme Aubenas mérite une confiance totale pour ce qui est de rapporter des propos, de favoriser l'expression des "petites gens", de décrire le quotidien et les préoccupations des individus. En revanche, compte tenu de ses orientations idéologiques et de son ignorance manifeste en matière stratégique, ses jugements et ses évaluations sur l'Irak n'ont à mes yeux qu'une valeur anecdotique.

Il ne faut pas confondre senseur, effecteur et décideur.

COMPLEMENT I : Le cas de Florence Aubenas est bien entendu pas isolé. On peut lire chez Tim Blair une déconstruction particulièrement pertinente d'un article écrit par une reporter du Washington Post.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h15 | Comments (3)

Les héros de Sumatra

C'est le Blick qui l'écrit : les soldats suisses déployés en Indonésie sont des héros ! Evidemment, de telles effusions font toujours plaisir aux militaires, et le travail quotidien - 12 heures d'engagement pour les Super Puma - dans une chaleur étouffante mérite effectivement d'être signalé de façon positive. Cependant, porter aux nues un détachement qui fait avant tout son travail montre les excès, dans un sens comme dans l'autre, auxquels peuvent se livrer les médias. Les portraits des différents militaires engagés - ou des fonctionnaires du Département militarisés pour l'occasion... - permettent d'humaniser les missions de l'armée à l'étranger et favorisent l'identification à l'opération SUMA. En même temps, d'autres missions tout aussi difficiles passent complètement inaperçues, comme le travail des observateurs militaires dans des régions aussi peu hospitalières que le Congo ou la frontière israélo-libanaise...

On voit bien l'intérêt du Blick dans cette couverture : suivre l'élan de solidarité suscité par le tsunami - plus de 185 millions de francs récoltés par la Chaîne du Bonheur ! - et montrer l'engagement de l'armée d'une manière telle que le public en sera touché. En l'occurrence, l'intérêt de l'armée est parfaitement compatible, et les responsables de la communication de la Défense sont enchantés de tels articles. Il faut cependant imaginer ce qu'il se pourrait se passer si un incident grave survenait en cours d'opération : un militaire qui meurt de causes non naturelles, un accident qui cause des victimes dans la population civile, etc. Le registre de l'émotion est versatile et sans nuance. Comme toujours, seuls la vue d'ensemble et le contexte global donnent du sens à un événement particulier.

En tout cas, ces grands titres du Blick ("Die Schweiz ist stolz auf euch !") viennent vivement contredire Le Matin, dont le rédacteur en chef avait affirmé voici quelques jours "qu'envoyer quelques malheureux soldats non armés" pouvait "ficher par terre l'image du pays." Un commentaire acerbe et primesautier que son auteur doit certainement regretter...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h39

21 janvier 2005

Les dérives de l'ONU

Les opérations d'aide humanitaire en Asie du Sud ont très largement disparu des journaux télévisés ou des premières pages. Pourtant, l'évolution de la situation mérite toujours d'être suivie, non seulement parce que les contingents militaires effectuent toujours un travail déterminant et préservent les conditions d'existence minimales des populations, mais également parce que l'Organisation des Nations Unies continue de démontrer ses capacités terriblement limitées dans la gestion de crises et son honnêteté intellectuelle restreinte.

Il faut presque se pincer pour le croire : c'est 26 jours après la catastrophe que l'ONU a établi un concept de base pour les opérations d'aide humanitaire et l'a fait approuver par les autorités indonésiennes. Et il suffit de lire le résumé qui en est fait pour se rendre compte que l'urgence ne semble pas précisément la priorité principale :

The overall concept was well received. Two TECHNICAL WORKING GROUPS (SEA transport and LAND transport) are to be formed in the coming week to align all information related to the primary relief delivery modes (GOI/UNJLC). Through these working groups information will be collated to better assess infrastructural/geographic obstacles. Subsequent to this the UNJLC with the GOI will seek solutions to the road deterioration/capacity on major relief routes; as well as identify coastal access issues/solutions.

Les besoins restent pourtant considérables : on recense au moins 350 camps de refugiés sur la péninsule d'Aceh, de sorte que les demandes en termes de logement de fortune, de nourriture conservable et soins sanitaires exigent un effort majeur. En fait, les zones touchées par le tsunami en Indonésie nécessitent toujours des secours d'urgence transportés par les hélicoptères des contingents militaires :

West Coast of Aceh Province: The ICRC reports that small pockets of communities have yet to be reached by international assistance. WFP says that long stretches of the coast between Banda Aceh and Meulaboh have been totally destroyed, and that survivors would only be found some 5 to 10 kilometers inland. WFP says helicopters are the only way to reach these isolated communities.

Mais cela ne dissuade pas l'ONU de revendiquer la conduite et la paternité de toute l'aide humanitaire, comme le démontre cette invraisemblable factsheet concoctée son Bureau pour le coordination des affaires humanitaires, qui ne mentionne pas une seule fois l'action des contingents militaires. Je pensais voici 5 jours que la réalité avait fini par rattraper l'ONU, mais force est de constater que celle-ci tente toujours d'influencer les perceptions pour dissimuler son incroyable lenteur.

Ce qui n'est d'ailleurs pas très surprenant lorsque l'on constate l'attitude désinvolte et arrogante des fonctionnaires onusiens, si l'on en croit le témoignage d'un officier de marine américain servant sur le porte-avions USS Abraham Lincoln ; ce dernier met en effet équipages, hélicoptères, chambres et subsistance à leur disposition afin qu'ils puissent enfin procéder à des évaluations de la situation sur la côte ouest de l'Indonésie. Sans guère obtenir de marques de gratitude, bien au contraire.

Dans ces conditions, il n'y a guère lieu de s'étonner qu'une organisation fasse campagne aux Etats-Unis pour l'expulsion de l'ONU hors du territoire américain. La démagogie de sa publicité, qui conjugue l'arrogance de Jan Egeland (et son accusation de "pingrerie") aux vacances de Kofi Annan, trouve en effet dans les dérives onusiennes des arguments aussi faciles que percutants.

COMPLEMENT I : On peut lire cet article de L'Express pour mieux cerner l'offensive anti-ONU lancée aux Etats-Unis. L'auteur n'est pas parvenu à se départir entièrement d'une préférence onusienne, omet totalement le fond du problème (les tentations supranationales de l'ONU et la résistance de plusieurs nations) et décrit sous le terme de "haine irrationnelle et xénophobe" les réactions américaines sans même envisager que l'ONU puissent haïr les Etats-Unis, mais le texte n'est pas dépourvu d'intérêt.

COMPLEMENT II : On verse vraiment dans la schizophrénie, à l'ONU. Voilà que la "coordinatrice spéciale" de l'organisation pour l'aide humanitaire s'inquiète de voir le contingent militaire américain partir trop vite :

Today the UN and aid groups warned that it might be too early for the US military to scale-back its relief operations. UN special coordinator for tsunami relief, Margareta Wahlstrom says she hopes the US military would not immediately depart because relief operations depend on its "resources and machinery." Walhstrom says the need for foreign militaries will diminish in the coming weeks as the UN and other aid organizations organize their own transportation.

Autrement dit, cette brave dame reconnaît que l'ONU n'a aucune influence sur le déploiement et l'engagement des moyens militaires américains, alors même qu'elle prétend diriger les opérations, mais en plus elle avoue que leur rôle reste décisif, alors même que l'ONU évite soigneusement d'en parler dans sa communication officielle. Faudrait savoir !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h42 | Comments (6)

20 janvier 2005

Le discours de Bush

Je viens de regarder le 19h30 de la Télévision Suisse Romande (TSR), qui a consacré à l'investiture de Georges W. Bush un reportage - comme toujours - centré sur l'accessoire, soit les cérémonies à coloration texane. Le discours prononcé à cette occasion représente pourtant une déclaration d'intention de première importance. Le commentaire de l'ineffable correspondante de la TSR aux Etats-Unis, Françoise Weilhammer, est - comme toujours - d'une affligeante inexactitude, parlant de "présidence qui se rêve impériale", de "conquérant de la liberté" alors que rien n'évoque ou ne mentionne cette notion de conquête.

Mais il y a plus grave : Mme Weilhammer fait croire à son auditoire captif - il y a une seule chaîne de télévision romande, qui plus est publique - que ce discours n'amène rien de nouveau. En fait, ce texte mérite d'être analysé en détail et comporte des éléments significatifs, comme l'indique ce bref extrait :

Today, America speaks anew to the peoples of the world:
All who live in tyranny and hopelessness can know: the United States will not ignore your oppression, or excuse your oppressors. When you stand for your liberty, we will stand with you.
Democratic reformers facing repression, prison, or exile can know: America sees you for who you are: the future leaders of your free country.

Il faut en prendre conscience : l'antiaméricanisme constitue un danger pour l'Europe dès lors qu'il empêche toute analyse objective et fausse l'appréciation de la situation. D'ailleurs, ce discours sera certainement perçu d'une manière très différente selon les continents... Raison de plus pour le lire soi-même et en tirer les enseignements qui s'imposent.

COMPLEMENT I : On trouvera deux commentaires diamétralement opposés à ce discours qui illustrent la diversité des médias américains - avec l'hebdomadaire de gauche The Nation et l'hebdomadaire de droite The Weekly Standard. L'un dans l'autre, ils fournissent une bonne image des aspects saillants et contradictoires de cette déclaration d'intention.

COMPLEMENT II : L'une des meilleures analyses lues depuis 2 jours sur ce discours d'investiture est en fait un parallèle historique avec la présidence de William McKinley, marquée par l'incident du Maine, la guerre hispano-américaine, les victoires à Cuba et aux Philippines, et la contre-insurrection sur une partie de celles-ci qui a coûté la vie à 4000 soldats américains. Plutôt intéressant !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h51 | Comments (8)

Alerte à la folie furieuse (3)

La cérémonie d'investiture de Georges W. Bush et l'audition devant une commission du Sénat américain de Condoleeza Rice devaient immanquablement amener des dérapages haineux et irrationnels dans la presse. C'est le cas aujourd'hui dans Le Nouvelliste de Sion, où le très ardent Antoine Gessler se livre à quelques ellipses paranoïaques en guide d'éditorial. Extraits :

Reparti pour une seconde période de quatre ans à la Maison-Blanche, George W. Bush a conclu sans vergogne que sa réélection signifiait un chèque en blanc accordé à sa politique. [...] Que cherche M. Bush? La déclaration de sa nouvelle secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, qui a vu dans le tsunami qui a ravagé l'Asie du sud «une merveilleuse occasion pour la diplomatie américaine dans les pays musulmans de cette région» a choqué. Car elle a clairement démontré que sur tout investissement, même humanitaire, Washington attend un bénéfice en retour.
Dans ce contexte, les gouvernements trop indépendants gênent l'impérialisme de l'administration républicaine. Pour ancrer leur hégémonisme, les Etats-Unis ont besoin de découper le monde en ensembles géographiques distincts, plus facile à contrôler que des nationalismes jaloux de leurs prérogatives. Persuadé d'avoir hérité de Dieu le droit d'user et d'abuser des richesses possédées par les autres peuples, George Bush junior a reçu 48 mois supplémentaires pour tenter de faire triompher sa croisade.

Naturellement, on peut me reprocher de tirer sur ambulance ou de m'acharner sur un cas désespéré, puisque ce pauvre homme semble incapable de différencier un investissement d'une donation ou une politique écrite noir sur blanc d'un blanc-seing laissé à la discrétion d'un dirigeant. De toute évidence, il n'a pas non plus remarqué que le tsunami a offert une opportunité merveilleuse pour nombre d'initiatives diplomatiques et pour le resserrement de liens distendus par la discorde ou la méprise - aussi bien pour les Etats-Unis que pour l'Union Européenne, la Chine et bien entendu l'ONU.

Mais c'est bien cette vision intégriste et impérialiste de l'administration américaine, dépeinte en mal absolu face à laquelle nul n'est coupable, qui relève de la folie furieuse. Ecrire que le seul défaut de Saddam Hussein ou des ayatollahs iraniens consiste à faire preuve d'indépendance est une assertion qui verse carrément dans le révisionnisme ; on se demande comment M. Gessler interprète le fait que 80% des Irakiens affirment vouloir voter le 30 janvier prochain - s'il est encore en mesure de distinguer les nuances de la réalité parmi les clartés aveuglantes de ses obsessions.

Cela dit, si les médias préfèrent remplacer l'éclairage de l'actualité par la fulgurance des illuminés, peut-être l'intérêt commercial saurait-il expliquer pareille dérive. Dès lors que le public dispose d'un large choix en matière d'information, cela ne me dérange pas le moins du monde. Et si l'on cherche à mieux comprendre les enjeux et les conséquences de la politique américaine notamment par rapport à l'Irak, je recommande chaudement Au Risque du Chaos, le livre collectif rédigé par le Réseau Multidisciplinaire d'Etudes Stratégiques sous la direction experte de Joseph Henrotin.

COMPLEMENT I : On lira avec intérêt le commentaire de Thomas Friedman aujourd'hui dans le New York Times sur l'humeur des Européens avec la réélection de Bush. Et on ne manquera pas de noter, à la fin du texte, que les Iraniens semblent les plus satisfaits de cette réélection - au contraire de leur Gouvernement.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h21 | Comments (6)

Une vérité tronquée

Sur le blog de Chester, on trouve une analyse de la couverture donnée hier dans les médias américains aux 5 attaques à la voiture piégée menées en Irak, en sélectionnant 4 grandes sources. Il constate que 3 d'entre elles - dont l'agence AP, qui abreuve les organes de presse par milliers - ne mentionnent pas un fait pourtant important : toutes ces attaques ont été contrées par les forces de sécurité, et chaque voiture a dû être mise à feu de manière prématurée, sans atteindre la cible prévue. En d'autres termes, les faits sont sélectionnés pour retranscrire uniquement l'activité des terroristes, et non celle de leurs ennemis.

Cette vérité tronquée l'est d'autant plus que ces médias reçoivent de toute évidence les communiqués du Commandement Central américain, puisqu'ils s'appuient sur eux pour avancer le nombre de victimes - en l'occurrence 26 - de ces attaques. Cependant, seuls les aspects négatifs de ces communiqués sont pris en compte, et les aspects positifs comme les bonnes nouvelles sont systématiquement écartés des compte-rendus de l'Irak. A la longue, cette manière de focaliser l'attention du public sur une partie seulement des événements équivaut à une tromperie caractérisée, dont les médias sont d'ailleurs eux-mêmes victimes puisqu'elle les intoxique constamment.

Je vais mettre prochainement en ligne sur CheckPoint la traduction d'un article écrit par un officier américain actuellement déployé en Irak qui analyse en détail les distorsions et les manipulations de la couverture médiatique. Mais ce dont il faut prendre conscience, c'est que l'impact de celles-ci peut avoir des conséquences graves en Europe s'il amène nos dirigeants à prendre des décisions erronées quant à l'évolution du Moyen-Orient. Espérons que les services de renseignements fournissent une image complète et réaliste de la situation.

COMPLEMENT I : On notera avec intérêt que 4 de ces attaques à la voiture piégée se sont toutes produites en 0700 et 0830, heure de Bagdad, ce qui confirme l'analyse mentionnée ci-dessus, selon laquelle les attentats sont programmés pour être couverts par les informations télévisées matinales des chaînes américaines. Par ailleurs, les communiqués de la Force Multinationale montrent bien toute l'activité qui est ignorée par les médias grand public.

COMPLEMENT II : L'indispensable Chrenkoff s'est donné la peine de faire un décompte, via Google News, de la couverture médiatique de l'Irak selon les aspects positifs et négatifs mis en avant. Il montre ainsi qu'il y a 4867 articles ou reportages négatifs consacrés directement à l'Irak (à l'exclusion de sujets touchant les Etats-Unis en rapport indirect avec l'Irak), 407 articles ou reportages positifs - soit moins de 8%. Mais le plus choquant reste le fait que 761 items traitent des activités en général et des déclarations des insurgents, à l'exception des attaques et attentats (1992 items), contre seulement 16 items pour les succès de la coalition contre les insurgents. Alors que ces succès font l'objet de plusieurs communiqués quotidiens de la coalition...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h49 | Comments (1)

19 janvier 2005

Non conformisme british

Lire des éditorialistes originaux, intelligents, rationnels et stimulants est malheureusement une chose assez rare. C'est pourquoi je rends chaque semaine visite à Spiked, un site britannique dont les plumes sont à la fois piquantes et élégantes. Exemples récents :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h50

18 janvier 2005

WEF : le discours de la violence

Le Forum économique de Davos commence la semaine prochaine, et le façonnement des perceptions publiques fonctionne à plein régime. Grâce à leurs fidèles relais dans les médias, les opposants au Forum tentent en effet de justifier par avance les violences issues de leurs rangs ; ils s'appuient pour ce faire sur les restrictions imposées par la ville de Berne à leur grande manifestation pour annuler celle-ci et crier au bafouement des droits élémentaires. Leur message est on ne peut plus clair : ce sont les forces de l'ordres qui sont dangereuses.

« L'Exécutif avait décidé de militariser la ville. Nous étions donc en souci pour la sécurité de nos militants », complète depuis Genève Alessandro Pelizzari, secrétaire d'Attac Suisse, qui a participé à la discussion de dimanche soir. Selon lui, le scénario des autorités augmentait sérieusement les risques de confrontations. [...] Mais les Black Blocks ne rêvaient-ils pas d'en découdre avec les forces de l'ordre? « Il faudrait savoir qui ils sont vraiment. Des membres de la coalition ou des infiltrés contrôlés par la police »

Les responsables de l'Alliance anti-WEF, qui rassemble une trentaine d'organisations militantes, n'ont donc pas peur des paradoxes : alors qu'ils visent à empêcher la tenue d'une manifestation publique, ils protestent contre toute entrave à leur propre manifestation. Et le lieu accordé pour celle-ci n'avait rien d'anodin ou d'excentré : la Place Fédérale, juste devant le siège du Gouvernement et du Parlement. Visiblement, un lieu pareillement idéal pour faire passer un message politique, directement sous les caméras des médias tout proches, ne satisfait guère nos militants altermondialistes.

Mais le plus intéressant reste le fait voir à quel point ce message est retransmis, confirmé et amplifié par certains journalistes, comme le fait Vincent Bourquin dans 24 Heures, qui s'est fendu d'un éditorial enflammé dans lequel il crie au non respect des droits les plus fondamentaux. Extraits :

L'Exécutif bernois voulait faire de même avec les anti-WEF. Les «parquer» durant quelques heures sur la place Fédérale, sans les laisser défiler dans les rues de la capitale. Des pratiques pas très éloignées de certains régimes totalitaires.
Le droit à la liberté de manifester est donc clairement attaqué par une municipalité, pourtant majoritairement à gauche. Et cette décision crée un dangereux précédent: à l'avenir sera-t-il encore possible de manifester à Berne? C'est loin d'être sûr. [...]
Des débordements étaient prévisibles. Mais la décision des autorités bernoises pourrait bel et bien générer des réactions beaucoup plus violentes encore.

On n'est pas loin ici de la folie furieuse que je prends plaisir à exposer sur ces pages, n'était ce fond idéologique tellement évident qui tord le sens et les perceptions : le droit de manifester est confondu avec le droit de manifester n'importe où et n'importe quand, les restrictions décidées par des autorités élues sont une incitation à la violence et le présage d'une tyrannie future. Aucune logique n'apparaît dans ces propos qui dégoulinent de militantisme d'extrême-gauche. Mais le camarade Bourquin aura fidèlement reproduit la ligne du parti !

Peut-être se trouvera-t-il une bonne âme à 24 Heures pour expliquer à ce malheureux garçon que le journalisme ne consiste pas à servir de porte-parole pour une mouvance politique, quelle que soit la légitimité ou non de sa démarche, mais bien de prendre du recul pour replacer objectivement les faits dans leur contexte. Et si possible faire preuve d'esprit critique : est-ce que par hasard les anti-WEF n'auraient-ils pas été effrayés par la perspective de devoir remplir la place Fédérale, sous peine de paraître - encore plus - ridicules ? Cette bonne place Fédérale, avec ses jolis jets d'eaux, peut accueillir facilement 30'000 personnes... Soit dit entre nous !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h53 | Comments (3)

Médias : collusions inavouables

Un article explosif a paru aujourd'hui dans le Jerusalem Post, fruit d'une enquête certainement approfondie. Il analyse les liens qui existent entre les journalistes palestiniens travaillant pour des médias internationaux et l'Autorité palestinienne, et montre notamment que plusieurs journalistes sont payés par celle-ci ou sont liés à des partis politiques. Comment peut-on imaginer qu'un individu travaillant pour l'Autorité palestinienne puisse également fournir des reportages "objectifs" à une clientèle étrangère ?

Ainsi, il est particulièrement choquant d'apprendre que l'AFP, Reuters ou AP emploient des reporters qui s'engagent totalement dans la cause palestinienne, et que leurs textes ou leurs images sont intégrés et acceptés sans autre ; lorsque l'on sait à quel point les agences fournissent la base de l'information quotidienne, on mesure mieux les possibilités de manipulation que cela offre. L'article montre également comment les informations peuvent être sélectionnées pour systématiquement mettre un camp en accusation et négliger les aspects négatifs de l'autre.

Cependant, l'élément le plus intéressant reste le refus des médias de prendre en compte ce problème, et d'afficher la moindre transparence à ce sujet :

The AFP bureau chief in Jerusalem, Patrick Anidjar, refuses to discuss the issue, saying, "I don't understand why you have to have the name of our correspondents." Pressed to give a specific answer, he says: "I don't want our correspondents' names to go into print. I don't want to answer the question. What is this, a police investigation?"

Cette réaction hautement révélatrice n'est pas sans rappeler celle de CBS dans le Rathergate, pour laquelle l'idée même d'une infraction à la déontologie professionnelle était inconcevable. Aujourd'hui, tout l'édifice de la presse occidentale est basé sur la confiance, parce que les ressources manquent pour vérifier l'information reçue ou disponible : chacun reprend automatiquement ce que l'autre publie, pour être sur de ne pas manquer un sujet, et évite de se pencher sur la fiabilité des produits. Que cette confiance vienne à disparaître, et l'édifice menace de s'écrouler. Il n'est donc pas étonnant que la remise en question soit écartée brutalement.

Pareille attitude ne durera pas éternellement. Avec Internet, la vérification de l'information et la détection des manipulations sont grandement facilitées. Les consommateurs d'information deviennent également des producteurs. La valeur ajoutée n'est plus le fruit d'une caste professionnelle. Et les journalistes qui croient pouvoir s'abriter dans leur tour d'ivoire pour échapper à la critique et à l'exigence de transparence sont promis à des lendemains difficiles.

Quant aux produits des agences sur les événements en Palestine, force est d'admettre qu'ils deviennent a priori suspects. Sauf si elles prennent le soin de démentir l'article du Jerusalem Post et de démontrer l'objectivité de leurs employés.

COMPLEMENT I : Une réflexion intéressante sur l'évolution des médias et de leurs biais est disponible sur Evoweb, en particulier avec la phénomène de la rétroaction et l'accentuation des biais que l'on en redouter.

COMPLEMENT II : Cet exemple me paraît intéressant pour appréhender l'avenir. Une journaliste du New York Times peu informée fabrique un article médiocre, plein d'erreurs factuelles et de suppositions gratuites, enrobé de sensationnalisme pour attirer l'attention, et se fait littéralement défroquer - si j'ose dire - par plusieurs bloggers, certes de haute volée.

COMPLEMENT III : Le blog de Chester propose une initiative intéressante pour contourner le filtre des médias, en incitant les militaires américains en Irak à rapporter ce dont ils sont témoins. Extraits :

If you are in the US military and in Iraq, and have:
1. Witnessed an event that is notable, but not reported;
2. Been interviewed by a reporter, yet feel he didn't quite get it right;
3. Been present at a reported event, and have quite a different take on it than was reported;
4. Had someone in your unit awarded a Silver Star or higher for valor;
. . . then this is the series for you. Email what really happened to Chester, and include a link to any news stories you reference, or at least a headline and date, or a citation excerpt if a decoration was awarded.

Le résultat ne manquera pas d'être instructif. Pour les armées modernes, la difficulté à communiquer par l'entremise des médias est en effet devenue telle que les soldats sont devenus le meilleur vecteur pour transmettre au public, via les familles et les amis, la réalité des opérations. A suivre.

COMPLEMENT IV : On trouvera une autre analyse dévastatrice d'un article médiocre au possible de Stern sur Davids Medienkritik. Ou quand les stéréotypes racistes et sexistes sont acceptables lorsqu'ils sont appliqués à Condoleeza Rice.

COMPLEMENT V : Une version en français de cet article du Jerusalem Post est disponible sur le site www.upjf.org, grâce à une traduction de Menahem Macina.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h28 | Comments (2)

17 janvier 2005

Alerte à la folie furieuse (2)

Il fallait bien que cela se produise : le jugement du caporal Charles Graner et sa condamnation à 10 ans de prison pour les maltraitements infligés dans la prison d'Abu Ghraib devaient obligatoirement susciter au moins un éditorial délirant, tout dégoulinant d'anti-américanisme pathologique. C'est L'Express qui s'y colle aujourd'hui, sous la plume d'un certain Eugenio d'Alessio. Extraits :

Mais le sourire presque béat du condamné est encore lourd de mystères et d'interrogations. Car une fois le ou les salauds éliminés reste le système. Celui qui tire les ficelles et qui oblige parfois les individus à devenir précisément des salauds.
Charles Graner l'a répété à l'envi: il n'a fait qu'obéir à la hiérarchie militaire. Et comment pouvait-il en aller autrement sachant que le soldat est là pour exécuter et s'exécuter.
Ce qu'exprime le sourire du tortionnaire, c'est donc l'impunité dont jouit, pour l'heure, l'armée américaine en Irak. Laquelle mène une guerre raciale dominée par une idéologie antiarabe et antimusulmane radicale. Ce que nous dit le sourire du réserviste déchu, c'est que le système de gouvernement au cœur de cette entreprise n'est pas près, lui, de subir les foudres de la justice.

On se permet de remarquer que la condamnation du caporal Graner exclut précisément l'exécution d'ordres reçus des échelons supérieurs pour maltraiter les prisonniers. Et penser qu'un soldat se contente en permanence d'obéir montre une certaine méconnaissance de la réalité militaire. Quant à la notion de "guerre raciale", d'idéologie "antiarabe", il faut vraiment avoir un cerveau bien embrumé pour l'appliquer à la situation en Irak et à la lutte pour y instaurer une démocratie respectueuse des libertés individuelles.

De tels propos seront utiles dans quelques années pour comprendre comment et pourquoi les médias se sont totalement fourvoyés au sujet de l'Irak.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h37 | Comments (3)

15 janvier 2005

Armée : la surprise des médias

Le déploiement du contingent suisse en Indonésie, effectué hier, a reçu une couverture médiatique positive sous la forme de reportages montrant concrètement les activités des soldats. En revanche, les éditorialistes peinent à concilier leurs convictions avec la réalité des faits, soit celle d'une urgence humanitaire amenant une opération militaire multinationale inédite. Après Peter Rothenbühler hier, qui jugeait l'engagement suisse "un peu ridicule" et nuisible à l'image du pays, un certain Adrien Bron affirme aujourd'hui dans La Tribune de Genève que l'armée se rend enfin utile :

[O]n constate que pour la première fois depuis des décennies, l'armée suisse est engagée sur un terrain indiscutablement utile. Le déploiement des Super-Puma représente un effet spectaculaire de la réforme Armée XXI. En vigueur depuis un an, elle permet d'envoyer des troupes (limitées) à l'étranger sans suivre une longue procédure parlementaire.
Les opérations de maintien de la paix ne sont pas exemptes de critiques (hors de prix, ne seraient-elles pas mieux remplies par des civils?). L'engagement de l'armée pour les tâches de sécurité intérieure également (soldats insuffisamment formés). En revanche, la mission humanitaire semble cette fois inattaquable.

On ne peut qu'être surpris par l'incompétence crasse dont témoignent ces propos. Est-ce que leur auteur ignore les déploiements de 1999, lorsque l'armée a déployé en quelques jours 3 Super Puma en Albanie au profit du HCR ainsi qu'un détachement de sauvetage en Turquie - comprenant des soldats de milice - suite à un tremblement de terre ? Non seulement ces missions n'ont-elles pas attendu un débat parlementaire, mais elles répondaient également à une demande de tiers. De toute évidence, s'exprimer sur la chose militaire ne nécessite pas de connaissance particulière au sein de certaines rédactions.

Mais ces lignes laissent transparaître une vision encore plus éloignée de la réalité quant aux autres types de mission. Les civils seraient mieux adaptés aux engagements de maintien de la paix ? Allez donc expliquer cela à la MINUK au Kosovo, qui ne doit la poursuite de sa mission qu'à la réaction décidée et efficace de la KFOR suite aux émeutes de mars 2004, et alors que ses policiers ont subi ces violences. Au demeurant, j'aimerais bien savoir comment M. Bron compte remplacer les 18'000 militaires de la KFOR ou les 9500 de l'ISAF en Afghanistan. "Tout sauf des militaires" est une déviance bien helvétique.

De même, le rôle de l'armée dans la sécurité intérieure est considéré avec des oeillères étonnantes. Est-ce que Genève aurait pu être protégée comme elle l'a été - c'est-à -dire déjà insuffisamment - durant le G8 sans l'engagement massif de l'armée ? Est-ce que le WEF pourrait se tenir à Davos sans l'emploi de militaires par milliers ? Certaines lacunes ponctuelles en matière d'instruction, par exemple pour la garde des ambassades, n'empêchent pas l'armée d'être indispensable - et de répondre en cela au jugement puis aux ordres du Conseil fédéral, suite aux demandes des autorités cantonales.

En définitive, on doit admettre que ce M. Bron fait partie de ces journalistes viscéralement antimilitaires, incapables d'étudier le sujet mais prêts à le juger de façon définitive, qui peuplent encore les rédactions. Les faits l'intéressent moins que les mots. C'est dire à quel point il nuit à son métier !

COMPLEMENT I : Cet article du Matin dimanche retrace l'origine de l'engagement militaire, et montre que c'est la neutralité helvétique ainsi que la volonté du HCR de ne pas dépendre des Etats-Unis qui expliquent la demande d'appui faite à la Suisse. Il est intéressant de voir que ce texte ridiculise largement l'édito enflammé du rédacteur en chef publié 2 jours plus tôt... En revanche, ce qui est choquant à défaut d'être surprenant, c'est que le HCR n'a songé que le 3 janvier à demander l'appui d'hélicoptères, soit 8 jours après le cataclysme ! L'incapacité de l'ONU à réagir aux crises n'en est que davantage soulignée...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h52 | Comments (2)

14 janvier 2005

Tortionnaires à la Une

Un "Abu Ghraib suisse" : voilà comment la presse suisse dite de boulevard présente une affaire pour le moins trouble, qui voit un soldat autrichien se plaindre de "tortures" subies par des policiers militaires suisses lors d'une séquence d'instruction avant le déploiement d'un contingent SWISSCOY au Kosovo. Basé exclusivement sur un article du Blick publié le jour précédent, sans le moindre indice de vérification des accusations portées, l'article du Matin est complété par un éditorial particulièrement extrême de Peter Rothenbühler, qui accuse les soldats de nuire au pays :

Les actes commis par des soldats suisses sur un appointé autrichien renvoient une image détestable de la Suisse. On apprend que le pays de Dunant torture aussi bien que le pays de Bush. Götzendorf comme Abou Ghraïb. En peu de temps, nos boys de la Swisscoy ont atteint le niveau mondial.
[...]
Par pitié, arrêtons d'envoyer un peu partout quelques malheureux soldats non armés, capables de ficher par terre l'image de notre pays.

Axés sur le premier incident apparemment grave vécu par la SWISSCOY en plus de 5 ans de mission au Kosovo, ces propos ne sont pas crédibles. Au pire, seule l'Autriche est touchée par un tel incident, et les accrochages ou maltraitements entre soldats d'une même mission dans une caserne n'ont de toute manière rien à voir avec des maltraitements exercés sur des détenus en cours de déploiement. Les soldats suisses ont au contraire une excellente réputation à l'étranger, et constituent une image de marque de première qualité.

Mais cet intérêt pour l'image du pays amène également Peter Rothenbühler à critiquer le déploiement du contingent suisse en Indonésie, qu'il juge "un peu ridicule" et que la population suisse à son avis ne soutient pas. Au vu des critiques subies par d'autres nations pour leur engagement insuffisant, notamment en France, on ne peut qu'être surpris par cette affirmation ; quant à connaître l'avis des Suisses, seul un sondage permettrait de fournir quelques indications à ce sujet. Pourquoi Le Matin ne déciderait-il pas de poursuivre l'affaire et de commander un sondage des Suisses ?

On se demande d'ailleurs quelle image la Suisse pourrait avoir en refusant une demande d'appui du HCR pour contribuer à l'aide humanitaire en Asie du Sud. Peter Rothenbühler a la plume leste et critique, mais son goût pour la dénonciation l'a ici emporté sur sa capacité de raisonnement.

COMPLEMENT I : Cet engagement "un peu ridicule" semble en tout cas bienvenu par le HCR, qui vient de localiser des milliers de réfugiés isolés supplémentaires et qui compte sur les 3 Super Puma suisses pour augmenter notablement ses capacités de transport.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h57 | Comments (2)

11 janvier 2005

Participation modeste en Palestine

Les questions que je posais hier étaient bel et bien fondées : les chiffres officiels des élections palestinienne font état de 775'146 suffrages enregistrés. Le taux de participation claironné par les médias à la suite des dirigeants palestiniens n'était donc pas exprimé par rapport à la totalité des électeurs autorisés, comme le montre cette analyse, qui estime que 46,7% des Palestiniens se sont rendus aux urnes. Par conséquent, le "vote massif" que l'on a pu lire et entendre était - encore une fois - contraire à la réalité : avec moins d'un électeur sur deux aux urnes, les Palestiniens ne se sont que modestement mobilisés.

Cette réalité met une sourdine à tous les commentaires optimistes sur la supposée santé de la démocratie en Palestine. A ce sujet, le rapport préliminaire de la mission d'observation de l'Union européenne fournit des indications intéressantes, et souligne les défis qui attendent les Palestiniens - et l'homme qu'ils ont élu Président.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h55 | Comments (2)

Le calvaire de l'ONU

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, et la survie de dizaines de milliers de personnes dépend toujours de l'aide internationale. Largement coordonnées par les Etats-Unis, les actions des contingents militaires fournissent une contribution qui reste cruciale. A la date du 11 janvier, on pourrait cependant s'attendre à ce que l'ONU soit en mesure de concrétiser ses prétentions, et de commencer enfin à travailler efficacement au sol. Malheureusement, il n'en est rien, d'après le département britannique pour le développement, qui note à propos de l'Indonésie les éléments suivants dans son rapport quotidien :

In spite of reports that relief provision is gaining momentum, local media states that relief not yet reaching all needy areas on the west coast. Serious logistics bottlenecks. Estimated 35,000 unaccompanied children. Access still difficult to west coast and some other areas. Government and UN coordination structures building up - not yet in a position to provide firm and comprehensive coordination of the relief effort. Inter Agency assessments continue. Some sensitivities over the presence of foreign military and civilian staff. Security concerns persist.
Focus on reconstruction as well as on relief is a priority.

Le passage ci-dessus a été souligné par mes soins. Il est révélateur de la réalité telle qu'elle perçue sur le terrain par une partie au moins des acteurs, et il contraste avec l'arrogance de certains hauts fonctionnaires onusiens. Mais l'incapacité de l'ONU à agir dans une situation d'urgence devient chaque jour plus évidente, et ce tsunami pourrait bien être le calvaire dont l'organisation aura besoin avant d'être réformée en profondeur - ou avant de disparaître et de céder la place à une structure adaptée au XXIe siècle.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h32

Alerte à la folie furieuse

Nul n'ignore que la quotidien vaudois 24 Heures a pris un sérieux virage à gauche ces dernières années, ce qui est son droit le plus strict. En revanche, cette xénophobie consensuelle que l'on nomme antiaméricanisme le touche de plein fouet et amène périodiquement dans ses colonnes des éructations haineuses et irréelles qui rappellent à quel point le "Bush derangement syndrome" est répandu dans nos contrées.

Ce matin, c'est ainsi l'historien de l'art Michel Thévoz qui s'abandonne à un délire purement pathologique :

Les mêmes culs-bénits ne seraient-ils pas tentés de récidiver à propos du tsunami, qui nous reporte d'une certaine manière au déluge de la Bible? [...] Dieu aurait ainsi manifesté son courroux sans faire le détail, à l'instar de ses puissants alliés sur la Terre, Bush, Blair, Sharon, Poutine, qui n'hésitent pas à décimer une ville entière pour atteindre quelques terroristes présumés.
De fait, visiblement, George W. Bush reste prisonnier de cette logique de croisade contre le Mal. C'est un intégriste de la pire espèce, on le sait, qui prend la Bible au pied de la lettre, et qui se considère comme le bras armé de Dieu. Après la campagne contre l'Irak qui a assuré sa réélection, n'a-t-il pas tenté de rempiler en entraînant la même coalition dans la campagne humanitaire et en éconduisant pareillement l'ONU et les pays trop agnostiques? Il aura fallu que Colin Powell le raisonne et le dissuade d'attribuer au raz de marée une origine criminelle ou terroriste.
Quant à la réaction des pays occidentaux civilisés, évidemment plus éclairée, elle s'explique aussi par le caractère inédit du tsunami.

On se perd en conjecture pour trouver des faits et une logique dans ces élucubrations. Et au lieu de perdre du temps à raisonner, il vaut mieux se dire qu'un thérapeute spécialisé saurait trouver les mots pour apaiser M. Thévoz et lui permettre de poursuivre plus tranquillement sa vie, au lieu d'étaler sa folie furieuse et vaine.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h14 | Comments (2)

Le Rathergate en détail

La chaîne américaine CBS a fini par livrer son rapport sur l'émission 60 Minutes du 8 septembre dernier, qui accusait George Bush de favoritisme dans le cadre de son service militaire comme pilote de chasse. Ce document de plus de 230 pages a provoqué la démission de trois dirigeants et le licenciement de la productrice de l'émission ; un désastre pour la crédibilité des médias, pour cette conviction que les professionnels de l'information travaillent avec exactitude et objectivité dans l'intérêt du public.

Ce rapport ne constitue pas une accusation en règle de CBS ; il affirme en particulier, quoique sans le démontrer, qu'aucune préférence politique n'est à l'origine de cette affaire. En revanche, le rapport démontre que la productrice, Mary Mapes, a ouvertement menti à ses supérieurs, a écarté les informations qui contredisaient sa thèse, est entrée en contact avec un dirigeant principal de la campagne de John Kerry et a tenté d'influencer l'élection au profit de ce dernier.

Il est assez rare de prendre un journaliste en flagrant délit de manipulation politique, même si les rédactions comptent de nombreuses personnes qui, comme Mary Mapes, se sont engagées dans ce métier pour changer le monde. Avec le développement des weblogs, la probabilité de telles révélations a cependant massivement augmenté, et on lira avec intérêt les 2 sites qui ont le plus contribué à démasquer CBS, à savoir Power Line et Little Green Footballs. On notera que Power Line a été nommé blog de l'année par le magazine Time, avant tout pour son rôle dans cette affaire.

Les médias européens feraient bien de s'inspirer des déboires de CBS pour reconsidérer leurs processus de travail, leurs méthodes de vérification, leurs sources d'information et l'honnêteté des journalistes qui militent en interne pour une cause ou l'autre. Le Rathergate démontre que tout cela ne va pas de soi.

COMPLEMENT I : Pour en savoir plus, on peut consulter la compilation de liens réalisée sur PundiGuy.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h43

10 janvier 2005

Palestine : succès démocratique ?

La grande majorité des médias ont aujourd'hui célébré sans mélange les élections palestiniennes, qui ont vu la victoire du supposé modéré Mahmoud Abbas, mais aussi tissé des éloges nombreux à l'endroit des Palestiniens :

"Les Palestiniens ont démontré hier une très grande maturité démocratique. [...] En se rangeant massivement sous la bannière de Mahmoud Abbas (Abou Mazen), la population n'a pas seulement élu un homme, elle a surtout dit, et avec quel enthousiasme, sa confiance dans la capacité de la démocratie à exprimer leur souffrance et leurs espoirs. Pour un peuple soumis depuis quatre ans à une occupation impitoyable, la leçon est exemplaire", écrit Pierre Meyer dans la Tribune de Genève.
"Les Palestiniens se sont rendus en masse dans les bureaux de vote dimanche pour élire le successeur de Yasser Arafat. [...] Dimanche matin, les électeurs n'étaient pas nombreux à se presser devant les urnes. Parce que l'Autorité palestinienne (AP) avait décrété un jour de congé dont beaucoup voulaient profiter? Peut-être. En tout cas, le taux de fréquentation des urnes qui était évalué à 15% est passé à 30% trois heures plus tard avant d'entamer une ascension exponentielle dans le courant de la soirée", explique Serge Dumont dans Le Temps.
Les Palestiniens se sont mobilisés massivement pour élire le successeur du chef historique des Palestiniens, Yasser Arafat. Dans toutes les villes des territoires palestiniens occupés, les citoyens ont fait la queue en famille devant les bureaux de vote. Les Palestiniens n'ont pas laissé passer cette occasion de choisir démocratiquement leur futur dirigeant et de s'offrir un nouveau départ après la mort du symbole de la cause palestinienne. [...] Environ 1,8 million de Palestiniens avaient le droit de participer à ce scrutin. La Commission électorale centrale (CEC) estimait hier soir la participation à 70%", raconte Patrick Saint-Paul dans Le Figaro.

Mais est-ce que ces appréciations visant à démontrer un succès démocratique incontestable correspondent à la réalité ? On peut, on doit en douter si l'on tient à l'honnêteté intellectuelle. Dès dimanche matin, et comme d'ailleurs le signale Serge Dumont, une faible affluence a été relevée aux urnes. Devinant que la légitimité de l'élection était menacée, le Fatah a alors exercé une pression intense sur la commission électorale pour prolonger de 2 heures l'ouverture des bureaux de vote, mais aussi permettre à n'importe quel Palestinien de voter n'importe où, ce qui constitue un changement non négligeable des règles en pleine journée de votation. Peut-on y voir la cause de l'augmentation "exponentielle" des bulletins ?

Qu'en est-il donc de cette participation, essentielle dans un tel scrutin ? Les envoyés spéciaux du Monde constatent "une affluence honnête" dans la bande de Gaza. Leur homologue du Figaro visite 2 bureaux : "sur 1 500 inscrits, nous n'avons eu que très peu de gens", entend-il au premier ; "sur 1 266 inscrits, nous n'avons pas eu plus de 200 personnes", écoute-t-il au deuxième - ce qui ne l'empêche pas de titrer "Gaza n'a pas boudé les urnes" ! En est-il de même en Cisjordanie ? Les accusations de fraude du Fatah et de manipulation des listes ne sont guère rassurantes.

Une participation de presque 70% comme annoncée serait certainement un succès démocratique. Mais si ces 70% s'appliquent aux 1,1 millions d'électeurs enregistrés initialement, et non aux 1,8 millions qui ont finalement été autorisés à voter, alors ce pourcentage tomberait à environ 42%, et la légitimité de ces élections serait pour le moins douteuse. Et le vote présumé massif des Palestiniens, que les correspondants sur place n'ont guère vu, ne serait qu'une chimère de plus suscitée par l'adhésion si répandue à la cause palestinienne au sein des rédactions.

On notera au passage que de nombreux correspondants francophones ont jugé que les forces de sécurité israéliennes entravaient fortement la capacité des Palestiniens à aller aux urnes, alors que les observateurs internationaux ont conclu au contraire, comme l'a relevé Michel Rocard :

"On ne peut pas dire que la présence de trois policiers se livrant à des contrôles soit une entrave à la libre circulation."

Affaire à suivre...

COMPLEMENT I : On peut lire ce matin dans 24 Heures un portrait de Mahmoud Abbas qui à l'honnêteté de rappeler que celui est un révisionniste, mais qui confirme surtout le problème de l'élection :

Le taux de participation parmi les quelque 1,1 million de personnes inscrites sur les listes électorales s'est élevé à 70%.

Et comme 1,8 millions pouvaient voter, ce taux tombe donc à 42%. Quand donc le nombre de suffrages sera-t-il annoncé ?

Posted by Ludovic Monnerat at 23h35 | Comments (1)

9 janvier 2005

USA : déserteurs et menteurs

Depuis un mois, on peut régulièrement lire des articles qui se penchent sur le moral des Forces armées américaines et qui jugent ce dernier critique, notamment en affirmant que 5500 soldats américains ont déserté les rangs depuis le début de l'opération en Irak. Sorti de tout contexte, ce chiffre impressionne et paraît accroire l'idée d'un moral en berne, tout en rappelant que 55'000 jeunes américains avaient déserté durant la guerre du Vietnam.

Etant donné que la chaîne CBS a rendu public ce chiffre dans son émission 60 Minutes, la même qui a présenté les fameux mémos truqués à la base du Rathergate, je n'ai guère prêté attention à ce chiffre. J'ai même cru qu'il ne s'agissait que d'une compilation entre les soldats désertant effectivement pour refuser le service en Irak et les réservistes demandant un délai à leur mise sur pied, et donc d'un amalgame digne d'une émission racoleuse et peu scrupuleuse.

Un article du Telegraph paru aujourd'hui m'a cependant incité à revoir la chose, car il reprend sans sourciller les "informations" de CBS et leur interprétation :

American Army soldiers are deserting and fleeing to Canada rather than fight in Iraq, rekindling memories of the thousands of draft-dodgers who flooded north to avoid service in Vietnam.
An estimated 5,500 men and women have deserted since the invasion of Iraq, reflecting Washington's growing problems with troop morale.

Qu'en est-il exactement ? Quelques minutes de recherche avec Google ont suffi à tirer la chose au clair, et le résultat est absolument sidérant. En fait, le chiffre de 5500 est relativement exact, mais sa signification est complètement biaisée : non seulement le nombre de déserteurs au sein de l'Army ne cesse de diminuer depuis 2001, avec une chute notable en 2004, mais en plus la plupart des cas impliquent des actes criminels et n'ont aucun rapport avec l'objection de conscience. Autrement dit, l'émission de CBS le 8 décembre dernier a totalement transformé la réalité, pour des motifs que je laisserai à chacun le choix d'imaginer...

Il est néanmoins surprenant que des journalistes continuent à reprendre une interprétation mensongère sans la vérifier. Surtout lorsque Internet permet justement de le faire en moins de temps qu'il n'en faut pour avaler un café !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h58 | Comments (2)

8 janvier 2005

ONU : silence complice - suite

L'agence de surveillance interne de l'ONU a rendu public hier un rapport décrivant les exactions du personnel civil et militaire des Nations Unies au Congo. Le communiqué plutôt sobre qui accompagne cette publication sera-t-il accepté sans autre par les médias, qui préfèreront négliger ce scandale pour ne pas saper la perception de l'ONU dans l'opinion publique, ou est-ce qu'au contraire elle sera le point de départ d'approfondissements et de commentaires critiques ? Nous verrons bien. Je reste sans illusion.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h42 | Comments (9)

7 janvier 2005

ONU : mensonges et réalité

Le sommet de Djakarta destiné à fédérer l'aide humanitaire en Asie du Sud s'est tenu hier, et la presse francophone s'en fait l'écho ce matin en célébrant l'autorité supposée de l'ONU dans la conduite de l'opération en des termes pour le moins grandiloquents :

L'ONU, maître du terrain - titre La Libre Belgique ;

En Asie du Sud, les Nations unies aux commandes - affirme Libération ;

L'ONU prend la tête de l'opération de secours - précise Le Monde ;

Les secours sous la bannière de l'ONU - souligne Le Figaro ;

L'ONU reprend l'initiative à Jakarta - ajoute 24 Heures.

Ces exemples parmi d'autres permettent au moins de conclure que les prétentions de Jan Egeland, coordination de l'aide d'urgence à l'ONU, étaient effectivement infondées. Mais il faut surtout remarquer que les médias se contentent de relayer le message dicté par Kofi Annan, sans y apporter la moindre note critique, même dans leurs pages de commentaires. L'ONU est de facto intouchable, et ses propos le sont également.

Pourtant, les affirmations de l'ONU sont contredites par la réalité. En premier lieu, les Etats-Unis ne font pas "marche arrière" et n'ont pas cédé la direction de leurs opérations, comme tente curieusement de nous le faire croire la TSR. En fait, la position américaine est assez claire, dans les termes de Colin Powell :

Powell agreed the U.N. would have "a lead role" on aid efforts but said others may take the lead elsewhere, suggesting that a U.S. military task force recently set up in Thailand may coordinate work among the many military forces in the area. Powell [...] hinted at some impatience to see the U.N. take charge, saying: "We talked about the need for the U.N. agencies -- if they are going to play that coordinating role -- to get on the ground and start playing it."

Les Etats-Unis sont donc parfaitement d'accord pour voir l'ONU coordonner l'action humanitaire civile, internationale et non gouvernementale, et attendent qu'elle commence à s'impliquer sur le terrain dans ce but. Mais il est exclu que l'ONU dirige les contingents militaires, puisqu'elle n'en a ni le droit, ni les compétences. Et comme les armées jouent un rôle décisif dans l'aide d'urgence, aujourd'hui et pour plusieurs jours encore, l'ONU devra soit désigner une ou plusieurs nations pour commander les contingents déployés, soit renoncer à prétendre diriger leurs actions.

Il faut remarquer que le travail de coordination de l'ONU a démarré sur le terrain avec une partie au moins des détachements civils, comme le montre ce reportage de La Tribune de Genève ; cependant, les militaires se chargent eux-mêmes de la coordination à leur échelon, et ils restent seuls à intervenir dans plusieurs régions parmi les plus dévastées :

Marine Col. Dave Kelley, chief of U.S. Support Group-Indonesia, based at the airport, said he is trying to boost the facility's capacity for handling so much aid and was searching for other landing fields.
[...]
King [operations officer for the International Organization for Migration] showered praise on the U.S. military effort. Although the Indonesian military is providing some aid, "Without these guys, there would be nothing going down that coast."

Que peut-on conclure de tout cela ? Une lutte de pouvoir se joue depuis plus d'une semaine entre les Nations Unies, soutenues par de nombreux pays européens et défendues sans relâche par les médias, et plusieurs nations contestant au mieux son efficacité, au pire son autorité, et rassemblées autour des Etats-Unis. Mais les affirmations mensongères de l'ONU ne parlent pas en sa faveur, et elles n'honorent pas ceux qui les propagent à tout va sans la moindre vérification de leur exactitude.

COMPLEMENT I : Ce reportage du Telegraph confirme l'analyse faite ci-dessus, en montrant l'absence de l'ONU dans les secteurs employés par les contingents militaires. Je doute que les médias ayant répété fidèlement le message onusien feront demain une correction...

COMPLEMENT II : Une conférence de presse tenue hier par le Commandement Pacifique américain en présence d'un délégué de l'ONU précise la situation. Une question d'un journaliste japonais a permis au commandant de la Command Support Force 536 de décrire la coopération militaire :

Q Hi, General. This is Yui with NHK, Japan Broadcasting Corporation. You said that you are coordinating with other countries' military forces. Could you tell us as to how you are coordinating with other countries, for instance such as Japanese troops?
GEN. BLACKMAN: Yes. And let me say that we have had an assessment team from Japan in here for the last few days. In fact, I believe it was yesterday they were up in northern Sumatra. That team is back now. And I believe it's either tonight or tomorrow we will see the initial contribution from Japan of a C-130. That C-130 right now is planned to make a daily logistics run with relief supplies from here at Utapao to Medan in northern Sumatra, on to Banda Aceh, back to Medan, perhaps with any medevac casualties that are being brought out of Banda Aceh to the better-equipped hospitals in Medan, and then back here and do it again the next day. So we, in particular, are very thankful for the contribution from the Japanese Self Defense Force.

Le représentant de l'ONU, Gerhard Putnam-Cramer, chef des services d'urgence au bureau onusien des affaires humanitaires, décrit ensuite le fonctionnement de l'ensemble :

We have placed here with the general's headquarters in Utapao civil military coordination officers who are assisting in the effective tasking of the assets in question.
The U.S. military and others are assisting us, basically, to assist the effective countries who have the ultimate responsibility in terms of response to the catastrophe at hand.

On voit bien ici la problématique : une double chaîne de transmission, militaire (USA - armées locales) et civile (ONU - agences locales), qu'il s'agit de faire fonctionner. Que l'ONU ait fini par dépêcher des officiers de liaison auprès du commandement américain montre bien que les deux organisations travaillent en parallèle, et que l'une n'est pas subordonnée à l'autre.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h50

6 janvier 2005

Les journalistes-combattants

Le site HonestReporting.com vient d'épingler le quotidien britannique de gauche The Guardian pour un mensonge caractérisé dans un incident survenu hier dans le conflit israélo-palestinien. Un article a en effet affirmé qu'un char israélien a tiré sur des enfants en train de cueillir des fraises, alors qu'en réalité ce sont des combattants palestiniens tirant au mortier qui ont été pris pour cibles. Pour HonestReporting, ce sont ces manipulations quotidiennes qui expliquent pourquoi le public britannique a une opinion aussi mauvaise d'Israël.

En fait, le Guardian n'a rien fait d'autre que propager la version palestinienne des faits sans la relativiser avec la version israélienne, et donc sans la vérifier - dans la mesure du possible. Ce comportement est d'autant moins admissible que les Palestiniens ont derrière eux une longue histoire d'allégations outrancières et de mensonges caractérisés, comme l'a démontré le cas du faux massacre de Jénine, qui d'ailleurs rebondit avec la plainte de soldats israéliens contre un réalisateur palestinien propagateur de telles manipulations.

Nous vivons désormais à une époque où la couverture de l'actualité est influencée par des opinions politiques et des objectifs militants, sans que ceux-ci ne soient ouvertement proclamés ; on remarque d'ailleurs que quand Ignacio Ramonet tente de décrire ce mal sournois dans Le Monde Diplomatique, il omet soigneusement d'examiner le comportement de la presse française quant à l'Irak ou à l'Afghanistan, alors même que ses manipulations ont été démontrées - notamment par Alain Hertoghe. Les médias sont devenus des protagonistes dans la lutte pour les perceptions, et les journalistes des combattants de la persuasion.

Ce statut explique en partie pourquoi les reporters sont de plus en plus victimes des conflits. La disparition apparente de l'envoyée spéciale de Libération en Irak, Florence Aubenas, rappelle que la sécurité physique des journalistes est une manière courante d'orienter la couverture médiatique. En même temps, les écrits de Mme Aubenas montrent bien qu'elle aussi tente d'influencer le public dans le sens de ses opinions : en écrivant hier que "plusieurs groupes armés de la minorité sunnite ­[...]­ menacent tous ceux qui participeront au vote tant que les Américains occuperont le pays", elle déforme complètement le message des terroristes qui refusent toute élection démocratique, indépendamment de la présence américaine.

Ces dérives déontologiques se font en définitive au détriment des médias eux-mêmes. En perdant la neutralité et l'objectivité de leur démarche, les journalistes se divisent automatiquement en opposants et en soutiens d'une idée, d'un parti, d'un gouvernement ou d'une armée, et sapent la crédibilité de leurs contributions. Ce qui, avec la perte du monopole de l'information, les place sur une pente dangereusement glissante, ne serait-ce que sur le plan économique.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h49 | Comments (1)

L'histoire réécrite en direct

Les grands journaux francophones ont fini par s'intéresser à la démonstration militaire américaine en Asie du Sud que je décrivais voici 2 jours, avec son impact sur la perception de l'action armée ; on peut supposer que Le Temps (accès gratuit, en bas de page) ou Le Figaro ont dû faire un effort sur eux-mêmes avant d'écrire des lignes positives, bien que l'on note l'influence du New York Times dans leurs propos (suivre en tous points la Grande Dame Grise semble le privilège des correspondants de presse francophones aux Etats-Unis...).

Pourtant, ces louanges sont dressés pour mieux blâmer les opérations militaires en Irak, et notamment pour établir une distinction absolue entre militaire et humanitaire (suivant en cela les décrets idéologiques des ONG françaises, qui sont vivement attachées au monopole de la générosité). Et cette condamnation explicite s'appuie sur une réécriture spontanée et mensongère de l'histoire, comme le démontre Charles Lambroschini dans le même Figaro :

« Au Vietnam, les Américains échouèrent à séduire «les coeurs et les esprits» car les bombardements au napalm annulaient les soins prodigués à la population civile par leurs médecins militaires. De même lorsqu'en Irak leurs unités du génie prétendent reconstruire les immeubles détruits pendant la bataille de Faludja. Cette confusion des genres n'est d'ailleurs pas propre aux Américains. Au temps de leurs expéditions coloniales, les Français ne furent guère plus sages. Qu'il s'agisse des soldats laboureurs de Bugeaud en Algérie ou des officiers pratiquant au Maroc la vocation sociale chère à Lyautey, un obstacle essentiel demeurait. Il est impossible d'être simultanément occupant et libérateur. »

Il n'est pas utile d'entrer en matière sur le Vietnam ou l'Irak, tant ces propos sont à des années-lumières de la réalité et illustrent le peu de connaissances de cet éditorialiste pour les conflits contemporains. En revanche, on ne peut que condamner cette manipulation consistant à faire croire que l'histoire coloniale française se résume à une occupation ou à une absence de libération : si la France est restée plus d'un siècle en Afrique du Nord, c'est bien parce que ses officiers coloniaux n'étaient pas des occupants, mais des civilisateurs qui cumulaient les métiers pour transformer ces régions et leur apporter les bienfaits de la modernité.

C'est un signe révélateur de notre époque que de voir un quotidien français censé être conservateur réécrire en quelques mots des décennies d'histoire, et nier catégoriquement tout ce que la France a apporté au monde. La condamnation irréfléchie du projet américain a pour conséquence automatique un déni du passé européen, au lieu d'en montrer les aspects négatifs et positifs. Et ce réflexe masochiste, lourdement influencé par le politiquement correct, amène à se demander si ce continent a vraiment un avenir propre.

COMPLEMENT : Après réflexion, on peut se demander si ce n'est pas l'inverse, à savoir que le déni du passé européen et sa criminalisation expliquent cette condamnation irréfléchie. Je laisse ouvert ce point pour l'instant...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h16

5 janvier 2005

Coordination ou ventilation ?

Un article hagiographique publié dans Le Monde contribue partiellement à éclaircir le rôle de l'ONU dans l'aide humanitaire en Asie du Sud. Le texte est consacré aux efforts de Jan Egeland, présenté comme le grand coordinateur de toute l'aide déployée actuellement, et ce même si ses bureaux onusiens à New York étaient désertés le 3 janvier pour cause de jour férié...

Malgré le ton éminemment laudateur et l'absence totale de sens critique quant aux déclarations de M. Egeland, cet article fournit matière à réflexion. Ses véritables activités laissent en effet pantois :

Depuis qu'il a été prévenu du séisme du dimanche 26 décembre, Egeland n'a pratiquement plus quitté son bureau. Tous les jours, il reçoit des centaines d'offres d'assistance, plus ou moins réalistes. Un pilote d'hélicoptère s'est mis à sa disposition avec un appareil. C'est formidable, dit-il. "Mais ce sont des porte-hélicoptères que nous cherchons pour l'instant. Nous devons penser en grand." D'après lui, même en travaillant 23 heures sur 24, les personnels qui organisent la logistique (à Genève), les apports militaires (à Bangkok) et les opérations (à Djakarta) ne parviendraient pas à répondre à toutes les propositions et à les coordonner.

Quelle pauvre organisation pourrait-elle fonctionner dans ces conditions ? Apparemment, la planification n'existe pas au sein de l'ONU : on sépare artificiellement les opérations de la logistique ou les moyens civils et militaires, et on attend scotché à son bureau les propositions, au lieu d'établir un plan horaire, de séparer les problèmes partiels et de créer un concept opérationnel pour les régler. En fait de coordinateur, M. Egeland n'est qu'une sorte de centrale d'appels susceptible de mettre en contact les demandeurs et les fournisseurs de prestations. Et croire que penser à un porte-hélicoptère est un exploit intellectuel montre bien le degré zéro des compétences onusiennes en matière opérationnelle.

Pourtant, cet homme sans doute bien intentionné n'a aucun doute sur l'importance de sa tâche :

Tous les soirs, à 22 heures, Jan Egeland participe au briefing des quatre pays du "groupe central" ("core group"), constitué par l'Inde, le Japon, et l'Australie, et dirigé par les Etats-Unis. [!] Dans ce contexte, Jan Egeland n'exprime que des éloges pour la contribution de Washington, qui a répondu avec "efficacité" aux 12 points de sa liste de vœux (avions, contrôleurs aériens). Et il n'a rien contre les groupes. Il y a celui de l'Union européenne, coordonné par la France etc. "Tout le monde est d'accord sur un point : c'est l'ONU qui dirige les efforts", a-t-il souligné, lundi, pendant sa conférence de presse.

Une belle bravade que seule l'indulgence de la journaliste du Monde permet de faire passer. Qu'est-ce que M. Egeland peut bien diriger, lui qui n'a aucun état-major autour de lui pour concevoir et conduire une opération ? En fait, la coordination des actions militaires entre les nations se fait de manière traditionnelle, par l'échange d'officiers de liaison et par interaction directe dans le secteur d'engagement. Est-ce que l'ONU dirige les opérations américaines, conduites depuis la base d'Utapao en Thaïlande, ou les opérations australiennes conduites depuis le pays ? Non seulement elle ne le fait pas, mais elle n'a pas le droit de le faire : seule une résolution du Conseil sécurité peut décider de la création d'une force multinationale avec une chaîne de commandement onusienne.

Finalement, cet article souligne crûment le parti pris pro-ONU dont témoignent spontanément une grande part des médias. Les explications de M. Egeland appelleraient des dizaines de questions critiques sur la manière avec laquelle ONU tente de s'impliquer dans cette crise, mais pas une seule d'entre elles ne lui est posée. Le message est on ne peut plus clair : l'ONU s'occupe de tout, elle compte des gens formidables, donnez votre argent - et vos porte-hélicoptères - et tout ira pour le mieux.

En fait de coordination, les Nations Unies semblent plus habiles à se charger de la ventilation. Avec 2 conférences de presse par jour, M. Egeland parle infiniment plus qu'il n'agit.

COMPLEMENT I : Cet article du Temps (accès gratuit) rédigé par un envoyé spécial à Banda Aceh montre bien le manque d'organisation de l'ONU sur place. Pourtant, au fur et à mesure que les opérations passent du sauvetage et à la réhabilation, c'est bien l'ONU qui devra assumer la conduite de l'affaire, et plus le noyau de nations mené par les Etats-Unis. Preuve supplémentaire que les propos de M. Egeland n'étaient que du vent, et que la vraie action de l'ONU commencera prochainement.

COMPLEMENT II : Un éditorial du Telegraph résume aujourd'hui à merveille le contexte de l'affaire, et le caractère défi de la réponse de l'ONU pour sa propre survie.

COMPLEMENT III : Ce remarquable reportage du New York Times décrit la planification et la conduite de l'opération américaine à partir d'Utapao en Thailande. Il confirme encore une fois que l'ONU n'est pas impliquée dans l'aide humanitaire fournie par les armées :

In Sri Lanka, Brigadier General Frank Panter of the Marine Corps, the ranking American military commander, meets daily at 10 a.m. with aid representatives of Britain, Canada and India. He is inviting Russia and Bangladesh to join.

"It is a coordinating meeting," Blackman said. "There is no formal command structure." The purpose, he said, "is to ensure that the resources of the U.K., Russia, India - those big world powers - are being applied most effectively and most efficiently."

With the United Nations expected to emerge as a major source of aid, potentially rivaling the $350 million promised by the United States, Blackman plans to offer the United Nations a desk in his planning room.

Est-il imaginable qu'un média européen fasse une enquête critique sur le rôle de l'ONU et sa prétention à prétendre "diriger" une opération lorsque de toute évidence elle est absente ?

Posted by Ludovic Monnerat at 12h48 | Comments (3)

4 janvier 2005

Démonstration militaire en Asie

Les ravages apocalyptiques du tsunami asiatique qui se révèlent chaque jour davantage forment une scène médiatique que les militaires américains - et australiens - exploitent avec brio. Alors que les survivants du cataclysme sont éparpillés et à la merci des éléments, sur l'île de Sumatra, ce sont les hélicoptères de la marine américaine qui sauvent des vies et qui le montrent au monde entier. De nombreux reporters des grandes chaînes de TV occidentales et des journaux - y compris des vedettes, certes parfois en bout de course - accompagnent les troupes et illustrent une conjonction d'intérêts qui sert l'image des armées.

Alors que l'ONU continue de détacher des fonctionnaires occupés en premier lieu à mettre en place leurs propres structures de fonctionnement, une coalition de nations conduite par les Etats-Unis et comptant également l'Australie, le Japon, l'Inde, le Canada ou encore les Pays-Bas se charge du travail de sauvetage et, avec le labeur inestimable des ONG déjà présentes sur place, des tâches d'aide sanitaire. Le contraste ne saurait être plus saisissant entre ceux qui discourent et ceux qui agissent. Les ambitions supranationales de l'ONU en pâtissent.

Cette perception n'a bien entendu rien d'innocent, et il est certain que l'administration Bush a rapidement vu tout le bénéfice qu'elle pouvait tirer d'une opération militaire majeure en Asie. Un temps critiqués pour la modestie de leur aide financière, les Etats-Unis démontrent que ce sont les moyens disponibles sur place et non les promesses de dons qui comptent pour l'instant. Et que ces moyens aujourd'hui applaudis sont les mêmes que ceux engagés en Irak ou en Afghanistan.

Ce message fort, cette démonstration militaire sous les yeux de la planète suscitent un certain agacement, et plusieurs médias tentent déjà de leur donner une coloration négative. De plus, ils aboutissent à relativiser la contribution d'autres nations, comme la Chine, qui mesure encore le chemin à parcourir avant d'atteindre un vrai statut de puissance. Mais il faut également inscrire l'impact de cette opération dans la cadre de la guerre contre le terrorisme, afin de prendre conscience à quel point les islamistes illustrent chaque jour davantage leur incapacité à sauver, à aider et à protéger.

En rappelant que le séisme s'est produit le 26 décembre et que les porte-avions US ont levé l'ancre le 28 pour effectuer cette opération, on conviendra que le commandement stratégique américain n'a pas tardé à saisir cette opportunité. Reste à savoir s'il parviendra à maintenir le contrôle de son message.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h36 | Comments (2)

Haro sur les munitions !

On peut lire ce matin dans 24 Heures une attaque en règle d'un principe-clef de l'armée de milice : la possession d'armes militaires avec un emballage de munitions par chaque citoyen devant accomplir ses obligations de service. Edmond Aubert, présenté comme professeur retraité, accuse ainsi le Gouvernement de fournir un soutien officiel au suicide en distribuant des munitions à ses soldats, et recommande donc de retirer celles-ci.

L'argumentation de M. Aubert consiste d'abord à mentionner un fait divers, un meurtre commis avec une arme d'ordonnance, pour affirmer que la disponibilité d'un paquet de munitions - dans une boîte en aluminium fermée, précisons-le - a joué un rôle déterminant dans cet acte. Il distingue ainsi la possession de l'arme, qu'il estime judicieuse, et celle des munitions qui l'accompagnent :

« Si le fils n'avait pas disposé du paquet de munitions distribué depuis quelques décennies à chaque militaire, aurait-il envisagé son suicide avec tant de détermination? Ce qui est presque certain, c'est qu'il n'aurait évidemment pas eu les moyens d'abattre [! son] père. »

Mais les évidences de M. Aubert n'en sont pas : il suffit aujourd'hui à n'importe quel soldat de se rendre dans une armurerie avec son livret de service et une pièce d'identité pour acheter, en toute légalité, une boîte de cartouches adaptées au fusil d'assaut 90. La munition dite de poche que l'on distribue aux militaires avant la fin d'une période de service, en leur interdisant de l'utiliser en-dehors d'une menace grave, n'est donc pas un élément déterminant. Et les balles utilisées pour le tir sportif au fusil d'assaut sont les mêmes pour le combat.

De ce fait, M. Aubert peut bien s'étonner du petit nombre d'incidents liés aux armes d'ordonnance :

« C'est un vrai miracle que, parmi les centaines de milliers de militaires disposant ou ayant disposé de munitions de guerre ces dernières décennies, on n'ait eu à déplorer que quelques meurtres ou tentatives de meurtre. »

Je dirais plutôt que la maturité des citoyens suisses, et le désintérêt pour les armes qui caractérise une partie d'entre eux, expliquent ce prétendu miracle. Les hommes de ce pays ne vivent pas avec le fusil d'assaut sous le lit, magasin munitionné et canon dégraissé : les armes d'ordonnance séjournent au contraire le plus souvent dans les caves et les galetas, comme le reste de l'équipement militaire, dont la munition de poche fait nécessairement partie. Et lorsqu'ils se déplacent en ville pour une période de service, l'arme à l'épaule ou à la main, ils ne suscitent aucune inquiétude particulière.

De toute manière, malgré ses affirmations alarmistes, M. Aubert en vient à se contredire sur l'ampleur du problème supposé et doit reconnaître l'absence de faits solides pour fonder son propos :

« ! il est avéré que des centaines de gens s'ôtent la vie avec une arme d'ordonnance chaque année. [!] Malheureusement, les statistiques restent muettes sur le nombre de suicides effectués avec une arme d'ordonnance. Mais tous, nous avons entendu parler de cas où ce genre d'arme (grâce aux munitions qui l'accompagnent) a permis le geste fatal. »

Ces lignes s'éloignent encore davantage de la réalité. Est-ce que M. Aubert s'est déjà représenté la difficulté d'un suicide avec un fusil d'assaut ? Les pistolets sont certes plus pratiques, mais seuls les officiers, les sous-officiers supérieurs et certaines troupes spécialisées - notamment sanitaires - en sont équipés. Se donner la mort avec le gros orteil sur la détente en veillant à garder le canon du fusil dans la bouche n'est pas exactement une solution facile et séduisante pour en finir avec la vie.

Les arguments infondés ou erronés de M. Aubert ne l'empêchent toutefois pas de poser une question importante : est-il justifié aujourd'hui sur le plan militaire de confier aux soldats arme et munitions, l'une n'allant pas sans les autres, en l'absence d'un dispositif de mobilisation générale pouvant être déclenché en 24 heures ? L'évolution des menaces asymétriques, avec leur caractère ponctuel et imprévisible, fournit une partie de la réponse. Mais l'absence d'un concept clairement défini montre bien que cet aspect n'a pas été traité dans la dernière réforme de l'armée. Le rôle du citoyen-soldat avant son entrée en service doit être repensé.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h08

Alerte média : Le Temps

La question que je soulevais voici une semaine, à savoir la relation entre l'aide humanitaire en Asie du Sud et l'achat de 2 avions de transports en Suisse, m'a amené à rédiger un texte publié aujourd'hui dans Le Temps. L'accès est certes payant, mais que cela ne vous décourage pas !

L'un des aspects que je n'ai pas traités faute de place (5500 signes obligent à fixer des priorités...) est celui des primes d'assurance. Lorsque des nations affrètent des avions de ligne pour évacuer leurs ressortissants menacés dans une zone de crise, par exemple, les frais pour les assurances sont le plus souvent à la charge des Etats ; même des compagnies nationales comme l'était Swissair exigent le paiement de ces primes, qui s'élèvent à plusieurs millions de francs par vol. C'est également l'une des raisons qui pousse les Etats européens à augmenter leur capacité de transport militaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 0h11 | Comments (4)

3 janvier 2005

Irak : pessimisme et optimisme

On lira avec intérêt la critique faite par François Brutsch aux auteurs d'une tribune pessimiste et déroutante publiée par Le Monde au sujet des élections en Irak. Visiblement, la formation d'une assemblée constituante est un événement funeste aux yeux de nombreux intellectuels en Occident. On se demande vraiment comment expliquer un tel abandon des valeurs qui fondent la vie démocratique, un aveuglement qui aboutit à préférer le calvaire immuable de la tyrannie à l'instauration chaotique de la démocratie. Personnellement, je l'appelle tout simplement "la faute". Mais c'est la faute d'une génération, d'une caste influente, d'un cercle dirigeant, qui entraînera des conséquences.

Dans l'intervalle, les Irakiens continuent de prendre en mains leur existence et de démentir les jugements pessimistes des caciques, comme le rappellent les bonnes nouvelles de l'Irak également mentionnées sur Swissroll. De quoi voir au-delà de l'énumération sans fin des attaques et des malheures que les médias confondent avec l'actualité irakienne. De quoi rappeler également que les Irakiens sont optimistes quant à leur avenir et jugent que leur pays est sur la bonne voie. On ne peut pas en dire autant de l'Europe occidentale !

COMPLEMENT : Ce sondage de 4974 personnes cité par PowerLine montre que plus de 3 Irakiens sur 4 habitant dans la région de Bagdad comptent voter lors des élections, et soutiennent à 87,7% les actions armées contre les terroristes. Et si la presse occidentale s'intéressait à ce que publie la presse irakienne ?

COMPLEMENT II : Une preuve supplémentaire que la démocratie s'installe au Moyen-Orient : le Premier ministre irakien participe à des émissions télévisées en direct durant lesquelles il répond à des questions posées par ses concitoyens au téléphone. En pleine campagne électorale, voilà qui ne peut certes gêner ses affaires, mais n'est-ce pas là un signe intéressant ?

COMPLEMENT III : Il n'est pas inintéressant non plus de se pencher sur le vrai bilan de l'opération Iraqi Freedom en termes de vies perdues et sauvées.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h26 | Comments (3)

2 janvier 2005

Au coeur des médias arabes

Un long mais passionnant reportage du New York Times décrit le fonctionnement de la chaîne Al Arabiya basée à Dubai, et lancée voici presque 2 ans pour offrir une alternative plus objective et fiable qu'Al Jazeera. Le texte brosse le portrait de plusieurs membres de la chaîne et détaille les difficultés qu'elle rencontre à trouver un ton neutre et objectif pour décrire l'actualité tumultueuse du Moyen-Orient.

Al Arabiya fait naturellement partie des médias ciblés en Irak par des actes de violences, et l'une de ses journalistes vedettes a même dû précipitamment quitter l'Irak après avoir été menacée de mort par la guérilla. L'article montre également l'évolution de la chaîne et ses efforts pour recentrer son message, notamment en cessant l'an passé de désigner comme "occupantes" les forces de la coalition en Irak - un terme périmé par les résolutions de l'ONU, mais que de nombreux médias occidentaux continuent pourtant d'employer.

La lutte pour l'exactitude de l'information livrée au public fait ainsi partie intégrante des priorités de la chaîne et de ses employés. Il est frappant de constater à quel point de telles réflexions, qui bouillonnent d'émotions dans la bouche d'un journaliste palestinien, sont absentes dans notre pays parce que considérées comme acquises, institutionnalisées, irréprochables. Et donc fossilisées.

COMPLEMENT : D'après le quotidien saoudien basé à Londres Asharq al-Awsat, cité par AP, une cassette vidéo montrerait les liens étroits qui existaient entre la chaîne Al Jazeera et le régime de Saddam Hussein, ainsi que l'influence afférente sur la couverture de l'Irak.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h53

ONU : le silence complice

Voici plus de 2 semaines que le Times de Londres a publié un article dévastateur pour la réputation et la crédibilité des Nations Unies, en résumant les actes illicites et scandaleux commis par le casques bleus et les fonctionnaires onusiens au Congo. Les enquêtes en cours avaient alors révélé au moins 150 cas de méconduite flagrante : viols, pédophilie, pornographie, etc. Des cassettes pornographiques impliquant des mineurs ont ainsi été tournées par des employés internationaux ou des soldats engagés dans la mission.

Pourtant, cet article éloquent - et fondé par plusieurs sources distinctes, dont des rapports internes de l'ONU - a été étonnamment ignoré par le reste des médias occidentaux. Alors que ceux-ci avaient orchestré une véritable campagne lors de la révélation des maltraitements commis dans la prison irakienne d'Abu Ghraib, les actes à la fois plus nombreux et plus graves commis par l'ONU au Congo sont recouverts d'un manteau de silence. L'organisation elle-même refuse d'en dire davantage, et notamment de dénoncer les contingents coupables des pires exactions.

Une recherche sur les informations de Google montre ainsi que la couverture médiatique s'est limitée à donner la parole aux représentants de l'ONU sur les accusations de viols rendues publiques dès la mi-décembre. Aucune enquête subséquente, aucune remise en cause des déclarations des dirigeants onusiens n'ont eu lieu, sauf dans quelques médias américains conservateurs qui combattent ouvertement l'ONU (on peut citer un éditorial du WSJ - accès payant - le 29 décembre). En d'autres termes, les explications onusiennes et les promesses de réforme ont été acceptées comme parole d'évangile par les rédactions.

Ces jours-ci, le scandale de l'ONU a été largement mis entre parenthèses en raison de la catastrophe survenue en Asie du Sud, même si l'organisation montre comme souvent son aptitude restreinte à conduire des opérations complexes, ainsi qu'en témoignent les engorgements logistiques signalés aujourd'hui. Mais le silence complice des médias à l'endroit de l'ONU sera tôt ou tard rompu, en particulier lorsque les cassettes tournées par les violeurs et les pédophiles au Congo seront rendues publiques. Les convictions doivent tôt ou tard s'incliner devant la réalité.

Naturellement, cet épisode contribue encore à réduire la crédibilité des rédactions quant à leur capacité et leur volonté à relater de manière objective la totalité des faits.

COMPLEMENT : Pour obtenir une vision critique de la manière avec laquelle l'ONU tente de gérer la catastrophe humanitaire en Asie du Sud, les derniers billets de Belmont Club sont une référence.

COMPLEMENT II : L'ONU semble avoir pris l'habitude de revendiquer comme siennes les activités des contingents militaires américains et australiens à Sumatra, alors même qu'elle n'a rien à voir avec celles-ci. Ce comportement a de quoi interpeller, comme le montre le blog tenu par des membres du Département d'Etat américain, Diplomad.

COMPLEMENT III : D'après le New York Times de ce jour, Kofi Annan est parfaitement conscient de la crise mortelle que traverse l'ONU et demande des conseils avisés sur la manière d'en assurer la survie. Il faut dire que la pression est croissante aux Etats-Unis pour un retrait américain de l'ONU...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h47

30 décembre 2004

Mensonges : l'arroseur arrosé

Ce matin, Le Temps a publié (accès payant) un vaste tour d'horizon de ce qu'il nomme l'année du mensonge : une grande part de sa rédaction a été mise à contribution pour mettre en évidence les manipulations et les distorsions les plus évidentes commises cette année. L'article est plutôt plaisant, et rappelle que certains personnages - tels Oskar Freysinger ou Michael Moore - n'en ont pas été avares.

Malheureusement, le quotidien de Genève n'a pas compté sur les mensonges émis par sa propre rédaction, en particulier par ceux du très militant Alain Campiotti, qui revient sur la question des armes de destruction massive irakiennes pour dénoncer selon lui le plus gros mensonge de l'histoire. Il s'appuie ainsi sur le rapport Duelfer en ces termes :

"Ce cadre de la CIA, chargé de retrouver les armes de destruction massive (WMD) de Saddam Hussein, a confirmé qu'il n'y en avait pas trace en Irak. Exactement ce que le dictateur se tuait à dire quand il était dans ses palais: tout avait été détruit après la guerre du Golfe. ... Le mythe des WMD a duré jusqu'à la guerre. Ce mensonge est hors du commun car tout le monde y a cru, y compris les services secrets français. Et maintenant que la vérité est connue, les faucons n'ont plus qu'un argument: pourquoi Saddam Hussein n'a-t-il pas dit la vérité?"

Même en rappelant que Campiotti est l'un des journalistes les plus violemment opposés à l'opération militaire en Irak, on ne peut que se demander s'il ne prend pas un peu trop son public pour un ramassis de demeurés. S'il avait lu le rapport Duelfer, ou à tout le moins les 19 pages de son résumé, Campiotti aurait en effet dû relever les points suivants :

"ISG discovered plans or designs for three long-rang ballistic missiles with ranges from 400 to 1000 km and for a 1000-km-range cruise missile. ... These plan demonstrates Saddam's continuing desire for a long rang delivery capability." (page 10)

"A small number of old, abandoned chemical munitions have been discovered" (page 12)

"Iraq constructed a number of new plants starting in the mid-1990s that enhanced its chemical infrastructure" (page 14)

"ISG judges ... that Iraq ... had a capability to produce large quantities of sulfure mustard within three and six months" (page 14)

"Iraq retained the capability to produce nerve agent in significant quantities within two years" (page 14)

"ISG has uncovered hardware at a fem military depots, which suggest that Iraq may have prototyped experimental CW rounds." (page 14)

"ISG uncovered information that the Iraqi Intelligence Service (IIS) maintained throughout 1991 to 2003 a set of undeclared covert laboratories to research and test various chemicals and poisons..." (page 15)

Ces extraits ne visent pas à démontrer l'exactitude des affirmations américaines avant le déclenchement de l'opération Iraqi Freedom : le rapport Duelfer en contredit formellement une partie d'entre elles. En revanche, que Alain Campiotti se permette de clamer "pas trace d'ADM en Irak" sur la base d'un rapport qui au contraire montre l'existence de programmes secrets et l'intérêt constant pour les ADM constitue un mensonge flagrant. En matière de fabulateur, la rédaction du Temps compterait-t-elle dans ses rangs un spécimen de la pire espèce ?

En fait, la raison profonde de cette distorsion est la suivante : la lutte de perceptions lancée depuis plus de 2 ans sur la question irakienne se poursuit toujours. Les opposants à cette opération militaire ont vu leurs arguments s'effondrer rapidement (guerre généralisée au Moyen-Orient, hordes de réfugiés, catastrophe humanitaire endémique, résistance totale de la population à la démocratie) et en sont réduits à montrer que les arguments de ses initiateurs sont tout aussi incertains. Les passions humaines et l'implication personnelle rendent pour l'heure difficile la prise en compte des nuances nécessaires à la compréhension de la situation.

Quelques années de recul nous permettront de mieux juger cette période durant laquelle journalistes et politiciens ont mutuellement manipulé les faits pour mieux propager leurs opinions.


Posted by Ludovic Monnerat at 9h27 | Comments (1)

29 décembre 2004

Asie : tragédie et idéologie

Le bilan du raz-de-marée asiatique oscille à présent entre 60'000 et 70'000 morts selon les sources, ce qui en fait l'une des pires catastrophes naturelles de notre époque. De toute évidence, la violence du tremblement de terre rendait inévitable une partie des destructions causées, même si un système d'alerte aurait limité le nombre de victimes. Il n'a cependant pas fallu longtemps pour que cette tragédie liée à la structure même de la Terre soit exploitée avec des relents idéologiques, dans le but de faire passer un programme politique tout sauf naturel.

Il faut ainsi admirer les contorsions casuistiques commises ce matin par Yves Thréard dans Le Figaro pour replacer le drame dans une perspective partisane. Puisque la nature ne saurait être tenue pour coupable, c'est donc l'homme et son avidité qui ont été punis :

« Dans cette région du monde toute dévouée au tourisme, l'urbanisation à outrance a bousculé l'équilibre des paysages. On a trop construit n'importe où et n'importe comment sans respect des rivages, des barrières de corail ou des mangroves. La démographie galopante n'est pas étrangère, non plus, aux aménagements improvisés en tous genres. Par sa faute, l'homme s'est rendu vulnérable. »

On peut se demander comment le respect des barrières de corail, si tant est que cette expression ait un sens, aurait pu sauver les populations qui depuis des siècles vivent de la mer face à la violence du tsunami. Quant à rendre l'homme responsable de sa croissance démographique, autant affirmer que son existence est un péché mortel. Mais Yves Thréard affirme avant tout que les Occidentaux sont responsables, puisque c'est le « sous-développement » des régions touchées qui expliquerait l'absence d'un système d'alerte, et non l'aveuglement des dirigeants locaux. De quoi conclure par le fond du message :

« Raison de plus pour inciter les nations à s'unir afin de trouver des solutions comme dans le cadre du protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique. Accord que les Américains persistent à refuser d'adopter. Raison supplémentaire pour accentuer le dialogue et l'aide entre le Nord et le Sud. Car il n'y aura pas de mondialisation comprise et tolérable sans que se diffusent les richesses et le progrès. »

Voilà donc la morale de l'histoire : c'est la faute à la mondialisation ! Les pauvres du Sud sont victimes des égoïstes du Nord, qui viennent profiter sans scrupules du décor paradisiaque et multiplient les effets des catastrophes ! Peu importe que l'Asie du Sud soit en développement rapide, que le protocole de Kyoto soit mort et enterré, ou que les touristes occidentaux aient payé un lourd tribut à la catastrophe : les faits ne doivent pas contredire les diktats idéologiques. Les « sous-développés » thaïlandais ou indonésiens apprécieront.

Histoire de revenir sur terre, on peut sans autre s'informer sur l'évolution de la situation par plusieurs sites spécifiques, en notant l'apport remarqué des blogs à la chose. Lire l'excellent éditorial de Richard Werly dans Le Temps aujourd'hui. Et faire preuve d'une générosité bienvenue en faisant un don, par exemple via la Croix-Rouge, même si leur site ne se distingue pas par sa facilité d'emploi !

Posted by Ludovic Monnerat at 11h00 | Comments (1)

27 décembre 2004

Irak : soldats contre médias

L'un des aspects les moins connus du conflit irakien est qu'il a donné lieu à une nouvelle révolution dans le domaine de la communication. Si la Seconde guerre mondiale a été la première guerre couverte par la radio, le Vietnam la première guerre télévisée et le Kosovo la première guerre sur Internet, l'Irak est le premier conflit dans lequel les blogs jouent un rôle majeur : jamais auparavant les soldats individuels n'avaient la possibilité de décrire leur quotidien et de le faire partager à leurs proches comme au public, grâce aux cafés Internet installés dans presque chaque base militaire.

Ce qui est intéressant, c'est que la perception des soldats américains en Irak quant à la situation sur place est radicalement différente de celle transmise par les médias. Le désastre ou le bourbier qui s'affichent à la Une ou au JT, sur la base d'événements dramatiques sortis du contexte général, sont vigoureusement contestés par la majorité des soldats. Et l'un d'entre eux s'est même permis, lors d'une récente visite de Donald Rumsfeld, de lui demander comment faire en sorte que les médias occidentaux rapportent la réalité et couvrent le conflit de manière équilibrée.

Cette interpellation a été presque entièrement ignorée par les rédactions, alors qu'une autre question posée au même Rumsfeld quelque jours plus tôt et liée à la protection des forces a fait le tour du monde. L'avis des militaires américains n'a aucune importance s'il n'est pas négatif, et le récent sondage de Military Times a toutes les chances d'être également ignoré : le fait que les militaires US ayant servi en Irak soutiennent à 66% cette mission, ou que l'ensemble des sondés soient satisfaits de leur travail à 87% et envisagent à 75% de se réengager, contredit trop directement la ligne des médias pour être sans autre rendu public.

Nous vivons ainsi une époque où l'inflation des moyens de communication et l'augmentation de la masse d'informations facilite la censure sélective, voire le mensonge par omission. Tous les communiqués des groupes terroristes islamistes en Irak sont immédiatement diffusés par les agences de presse et repris, au moins sous une forme édulcorée, par les médias du monde entier. Au contraire, les communiqués émis par les services de presse de la coalition en Irak sont presque entièrement ignorés : un récit poignant du service sanitaire US après l'attentat de Mossoul a par exemple été envoyé à 1200 médias américains, mais seuls quelques uns s'y sont intéressés.

Cet abus de position dominante, comme on pourrait le désigner, n'est cependant que le réflexe d'une profession au pied du mur. La technologie a fait perdre aux médias le monopole de l'information, et rares sont les journalistes à avoir compris que les weblogs sont devenus le meilleur outil critique permettant de maintenir un équilibre entre attractivité et objectivité. La lutte des perceptions pour le contrôle de l'opinion publique qui se joue aujourd'hui entre soldats et médias à propos de l'Irak préfigure très largement notre avenir.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h47 | Comments (1)

24 décembre 2004

Les "connards" de Couleur 3

La conscience civique sur les ondes en prend un coup : d'après Le Matin, la radio publique Couleur 3 n'a pas trouvé mieux qu'organiser une fausse bagarre entre automobilistes à Genève, aux heures de pointe, pour un vulgaire coup de pub destiné à lancer une nouvelle émission. Non informée, la police est rapidement intervenue avec 4 à 6 patrouilles, et a du constater avec colère que l'alerte était due à une supercherie :

« Quelle bande de connards, lâche un policier. On a risqué notre vie pour arriver rapidement. »

A priori, on pourrait partir du principe qu'une galéjade un peu trop poussée est à l'origine de la chose, et mettre celle-ci sur le compte de l'esprit frondeur censé caractériser Couleur 3. Dans les faits, il n'en est rien, car la chaîne publique - il est bon de répéter cet épithète - a tout bonnement planifié délibérément le recours abusif et délictueux aux forces de l'ordre pour servir ses propres intérêts :

« Notre coup est réussi. Et on a prévu un budget pour les amendes », confie, sourire en coin, le chef de Couleur 3.

Je reste pantois devant une telle irresponsabilité, un égoïsme aussi puéril, un inconscience aussi franche, qui plus est financés par la caisse de l'Etat et la redevance obligatoire. Ridiculiser les forces de l'ordre en leur imposant une intervention inutile et potentiellement dangereuse mériterait certainement plus qu'une amende - histoire de rattraper l'éducation déficiente dont témoignent certains cadres du service dit public.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h39

L'opinion et la Turquie

La revue en ligne Polémia, dans un texte bref mais incisif, soulève la question de la gestion des perceptions publiques européennes quant à l'adhésion de la Turquie à l'Union. Car les dirigeants politiques de celle-ci ont fait un pari : entériner une adhésion qui pour l'heure semble susciter un rejet au sein de la population, et donc parvenir à convaincre celle-ci du bien-fondé de leur choix.

Pour Guillaume Bénec'h de Polémia, plusieurs messages ont déjà réussi à être imposés au public : la possibilité, les conditions et l'inéluctabilité de l'entrée de la Turquie. Mais il montre ainsi que l'influence des perceptions - ce qu'il nomme le formatage de l'opinion - passe par une concentration médiatique sur des points de détail pour mieux laisser de côté l'essentiel, et le débat qu'il devrait générer.

D'un point de vue helvétique, la chose ne pourrait être tranchée - et le débat imposé - qu'avec un référendum général, à double majorité, dans toute l'Union européenne - suivant en cela la suggestion autrichienne. Le déficit démocratique de l'UE est l'une de ses principales faiblesses, et une question aussi centrale que l'entrée de la Turquie ne peut à mon sens qu'être résolue dans les urnes. Y compris en Turquie, naturellement.

L'électorat européen doit ainsi obtenir des réponses claires sur les conséquences de l'adhésion turque, par exemple dans le domaine politique (poids de la Turquie dans les décisions), économique (immigration et investissements) et sécuritaire (extension de l'espace Schengen, proximité des conflits du Moyen-Orient). A l'heure actuelle, les discours sur le sujet ont davantage trait au passé qu'à l'avenir.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h15

23 décembre 2004

Les citations de 2004

Une fois de plus, le blogueur australien Tim Blair a rassemblé une impressionnante collection de citations décapantes, ironiques, ridicules ou éclairantes - en anglais - sur l'année 2004. Une bonne manière de passer en revue ces derniers mois en se rappelant les franches âneries qui ont été prononcées comme des révélations profondes ou des jugements percutants ! Et en plus, il a conservé les liens vers son blog...

Quelques extraits :

* "Iraq war opponents march to White House." -- a CNN report. Only 60 people turned up; CNN's piece contained about six times as many words
* "The survey the BBC conducted recently in Iraq is shocking to those of us who opposed the war. Most respondents say life is now better than it was before the invasion." -- George Monbiot is genuinely surprised
* "Wow. I hope that doesn't get out in the media." -- young DNC campaigner, on being told that John Kerry may be the wealthiest person to ever run for President
* "If the documents are not what we were led to believe, I'd like to break that story." -- Dan Rather
* "Nature is celebrating last night's presidential debate. The trees are alive with the sound of Kerry." -- Vanity Fair's James Wolcott
* "We're the majority and they're the minority, and on Jan. 20, they're going to be the official minority." -- Michael Moore keeping it real with the kids during his Slacker Uprising tour

Posted by Ludovic Monnerat at 7h56

22 décembre 2004

Fin du monde en Irak, chapitre 157

Sans surprise, l'actualité sécuritaire en Irak est décrite ce matin en termes quasi apocalyptiques dans les médias, qui transforment la mort d'une vingtaine de GI's sous une salve de roquettes en bilan complet d'une opération militaire menée par plus de 160'000 soldats. Curieusement, la palme de l'incohérence revient au Temps, habituellement mieux inspiré, dont l'affichette matinale est rigoureusement incompréhensible (« Otages français libérés : les Etats-Unis de plus en plus seuls en Irak »), et qui parle de « massacre » à Mossoul sans que l'on se rappelle avoir lu des expressions équivalentes lors de la prise de Falloujah, où 1200 combattants sunnites sont morts en l'espace d'une semaine.

Depuis le déclenchement de cette opération militaire, chaque coup dur encaissé par la coalition est aussitôt transformé en événement funeste, annonciateur d'un désastre imminent, au lieu d'être replacé dans le contexte global d'un conflit de haute puis de basse intensité. On se rappelle le fameux « enlisement dans le désert » de la coalition, la non moins fameuse « résistance acharnée » de la population irakienne, le « moral catastrophique » des soldats américains, le caractère « invisible et insaisissable » de l'insurrection sunnite, ou encore la stupéfiante « union sacrée » entre chiites et sunnites contre l'occupant. Autant de jugements hasardeux et biaisés que les faits n'ont pas tardé à démentir.

Comment donc expliquer les dérives répétées commises par la majorité des médias, qui annoncent une fois de plus la fin du monde en Irak, à 5 semaines d'élections pourtant historiques ? Il va de soi que le militantisme est le poison des rédactions, et que la volonté de convaincre - ou de justifier ses convictions - joue un grand rôle dans les distorsions de l'actualité exercées au quotidien. La recherche des événements les plus vendeurs, logique dans une perspective commerciale, se double ainsi à propos de l'Irak par une recherche des événements les plus vengeurs, à l'exclusion de tous les autres. C'est éminemment regrettable, et dommageable pour la crédibilité des journalistes.

Voilà bien longtemps qu'il est impossible de se faire une idée sur la situation en Irak par la seule lecture des médias traditionnels. Les weblogs viennent à la rescousse : la compilation des bonnes nouvelles d'Irak réalisée toutes les 2 semaines par Chrenkoff, les analyses du Belmont Club ou du Fourth Rail ainsi que les témoignages des soldats sur place sont ainsi indispensables. Les communiqués des différents commandements militaires, systématiquement ignorés ou transformés par les médias (que seules les pertes intéressent), doivent également être consultés, tout comme les reportages des journalistes intégrés aux unités et décrivant leurs activités.

Toutes ces informations permettent d'acquérir une vue d'ensemble de l'Irak, ce que la concentration sur des événements aussi dramatiques que ponctuels rend impossible. Mais cette perspective doit surtout être articulée en fonction de la dimension propre aux conflits de basse intensité, afin d'intégrer les facteurs décisifs et d'évaluer les actions des belligérants ; à savoir celle d'une lutte progressive, d'un combat aux points, qui se déroule simultanément sur 3 lignes d'opérations interdépendantes : la sécurité, la politique et l'économie. Et c'est bien là le problème central auquel sont confrontées les rédactions : la difficulté à cerner les indicateurs permettant de juger l'évolution du conflit.

Mon jugement personnel, un ouvrage maintes fois remis sur le métier, a toujours conclu au succès progressif de la coalition, et à l'absence de succès durable de ses ennemis. Ce jugement n'a de valeur que par le sérieux des analyses qui le fondent, et reste donc éminemment faillible ; mais il peut être discuté, contredit ou complété, en permanence, ce qui le distingue de la production médiatique régulière.

COMPLEMENT DU 22.12 : Apparemment, l'attaque serait due à un attentat-suicide, le premier à l'intérieur d'une base américaine. Cette information doit cependant encore être confirmée.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (6)

21 décembre 2004

Otages et manipulateurs

La libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot semble annoncer les derniers actes d'une pièce tragi-comique qui aura tenu le public en haleine depuis août dernier. On s'attend déjà à l'inévitable réception des « héros » que la République française ne manquera de célébrer, parmi des condamnations unanimes à l'endroit de la coalition en Irak et des marques de compréhension, voire d'approbation, au sujet des preneurs d'otages. Les journalistes français auraient d'ailleurs tort, dans l'environnement médiatique et commercial actuel, de ne pas exploiter leur séjour prolongé dans les geôles islamistes. Quant aux autorités, les bonnes nouvelles sont suffisamment rares comme cela.

Cette affaire doit cependant être recentrée dans son véritable contexte : les actions armées visant directement les journalistes sont aujourd'hui l'une des méthodes les plus efficaces pour orienter la couverture médiatique et influencer les perceptions du public. Non seulement les rédactions témoignent spontanément d'un intérêt marqué pour ce qui touche leurs confrères et consoeurs, ce qui est humain à défaut d'être juste, mais les menaces exercées à leur endroit ont également pour effet - souvent inavoué - de modifier les comportements et les contenus. En d'autres termes, la violence réelle ou potentielle devient une manipulation permanente et discrète.

La réaction des médias à l'enlèvement de Chesnot et Malbrunot aura ainsi précipité les commentateurs dans des extrémités émotionnelles. Le 7 septembre, Kyra Dupont Troubetzkoy accusait ainsi dans 24 Heures la coalition « dont les actions mal à propos - bombardement de Falloujah la rebelle, probable lieu de détention des otages - pourraient s'apparenter à du sabotage », comme si le commandement militaire américain - qui préparait la prise de Falloujah - pouvait se focaliser sur 2 journalistes prisonniers, avant d'appeler à la prudence « pour nos otages. » Un emploi de la première personne du pluriel suffisamment rare pour être significatif.

Mais la détention des reporters français a également eu pour effet de déformer les analyses. Après avoir dénoncé une « insupportable attente », Richard Werly écrit par exemple dans Le Temps, le 6 septembre, que « la guerre qui se poursuit là -bas a transformé le pays en un champ de bataille sans ligne de front », et que « les prises d'otages, a fortiori de journalistes, sont toujours le baromètre de conflits devenus sales et ingérables. » Pourtant, les attaques en Irak sont concentrés à 95% dans 6 des 18 provinces du pays, ne touchent pas la majorité de sa population et n'empêchent pas un redémarrage économique spectaculaire (+52% du PIB en 2004 selon le FMI).

Au-delà de la focalisation émotive et de la dictée rédactionnelle, les violences à l'encontre des journalistes obtiennent cependant leur plus grand succès lorsqu'elles influencent les médias avant même d'être perpétrées, par le seul fait de leur possibilité. L'agence Reuters a ainsi admis en septembre que son refus de qualifier de « terroristes » les groupes qui pratiquent ouvertement des attentats terroristes, comme le Hamas ou le Djihad Islamique, avait pour but de « protéger ses reporters. » C'est donc l'intimidation, il est vrai endémique en Palestine, et non la déontologie qui détermine l'emploi de qualificatifs précis.

De tels aveux devraient naturellement remettre en question les conditions dans lesquelles sont réalisés les reportages et articles livrés au public. Dans les faits, il n'en est rien : les arrangements locaux ou nationaux, comme l'accréditation, l'emploi de traducteurs, la sous-traitance ou les paiements, restent secrets. Il a par exemple fallu la chute de Saddam Hussein pour que CNN reconnaisse les arrangements sordides conclus avec son régime, et leur influence déterminante sur ses reportages, dans le but de simplement poursuivre ses activités sur place. Une forme de censure qui suscite bien peu de dénonciations.

C'est une réalité qu'il s'agit d'avoir à l'esprit en consommant les contenus médiatiques actuels : rien n'est gratuit, rien n'est anodin, rien n'est objectif dans notre monde. Et la transparence que les médias revendiquent sans cesse, souvent à raison d'ailleurs, devrait aussi s'appliquer à eux-mêmes.

COMPLEMENT : Des réflexions remarquablement pertinentes sont faites par Wretchard du Belmont Club au sujet de l'implication des médias dans les attaques en Irak. Elles soulignent ce problème de la transparence quant aux relations entretenues par les journalistes avec les groupes armés avides de publicité.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h56

17 décembre 2004

Le lobby artistique perd... un million

La perception de l'arrogance, décrite ci-dessous, a fini par coûter un million aux artistes suisses : le Parlement a sanctionné Pro Helvetia et réduit son budget, alors que même des parlementaires favorables à son maintien jugent que l'arrogance de sa Présidente - Yvette Jäggi - justifie cette décision.

Un exemple éclairant de message mal contrôlé par un lobby pourtant très influent.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h19

15 décembre 2004

Le lobby artistique perd son message

Un éditorial coup-de-poing publié aujourd'hui dans Le Matin, sous la plume de son rédacteur-en-chef Peter Rothenbühler, ajoute un nouveau chapitre à la lutte des perceptions déclenchée par l'affaire Hirschhorn.

Commentant le refus par les Autrices et Auteurs de Suisse d'accepter la demande d'adhésion faite par l'UDC valaisan Oskar Freysinger, Rothenbühler emprunte sans hésiter un langage judiciaire :

« Si l'on voulait prouver que des associations culturelles suisses subventionnées par l'Etat sont noyautées par une gauche intolérante, on ne pouvait rêver meilleure pièce à conviction! »

Il souligne ensuite la contradiction survenant à quelques jours d'intervalle entre les hauts cris visant à défendre la liberté artistique de Thomas Hirschhorn, concepteur d'une exposition parisienne s'en prenant en termes orduriers à une Suisse qui pourtant appuie ses œuvres, et les réserves émises à l'adhésion de Freysinger, pour la simple et bonne raison que ce dernier penche trop à droite et critique trop durement les islamistes.

De quoi conclure, pour Rothenbühler, par un véritable appel aux armes comportant une allusion transparente aux débats politiques en cours :

« Il est vraiment grand temps de se battre contre ces «ayatollahs de la culture suisse». Ce n'est pas le Parlement qui exerce du terrorisme culturel dans notre pays, mais bien une clique de copains de gauche qui vit aux crochets de l'Etat et veut imposer sa loi. »

Quelle est l'importance de cet éditorial pour le moins combatif ? Il vient saccager la perception que les artistes suisses ont réussi à imposer en quelques jours.

Lorsque les pitreries de Hirschhorn ont été révélées au grand public, la colère qu'elles ont suscitée a amené le Conseil des Etats a réduire d'un million de francs le budget de Pro Helvetia, qui subventionnait l'exposition incriminée. La réaction ne s'est pas faite attendre : les artistes suisses sont montés aux barricades et ont utilisé tous leurs relais dans les médias, provoquant nombre d'interviews et d'éditoriaux, pour tenter de sauvegarder l'intégrité de ce budget.

Avec une efficacité et une unité de doctrine remarquables, ce qu'il convient d'appeler le lobby artistique est parvenu à systématiser un message-clef : la décision de réduire les subventions de Pro Helvetia constitue un acte de censure totalement inacceptable. Naturellement, il n'y a pas de lien causal entre la liberté d'expression et la perception de subsides fédéraux, mais la censure est un mot suffisamment chargé pour dissimuler ce manque de logique.

Accessoiremment, les artistes suisses ont propagé un message secondaire, destiné à renforcer les bases incertaines du premier : personne n'est qualifié pour juger bonne ou mauvaise une production artistique. On pourrait croire qu'ils considèrent le public comme destiné à financer sans mot dire leurs pérégrinations créatrices.

C'est précisément cet aspect élitiste et arrogant qui constitue l'accroche du texte impitoyable de Peter Rothenbühler : en montrant la différence entre les propos et les actes des écrivains suisses, et en l'élargissant sans autre à tout le lobby artistique, il brise l'hégémonie de son message et ravive la lutte de perceptions allumée par l'affaire Hirschhorn. Dans la mesure où le Blick a également traité le rejet de Freysinger dans des termes similaires, cela pourrait avoir un impact politique perceptible.

En d'autres termes, un exemple de la puissance des médias lorsqu'ils utilisent l'arme, toujours à double tranchant, de la dénonciation morale.


COMPLEMENT : Pour vérifier à quel point les artistes suisses peuvent imposer leur point de vue par l'entremise des médias, il suffit de voir comment 24 Heures titre aujourd'hui sur le refus par le Conseil des Etats de revenir sur son vote à propos de Pro Helvetia : "Le Conseil des Etats ne veut pas entendre raison". Plutôt édifiant !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h50

14 décembre 2004

Gérer les perceptions : un dilemme

Un article publié hier par le New York Times examine la problématique de la gestion des perceptions dans un conflit de basse intensité, en décrivant les débats animés en cours au Pentagone sur le bien-fondé du rapprochement entre la communication publique et les opérations psychologiques, ces dernières étant l'une des composantes classiques des opérations d'information.

Toutes les armées occidentales ont globalement adopté ces dernières années une séparation stricte entre les deux activités. La communication publique (public affairs en anglais) est assurée par des porte-parole civils ou militaires qui ne diffusent que des informations vraies, ou du moins considérées comme telles à l'instant de leur diffusion. Une vérité constante, mais incomplète en raison des besoins propres à la sécurité opérationnelle.

A l'inverse, les opérations psychologiques forment une méthode d'influence d'audiences-cibles susceptible de diffuser des informations vraies, partiellement vraies ou totalement fausses - auquel cas elles relèvent de la déception militaire, une pratique normale du champ de bataille. On parle souvent de propagande blanche, grise ou noire pour décrire les degrés de véracité des opérations psychologiques.

Cette volonté de distinguer l'une de l'autre se heurte cependant au fait que la transformation des conflits et la globalisation des médias amène leurs effets respectifs à se superposer :

"There is a gray area," he said [le général Kimmitt, ancien porte-parole de la coalition en Irak]. "Tactical and operational deception are proper and legal on the battlefield." But "in a worldwide media environment," he asked, "how do you prevent that deception from spilling out from the battlefield and inadvertently deceiving the American people?"

Le fond du problème est le suivant : la démarche intellectuelle consistant à analyser les perceptions d'une audience donnée afin de mieux les gérer par des messages adaptés est strictement la même dans la communication publique et les opérations psychologiques. C'est le contenu des messages qui ensuite diffère, et bien entendu les vecteurs de leur diffusion. D'où la tentation de rapprocher les deux structures, au risque de ruiner la crédibilité des porte-parole.

Dans la mesure où les perceptions publiques sont la clef des conflits de basse intensité, dont les enjeux ne justifient pas le soutien spontané pour toute action armée, les militaires sont obligés de contrer les offensives de leurs adversaires :

"In the battle of perception management, where the enemy is clearly using the media to help manage perceptions of the general public, our job is not perception management but to counter the enemy's perception management," said the chief Pentagon spokesman, Lawrence Di Rita.

La politique officiellement affichée par le Département américain de la Défense n'empêche pas des tentations moins avouables, comme l'a montré le cas de l'Office of Strategic Influence ou les produits avariés du renseignement militaire rendus publics avant le déclenchement de l'opération Iraqi Freedom. Toutefois, dans la mesure où les médias tendent eux-mêmes à réduire drastiquement toute différence entre la relatation des faits et le commentaire qu'ils occasionnent, la rigueur des armées en la matière pourrait devenir l'exception.

On notera que l'article du New York Times, au demeurant solide et équilibré, aborde furtivement la vaste question de l'influence des opinions publiques lors de la guerre froide, mais uniquement sous l'angle américain.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h53