« Les raisons de la vraie chute | Accueil | La chute d'une citadelle idéologique ? »

15 novembre 2009

Islamistes et féministes, même combat ?

Ce titre provocateur m'est venu à l'esprit en lisant cet article du Matin, consacré aux punitions qui sont infligées aux femmes somaliennes voulant porter des soutiens-gorges :

L'affaire a été confirmée dernièrement par un chef du mouvement fondamentaliste. Il a expliqué que ce sous-vêtement est anti-islamique, impur et offensant. «Les islamistes disent que la poitrine d'une femme doit être ferme naturellement, ou bien plate», a expliqué au journal africain Gabon Eco la mère d'une fille punie sévèrement en octobre par les extrémistes.
Convaincus que le port du soutien-gorge va à l'encontre de l'enseignement de l'islam, des militants d'Al-Chabab ont fouetté ces derniers jours en public plusieurs femmes qui portaient ce sous-vêtement. Selon eux, «le soutien-gorge trompe sur l'état naturel des seins, accentue les formes féminines et suscite des désirs sexuels». Les miliciens multiplient donc les points de contrôle pour exiger des femmes qu'elles sautent et secouent le torse, pour vérifier si les seins bougent naturellement...
[,,,]
Selon plusieurs témoins, les gardiens de la charia brûlent leurs trophées en public pour «donner l'exemple».

Un tel comportement ne peut que rappeler les récriminations des féministes à l'endroit des soutiens-gorges dans les années 70, même si l'autodafé de ceux-ci n'est qu'une légende urbaine : cet accessoire est perçu comme un objet de séduction oppresseur, confinant les femmes à un rôle imposé par la société. Le rejet du soutien-gorge reste d'ailleurs encore pratiqué de nos jours par des tenantes du féminisme pour des raisons inchangées, même si l'on peut trouver des arguments thérapeutiques pour fonder une approche similaire (le site en question n'est pas consultable en milieu professionnel).

Qu'y a-t-il de commun entre les islamistes et les féministes ? Les uns comme les autres s'opposent à la dimension séductrice de la femme, au moins dans un espace public. La cristallisation de leur rejet sur le soutien-gorge s'explique a priori par l'effet de celui-ci sur la silhouette féminine, encore que son absence puisse avoir, selon les circonstances, un effet similaire ou même accru. En tout état de cause, ces démarches visant à diaboliser une pièce de lingerie ou à lui prêter des visées tyranniques sont donc avant tout liées à la perception des relations entre hommes et femmes et à la place de celles-ci dans la société. Que l'on souhaite en faire des êtres inférieurs ou égaux, la négation de leur prééminence sexuelle est similaire.

Il va de soi que la culture audiovisuelle contemporaine, fondée largement par la libération des mœurs, place au premier plan de manière systématique - et parfois abusive - cette dimension séductrice. Pourtant, les affiches géantes pour les marques de lingerie qui ornent nos villes ne suscitent plus guère de remous par la semi-nudité qu'elles impliquent, par le désir qu'elles fouettent, mais bien par la perfection plastique et morphologique qu'elles scandent. Les femmes d'aujourd'hui veulent être séduisantes (ce qui n'est pas la même chose que séduire), bien qu'une partie d'entre elles contestent l'idéal inatteignable qu'on leur présente, et auquel les troubles de l'alimentation comme les retouches informatiques ne sont pas toujours étrangers.

Ce que les islamistes comme les féministes savent et redoutent, c'est que la femme a toujours tiré une puissance considérable de sa capacité de séduction, de l'empire que son corps lui donne sur les hommes (combien de décisions cruciales ont été prises pour une belle paire de seins ?). Les uns veulent donc briser cette puissance dangereuse et incontrôlable en plaçant la femme sous tutelle, en réduisant son impact à l'espace domestique, sous la coupe de l'homme ; les autres veulent que la femme ressemble à l'homme pour être son égale, qu'elle soit jugée selon les mêmes critères, et ce faisant la privent de ce qui la rend digne d'être à la fois aimée, désirée et respectée. Tant il est vrai qu'une femme peut être à la fois compagne, amante et mère.

Publié par Ludovic Monnerat le 15 novembre 2009 à 10:44