« Une planète qui ne se réchauffe plus | Accueil | Quelques jours d'absence »

13 octobre 2009

Le dilemme de la puissance militaire

Les décisions prises récemment sur la répartition du budget au sein des forces armées britanniques révèle un dilemme que connaissent tous les planificateurs militaires en-dehors des périodes de conflit majeur : faut-il privilégier les forces engagées au quotidien dans des opérations de basse intensité ou au contraire conserver la priorité traditionnellement accordée aux forces vouées aux hypothétiques combats de haute intensité ?

Les dirigeants britanniques, confrontés à une pression considérable de la presse et du public en raison des déficiences de l'équipement octroyé aux troupes engagées en Afghanistan, ont donc choisi d'accorder la priorité à leurs forces terrestres (sans parler des forces spéciales) au détriment des forces navales et aériennes. Si l'on considère l'histoire de la Grande-Bretagne, c'est évidemment une décision plutôt inédite ; la Royal Navy a façonné le monde moderne, et la Royal Air Force a rapidement acquis son indépendance comme composante à part entière. Tout cela appartient-il au passé ?

Le dénominateur commun des deux approches reste bien entendu les limites budgétaires : il est rare qu'une nation soit suffisamment riche pour avoir des moyens capables de faire face simultanément à des menaces de basse comme de haute intensité, à moins d'y consacrer une part démesurée de ses ressources. A contrario, le fait de diminuer constamment les budgets militaires finit par réduire en-dessous du seuil critique l'aptitude à protéger ses intérêts et ceux d'autrui, et donc se traduit tôt ou tard par un déclin commercial et économique. Il n'étonnera personne d'apprendre qu'un État-providence (mieux décrit en anglais par l'expression "nanny state") entraîne une forme d'émasculation stratégique.

Trouver l'équilibre n'est pas chose aisée. Les capacités de stabilisation sont coûteuses, parce qu'elles impliquent un volume important de troupes au sol et une durée prolongée des opérations ; de plus, lorsque le contexte opérationnel rend nécessaire l'indépendance logistique du contingent, à peu près inévitable pour une armée moderne, les conséquences pécuniaires sont tout bonnement exorbitantes. Mais les capacités d'intervention sont encore plus coûteuses, car elles impliquent des systèmes d'armes d'une complexité exponentielle, et pourtant seuls à même de permettre une supériorité dans un espace donné - qu'il soit terrestre (formations blindées), naval (flottes combinées) ou aérien ("strike packages"). Sans parler des éléments d'appui nécessaires à leur emploi.

Comment résoudre le dilemme ? Une menace actuelle mais modérée appelle une réponse caractérisée par l'économie des forces, une réponse à la fois rapide et durable ; une menace potentielle mais décisive appelle une réponse caractérisée par la concentration des effets, avec un réservoir de forces mobilisable et disponible à temps. Or, économiser les forces implique une multiplication de celles dont on dispose au contact du secteur d'engagement, comme le font les forces spéciales, le renseignement de source humaine, les activités civilo-militaires, bref toutes les approches conventionnelles qui visent à développer un impact sur la société en crise ou en conflit.

Évidemment, il serait faux d'opposer l'approche non conventionnelle à l'approche conventionnelle : elles se complètent au contraire à merveille, et passer de l'une à l'autre offre même une flexibilité opérative du meilleur aloi. L'erreur fondamentale consiste plutôt à opposer le présent à l'avenir.

Publié par Ludovic Monnerat le 13 octobre 2009 à 21:26