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7 août 2007

La question des ventes d'armes

L'actualité de ces derniers jours a été marquée par l'annonce d'importantes ventes d'armes à destination de pays tout sauf anodins : les 20 milliards de dollars d'armement offerts sur 10 ans par les États-Unis aux pays du Golfe, complétés par l'aide militaire accrue au profit d'Israël, les projets avancés de vente d'armes concurrentes de la Russie auprès de l'Iran, et les contrats pour 405 millions de dollars que la Libye affirme avoir signés afin d'acquérir des armements et des équipements français. Si ces accords ne doivent au moins en partie qu'au hasard d'être rendus publics simultanément, les démarches qui les fondent ont suffisamment de points communs pour être considérées dans une même perspective.

Ce qui n'exclut pas d'emblée de souligner leurs différences : on ne peut pas comparer la vente de missiles antichars et de radios digitales à la Libye, c'est-à -dire de matériels complémentaires, à la vente prévue de 250 avions de combat modernes avec 20 avions ravitailleurs à l'Iran ou à celle de navires de guerre, d'armes intelligentes et de mises à jour pour avions de combat à l'Arabie Saoudite. Les produits de pointe que l'industrie française de l'armement se destine à livrer au colonel Kadhafi et à ses successeurs ont avant tout une vocation défensive sur la base d'opérations terrestres, alors que la manne américaine et russe se concrétise par des capacités à la fois défensives et offensives, par une aptitude à la projection de puissance comme à un contrôle accrue de l'espace aérien, naval et terrestre. Même si les négociations avec Tripoli ne sont pas closes.

Il n'en demeure pas moins que les ventes d'armes de haute technologie, sous la forme de contrats rentables ou de subventions, génèrent un lien à la fois d'influence et de dépendance du fournisseur à l'acquéreur. La dépendance est évidente : non seulement la maîtrise de l'enveloppe opérationnelle est extrêmement difficile pour le client (on se demande toujours si les F/A-18 suisses seraient en mesure de tirer un missile sur leurs homologues américains...), mais les fonctions transversales nécessaires à la disponibilité opérationnelle de ces engins (logistique, télématique, électronique, informatique, etc.) ne sont à la portée que des armées les plus modernes. En d'autres termes, c'est bien joli d'avoir des F-15 modernisés équipés de bombes guidées par GPS, mais sans les compétences pour programmer les systèmes d'armes ou de vol, ces engins sont à peu près aussi utiles à la guerre aéroterrestre qu'un aspirateur asthmatique.

En ce qui concerne l'influence, je me permets de citer ce que j'écrivais en début d'année dans la Revue Militaire Suisse :

En partageant les outils d'une puissance que seuls les Etats peuvent brandir et employer durablement, cette prolifération favorise la reproduction d'une structure politique et d'une doctrine combattante analogue à celle des fournisseurs. En d'autres termes, donner de quoi faire la guerre à l'occidentale réduit l'intérêt de faire la guerre autrement, et mène au développement de forces armées plus faciles à mesurer et à contrôler. Acheter le Rafale revient à acheter la culture stratégique qui l'a produite et à en adopter, même partiellement, les valeurs cardinales. Une manière de lutter contre la déstructuration et la privatisation de la guerre, et donc de préserver la puissance étatique traditionnelle.

A condition, encore une fois, que les États ainsi armés par des puissances exportatrices ne se livrent pas à des conflits symétriques de haute intensité qui provoqueraient une ruine sans équivalent.

Publié par Ludovic Monnerat le 7 août 2007 à 19:05

Commentaires

Je ne peux que partager la finesse de votre analyse : acheter un armement d'envergure, c'est aussi "acheter" la doctrine et la logistique du pays qui l'exporte et, de fait, cela rend l'utilisation potentiel de ce matériel plus lisible pour le vendeur et les pays spectateurs de la vente.
Juste un mot sur notre (je dis cela en tant que citoyen français) "nouvel ami", le colonel Kadhafi et ses récentes emplettes de missiles antichars : certes, leur vocation est défensive, mais contre les blindés de qui souhaite-t-il donc se défendre ? Si un pays (prenons l'Iran) est clairement menacé de frappes aériennes (américaines par exemple), il est concevable qu'il souhaite s'équiper en missiles SAM russes performants, mais quelle horde blindée menace aujourd'hui la Lybie ? Est ce de la méfiance gratuite ou de la naïveté que de penser que lesdits missiles trouveront un destinataire plus friands de ce types d'armes (disons plus à l'est)? Ou bien, le colonel a t il été impressionné par les performances de nos Milan au Tchad dans les années 80 contre les rebelles qu'il soutenait et armait au point de vouloir en doter son armée ? Ou s'agit il d'un préambule, une mise en jambe pour d'autres contrats plus "costauds" et moins strictement défensifs (des Rafale, qui sait, on va bien finir par en vendre quelques uns à l'étranger bon sang...) ?
Bien à vous.

Publié par François le 7 août 2007 à 23:46

Deux fois plus de Milans pour la Libye que pour l'armée française toute entière!

à 15 000€ le missile, 40 000€ la caméra thermique, 30 000€ le poste de tir... 170 millions ça fait au moins 700 postes de tir et leurs missiles!
Un régiment d'infanterie occidental n'en possèdant que 12 faut-il en conclure que la lybie aurait acheté 2 fois la capacité antichar moyenne portée de l'armée Française?
Soit la troisième guerre mondiale est proche,soit environ 100 millions d'€ vont disparaitre dans l'opération.
On se souvient que dans l'affaire des Frégates de Taiwan, sur les 900 millions prévus en Backchich (les chinois étaient gourmants) environ 100 millions se sont évaporés en Europe, probablement via clearstram.
A bien y réfléchir, l'hypothèse d'un contrat fictif me parait préférable.

Publié par Damien le 8 août 2007 à 22:21

pays arabes = yabon bakchich (à l'abri des juges français)
Sarko est dans la continuité de Mitterrand & Chirak
et il y a des gens sérieux pour écrire des choses sérieuses sur de tels sujets !

Publié par JPC le 8 août 2007 à 22:45

N'oublions pas que dans toutes affaires de bakchich, celui qui reçoit renvoie la balle à long terme. Ce 100 millions d'€, sauf bavure va rapporter 200, 300, 400 millions d'€ au pays donateur, rien de bien différent des services bancaires qui se disent civilisés et intègres. Ajoutons à cela un soupçon d'argent sal et un peu de porno et on a une affaires croustillante pour distraire les veaux, pardon le peuple ;-)

Publié par Yves-Marie SÉNAMAUD le 11 août 2007 à 4:48

@ JPC : ventes d'armes = circonstances idéales pour la corruption. On ne vous a jamais parlé des frégates de Taiwan ?
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Cela me conduisait à me demander si les ventes d'armes à des pays comme ceux cités avaient une autre vocation que celle de servir de prétexte à des grandes manoeuvres financières. Mais le billet de L.M. donne des raisons plus sensées.

Publié par FrédéricLN le 12 août 2007 à 17:09

D'après Yves Girard, ancien N°2 de AREVA, le colonel Kadhafi a toujours voulu la bombe atomique:
http://rue89.com/2007/08/15/le-colonel-kadhafi-voulait-la-bombe-atomique
Au fait, y a-til encore un européen aujourd'hui pour savoir quels sont les effets immédiats d'une explosion nucléaire?
Il me semble qu'aujourd'hui la probabilité d'avoir une explosion nucléaire au sol dans une capitale occidentale au cours des 10 prochaînes années est loin d'être nulle.
L'histoire même de la création de la bombe atomique pakistanaise fait qu'il est difficile d'être sûr du nombre de bombes créées (entre 2 et 5 suivant les sources, mais peut-être beaucoup plus).
De là à envisager qu'un jour prochain une "camionnette atomique" explose sur un pont en hauteur dans une métropole, il n'y a qu'un pas.
Quels seraient les dégats obtenus avec une petite bombe utilisée de cette façon sur des bâtiments modernes?
Une bombe "ratée" comme la bombe nord coréenne équivaut à 500 tonnes de TNT, soit de quoi détruire quelques immeubles ou pâtés de maisons.
Par exemple, l'explosion AZF à toulouse, qui équivalait à 30T, n'a fait "que" 20 morts. On peut en déduire qu'une bombe "ratée" ne serait pas plus efficace que l'attentat du 09/11.
Une attaque nucléaire, térroriste ou non, ne devient rentable que si l'effet est réellement dévastateur.Ce constat donne un sentiment de sécurité aux dirigeants occidentaux, persuadés que leus adversaires potentiels ne peuvent réaliser que des bombes "sâles".
Le problême est que le pakistan a déjà testé une bombe de 35KT, soit deux fois la puissance d'hiroshima. Et souvenons nous qu'à hiroshima, la bombe avait tué tous les habitants par effet thermique dans un rayon de 600M (élévation de température de 1000°).
Dans une capitale moderne, la densité de population dépasse 40 000 habitants au km²(11ème arrondissemnt de Paris).
Une bombe d'origine pakistanaise standart peut donc faire avoir un résultat initial de 40 000 morts environ, chiffre qui devrait doubler au cours des 24h suivantes dans les incendies de bâtiments et autres effondrements d'immeubles.
L'effet sur l'ensemble du monde occidental serait dévastateur. Il serait facile, à priori, de désigner le pakistan comme responsable de sa bombe, mais quelle que soit sa responsabilité réelle des représailles éventuelles de même niveau en feraient inévitablement un "martyr du monde occidental"...à supposer que les opinions publiques occidentales acceptent l'idée de représailles nucléaires.
Il serait en effet moralement difficile à justifier de frapper des civils innocents pour venger d'autres civils innocents!
Dans tous les cas, le groupe terroriste responsable de ce coup d'éclat sortirait politiquement gagnant de l'opération, et son leader deviendrait, comme Ben Laden, un héros de la cause de l'islam.

Publié par Damien le 16 août 2007 à 14:47