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31 mars 2007

Le contrecoup de l'insurrection

Comme prévu, les Forces armées éthiopiennes sont confrontées en Somalie à une insurrection qui leur inflige des pertes régulières et leur pose des problèmes majeurs :

L'insurrection, qui contrôle presque tout le sud de Mogadiscio, apparaît de plus en plus déterminée et redoutablement bien armée. Selon le GFT, le mouvement ne serait qu'une lutte d'arrière-garde d'anciens miliciens islamistes tentant de reconquérir le pouvoir perdu. De fait, l'ossature du mouvement est composée de Chebabs, l'aile la plus extrémistes des Tribunaux. Mais ces miliciens ont été rejoints par certains chefs de clans Hayiwe, le principal groupe de Mogadiscio hostile au gouvernement perçu comme dominé par le clan rival des Darods.
Au fil des semaines, cette insurrection a gagné du terrain. Les attaques contre les soldats éthiopiens et les hommes du GFT sont plus régulières. Conscients des risques, les Éthiopiens ont lancé jeudi une vaste offensive destinée à « vider » la capitale des miliciens. À l'aube, les troupes d'Addis-Abeba ont envahi les quartiers sud de la ville, bastion des insurgés. Ces derniers, repartis en petits groupes, ont réagi, ouvrant le feu à l'aide d'armes légères mais aussi de lance-roquettes, bloquant l'avancée des Éthiopiens. Dès lors, les Éthiopiens ont déployé toutes leurs forces, engageants chars et hélicoptères sans parvenir pour autant à se rendre maître du quartier. Et les pertes de part et d'autre s'accumulent.

Alors que les milices islamistes avaient payé cher leur conquête progressive du pays, en décembre dernier, ce sont maintenant les militaires éthiopiens qui sont sur la défensive, malgré leurs actions offensives au sol, et qui subissent les coups de leurs ennemis, soudés par l'identité et les croyances. Les premières étaient vulnérables sous l'angle des capacités, qui les empêchaient des contrôler les espaces, alors que les seconds sont vulnérables sous l'angle des volontés et de la légitimité, qui les empêchent de contrôler les esprits. Pour l'Ethiopie, un retrait des troupes derrière les éléments gouvernementaux et les forces multinationales apparaît rapidement comme la seule option valable. Quitte à retourner en force sur terre somalienne si la situation en venant à nouveau à menacer ses intérêts.

Le cas d'école somalien montre ainsi assez bien les forces et les faiblesses des forces régulières et irrégulières, des organisations ordonnées et chaotiques, dans un contexte africain qui limite les contrastes que produisent les interventions occidentales. Et le contrecoup de l'insurrection, après le succès conventionnel des militaires, montre la nécessité pour ceux-ci de maîtriser également cette partition stratégique. Là comme ailleurs...

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29 mars 2007

Le chantage des otages

Difficile position que celle dans laquelle se trouve le gouvernement britannique : ses 15 marins capturés par les forces armées iraniennes sont exploités comme outil de propagande, la communauté internationale ne lui fournit guère de soutien, même en face d'une violation flagrante des Conventions de Genève, et Téhéran tente de lui imposer une capitulation sémantique qui ne ferait qu'affaiblir encore davantage un Tony Blair déjà en fin de règne. En toute logique, un casus belli de ce type appellerait des mesures coercitives à la fois ciblées, déterminées et proportionnelles (c'est-à -dire réversibles), de la part de n'importe quel État ayant encore la volonté et la capacité de défendre ses intérêts sur la scène internationale. Au risque de provoquer une escalade militaire qui pourrait bien être l'objectif poursuivi par le régime des mollahs...

Les prises d'otages restent une arme particulièrement puissante contre les autorités faibles, comme le montrent les exigences des Taliban suite à la libération du journaliste Daniele Mastrogiacomo. Le développement de capacités spécifiques pour les déjouer contribue donc directement à renforcer ces autorités, dans les faits comme dans les esprits, comme l'ont montré de nombreux exemples (Mogadiscio, Entebbe, etc.). Toutefois, ces capacités ne peuvent rien sans des dirigeants aptes à assumer les rapports de force, à imposer leur volonté au lieu de subir celle d'autrui, et donc parfois à employer pour ce faire l'outil militaire que leurs prédécesseurs leur ont légué, dans un état plus ou moins bon. Même si, comme dans le cas de l'Iran, des mesures coercitives non violentes pourraient tout aussi bien faire l'affaire pour rompre le chantage exercé par un État voyou...

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27 mars 2007

Le chaud et le froid

Le temps me manque ces jours pour traiter un sujet en détail, mais je ne peux manquer d'être interpellé par les signaux politiques contradictoires donnés à 2 mois d'intervalle par le Parlement en matière de missions de maintien de la paix. En janvier dernier, la commission de politique extérieur du Conseil national a refusé la stratégie du Conseil fédéral pour les missions militaires à l'étranger, notamment l'augmentation des soldats en mission ; et hier, la commission de politique de sécurité du même Conseil national a au contraire exigé cette augmentation, jusqu'au volume de 500 initialement fixé par le Conseil fédéral. Le tout avec de faibles et fragiles majorités, auxquelles se fier est bien risqué.

Comment une armée est-elle encore susceptible de planifier son développement et de répartir ses efforts principaux dans la durée avec une classe politique soufflant constamment le chaud et le froid ? Et ce d'autant plus que ces discordes profondes et cette polarisation existent également au niveau de l'exécutif... Il ne reste sans doute plus qu'à espérer que les prochaines élections fédérales permettent de dégager une majorité solide en matière de politique de sécurité, ce qui est loin d'être garanti !

Posted by Ludovic Monnerat at 13h54 | Comments (10) | TrackBack

25 mars 2007

La milice peut conserver ses armes

Malgré une pression médiatique intense et l'exploitation émotionnelle de faits divers, le Conseil national a décidé jeudi de maintenir l'un des principes-clefs de l'armée de milice : la conservation de l'arme personnelle à domicile en-dehors des périodes de service.

L'écrasante majorité des médias s'est lamentée, vendredi matin, sur le maintien d'une « tradition éculée » et sur une classe politique rigide, incapable d'accepter l'évidence. Le meurtre 2 jours plus tôt d'une jeune femme par son ex-compagnon à l'aide d'un fusil d'assaut militaire ne montrait-il pas la voie à suivre ?

...

La suite ici, sur la Revue Militaire Suisse !

Posted by Ludovic Monnerat at 23h48 | Comments (70) | TrackBack

23 mars 2007

Une brève absence

Dans la mesure où je suis actuellement en déplacement à l'étranger, aucun nouveau billet ne sera mis en ligne d'ici la fin du week-end. Merci pour les débats intéressants en cours, et à bientôt !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h12 | Comments (3) | TrackBack

22 mars 2007

La politique étrangère et de défense britannique

Ce soir a eu lieu à Verte Rive l'assemblée générale annuelle du Centre d'Histoire et de Prospective Militaire, sous la présidence du brigadier Michel Chabloz. L'assemblée proprement dite a été suivie par un exposé sur la politique étrangère et de défense britannique, présentée par Pierre Razoux, connu du public suisse et renommé pour ses travaux d'histoire militaire. En voici un résumé.

Les principes fondamentaux de cette politique peuvent être énumérés ainsi :

Pour concrétiser cette recherche de l'équilibre, les Britanniques utilisent une boîte à outil bien fournie et combinent politique, industrie, économie, institutions ou encore armée. Ils cherchent ainsi à donner constamment des gages à la fois aux États-Unis et à l'Europe : engagement dans la mission européenne "ARTEMIS" au Congo parallèlement au déclenchement de "IRAQI FREEDOM", annonce du maintien des troupes en Irak fin 2003 parallèlement au soutien d'un centre de planification autonome en Europe, engagement dans les programmes JSF et Eurofighter, Apache et A400M, Amraam + Tomahawk et Meteor + Storm Shadow, dans le consortium GPS et dans le programme Skynet.

Certes, ce grand écart peut parfois s'avérer très difficile, et donc douloureux. Il en va systématiquement ainsi pour trois domaines dans lesquels les Britanniques sont totalement dépendants des Américains, et donc des domaines qui sont des tabous (For UK-US Eyes Only) pour leurs partenaires européens : la dissuasion nucléaire, le renseignement et l'espace. Toutefois, la Grande-Bretagne a également les moyens de faire comprendre à son allié américain que les divergences peuvent amener des réactions, comme l'ont montré les accords de St-Malo fin 1998 : afin de mettre en garde les États-Unis à propos de leurs errements dans les Balkans, mais aussi de renforcer l'Europe dans l'hypothèse où les États-Unis se recentrent sur le Pacifique, un rapprochement plus spectaculaire que significatif avec la France a été opéré à cette occasion. Ceci bénéficiant aussi d'intérêts communs entre la France et la Grande-Bretagne, comme entre un Chirac affaibli et un Blair fraîchement arrivé au pouvoir.

Ce dernier étant aujourd'hui sur le départ, les conséquences de son remplacement par Gordon Brown ont été esquissées. En vue des élections de 2009 et compte tenu de sa légitimité réduite, le nouveau premier ministre britannique devrait ainsi mener une politique étrangère et de défense populiste, avec un retrait presque complet d'Irak (ce qui implique des gages envers les États-Unis, comme le renforcement des moyens en Afghanistan, qui est de toute manière un enjeu majeur pour Londres vu que la crédibilité de l'OTAN, et donc la force du lien transtlantique sont en jeu), une démarcation vis-à -vis des États-Unis, ainsi que globalement "moins d'Europe" (ralentissement dans la PESC et la défense européenne, mais renforcement de la coopération dans la sécurité intérieure, la sécurité énergétique, la protection de l'environnement et la poursuite de l'élargissement).

La Grande-Bretagne conserve donc une position particulière a bien des égards, même si elle a fortement évolué vis-à -vis du continent depuis les années 60.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h40 | Comments (7) | TrackBack

21 mars 2007

Bis repetita en Somalie ?

Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour voir en Somalie des images déjà connues : suite à de violents affrontements dans la capitale qui ont éclaté ce matin et fait au moins 14 morts, des habitants ont brûlé et traîné des cadavres de soldats pro-gouvernementaux, sur le modèle des cadavres américains en 1993. L'événement s'est produit suite à une attaque d'un bâtiment abritant des soldats éthiopiens, qui a donné lieu à une fusillade dans laquelle des non combattants semblent avoir été pris pour cibles. Avec pour conséquence des réactions assez claires d'une partie de la population :

Hundreds of angry civilians celebrated in the Baruwa neighbourhood as they burned the bodies of two of the dead soldiers.
The crowd shouted: "You and Ethiopians will die", " Down, Down with Somali troops", and "We will burn you alive".
Nearby, a woman carrying a machete shouted obscenities against Ethiopian and Somali troops while stepping on the body of another dead soldier being dragged by a rope tied to his foot, an AFP correspondent said.

Naturellement, la similitude des images et des comportements avec la situation de 1993 ne signifie en rien une même évolution, dans la mesure où les enjeux, les symboles et les acteurs étatiques sont autres. Traîner les corps de soldats américains dans les rues de Mogadiscio symbolisait la défaite du puissant et la victoire des milices ; faire de même avec des soldats somaliens, ou même éthiopiens, ne symbolise que la violence et la barbarie des conflits armés en Afrique. Pourtant, un tel accrochage et ses conséquences en termes de comportements et de perceptions montre bien la faiblesse des armées nationales - ou prétendant l'être - face à des groupes armés utilisant les voies asymétriques de la guérilla, du terrorisme, ou même de la manipulation médiatique.

A terme, cette faiblesse récurrente des combattants réguliers, agissant ouvertement et censés rendre des comptes, face aux combattants irréguliers qui en sont l'inverse, est cependant un facteur que les États vont finir par admettre. En adoptant probablement comme réponse la sous-traitance, via des factions locales ou des sociétés militaires privées.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h26 | Comments (47) | TrackBack

20 mars 2007

La grande peur du vide

Si la nature a horreur du vide, la stratégie du siècle lui ressemble toujours plus. Pendant longtemps, les zones échappant au contrôle des États reconnus ne suscitaient guère d'inquiétude : elles étaient si lointaines qu'on les ignorait largement, et leurs effets restaient le plus souvent locaux ou régionaux. La structure archaïque des sociétés pré-nationales, articulées autour de la famille ou du clan, était une source de curiosité ou de condescendance ; la corruption endémique, le commerce illégal ou la virulence religieuse n'y étaient perçus que comme un exotisme voué à l'extinction. Jusqu'à ce que le rapetissement de la planète, dû à l'essor des transports et télécommunications intercontinentaux, nous y confronte directement ; jusqu'à ce que nous en soyons inexorablement les voisins.

La suite ici, sur Mondes Francophones !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h15 | TrackBack

19 mars 2007

RMS : blindés, hypersécurité et ribbons

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dont la phase de développement s'est achevée la semaine dernière, 3 articles ont été mis en ligne ce week-end :

Par ailleurs, le blog collectif de la RMS a abordé récemment plusieurs thèmes :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 18h23 | Comments (21) | TrackBack

17 mars 2007

La ruée vers l'apaisement

Sidérante réaction en Europe : le nouveau gouvernement d'union palestinien vient à peine d'être investi par le parlement, avec ses ministres issus du groupe terroriste islamiste Hamas et leurs homologues "modérés" du Fatah, que déjà se précipitent les gestes d'apaisement. On commence donc par la Norvège :

"Sur la base de la plate-forme politique du nouveau gouvernement, la Norvège part du principe que les autorités palestiniennes vont respecter les normes internationales fondamentales concernant le respect des accords passés, la prise de distance avec la violence et la reconnaissance du droit d'Israël à exister", a affirmé samedi le chef de la diplomatie norvégienne.
M. Stoere a appelé la communauté internationale à coopérer avec les autorités palestiniennes.
"La Norvège appelle la communauté internationale a travailler de façon constructive avec les autorités palestiniennes. Nous appelons en particulier Israël à accueillir le gouvernement d'union de manière constructive", notamment en favorisant la liberté de mouvement pour la population palestinienne, a-t-il indiqué.

On se demande bien quelle urgence imposait de telles déclarations, et les aides financières qui vont probablement les accompagner. Car le Hamas, contrairement aux folles assertions de commentateurs européens, a réitéré encore tout récemment son refus de reconnaître l'État d'Israel :

"If anyone wishes to express reservations on the Mecca agreement, we respect that but at the same time we affirm that Hamas would never accept to be dealt with as if the movement is not rational and needs guidance from someone."
"Hamas has managed to withstand an unfair blockade for a year now. This blockade on Hamas could have been lifted if Hamas agreed to recognise the Zionist entity [Israel], but Hamas will never recognise Israel," he added.

Un gouvernement terroriste violant ouvertement les exigences de la communauté internationale pourra-t-il effectuer un prompt retour en grâce si se déclenche une ruée vers l'apaisement ? Et qu'espère la Norvège de ce soutien indirect à un belligérant ennemi d'un État légitime et membre des Nations Unies ? Sidérant, l'adjectif est faible...

Posted by Ludovic Monnerat at 23h25 | Comments (86) | TrackBack

16 mars 2007

Les armes d'hier pour demain

La dernière édition de l'hebdomadaire Defense News fait l'inventaire des 60 plus grands programmes d'armement en cours. Un aspect intéressant est la durée que prennent certaines acquisitions européennes pour commencer leur carrière opérationnelle, alors que leur conception remonte aux années 80, comme les avions de combat Eurofighter et Rafale, l'avion de transport A400M (les premiers pas ont été faits en 1982 !) ou le sous-marin nucléaire Astute. Cette durée s'explique parfois par la complexité des coopérations multinationales nécessaires, mais surtout par la réduction des budgets militaires, et donc l'étalement artificiel des programmes sur une période plus longue. Avec à la clef des questions sur l'adéquation de l'enveloppe opérationnelle obtenue par rapport aux besoins futurs, allant jusqu'à près d'un demi-siècle au-delà des premières esquisses.

De telles questions restent d'actualité. Etant donné que la durée de vie d'un système d'arme moderne est d'environ 30 ans (suivant naturellement les investissements prévus ou non pour sa prolongation) et qu'il faut au moins 10 ans entre le lancement d'un programme et l'entrée en service des systèmes acquis (ceci décrit assez bien le déroulement du programme F/A-18 en Suisse), la planification des acquisitions devrait en théorie reposer sur une appréciation prospective d'une portée allant jusqu'à 40 ans, et fournissant des réponses claires à une perspective de 20 ans. Dans la pratique, une prospective à 30 ans doit déjà beaucoup à l'imagination de ses auteurs, alors que les réflexions à moyen terme sont plutôt calibrées sur la prochaine décennie. Ce qui condamne les armées à être engagées demain avec les armes d'hier, conçues avant tout sur les leçons des conflits et des opérations d'avant-hier.

Il existe certaines solutions matérielles à ce dilemme. L'une d'entre elles consiste à renoncer aux grandes quantités qui inexorablement alourdissent et prolongent les programmes d'armements, malgré les économies d'échelles réalisées, et se concentrer sur l'acquisition progressive de prototypes évolutifs, ayant une compatibilité ascendante, et dont la production est directement liée aux leçons tirées de l'emploi des versions précédentes ; avec le risque d'une armée malgré tout à plusieurs vitesses. Une autre solution consiste à maintenir un vaste éventail de capacités différentes et complémentaires, afin que l'équlibre tactique remédie tant bien que mal au déséquilibre technique - ce qui a toujours été l'une des clefs du combat interarmes ; avec le risque que des capacités essentielles soient sacrifiées sur l'autel des économies à court terme.

Mais peut-être l'approche la plus prometteuse consisterait-elle d'abord à investir dans le personnel, dont la carrière militaire équivaut à souvent celle des systèmes d'armes les plus endurants, et qui peut encore moins se permettre de ne pas être à la page...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h04 | Comments (15) | TrackBack

15 mars 2007

La RMS fait peau neuve !

Comme annoncé depuis longtemps, le site Internet de la Revue Militaire Suisse a terminé son premier développement hier et arbore désormais la même maquette que le nouvelle version papier. Parmi les nouveaux éléments introduits, on notera également l'apparition d'un weblog collectif - premier embryon de "milblog" helvétique - et la reproduction des actualités, telles qu'elles figurent notamment à gauche de cette page.

Bonne lecture ! Et n'oubliez pas de soutenir cette démarche, si ce n'est pas déjà le cas ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 7h01 | Comments (4) | TrackBack

14 mars 2007

Le piège des identités nationales

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a déclenché une polémique en France en liant immigration et identité nationale, et en liant à la première l'altération de la seconde. Le président de l'UMP maintient son cap en la matière, même si ses supporters ont parfois des explications contorsionnées. L'identité nationale fait également débat en Hollande, où la double nationalité de ministres sert de prétexte à mettre en doute leur loyauté, et où le public soutient ce regard critique sur les personnalités issues de l'immigration. On pourrait certainement trouver d'autres exemples ailleurs en Europe, mais il ne s'agit pas ici de faire un tour d'horizon.

Le lien entre identité nationale et immigration est tellement évident, puisque la nation évolue et se transforme au gré des générations qui se succèdent et des influences qu'elles subissent, que la polémique témoigne des tabous en la matière. Il est pourtant clair que même des immigrés réussissant leur intégration apportent avec eux un référentiel différent, et que le cumul de ces différences aboutit progressivement à modifier les critères par lesquels les gens se définissent et se différencient de leur voisin, c'est-à -dire construisent leur identité. Cette modification n'est d'ailleurs pas négative ou positive a priori, mais elle existe. Et lorsque l'immigration se conjugue à l'absence d'intégration, cette identité ne parvient pas à évoluer progressivement et devient une pierre d'achoppement, une différence insurmontable, un repoussoir plus qu'une attraction. De sorte qu'elle est dévalorisée et combattue par ceux qui la refusent faute de l'intégrer.

En revanche, il est dangereux d'en venir à juger les individus avant tout d'après ce qu'ils sont, et non en premier lieu d'après ce qu'ils font. Un jugement préventif de ce type, qui incidemment est celui qu'emploient les islamistes, aboutit forcément à un renforcement des altérités, et donc à une radicalisation des identités. Etre jugé sur son être et sur son paraître revient à n'avoir aucune chance, à être classé, discriminé, ou au minimum suspecté quoi que l'on fasse. C'est une manière de transformer toute différence identitaire en casus belli potentiel. Cela ne signifie pas que le profilage doit s'interdire de considérer des critères ethniques et religieux, comme le politiquement correct nous y enjoint irrationnellement ; cela signifie que fermer la porte à l'autre parce qu'il est différent lui enlève toute chance de nous ressembler, de s'assimiler, de nous rejoindre. Une injustice humaine, et surtout une absurdité stratégique.

C'est le piège des identités nationales que cette crispation isolationniste, que ce repli sur soi contraire au développement des nations. Il faut juger les uns et les autres d'après leurs actes, car ces derniers sont suffisamment parlants, et la disproportion flagrante de ressortissants étrangers dans les faits divers répugnants comme dans les statistiques criminelles montre bien, par exemple, un problème majeur auquel les différences identitaires ne sont pas étrangères (si j'ose dire). Mais il est complètement aberrant de juger ou de suspecter par avance les étrangers sur leur identité sans laisser à ceux-ci la moindre chance de s'intégrer, ce qui d'ailleurs passe également par une immigration contrôlée dans son ampleur comme dans ses modalités. A force de désigner automatiquement l'autre comme un ennemi potentiel, on crée des conditions très favorables à la concrétisation de cette crainte.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h35 | Comments (28) | TrackBack

13 mars 2007

Les homosexuels et l'armée

Une polémique a éclaté hier aux Etats-Unis sur la question de l'homosexualité dans les armées : le président des chefs d'états-majors interarmées, le général des Marines Peter Pace, a en effet déclaré que les homosexuels sont immoraux, qu'ils ne devaient pas être autorisés à servir s'ils déclarent leur homosexualité (la politique "Don't ask, don't tell") et que celle-ci est comparable à l'adultère dans l'immoralité. Des propos pour le moins carrés et inhabituels, que le militaire américain du plus haut rang a d'ailleurs dû corriger aujourd'hui par le biais d'un communiqué. Sans qu'il n'aborde, comme l'indique l'article mis en lien ci-dessus, le problème des licenciements pour cause d'homosexualité (plus de 10'000 soldats, dont des spécialistes de première valeur) alors que les forces armées américaines cherchent à augmenter en personnel.

Cette condamnation très puritaine des homosexuels est assez exceptionnelle au sein des armées occidentales, et reste une particularité américaine : généralement, l'orientation sexuelle des soldats est une affaire privée, et à l'exception des unités chargées des missions les plus difficiles, il est rare qu'elle soit un critère déterminant. C'est à plus forte raison le cas dans les armées de conscription, où les unités reflètent l'évolution des sociétés et manifestent dans leurs rangs - là encore, à quelques exceptions près - les tendances qui caractérisent les citoyens lambda. Il n'y a guère que dans des unités imposant une sélection drastique que l'homosexualité est officieusement bannie et officiellement déconseillée, en expliquant que l'on ne mélange pas "les serviettes et les torchons" ; la Légion étrangère française en est un exemple. La mixité des sexes n'y est d'ailleurs pas bienvenue.

Une telle réalité éclaire mieux la problématique. A l'origine, dans les armées masculines dévolues à la guerre classique, l'homosexualité était en contradiction avec les valeurs et la camaraderie viriles qui participaient à la cohésion des groupes. L'homosexuel introduit nécessairement des interrogations, des doutes, qui nuisent à celle-ci. Mais avec la féminisation des armées et l'évolution des opérations militaires, dans lesquelles les combats de haute intensité sont le plus souvent de brève durée, par opposition à des stabilisations presque interminables, les choses ont bien changé. La présence des femmes introduit à une tout autre dimension ces interrogations et ces doutes, qui peuvent effectivement nuire à la cohésion. En même temps, la place croissante accordée à la sphère privée et la sédentarisation des unités ont diminué les tensions potentielles.

Il en découle que la discrimination par l'orientation sexuelle est une chose périmée, et que les remarques fondées sur la morale individuelle sont contre-productives dès lors qu'elles réduisent l'efficacité de l'institution militaire. A l'exception des unités les plus performantes, où le succès repose sur un petit nombre d'hommes - et d'hommes seulement - soudés comme les doigts d'une main, les hommes et les femmes, homos et hétéros, ont leur place dans les rangs. A condition naturellement de ne pas perturber la marche du service par leur orientation sexuelle, quelle qu'elle soit, de pleinement s'intégrer aux groupes dans lesquels ils sont engagés, et d'avoir une conduite personnelle basée sur une éthique militaire irréprochable. De toute manière, même les armées de métier sont condamnées à une telle ouverture par leurs besoins qualitatifs...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h18 | Comments (17) | TrackBack

12 mars 2007

L'indépendance et la défense

En Suisse comme dans nombre de pays européens, les budgets militaires ont été nettement comprimés depuis 15 ans, malgré une stabilisation généralisée depuis le 11 septembre 2001. Souvent, les économies faites sur le dos des armées ont servi à compenser des dépenses croissantes dans des domaines sociaux ou financiers (remboursement de la dette). De plus, comme l'a dit par exemple la Ministre française de la défense en visant son collègue des finances, les dépenses de défense ont tendance à être considérées comme des investissements inutiles, et sont régulièrement mis en opposition à des activités proches des populations (Education nationale contre Défense nationale selon Ségolène Royal). On notera d'ailleurs que le maintien des investissements militaires en France constitue largement une exception sur le continent.

Dans le monde, toutefois, les puissances majeures ont un comportement différent vis-à -vis des dépenses militaires. Avec bien sûr en premier lieu les Etats-Unis, dont le budget des armées connaît une croissance constante et augmentera de 62% entre 2001 et 2008, sans même prendre en compte les dépenses liées aux guerres en cours. Il faut également citer la Chine, dont le budget 2007 annonce encore une fois une augmentation substantielle (17.8%) et qui désormais est le deuxième au monde (malgré les incertitudes à son sujet), l'Inde, qui prévoit une augmentation de 7% cette année (d'après l'édition du 5 mars de Defense News) après une croissance rapide, mais aussi la Russie, qui compte augmenter de 27% ses dépenses militaires cette année et qui a multiplié par 4 son budget - certes anémique - depuis 2001.

Comment expliquer une approche pareillement opposée ? L'objet de ce billet n'est pas d'aborder le pourcentage des budgets des armées nationales par rapport au PIB, même si un tel indice est révélateur, mais bien de se pencher sur les perceptions très différentes des investissements militaires. Il faut d'abord relever que l'augmentation de ces investissements est souvent le signe d'une politique volontariste, d'un pouvoir exécutif fort, d'une volonté de puissance. D'un autre côté, la perception des risques et dangers joue bien entendu un rôle considérable dans l'évolution des budgets, dans la décision de réarmer ou de désarmer. Enfin, la présence d'une industrie de défense capable d'influencer les décisions politiques a également un impact important. Et comme l'Europe ne répond pas à ces 3 critères, à quelques exceptions près (volontarisme et lobbying en France, menace perçue en Grèce, etc.), ceci explique mieux de telles différences.

Mais par dessus tout, c'est la notion d'indépendance et l'importance qu'on lui accorde qui jouent un rôle essentiel. Les Etats qui savent ne pouvoir compter sur personne d'autre en cas de menace grave ont naturellement tendance à considérer différemment leur défense ; à l'inverse, les Etats faisant partie d'une alliance censée garantir celle-ci seront toujours davantage tentés de limiter leurs investissements en comptant sur la coopération internationale. C'est d'ailleurs ainsi que la stratégie tentaculaire des Etats-Unis, illustrée par l'Alliance atlantique comme par une myriade d'accords de défense bilatéraux, vise à s'assurer la dépendance d'Etats partenaires en leur autorisant des économies en matière de défense. De toute manière, les Etats désireux de s'affranchir d'une telle tutelle doivent encore avoir les moyens d'investir fortement dans la défense, ce qu'une politique non libérale - et marquée par l'anti-américanisme - ne permet guère. Du coup, leurs outils militaires restent incapables de fonctionner sans appui extérieur...

L'indépendance nationale est donc le fruit principal des investissements militaires. Une vérité ancienne à méditer en Suisse, où l'on a tendance à croire que le fait d'être entouré par l'UE et par l'OTAN contribue très largement à notre sécurité.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h15 | Comments (9) | TrackBack

11 mars 2007

Le temps des menaces

En prolongation directe du billet précédent, cette dépêche d'agence révèle que des menaces ont été proférées dans une vidéo sur un site Internet islamiste, apparemment par l'organe de communication d'Al-Qaïda, contre l'Allemagne et l'Autriche pour leur présence militaire en Afghanistan. De telles menaces sont naturellement toujours difficiles à authentifier, dans la mesure où leur existence compte bien davantage que leur fondement. Mais il est assez révélateur de constater qu'un pays neutre comme l'Autriche, qui se contente de déployer quelques officiers en Afghanistan - généralement en appui du contingent allemand - est inclus dans une menace explicite :

"Austria has always been one of the most safe countries in Europe, depending on tourism both in summer and winter," the unidentified speaker said. "But if it doesn't withdraw its troops from Afghanistan, it may be among targeted nations."

Il est tentant de considérer cela comme des propos abstraits et anodins, d'imaginer qu'un groupuscule insignifiant se cache derrière cette vidéo et donne une impression fallacieuse. C'est ainsi que réagissent la plupart des services confrontés à une nouveauté qui reste potentielle. Mais en prenant une perspective stratégique, il est intéressant de constater que de petits Etats sont désormais directement ciblés par des opérations d'information dont les contours doivent être cernés. A qui s'adressent ces menaces ? Aux autorités autrichiennes, qui ne peuvent décemment prendre au sérieux des propos tellement étrangers à leurs intérêts et à leurs priorités ? Ou à la frange musulmane de la population autrichienne, en s'assurant le concours des médias nationaux pour porter indirectement un message de résistance, et donc un appel à la lutte passant par la communautarisation ?

On rappellera bien entendu que la Suisse maintient depuis plusieurs années jusqu'à 4 officiers en Afghanistan, notamment en appui du contingent allemand au sein de l'ISAF. Est-ce que cela va nous valoir bientôt des menaces spécifiquement dirigées contre notre pays ? Le cas échéant, comment allons-nous y réagir, notamment si ces menaces donnent l'impression d'être mises à exécution ? Voilà qui aurait le mérite de poser sur la place publique le sens de notre engagement militaire en Afghanistan, dans un pays où la communauté internationale a été peu à peu amenée à combattre le fondamentalisme musulman, et donc de discuter la place que nous comptons donner à une telle lutte dans notre politique de sécurité, en tenant compte de l'interconnexion des champs de bataille à laquelle la technologie nous condamne.

Dans ce cas, un autre aspect devrait être abordé : le danger que pose pour les islamistes la présence de troupes occidentales et modernisatrices en terre musulmane, et les tentatives pour construire des Etats largement soustraits à la coupe théocratique. Ce qui expliquerait très largement les menaces aujourd'hui diffusées...

COMPLEMENT (12.3 0830) : Dans la même ligne que ce billet, je conseille la lecture de cette analyse.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h10 | Comments (38) | TrackBack

10 mars 2007

Afghanistan : sur la corde raide

L'Europe poursuit le renforcement de ses moyens militaires en Afghanistan : la décision controversée du Bundestag d'envoyer 6 avions dits de reconnaissance - mais également d'attaque au sol - Tornado fera passer cet été le contingent allemand de l'ISAF à 3500 soldats. D'après une analyse faite par mes soins pour la Revue Militaire Suisse et à paraître bientôt, le volume des troupes étrangères en Afghanistan va dépasser 55'000 soldats cet été, dont 27'000 Américains et 23'000 Européens. Outre l'Allemagne, ce sont également la Grande-Bretagne, la Bulgarie, le Danemark, la Norvège et la Pologne qui vont procéder à des déploiements significatifs. Tous ces contingents ne seront pas affectés à des tâches combattantes, mais tous partageront le sort de la communauté internationale quant au résultat de ses efforts en Afghanistan.

Les enquêtes d'opinion effectuées en Afghanistan montrent une population remarquablement positive à son endroit : d'après ces chiffres, 80% des Afghans soutiennent la présence militaire de l'OTAN et des troupes sous commandement américain (la distinction étant toujours plus artificielle, et probablement pas faite par les gens sur place). Mais la population européenne a une opinion largement inverse : 69% des Allemands sont opposés à la participation à l'ISAF, 62% des Italiens, 80% des Polonais ou encore 47% des Espagnols (je n'ai pas trouvé de chiffres en ligne pour la France et la Grande-Bretagne, mais je suis preneur ; parallèlement, 49% des Canadiens veulent un retrait immédiat). Augmenter les déploiements militaires en l'absence d'un véritable soutien politique revient vraiment à marcher sur la corde raide.

L'Afghanistan, je l'ai écrit ici, a été souvent présenté comme une opération militaire juste et logique, par opposition à l'Irak. Que les populations s'en détournent montrent peut-être l'effet pervers d'une argumentation fausse, à laquelle les ennemis de l'Europe d'ailleurs n'ont jamais souscrit.

COMPLEMENT (20.3 2215) : Un sondage fait spécifiquement au sud du pays montre des chiffres très différents concernant le soutien du public, qui a considérablement diminué. Une information inquiétante pour l'OTAN...

Posted by Ludovic Monnerat at 15h29 | Comments (12) | TrackBack

9 mars 2007

Le bilan (partiel) de février

Partiel, parce que pour des raisons qui m'échappent totalement, le logiciel fournissant les statistiques mensuelles a curieusement disjoncté ces dernières semaines. J'ai eu beau attendre et espérer quelques jours de plus, impossible d'en tirer quoi que ce soit. Pourtant, les débats plutôt nourris du mois de février méritent bien des remerciements de ma part, à tous ceux qui lisent et enrichissent ce site.

Qu'à cela ne tienne, voici tout de même quelques commentaires à plusieurs entrées grâce auxquelles les moteurs de recherche ont envoyé par ici des visiteurs le plus souvent fort honorables, et parfois un peu bizarres :


Bref, merci à tout le monde !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h24 | TrackBack

8 mars 2007

L'étape de développement 08/11 franchit une étape

L'optimisation de l'Armée XXI reprend sa marche en avant : après le vote positif du Conseil des Etats, c'est une version légèrement revue de l'étape de développement 08/11 qui est discutée au Parlement. Une victoire pour Samuel Schmid, mais obtenue au prix d'un marchandage politique dont l'armée de demain fait les frais.

La suite peut être lue ici, sur le site de la Revue Militaire Suisse !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h50 | Comments (3) | TrackBack

7 mars 2007

Une stabilisation façon tiers-monde

Le contingent ougandais qui se déploie actuellement à Mogadiscio a vu sa mission commencer sous d'inquiétants d'augures, puisque son échelon avancé a été accueilli à sa descente d'avion, hier, par des tirs de mortiers - 8 obus dont seuls 2 ont touché l'aéroport, mais qui ont suffi à troubler l'ordonnancement de la cérémonie prévue pour l'occasion. Par ailleurs, les appels à la lutte armée contre les forces censées stabiliser la capitale somalienne, voire le pays tout entier, n'ont guère tardé à être lancés. Comme toujours, il ne faut guère d'efforts immenses pour entraver l'ordre visible, alors qu'empêcher le chaos est à peu près impossible en l'absence d'un consensus solide. Mais cela ne suffit pas à condamner par avance à l'échec les tentatives de stabilisation menées par l'Union Africaine, dans un pays où les Nations Unies comme les Etats-Unis ont subi un échec magistral.

L'engagement militaire de la communauté internationale en Somalie, entre 1992 et 1994, a laissé des traces. On se rappelle qu'il a été précipité par les images dramatiques d'une population menacée par la famine et par les bandes armées ; après l'intervention massive des Marines, le transfert d'autorité au profit d'un contingent onusien s'est fait parallèlement à l'essor d'une insurrection sans cesse plus meurtrière, culminant avec le massacre de 24 soldats pakistanais. Le déploiement subséquent d'une task force de forces spéciales sous commandement américain, visant à l'élimination du « général » Aïdid, aboutira à l'opération décrite par Mark Bowden dans son livre « Black Hawk Down » (et sommairement portée au cinéma), au choc produit par l'image de cadavres américains traînés dans les rues suite à une action « humanitaire », et au retrait de toutes les forces étrangères.

L'intervention éthiopienne a précipité leur retour sur sol somalien. Est-ce que cette nouvelle intervention s'achèvera comme la première, malgré l'évolution des enjeux au niveau planétaire ? Il est clair que les contingents africains ont une efficacité opérationnelle nettement inférieure à celle de contingents occidentaux, et que leurs penchants connus pour la corruption, pour le chantage ou pour l'usage abusif de la force n'inspirent guère confiance. Pourtant, si la troupe conserve sa cohésion face aux attaques et aux attentats, ses capacités militaires inférieures compteront bien moins qu'une volonté politique supérieure, c'est-à -dire qu'une aptitude à supporter les pertes et à autoriser le niveau de force nécessaire à la réussite de la mission. Et un appui extérieur limité (forces spéciales, renseignement) ou ponctuel (frappes aériennes) pourrait doper cette cohésion.

Les armées du Tiers-Monde ont en Somalie une véritable chance de prouver leur utilité : à la différence de leurs échecs passés, notamment en Afrique subsaharienne, elles ne seront pas confrontées à l'indifférence vaguement méprisante de la communauté internationale, mais agiront au contraire dans l'intérêt de celle-ci - et notamment dans l'intérêt évident des Etats-Unis, satisfaits de voir des troupes supplémentaires se frotter aux djihadistes tout en poursuivant leurs propres objectifs. Il faut juste espérer que des exigences morales insurmontables ne leur seront pas imposées comme une entrave, et qu'elles ne seront pas aussi prédatrices que les bandes armées s'opposant à leur présence. Ainsi pourra se renforcer cette future coalition des Etats luttant conjointement pour leur survie en tant qu'entités politiques et expressions sociétales, et pour lesquels la légitimité est la devise du succès.

COMPLEMENT (8.3 1000) : Le soutien américain public prendra la forme d'un appui logistique fourni par une société militaire privée. Une manière de réduire drastiquement les risques politiques tout en s'engageant dans la campagne...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h23 | Comments (9) | TrackBack

6 mars 2007

Face à mes crimes inexpiables

Aujourd'hui, j'ai commis un délit ignoble - que dis-je, un crime inexpiable : j'ai acheté une barquette de prunes venant d'Afrique du Sud. Circonstance aggravante : j'ai également acquis des oranges d'Espagne, et j'ai failli prendre des fraises d'Italie et des tomates du Maroc. Tout cela en quelques minutes, dans un banal commerce helvétique. Rendez-vous compte, des prunes et des oranges en hiver, venues de si loin ! Et ne croyez pas que ce ne sont pas vos oignons, si j'ose écrire : dorénavant le panier de la ménagère est jugé sous l'angle écologique, avec le nombre de kilogrammes de CO2 produits pour acheminer ces produits ! Encore heureux que j'ai fait mes courses à pied : l'emploi d'une voiture m'aurait encore valu des accusations supplémentaires !

Ce n'est hélas pas tout, je dois encore battre ma coulpe pour un autre crime : j'ai également pris 2 billets d'avion pour l'ouest de la France, afin d'y faire un séjour dans quelques semaines. Comment ai-je pu égoïstement songer à voyager aussi vite que possible, au lieu de réduire en premier lieu les émissions de CO2 et de placer la nature devant mes misérables aspirations à revoir des gens que j'aime - euh, je veux dire, de misérables pollueurs ? De nos jours, le transport aérien à des fins de loisirs est en passe d'être proscrit, ou du moins sévèrement blâmé, et il vaut mieux rester chez soi pour prendre quelques jours de repos. Même le train n'est pas acceptable : avec tous ces TGV qui roulent à l'électricité nucléaire, c'est bien notre planète que l'on condamne un peu plus à chaque kilomètre.

A défaut de les expier, comment pourrai-je compenser mes fautes ? Payer pour ma production en gaz carbonique, après avoir calculé celle-ci, comme le Très Saint Al Gore ? Me convertir à l'Agenda 21 et prêcher le développement durable pour nous autres pécheurs ? Planter un arbre à chaque jour de mon insignifiante existence, m'engager résolument au service de la décroissance, ériger une statue à la gloire du Traité de Kyoto, prôner l'abandon de toute énergie non renouvelable, réduire mes propres émissions de CO2 en cessant de parler, réduire le trafic automobile en crevant les pneus des voitures, planifier le sabotage des centrales à gaz acceptées par notre inconscient Parlement ?

A moins de conserver ma conviction que l'homme importe davantage que la nature, même si les deux sont indissociables, et que le processus consistant à transformer des modèles scientifiques en dogmes politiques, puis en mode de vie coercitifs, relève d'une vaste escroquerie intellectuelle...

A part ça, ces prunes d'Afrique du Sud sont excellentes : goûteuses, tendres et juteuses à souhait.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h34 | Comments (53) | TrackBack

5 mars 2007

RMS : nouveaux articles

Sur le nouveau site de la Revue Militaire Suisse, dont la phase de développement initiale s'achèvera dans quelques jours, 3 articles ont été mis en ligne aujourd'hui :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h49 | Comments (6) | TrackBack

4 mars 2007

Blogs : l'exemple de l'enquêteur bénévole

On le sait, on l'a lu fréquemment, les blogs sont régulièrement décriés par les médias traditionnels, qui avancent leur formation, leur déontologie et leur professionnalisme pour se démarquer des amateurs "en pyjama" devant leur ordinateur personnel. Un exemple actuel montre cependant à la fois la complémentarité et la différence des blogs, notamment dans leur aptitude à exploiter le volume incomparablement supérieur d'informations disponibles via Internet.

Un fait divers survenu cette semaine en Belgique n'a pas autrement retenu l'attention de nos médias : une mère de famille de 40 ans a égorgé ses 5 enfants, âgés de 3 à 14 ans, avant de tenter en vain de se donner la mort. Reprenant les informations données par les médias belges, nos médias n'ont guère approfondi l'affaire et en sont restés à la narration résumée d'un crime inexplicable. Il faudra lire un blog spécialisé dans les questions islamiques pour avoir un tour d'horizon plus complet sur l'affaire, et notamment apprendre des éléments instructifs simplement en consultant la presse internationale, qui n'a pas succombé à l'apparente autocensure de la presse belge. Et l'auteur de conclure :

"...dans cette affaire atroce, je ne peux m'empêcher de remarquer combien la presse écrite de mon pays évite délibérément certains sujets, certaines hypothèses "dérangeantes" pour le politiquement correct."

Ainsi le blog, en offrant à chacun la possibilité de rechercher l'information disponible et de mettre rapidement en ligne les fruits de cette recherche, voire une analyse succincte, joue-t-il un rôle déterminant en matière d'investigation, puisque les médias traditionnels ont largement abandonné celle-ci pour des raisons aussi bien économiques qu'idéologiques.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h13 | Comments (13) | TrackBack

3 mars 2007

Les petites invasions de la Suisse

Puisque l'on m'en a prié çà et , il fallait bien que je sorte de ma réserve et que je me prononce sur la scandaleuse attaque préventive de la Suisse au Liechtenstein - euh, je veux dire, sur la mésaventure d'une compagnie de recrues lors d'une marche par visibilité réduite. J'imagine que le commandant d'unité en question doit être plutôt dans ses petits souliers et que ses jeunes subordonnés rigolent bien dans son dos, ou même ouvertement. Mais une telle erreur est assez fréquente, à force d'avoir des places d'armes situées à proximité des frontières, et des incursions discrètes en France (la place d'armes de Bure longe par endroits la frontière) ou des débarquements de troupes en gare de Domodossola (passer par le Simplon pour aller au Tessin est rapide, mais a le défaut mineur d'emprunter le sol italien) se produisent régulièrement. Sans nécessairement faire l'objet d'une information à la hiérarchie militaire, et donc aux médias...

Evidemment, la chose est plus cocasse par rapport à un petit Etat non armé comme le Liechtenstein. On pourrait imaginer les Suisses, échaudés par la concurrence financière de Vaduz, par l'emploi sans vergogne du franc et des timbres suisses, ou par les succès scandaleux des skieurs liechtensteinois, décider d'y provoquer un changement de régime afin de mettre un terme à la spéculation massive que pratique l'autocratie au pouvoir. Et transformer la principauté en un 27e canton helvétique, avec votation populaire à l'appui. Evidemment, il faudrait dans ce cas essuyer les foudres de la communauté internationale, des condamnations à la chaîne, des sanctions financières, un blocus militaire, voire une opération "MOUNTAIN STORM" qui viendrait libérer les Liechtensteinois du joug helvétique, sans pour autant oser aller jusqu'à Bag... euh, jusqu'à Berne. Au fait, le choix du Conseil fédéral de construire de nouvelles centrales nucléaires ne cache-t-il pas un programme militaire ?

Bon, je ne suis pas sûr que la Suisse doive en venir à de telles extrémités avec le Liechtenstein pour se faire respecter. Puisque l'on a cramé 120 hectares de forêt dans leur pays avec de bêtes tirs de lance-roquettes voici plus de 20 ans, on devrait pouvoir sans autre susciter la crainte respectueuse de nos petits voisins pendant quelques décennies avec toutes nos réformes militaires ! :-)

Posted by Ludovic Monnerat at 18h00 | Comments (12) | TrackBack

2 mars 2007

La future coalition des Etats

En 2005, le monde comptait 32 conflits armés ayant fait au moins 1000 victimes. Aucun de ces conflits n'opposait directement 2 Etats l'un à l'autre, même si plusieurs d'entre eux voyaient un affrontement à distance entre Etats, par "proxy" interposés, et la plupart voyaient des acteurs non étatiques jouer un rôle déterminant. Comme l'écrivait voici 10 ans déjà le général de la Maisonneuve dans La Violence qui vient, les Etats ne sont plus les maîtres de la guerre, et leur capacité de maintenir à la fois l'ordre et la paix (deux terme de plus en plus proches) est en durablement affectée. Cette perte de pouvoir devrait logiquement être une source majeure d'inquiétude, et sa préservation une priorité stratégique.

Pourtant, les opérations militaires coercitives lancées depuis la fin de la guerre froide par la communauté internationale ont souvent été dirigées contre des Etats pour bénéficier directement à des non-Etats ; c'est notamment le cas de la guerre du Kosovo et de la guerre en Irak, qui ont tous deux abouti à davantage de démocratie dans les Etats pris pour cible, mais également davantage d'instabilité, de corruption, de criminalité, et finalement de chaos. Si la Serbie affaiblie est en train de remonter la pente, grâce à une conscience nationale intacte, il n'en va pas de même en Irak, où la faiblesse de l'identité nationale et les divisions sociétales fondent une grande partie des violences. Un tel chaos est naturellement décourageant pour les puissances internationales qui tentent de créer un ordre nouveau et juste, mais il est surtout effrayant pour les pays voisins, qui en redoutent la contagion. Seule l'hégémonie d'une puissance ennemie est encore plus effrayante.

Naturellement, la stabilité à tout prix est dans la plupart des cas pire que l'instabilité, puisqu'elle aboutit à exporter la violence qui ne peut s'exprimer à l'intérieur de l'Etat concerné ; de plus, la stabilité d'un Etat éminemment dangereux n'est pas un objectif souhaitable. C'est la raison pour laquelle la destruction de la dictature baasiste en Irak, soutien massif du terrorisme palestinien et arabe, et la déstabilisation de la théocratie khomeiniste en Iran, ont été retenues comme options stratégiques par les Etats-Unis. Cependant, l'extension du chaos à outrance revient à ouvrir un gouffre capable d'engloutir des régions entières, et l'action des Etats se dirige de plus en plus vers la préservation de l'autorité étatique, à travers la construction de nation, chère à la rhétorique onusienne et parée de vertus toutes théoriques, mais aussi à travers le renforcement de nation (expression que j'introduis par opposition).

Ce communiqué issu des Forces armées américaines et décrivant l'action du Commandement des opérations spéciales montre bien en quoi consiste ce renforcement : afin d'éviter la formation de vides stratégiques qui peuvent rendre nécessaires des actions d'interdiction aussi coûteuses et incertaines que l'opération coalisée en Afghanistan, il s'agit de renforcer les capacités sécuritaires et l'assise économique d'Etats fragiles par l'envoi de ressources limitées mais ciblées, afin d'influencer l'action de ces Etats dans le sens des intérêts américains et d'augmenter leur dépendance, c'est-à -dire leur docilité. La récente offensive éthiopienne en Somalie montre la multiplication de forces qu'autorise une telle stratégie. Une application exemplaire de la "puissance douce".

Je pense donc que ces coalitions discrètes et permanentes, formelles ou non, vont se multiplier à l'avenir. L'extension stupéfiante de l'OTAN va d'ailleurs dans un tel sens. Les Etats ont suffisamment pris conscience de leur vulnérabilité pour se rapprocher, pour se liguer contre les non-Etats, pour préserver leur légitimité à travers l'ordre, la stabilité et la prospérité. Il n'y a de toute manière rien de tel que la concurrence d'autres structures politiques et sociétales pour amener une évolution significative dans l'assise et le fonctionnement des Etats-nations actuels. Le déclin inévitable de ceux-ci appelle donc une transformation à même de renouveler leurs capacités, leur volonté et leur légitimité. Pas sûr cependant que la liberté et la justice y gagnent, notamment à court terme...

Posted by Ludovic Monnerat at 21h51 | Comments (23) | TrackBack

1 mars 2007

Bosnie : 11 ans de stabilisation

Les pays membres de l'Union européenne ont donc décidé cette semaine de réduire le volume de la force multinationale en Bosnie de 6000 à 2500 soldats, en raison de l'amélioration des conditions sur place. Certains pays, comme la Grande-Bretagne, ont naturellement un besoin impérieux de troupes pour d'autres missions de stabilisation. Il n'en demeure pas moins que 11 ans après le déploiement complet de la Peace Implementation Force (IFOR) et ses 60'000 militaires sous commandement de l'OTAN, dont 10'000 issus de pays non membres, la mission en Bosnie semble près de son terme. Elle représente certainement un succès sur le plan militaire.

Néanmoins, le temps nécessaire pour stabiliser un pays déjà épuisé par une guerre qui a fait environ 100'000 morts selon les recherches les plus récentes est un indicateur instructif. Surtout pour des missions de stabilisation déclenchées dans la foulée d'une intervention militaire accomplie sans l'accord du pays hôte. Le cas du Kosovo est à cet égard éclairant : l'expulsion des forces militaires, paramilitaires et policières serbes consécutive aux 78 jours de bombardements alliés a permis un nettoyage ethnique au ralenti qui, malgré le caractère immoral d'une telle action, réduit fortement les probabilités d'une nouveau conflit. Raison pour laquelle la KFOR, n'était-ce son incapacité à pleinement remplir sa mission, risquerait de maintenir la crise en croyant maintenir la paix - à force de confondre cessation des hostilités ouvertes et règlement des divergences d'intérêt.

Pourtant, le fait que les principaux criminels de guerres bosno-serbes soient toujours en liberté (alors que Slobodan Milosevic a fini ses jours en prison) et la persistance de mouvements ultranationalistes montre que rien n'est entièrement acquis, et que le succès militaire attend encore d'être transformé en succès politique, économique et sociétal. Ainsi, à ces 11 années de présence militaire visible et dissuasive vont s'ajouter des années de pressions diplomatiques, d'aides financières et d'initiatives éducatives pour gérer la phase post-conflit et empêche un basculement vers une situation pré-conflit. Le retrait des contingents de l'EUFOR annonce la fin du début et non le début de la fin, de sorte qu'il n'est pas faux de considérer qu'un effort soutenu pendant une génération est et sera nécessaire pour franchir les 3 étapes de l'action internationale : intervention, stabilisation et normalisation.

De nos jours, les souvenirs du conflit bosniaque, entre les massacres à la chaîne et les snipers terrorisant Sarajevo, commencent à perdre en force. Un clou chasse l'autre, et les guerres avivées ou révélées par les attentats du 11 septembre 2001 ont largement changé le référentiel. Toutefois, cette perspective générationnelle et transversale est bien celle qu'il faut adopter en considérant les points chauds du globe, les conflits qui s'y déroulent, ainsi que les raisons qui nous poussent à agir ou à ne rien faire.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h50 | Comments (27) | TrackBack