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18 décembre 2006

Une étude très politisée

Le criminologue Martin Killias fait de nouveau parler de lui, et de façon fracassante : en annonçant les résultats partiels d'une nouvelle étude, il met en accusation les armes de service détenues à domicile par les citoyens-soldats de ce pays et affirme qu'elles sont la cause de 300 morts par année. Malheureusement, il ne sera pas possible aux personnes intéressées par le sujet de connaître la méthodologie employée pour cette étude, ni ses résultats précis, ni encore ses objectifs exacts. Encore que cette annonce, survenue quelques jours avant le débat au Conseil national consacré à la Loi sur les armes (et notamment la question des armes de service à domicile), réponde à une visée politique assez évidente.

L'engagement de certains scientifiques au service d'une cause politique ou idéologique n'est pas chose nouvelle : on se souvient de la fameuse étude publiée par le revue médicale The Lancet et annonçant, quelques jours avant les dernières élections présidentielles américaines, des pertes immenses dans la population civile irakienne ; l'intention politique de l'auteur n'était alors pas dissimulée. Avec Martin Killias, on se situe dans une démarche proche : les recommandations que le professeur se permet de faire entrent en effet dans le cadre d'un débat politique, alors même que toute recherche scientifique doit faire l'objet de contrôles et de vérifications pour être validée. Et comme cela n'est pour l'heure pas possible, chacun reste sur ses opinions, accueillant les propos de Killias comme une preuve irréfutable, une supercherie supplémentaire ou quelque chose entre les deux.

Ce qui est certain, c'est que la perspective adoptée pour juger la question des armes à domicile - les homicides et suicides qui les ont impliquées - est totalement insuffisante : la tradition qui est aujourd'hui attaquée reposait en effet sur une réflexion stratégique, soit l'aptitude à prendre rapidement les armes et à combattre avant même le processus de mobilisation achevé, au service de la défense traditionnelle du pays. C'est une autre réflexion stratégique qui doit aujourd'hui être menée, loin des études sectorielles de Martin Killias et des ressorts émotionnels, comme ceux illustrés par l'affaire Rey-Bellet : avons-nous besoin d'une défense - ou d'une sécurité - potentiellement assurée par la majorité des mâles en âge de servir ? Est-ce que la protection de l'intégrité et de l'indépendance nationales passent toujours par le citoyen ? Autant dire qu'une réforme de la politique de sécurité est la seule manière de répondre à de telles questions.

Encore une chose sur les recherches de Martin Killias : curieusement, on n'entend jamais parler dans ses déclarations des effets positifs que pourraient avoir des armes entreposées à domicile, par exemple dans la prévention de la criminalité. Est-ce qu'une démarche vraiment scientifique ne devrait pas aborder tous les aspects d'une question ? Voilà qui en dit également long sur la rigueur intellectuelle de sa démarche...

Publié par Ludovic Monnerat le 18 décembre 2006 à 10:08

Commentaires

« Curieusement, on n'entend jamais parler dans ses déclarations des effets positifs que pourraient avoir des armes entreposées à domicile, par exemple dans la prévention de la criminalité. » (LM)

Voilà une question intéressante. Toutefois, en raison de sa nature, il est certainement plus difficile de mesurer un quelconque effet préventif. Cette question soulève d'autre part plusieurs questions :

1. Si l'on parle d'effet préventif, cela implique que l'arme en question (et la munition correspondante) soit rapidement à disposition. Cet élément peut, au sein des familles, présenter un certain danger. Car l'état de préparation de l'arme ne doit cependant pas équivaloir à une disponibilité de cette dernière. Dans les faits, de nombreuses connaissances entreposent leur arme au fin fond de leur cave et ne savent généralement pas ou se trouve leur munition de poche.

2. Je me demande s'il faut laisser à disposition les armes de chaque soldat, ou uniquement à ceux qui le désireraient et qui, par conséquent s'engageraient à respecter certaines règles (civiles) d'utilisation. Cette possibilité pourrait peut-être être couplée avec un test/examen. Cela éviterait notamment que certaines armes soient entreposées sans soin n'importe où!

Publié par Alex le 18 décembre 2006 à 13:03

A Alex :

Pour le point 1, je crois qu'il faut également prendre en compte l'aspect subjectif de l'incertitude. Si la plupart des citoyens-soldats entreposent leur arme (avec munition) sans être en mesure de l'engager rapidement, nul n'est a priori censé le savoir. Il faudrait faire un sondage parmi les criminels... :-)

Pour le point 2, je pense que l'obligation de servir et celle de garder son arme à domicile vont très largement de pair. En tout cas, comme commandant de corps de troupe, je concevrais assez mal de devoir prendre des mesures pour les soldats équipés de leur arme personnelle (le vocabulaire officiel était assez clair) et ceux qui ont décidé de la laisser à l'arsenal entre deux périodes de service...

Publié par Ludovic Monnerat le 18 décembre 2006 à 13:43

1. Pour autant que je sache, la question de la détention à la maison des armes de service n'est aucunement traitée dans le cadre de la loi sur les armes (larm), mais dans le cadre d'ordonnances liées à l'organisation de l'armée. Toujours pour autant que je sache, la discussion sur laquelle doit se pencher le Conseil national cette semaine a trait aux amendements nécessaires à la Larm en raison de l'adhésion de la Suisse à Schengen. Et si ma mémoire ne me trahit pas, la modification principale de la Larm porte sur la suppression de la possibilité d'un achat d'armes d'un individu à un autre en l'absence d'un permis d'acquisition délivré par une autorité cantonale (ce qui est possible à ce jour).

Si les chiffres de M. Killias me semble sujet à caution (comme vous le soulignez justement), pour autant que ma remarque ci-dessus soit pertinente, l'accusation de visée politique immédiate n'est donc pas si évidente.

2. En raison de l'obligation de séparer l'arme de service, la culasse et les munitions, son utilisation à une fin de prévention de la criminalité me paraît quelque peu spécieuse, ceci sans parler du fait que l'utilisation de l'arme de service à des fins d'auto-défense aménerait probablement son utilisateur devant la justice militaire. Et, toujours à ma connaissance, les bandits sont d'habitude assez malin pour apprendre, d'un Etat à l'autre, quelle est la probabilité de se retrouver nez-à -nez avec un homme armé en cas de cambriolage.

3. L'arme de service à la maison ne représente pas une tradition. C'est une mesure relativement récente, qui a été adoptée à un moment donné pour répondre à une menace précise (et lorsque la mission de l'armée était extrêment claire). Etant donné que nous ne faisons plus face à ce genre de menaces aujourd'hui (ie attaque conventionnelle à court terme), la discussion ne me paraît pas si illégitime que cela. Il appartient en partie au tenant du maintien de l'arme à la maison d'expliciter, au-delà de la simple question d'habitude, ce qui légitime le maintien du status quo. En d'autres termes, quelles sont les missions de l'armée aujourd'hui où à venir qui requièrent le maintien d'un tel système.

4. L'élément qui me fait pencher plutôt en faveur du maintien de l'arme de service à la maison a trait au symbolique, soit que les moyens de la violence ne soient pas concentrés dans les mains du pouvoir central, mais (en partie) dans les mains des citoyens. Mais, sur le long terme, le symbolique risque d'être un peu court.

Publié par ural le 18 décembre 2006 à 14:32

1. En effet...

2. Une possibilité plus ou moins identique existe pour les personnes effectuant un séjour à l'étranger. Sur le principe, je partage néanmoins votre point de vue. Toutefois, je ne comprends pas dans quelle mesure cette possibilité imposerait des contraintes aux commandants de corps de troupe.

Les avantages liés à cette solution : calmer les milieux opposés à la détention d'armes. Eviter la dégradation des armes conservées dans des conditions inadéquates. Soulagement pour les personnes peu à l'aise avec les armes. Responsabilité accrue pour ceux désirant conserver leur arme.

Inconvénients : coûts de l'entreposage. Signal donné aux opposants à la détention d'armes à domicile. Eventuellement complications pour ceux ne désirant pas conserver leur arme.

Publié par Alex le 18 décembre 2006 à 14:33

Sans penser qu'il s'agisse d'arme reçue de l'armée, je m'arrête sur ce chiffre de 300 morts par an par arme à feu en Suisse ? C'est beaucoup non ?
Effectivement, on serait en droit d'en savoir plus de la part de ce criminologue.

Publié par Juan_Rico le 18 décembre 2006 à 17:04

Petit rappel, ce chiffre de 300 n'a rien de nouveau, dès lors qu'il a toujours été dit qu'un suicidé sur quatre (~ 23 %) utilise une arme à feu et qu'il y a environ 1300/1400 suicidés par an en Suisse.

La nouveauté réside dans le fait que Killias affirmerait (à vérifier) qu'il s'agit pour l'essentiel d'une arme d'ordonnance...

Enfin, histoire de comparer des chiffres, je rappelle également:

Année 2000:
Mort par accident de la route: 604
Consommation de drogue: 205
Sida : 135
Abus d'alcool: plus de 2100 (maladie, suicide, accid. route, ... y compris)

Source:
http://info.rsr.ch/fr/rsr.html?siteSect=500&sid=5817557&cKey=1117030836000
http://www.bag.admin.ch/themen/drogen/00042/00632/index.html?lang=fr&download=M3wBUQCu/8ulmKDu36WenojQ1NTTjaXZnqWfVp7Yhmfhnapmmc7Zi6rZnqCkkIV3gXh9bKbXrZ2lhtTN34al3p6YrY7P1oah162apo3X1cjYh2+hoJVn6w==

Publié par Deru le 18 décembre 2006 à 19:42

En France, nous avons entre 10 et 12 000 suicides par an :(

Publié par Frédéric le 19 décembre 2006 à 8:11

Il s'agit en effet d'une étude pour le moins orientée. Le docteur Halbrook arrive, lui, à une conclusion totalement opposée.

Publié par pan le 19 décembre 2006 à 11:55

En fait, il ne s'agit que d'une interview. Il n'y a pas d'information sur l'etude elle-meme, sa methodolgie, les donnees acquises, leur traitement, ni de discussion. Le fait que l'etude soit presentee comme partielle ne change rien. Cela etant, il est dommage que l'armee, qui fournit ces armes, ne possede elle-meme, a ma connaissance, aucune donnee. C'est bien dommage, juste avant la disussion au National... NB: ecrit sur un ordinateur public a l'etranger, donc: pas d'accent.

Publié par Patrick Weyer le 27 décembre 2006 à 4:22

La culasse de l'arme de service pourrait être confiée au chef de section / commandant de compagnie ou encore le sergent-major de l'unité ou le responsable de la munition de l'unité de chaque soldat. Le pistolet de certains soldats (sanitaires, forteresse etc.)pourrait, de part sa petite taille, être confiée au complet à un responsable tel que décrit plus haut. L'arme de service des officiers et des sous-officiers supérieurs devrait être conservée par ces derniers, à moins qu'ils ne préfèrent la confier à un arsenal.

Il faut considérer, dans le cas d'un entreposage général en arsenal, tous les inconvénients - je les vois d'abord sous la forme de problème administratifs (p. ex. un soldat qui mobilise à Aarau et dont le fass se trouve à Bienne (BE=canton de domicile du soldat), alors que ce soldat travaille dans le canton d'Argovie - ou un cafouillage dans les numéros de série des armes entreposées en arsenal, parmi plusieur scénarios possibles).

On n'évitera pas vraiment les suicides par arme de service chez les sof sup et les of. Le meurtre-suicide commis dans l'affaire Rey-Bellet doit être considéré comme une exception attendue - sinon comme un "dommage collatéral" en temps de paix;n'ayons pas peu des statistiques. L'officier meutrier aurait certainement pu se procurer une arme civile pour "régler" son problème domestique.

D'autre part, on pourrait astreindre seulement les unités d'élite de première ligne, dans un premier temps, à conserver armes de service et munition à leur domicile - des expériences pilotes à ce sujet pourraient s'échelonner progressivement sur quelques mois.

Pour terminer, afin de limiter les vols d'armes de service entreposées dans des domiciles, elles devraient être équipées d'un dispositif les empêchant de faire feu, ou à tout le moins, le soldat devrait pouvoir l'entreposer dans un endroit plus sécuritaire qu'un galetas de bloc locatif... il existe plusieurs dispositifs (serrure de gachette, câble fermé aux extrémités dans le canon, je laisse le soin aux armuriers fédéraux de trouver le bon méchanisme de sécurité)- ces armes pourraient être rendues actives en quelques minutes par le soldat d'élite responsable.

Une entrevue, effectuée par la police militaire auprès de certains soldtats présentant des comportements erratiques, dépressifs ou agressifs, pourrait également être envisagée à l'échelle de ces soldats de première ligne.

Publié par Pierre Casutt le 23 avril 2007 à 18:19