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29 décembre 2006

Somalie : la logique paradoxale

Les derniers événements de Somalie sont une illustration exemplaire de la logique paradoxale propre à la stratégie, telle que l'a expliquée Edward Luttwak à la fin de la guerre froide : le succès ou l'avantage créent immanquablement des conditions plus favorables pour l'échec ou le désavantage ; ou, en des termes plus simples, s'élever augmente toujours le risque de chute. Les islamistes somaliens, depuis l'été dernier, avaient en effet enchaîné les succès au point de devenir une menace pour l'équilibre de la région, d'où l'intervention décisive de l'Ethiopie pour remettre au pouvoir la coalition improbable faisant office de gouvernement intérimaire. D'où également le risque de voir l'Erythrée s'engager également si l'action éthiopienne prend trop de poids...

Cette déroute des combattants islamistes, fondée sur une volonté d'éviter le combat frontal pour durer et maintenir à terme leur influence, rappelle la faiblesse des mouvements irréguliers lorsqu'ils se comportent de manière régulière, lorsqu'ils tentent de s'emparer ouvertement d'un pouvoir temporel. De la même manière que les Taliban en 2001, qui occupaient des lignes de front statiques et s'offraient aux frappes aériennes américaines, les milices des tribunaux islamistes avaient une vulnérabilité maximale aux coups de boutoir d'une armée conventionnelle, utilisant chasseurs-bombardiers et chars de combat. Il leur appartient désormais de se réorganiser, de se redéployer, de s'infiltrer et de mener une campagne insurrectionnelle - notamment si l'armée éthiopienne tarde à regagner ses bases d'opérations. Une armée informe gagne à ne jamais quitter cet état.

Cette logique paradoxale explique d'ailleurs pourquoi la puissance des Etats-Unis gagne souvent à rester dans l'ombre, à agir sans élever les enjeux. Les programmes de coopération lancés ces dernières années dans la Corne de l'Afrique, à l'instar d'autres régions, ont très probablement faits ces dernières jours la preuve de leur efficacité. Ce n'est pas uniquement la sous-traitance d'une lutte planétaire qui est ici intéressante, compte tenu des moyens déjà engagés sur d'autres théâtres d'opérations ; c'est surtout que le recours à des puissances régionales permet d'éviter la polarisation des esprits et la mobilisation des ressources qui répondent à toute grande opération américaine. Intermédiaire idéal entre "soft power" et "hard power", la coopération militaire illustre ainsi une stratégie planétaire d'interdiction nécessitant le maintien permanent et décentralisé d'un petit volume de troupes.

Bien entendu, il est possible de rompre la logique paradoxale selon laquelle un belligérant est le plus vulnérable lorsqu'il exploite à fond un succès donné. Mais dans une guerre aux dimensions sociétales, seule une attrition de type génocidaire permettrait de rompre le paradoxe - et de perdre définitivement aux yeux du monde entier.

Publié par Ludovic Monnerat le 29 décembre 2006 à 21:23

Commentaires

La Palestine, et peut-être le Hezbollah, montrent que les armées informes semblent être parfaitement capables de muer sous certaines conditions, et se cristalliser à différents niveaux, sans pour autant être détruites.

Publié par Stauffenberg le 29 décembre 2006 à 22:32

"votre" concept de "logique paradoxale" est vraiment génial !
Sarko qui est quasiment certain d'être calife à la place du vieux calife, en rajoute en minimisant son avantage et il ne tarit pas d'éloges sur Ségolène
il renforce sa position en n'abusant pas de la sienne qui est dominante
gagner une guerre de longue durée est un art !
très bien ce blog exotique

Publié par JPC le 3 mai 2007 à 21:31